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Édition provisoire

CONCLUSIONS DE L’AVOCAT GÉNÉRAL

M. MACIEJ SZPUNAR.

présentées le 1er juillet 2021 (1)

Affaire C-324/20

Finanzamt B

contre

X-Beteiligungsgesellschaft mbH

[demande de décision préjudicielle formée par le Bundesfinanzhof (Cour fédérale des finances, Allemagne)]

« Renvoi préjudiciel – Fiscalité – Taxe sur la valeur ajoutée – Prestation de services – Prestation ponctuelle – Paiement échelonné – Directive 2006/112/CE – Article 63 – Exigibilité de la taxe – Article 64, paragraphe 1 – Notion d’opération “donnant lieu à des paiements successifs” – Article 90, paragraphe 1 – Réduction de la base d’imposition – Notion de “non-paiement” »






 Introduction

1.        En vertu des principes de liberté économique et de liberté contractuelle, les opérateurs du marché déterminent librement leurs relations contractuelles, tant en ce qui concerne les prestations fournies qu’en ce qui concerne leur rémunération. Ils doivent toutefois tenir compte à cet égard des conditions dans lesquelles ils exercent leurs activités, non seulement celles de nature économique mais également celles de nature juridique, y compris fiscales. La présente affaire offre une illustration des problèmes qui peuvent survenir lorsque ces conditions ne sont pas prises en compte.

2.        Plus précisément, il s’agit dans cette affaire de savoir si, et dans quelle mesure, l’échelonnement du paiement de la contrepartie versée au titre d’une opération soumise à la taxe sur la valeur ajoutée (ci-après la « TVA ») influe sur le moment de la naissance de l’obligation de versement de la taxe par l’assujetti.

 Le cadre juridique

 Le droit de l’Union

3.        L’article 63 de la directive 2006/112/CE du Conseil, du 28 novembre 2006, relative au système commun de taxe sur la valeur ajoutée (2) dispose :

« Le fait générateur de la taxe intervient et la taxe devient exigible au moment où la livraison de biens ou la prestation de services est effectuée. »

4.        Cependant, en vertu de l’article 64, paragraphe 1, de cette directive :

« Lorsqu’elles donnent lieu à des décomptes ou à des paiements successifs, [...] les prestations de services sont considérées comme effectuées au moment de l’expiration des périodes auxquelles ces acomptes ou paiements se rapportent. »

5.        L’article 66, sous b), de ladite directive prévoit quant à lui :

« Par dérogation aux articles 63, 64 et 65, les États membres peuvent prévoir que la taxe devient exigible pour certaines opérations ou certaines catégories d’assujettis à un des moments suivants :

[...]

b)      au plus tard lors de l’encaissement du prix ;

[...] ».

6.        Aux termes de l’article 73 de cette même directive :

« Pour les livraisons de biens et les prestations de services autres que celles visées aux articles 74 à 77, la base d’imposition comprend tout ce qui constitue la contrepartie obtenue ou à obtenir par le fournisseur ou le prestataire pour ces opérations de la part de l’acquéreur, du preneur ou d’un tiers, y compris les subventions directement liées au prix de ces opérations. »

7.        Enfin, l’article 90, paragraphe 1, de la directive 2006/112 dispose :

« En cas d’annulation, de résiliation, de résolution, de non-paiement total ou partiel ou de réduction de prix après le moment où s’effectue l’opération, la base d’imposition est réduite à due concurrence dans les conditions déterminées par les États membres. »

 Le droit allemand

8.        La directive 2006/112 a été transposée en droit allemand par les dispositions de l’Umsatzsteuergesetz (3) (loi relative à la taxe sur le chiffre d’affaires, ci-après l’« UStG »).

9.        L’article 13, paragraphe 1, point 1, de cette loi dispose :

« La taxe prend naissance

1.      pour les livraisons et autres prestations

a)      en cas de calcul de la taxe en fonction des contreparties financières convenues (article 16, paragraphe 1, première phrase), à l’expiration de la période comptable au cours de laquelle les prestations ont été exécutées. Cela s’applique également aux prestations partielles. Il y a prestation partielle lorsque la contrepartie financière de certaines parties d’une prestation économiquement séparable est convenue séparément. Si la contrepartie financière, ou une partie de celle-ci, est encaissée avant que la prestation ou la prestation partielle ne soit exécutée, la taxe y afférente devient exigible à l’expiration de la période comptable pendant laquelle la contrepartie ou la contrepartie partielle a été encaissée,

b)      en cas de calcul de la taxe en fonction des contreparties financières encaissées (article 20), à l’expiration de la période comptable au cours de laquelle ces contreparties ont été encaissées,

[...]. »

10.      En vertu de l’article 17 de l’UStG 

« 1.      En cas de modification de la base de calcul d’une opération imposable, au sens de l’article 1er, paragraphe 1, point 1, l’entrepreneur qui a réalisé cette opération doit rectifier le montant de la taxe due à ce titre. [...]

2.      Le paragraphe 1 est applicable mutatis mutandis lorsque

1)      la contrepartie financière convenue pour une livraison imposable, une autre prestation ou une acquisition intracommunautaire imposable est devenue irrécouvrable. Si la contrepartie financière est encaissée ultérieurement, le montant de la taxe et la déduction doivent à nouveau être rectifiés.

[...] »

11.      Enfin, l’article 20, première phrase, de l’UStG, dans sa version applicable à l’exercice fiscal litigieux, disposait :

« Le Finanzamt (l’administration des finances) peut, sur demande, autoriser un entrepreneur :

1)      dont le chiffre d’affaires global (article 19, paragraphe 3) n’a pas dépassé 500 000 euros au cours de l’année civile précédente, ou

2)      qui est dispensé de l’obligation de tenir des livres comptables et d’établir régulièrement des comptes sur la base d’inventaires annuels [...], ou

3)      dans la mesure où il effectue des opérations au titre d’une activité exercée en tant que membre d’une profession libérale,

à calculer la taxe non pas en fonction des contreparties financières convenues (article 16, paragraphe 1, première phrase), mais en fonction des contreparties financières encaissées. »

 Les faits, la procédure et les questions préjudicielles

12.      X-Beteiligungsgesellschaft mbH, société de droit allemand (ci-après « X »), est assujettie à la TVA en Allemagne.

13.      Au cours de l’exercice fiscal 2012, X a fourni à la société T-GmbH (ci-après « T ») des services d’intermédiation dans le cadre de la vente d’un bien immobilier par cette dernière. Ainsi qu’il ressort de la convention d’honoraires conclue entre ces sociétés le 7 novembre 2012, au moment de la conclusion de ce contrat, X avait déjà exécuté toutes les prestations auxquelles elle était tenue.

14.      Il ressort également de cette convention que les honoraires afférents auxdits services d’intermédiation étaient fixés à un montant d’un million d’euros majoré de la TVA, payable en cinq échéances de 200 000 euros majorées de la TVA. Ces échéances devaient être payées chaque année à compter du 30 juin 2013. À l’expiration du délai de paiement de chaque échéance, X établissait une facture et comptabilisait la TVA due.

15.      Par décision du 22 décembre 2016, l’administration fiscale compétente a considéré que l’intégralité de la prestation de services avait été fournie par X à T au cours de l’année 2012, de sorte que X aurait dû acquitter l’intégralité de la TVA sur l’opération en cause.

16.      X a introduit un recours contre cette décision devant le Finanzgericht (tribunal des finances, Allemagne) compétent. Celui-ci a fait droit au recours en jugeant que si la prestation de services avait effectivement été fournie en 2012, le montant de la contrepartie de cette opération, à l’exception de la première échéance versée le 30 juin 2013, devait être considéré comme irrécouvrable au sens de l’article 17 de l’UStG et de l’article 90, paragraphe 1, de la directive 2006/112. Selon cette juridiction, l’application de ces dispositions permettait d’éviter que X soit tenue de verser l’intégralité de la TVA avant d’obtenir l’intégralité de la contrepartie due pour les prestations de services fournies.

17.      L’administration fiscale a formé un recours contre cette décision devant la juridiction de renvoi. C’est dans ce contexte que le Bundesfinanzhof (Cour fédérale des finances, Allemagne) a décidé de surseoir à statuer et de saisir la Cour des questions préjudicielles suivantes :

« 1)      Suffit-il qu’un paiement échelonné soit stipulé pour considérer qu’une prestation ponctuelle, qui n’est donc pas fournie au cours d’une période déterminée, donne lieu à des décomptes ou à des paiements successifs, au sens de l’article 64, paragraphe 1, de la directive TVA ?

2)      À titre subsidiaire, en cas de réponse négative à la première question : doit-on considérer qu’il y a non-paiement au sens de l’article 90, paragraphe 1, de la directive TVA, si, lors de la fourniture de sa prestation, l’assujetti est convenu que celle-ci sera rémunérée au moyen de cinq paiements annuels et que, en cas de paiement ultérieur, le droit national prévoit une rectification ayant pour effet d’annuler la réduction antérieure de la base d’imposition consentie en vertu de cette disposition ? »

18.      La demande de décision préjudicielle est parvenue à la Cour le 22 juillet 2020. Des observations écrites ont été présentées par X, le gouvernement de la République fédérale d’Allemagne et la Commission européenne. La Cour a décidé de ne pas tenir d’audience.

 Analyse

 Considérations liminaires

 Sur les constatations factuelles

19.      Dans la demande de décision préjudicielle déférée dans la présente affaire, la juridiction de renvoi se fonde sur les constatations factuelles de la juridiction de première instance, ayant retenu que la prestation prévue dans le cadre de l’opération litigieuse revêtait un caractère ponctuel et avait été intégralement exécutée par X en 2012, de telle sorte que la contrepartie d’un montant d’un million d’euros, majoré de la TVA, correspondait à des prestations intégralement réalisées en 2012.

20.      X conteste néanmoins cette constatation. Elle estime que le contrat conclu avec T incluait des prestations de services complémentaires, notamment en matière de conseil, qui devaient être fournies au cours des années suivantes, en contrepartie du versement de nouvelles tranches de la rémunération contractuellement convenue. Cette société estime donc que seul le montant reçu le 30 juin 2013 rémunérait les prestations qu’elle avait fournies en 2012. X se prévaut en particulier de l’accord complémentaire interprétatif du 15 mars 2016 conclu avec T et de l’ordonnance avant dire droit du Finanzgericht (tribunal des finances) du 23 septembre 2020, qu’elle a jointe à ses observations écrites. Les questions préjudicielles posées dans la présente affaire revêtent donc, selon elle, un caractère hypothétique.

21.      Il convient toutefois de garder à l’esprit que, dans le cadre d’une procédure préjudicielle, la Cour est en principe liée par les constatations de fait de la juridiction de renvoi (4). En l’espèce, ces constatations ne semblent d’ailleurs pas, à première vue, erronées. En particulier, l’ordonnance du 23 septembre 2020 a été adoptée après la décision de la juridiction de renvoi de déférer une demande de décision préjudicielle dans la présente affaire. Cette ordonnance a également été rendue dans le cadre d’une procédure distincte concernant l’impôt sur le revenu de X au titre de l’exercice fiscal 2012. Les circonstances factuelles peuvent cependant faire l’objet d’une appréciation différente pour la détermination des recettes prise en compte au titre de l’impôt sur le revenu des sociétés et pour la détermination de l’obligation fiscale en matière de TVA.

22.      Par conséquent, je suis d’avis que la Cour devrait répondre aux questions préjudicielles posées dans la présente affaire en se fondant sur les faits constatés par la juridiction de renvoi (ou constatés par la juridiction de première instance et retenus par la juridiction de renvoi).

 Sur les questions préjudicielles

23.      La juridiction de renvoi pose en l’occurrence deux questions préjudicielles. La première concerne l’interprétation de la notion d’opérations « donn[ant] lieu à des paiements successifs », au sens de l’article 64, paragraphe 1, de la directive 2006/112. La seconde question porte quant à elle sur le point de savoir si une situation telle que celle en cause au principal peut correspondre à un « non-paiement » au sens de l’article 90, paragraphe 1, de cette directive. L’application de cette dernière disposition ne dépend pas de l’interprétation de l’article 64, paragraphe 1, de ladite directive ; le non-paiement peut également concerner des opérations donnant lieu à des paiements successifs. En revanche, en cas de réponse affirmative à la seconde question préjudicielle, la première question deviendrait sans objet. Je commencerai donc par examiner la seconde question.

 Sur la seconde question préjudicielle

24.      Par sa seconde question préjudicielle, la juridiction de renvoi cherche à savoir si l’article 90, paragraphe 1, de la directive 2006/112 doit être interprété en ce sens que si, lors de la fourniture d’une prestation de services à caractère ponctuel, l’assujetti est convenu que celle-ci sera rémunérée par des versements échelonnés, un non-paiement peut être constaté, au sens de cette disposition, pour les versements successifs postérieurs à la première tranche de rémunération, la base d’imposition pouvant alors être réduite à due concurrence et éventuellement relevée ultérieurement après le versement des tranches suivantes. Il semble que cette question ait été dictée par le fait qu’il s’agit précisément de la solution retenue dans l’affaire au principal par la juridiction de première instance pour éviter que l’assujetti n’ait à financer la TVA due avant d’avoir reçu la rémunération du service fourni.

25.      X propose de répondre par l’affirmative à cette question, tandis que le gouvernement allemand et la Commission proposent une réponse négative.

26.      Je souscris au point de vue de ces derniers.

27.      La TVA est calculée proportionnellement à la base d’imposition (5), laquelle est définie comme « tout ce qui constitue la contrepartie obtenue ou à obtenir par le fournisseur ou le prestataire pour ces opérations » (6). Le montant de cette base d’imposition est déterminé au moment de la naissance de l’obligation fiscale, c’est-à-dire, s’agissant d’une prestation de services, au moment de l’exécution de celle-ci.

28.      Cependant, en cas de réduction, après la naissance de l’obligation fiscale, du montant que l’assujetti doit obtenir à titre de contrepartie de la prestation fournie, il y a lieu de réduire également la base d’imposition en conséquence ainsi que, par voie de conséquence, le montant de l’obligation de l’assujetti au titre de la taxe due (7). Il peut s’agir d’une réduction au sens strict comme d’une « réduction à zéro », c’est-à-dire une disparition complète de la base d’imposition et de l’obligation fiscale y afférente. Un tel changement peut être induit par la modification ou la cessation de la relation contractuelle entre les parties à l’opération imposable ou résulter du défaut de paiement de la rémunération de la prestation par le cocontractant de l’assujetti.

29.      L’obligation de réduction de la base d’imposition et de l’obligation fiscale y afférente prévue à cette disposition est l’expression du principe selon lequel la base d’imposition de la TVA est constituée par la contrepartie réellement obtenue ou devant être obtenue par l’assujetti au titre d’une opération imposable (8).

30.      Cet objectif de l’article 90, paragraphe 1, de la directive 2006/112 implique que cette disposition ne s’applique que dans l’hypothèse d’une réduction du montant que l’assujetti est censé obtenir à titre de rémunération de la prestation fournie. En revanche, si ce montant n’est pas réduit, il n’y a aucune raison de réduire la base d’imposition et ladite disposition n’est pas applicable. Tel est le cas, par exemple, lorsque les parties à une opération imposable conviennent non pas d’une réduction de la rémunération, mais seulement d’un échelonnement ou d’un report de paiement.

31.      À l’évidence, en cas de non-paiement par le cocontractant de l’assujetti, la réduction du montant qu’obtiendra l’assujetti n’est pas nécessairement définitive, puisque, à défaut de modification de la relation contractuelle entre les parties, l’assujetti reste créancier de la contrepartie non versée, qu’il peut recouvrer ultérieurement (9). Une incertitude subsiste donc quant au caractère définitif de la réduction de la base d’imposition. C’est également pour cette raison que l’article 90, paragraphe 2, de la directive 2006/112 laisse aux États membres le soin de déterminer les conditions d’application de l’article 90, paragraphe 1, de celle-ci en cas de non-paiement (10).

32.      Il n’en demeure pas moins que, en cas de report ou d’échelonnement du paiement du montant de la contrepartie que l’assujetti doit obtenir à ce titre, celle-ci n’est assurément pas réduite. Il n’y a donc pas non plus de raison de réduire la base d’imposition (11).

33.      Ainsi, si je partage le point de vue du gouvernement allemand lorsqu’il affirme que toute réduction de la rémunération que l’assujetti doit percevoir au titre d’une opération imposable concerne des situations postérieures à l’exécution de la prestation concernée, il ne s’agit pas pour autant, à mon sens, d’un aspect essentiel aux fins de la réponse à cette question préjudicielle. En effet, l’élément essentiel à cet égard est que le paiement de la rémunération en plusieurs tranches ne modifie pas le montant que l’assujetti est censé obtenir au titre de cette rémunération ni, par voie de conséquence, la base d’imposition de cette opération.

34.      Il s’ensuit, selon moi, que l’article 90, paragraphe 1, de la directive 2006/112 doit être interprété en ce sens que la situation dans laquelle l’assujetti fournissant une prestation ponctuelle a convenu, avec le preneur, d’un paiement échelonné de sa rémunération ne relève pas d’un non-paiement au sens de cette disposition.

35.      En outre, ainsi que l’observe le gouvernement allemand, conformément à l’article 90, paragraphe 1, de la directive 2006/112, la réduction de la base d’imposition sur le fondement de cette disposition s’applique dans les conditions déterminées par les États membres. L’article 90, paragraphe 2, de cette directive permet aux États membres de ne pas l’appliquer à des situations de non-paiement. Or, en vertu de l’article 17, paragraphe 2, point 1, de l’UStG, en cas de non-paiement, la réduction de la base d’imposition n’est possible que lorsque la contrepartie est devenue irrécouvrable. Cela ne correspond pas au cas de figure de l’échelonnement du paiement. Ainsi, le droit allemand lui-même, qui est à cet égard conforme à la directive 2006/112, ne permet pas d’appliquer les dispositions qui transposent l’article 90 de cette directive en cas d’échelonnement du paiement de la contrepartie reçue au titre d’une opération imposable.

 Sur la première question préjudicielle

36.      Par sa première question préjudicielle, la juridiction de renvoi cherche à savoir, en substance, si l’article 64, paragraphe 1, de la directive 2006/112 doit être interprété en ce sens qu’il s’applique à une opération comportant une prestation de services ponctuelle dont la contrepartie est versée à l’assujetti sous forme de paiements échelonnés.

37.      Cette question repose sur la constatation factuelle de la juridiction de renvoi ayant retenu que la prestation de service en cause au principal avait un caractère ponctuel et avait été exécutée intégralement au cours de l’exercice fiscal 2012 (12). Telle est également la prémisse sur laquelle repose mon analyse de cette question.

 Sur l’interprétation de l’article 64, paragraphe 1, de la directive 2006/112

38.      Il convient de rappeler que l’article 64, paragraphe 1, de la directive 2006/112 prévoit que, lorsqu’elles donnent lieu à des paiements successifs, les prestations de services sont considérées comme effectuées au moment de l’expiration des périodes auxquelles ces paiements se rapportent. La réponse à la question préjudicielle nécessite donc d’interpréter la notion d’« opérations donnant lieu à des paiements successifs », au sens de cette disposition.

39.      Contrairement à ce que soutient la Commission, j’estime que le seul libellé de cette disposition ne permet pas de répondre clairement à cette question.

40.      L’article 64, paragraphe 1, de la directive 2006/112 doit en revanche être interprété à la lumière de l’article 63 de celle-ci. Or, selon cette dernière disposition, le fait générateur de la taxe intervient et la taxe devient exigible au moment où la prestation qui constitue l’objet de l’opération est effectuée.

41.      L’article 63 de la directive 2006/112 ne précise pas quel événement doit être considéré comme marquant le moment où la prestation est effectuée. Cela signifie, à mon sens, que le législateur de l’Union a adopté dans ce cas une approche matérielle, de sorte qu’il convient de tenir compte du moment de l’exécution effective de la prestation, déterminé, le cas échéant, grâce aux constatations factuelles des autorités fiscales ou du juge.

42.      S’agissant de la détermination du moment de la naissance de l’obligation fiscale, l’article 64, paragraphe 1, de la directive 2006/112 ne constitue donc pas, selon moi, une dérogation à l’article 63 de celle-ci, mais : il ne fait que compléter et préciser cette disposition pour les situations pouvant susciter des doutes. Cette disposition précise en effet quel moment doit être considéré comme le moment de l’exécution de la prestation dont le paiement est échelonné dans le temps. Il s’agit de l’expiration du délai de paiement.

43.      Cependant, d’un point de vue logique, cette définition conventionnelle du moment de l’exécution de la prestation n’est nécessaire que pour des prestations dont il est difficile de déterminer clairement, sur la base des faits eux-mêmes, le moment de l’exécution, notamment parce que le rapport juridique entre les parties à l’opération et la prestation faisant l’objet de celle-ci s’inscrivent dans la continuité. Dans ce cas de figure, l’exécution de la prestation est réputée durer aussi longtemps que l’obligation de payer afférente à cette prestation est applicable.

44.      En revanche, il n’y a pas lieu d’étendre l’application de l’article 64, paragraphe 1, de la directive 2006/112 à des situations dans lesquelles le moment de l’exécution de la prestation peut aisément être constaté, notamment lorsque la prestation revêt un caractère ponctuel et qu’il existe un moment précis permettant d’établir que son exécution est achevée conformément à la relation contractuelle qui lie les parties à l’opération concernée. Une telle extension du champ d’application de cette disposition signifierait, en effet, que celle-ci définit le fait générateur de la taxe sans respecter les termes clairs de l’article 63 de cette directive.

45.      L’interprétation systématique de l’article 64, paragraphe 1, de la directive 2006/112, principalement à la lumière de l’article 63 de celle-ci, plaide donc en faveur d’une réponse négative à la première question préjudicielle. Je partage, en substance, les observations de la Commission sur ce point.

46.      En outre, ainsi que le fait valoir à juste titre le gouvernement allemand, une interprétation différente de cette disposition impliquerait que les parties à l’opération seraient libres d’agir sur la détermination du moment de la naissance de l’obligation fiscale en adaptant le délai de paiement du prix de la livraison de biens ou de la prestation de services. La Cour a cependant déjà eu l’occasion d’affirmer que le législateur de l’Union a entendu harmoniser de façon maximale la date à laquelle naît l’obligation fiscale dans tous les États membres afin de garantir un prélèvement uniforme de la TVA (13). L’objectif de garantir un prélèvement uniforme de cette taxe concerne non seulement tous les États membres, mais également toutes les opérations de même nature, quelles que soient leurs différences secondaires, telles que les modalités de paiement de la rémunération. Cette solution s’impose au regard des principes d’égalité de traitement et de concurrence non faussée.

47.      En effet, la naissance et le montant de l’obligation fiscale ne dépendent que de trois éléments : la nature de l’opération réalisée, qui détermine son éventuelle imposition ainsi que le taux de la taxe, le montant de la contrepartie, c’est-à-dire la base d’imposition, et le moment de l’exécution de la prestation, qui est, en principe, également celui de la naissance de l’obligation fiscale. En revanche, dans le système de la TVA, le moment du paiement de la contrepartie ne fait pas partie des facteurs pertinents aux fins de l’imposition.

48.      Ces conclusions ne sont pas remises en cause par la jurisprudence de la Cour citée par la juridiction de renvoi ainsi que par X dans ses observations, notamment les arrêts Asparuhovo Lejk Inwestmynt Kympani (14) et baumgarten sports & more (15). En effet, si l’article 64, paragraphe 1, de la directive 2006/112 a été appliqué dans les affaires ayant donné lieu à ces arrêts, c’est parce que la relation juridique entre les parties à l’opération s’inscrivait dans la continuité et dans la durée, les obligations à caractère continu incombant non seulement au preneur du service mais également au prestataire, et le paiement de la rémunération convenue étant lui-même subordonné à l’exécution de ces obligations (16). Il ressort cependant des constatations factuelles de la juridiction de renvoi dans la présente affaire que cela ne correspond pas à la situation au principal, qui porte sur l’imposition d’une prestation à caractère ponctuel, intégralement exécutée à un moment précis et pour laquelle le prestataire de services est censé être rémunéré intégralement sans condition.

49.      Par conséquent, je partage l’analyse de la Commission selon laquelle l’expression « [opérations qui] donnent lieu [...] à des paiements successifs », employée à l’article 64, paragraphe 1, de la directive 2006/112, doit être entendue en ce sens qu’elle vise des opérations qui exigent par leur nature même une répartition dans le temps ou un échelonnement du paiement de la contrepartie, et ce en raison de leur caractère récurrent.

50.      Cette disposition doit donc être interprétée en ce sens qu’elle n’est pas applicable à une opération consistant en une prestation de services ponctuelle pour laquelle l’assujetti est rémunéré au moyen de paiements échelonnés.

 Sur le lien entre l’obligation d’acquitter la taxe due et l’obtention de la contrepartie de l’opération imposable

51.      Tant la juridiction de renvoi, dans sa décision, que X, dans ses observations écrites, font valoir que, dans une situation telle que celle en cause au principal, dans laquelle le paiement de la contrepartie afférente à une prestation ponctuelle a fait l’objet d’un échelonnement sur une longue période (en l’occurrence pendant cinq ans), la TVA étant calculée au moment du paiement de chaque échéance, l’assujetti est contraint de financer, pendant une période prolongée, le montant intégral de la TVA, bien qu’il n’ait pas encore reçu le paiement du preneur.

52.      Comme je l’ai indiqué dans la proposition de réponse à la seconde question préjudicielle dans la présente affaire, l’application de l’article 90 de la directive 2006/112 ne permet pas dans ce cas de résoudre ce problème de façon appropriée. Il en va de même, à mon sens, de l’application de l’article 64, paragraphe 1, de cette directive.

53.      Comme je l’ai évoqué précédemment, en matière de TVA, la naissance de l’obligation fiscale n’est pas subordonnée, en principe, à l’obtention par l’assujetti de la contrepartie afférente à l’opération imposable effectuée par celui-ci. La naissance de l’obligation fiscale peut également être antérieure au paiement de cette contrepartie. La Cour a déjà eu l’occasion de le souligner expressément dans sa jurisprudence (17).

54.      Lorsque l’absence de paiement de la contrepartie prévue par le contrat entre les parties à l’opération imposable a un caractère durable, par exemple à la suite de la résiliation ou d’une modification du contrat, ou lorsqu’elle est indépendante de la volonté de l’assujetti, notamment si le cocontractant ne s’acquitte pas de son obligation de paiement, l’article 90 de la directive 2006/112 s’applique et la base d’imposition est réduite de même que, par voie de conséquence, le montant de la dette fiscale.

55.      En revanche, lorsque, dans le cadre d’une opération imposable, un report ou un échelonnement du paiement de la contrepartie est prévu dès le départ, c’est l’assujetti qui décide des modalités d’exercice de son activité économique, en pleine connaissance des obligations, notamment fiscales, que cela implique. La décision d’accepter ou non, et à quelles conditions, d’étaler dans le temps le paiement de la contrepartie dépend de sa volonté.

56.      Dans un tel cas de figure, la solution peut consister soit à effectuer la liquidation et la perception de la totalité de la TVA due au moment du versement de la première échéance, soit à affecter cette première échéance au paiement de la taxe (18). Ainsi, l’assujetti n’est pas contraint d’affecter ses propres ressources financières au paiement de la taxe.

57.      S’agissant de l’argument de X selon lequel le paiement de la totalité de la TVA due après réception de la première échéance de la contrepartie ne laisse à l’assujetti aucun bénéfice au titre de l’opération réalisée, voire le prive de fonds nécessaire à la couverture des coûts de la prestation fournie, il suffit d’observer que l’assujettissement à la TVA ne dépend pas des résultats de l’activité économique de l’assujetti (19). Cette taxe grève également les opérations qui ne sont pas bénéficiaires, voire les opérations déficitaires. Il incombe non pas au système de la TVA mais aux opérateurs économiques d’assurer la rentabilité de leur activité économique.

58.      Dans l’affaire au principal, le problème résulte peut-être des modalités d’émission des factures afférentes à l’opération litigieuse par X. Selon les indications figurant dans la demande de décision préjudicielle, cette société facturait séparément, pour chaque échéance versée à titre de contrepartie de la prestation, la TVA afférente. La juridiction de renvoi ne précise pas si les autorités fiscales ont contesté, dans l’affaire au principal, ces modalités de facturation. Ces dernières ne semblent toutefois pas conformes aux dispositions de la directive 2006/112.

59.      La directive 2006/112 définit, à son titre XI, les obligations des assujettis. L’article 220 de celle-ci leur impose de s’assurer qu’une facture est émise, notamment en cas de prestations de services effectuées pour d’autres assujettis. L’article 226 de cette directive énumère en détail les mentions devant figurer sur une facture. Il s’agit en particulier de la nature et de l’étendue des services rendus (point 6), de la date à laquelle est effectuée la prestation de services (point 7), de la base d’imposition (point 8) ainsi que du montant de TVA à payer (point 10).

60.      Ainsi que la Cour a déjà eu l’occasion de le souligner, les mentions obligatoires figurant sur la facture, dont, entre autres, la nature des prestations fournies et leur date d’exécution, visent à permettre aux autorités fiscales de contrôler notamment le paiement de la taxe due (20). Ces informations doivent donc correspondre le plus étroitement possible à la réalité. En particulier, une prestation à caractère ponctuel ne devrait pas donner lieu à plusieurs factures émises sur de longs intervalles de temps, même si, par ailleurs, tous les éléments, en particulier le montant global de la TVA due, correspondent à la réalité.

61.      Dans l’affaire au principal, si X avait émis une facture unique correcte, incluant l’intégralité de la base d’imposition de l’opération litigieuse et le montant total de la TVA due ainsi que la date d’exécution de la prestation, cela lui aurait permis de déterminer correctement ses obligations fiscales et d’aménager en conséquence la relation juridique la liant au preneur en ce qui concerne les modalités de paiement de la contrepartie.

62.      Cependant, il est vrai, ainsi que le relève la juridiction de renvoi dans sa décision, que la Cour qualifie parfois les assujettis de « collecteurs » de la TVA pour le compte de l’État (21). Cela ne signifie toutefois nullement que le rôle des assujettis se limite à celui de collecteurs de la taxe. L’article 193 de la directive 2006/112 définit les assujettis comme étant les personnes tenues d’une obligation de paiement de la TVA (22). Il ne ressort toutefois d’aucune disposition de la directive ni d’aucune décision de la Cour que cette obligation serait subordonnée à la perception préalable, par l’assujetti, du montant de taxe acquitté en aval (23).

63.      En revanche, l’article 66, sous b), de la directive 2006/112 permet aux États membres de prévoir que la TVA devient exigible pour certaines opérations ou certaines catégories d’assujettis au plus tard lors de l’encaissement du prix (24). Il s’agit toutefois d’une dérogation aux règles générales énoncées aux articles 63 à 65 de cette directive, à caractère facultatif et qui doit être limitée à certaines opérations ou catégories d’assujettis et ne pas avoir un caractère général. L’existence même d’une telle possibilité confirme indirectement que l’exigibilité de la TVA n’est pas subordonnée, en principe, à la perception par l’assujetti du paiement afférent à l’opération imposable.

64.      Comme l’ont cependant fait valoir à juste titre le gouvernement allemand et la Commission, l’interprétation de l’article 64, paragraphe 1, de la directive 2006/112 prônée par X, selon laquelle le simple fait que la contrepartie est acquittée au moyen de paiements échelonnés permet de corréler l’exigibilité de la taxe à l’exigibilité de ces échéances, viderait considérablement de sa substance l’article 66, sous b), de cette directive.

65.      Les arguments concernant la nécessité que la taxe soit acquittée avant que l’assujetti reçoive l’intégralité de sa rémunération ne sauraient donc remettre en cause la conclusion énoncée au point 50 des présentes conclusions.

 Conclusion

66.      Eu égard à l’ensemble des considérations qui précèdent, je propose de répondre comme suit aux questions préjudicielles posées par le Bundesfinanzhof (Cour fédérale des finances, Allemagne) :

1)      L’article 64, paragraphe 1, de la directive 2006/112/CE du Conseil, du 28 novembre 2006, relative au système commun de taxe sur la valeur ajoutée, doit être interprété en ce sens qu’il n’est pas applicable à une opération consistant en une prestation de services ponctuelle pour laquelle l’assujetti est rémunéré au moyen de paiements échelonnés.

2)      L’article 90, paragraphe 1, de la directive 2006/112 doit être interprétée en ce sens que l’hypothèse dans laquelle l’assujetti est convenu avec le preneur que sa prestation de services à caractère ponctuelle sera rémunérée au moyen de paiements échelonnés ne correspond pas à un non-paiement au sens de cette disposition.


1      Langue originale : le polonais


2      JO 2006, L 347, p. 1.


3      Texte consolidé : BGBl. 2005 I, p. 386.


4      Il est vrai que j’ai récemment eu l’occasion de mettre en doute l’exactitude de constatations formulées par la même juridiction que celle à l’origine du présent renvoi [voir mes conclusions dans l’affaire XY (Réduction fiscale facultative), C-100/20, EU:C:2021:387]. Il s’agissait toutefois non pas de circonstances factuelles en tant que telles, mais de leur qualification au regard du droit de l’Union.


5      Article 1er, paragraphe 2, de la directive 2006/112.


6      Article 73 de la directive 2006/112.


7      Article 90, paragraphe 1, de la directive 2006/112.


8      Arrêt du 12 octobre 2017, Lombard Ingatlan Lízing (C-404/16, EU:C:2017:759, point 26).


9      Arrêt du 12 octobre 2017, Lombard Ingatlan Lízing (C-404/16, EU:C:2017:759, point 29).


10      Arrêt du 12 octobre 2017, Lombard Ingatlan Lízing (C-404/16, EU:C:2017:759, points 28 et 29).


11      Comme l’observe à juste titre le gouvernement allemand, il ne peut être question d’un non-paiement qu’en l’absence de paiement d’une tranche à l’échéance. Une telle situation ne peut cependant être présumée à l’avance.


12      Voir point 19 des présentes conclusions.


13      Arrêt du 2 mai 2019, Budimex (C-224/18, EU:C:2019:347, point 22).


14      Arrêt du 3 septembre 2015 (C-463/14, EU:C:2015:542).


15      Arrêt du 29 novembre 2018 (C-548/17, EU:C:2018:970).


16      Voir, respectivement, arrêts du 3 septembre 2015, Asparuhovo Lejk Inwestmynt Kympani (C-463/14, EU:C:2015:542, points 47 et 49), et du 29 novembre 2018, baumgarten sports & more (C-548/17, EU:C:2018:970, points 30 et 31).


17      « [...] en vertu de l’article 63 de [la directive 2006/112], la TVA devient exigible au moment où la livraison de biens ou la prestation de services est effectuée, soit lors de la réalisation de l’opération en cause, indépendamment de la question de savoir si la contrepartie due pour cette opération a déjà été acquittée. Dès lors, la TVA est due au Trésor public par le fournisseur d’un bien ou par le prestataire de services, alors même qu’il n’a pas encore reçu, de la part de son client, le paiement correspondant à l’opération réalisée ». Par conséquent, « [...] selon le système instauré par la directive 2006/112, l’exigibilité de la TVA ainsi que la naissance et l’exercice du droit à déduction sont, en principe, indépendants du fait que la contrepartie due, TVA incluse, pour une opération a déjà été acquittée ou non » [arrêt du 28 juillet 2011, Commission/Hongrie (C-247/10, EU:C:2011:530, points 46 et 48)].


18      Il ressort des informations communiquées par X que, dans l’affaire au principal, le montant du premier versement reçu par celle-ci dépassait le montant de la TVA due pour l’opération en question.


19      Conformément à l’article 9, paragraphe 1, de la directive 2006/112, « [e]st considéré comme “assujetti” quiconque exerce, d’une façon indépendante et quel qu’en soit le lieu, une activité économique, quels que soient les buts ou les résultats de cette activité ».


20      Arrêt du 15 septembre 2016, Barlis 06 – Investimentos Imobiliários e Turisticos (C-516/14, EU:C:2016:690, points 26, 27, 29 et 30).


21      Voir, en particulier, arrêts du 20 octobre 1993, Balocchi (C-10/92, EU:C:1993:846, point 25), et du 23 novembre 2017, Di Maura (C-246/16, EU:C:2017:887, point 23).


22      Sous réserves des situations dans lesquelles, en vertu de dispositions spécifiques, ce sont d’autres personnes qui sont tenues à cette obligation de paiement.


23      C’est ce qui ressort clairement de l’arrêt du 20 octobre 1993, Balocchi (C-10/92, EU:C:1993:846), cité par la juridiction de renvoi, dans lequel la Cour a conditionné clairement l’obligation de paiement de la taxe à l’exécution de l’opération mais non à l’obtention du paiement.


24      Cette possibilité est prévue par les dispositions combinées de l’article 13, paragraphe 1, point 1, sous b) et de l’article 20 de l’UStG mais elle n’est pas applicable dans la procédure au principal.