Available languages

Taxonomy tags

Info

References in this case

Share

Highlight in text

Go

Édition provisoire

CONCLUSIONS DE L’AVOCATE GÉNÉRALE

MME LAILA MEDINA

présentées le 27 janvier 2022(1)


Affaire C-269/20

Finanzamt T

contre

S

[demande de décision préjudicielle formée par le Bundesfinanzhof (Cour fédérale des finances, Allemagne)]

(Renvoi préjudiciel – Taxe sur la valeur ajoutée (TVA) – Groupements TVA – Désignation d’un membre d’un groupement TVA comme assujetti – Prestations internes au sein du groupement TVA – Prestations effectuées par un membre d’un groupement TVA qui est une fondation nationale de droit public – Prestations de services à titre gratuit – Exercice d’une activité de puissance publique en plus d’une activité économique)






1.        Le présent renvoi préjudiciel du Bundesfinanzhof (Cour fédérale des finances, Allemagne) porte sur l’interprétation de l’article 4, paragraphe 4, ainsi que celle de l’article 6, paragraphe 2, première phrase, sous b), de la sixième directive 77/388/CEE (2) du Conseil et s’inscrit dans le cadre d’un litige opposant S, une fondation nationale de droit public, au Finanzamt T (administration fiscale, T, Allemagne ; ci-après le « Finanzamt »). Le litige porte : premièrement, sur la désignation de S (en son rôle de société faîtière), conjointement avec la société fournissant ses services de nettoyage, comme un seul assujetti aux fins de la taxe sur la valeur ajoutée (TVA) ; et, deuxièmement, sur la question de savoir si une prestation de services fournie à titre gratuit avec une finalité relevant du domaine de l’activité de puissance publique exercée par S (et qu’elle accomplit en tant qu’autorité publique) peut être soumise à la TVA conformément à l’article 6, paragraphe 2, première phrase, sous b), de ladite directive.

2.        Les présentes conclusions devraient être lues en combinaison avec mes conclusions parallèles dans l’affaire C-141/20, Norddeutsche Gesellschaft für Diakonie, qui ont été rendues le 13 janvier 2022, entre autres parce que la portée de la première question déférée par la cinquième chambre du Bundesfinanzhof (Cour fédérale des finances) dans la présente affaire correspond à la première question déférée par la onzième chambre de cette juridiction dans l’affaire C-141/20.

I.      Cadre juridique

3.        La sixième directive a été remplacée, à compter du 1er janvier 2007, par la directive 2006/112/CE du Conseil (3). La sixième directive demeure applicable ratione temporis au litige au principal.

4.        L’article 2 de la sixième directive disposait que « [s]ont soumises à la taxe sur la valeur ajoutée : 1. les livraisons de biens et les prestations de services, effectuées à titre onéreux à l’intérieur du pays par un assujetti agissant en tant que tel ».

5.        L’article 4 de ladite directive disposait :

« Est considéré comme assujetti quiconque accomplit, d’une façon indépendante et quel qu’en soit le lieu, une des activités économiques mentionnées au paragraphe 2, quels que soient les buts ou les résultats de cette activité.

[…]

4. Le terme ‘d’une façon indépendante’ utilisé au paragraphe 1 exclut de la taxation les salariés et autres personnes dans la mesure où ils sont liés à leur employeur par un contrat de louage de travail ou par tout autre rapport juridique créant des liens de subordination en ce qui concerne les conditions de travail et de rémunération et la responsabilité de l’employeur.

Sous réserve de la consultation prévue à l’article 29, chaque État membre a la faculté de considérer comme un seul assujetti les personnes établies à l’intérieur du pays qui sont indépendantes du point de vue juridique mais qui sont étroitement liées entre elles sur les plans financier, économique et de l’organisation.

5. Les États, les régions, les départements, les communes et les autres organismes de droit public ne sont pas considérés comme des assujettis pour les activités ou opérations qu’ils accomplissent en tant qu’autorités publiques, même lorsque, à l’occasion de ces activités ou opérations, ils perçoivent des droits, redevances, cotisations ou rétributions.

Toutefois, lorsqu’ils effectuent de telles activités ou opérations, ils doivent être considérés comme des assujettis pour ces activités ou opérations dans la mesure où leur non-assujettissement conduirait à des distorsions de concurrence d’une certaine importance.

En tout état de cause, les organismes précités ont la qualité d’assujettis notamment pour les opérations énumérées à l’annexe D et dans la mesure où celles-ci ne sont pas négligeables.

Les États membres peuvent considérer comme activités de l’autorité publique les activités des organismes précités exonérées en vertu des articles 13 ou 28 ».

6.        L’article 6, paragraphe 2, première phrase, sous b), de la sixième directive prévoyait que sont assimilées à des prestations de services effectuées à titre onéreux :

« les prestations de services à titre gratuit effectuées par l’assujetti pour ses besoins privés ou pour ceux de son personnel ou, plus généralement, à des fins étrangères à son entreprise. »

II.    Les faits à l’origine du litige au principal et les questions préjudicielles

7.        S, la requérante au principal, est une fondation de droit public allemande et l’organe faîtier d’une université qui gère, notamment, une faculté universitaire de médecine. S est un assujetti et fournit des services à titre onéreux (soins aux patients). En même temps, en tant que personne morale de droit public, elle accomplit des tâches de puissance publique (l’enseignement aux étudiants) pour lesquelles elle n’est pas considérée comme assujettie.

8.        S est l’organe faîtier du groupement fiscal (« Organträgerin »), tant d’une faculté universitaire de médecine que de la société U-GmbH. S est soumise à la TVA pour les activités économiques qu’elle effectue à titre onéreux, tandis qu’elle est exonérée de la TVA pour les activités qu’elle accomplit dans l’exercice de ses compétences en tant qu’autorité publique.

9.        Selon des éléments de preuve non contestés du Finanzamt T, S est l’organe faîtier de la société U-GmbH. La société U-GmbH a fourni à S des services de nettoyage, d’hygiène et de blanchisserie ainsi que des services de transport de patients. Les services de nettoyage de la société U-GmbH ont été fournis dans les locaux de S, c’est-à-dire l’ensemble du complexe immobilier occupé par la faculté universitaire de médecine, dont font partie, outre les chambres des patients, les couloirs et les salles d’opération, les salles de cours et les laboratoires. Tandis que l’espace hospitalier est dédié aux soins prodigués aux patients et relève du domaine des activités économiques de S, les salles de cours, les laboratoires et autres locaux sont utilisés pour la formation des étudiants et, par conséquent, relèvent du domaine des activités exercées par S en tant qu’autorité publique.

10.      La proportion de la surface à nettoyer et qui était consacrée aux activités d’autorité publique s’élevait à 7,6 % de la surface totale. La société U-GmbH a reçu, pour l’ensemble de ses services de nettoyage fournis à S, une rémunération totale de 76 085,48 euros pour l’année litigieuse (2005). Dans les déclarations de TVA relatives aux activités médicales de l’université, S a considéré l’ensemble des services qui lui ont été fournis par la société U-GmbH comme des services internes non taxables fournis dans le cadre de l’unité fiscale (groupement TVA).

11.      Le Finanzamt T a considéré, dans un avis de taxation rectifié pour l’année 2005 (consécutif à un audit externe), que les établissements de S constituaient une entreprise unique pour laquelle une déclaration commune de TVA devait être déposée et, par conséquent, un seul avis de taxation devait être émis. À cet égard, le Finanzamt T a considéré que les services de nettoyage fournis par la société U-GmbH à S pour ses activités en tant qu’autorité publique étaient effectués au sein d’une unité fiscale (groupement TVA). Les services de nettoyage soutenaient une activité « étrangère à [celle de] [son] entreprise » et donnaient ainsi lieu, dans le cas de S, à une valeur remise à titre gratuit au sens de l’article 3, paragraphe 9a, point 2, de l’Umsatzsteuergesetz (loi sur la taxe sur la valeur ajoutée ; l’« UStG ») [qui transpose l’article 6, paragraphe 2, première phrase, sous b), de la sixième directive]. Étant donné que la rémunération totale pour les services de nettoyage fournis par la société U-GmbH à S s’élevait, au cours de l’année litigieuse, à 76 065,48 euros, le Finanzamt T a estimé, en tenant compte du fait que la proportion de la surface affectée aux activités exercées par S en tant qu’autorité publique s’élevait à 7,6 % de la surface totale nettoyée, que 5 782,50 euros correspondaient au nettoyage des surfaces utilisées pour les activités relevant de l’autorité publique. Après déduction d’une majoration au titre des bénéfices qu’il a évaluée à 525,66 euros, le Finanzamt T a fixé à 5 257 euros la base d’imposition pour la valeur remise à titre gratuit et a, ainsi, augmenté la taxe sur le chiffre d’affaire de 841,12 euros.

12.      La réclamation formée par S contre cet avis de taxation a été rejetée par le même Finanzamt. Dans le cadre de la procédure de première instance devant le Niedersächsisches Finanzgericht (tribunal des finances, Land de Basse-Saxe, Allemagne), ladite juridiction a toutefois accueilli le recours de S. Selon cette juridiction, il était incontestable que S, en tant que société faîtière, et la société U-GmbH, en tant que société contrôlée, constituaient une unité fiscale (groupement TVA). Ce groupement TVA s’étendait également aux activités de S exercées en tant qu’autorité publique. Les conditions d’existence d’une valeur remise à titre gratuit au sens de l’article 3, paragraphe 9a, point 2, de l’UStG n’étaient pas réunies.

13.      La décision de renvoi s’inscrit dans le cadre d’un recours en Revision (recours soulevant une question de droit) introduit par le Finanzamt T dans le litige au principal devant le Bundesfinanzhof (Cour fédérale des finances).

14.      Dans le cadre de ce recours, la cinquième chambre du Bundesfinanzhof (Cour fédérale des finances) a décidé de surseoir à statuer et de déférer à la Cour les questions préjudicielles suivantes :

« 1.      La faculté pour les États membres, prévue à l’article 4, paragraphe 4, second alinéa, de [la sixième directive], de considérer comme un seul assujetti les personnes établies sur leur territoire qui sont indépendantes du point de vue juridique mais qui sont étroitement liées entre elles sur les plans financier, économique et de l’organisation, doit-elle être exercée de manière que

a)      le traitement comme un seul assujetti porte sur l’une de ces personnes, qui est assujettie pour toutes les opérations de ces personnes, ou de manière que

b)      le traitement comme un seul assujetti aboutisse obligatoirement – y compris, par conséquent, au prix de pertes de recettes fiscales considérables – à un groupement TVA distinct de ces personnes étroitement liées entre elles, groupement constituant une entité fictive créée aux seules fins de la TVA ?

2.      Dans l’hypothèse où l’alternative sous a) serait la réponse correcte à la première question : découle-t-il de la jurisprudence de la Cour de justice de l’Union européenne relative aux fins étrangères à l’entreprise au sens de l’article 6, paragraphe 2, de [la sixième directive] (arrêt du 12 février 2009, Vereniging Noordelijke Land – en Tuinbouw Organisatie, C-515/07, EU:C:2009:88) que, dans le cas d’un assujetti

a)      qui exerce, d’une part, une activité économique et qui effectue ainsi des prestations à titre onéreux au sens de l’article 2, point 1, de [la sixième directive] et

b)      qui exerce en même temps, d’autre part, une activité qu’il accomplit en tant qu’autorité publique (activité de puissance publique), pour laquelle il n’est pas considéré comme un assujetti en vertu de l’article 4, paragraphe 5, de [la sixième directive],

la fourniture à titre gratuit d’un service relevant du domaine de l’activité économique de cet assujetti et destiné au domaine de son activité de puissance publique ne doit pas être taxée en vertu de [l’article 6, paragraphe 2, première phrase, sous b), de la sixième directive] ? »

III.  Analyse

A.      Exposé sommaire de l’argumentation des parties

1.      Première question

15.      Par sa première question, la juridiction de renvoi demande, en substance, si l’article 4, paragraphe 4, second alinéa, de la sixième directive doit être interprété en ce sens qu’il s’oppose à ce qu’un État membre désigne, en tant qu’assujetti à la TVA, non pas le groupement TVA lui-même (« Organkreis »), mais un membre spécifique de ce groupe, à savoir l’organe faîtier (« Organträger »).

16.      Le gouvernement allemand invoque, en ce qui concerne la première question, des arguments analogues à ceux qu’il a soulevés dans l’affaire parallèle C-141/20 (4). En substance, il fait valoir que la faculté pour les États membres, prévue à l’article 4, paragraphe 4, second alinéa, de la sixième directive, de considérer comme un seul assujetti les personnes établies sur leur territoire qui sont indépendantes du point de vue juridique mais étroitement liées entre elles sur les plans financier, économique et de l’organisation peut être exercée de manière que le traitement comme un seul assujetti porte (uniquement) sur l’une de ces personnes (à savoir l’organe faîtier), qui est assujettie pour toutes les opérations de ces personnes.

17.      Dans son analyse de la première question déférée, la Commission soulève les mêmes arguments que ceux qu’elle a invoqués dans l’affaire parallèle C-141/20. En substance, elle fait valoir que l’article 4, paragraphe 4, second alinéa, de la sixième directive s’oppose à des dispositions nationales prévoyant que seul l’organe faîtier du groupement TVA devient l’assujetti du groupement à l’exclusion des autres membres.

2.      Seconde question

18.      Par sa seconde question, la juridiction de renvoi demande, en substance, si, dans le cas d’une entité qui exerce, d’une part, des activités économiques pour lesquelles elle est un assujetti et, d’autre part, des activités qu’elle accomplit dans l’exercice de compétences publiques, pour lesquelles elle est exonérée de la TVA en vertu de l’article 4, paragraphe 5, de la sixième directive, la fourniture, à titre gratuit, de services relevant du domaine de son activité économique et destinés au domaine de son activité en tant qu’autorité publique peut être taxée en vertu de l’article 6, paragraphe 2, de la sixième directive.

19.      Le gouvernement allemand considère que cette question appelle une réponse affirmative. Ce gouvernement soutient, en substance, que, dans le cas d’un assujetti qui, d’une part, exerce une activité économique et effectue ainsi des prestations de services à titre onéreux au sens de l’article 2, paragraphe 1, de la sixième directive et, d’autre part, exerce, en même temps, une activité en tant qu’autorité publique, pour laquelle il n’est pas considéré comme un assujetti en vertu de l’article 4, paragraphe 5, de cette directive, la fourniture, à titre gratuit, d’un service relevant du domaine de l’activité économique de cet assujetti peut être soumise à la taxe en vertu de l’article 6, paragraphe 2, première phrase, sous b), de la sixième directive.

20.      En particulier, le gouvernement allemand fait valoir que, à la différence de l’approche suivie au titre de l’article 6, paragraphe 2, première phrase, sous a), de la sixième directive, les besoins « non économiques » doivent être considérés comme couverts par la notion de « fins étrangères à [l’] entreprise » au sens de l’article 6, paragraphe 2, première phrase, sous b), de la sixième directive, et doivent, dès lors, relever du champ d’application de cette disposition.

21.      À cet égard, ce gouvernement fait valoir que son approche n’est pas contredite par la jurisprudence de la Cour relative à la notion de « fins étrangères à [l’]entreprise » dans des arrêts concernant l’article 6, paragraphe 2, première phrase, sous a), lu en combinaison avec l’article 17, paragraphe 2, de la sixième directive (5).

22.      À titre subsidiaire, pour le cas où la taxation de la valeur remise à titre gratuit ne serait pas permise en vertu de l’article 6, paragraphe 2, première phrase, sous b), de la sixième directive, le gouvernement allemand soutient que cette taxation est, en toute hypothèse, justifiée pour les services fournis dans le cadre d’activités relevant du domaine non économique d’une entité, telle que S, en vertu de l’article 6, paragraphe 2, seconde phrase, de cette directive, en vertu duquel les États membres ont la faculté de déroger aux dispositions de ladite directive.

23.      Selon la Commission, il n’y a pas lieu de répondre à la seconde question pour apporter une réponse qui serait utile à la juridiction de renvoi pour la solution du litige au principal.

B.      Appréciation

24.      La Cour est saisie de deux questions principales en l’espèce : i) la question de savoir qui doit être désigné comme l’assujetti d’un groupement TVA en vertu de l’article 4, paragraphe 4, second alinéa, de la sixième directive (la première question préjudicielle) ; et ii) la question de savoir comment traiter, aux fins de la TVA, les prestations d’une personne morale agissant à la fois dans les domaines public et privé, lorsque cette personne forme, avec une autre personne, une unité fiscale (un groupement TVA). En particulier, la question est celle de savoir si les services de nettoyage fournis par un membre d’un groupement TVA à un organisme de droit public dont les activités ne sont pas taxables – un organisme qui, pour sa part, est un membre ainsi que l’organe faîtier de ce groupement TVA – constituent : (a) des prestations internes non taxables dans le cadre de ce groupement TVA ; ou (b) une prestation effectuée « à titre gratuit » (une valeur remise à titre gratuit), pour laquelle la TVA était due (la seconde question préjudicielle).

1.      Sur la première question préjudicielle

25.      La première question préjudicielle porte sur la désignation de l’unique assujetti dans le cadre d’un groupement TVA en vertu de l’article 4, paragraphe 4, second alinéa, de la sixième directive. Cette question correspond, en substance, à la première question déférée dans l’affaire parallèle C-141/20.

26.      Dans mes conclusions parallèles dans cette affaire, j’ai expliqué, essentiellement, que : (i) les membres d’un groupement TVA ne perdent pas leur qualité d’« assujetti » aussi longtemps que les membres du groupement TVA ne cessent pas d’exercer des activités économiques indépendantes ; (ii) lorsque les États membres exercent le choix que leur laisse l’article 4, paragraphe 4, de la sixième directive et qu’ils fixent certaines conditions et modalités des groupements TVA, ils ne sauraient altérer fondamentalement la nature du concept de groupement TVA ni la finalité de cette disposition. En outre, par sa transposition de cette directive et par la définition des modalités qui matérialisent les droits que les groupements TVA et les personnes peuvent tirer de l’article 4, paragraphe 4, de ladite directive, la législation des États membres ne saurait priver certains groupements TVA et certaines personnes, qui satisfont aux exigences prévues par cette directive, du bénéfice de ces droits (ce qui est, en fait, le cas des personnes en cause dans la présente affaire et dans l’affaire C-141/20) ; (iii) l’article 4, paragraphe 4, second alinéa, de la sixième directive a pour objectifs de prévenir les abus et de lutter contre la fraude et l’évasion fiscales ainsi que de simplifier les opérations administratives en exonérant les transactions intragroupes.

27.      En conséquence, j’ai conclu dans ces conclusions que cette disposition de la sixième directive devait être interprétée en ce sens que : (i) elle permet de traiter comme un seul assujetti aux fins des obligations en matière de TVA des personnes étroitement liées, qui sont membres d’un groupement TVA ; mais en même temps que (ii) elle s’oppose à une législation d’un État membre (telle que l’article 2, paragraphe 2, point 2, de l’UStG), qui ne désigne que le seul membre faîtier – qui détient une majorité des droits de vote et une participation majoritaire dans la société contrôlée du groupement d’assujettis – en tant que représentant du groupement TVA et assujetti de ce groupement, à l’exclusion des autres membres du groupement.

28.      La même conclusion est applicable en l’espèce dans la mesure où la disposition pertinente du droit allemand en cause est la même que celle en cause dans l’affaire C-141/20 (à savoir l’article 2, paragraphe 2, point 2, de l’UStG).

29.      Comme je l’ai expliqué dans les conclusions parallèles, je considère que la disposition de l’UStG mentionnée ci-dessus va manifestement au-delà de la simplification de la taxation des sociétés liées lorsqu’elle prévoit que l’organe faîtier est l’assujetti. Le libellé de l’UStG ignore, d’une part, la personnalité juridique indépendante des sociétés liées et, d’autre part, leurs éventuelles particularités en tant qu’entités publiques (telles que la fondation S dans l’affaire au principal). Par ailleurs, la disposition précitée de l’UStG restreint la liberté du régime de groupement fiscal (groupement TVA) de désigner son représentant.

30.      Comme l’a relevé la Commission, l’objectif de simplification administrative poursuivi par l’article 4, paragraphe 4, de la sixième directive est de désigner, aux fins des relations avec les autorités fiscales, l’assujetti qui est tenu de déposer la déclaration fiscale et d’acquitter la TVA. À cet égard, le groupement TVA, au sens de cette disposition, crée un unique assujetti chargé du dépôt de la déclaration fiscale pour le groupe, sans pour autant supprimer l’obligation fiscale incombant aux membres du groupement.

31.      S, la fondation de droit public allemande, et la société U-GmbH étaient liées entre elles en tant qu’unité fiscale (groupement TVA).

32.      L’article 2, paragraphe 2, point 2, de l’UStG prévoit qu’une personne morale (la société contrôlée) qui fait partie de l’entreprise d’une autre personne (l’organe faîtier) en raison de liens financiers, économiques et organisationnels n’exerce pas son activité économique de manière indépendante. En droit allemand, la société contrôlée, qui, envisagée de manière autonome, est un assujetti, est, en dernière analyse, considérée comme faisant partie de l’organe faîtier (à l’instar d’une filiale) en raison de ces liens.

33.      Cette considération a des répercussions tant sur les activités exercées entre la société contrôlée et l’organe faîtier que sur les activités exercées par ces sociétés pour des tiers ; ce n’est pas la société contrôlée, mais l’organe faîtier qui est considéré, en droit allemand, comme l’assujetti à la TVA pour ces opérations.

34.      Je renvoie ici à mes conclusions dans l’affaire parallèle C-141/20 (points 71 à 80), où j’expose un exemple pratique, qui démontre en quoi l’article 2, paragraphe 2, point 2, de l’UStG constitue une transposition incorrecte de la sixième directive.

35.      Comme l’a relevé la Commission, dans la situation factuelle qui est celle de l’affaire au principal, l’article 2, paragraphe 2, point 2, de l’UStG pose des problèmes supplémentaires au regard de la sixième directive. En l’espèce, S, l’organe faîtier, est une autorité publique exerçant des activités qui, pour certaines d’entre elles, sont taxables et, pour d’autres, ne le sont pas. La société contrôlée, la société U-GmbH, fournit des services de nettoyage soumis à la TVA, tant pour les activités taxables de l’autorité publique que pour les propres activités non taxables de cette autorité. En raison de l’application de l’article 2, paragraphe 2, point 2, de l’UStG, étant donné que la société contrôlée n’est plus considérée comme un assujetti, mais plutôt comme une simple filiale, elle ne peut plus facturer la TVA pour ses activités autrement taxables.

36.      Je considère que la société de nettoyage U-GmbH, en tant que contribuable indépendant, a mentionné dans sa déclaration fiscale la TVA facturée pour des services fournis tant pour les activités taxables que pour les activités non taxables de S. En fait, cette autorité publique ne peut déduire la TVA facturée sur les services fournis aux fins de ses activités non taxables (6).

37.      La déclaration de TVA déposée pour le groupement TVA devrait être une consolidation de toutes les déclarations de TVA individuelles de chaque membre du groupement. Dès lors, il n’est plus nécessaire d’inscrire séparément dans les comptes les prestations de services en vertu de l’article 6, paragraphe 2, première phrase, sous b), de la sixième directive étant donné que les services correspondants sont fournis en tant que valeur remise à titre gratuit. Par conséquent, si la société de nettoyage est considérée, aux fins du droit allemand, comme une filiale de l’autorité publique, la TVA afférente aux biens acquis aux fins de la fourniture de ses services de nettoyage devrait être en proportion des activités non économiques de l’autorité publique.

38.      Il s’ensuit que les dispositions allemandes ne constituent pas seulement une simplification, elles créent une charge fiscale additionnelle pour les personnes et les groupements TVA et elles sont incompatibles avec l’article 4, paragraphe 4, second alinéa, de la sixième directive.

39.      Si l’obligation fiscale exclusive de l’organe faîtier pour les sociétés contrôlées, conformément à l’article 2, paragraphe 2, point 2, de l’UStG, est exclue en raison du fait qu’elle viole le droit de l’Union, les sociétés contrôlées doivent payer la taxe sur leurs opérations.

40.      Comme l’a relevé la juridiction de renvoi (7), si l’on parvient à la conclusion qu’il n’existe pas entre S (l’organe faîtier) et la société U-GmbH (société contrôlée) d’« Organschaft » (régime des groupements TVA), la société U-GmbH serait tenue d’acquitter la TVA sur les activités qu’elle exerce, par exemple, pour une autorité publique ou pour d’autres entreprises qui ne bénéficient d’aucun droit à déduction.

41.      Enfin, je souhaiterais aborder – comme l’a souligné la doctrine – la formulation quelque peu surprenante (8) de la première question préjudicielle et de la décision de renvoi, dans la mesure où la juridiction de renvoi [la cinquième chambre du Bundesfinanzhof (Cour fédérale des finances)] met en garde contre la réponse à la première question préjudicielle qui consisterait en l’alternative b) (c’est-à-dire la réponse que je propose dans les présentes conclusions), « au prix de pertes de recettes fiscales considérables » et parce que « la réponse à la première question revêt une grande importance non seulement pour la présente affaire mais également pour les recettes fiscales en Allemagne » et que « si la réponse à [cette] question préjudicielle consistait en l’alternative sous b), cela aurait des retombées significatives sur le plan fiscal ».

42.      Il suffit d’indiquer que, pendant plusieurs années, des doutes considérables quant à la compatibilité du régime allemand des groupements TVA avec la sixième directive ont été exprimés dans la jurisprudence nationale, dans la jurisprudence de l’Union [par exemple, dans l’arrêt du 16 juillet 2015, Larentia + Minerva et Marenave Schiffahrt (C-108/14 et C-109/14, EU:C:2015:496)] ainsi que dans la doctrine (9). Partant, l’Allemagne a disposé de suffisamment de temps pour prendre des mesures afin de remédier aux problèmes identifiés en ce qui concerne son régime des groupements TVA. En toute hypothèse, un État membre ne saurait rester inerte et ignorer cette jurisprudence et cette doctrine pour, ensuite, se borner à soutenir que, si la Cour juge que sa législation est incompatible avec le droit de l’Union, il perdrait des recettes fiscales significatives (10). En tout état de cause, il a, en fait, déjà été pris au moins quelques mesures concrètes dans la bonne direction, vers une réforme du régime des groupements TVA en Allemagne (11).

43.      Par conséquent, je considère qu’il y a lieu de répondre à la première question préjudicielle, en substance, dans le sens de l’alternative b), à savoir que la faculté accordée aux États membres à l’article 4, paragraphe 4, second alinéa, de la sixième directive doit être exercée de telle sorte que le traitement comme un seul assujetti doit conduire à un groupement TVA distinct des personnes étroitement liées entre elles et qui constitue une entité fictive spécifiquement aux fins de la TVA.

2.      Sur la seconde question préjudicielle

44.      La juridiction de renvoi a subordonné la réponse à la seconde question préjudicielle à une réponse positive à la première question (12) et a, dans le même temps, exclu la possibilité que l’unité fiscale allemande soit considérée comme compatible avec la sixième directive en cas de réponse négative à la première question. Il s’ensuit que, compte tenu de la réponse que je propose d’apporter à la première question, la réponse à la seconde question est hypothétique et inutile pour la solution du litige au principal.

45.      Toutefois, dans un souci d’exhaustivité, je formulerai les observations suivantes sur la seconde question préjudicielle.

46.      Par cette question, la juridiction de renvoi demande (13), en substance, si, dans l’affaire au principal, S (en tant qu’autorité publique) peut être taxée en vertu de l’article 6, paragraphe 2, de la sixième directive.

47.      Premièrement, dans l’arrêt du 12 février 2009, Vereniging Noordelijke Land – en Tuinbouw Organisatie (C-515/07, EU:C:2009:88, point 38 ; ci-après également l’« arrêt VNLTO »), la Cour a précisé que « [l’article 6, paragraphe 2, première phrase, sous a), de la sixième directive] n’a pas vocation à établir une règle selon laquelle des opérations qui se situent en dehors du champ d’application du régime de la TVA [telles que les opérations à caractère non économique (14)] peuvent être considérées comme étant effectuées à des ‘fins étrangères’ à l’entreprise au sens de cette disposition. En effet, une telle interprétation aurait pour conséquence de vider de son sens l’article 2, point 1, de la directive ».

48.      J’estime que cette considération est applicable mutatis mutandis pour ce qui concerne l’article 6, paragraphe 2, première phrase, sous b), de la sixième directive.

49.      Deuxièmement, il convient de garder à l’esprit que l’article 6, paragraphe 2, première phrase, sous b), de la sixième directive ne vise que les opérations effectuées « à titre gratuit » qui sont assimilées à des opérations effectuées à titre onéreux aux fins de la TVA (15).

50.      Il ressort toutefois de la décision de renvoi que, dans l’affaire au principal, la société U-GmbH a reçu de S une contrepartie pour ses services de nettoyage pour l’année en cause – tant dans le cadre de son activité économique que dans le cadre de son activité en tant qu’autorité publique (16).

51.      En effet, comme le Niedersächsisches Finanzgericht (tribunal des finances, Land de Basse-Saxe) l’a jugé en première instance dans l’affaire au principal, les activités effectuées « à des fins étrangères » à l’entreprise, conformément à l’article 6, paragraphe 2, première phrase, sous b), de la sixième directive, sont des prestations de services effectuées par l’assujetti pour ses besoins privés ou pour ceux de son personnel.

52.      En revanche, la sphère d’activité d’une entreprise relève du domaine des activités non économiques proprement dites (et non de « fins étrangères » à l’entreprise) lorsque, comme en l’espèce, une personne morale de droit public accomplit un service relevant de la sphère de la puissance publique.

53.      Il s’ensuit que l’article 6, paragraphe 2, première phrase, sous b), de la sixième directive est, en toute hypothèse, inapplicable aux activités de S en tant qu’autorité publique, c’est-à-dire à ses activités non économiques.

IV.    Conclusion

54.      Je propose à la Cour de répondre aux questions préjudicielles déférées par le Bundesfinanzhof (Cour fédérale des finances, Allemagne) comme suit :

Première question :

L’article 4, paragraphe 4, second alinéa, de la sixième directive 77/388/CEE du Conseil du 17 mai 1977 en matière d’harmonisation des législations des États membres relatives aux taxes sur le chiffre d’affaires – Système commun de taxe sur la valeur ajoutée : assiette uniforme (la « sixième directive »), permet de considérer des personnes – qui, tandis qu’elles sont indépendantes du point de vue juridique, sont étroitement liées entre elles sur les plans financier, économique et de l’organisation –, en tant que groupement TVA, comme un seul assujetti aux fins des obligations en matière de TVA.

Toutefois, la disposition susmentionnée de la sixième directive ne s’oppose pas à ce que chaque membre de ce groupement TVA continue d’être un assujetti indépendant.

Néanmoins, ladite disposition de la sixième directive s’oppose à des dispositions nationales prévoyant que seul l’organe faîtier du groupement TVA devient l’assujetti du groupement TVA, tandis que les autres membres de ce groupement sont considérés comme non assujettis.

Seconde question :

Il résulte de la réponse apportée à la première question qu’il n’y a pas lieu de répondre à la seconde question. En toute hypothèse, l’article 6, paragraphe 2, première phrase, sous b), de cette directive est inapplicable aux activités de S en tant qu’autorité publique, à savoir ses activités non économiques.


1      Langue original : l'anglais.


2      Sixième directive du Conseil du 17 mai 1977 en matière d’harmonisation des législations des États membres relatives aux taxes sur le chiffre d’affaires – Système commun de taxe sur la valeur ajoutée : assiette uniforme (JO 1977, L 145, p. 1 ; la « sixième directive »).


3      Directive du 28 novembre 2006 relative au système commun de taxe sur la valeur ajoutée (JO 2006, L 347, p. 1).


4      Voir un résumé de ces arguments aux points 24 à 28 de mes conclusions dans cette affaire.


5      Il se réfère aux arrêts du 12 février 2009, Vereniging Noordelijke Land – en Tuinbouw Organisatie (C-515/07, EU:C:2009:88), et du 15 septembre 2016, Landkreis Potsdam-Mittelmark (C-400/15, EU:C:2016:687).


6      Article 6, paragraphe 2, sous b), de la sixième directive.


7      Voir point 28 de la décision de renvoi.


8      Voir, par exemple, Grambeck, H.-M., Umsatzsteuerliche Organschaft – jetzt im Doppelpack beim EuGH, USt direkt digital, 18/2020, NWB KAAAH-56792, section II.


9      Voir note en bas de page 8 (jurisprudence nationale) et note en bas de page 9 (doctrine) de mes conclusions parallèles dans l’affaire C-141/20.


10      En outre, une analogie peut être faite avec la jurisprudence de la Cour, qui a jugé qu’« il ressort d’une jurisprudence constante que la réduction de recettes fiscales ne saurait être considérée comme une raison impérieuse d’intérêt général pouvant être invoquée pour justifier une mesure en principe contraire à une liberté fondamentale ». Voir arrêt du 7 septembre 2004, Manninen (C-319/02, EU:C:2004:484, point 49).


11      Le groupe de travail spécial, au niveau fédéral et des Länder, pour la ‘Reform der umsatzsteuerlichen Organschaft’ (réforme du groupement TVA) a déjà achevé ses travaux. Voir https://www.deloitte-tax-news.de/steuern/indirekte-steuern-zoll/eugh-umsatzsteuerliche-organschaft-in-deutschland.html (avril 2021).


12      La seconde question commence par la formule « Dans l’hypothèse où l’alternative sous a) serait la réponse correcte à la première question », voir point 14 des présentes conclusions.


13      Voir un résumé de la seconde question au point 18 des présentes conclusions.


14      Voir, en ce sens, arrêts du 13 mars 2008, Securenta (C-437/06, EU:C:2008:166, point 30), et du 15 septembre 2016, Landkreis Potsdam-Mittelmark (C-400/15, EU:C:2016:687, point 30 et jurisprudence citée).


15      Arrêt du 20 janvier 2005, Hotel Scandic Gåsabäck (C-412/03, EU:C:2005:47, point 24).


16      Voir points 10 et 11 des présentes conclusions.