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Édition provisoire

CONCLUSIONS DE L’AVOCAT GÉNÉRAL

M. ATHANASIOS RANTOS

présentées le 15 septembre 2022 (1)

Affaire C-695/20

Fenix International Limited

contre

Commissioners for Her Majesty’s Revenue and Customs

(demande de décision préjudicielle formée par le First-tier Tribunal [Tax Chamber] [tribunal de première instance (chambre de la fiscalité)], Royaume-Uni)

« Renvoi préjudiciel – Article 291, paragraphe 2, TFUE – Pouvoir d’exécution du Conseil de l’Union européenne – Directive 2006/112/CE – Système commun de taxe sur la valeur ajoutée (TVA) – Articles 28 et 397 – Assujetti, agissant en son nom propre mais pour le compte d’autrui, qui s’entremet dans une prestation de services – Règlement d’exécution (UE) no 282/2011 – Article 9 bis – Services fournis par voie électronique par l’intermédiaire d’un réseau de télécommunication, d’une interface ou d’un portail – Présomptions relatives à l’identification du prestataire de services – Possibilité ou non pour l’assujetti de renverser ces présomptions – Validité »






I.      Introduction

1.        La demande de décision préjudicielle porte sur la validité de l’article 9 bis du règlement d’exécution (UE) no 282/2011 (2), tel qu’il a été inséré dans ce dernier par le règlement d’exécution (UE) no 1042/2013 (3) (ci-après l’« article 9 bis »). Cette demande a été présentée dans le cadre d’un litige opposant la société Fenix International Limited (ci-après « Fenix »), qui exploite une plateforme en ligne, aux Commissioners for Her Majesty’s Revenue and Customs (administration des impôts et des douanes, Royaume-Uni, ci-après l’« administration fiscale ») au sujet de la taxe sur la valeur ajoutée (TVA) à acquitter par cette société pour la période allant des mois de juillet 2017 à janvier 2020, ainsi que pour le mois d’avril 2020.

2.        Le First-tier Tribunal (Tax Chamber) [tribunal de première instance (chambre de la fiscalité), Royaume-Uni], la juridiction de renvoi, cherche à savoir si le Conseil de l’Union européenne, en adoptant l’article 9 bis, a outrepassé le pouvoir d’exécution qui lui est conféré par l’article 291, paragraphe 2, TFUE et l’article 397 de la directive 2006/112/CE (4) au regard de l’article 28 de cette directive.

3.        La présente affaire est à la croisée entre, d’une part, le droit institutionnel de l’Union, avec l’examen de la notion de « pouvoir d’exécution » dont bénéficie le Conseil au titre du traité FUE, et, d’autre part, le droit de la TVA en ce qui concerne un assujetti qui, agissant en son nom propre mais pour le compte d’autrui, s’entremet dans une prestation de services. En particulier, cette affaire pose la question de la marge d’appréciation dont dispose le Conseil afin de mettre en œuvre la directive TVA. Cette question revêt une importance particulière dans le contexte de l’influence croissante des plateformes en ligne dans l’économie et du rôle de celles-ci quant à la collecte de la TVA, qui suscite de nombreuses réflexions (5).

4.        Au terme de mon analyse, je conclurai à la validité de l’article 9 bis dès lors que cette disposition respecte les objectifs généraux essentiels poursuivis par l’article 28 de la directive TVA, est nécessaire ou utile pour la mise en œuvre de cet article et précise celui-ci sans le compléter ni le modifier.

II.    Le cadre juridique

A.      La directive TVA

5.        La directive TVA est fondée sur l’article 93 CE (devenu article 113 TFUE). Aux termes des considérants 61 et 62 de cette directive :

« (61)      Il est essentiel d’assurer l’application uniforme du système de TVA. Pour réaliser cet objectif, il convient d’adopter des mesures d’application.

(62)      Ces mesures devraient notamment concerner le problème de la double imposition des opérations transfrontalières qui peut résulter d’une application non uniforme, par les États membres, des règles régissant le lieu des opérations imposables. »

6.        L’article 28 de ladite directive, qui relève du titre IV de celle-ci, intitulé « Opérations imposables », et du chapitre 3 de ce titre, relatif aux prestations de services, énonce :

« Lorsqu’un assujetti, agissant en son nom propre mais pour le compte d’autrui, s’entremet dans une prestation de services, il est réputé avoir reçu et fourni personnellement les services en question. »

7.        L’article 397 de la même directive prévoit :

« Le Conseil, statuant à l’unanimité sur proposition de la Commission, arrête les mesures nécessaires à l’application de la présente directive. »

B.      Le règlement d’exécution no 282/2011

8.        Le règlement d’exécution no 282/2011 est fondé sur l’article 397 de la directive TVA. Aux termes des considérants 2, 4 et 5 de ce règlement d’exécution :

« (2)      La directive [TVA] énonce des règles en matière de [TVA] qui, dans certains cas, sont sujettes à interprétation par les États membres. L’adoption de dispositions d’exécution communes de la directive [TVA] devrait assurer une application du système de TVA plus conforme à l’objectif du marché intérieur dans les cas où des divergences d’application qui sont incompatibles avec le bon fonctionnement de ce marché se sont produites ou peuvent se produire. Ces mesures d’exécution sont juridiquement contraignantes seulement à partir de la date d’entrée en vigueur du présent règlement et ne préjugent pas la validité de la législation et l’interprétation adoptées antérieurement par les États membres.

[...]

(4)      L’objectif du présent règlement est de garantir l’application uniforme du système actuel de TVA en adoptant des dispositions d’exécution de la directive [TVA] en ce qui concerne, notamment, les assujettis, les livraisons de biens et prestations de services, ainsi que le lieu des opérations imposables. Conformément au principe de proportionnalité énoncé à l’article 5, paragraphe 4, [TUE], le présent règlement n’excède pas ce qui est nécessaire pour atteindre cet objectif. Du fait qu’il est contraignant et directement applicable dans tout État membre, l’uniformité d’application est la mieux assurée par un règlement.

(5)      Ces mesures d’exécution comportent des dispositions spécifiques qui répondent à certaines questions d’application et sont conçues pour apporter dans toute l’Union un traitement uniforme de ces seuls cas particuliers. Elles ne sont donc pas transposables à d’autres cas et sont à appliquer, compte tenu de leur formulation, d’une façon restrictive. »

9.        L’article 1er dudit règlement d’exécution dispose :

« Le présent règlement porte mesures d’exécution de certaines dispositions des titres I à V et VII à XII de la directive [TVA]. »

10.      Le même règlement d’exécution a été modifié par le règlement d’exécution no 1042/2013, lequel est également fondé sur l’article 397 de la directive TVA. Le considérant 4 de ce dernier règlement d’exécution est libellé comme suit :

« Il est nécessaire de préciser qui est le prestataire aux fins de la [TVA] lorsque des services fournis par voie électronique, ou des services téléphoniques fournis via l’internet, sont fournis à un preneur par l’intermédiaire de réseaux de télécommunication, ou par le biais d’une interface ou d’un portail. »

11.      L’article 1er, paragraphe 1, sous c), du règlement d’exécution no 1042/2013 a inséré dans le règlement d’exécution no 282/2011 l’article 9 bis, lequel énonce :

« 1.      Aux fins de l’application de l’article 28 de la directive [TVA], lorsque des services fournis par voie électronique sont fournis par l’intermédiaire d’un réseau de télécommunication, d’une interface ou d’un portail tel qu’une plateforme de téléchargement pour des applications, l’assujetti qui s’entremet dans cette prestation est présumé agir, en son nom propre mais pour le compte du fournisseur de ces services, à moins que ledit fournisseur ne soit explicitement reconnu comme étant le prestataire par ledit assujetti et que cela ressorte des accords contractuels entre les parties.

Afin de pouvoir considérer le fournisseur de services fournis par voie électronique comme étant explicitement désigné en tant que prestataire de ces services par l’assujetti, les conditions suivantes sont réunies :

a)      la facture émise ou mise à disposition par chaque assujetti participant à la fourniture des services fournis par voie électronique doit préciser ces services ainsi que le prestataire de ceux-ci ;

b)      la facture ou le reçu émis à l’intention du preneur ou mis à sa disposition doit préciser les services fournis par voie électronique et le prestataire de ceux-ci.

Aux fins du présent paragraphe, un assujetti qui, en ce qui concerne la fourniture de services fournis par voie électronique, autorise la facturation au preneur ou la fourniture des services, ou fixe les conditions générales de la fourniture, n’est pas autorisé à explicitement désigner une autre personne comme étant le prestataire de ces services.

2.      Le paragraphe 1 s’applique également lorsque des services téléphoniques fournis sur l’internet, y compris le protocole de téléphonie vocale sur l’internet (VoIP), sont fournis par l’intermédiaire d’un réseau de télécommunication, d’une interface ou d’un portail tel qu’une plateforme de téléchargement pour des applications, et ce aux mêmes conditions que celles énoncées audit paragraphe.

3.      Le présent article ne s’applique pas à un assujetti qui assure uniquement le traitement des paiements en rapport avec des services fournis par voie électronique ou des services téléphoniques fournis sur l’internet, y compris le protocole de téléphonie vocale sur l’internet (VoIP), et qui ne participe pas à la fourniture de ces services fournis par voie électronique ou de ces services téléphoniques. »

III. Le litige au principal, la question préjudicielle et la procédure devant la Cour

12.      Fenix, enregistrée aux fins de la TVA au Royaume-Uni, exploite la plateforme en ligne consacrée au réseau social connu sous le nom de « Only Fans » (ci-après la « plateforme ») et exerce un contrôle exclusif sur celle-ci. La plateforme s’adresse aux « utilisateurs » du monde entier, qui se répartissent entre les « créateurs » et les « fans ».

13.      Les créateurs, qui disposent de « profils », téléchargent et publient des contenus tels que des photos et des vidéos sur leurs profils respectifs. Ils peuvent également diffuser des vidéos en direct et envoyer des messages privés à leurs fans. Ces derniers peuvent accéder au contenu téléchargé en effectuant des paiements ponctuels ou en payant un abonnement mensuel pour chaque créateur dont ils souhaitent consulter le contenu et/ou avec lequel ils veulent interagir. Les fans peuvent également verser des pourboires ou des dons pour lesquels aucun contenu n’est fourni en contrepartie. Les créateurs déterminent le montant de l’abonnement mensuel à leur profil, tandis que Fenix fixe le montant minimum tant pour les abonnements que pour les pourboires.

14.      Fenix se charge de la collecte et de la distribution des paiements effectués par les fans, en faisant appel à un tiers prestataire de services de paiement. Elle fixe également les conditions générales d’utilisation de la plateforme, lesquelles ont été modifiées à plusieurs reprises pendant la période pertinente. Fenix facture aux créateurs un montant de 20 % des sommes payées par leurs fans au moyen d’une déduction (ci-après la « déduction de 20 % »). Tant les paiements d’un fan que ceux versés à un créateur apparaissent sur le relevé bancaire de l’utilisateur concerné comme un paiement effectué au crédit ou au débit de Fenix. Pendant toute la période pertinente, Fenix a facturé et comptabilisé la TVA à un taux de 20 % sur une base d’imposition constituée de la déduction de 20 %.

15.      Le 22 avril 2020, l’administration fiscale a adressé à Fenix des avis d’imposition relatifs à la TVA à acquitter pour la période allant des mois de juillet 2017 à janvier 2020, ainsi que pour le mois d’avril 2020 (ci-après les « avis d’imposition en cause »), en estimant que cette société devait être considérée comme agissant en son nom propre en vertu de l’article 9 bis. Ainsi, selon cette administration, Fenix aurait dû s’acquitter de la TVA sur la base, non pas de la déduction de 20 %, mais de l’intégralité des sommes payées par les fans.

16.      Le 27 juillet 2020, Fenix a formé un recours devant la juridiction de renvoi, en contestant la base juridique des avis d’imposition en cause, à savoir l’article 47, paragraphes 4 et 5, du Value Added Tax Act 1994 (loi de 1994 sur la taxe sur la valeur ajoutée), dans sa version en vigueur à la date des faits au principal, qui transposait en droit britannique l’article 9 bis, ainsi que les montants respectifs de ces avis d’imposition. Elle a fait valoir que l’article 9 bis n’était pas valide et que, en outre, elle n’entrait pas dans le champ d’application de cet article.

17.      La juridiction de renvoi précise que l’administration fiscale ne s’est pas prononcée sur le point de savoir en quelle qualité, en droit anglais, Fenix a agi en ce qui concerne la plateforme, à savoir en tant que commissionnaire ou de commettant. Cette administration aurait adopté les avis d’imposition en cause par référence au seul article 9 bis, sans examiner l’application de l’article 28 de la directive TVA en tant que tel.

18.      Cette juridiction indique qu’elle nourrit des doutes quant à la validité de l’article 9 bis. En effet, si cet article est censé appliquer l’article 28 de la directive TVA, il pourrait être soutenu qu’il va au-delà de la compétence d’exécution conférée au Conseil. À cet égard, ladite juridiction, se référant à l’arrêt du 15 octobre 2014, Parlement/Commission (C-65/13, EU:C:2014:2289), souligne qu’une disposition d’application d’un acte législatif n’est licite que si elle respecte les objectifs généraux essentiels poursuivis par cet acte, est nécessaire ou utile pour la mise en œuvre dudit acte et ne peut modifier ni compléter le même acte, même dans ses éléments non essentiels.

19.      Dans le même sens, la Commission européenne estimerait que, pour déterminer si une mesure « complète » l’acte de base, le législateur de l’Union devrait évaluer si cette mesure ajoute concrètement de nouvelles normes non essentielles qui changent le cadre de cet acte, en laissant une marge d’appréciation à la Commission alors que, à l’inverse, des mesures qui ne visent qu’à donner effet aux règles existantes de l’acte de base ne devraient pas être considérées comme des mesures complémentaires (6).

20.      La juridiction de renvoi souligne que l’article 9 bis, tel qu’il a été adopté, est radicalement différent et va beaucoup plus loin que la proposition de règlement présentée par la Commission modifiant le règlement d’exécution no 282/2011 (7). En effet, si l’article 28 de la directive TVA faisait référence à un assujetti agissant en son nom propre, l’introduction de la présomption prévue à l’article 9 bis signifierait, selon le comité de la TVA (8), que celle-ci devrait, en règle générale, être valable pour tous les assujettis participant à la prestation de services.

21.      La juridiction de renvoi se réfère, par ailleurs, à l’étude (9) ayant soutenu la proposition de directive présentée par la Commission le 1er décembre 2016 (10), selon laquelle l’objectif de l’article 9 bis, qui est de transférer l’assujettissement à la TVA à l’intermédiaire, apparaît souhaitable et qu’il est nécessaire d’apporter des clarifications supplémentaires ainsi que de parvenir à une interprétation commune et contraignante par les États membres. Selon cette juridiction, il pourrait être soutenu que ce transfert de responsabilité constitue non pas une simple mesure technique mais une modification de la situation existante plutôt qu’une clarification.

22.      Ladite juridiction relève, en outre, que, dans l’arrêt du 14 juillet 2011, Henfling e.a. (C-464/10, ci-après l’« arrêt Henfling e.a. », EU:C:2011:489, point 42), la Cour a jugé que, s’agissant de la condition relative au fait que l’assujetti doit agir en son nom propre mais pour le compte d’autrui, figurant à l’article 6, paragraphe 4, de la directive 77/388/CEE (11), la juridiction nationale doit effectuer une vérification concrète de nature à établir si l’assujetti agit effectivement en son nom propre. Or, selon la juridiction de renvoi, la présomption prévue à l’article 9 bis supprime l’obligation d’examiner la situation économique et commerciale de l’assujetti.

23.      Dès lors, il existerait de bonnes raisons de considérer, d’une part, que cette présomption constitue non pas une mesure technique mais une modification radicale et que, d’autre part, le cadre juridique résultant de l’article 28 de la directive TVA a été modifié de manière considérable par l’introduction de la présomption prévue à l’article 9 bis, paragraphe 1, troisième alinéa. Quel que soit le critère de l’analyse retenu, le Conseil aurait ainsi commis une erreur manifeste d’appréciation en adoptant l’article 9 bis.

24.      C’est dans ces conditions que le First-tier Tribunal (Tax Chamber) [tribunal de première instance (chambre de la fiscalité)] a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour la question préjudicielle suivante :

« [L’article 9 bis] est-il invalide au motif qu’il va au-delà de la compétence ou de l’obligation d’exécution conférées au Conseil par l’article 397 de la directive [TVA], dans la mesure où il complète et/ou modifie l’article 28 de [cette directive] ? »

25.      Le Royaume-Uni de Grande-Bretagne et d’Irlande du Nord a quitté l’Union le 31 janvier 2020. Néanmoins, la Cour demeure compétente pour statuer sur la présente demande de décision préjudicielle (12).

26.      Des observations écrites ont été déposées par Fenix, le gouvernement italien, le gouvernement du Royaume-Uni, le Conseil et la Commission. Ces parties ont également présenté des observations orales lors de l’audience de plaidoiries qui s’est tenue le 3 mai 2022.

IV.    Analyse

27.      Par sa question préjudicielle, la juridiction de renvoi demande si l’article 9 bis est invalide en tant que le Conseil aurait outrepassé le pouvoir d’exécution qui lui est conféré. Le gouvernement italien, le gouvernement du Royaume-Uni, le Conseil et la Commission suggèrent de répondre à cette question que l’article 9 bis est valide. Inversement, Fenix soutient qu’il y a lieu d’y répondre que ledit article est invalide.

28.      Dans les présentes conclusions, j’examinerai la notion de « pouvoir d’exécution » au sens de l’article 291, paragraphe 2, TFUE (section A), puis l’application de l’article 28 de la directive TVA par l’article 9 bis (section B).

A.      Sur la notion de « pouvoir d’exécution » au sens de l’article 291, paragraphe 2, TFUE

29.      Le traité de Lisbonne a établi la distinction entre le « pouvoir délégué » et le « pouvoir d’exécution », respectivement au titre des articles 290 et 291 TFUE (13). La Cour s’est prononcée à plusieurs reprises sur cette distinction et la portée de celle-ci en ce qui concerne la Commission.

1.      La jurisprudence de la Cour

30.      Selon la jurisprudence de la Cour, le législateur de l’Union dispose d’un pouvoir d’appréciation lorsqu’il décide d’attribuer à la Commission un pouvoir délégué en vertu de l’article 290, paragraphe 1, TFUE ou un pouvoir d’exécution en vertu de l’article 291, paragraphe 2, TFUE. Cependant, ce pouvoir d’appréciation doit être exercé dans le respect des conditions prévues aux articles 290 et 291 TFUE (14).

31.      À cet égard, s’agissant de l’octroi d’un pouvoir délégué, il ressort de l’article 290, paragraphe 1, TFUE qu’un acte législatif peut déléguer à la Commission le pouvoir d’adopter des actes non législatifs de portée générale qui complètent ou modifient certains éléments non essentiels de l’acte législatif. Conformément au second alinéa de cette disposition, les objectifs, le contenu, la portée ainsi que la durée de la délégation de pouvoir doivent être explicitement délimités par l’acte législatif conférant une telle délégation. Cette exigence implique que l’attribution d’un pouvoir délégué vise l’adoption de règles qui s’insèrent dans le cadre réglementaire tel que défini par l’acte législatif de base (15).

32.      En ce qui concerne l’octroi d’un pouvoir d’exécution, l’article 291, paragraphe 1, TFUE énonce que les États membres prennent toutes les mesures de droit interne nécessaires pour la mise en œuvre des actes juridiquement contraignants de l’Union. Cependant, comme le prévoit le paragraphe 2 de cet article, lorsque des conditions uniformes d’exécution des actes juridiquement contraignants de l’Union sont nécessaires, ces actes confèrent des compétences d’exécution à la Commission ou, dans des cas spécifiques dûment justifiés ainsi que dans le cadre de la politique extérieure et de sécurité commune (PESC), au Conseil (16).

33.      Si l’article 291 TFUE ne fournit aucune définition de la notion d’« acte d’exécution » (17), la Cour a relevé que la notion d’« exécution » comprend à la fois l’élaboration de règles d’application et l’application de règles à des cas particuliers par le moyen d’actes à portée individuelle (18). S’agissant de l’interprétation de cet article, la Cour a fait référence à une jurisprudence constante et antérieure au traité de Lisbonne selon laquelle, dans le cadre de son pouvoir d’exécution, dont les limites s’apprécient notamment en fonction des objectifs généraux essentiels de l’acte législatif en cause, la Commission est autorisée à adopter toutes les mesures d’application nécessaires ou utiles pour la mise en œuvre dudit acte, pour autant qu’elles ne soient pas contraires à celui-ci (19).

34.      Il ressort également de la jurisprudence de la Cour que, dans le cadre de l’exercice du pouvoir d’exécution qui lui est conféré, l’institution concernée est appelée à préciser le contenu d’un acte législatif, afin d’assurer sa mise en œuvre dans des conditions uniformes dans tous les États membres (20). À cet égard, la Commission précise l’acte législatif si les dispositions de l’acte d’exécution qu’elle adopte, d’une part, respectent les objectifs généraux essentiels poursuivis par l’acte législatif et, d’autre part, sont nécessaires ou utiles pour la mise en œuvre de celui-ci sans qu’elles le complètent ni le modifient, même dans ses éléments non essentiels (21).

35.      La jurisprudence susmentionnée porte sur le pouvoir délégué et le pouvoir d’exécution de la Commission (22). Dans la présente affaire, c’est le Conseil qui a adopté la directive TVA, sur le fondement de l’article 93 CE (devenu article 113 TFUE). Il a également adopté l’article 9 bis, contenu dans le règlement d’exécution no 1042/2013, lequel est fondé sur l’article 397 de cette directive. À cet égard, convient-il, dans le cadre de l’exercice du pouvoir d’exécution au sens de l’article 291, paragraphe 2, TFUE, d’opérer une distinction selon que l’institution qui adopte l’acte d’exécution est la Commission ou le Conseil ?

36.      Je ne le pense pas.

37.      En effet, premièrement, il découle du libellé de l’article 291, paragraphe 2, TFUE que le Conseil dispose lui aussi d’un pouvoir d’exécution, à la différence du pouvoir délégué au titre de l’article 290 TFUE, réservé à la Commission. Certes, comme l’a relevé la Cour, ce n’est qu’à titre exceptionnel que le pouvoir d’adopter des actes d’exécution peut être réservé au Conseil dans des « cas spécifiques dûment justifiés » ainsi que dans des hypothèses précises expressément prévues par cette disposition qui concernent uniquement la PESC (23). Le Conseil doit ainsi motiver la décision par laquelle il se réserve d’exercer des compétences d’exécution de façon circonstanciée (24). En l’occurrence, l’article 397 de la directive TVA dispose que le Conseil, statuant à l’unanimité sur proposition de la Commission, arrête les mesures nécessaires à l’application de cette directive (25). L’adoption du règlement d’exécution no 282/2011 par le Conseil, et notamment de l’article 9 bis, est donc fondée sur une base juridique propre à la TVA, en vue d’appliquer la directive TVA. L’adoption de ce règlement d’exécution constitue ainsi, selon moi, un cas spécifique dûment justifié, conformément à l’article 291, paragraphe 2, TFUE (26).

38.      Deuxièmement, le fait que le Conseil exerce un pouvoir d’exécution pour un acte qu’il a lui-même adopté ne me paraît pas de nature à remettre en cause cette interprétation. Certes, le Conseil aurait pu modifier l’article 28 de la directive TVA en tant que tel afin d’expliciter le contenu de celui-ci. Dans ses observations écrites, Fenix a ainsi relevé que, le 1er décembre 2016, la Commission a présenté une proposition de directive (27) en vue de modifier le libellé de cet article 28, cette proposition n’ayant finalement pas été incluse dans la directive (UE) 2017/2455 (28). Cependant, le Conseil est également en droit d’adopter un acte d’exécution dans les conditions visées à l’article 291, paragraphe 2, TFUE. À cet égard, il convient de relever que la modification de la directive TVA sur le fondement de l’article 113 TFUE exige, notamment, que le Parlement européen et le Comité économique et social soient consultés, ce qui n’est pas prévu pour l’adoption d’un règlement d’exécution au titre de l’article 397 de la directive TVA. La procédure relative à la modification de cette directive est donc plus complexe et prend davantage de temps que l’adoption d’un acte d’exécution de celle-ci, alors même que les conditions prévues à l’article 291, paragraphe 2, TFUE peuvent être réunies en l’espèce.

39.      Troisièmement, plus généralement, s’il est possible de soutenir que le Conseil, en adoptant un acte d’exécution pour l’un de ses propres actes législatifs, doit disposer d’un pouvoir plus large que la Commission quand celle-ci prend des mesures d’application d’un acte législatif d’une autre institution de l’Union (analyse à laquelle je ne souscris pas), je ne vois pas de motifs pour lesquels le Conseil devrait être soumis à un traitement différent par rapport à la Commission en ce qui concerne le pouvoir d’exécution au titre de l’article 291, paragraphe 2, TFUE. En effet, le Conseil peut être amené à préciser le contenu d’un acte législatif. Tel peut être le cas dans le domaine de la fiscalité, notamment en présence de nouvelles technologies (en l’occurrence, le commerce électronique, qui peut se traduire par de longues chaînes de transactions quant aux prestations de services) qu’il convient de prendre en compte pour la mise en œuvre des actes législatifs existants. Dans cette situation, le règlement d’exécution, conformément à l’article 288 TFUE, revêt une portée générale, est obligatoire dans tous ses éléments et est directement applicable dans tous les États membres, même si l’acte législatif est une directive, comme dans la présente affaire.

40.      Il convient d’ajouter que, selon la jurisprudence de la Cour, l’adoption des règles essentielles d’une matière est réservée à la compétence du législateur de l’Union, ces règles devant être arrêtées dans la réglementation de base, et qu’il s’ensuit que les dispositions établissant les éléments essentiels d’une réglementation de base, dont l’adoption nécessite d’effectuer des choix politiques relevant des responsabilités propres du législateur de l’Union, ne sauraient faire l’objet d’une délégation ni figurer dans des actes d’exécution (29).

41.      En conclusion, il découle de la jurisprudence de la Cour que l’article 9 bis, au regard de l’article 291, paragraphe 2, TFUE et de l’article 397 de la directive TVA, est valide si, d’une part, il respecte les objectifs généraux essentiels poursuivis par l’article 28 de cette directive et si, d’autre part, il est nécessaire ou utile pour la mise en œuvre de cet article 28 sans qu’il le complète ni le modifie, même dans ses éléments non essentiels.

2.      La distinction entre « préciser » et « compléter ou modifier » un acte législatif

42.      La différence entre le pouvoir délégué et le pouvoir d’exécution est tirée du libellé même des articles 290 et 291 TFUE et implique que, pour le pouvoir délégué, l’institution concernée peut compléter ou modifier certains éléments non essentiels de l’acte législatif et que, pour le pouvoir d’exécution, l’institution est appelée à préciser le contenu normatif d’un acte législatif. Cependant, la distinction entre « compléter ou modifier » et « préciser » un acte législatif ne s’impose pas avec la force de l’évidence (30).

43.      Ainsi que l’a relevé l’avocat général Cruz Villalón, la différence de principe entre le pouvoir exercé en cas de délégation législative et celui conféré dans le cas de l’exécution réside dans le fait que le législateur délègue à l’institution concernée la possibilité de se prononcer sur des points qu’il aurait en principe dû trancher lui-même, alors que l’exécution concerne des dispositions normatives dont le contenu matériel a été défini par le législateur. Selon l’avocat général, du fait de cette différence, l’article 291, paragraphe 2, TFUE vise le simple exercice du pouvoir exécutif, qui exclut tout ce qui n’est pas nécessaire à l’application concrète d’une norme déjà définie et arrêtée, alors que l’article 290 TFUE prévoit la délimitation des objectifs de la délégation, ainsi que de son contenu et de sa portée, signifiant qu’il est attendu de la Commission plus que la simple exécution d’une disposition dans laquelle tous ces éléments ont déjà été arrêtés, ce qui requiert une marge de « créativité » normative, laquelle n’est pas possible dans le cas de la pure exécution (31).

44.      Dans le cadre de cette distinction, il me paraît utile de faire une comparaison avec la notion de « loi interprétative », laquelle se rapproche d’un acte d’exécution. En ce sens, la Cour de cassation française, notamment, a relevé qu’une loi ne peut être considérée comme interprétative que si elle se borne à reconnaître, sans rien innover, un droit préexistant qu’une définition imparfaite a rendu susceptible de controverses (32). Cette conception est connue d’autres ordres juridiques, parmi lesquels l’ordre juridique hellénique. Ainsi, une loi interprétative (et un acte d’exécution) clarifie(nt) le sens d’une loi antérieure, sans ajouter de nouvelles dispositions. Dans le même temps, la mise en œuvre ou l’exécution constituent une activité normative, c’est-à-dire une activité consistant dans l’édiction d’actes juridiquement obligatoires et il est, dès lors, très difficile de concevoir un acte d’exécution qui n’ajouterait pas quelque chose au cadre normatif défini par l’acte législatif et, par conséquent, qui ne compléterait pas d’une certaine manière ce dernier (33). Partant, un acte d’exécution ne peut être entendu comme étant, par définition, dépourvu de toute force normative. En ce sens, la Cour a retenu une interprétation large de la notion d’« exécution » (34).

45.      Selon moi, l’institution concernée peut exercer son pouvoir d’exécution lorsque l’acte législatif est susceptible de faire l’objet de plusieurs interprétations, avec la conséquence que les États membres pourraient appliquer celui-ci de façon divergente. Dans ce cadre, l’acte d’exécution va retenir l’une de ces interprétations en vue d’uniformiser l’application de cet acte législatif. Autrement dit, l’interprétation retenue est déjà englobée dans ledit acte législatif, parmi peut-être d’autres interprétations possibles de celui-ci. Par conséquent, l’institution qui dispose du pouvoir d’exécution n’innove pas, mais fait le choix de privilégier une interprétation qui, selon la jurisprudence de la Cour, est nécessaire ou utile pour assurer la mise en œuvre de l’acte législatif dans des conditions uniformes dans tous les États membres. L’acte d’exécution ne fait donc que clarifier et concrétiser l’acte législatif, sans compléter cet acte en ajoutant des éléments (non essentiels) ni modifier celui-ci (35).

B.      Sur l’application de l’article 28 de la directive TVA par l’article 9 bis

46.      Il y a lieu de relever, d’une part, que Fenix a soutenu devant la juridiction de renvoi qu’elle n’entrait pas dans le champ d’application de l’article 9 bis et, lors de l’audience, qu’elle ne relevait pas non plus de l’article 28 de la directive TVA au motif qu’elle n’agissait pas en son nom propre mais pour le compte d’autrui, en se bornant à faciliter la prestation de services entre les créateurs et les fans. D’autre part, la juridiction de renvoi a indiqué que l’administration fiscale a adopté les avis d’imposition en cause en se référant au seul article 9 bis, sans vérifier l’application de l’article 28 de la directive TVA en tant que tel.

47.      Selon une jurisprudence constante de la Cour, les questions relatives à l’interprétation du droit de l’Union posées par le juge national dans le cadre réglementaire et factuel qu’il définit sous sa propre responsabilité, et dont il n’appartient pas à la Cour de vérifier l’exactitude, bénéficient d’une présomption de pertinence. Le rejet par la Cour d’une demande formée par une juridiction nationale n’est possible que s’il apparaît de manière manifeste que l’interprétation sollicitée du droit de l’Union n’a aucun rapport avec la réalité ou l’objet du litige au principal, lorsque le problème est de nature hypothétique ou encore lorsque la Cour ne dispose pas des éléments de fait et de droit nécessaires pour répondre de façon utile aux questions qui lui sont posées (36).

48.      En l’occurrence, il ne ressort pas de manière manifeste du dossier soumis à la Cour que la situation de l’espèce correspond à l’une de ces hypothèses. En effet, le litige au principal a pour origine la décision de l’administration fiscale selon laquelle Fenix devait être considérée comme agissant en son nom propre en vertu de l’article 9 bis. Il ressort de la décision de renvoi que, dans le cadre de ce litige, Fenix a soutenu que cet article était invalide. L’article 9 bis ayant été adopté comme un acte d’exécution de l’article 28 de la directive TVA, l’examen de la validité de cet article suppose d’examiner la relation entre ces deux articles, qui fait l’objet de la question préjudicielle, laquelle apparaît dès lors recevable. Il importe d’ajouter que, eu égard au libellé de cette question, la juridiction de renvoi part de la prémisse que, en l’occurrence, Fenix agit en son nom propre mais pour le compte des créateurs.

49.      Partant, il convient d’analyser le sens de l’article 28 de la directive TVA, puis la portée de l’article 9 bis afin de vérifier si ce dernier constitue bien un acte d’exécution, au sens de l’article 291, paragraphe 2, TFUE, de cet article 28.

1.      L’article 28 de la directive TVA

50.      L’article 28 de la directive TVA énonce que, lorsqu’un assujetti, agissant en son nom propre mais pour le compte d’autrui, s’entremet dans une prestation de services, il est réputé avoir reçu et fourni personnellement les services en question (37).

51.      Cet article, qui revêt une portée autonome propre au droit de l’Union, établit une présomption (« il est réputé »). Selon la jurisprudence de la Cour, ledit article crée la fiction juridique de deux prestations de services identiques fournies consécutivement. En vertu de cette fiction, l’opérateur qui s’entremet dans la prestation de services et qui constitue le commissionnaire est réputé avoir, dans un premier temps, reçu les services en question de l’opérateur pour le compte duquel il agit, qui constitue le commettant, avant de fournir, dans un second temps, personnellement ces services au client (38). Il en résulte que, s’agissant de la relation juridique entre le commettant et le commissionnaire, leur rôle respectif de prestataire de services et de payeur est inversé de manière fictive aux fins de la TVA (39). Le même raisonnement s’impose pour ce qui concerne l’acquisition de biens en vertu d’un contrat de commission à l’achat, conformément à l’article 14, paragraphe 2, sous c), de la directive TVA, qui relève également du titre IV de celle-ci (40).

52.      Il s’ensuit que deux conditions doivent être remplies pour que l’article 28 de la directive TVA puisse trouver à s’appliquer, à savoir, d’une part, qu’il existe un mandat en exécution duquel le commissionnaire intervient, pour le compte du commettant, dans la prestation de services ainsi que, d’autre part, qu’il y ait une identité entre les prestations des services acquis par le commissionnaire et les prestations des services cédés au commettant (41). Cette seconde condition implique qu’il y ait, le cas échéant, un transfert du droit de propriété qui y est rattaché (42).

53.      La Cour a ajouté que l’article 28 de la directive TVA relève du titre IV de cette directive, intitulé « Opérations imposables », et qu’il est libellé en des termes généraux, sans contenir de restrictions quant à son champ d’application ou à sa portée (43). Ainsi, les prestations de services fournies consécutivement relèvent du champ d’application de la TVA et il en résulte que, si la prestation de services dans laquelle un commissionnaire s’entremet est soumise à la TVA, la relation juridique entre celui-ci et le commettant est également soumise à la TVA (44).

54.      Cet article 28 est relatif à un intermédiaire que la doctrine qualifie d’« opaque » (45), en tant que l’assujetti agit en son nom propre mais pour le compte d’autrui (46), à la différence d’un intermédiaire dit « transparent », qui intervient au nom et pour le compte d’autrui, visé notamment à l’article 46 de la directive TVA, portant sur les prestations de services des intermédiaires(47). En ce sens, comme la Cour l’a relevé, la directive TVA prévoit elle-même des règles particulières pour les prestations de services fournies par un commissionnaire, agissant en son nom propre mais pour le compte d’autrui, qui diffèrent de celles régissant les prestations fournies par un mandataire, agissant au nom et pour le compte d’autrui (48). La présente affaire porte sur ces règles particulières applicables aux intermédiaires opaques.

2.      L’article 9 bis

55.      L’interprétation et la portée de l’article 9 bis ont suscité l’intérêt de la doctrine (49). Dans le cadre de la présente affaire, ainsi qu’il a été énoncé au point 41 des présentes conclusions, il y a lieu de vérifier si l’article 9 bis, d’une part, respecte les objectifs généraux essentiels poursuivis par l’article 28 de la directive TVA et, d’autre part, est nécessaire ou utile pour la mise en œuvre de ce dernier article sans qu’il le complète ou le modifie, et ce même dans ses éléments non essentiels.

a)      Sur le respect par l’article 9 bis des objectifs généraux essentiels poursuivis par l’article 28 de la directive TVA

56.      L’article 28 de la directive TVA a pour objectif de déterminer dans quelles conditions un commissionnaire est considéré comme le prestataire de services dans le cadre du système commun de TVA. Cette disposition date, en substance, de l’année 1977 (50), c’est-à-dire d’une période où le commerce électronique n’existait pas encore.

57.      Comme il ressort du considérant 4 du règlement d’exécution no 282/2011, l’objectif de celui-ci est de garantir l’application uniforme  du système actuel de TVA en adoptant des dispositions d’exécution de la directive TVA en ce qui concerne, notamment, les prestations de services. Le considérant 5 de ce règlement d’exécution ajoute que ces mesures d’exécution comportent des dispositions spécifiques qui répondent à certaines questions d’application et sont conçues pour apporter dans toute l’Union un traitement uniforme de ces seuls cas particuliers. Par ailleurs, le considérant 4 du règlement d’exécution no 1042/2013 énonce qu’il est nécessaire de préciser qui est le prestataire aux fins de la TVA lorsque des services fournis par voie électronique, ou des services téléphoniques fournis via l’internet, sont fournis à un preneur par l’intermédiaire de réseaux de télécommunication, ou par le biais d’une interface ou d’un portail.

58.      À cet égard, l’article 9 bis, qui figure parmi les différentes dispositions du règlement d’exécution no 282/2011, établit comment, « aux fins de l’application de l’article 28 de la directive [TVA] », ce dernier doit être interprété lorsque des services par voie électronique sont fournis par l’intermédiaire d’un réseau de télécommunication, d’une interface ou d’un portail tel qu’une plateforme de téléchargement pour des applications.

59.      Or, d’une part, l’article 28 de la directive TVA est libellé en des termes généraux, sans contenir de restrictions quant à son champ d’application ou à sa portée (51). Par conséquent, aucune catégorie de services n’est exclue du champ d’application matériel de cet article. D’autre part, l’article 9 bis porte sur la question spécifique de savoir quand un intermédiaire est redevable de la TVA lorsque des services par voie électronique sont fournis par l’intermédiaire, notamment, d’une plateforme en ligne. Il me paraît clair que cette question entre dans le cadre de l’article 28 de la directive TVA. Partant, je considère que l’article 9 bis respecte les objectifs généraux essentiels poursuivis par ledit article 28.

b)      Sur la nécessité ou l’utilité de l’article 9 bis pour la mise en œuvre de l’article 28 de la directive TVA

60.      Il résulte de la jurisprudence de la Cour que, eu égard au pouvoir d’appréciation du législateur de l’Union lorsqu’il décide d’attribuer un pouvoir délégué ou un pouvoir d’exécution, le contrôle juridictionnel se limite aux erreurs manifestes d’appréciation quant à la question de savoir si le législateur a pu raisonnablement considérer, d’une part, que le cadre juridique qu’il a établi à l’article 28 de la directive TVA n’appelle, en vue de sa mise en œuvre, qu’à être précisé, sans qu’il doive être modifié ni complété en des éléments non essentiels et, d’autre part, que les dispositions de cet article exigent des conditions uniformes d’exécution (52).

61.      Avant l’adoption de l’article 9 bis, la situation des commissionnaires au regard de la TVA a suscité des discussions au sein du comité de la TVA, qui ont conduit à l’adoption de lignes directrices lors de sa 93e réunion, du 1er juillet 2011 (53). Ce comité a notamment estimé, « presque à l’unanimité », que, pour établir le lieu des prestations de services électroniques reçues par un consommateur final, en ligne ou via d’autres réseaux de télécommunication d’un fournisseur de services électroniques via un intermédiaire ou une tierce personne intervenant dans l’opération, il est nécessaire de déterminer qui est le prestataire du service électronique. Ce comité a également considéré, « presque à l’unanimité », que, lorsqu’un service électronique est fourni au consommateur final, l’intermédiaire ou la tierce personne intervenant dans l’opération sont réputés avoir agi en leur nom propre, sauf si, dans la relation avec le consommateur final, le fournisseur du service électronique lui-même est explicitement indiqué comme le prestataire du service électronique.

62.      Postérieurement à l’adoption de l’article 9 bis, la Commission a élaboré des notes explicatives relatives, notamment, à cette disposition (54). Selon l’indication expresse contenue dans ces notes, celles-ci ne sont pas juridiquement contraignantes. Par conséquent, elles ne peuvent, en tant que telles, permettre de juger de la validité de l’article 9 bis, d’autant plus qu’elles ont été établies par la Commission et non par le Conseil. Néanmoins, lesdites notes constituent un document qui, à mon sens, peut être pris en compte en vue d’éclairer les objectifs du Conseil lorsqu’il a adopté cet article. Ainsi, les mêmes notes indiquent que « [l]orsque des services de télécommunication et des services électroniques sont fournis à un consommateur final (B2C), le prestataire de services est redevable de la TVA aux autorités fiscales. Par conséquent, il est essentiel d’établir avec certitude qui est le prestataire des services fournis, a fortiori lorsque ces services ne sont pas fournis directement au consommateur final, mais passent par des intermédiaires » (55). La Commission a ajouté que « [l]es chaînes d’approvisionnement sont souvent longues et peuvent dépasser les frontières. Dans ces cas-là, il est difficile de savoir à quel moment les services sont en définitive fournis à un consommateur final et qui est redevable de la TVA sur cette prestation. Pour assurer une certaine sécurité juridique à toutes les parties concernées et garantir la perception de la taxe, il était nécessaire de définir quel maillon de la chaîne doit être considéré comme le prestataire du service au consommateur final » (56).

63.      Il résulte de ces éléments que l’article 9 bis revêt un caractère technique, à savoir clarifier la situation des commissionnaires opérant dans le domaine du commerce électronique, en établissant des critères pour identifier le prestataire de services afin de déterminer qui est redevable de la TVA et le lieu des opérations imposables (57). Comme l’a indiqué la Commission dans les notes explicatives, cette clarification a un double objet, à savoir assurer la sécurité juridique des différents intervenants dans la chaîne de transactions ainsi qu’une perception correcte de la TVA relative aux différentes prestations de services. À défaut d’une telle clarification, le problème de la double imposition des opérations transfrontalières, tel que visé au considérant 62 de la directive TVA, est susceptible de se poser ou, à l’inverse, celui de la non-imposition dans une chaîne impliquant notamment une plateforme en ligne. Or, selon la jurisprudence de la Cour, l’application correcte de la directive TVA permet d’éviter la double imposition et d’assurer la neutralité fiscale (58). En outre, en l’absence de disposition établissant une application uniforme du système actuel de TVA en la matière, chacun des fournisseurs de services pourrait être individuellement redevable de cette taxe, ce qui impliquerait de rechercher chacun d’entre eux dans les différents États concernés, rendant presque impossible la collecte de celle-ci. À cet égard, il convient d’ajouter que la TVA est une ressource propre de l’Union.

64.      Dans ces conditions, je suis d’avis que le Conseil a pu raisonnablement considérer qu’il disposait du pouvoir de préciser le contenu normatif de l’article 28 de la directive TVA s’agissant des services fournis par voie électronique, conformément à l’article 291, paragraphe 2, TFUE, et que l’attribution d’un pouvoir d’exécution à cette institution peut être considérée comme raisonnable aux fins d’assurer des conditions uniformes d’exécution de cet article 28 en ce qui concerne ces services. En ce sens, l’article 9 bis apparaît nécessaire ou utile pour la mise en œuvre dudit article 28.

c)      Sur la question de savoir si l’article 9 bis précise l’article 28 de la directive TVA sans le compléter ni le modifier

65.      À ce stade, il convient d’examiner de façon détaillée le libellé de l’article 9 bis afin de vérifier si celui-ci précise effectivement l’article 28 de la directive TVA sans le compléter ni le modifier. Cet article 9 bis comprend trois paragraphes, le premier étant composé de trois alinéas, sur lesquels portent les considérations de la juridiction de renvoi et les observations de Fenix au soutien de l’invalidité dudit article.

66.      L’article 9 bis, paragraphe 1, premier alinéa (ci-après le « premier alinéa ») énonce que, aux fins de l’application de l’article 28 de la directive TVA, lorsque des services par voie électronique sont fournis par l’intermédiaire d’un réseau de télécommunication, d’une interface ou d’un portail tel qu’une plateforme de téléchargement pour des applications, l’assujetti qui s’entremet dans cette prestation est présumé agir en son nom propre mais pour le compte du fournisseur de ces services, à moins que ledit fournisseur ne soit explicitement reconnu comme étant le prestataire par ledit assujetti et que cela ressorte des accords contractuels entre les parties.

67.      L’article 9 bis, paragraphe 1, deuxième alinéa (ci-après le « deuxième alinéa ») prévoit que, pour pouvoir considérer le fournisseur de services par voie électronique comme étant explicitement désigné en tant que prestataire de ces services par l’assujetti, deux conditions cumulatives doivent être remplies, à savoir, d’une part, que la facture émise ou mise à disposition par chaque assujetti participant à la fourniture des services fournis par voie électronique doit préciser ces services ainsi que le prestataire de ceux-ci et que, d’autre part, la facture ou le reçu émis à l’intention du preneur ou mis à sa disposition doit préciser les services fournis par voie électronique et le prestataire de ceux-ci.

68.      Aux termes de l’article 9 bis, paragraphe 1, troisième alinéa (ci-après le « troisième alinéa »), aux fins de ce paragraphe 1, un assujetti qui, en ce qui concerne la fourniture de services par voie électronique, autorise la facturation au preneur ou la fourniture des services, ou fixe les conditions générales de la fourniture, n’est pas autorisé à explicitement désigner une autre personne comme étant le prestataire de ces services.

69.      S’agissant du premier alinéa, il y a lieu de relever que l’article 28 de la directive TVA vise la situation d’un assujetti « agissant en son nom propre mais pour le compte d’autrui », sans définir quand un assujetti est considéré comme agissant comme tel. Aux termes du premier alinéa, pour des services fournis par voie électronique notamment par une plateforme en ligne, l’assujetti qui s’entremet dans cette prestation est présumé agir en son nom propre mais pour le compte du fournisseur de ces services. Si cette présomption s’applique, il découle de l’article 28 de la directive TVA que cet assujetti est alors réputé recevoir et fournir personnellement les services en question, avec la conséquence qu’il est redevable de la TVA en tant que commissionnaire.

70.      Ainsi que le relève à juste titre Fenix, la présomption qui figure au premier alinéa, visant à préciser quand un intermédiaire agit en son nom propre mais pour le compte d’autrui, n’est pas mentionnée à l’article 28 de la directive TVA. Cette société en déduit qu’il s’agit d’un complément ou d’une modification de cet article allant au-delà de la simple exécution. Les termes « agir en son nom propre » figurant audit article ne nécessiteraient aucun acte d’exécution et auraient été appréciés, selon la jurisprudence de la Cour, au regard de la relation contractuelle entre les parties. Or, la présomption établie au premier alinéa s’appliquerait indépendamment de la réalité contractuelle et commerciale, au mépris de cette jurisprudence. En outre, cette présomption prévoirait que les commissionnaires sont considérés comme fournissant et recevant une prestation, même si le mandat est manifeste et que l’identité du commettant est connue, ce qui modifierait l’approche de l’assujettissement des commissionnaires au titre de l’article 28 de la directive TVA.

71.      Je ne partage pas cette interprétation.

72.      En effet, premièrement, Fenix soutient que le législateur de l’Union n’a pas entendu réglementer, à l’article 28 de la directive TVA, la question de savoir quand un intermédiaire, s’entremettant dans une prestation de services, agit en son nom propre. Cependant, la notion d’« assujetti agissant en son nom propre mais pour le compte d’autrui », qui constitue une notion autonome du droit de l’Union, est visée à cet article. Dans ce cadre, le premier alinéa vient préciser (et non compléter) le sens de cette notion, en posant une présomption. Cet alinéa vient ainsi clarifier et concrétiser l’article 28 de la directive TVA, qui est libellé en des termes généraux, quant à la situation spécifique des services fournis par voie électronique, en vue d’assurer la mise en œuvre de cet article dans des conditions uniformes dans tous les États membres.

73.      Deuxièmement, ainsi qu’il ressort d’une jurisprudence constante de la Cour, le Conseil peut adopter toutes les mesures d’application nécessaires ou utiles pour la mise en œuvre de l’article 28 de la directive TVA, pour autant qu’elles ne soient pas contraires à celui-ci (59). Or, la présomption établie au premier alinéa n’est pas contraire au libellé de cet article. En d’autres termes, l’interprétation retenue par le Conseil au premier alinéa est déjà englobée dans l’acte législatif, parmi peut-être d’autres interprétations possibles de celui-ci (60).

74.      Troisièmement, la présomption établie au premier alinéa est réfragable. Selon les termes de cet alinéa, celle-ci est renversée lorsque le fournisseur est explicitement reconnu comme étant le prestataire par l’assujetti qui s’entremet dans la prestation et que cela ressort des accords contractuels entre les parties. Par conséquent, ledit alinéa prend en compte la réalité contractuelle et commerciale des relations entre les intervenants dans la chaîne de transactions. Ceux-ci peuvent ainsi s’accorder pour que l’assujetti qui s’entremet dans la prestation ne soit pas considéré comme le prestataire des services et, dans ce cas, il n’est pas redevable de la TVA.

75.      Quatrièmement, ainsi que la Commission le souligne dans ses observations écrites, même avant l’adoption de l’article 9 bis, l’article 28 de la directive TVA avait pour objectif de transférer la responsabilité en matière de TVA en ce qui concerne les prestations de services auxquelles participe un intermédiaire qui agit en son nom propre mais pour le compte d’autrui. En effet, cet article, par la fiction juridique mentionnée au point 35 de l’arrêt Henfling e.a., énonce déjà que cet intermédiaire est réputé avoir fourni personnellement les services en question et, à ce titre, est redevable de la TVA. Aux termes du premier alinéa, le fournisseur des services et le commissionnaire restent libres de décider que ce fournisseur est le prestataire des services, en vertu de leurs accords contractuels. Il n’y a donc pas de modification de l’approche de l’assujettissement des commissionnaires au titre de l’article 28 de la directive TVA. Eu égard à ce qui précède, je suis d’avis que le premier alinéa précise l’article 28 de la directive TVA, sans le modifier ni le compléter.

76.      En ce qui concerne le deuxième alinéa, Fenix fait valoir que cette disposition établit des critères stricts et limités pour renverser la présomption posée au premier alinéa, qui ne figurent pas à l’article 28 de la directive TVA, avec deux critères supplémentaires obligatoires et cumulatifs. À cet égard, il y a lieu de relever que cet alinéa se situe en lien direct avec le premier alinéa et dans la même logique que celui-ci en ce qu’il indique, de façon plus détaillée, les conditions dans lesquelles, pour des services fournis par voie électronique, le fournisseur de services est explicitement désigné par le commissionnaire en tant que prestataire de ces services. Ces conditions se rapportent aux indications devant figurer sur la facture, document qui, en principe, est délivré par une entreprise immatriculée à la TVA qui effectue des prestations de services. Il s’agit ainsi d’une question de preuve relative au renversement de la présomption selon laquelle l’intermédiaire qui s’entremet agit en son nom propre mais pour le compte du fournisseur des services, dont l’appréciation appartient aux juridictions nationales. Dans la mesure où, à mon sens, le premier alinéa est valide en tant qu’il relève du pouvoir d’exécution du Conseil, le deuxième alinéa, qui s’inscrit dans le même cadre, apparaît également valide.

77.      Quant au troisième alinéa, celui-ci énonce que l’assujetti qui autorise la facturation au preneur ou la fourniture des services, ou fixe les conditions générales de la fourniture, n’est pas autorisé à explicitement désigner une autre personne comme étant le prestataire de ces services. Il résulte de cet alinéa que, lorsque ces modalités sont remplies, la présomption ne peut être renversée et devient donc irréfragable.

78.      Fenix soutient que lesdites modalités ne sont pas prévues à l’article 28 de la directive TVA. Il découlerait du troisième alinéa qu’il est extrêmement difficile pour une plateforme en ligne d’écarter l’application de cet article au profit de la situation dans laquelle prime la réalité contractuelle, commerciale et économique. Comme la juridiction de renvoi, Fenix fait référence, d’une part, au document de travail no 885 (61), qui indiquerait que l’effet recherché de l’article 9 bis est qu’il s’applique le plus largement possible et, d’autre part, à l’étude (62) ayant soutenu la proposition de directive présentée par la Commission le 1er décembre 2016 (63), d’où il ressortirait que cet article est destiné non pas à mettre en application l’article 28 de la directive TVA, mais à transférer l’assujettissement à la TVA à l’intermédiaire. Il s’agirait ainsi d’une modification du cadre de cet article 28, outrepassant le pouvoir d’exécution conféré au Conseil.

79.      En outre, les notes explicatives retiendraient une interprétation de l’article 9 bis rendant impossible le renversement de la présomption pour une plateforme en ligne. En effet, s’agissant de la fixation des conditions générales de la fourniture, au sens du troisième alinéa, ces notes indiqueraient qu’il s’agit, par exemple, des conditions générales fixées par des places de marché ou des plateformes analogues qui invitent les utilisateurs à accepter les conditions générales d’utilisation du site web ou de la plateforme. Toutefois, selon Fenix, les conditions d’utilisation d’une plateforme en ligne ne sont pas les conditions générales de la fourniture, au sens du troisième alinéa. Si tel était le cas, toutes les plateformes en ligne relèveraient du champ de l’article 28 de la directive TVA, indépendamment des conditions contractuelles relatives au mandat et de la réalité économique et commerciale, à moins qu’elles n’aient pas de conditions d’utilisation de leur site Internet, ce qui serait commercialement imprudent. Fenix ajoute que, pour ce qui est d’autoriser la facturation au preneur ou la fourniture des services, les notes explicatives énonceraient que sont visées les situations dans lesquelles l’assujetti peut « influencer », notamment, les conditions préalables à la fourniture. Cette interprétation large modifierait encore davantage l’application de l’article 28 de la directive TVA.

80.      Le troisième alinéa est au cœur de la présente affaire, comme l’ont relevé les intervenants lors de l’audience, et la validité de la présomption irréfragable établie à cet alinéa est mise en doute par certains auteurs au regard de l’article 28 de la directive TVA (64). Il me semble que les arguments avancés par Fenix au soutien de l’invalidité du troisième alinéa peuvent être regroupés en quatre catégories.

81.      La première catégorie d’arguments porte sur l’objectif du troisième alinéa, qui serait de transférer l’assujettissement à la TVA à l’intermédiaire, à la différence de l’article 28 de la directive TVA. Cependant, comme il a été souligné au point 75 des présentes conclusions, l’objectif de l’article 28 de la directive TVA et, avant lui, de l’article 6, paragraphe 4, de la sixième directive, était déjà de transférer la responsabilité en matière de TVA au commissionnaire. L’article 9 bis et son troisième alinéa vont dans la même direction, en précisant les modalités de ce transfert en ce qui concerne la fourniture de services par voie électronique.

82.      La deuxième catégorie d’arguments se réfère à l’analyse de l’article 9 bis opérée par la Commission dans les notes explicatives. Cependant, comme je l’ai souligné au point 62 des présentes conclusions, ces notes ne sont pas juridiquement contraignantes et ne peuvent, en tant que telles, permettre de juger de la validité de cet article. C’est donc seulement sur la base du libellé dudit article qu’il convient de vérifier si le Conseil a outrepassé son pouvoir d’exécution. En tout état de cause, l’argument de Fenix selon lequel il serait « commercialement imprudent » pour les plateformes en ligne de ne pas fixer de conditions d’utilisation de leur site Internet apparaît dénué de pertinence en l’espèce. En effet, il s’agit d’un choix des plateformes concernées, peut-être commercialement indispensable, mais qui comporte des conséquences fiscales, même si celles-ci ne sont pas souhaitées par ces plateformes.

83.      La troisième catégorie d’arguments fait référence à la jurisprudence de la Cour selon laquelle la prise en compte de la réalité économique et commerciale constitue un critère fondamental pour l’application du système commun de TVA (65). Ainsi, au point 42 de l’arrêt Henfling e.a., la Cour a relevé que, s’agissant de l’activité des buralistes en cause dans cette affaire, si la condition relative au fait que l’assujetti doit agir en son nom propre mais pour le compte d’autrui, figurant à l’article 6, paragraphe 4, de la sixième directive, doit être interprétée sur la base des relations contractuelles en cause, le bon fonctionnement du système commun de TVA instauré par cette directive requiert de la part de la juridiction de renvoi une vérification concrète de nature à établir si, au vu de l’ensemble des données de l’espèce, lesdits buralistes agissaient effectivement, lors de la collecte de paris, en leur nom propre. La Cour a ensuite indiqué, au point 43 de cet arrêt, les éléments qui, notamment, devaient être pris en considération pour établir si les buralistes agissaient ou non en leur nom propre.

84.      Cependant, il y a lieu de souligner que la situation en cause au principal présente des différences notables avec l’affaire ayant donné lieu à l’arrêt Henfling e.a. En effet, dans le cadre de l’application de l’article 28 de la directive TVA, l’article 9 bis a apporté des précisions, qui n’existaient pas à la date de cet arrêt, quant à la situation des commissionnaires, en indiquant dans quelle mesure l’assujetti qui s’entremet dans la prestation de services électroniques est présumé agir en son nom propre mais pour le compte d’autrui (66).

85.      En outre , aux termes du premier alinéa, l’assujetti qui s’entremet dans la prestation de services est présumé agir en son nom propre mais pour le compte du fournisseur de ces services. À cet égard, le troisième alinéa vise trois conditions dans lesquelles la présomption devient irréfragable, à savoir quand l’assujetti autorise la facturation au preneur ou la fourniture des services, ou fixe les conditions générales de la fourniture. Dès lors qu’une seule de ces conditions est remplie, cet assujetti ne peut explicitement désigner une autre personne comme étant le prestataire des services. Si l’article 28 de la directive TVA ne détermine pas les conditions dans lesquelles il convient de considérer qu’un assujetti « s’entremet » dans une prestation de services, il apparaît que, dans les trois situations mentionnées par le troisième alinéa, l’intermédiaire s’entremet (67) effectivement dans la prestation, avec la conséquence qu’il est irréfragablement présumé agir en son nom propre mais pour le compte du fournisseur des services (68).

86.      Notamment, lorsqu’une plateforme en ligne « fixe les conditions générales de la fourniture » des services, elle décide unilatéralement de ces conditions, qui s’imposent au consommateur final avant que la prestation de services soit effectuée (69). Dans une telle situation, il me paraît évident que, à la suite de son choix, cette plateforme s’entremet dans la prestation de services, et doit être considérée comme le prestataire de services, avec les conséquences en matière de TVA qui en découlent. La différence est claire avec le cas de figure visé à l’article 9 bis, paragraphe 3, selon lequel cet article ne s’applique pas à un assujetti qui assure uniquement le traitement des paiements en rapport avec des services par voie électronique ou des services téléphoniques fournis sur l’internet et qui ne participe pas à la fourniture de ces services. En effet, dans un tel cas, l’assujetti ne s’entremet pas dans la prestation de services. Autrement dit, selon moi, le troisième alinéa prend en compte la réalité économique et commerciale plutôt que les seules relations contractuelles (70). Par conséquent, eu égard à la jurisprudence de la Cour relative à l’article 28 de la directive TVA, ainsi qu’à celle portant sur l’article 14, paragraphe 2, sous c), de cette directive, qui se fonde également sur la réalité économique (71), le Conseil n’a pas outrepassé son pouvoir d’exécution en adoptant le troisième alinéa.

87.      Dans le même sens, le comité de la TVA, dans ses lignes directrices (72), est convenu « à l’unanimité » qu’un fournisseur intervenant dans la chaîne ne peut pas avoir le droit de décider, contrairement aux faits et aux dispositions juridiques applicables, qu’il ne s’entremet pas dans la prestation et ne tombe, dès lors, pas dans le champ d’application de l’article 9 bis. Ici, c’est sur la base des faits concernant la situation réelle de l’intermédiaire dans la chaîne de transactions que le troisième alinéa retient une présomption irréfragable, en vue de prendre en compte la réalité économique. Ainsi, lorsqu’un assujetti s’entremet dans la prestation de services, les conditions contractuelles qui prévoiraient qu’il n’est pas le prestataire de services ne peuvent s’appliquer.

88.      La quatrième catégorie d’arguments, déjà évoquée par Fenix pour le premier alinéa, est relative au fait que, en raison de la présomption établie au troisième alinéa, l’intermédiaire est considéré comme agissant en son nom propre mais pour le compte d’autrui, même si le mandat est manifeste et que l’identité du commettant est connue. Fenix soutient que, dans une telle situation, l’intermédiaire ne devrait pas être traité comme s’il effectuait ou recevait une fourniture de services.

89.      À cet égard, il y a lieu de relever que, selon la jurisprudence de la Cour, dès lors qu’il est précisé, à l’article 28 de la directive TVA, que l’assujetti doit agir « pour le compte d’autrui », il doit exister, entre le commissionnaire et le commettant, un accord ayant pour objet l’attribution du mandat en exécution duquel le commissionnaire intervient, pour le compte du commettant, dans la prestation de services (73). Ainsi que la Commission l’a souligné, les chaînes d’approvisionnement sont souvent longues et peuvent dépasser les frontières (74). Dans ces conditions, il convient de considérer que, dans le cadre d’une chaîne de transactions relative à des prestations de services dans le domaine du commerce électronique, le commissionnaire est, en principe, un intermédiaire opaque. Le seul fait que, dans une situation spécifique donnée, le mandat soit manifeste et que l’identité du commettant soit connue, comme le prétend Fenix en ce qui concerne l’affaire au principal, ne me paraît pas suffisant pour considérer que le troisième alinéa, en tant que tel, est invalide.

d)      Considérations complémentaires

90.      Selon la juridiction de renvoi, l’article 9 bis va beaucoup plus loin que la proposition de règlement présentée par la Commission (75), laquelle énonçait, s’agissant de l’article 9 bis, que lorsque les services de radiodiffusion et de télévision ou les services électroniques d’un prestataire de services sont fournis via le réseau de télécommunication, une interface ou un portail comme une plateforme de téléchargement pour les applications appartenant à un intermédiaire ou à un tiers intervenant dans la prestation, l’intermédiaire ou le tiers, pour l’application de l’article 28 de la directive TVA, est présumé agir en son nom propre, mais pour le compte d’un prestataire de services, « à moins que, par rapport au consommateur final, le prestataire de services soit explicitement reconnu comme le prestataire ». Il résulterait de cette proposition que la présomption devrait s’appliquer « sauf indication contraire », à la différence de l’article 9 bis tel qu’il a été adopté.

91.      Cette juridiction part du postulat que ladite proposition constitue un acte d’exécution de l’article 28 de la directive TVA, au sens de l’article 291, paragraphe 2, TFUE. Cependant, d’une part, je relève que la même proposition établit, tout comme l’article 9 bis lui-même, la présomption que, pour les services concernés, l’intermédiaire agit en son nom propre, mais pour le compte d’un prestataire de services. Par conséquent, l’article 9 bis se situe dans la ligne de la proposition de règlement présentée par la Commission. D’autre part, selon cette proposition, cette présomption est renversée lorsque le prestataire de services est explicitement reconnu comme étant le prestataire. Or, l’article 9 bis repose sur la même logique, en détaillant les conditions dans lesquelles ladite présomption peut être renversée. Ainsi, à mon sens, il n’existe pas une différence fondamentale d’approche entre le texte de la proposition de règlement et l’article 9 bis tel qu’il a été adopté.

92.      La juridiction de renvoi fait également référence à la proposition de directive présentée par la Commission le 1er décembre 2016 (76), visant à modifier le libellé de l’article 28 de la directive TVA, qui viendrait au soutien de l’argument selon lequel la validité de l’article 9 bis serait discutable. À cet égard, il importe de relever que la Commission a proposé de modifier cet article 28 de la manière suivante : « Lorsqu’un assujetti, agissant en son nom propre mais pour le compte d’autrui, s’entremet dans une prestation de services, y compris dans les cas où un réseau de télécommunication, une interface ou un portail est utilisé à cette fin, il est réputé avoir reçu et fourni personnellement les services en question. » (77) Comme l’a souligné le Conseil dans ses observations écrites, cette proposition a été considérée comme superflue en ce que ledit article 28 est une disposition générale qui s’applique à tous les types de services, y compris aux services électroniques. En tout état de cause, je ne vois pas en quoi ladite proposition pourrait être considérée comme allant dans le sens de l’invalidité de l’article 9 bis.

93.      En conclusion, je suis d’avis que cet article présente un caractère technique et que son adoption n’a pas requis d’effectuer des choix politiques  relevant des responsabilités propres du législateur de l’Union. Ledit article apporte des précisions dans le domaine du commerce électronique quant à l’application de l’article 28 de la directive TVA, sans le compléter ni le modifier, même dans ses éléments non essentiels.

94.      À titre subsidiaire, le gouvernement du Royaume-Uni soutient que, dans l’hypothèse où la Cour considérerait que l’article 9 bis, paragraphe 1, est invalide, il conviendrait de limiter les effets dans le temps de l’arrêt à intervenir. À cet égard, je souhaiterais faire les observations suivantes.

95.      Selon une jurisprudence constante, lorsque des considérations impérieuses de sécurité juridique le justifient, la Cour bénéficie, en vertu de l’article 264, second alinéa, TFUE, applicable, par analogie, également dans le cadre d’un renvoi préjudiciel en appréciation de validité des actes de l’Union, au titre de l’article 267 TFUE, d’un pouvoir d’appréciation pour indiquer, dans chaque cas particulier, ceux des effets de l’acte concerné qui doivent être considérés comme définitifs (78). Ainsi, la Cour a fait usage de la possibilité de limiter l’effet dans le temps de la constatation de l’invalidité d’une réglementation de l’Union lorsque des considérations impérieuses de sécurité juridique tenant à l’ensemble des intérêts, tant publics que privés, en jeu dans les affaires concernées empêchaient de remettre en cause la perception ou le paiement de sommes d’argent, effectués sur le fondement de cette réglementation, pour la période antérieure à la date de l’arrêt (79).

96.      En l’occurrence, le gouvernement du Royaume-Uni fait valoir que des considérations impérieuses de sécurité juridique justifient de maintenir tous les effets juridiques de l’article 9 bis, lequel est applicable dans l’Union depuis le 1er janvier 2015, jusqu’à la date de l’arrêt à intervenir. En effet, la déclaration d’invalidité de cet article risquerait d’avoir des répercussions économiques graves dues, en particulier, au nombre élevé d’opérations en ligne effectuées entre les entreprises et les consommateurs finaux, et alors que la TVA a été déclarée, payée et perçue de bonne foi sur la base de cet article, considéré comme étant valablement en vigueur. Ce gouvernement estime que les excédents de taxes déclarées ou payées entre les années 2015 et 2020 risquant de faire l’objet de remboursements pourraient atteindre la somme de 2,7 milliards de livres sterling (GBP) (environ 3,215 milliards d’euros) au Royaume-Uni. Par ailleurs, ledit gouvernement expose que la limitation des effets dans le temps de l’arrêt à intervenir serait justifiée par le motif d’invalidité, à savoir l’erreur commise quant à la base juridique de l’acte contesté. Cette limitation devrait s’appliquer à toutes les personnes et à toutes les fins, sans faire d’exception en faveur de Fenix ou de toute autre personne qui aurait formé un recours en soulevant l’invalidité de l’article 9 bis avant la date de l’arrêt de la Cour à intervenir.

97.      Eu égard aux arguments avancés par le gouvernement du Royaume-Uni et compte tenu des graves répercussions sur le nombre élevé de rapports juridiques susceptibles de se réaliser, si la Cour juge que l’article 9 bis est invalide, il conviendrait, à mon sens, de limiter les effets dans le temps de l’arrêt à intervenir. Par ailleurs, il appartient à la Cour, quand elle fait usage de la possibilité de limiter l’effet dans le passé d’une déclaration préjudicielle d’invalidité d’un acte de l’Union, de déterminer si une exception à cette limitation de l’effet dans le temps, conférée à son arrêt, peut être prévue en faveur de la partie au principal qui a introduit devant la juridiction nationale le recours contre les mesures nationales d’exécution de l’acte de l’Union, ou si, à l’inverse, même à l’égard de cette partie, une déclaration d’invalidité de l’acte de l’Union ayant effet seulement pour l’avenir constitue un remède adéquat (80). En l’occurrence, Fenix ayant soulevé l’invalidité de l’article 9 bis devant la juridiction de renvoi, je considère que, s’agissant de cette société, il n’y aurait pas lieu de limiter les effets dans le temps de l’arrêt à intervenir (81).

98.      Eu égard à tout ce qui a été exposé dans les présentes conclusions, j’estime que le Conseil, en adoptant l’article 9 bis, n’a pas outrepassé le pouvoir d’exécution qui lui est conféré par l’article 291, paragraphe 2, TFUE et l’article 397 de la directive TVA, au regard de l’article 28 de cette directive, et que, par conséquent, ledit article 9 bis est valide.

V.      Conclusion

99.      Au vu des considérations qui précèdent, je propose à la Cour de répondre à la question préjudicielle posée par le First-tier Tribunal (Tax Chamber) [tribunal de première instance (chambre de la fiscalité), Royaume-Uni] de la manière suivante :

L’examen de la question préjudicielle n’a révélé aucun élément de nature à affecter la validité de l’article 9 bis du règlement d’exécution (UE) no 282/2011 du Conseil, du 15 mars 2011, portant mesures d’exécution de la directive 2006/112/CE relative au système commun de taxe sur la valeur ajoutée, tel qu’inséré par le règlement d’exécution (UE) no 1042/2013 du Conseil, du 7 octobre 2013, modifiant le règlement d’exécution no 282/2011.


1      Langue originale : le français.


2      Règlement d’exécution du Conseil du 15 mars 2011 portant mesures d’exécution de la directive 2006/112/CE relative au système commun de taxe sur la valeur ajoutée (JO 2011, L 77, p. 1).


3      Règlement d’exécution du Conseil du 7 octobre 2013 modifiant le règlement d’exécution no 282/2011 (JO 2013, L 284, p. 1).


4      Directive du Conseil du 28 novembre 2006 relative au système commun de taxe sur la valeur ajoutée (JO 2006, L 347, p. 1), telle que modifiée par la directive (UE) 2017/2455 du Conseil, du 5 décembre 2017 (JO 2017, L 348, p. 7, ci-après la « directive TVA »).


5      Voir, notamment, document de l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) intitulé Le rôle des plateformes numériques dans la collecte de la TVA/TPS sur les ventes en ligne, soumis à l’examen lors de la cinquième réunion du Forum mondial sur la TVA, mars 2019, consultable à l’adresse suivante : https://www.oecd.org/fr/fiscalite/consommation/le-role-des-plateformes-numeriques-dans-la-collecte-de-la-tva-tps-sur-les-ventes-en-ligne.pdf.


6      La juridiction de renvoi se réfère à la communication de la Commission au Parlement européen et au Conseil du 9 décembre 2009, Mise en œuvre de l’article 290 TFUE [COM(2009) 673 final], p. 4.


7      Proposition de règlement du Conseil modifiant le règlement d’exécution (UE) no 282/2011 en ce qui concerne le lieu de prestation des services, du 18 décembre 2012 [COM(2012) 763 final], p. 14.


8      La juridiction de renvoi mentionne à cet égard le document de travail no 885 du comité de la TVA, taxud.c.1(2015)4659331, 9 octobre 2015, p. 4. Ce document est consultable à l’adresse suivante : https://circabc.europa.eu/sd/a/ab683366-67b5-4fee-b0a8-9c3eab0e713d/885%20-%20VAT%202015%20-%20Harmonised%20application%20of%20the%20presumption.pdf. Le comité de la TVA est un comité consultatif prévu à l’article 398 de la directive TVA, dont les lignes directrices, bien qu’elles soient dépourvues de valeur contraignante, n’en constituent pas moins une aide à l’interprétation de cette directive (voir arrêt du 15 avril 2021, SK Telecom, C-593/19, EU:C:2021:281, point 48 et jurisprudence citée).


9      Cette étude, réalisée par la société Deloitte, était composée de trois lots, parmi lesquels le lot 3, daté du mois de novembre 2016, intitulé « Évaluation de la mise en œuvre des règles de 2015 sur le lieu des prestations des services et du mini-guichet unique » et consultable, en anglais, à l’adresse suivante : https://ec.europa.eu/taxation_customs/system/files/2016-12/vat_aspects_cross-border_e-commerce_final_report_lot3.pdf.


10      Proposition de directive du Conseil modifiant la directive 2006/112/CE et la directive 2009/132/CE en ce qui concerne certaines obligations en matière de taxe sur la valeur ajoutée applicables aux prestations de services et aux ventes à distance de biens [COM(2016) 757 final].


11      Sixième directive du Conseil du 17 mai 1977 en matière d’harmonisation des législations des États membres relatives aux taxes sur le chiffre d’affaires – Système commun de taxe sur la valeur ajoutée : assiette uniforme (JO 1977, L 145, p. 1, ci-après la « sixième directive »). Cette directive a été abrogée et remplacée par la directive TVA. L’article 28 de celle-ci est libellé dans les mêmes termes que l’article 6, paragraphe 4, de la sixième directive. Cette dernière disposition figurait dans la version initiale de la sixième directive et n’a jamais été modifiée.


12      L’article 86 de l’accord sur le retrait du Royaume-Uni de Grande-Bretagne et d’Irlande du Nord de l’Union européenne et de la Communauté européenne de l’énergie atomique (JO 2019, C 384 I, p. 1) prévoit, à son paragraphe 2, que la Cour demeure compétente pour statuer à titre préjudiciel sur les demandes des juridictions du Royaume-Uni présentées avant la fin de la période de transition. Aux termes de l’article 126 de cet accord, celle-ci s’est terminée le 31 décembre 2020. Il résulte, en outre, de l’article 86, paragraphe 3, dudit accord qu’une demande de décision préjudicielle est considérée comme ayant été présentée, au sens du paragraphe 2 de cet article, à la date à laquelle l’acte introductif d’instance a été enregistré par le greffe de la Cour. En l’occurrence, la présente demande de décision préjudicielle a été enregistrée par le greffe de la Cour le 22 décembre 2020, soit avant la fin de la période de transition.


13      Voir, à cet égard, arrêt du 18 mars 2014, Commission/Parlement et Conseil (C-427/12, EU:C:2014:170, point 36). Sur la distinction entre le pouvoir délégué et le pouvoir d’exécution dans le cadre du traité de Lisbonne, voir, notamment, Craig, P., « Delegated Acts, Implementing Acts and the New Comitology Regulation », European Law Review, vol. 36, no 5, 2011, p. 671 à 687 ; Chamon, M., « Institutional Balance and Community Method in the Implementation of EU Legislation Following the Lisbon Treaty », Common Market Law Review, vol. 53, no 6, 2016, p. 1501 à 1543.


14      Arrêt du 16 juillet 2015, Commission/Parlement et Conseil (C-88/14, EU:C:2015:499, point 28 ainsi que jurisprudence citée).


15      Arrêt du 17 mars 2016, Parlement/Commission (C-286/14, EU:C:2016:183, point 30 et jurisprudence citée).


16      Arrêt du 20 décembre 2017, Espagne/Conseil (C-521/15, EU:C:2017:982, point 42). Comme l’a relevé l’avocat général Cruz Villalón dans ses conclusions dans l’affaire Commission/Parlement et Conseil (C-427/12, EU:C:2013:871, point 50), à la différence de ce qui se passe dans le cas de l’article 290 TFUE, l’élément déclencheur de l’habilitation prévue à l’article 291, paragraphe 2, TFUE n’est pas la simple volonté du législateur, mais l’existence d’une cause objective, à savoir la nécessité que les actes juridiquement contraignants de l’Union soient exécutés dans des conditions uniformes.


17      Arrêt du 18 mars 2014, Commission/Parlement et Conseil (C-427/12, EU:C:2014:170, point 33).


18      Arrêt du 1er mars 2016, National Iranian Oil Company/Conseil (C-440/14 P, EU:C:2016:128, point 36 et jurisprudence citée).


19      Arrêts du 15 octobre 2014, Parlement/Commission (C-65/13, EU:C:2014:2289, point 44 et jurisprudence citée), ainsi que du 9 juin 2016, Pesce e.a. (C-78/16 et C-79/16, EU:C:2016:428, point 46).


20      Arrêt du 16 juillet 2015, Commission/Parlement et Conseil (C-88/14, EU:C:2015:499, point 30 ainsi que jurisprudence citée).


21      Voir arrêt du 15 octobre 2014, Parlement/Commission (C-65/13, EU:C:2014:2289, points 45 et 46).


22      En application de l’article 291, paragraphe 3, TFUE, le pouvoir d’exécution de la Commission est soumis au contrôle des États membres au moyen de la procédure prévue par le règlement (UE) no 182/2011 du Parlement européen et du Conseil, du 16 février 2011, établissant les règles et principes généraux relatifs aux modalités de contrôle par les États membres de l’exercice des compétences d’exécution par la Commission (JO 2011, L 55, p. 13).


23      Arrêt du 1er décembre 2015, Parlement et Commission/Conseil (C-124/13 et C-125/13, EU:C:2015:790, point 53 ainsi que jurisprudence citée).


24      Voir, en ce sens, arrêt du 1er mars 2016, National Iranian Oil Company/Conseil (C-440/14 P, EU:C:2016:128, point 49 et jurisprudence citée).


25      L’article 397 de la directive TVA est libellé dans les mêmes termes que l’article 29 bis de la sixième directive, tel qu’il a été inséré dans celle-ci par la directive 2004/7/CE du Conseil, du 20 janvier 2004, modifiant la directive 77/388 (JO 2004, L 27, p. 44). À ses considérants 7 et 8, cette dernière directive énonce que, en l’absence de mécanisme permettant d’adopter des mesures contraignantes aux fins de la mise en œuvre de la sixième directive, les États membres appliquent de manière divergente les règles fixées par celle-ci ; que, pour améliorer le fonctionnement du marché intérieur, il est essentiel d’assurer une application plus uniforme du système actuel de TVA et que l’introduction d’une procédure permettant l’adoption de mesures pour garantir la mise en œuvre appropriée des règles existantes représenterait un progrès notable à cet égard. Le considérant 61 de la directive TVA repose sur les mêmes considérations.


26      Le Conseil a indiqué, aux considérants 11 et 12 de la directive 2004/7, que l’incidence des mesures d’exécution sur les budgets des États membres justifie qu’il se réserve le droit d’exercer les compétences d’exécution concernant la mise en œuvre de la sixième directive. Ces éléments sont repris au considérant 63 de la directive TVA.


27      Voir note en bas de page 10 des présentes conclusions.


28      Directive du Conseil du 5 décembre 2017 modifiant la directive 2006/112/CE et la directive 2009/132/CE en ce qui concerne certaines obligations en matière de taxe sur la valeur ajoutée applicables aux prestations de services et aux ventes à distance de biens (JO 2017, L 348, p. 7).


29      Voir arrêt du 10 septembre 2015, Parlement/Conseil (C-363/14, EU:C:2015:579, point 46 et jurisprudence citée).


30      Voir, en ce sens, conclusions de l’avocat général Jääskinen dans l’affaire Royaume-Uni/Parlement et Conseil (C-270/12, EU:C:2013:562, point 78). Voir également Englisch, J., « “Detailing” EU Legislation through Implementing Acts », Yearbook of European Law, 2021, vol. 40, no 1, p. 111 à 145.


31      Conclusions dans l’affaire Commission/Parlement et Conseil (C-427/12, EU:C:2013:871, points 62 et 63).


32      Voir, notamment, arrêts de la chambre sociale, du 23 février 2000, no 98-15.598, et de la troisième chambre civile, du 27 février 2002, no 00-17.902.


33      Voir Ritleng, D., « The Dividing Line between Delegated and Implementing Acts : The Court of Justice Sidesteps the Difficulty in Commission v. Parliament and Council (Biocides) », Common Market Law Review, vol. 52, no 1, 2015, p. 243 à 257, en particulier p. 251.


34      Voir Lenaerts, K., et Van Nuffel, P., EU Constitutional Law, Oxford University Press, Oxford, 2021, no 18.013.


35      Dans l’arrêt du 17 mars 2016, Parlement/Commission (C-286/14, EU:C:2016:183, point 41), la Cour a énoncé que, dans le cadre de l’article 290, paragraphe 1, TFUE, la délégation d’un pouvoir de « compléter » un acte législatif ne vise qu’à autoriser la Commission à concrétiser cet acte et que, lorsque celle-ci exerce un tel pouvoir, son mandat est limité au développement en détail, dans le respect de l’intégralité de l’acte législatif arrêté par le législateur, des éléments non essentiels de la réglementation concernée que le législateur n’a pas définis. À cet égard, je relève, d’une part, que cette jurisprudence a été rendue dans le contexte du « pouvoir délégué », au sens de l’article 290, paragraphe 1, TFUE, et non du « pouvoir d’exécution », visé à l’article 291, paragraphe 2, TFUE. D’autre part, à mon sens, l’approche retenue pourrait être considérée comme étant trop restrictive dans la mesure où elle est susceptible de rendre sans contenu réel la notion consistant à « préciser » l’acte législatif au titre de l’article 291, paragraphe 2, TFUE.


36      Arrêt du 2 juin 2022, SR (Frais de traduction dans une procédure civile) (C-196/21, EU:C:2022:427, point 25 et jurisprudence citée).


37      Sur cet article, voir Terra, B., et Kajus, J., « 10.4.5 Undisclosed agent », A Guide to the European VAT Directives 2022: Introduction to European VAT, vol. 1, IBFD, Amsterdam, 2022.


38      Arrêts Henfling e.a. (point 35), ainsi que du 12 novembre 2020, ITH Comercial Timişoara (C-734/19, EU:C:2020:919, point 49).


39      Arrêt Henfling e.a. (point 35).


40      Voir arrêt du 12 novembre 2020, ITH Comercial Timişoara (C-734/19, EU:C:2020:919, point 50). Aux termes de l’article 14, paragraphe 2, sous c), de la directive TVA, est considérée comme livraison de biens la transmission d’un bien effectuée en vertu d’un contrat de commission à l’achat ou à la vente.


41      Voir, en ce sens, arrêt du 12 novembre 2020, ITH Comercial Timişoara (C-734/19, EU:C:2020:919, point 51).


42      Voir, en ce sens, arrêt du 12 novembre 2020, ITH Comercial Timişoara (C-734/19, EU:C:2020:919, point 54).


43      Voir arrêts Henfling e.a. (point 36), ainsi que du 17 janvier 2013, BGŻ Leasing (C-224/11, EU:C:2013:15, point 64).


44      Voir arrêts du 4 mai 2017, Commission/Luxembourg (C-274/15, EU:C:2017:333, point 87), et du 21 janvier 2021, UCMR - ADA (C-501/19, EU:C:2021:50, point 49). Inversement, si la prestation de services dans laquelle le commissionnaire s’entremet est exonérée de la TVA, cette exonération est de même applicable à la relation juridique entre le commettant et le commissionnaire [voir arrêt Henfling e.a. (point 36)].


45      Voir, notamment, Berlin, D., Directive TVA 2006/112 : commentaire article par article, Bruylant, Bruxelles, 2020, commentaire de l’article 28 de la directive TVA, p. 228. La jurisprudence de la Cour se référant à un « commissionnaire », j’emploierai ce terme pour désigner l’intermédiaire dans la chaîne de transactions.


46      Ce qui signifie que le client ne connaît pas l’identité du commettant.


47      Aux termes de l’article 46 de la directive TVA, telle que modifiée par la directive 2008/8/CE du Conseil, du 12 février 2008 (JO 2008, L 44, p. 11), « [l]e lieu des prestations de services fournies à une personne non assujettie par un intermédiaire agissant au nom et pour le compte d’autrui est le lieu où l’opération principale est effectuée, conformément à la présente directive ».


48      Arrêt Henfling e.a. (point 38).


49      Voir, notamment, Claessens, S., et Corbett, T., « Intermediated Delivery and Third-Party Billing: Implications for the Operation of VAT Systems around the World », dans Lang, M., et Lejeune, I., VAT/GST in a Global Digital Economy, Wolters Kluwer, Alphen-sur-le-Rhin, 2015, p. 59 à 78. Voir également, dans le même ouvrage, Nguyen, D., « Comments on the Discussion of Article 9a of Implementing Regulation 1042/2013 », p. 79 à 82.


50      Voir note en bas de page 11 des présentes conclusions.


51      Voir point 53 des présentes conclusions.


52      Voir, en ce sens, arrêt du 18 mars 2014, Commission/Parlement et Conseil (C-427/12, EU:C:2014:170, point 40).


53      Document C – taxud.c.1(2012)1410604 – 709, consultable à l’adresse suivante : https://ec.europa.eu/taxation_customs/system/files/2022-04/guidelines-vat-committee-meetings_fr.pdf, p. 155.


54      Voir document intitulé « Notes explicatives sur les modifications apportées en matière de TVA dans l’Union européenne en ce qui concerne le lieu de prestation des services de télécommunication, des services de radiodiffusion et de télévision et des services fournis par voie électronique, qui entreront en vigueur en 2015 [règlement d’exécution (UE) no 1042/2013 du Conseil] » (ci-après les « notes explicatives »), publié le 3 avril 2014 et consultable à l’adresse suivante : https://ec.europa.eu/taxation_customs/business/vat/telecommunications-broadcasting-electronic-services/sites/default/files/explanatory_notes_2015_fr_0.pdf.


55      Point 3.2 des notes explicatives.


56      Point 3.3 des notes explicatives.


57      Ainsi que l’énonce le considérant 1 du règlement d’exécution no 1042/2013, « [l]a directive [TVA] dispose qu’à compter du 1er janvier 2015, l’ensemble des services de télécommunication, des services de radiodiffusion et de télévision et des services fournis par voie électronique fournis à une personne non assujettie sont imposables dans l’État membre où le preneur est établi, a son domicile ou a sa résidence habituelle, quel que soit le lieu d’établissement de l’assujetti prestataire desdits services. La plupart des autres services fournis à une personne non assujettie continuent d’être imposés dans l’État membre où le prestataire est établi ».


58      Voir arrêt du 18 juin 2020, KrakVet Marek Batko (C-276/18, EU:C:2020:485, point 50).


59      Voir point 33 des présentes conclusions.


60      Voir point 45 des présentes conclusions.


61      Voir note en bas de page 8 des présentes conclusions.


62      Voir note en bas de page 9 des présentes conclusions.


63      Voir note en bas de page 10 des présentes conclusions.


64      Voir, notamment, Weidmann, M., « The New EU VAT Rules on the Place of Supply of B2C E-Services: Practical Consequences - The German Example », EC Tax Review, vol. 24, no 2, 2015, p. 105 à 118, en particulier p. 113 ; Henkow, O., « Acting in One’s Own Name on Someone Else’s Behalf: A Changing Concept ? », dans Egholm Elgaard, K. K., Ramsdahl Jensen, D., et Stensgaard, H. (dir.), Momsloven 50 år – festskrift i anledning af 50 års jubilæet for Danmarks første momslov, Ex Tuto Publishing A/S, Copenhague, 2017, p. 241 à 254.


65      Voir, notamment, arrêt du 12 novembre 2020, ITH Comercial Timişoara (C-734/19, EU:C:2020:919, point 48 et jurisprudence citée).


66      Dans ses observations écrites, la Commission a relevé que l’arrêt Henfling e.a.a montré la nécessité d’adopter une règle uniforme pour clarifier le cas de figure dans lequel l’intermédiaire agit en son nom, ce qui s’est traduit par l’adoption de l’article 9 bis.


67      Selon la définition du dictionnaire Le Petit Robert, 2011, « s’entremettre » peut se définir comme intervenir entre deux ou plusieurs personnes pour les rapprocher, pour faciliter la conclusion des affaires qui les intéressent.


68      Selon O. Henkow (p. 251 de son article, voir note en bas de page 64 des présentes conclusions), le fait que l’assujetti autorise la facturation au preneur, sans faire davantage, semble aller plus loin que ce que la Cour a énoncé au point 43 de l’arrêt Henfling e.a. Cependant, tout d’abord, cet arrêt indique les éléments qui doivent « notamment » être pris en considération, ce qui signifie qu’ils ne présentent pas un caractère exclusif. Ensuite, à la date dudit arrêt, il n’existait pas de règlement d’exécution visant à préciser l’application de l’article 28 de la directive TVA. Enfin, il y a lieu de reconnaître une marge d’appréciation au législateur de l’Union en vue de préciser le contenu de cet article.


69      Contrairement à ce que soutient Fenix, je considère, notamment, que les conditions générales de la fourniture, au sens du troisième alinéa, recouvrent les conditions générales d’utilisation d’une plateforme en ligne, telles que celles établies par cette société.


70      Voir également, à cet égard, arrêt du 20 juin 2013, Newey (C-653/11, EU:C:2013:409, points 42 à 46).


71      Voir, notamment, arrêt du 3 septembre 2015, Fast Bunkering Klaipėda (C-526/13, EU:C:2015:536).


72      Lignes directrices découlant de la 106e réunion, du 14 mars 2016, document A - taxud.c.1(2016)3604550 – 904, p. 217, consultable à l’adresse suivante : https://taxation-customs.ec.europa.eu/system/files/2022-04/guidelines-vat-committee-meetings_fr.pdf.


73      Voir arrêt du 12 novembre 2020, ITH Comercial Timişoara (C-734/19, EU:C:2020:919, points 51 et 52).


74      Voir point 62 des présentes conclusions.


75      Voir point 20 des présentes conclusions.


76      Voir note en bas de page 10 des présentes conclusions.


77      Mise en italique par mes soins.


78      Arrêt du 9 février 2017, Raffinerie Tirlemontoise (C-585/15, EU:C:2017:105, point 37 et jurisprudence citée).


79      Arrêt du 9 février 2017, Raffinerie Tirlemontoise (C-585/15, EU:C:2017:105, point 38 et jurisprudence citée).


80      Voir arrêt du 28 avril 2016, Borealis Polyolefine e.a. (C-191/14, C-192/14, C-295/14, C-389/14 et C-391/14 à C-393/14, EU:C:2016:311, point 108 ainsi que jurisprudence citée).


81      Voir, en ce sens, arrêt du 26 avril 1994, Roquette Frères (C-228/92, EU:C:1994:168, point 28).