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Édition provisoire

CONCLUSIONS DE L’AVOCATE GÉNÉRALE

Mme JULIANE KOKOTT

présentées le 8 septembre 2022 (1)

Affaire C-378/21

P GmbH

en présence de :

Finanzamt Österreich (service des Finances publiques, Autriche)

[demande de décision préjudicielle formée par le Bundesfinanzgericht (tribunal fédéral des finances, Autriche)]

« Recours préjudiciel – Taxe sur la valeur ajoutée – Erreur dans le taux de la taxe – Régularisation de la dette fiscale – Impossibilité matérielle de rectifier des factures déjà émises – Absence de rectification de la facture lorsque les preneurs de la prestation ne sont pas des assujettis – Absence de risque de perte de recettes fiscales – Grief d’enrichissement injustifié »






I.      INTRODUCTION

1.        La réglementation de la TVA est une branche du droit présentant des risques pour les assujettis qui ne sont en réalité censés percevoir cette taxe auprès de leurs clients que pour le compte de l’État. Si, par exemple, l’assujetti fixe erronément un taux trop faible, il est néanmoins redevable du juste montant (supérieur) de la taxe qu’il doit verser à l’État. Il en va de même lorsque, pour des raisons de droit ou de fait, il n’a pas la possibilité de répercuter a posteriori un surcroît de TVA à ses clients.

2.        Dans cette procédure préjudicielle, la Cour doit à présent se prononcer dans un cas de figure inverse où l’assujetti a erronément appliqué, pendant une année entière, un taux trop élevé dans le calcul du montant de la taxe qui a été facturé et acquitté. L’État peut-il conserver ce surcroît de TVA ou doit-il le rembourser à l’assujetti ? Quoi qu’il en soit, la taxe n’est pas née à hauteur de ce montant. Par ailleurs, des factures ont été établies en mentionnant un montant de taxe trop élevé ce qui pourrait amener les clients à déduire un montant excessif de TVA. Ces factures doivent-elles donc être préalablement rectifiées ? En va-t-il de même lorsque les prestations ont été exclusivement fournies à des consommateurs finals n’ayant pas de droit à déduction, de sorte que ces derniers ne pourraient, en tout état de cause, pas prétendre à une déduction de la taxe payée en amont ?

3.        Si la TVA est une taxe à la consommation, le client devrait, en réalité, obtenir le remboursement par le fournisseur du surcroît de TVA qu’il a payé. Si ce remboursement n’est juridiquement pas possible (par exemple, lorsque le prix convenu était un prix fixe) ou est en fait exclu (par exemple parce que les clients ne sont pas connus nommément), la question qui se pose est de savoir qui peut rester définitivement « enrichi » par le taux erroné de la taxe : l’État ou l’assujetti qui s’est trompé ?

II.    Le cadre juridique

A.      Le droit de l’Union

4.        La directive 2006/112/CE relative au système commun de taxe sur la valeur ajoutée (ci-après la « directive TVA ») (2) trace le cadre du droit de l’Union.

5.        L’article 73 de la directive TVA, relatif à la base d’imposition, se lit comme suit :

« Pour les livraisons de biens et les prestations de services autres que celles visées aux articles 74 à 77, la base d’imposition comprend tout ce qui constitue la contrepartie obtenue ou à obtenir par le fournisseur ou le prestataire pour ces opérations de la part de l’acquéreur, du preneur ou d’un tiers, y compris les subventions directement liées aux prix de ces opérations. »

6.        L’article 78 de la directive TVA prévoit les éléments à inclure ou non dans la base d’imposition :

« Sont à comprendre dans la base d’imposition les éléments suivants :

a)      les impôts, droits, prélèvements et taxes, à l’exception de la TVA elle-même ; »

7.        L’article 193 de la directive TVA définit le redevable de cette taxe :

« La TVA est due par l’assujetti effectuant une livraison de biens ou une prestation de services imposable, sauf dans les cas où la taxe est due par une autre personne en application des articles 194 à 199 ter et de l’article 202. »

8.        L’article 168, sous a), de la directive TVA, relatif à l’étendue du droit à déduction, est libellé comme suit :

« Dans la mesure où les biens et les services sont utilisés pour les besoins de ses opérations taxées, l’assujetti a le droit, dans l’État membre dans lequel il effectue ces opérations, de déduire du montant de la taxe dont il est redevable les montants suivants :

a)      la TVA due ou acquittée dans cet État membre pour les biens qui lui sont ou lui seront livrés et pour les services qui lui sont ou lui seront fournis par un autre assujetti ; »

9.        L’article 203 de la directive TVA régit la naissance de la dette fiscale par sa mention sur une facture.

« La TVA est due par toute personne qui mentionne cette taxe sur une facture ».

10.      L’article 220, paragraphe 1, de la directive TVA régit l’obligation d’émettre une facture :

« Tout assujetti doit s’assurer qu’une facture est émise, par lui-même, par l’acquéreur ou le preneur, ou en son nom et pour son compte, par un tiers, dans les cas suivants :

1.      pour les livraisons de biens ou les prestations de services qu’il effectue pour un autre assujetti ou pour une personne morale non assujettie ; »

B.      Le droit autrichien

11.      L’article 11, paragraphe 1, point 1, de la loi fédérale relative à la taxe sur le chiffre d’affaires (Umsatzsteuergesetz 1994, ci-après l’« UStG ») régit l’obligation d’émettre une facture :

« Lorsque l’entrepreneur réalise des opérations au sens de l’article 1er, paragraphe 1, point 1, il est habilité à émettre des factures. S’il réalise des opérations destinées à un autre entrepreneur pour les besoins de l’entreprise de celui-ci ou à une personne morale, dans la mesure où il ne s’agit pas d’un entrepreneur, il est tenu d’émettre des factures. Si l’entrepreneur réalise une opération imposable de livraison de travaux ou de réalisation d’un ouvrage en rapport avec un bien immobilier qui est destinée à un non-entrepreneur, il est tenu d’émettre une facture. L’entrepreneur doit s’acquitter de son obligation d’émettre une facture dans les six mois suivant la réalisation de l’opération. »

12.      L’article 11, paragraphe 12, de l’UStG, relatif à la dette fiscale en cas de mention non autorisée de la taxe, est libellé comme suit :

« Lorsque l’entrepreneur a mentionné séparément, dans une facture afférente à une livraison ou à une autre prestation, un montant de taxe dont il n’est pas redevable en vertu de la présente loi fédérale au titre de l’opération, il est redevable de ce montant sur la base de la facture, à moins qu’il ne la rectifie en conséquence à l’égard du destinataire de la livraison ou du preneur de l’autre prestation. En cas de rectification, l’article 16, paragraphe 1, s’applique mutatis mutandis ».

13.      L’article 239a du Bundesgesetz über allgemeine Bestimmungen und das Verfahren für die von den Abgabenbehörden des Bundes, der Länder und Gemeinden verwalteten Abgaben (loi fédérale relative aux dispositions générales et à la procédure applicables aux contributions gérées par les autorités fiscales du gouvernement fédéral, des Länder et des communes, Bundesabgabenordnung – Code fédéral des impôts, ci-après le « BAO ») dispose :

« Lorsqu’une taxe qui, conformément à la finalité de la disposition fiscale, doit être supportée économiquement par une personne autre que le contribuable, a été supportée économiquement par une personne autre que le contribuable, il n’est pas procédé :

1.       à l’inscription au crédit du compte fiscal,

2.       au remboursement, au transfert ou à la cession d’avoirs ; et

3.       à l’utilisation de ceux-ci pour s’acquitter de dettes fiscales,

si cela conduirait à un enrichissement injustifié du contribuable. »

III. Les faits et la procédure préjudicielle

14.      La partie requérante devant la juridiction de renvoi (ci-après « P GmbH ») est une société à responsabilité limitée de droit autrichien.

15.      Elle exploite une aire de jeux intérieure. Au cours de l’exercice litigieux de 2019, P GmbH a soumis la rémunération de ses services (droits d’entrée à l’aire de jeux intérieure) au taux normal autrichien de 20 %. Or, les services fournis par P GmbH au cours de l’exercice litigieux de 2019 étaient soumis au taux réduit de 13 % (l’un des taux réduits en Autriche au cours de l’exercice litigieux, prévus à l’article 98, paragraphe 1, de la directive TVA).

16.      Lors du paiement de la contrepartie, P GmbH a délivré aux clients des tickets de caisse qui sont des factures de faible montant au sens de l’article 11, paragraphe 6, de l’UStG (factures simplifiées au sens des dispositions combinées de l’article 238 et de l’article 226 ter de la directive TVA). Au cours de l’exercice litigieux de 2019, P GmbH a émis, au total, 22 557 factures et ses clients étaient exclusivement des consommateurs finals n’ayant pas le droit de déduire la taxe versée en amont.

17.      P GmbH a rectifié sa déclaration de taxe sur le chiffre d’affaires pour l’année 2019 afin que le surcroît de la taxe soit porté à son crédit par le service des Finances publiques.

18.      Le service des Finances publiques a refusé toute régularisation pour deux raisons : (1) P GmbH est redevable de la taxe sur le chiffre d’affaires au taux plein pour l’avoir facturée, si elle ne rectifie pas ses factures ; (2) la taxe sur le chiffre d’affaires est supportée non pas par P GmbH mais par ses clients. P GmbH s’enrichirait donc en cas de régularisation de la taxe sur le chiffre d’affaires.

19.      P GmbH a formé un recours contre cette décision. Le Bundesfinanzgericht (tribunal fédéral des finances, Autriche), compétent en la matière, a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour, les questions préjudicielles suivantes au titre de l’article 267 TFUE :

1.       La TVA est-elle due par l’émetteur d’une facture en vertu de l’article 203 de la directive TVA lorsque, comme en l’espèce, il ne peut y avoir de risque de perte de recettes fiscales parce que les preneurs des services ne sont pas des consommateurs finals bénéficiant du droit à déduction ?

2.       S’il est répondu par l’affirmative à la première question et que l’émetteur d’une facture est donc redevable de la TVA en vertu de l’article 203 de la directive TVA :

a)       Peut-il ne pas être procédé à la rectification des factures à l’égard des preneurs si, d’une part, le risque d’une perte de recettes fiscales est exclu et si, d’autre part, il est en fait impossible de rectifier les factures ?

b)       Le fait que les consommateurs finals aient supporté la taxe dans le cadre de la contrepartie versée et que, partant, l’entrepreneur s’enrichisse en régularisant la TVA fait-il obstacle à la régularisation de celle-ci ?

20.      Lors de la procédure devant la Cour, la République d’Autriche et la Commission ont présenté des observations écrites. La Cour a décidé de ne pas tenir d’audience de plaidoiries conformément à l’article 76, paragraphe 2, du règlement de procédure.

IV.    Analyse juridique

A.      Sur les questions préjudicielles et les différentes étapes de notre examen

21.      Par ses deux questions préjudicielles, la juridiction de renvoi sollicite l’interprétation de l’article 203 de la directive TVA. Celui-ci établit une dette fiscale à charge de toute personne qui facture la TVA.

22.      Il ressort des questions et des éléments exposés ci-dessus qu’il est exclu, en l’espèce, que les clients de P GmbH bénéficient d’un droit à déduction de la TVA payée en amont, dès lors qu’ils n’étaient que des consommateurs finals (c’est-à-dire des non-assujettis). En ce qui concerne l’utilisation à titre onéreux d’une aire de jeux intérieure, il est également difficilement concevable qu’un assujetti puisse bénéficier du droit d’admission vendu par P GmbH, pour les besoins de ses opérations taxées (voir article 168 de la directive TVA).

23.      Toutefois, au cours de l’exercice litigieux, P GmbH a émis 22 557 factures à probablement 22 557 usagers différents de l’espace de jeu. Il est possible qu’il y ait eu éventuellement parmi eux un assujetti qui ait utilisé, à tort ou à raison, la facture pour prétendre à une déduction de la taxe versée en amont. Même si les questions posées par la juridiction de renvoi excluent ce dernier cas de figure, ce cas de figure reste le plus pertinent en pratique.

24.      C’est la raison pour laquelle, nous commencerons par interpréter l’article 203 de la directive TVA en supposant que les 22 557 factures mentionnant un surcroît de taxe ne comportent pas de risque de perte de recettes fiscales (rubrique B). Ensuite, nous supposerons qu’un certain risque de perte de recettes fiscales ne saurait être exclu (rubrique C). Nous enchaînerons ensuite sur la question d’une régularisation de la dette fiscale au titre de l’article 203 de la directive TVA, dans laquelle on examinera également la nécessité de rectifier 22 557 factures (rubrique D). Pour terminer, nous examinerons si P GmbH peut se voir reprocher un enrichissement injustifié lorsque les clients ont payé l’intégralité du prix (rubrique E).

B.      Sur la dette fiscale au titre de l’article 203 de la directive TVA en l’absence de risque de perte de recettes fiscales

1.      TVA mentionnée de manière erronée sur une facture

25.      Aux termes de l’article 203 de la directive TVA, la TVA est due par toute personne mentionnant la TVA sur une facture. Toutefois, en vertu de l’article 193 de la directive TVA, la TVA est déjà due par l’assujetti effectuant une livraison de biens ou une prestation de services imposable. Dans la mesure où cet assujetti est tenu, en vertu de l’article 220, paragraphe 1, point 1, de la directive TVA, d’émettre une facture à tout le moins à l’égard d’autres assujettis, cela entraînerait une deuxième obligation fiscale pour une seule et même opération. C’est en cela que l’article 203 de la directive TVA doit être d’interprétation stricte.

26.      Autrement, un assujetti qui facture correctement la TVA sur une prestation imposable serait redevable à deux reprises de la TVA : une première fois en vertu de l’article 203 et une seconde fois en vertu de l’article 193 de la directive TVA. Telle n’a pas pu être l’intention des auteurs de la directive. L’article 203 de la directive TVA n’a de sens propre que s’il prévoit une dette fiscale exorbitante de l’article 193 de la directive. L’article 203 de la directive ayant pour finalité d’éliminer le risque de perte de recettes fiscales (3) (points 30 et suivants ci-après), il ne saurait couvrir la « situation normale » dans laquelle un assujetti établit une facture exacte. Il s’ensuit que l’article 203 de la directive TVA vise « seulement » la TVA indûment facturée, c’est-à-dire une TVA non due légalement, pourtant mentionnée sur la facture.

27.      En l’espèce, c’est un montant trop élevé (par application du taux normal plutôt que du taux réduit) qui a été mentionné sur les factures. La différence qui en résulte a été mentionnée dans une facture à tort en cela, c’est-à-dire à un montant trop élevé. Cette différence pourrait être due par l’émetteur de la facture en vertu de l’article 203 de la directive TVA si les autres conditions sont remplies. Le reste du montant est déjà dû au titre de l’article 193 de la directive TVA et il n’est pas contesté.

2.      Sur la notion de facture au sens de l’article 203 de la directive TVA

28.      Il ressort de la demande de décision préjudicielle que les tickets de caisse émis sont des factures dites de faible montant qui, aux termes des dispositions combinées de l’article 238 et de l’article 226 ter de la directive TVA, requièrent moins de mentions que les factures ordinaires. Le montant de la TVA à acquitter doit cependant également y figurer.

29.      Cette facture est émise conformément au titre XI, chapitre 3, sections 3 à 6, ouvrant ainsi le droit à déduction au titre de l’article 178, sous a), en vertu de l’article 168, sous a), de la directive TVA. Contrairement à ce que pense la Commission, il est sans importance de savoir si P GmbH était somme toute tenue d’établir des factures de ce type à l’égard des consommateurs finals dès lors que l’article 220, premier alinéa, point 1, de la directive TVA n’établit pas d’obligation. L’article 203 de la directive TVA se rattache uniquement à l’existence d’une facture et, dans son énoncé, il vise tout aussi bien les factures de faible montant.

30.      Le fait que la dette fiscale au titre de l’article 203 de la directive TVA englobe (le surcroît) de TVA mentionnée séparément à tort également dans des factures de faible montant, est conforme à la jurisprudence que la Cour a consacrée à ce jour à la finalité de l’article 203 de la directive TVA. Selon cette jurisprudence, l’article 203 de la directive TVA vise à éliminer le risque de perte de recettes fiscales que peut engendrer le destinataire d’une facture qui fait jouer un droit à déduction injustifié au titre de cette facture (4).

31.      L’exercice du droit à déduction est certes limité aux seules taxes correspondant à une opération soumise à la TVA (5). Le risque de perte de recettes fiscales subsiste néanmoins tant que le destinataire d’une facture mentionnant la TVA de manière irrégulière peut encore se servir de celle-ci pour exercer le droit à déduction visé à l’article 168 de la directive TVA (6). Il n’est en effet pas exclu que l’administration fiscale ne puisse pas déterminer en temps utile que des motifs juridiques de fond s’opposent à l’exercice du droit à déduction qui existe sur le papier.

32.      L’article 203 de la directive TVA vise ainsi à faire coïncider la déduction exercée par le destinataire de la facture et la dette fiscale de l’émetteur de la facture à l’instar de ce qui se passerait normalement aussi dans une juste facturation entre le fournisseur et le preneur d’une prestation (7). Les termes de l’article 203 de la directive TVA ne requièrent pas à cet égard que le destinataire de la facture ait exercé effectivement un droit à déduction. Il suffit qu’il y ait un risque que celle-ci puisse être effectuée. Il s’ensuit, ainsi que le souligne à juste titre l’Autriche, que, dans son esprit et sa finalité, il couvre toutes les factures susceptibles d’amener leur destinataire à déduire la TVA payée en amont. Ainsi que nous l’avons exposé plus haut (points 28 et suivants), tel est également le cas des factures de faible montant.

3.      Sur la nécessité d’un risque de perte de recettes fiscales

33.      En conclusion, l’émetteur de la facture répond dès lors en dehors de toute faute (c’est-à-dire objectivement) du risque que le destinataire de la facture puisse déduire la taxe de manière injustifiée au titre de cette facture (irrégulière). Il s’agit d’une responsabilité objective de l’émetteur de la facture. Elle intervient également en cas d’erreur sur le juste taux applicable lorsque, comme en l’espèce, la facture mentionne le taux normal plutôt que le taux réduit. Or, comme le souligne à juste titre la Commission, cette responsabilité présuppose l’existence d’un risque de déduction injustifiée (trop élevée) de la TVA acquittée en amont.

34.      Il y a dès lors lieu de s’interroger sur la pertinence de l’article 203 de la directive TVA. En vertu de l’article 168 de la directive TVA, seul un assujetti a la faculté de déduire la TVA (dans des circonstances données). Un consommateur final n’a, en tant que tel, aucun droit à déduction de la taxe payée en amont.

35.      Le risque (objectif) d’une déduction injustifiée par un non-assujetti est nul, abstraction faite du cas d’une société en formation. En l’absence d’opérations soumises à la taxe, sa déduction de la taxe en amont est cependant contrôlée plus avant par l’administration fiscale. C’est également pour cette raison que la juridiction de renvoi considère que, dans une telle situation, comme en l’espèce, il ne saurait y avoir de risque de perte de recettes fiscales.

36.      Si l’article 203 de la directive TVA vise un risque dans ses conditions d’application, pareil risque est exclu en soi puisque les preneurs de la prestation et les destinataires de la facture ne sont pas des assujettis mais des consommateurs finals, en sorte que l’article 203 de la directive TVA ne saurait trouver à s’appliquer.

4.      Conclusion intermédiaire

37.      Il s’ensuit que la première question peut recevoir la réponse suivante : lorsque les preneurs des services sont des consommateurs finals ne bénéficiant pas du droit à déduction, l’émetteur d’une facture n’est pas redevable de la TVA en vertu de l’article 203 de la directive TVA.

C.      Sur la dette fiscale au titre de l’article 203 de la directive TVA lorsque le risque de perte de recettes fiscales n’est pas à exclure

38.      L’Autriche en particulier conteste le contexte exposé par la juridiction de renvoi qui estime qu’il n’y aurait pas de risque de perte de recettes fiscales. S’il apparaît plausible que les usagers d’une aire de jeux intérieure ne soient que des consommateurs finals et non des personnes assujetties à la TVA, on ne saurait toutefois exclure d’emblée qu’il y ait malgré tout l’un ou l’autre assujetti parmi les usagers et acheteurs des 22 557 billets d’entrée (c’est-à-dire de factures).

39.      Il est concevable, par exemple, qu’un père se rende avec son fils dans cette aire de jeux intérieure. Si ce père est un assujetti (par exemple une photographe indépendant), il existerait, à tout le moins, un risque objectif que cette facture soit reprise dans sa déclaration à la TVA – à juste titre (il vend les photographies qui y ont été prises) ou à tort (il s’agit de clichés privés) et qu’à ce titre un droit à déduction trop élevé puisse être exercé. L’article 203 de la directive TVA serait alors applicable. C’est, en définitive, à la juridiction de renvoi qu’il appartient d’apprécier si, et dans quelle mesure, la symétrie entre la charge fiscale du fournisseur et la déduction de la TVA en amont par le preneur de la prestation risque objectivement d’être rompue.

40.      Toutefois, même si un certain risque objectif ne peut être exclu dans des cas particuliers, cela n’implique pas que la dette fiscale au titre de l’article 203 de la directive TVA s’étende à l’ensemble des 22 557 factures. Une telle « contamination », consistant à considérer que dès lors qu’il ne saurait être exclu qu’un assujetti ait néanmoins reçu la facture voulue, l’intégralité des factures relève de l’article 203 de la directive, est étrangère au droit de la TVA et n’est pas davantage justifiée par l’Autriche.

41.      La dette fiscale au titre de l’article 203 de la directive porte sur chacune des factures erronées. Le cas échéant, il y a lieu, par voie d’estimation que les règles de la procédure fiscale permettent en principe toujours, de déterminer le nombre de « factures à risque » objectivement et de limiter la dette fiscale au titre de l’article 203 de la directive à celles-ci. Cette dernière analyse est également conforme au principe de neutralité selon lequel l’assujetti, en tant que collecteur de la taxe sur la valeur ajoutée pour le compte de l’État, ne doit en principe pas supporter lui-même de la TVA (8).

42.      En l’espèce, la nature de la prestation imposable (droit d’accès à une aire de jeux intérieure), qui ne sera en tout cas sollicitée par un assujetti qu’à titre exceptionnel, permet de considérer que les risques éventuels sont très réduits.

43.      Il s’ensuit que la réponse à la première question peut être complétée comme suit : en revanche, dans la mesure où il y avait aussi des assujettis parmi les destinataires des factures, la dette fiscale naît au titre de l’article 203 de la directive TVA. La proportion de ces factures, qui créent un risque objectif, doit, le cas échéant, être déterminée par voie d’estimation.

D.      Erreur sur le taux de la taxe et obligation de rectifier les factures

44.      Dans la mesure où l’article 203 de la directive TVA s’applique, la question de la possibilité de rectifier ces factures se pose afin de réduire une dette fiscale trop élevée (au titre d’une facture) à la taxe légalement due par application des règles de fond (au titre d’une opération imposable) en vertu de l’article 193 de la directive TVA. La question se poserait dans la même mesure si, contrairement à ce que nous proposons, la Cour étendait également la dette fiscale au titre de l’article 203 de la directive TVA à l’émission d’une facture à des consommateurs finals non assujettis.

1.      La jurisprudence de la Cour relative à la possibilité de régularisation

45.      À cet égard, la Cour a déjà jugé que la directive TVA ne contient pas de dispositions relatives à la régularisation, par l’émetteur de la facture, de la TVA indûment facturée (9). Aussi longtemps que cette lacune n’aura pas été comblée par le législateur de l’Union, il appartient aux États membres d’y apporter une solution (10). Pour parvenir à cette solution, la Cour a toutefois dégagé deux approches que les États membres doivent prendre en considération.

46.      À cet égard, pour assurer la neutralité de la TVA, il appartient aux États membres de prévoir, dans leur ordre juridique interne, la possibilité de régulariser toute taxe indûment facturée, dès lors que l’émetteur de la facture démontre sa bonne foi (11).

47.      Cela écarte, par exemple, selon la Cour, une réglementation nationale qui exclut la régularisation de l’impôt après l’ouverture d’un contrôle fiscal (12). Il en va de même lorsque la régularisation de la dette fiscale d’un émetteur de bonne foi est subordonnée à la rectification de factures, matériellement impossible dès lors que les destinataires des factures ne sont même pas connus nominativement. Une telle condition serait disproportionnée (13).

48.      De surcroît, lorsque l’émetteur de la facture a, en temps utile, éliminé complètement le risque de perte de recettes fiscales, le principe de neutralité de la TVA exige que la TVA indûment facturée puisse être corrigée sans qu’une telle régularisation puisse être subordonnée par les États membres à la bonne foi de l’émetteur de ladite facture (14). Cette correction ne saurait dépendre du pouvoir d’appréciation discrétionnaire de l’administration fiscale (15).

a)      Régularisation de la dette fiscale d’un émetteur de bonne foi d’une facture

49.      Il résulte de cette jurisprudence que, nonobstant le risque résiduel de perte de recettes fiscales, l’assujetti qui démontre sa bonne foi peut régulariser la TVA indûment facturée (est ici visée sa dette fiscale au titre de l’article 203 de la directive TVA) (16).

50.      Cette jurisprudence (17) tient compte du fait que l’entrepreneur qui fournit la prestation (qui émet également la facture ou qui est tenu en partie de l’émettre – voir l’article 220 de la directive TVA) a une simple fonction de collecteur de taxes pour le compte de l’État (18). Dans ses observations, la Commission le qualifie même de « prolongement du bras financier ». S’il accomplit cette fonction de bonne foi, l’État qui l’a impliqué en tant que collecteur des taxes doit alors répondre des conséquences d’éventuelles erreurs.

51.      On n’aperçoit pas précisément dans la demande de décision préjudicielle la raison pour laquelle P GmbH a retenu le taux d’imposition erroné. À cet égard, il appartient à la juridiction de renvoi de vérifier si, en l’espèce, on peut parler ici d’un émetteur de bonne foi en ce sens. Toutefois, il convient de tenir compte à cet égard du fait que le taux exact d’imposition dépend parfois de questions juridiques épineuses de définition et que parfois sa détermination n’est pas absolument sûre. Dans de tels cas, il existe un risque élevé d’erreur de droit. Plus la directive TVA ou la loi nationale relative à la TVA est complexe, plus grand est le risque à cet égard pour l’assujetti.

52.      Dès lors, si le taux d’imposition a été appliqué uniquement en raison d’une appréciation juridique erronée (erreur de droit), on doit considérer, selon nous, que l’émetteur de la facture est de bonne foi. On songe par exemple à un taux d’imposition controversé face auquel l’assujetti a opté pour l’approche qui se révélera ultérieurement être erronée. Il peut en aller autrement lorsque l’assujetti ne s’est absolument pas interrogé sur le taux d’imposition c’est-à-dire que le taux applicable était sans équivoque. Une telle erreur de droit ne serait ni compréhensible ni explicable, de sorte que nous ne parlerons pas non plus d’un émetteur de bonne foi en ce sens. Ce qui importe est donc de savoir si l’on peut faire grief à un assujetti agissant en tant que collecteur de la taxe pour le compte de l’État d’avoir émis la facture erronée.

53.      Dès lors, si la juridiction de renvoi détermine que P GmbH a appliqué erronément le taux normal en agissant de bonne foi en ce sens, il est sans incidence que le risque de perte de recettes fiscales ait été éliminé. Le risque de perte de recettes fiscales résultant uniquement de l’existence des factures erronées, il ne serait pas nécessaire de rectifier les factures pour régulariser la dette fiscale.

b)      Régularisation de la dette fiscale indépendamment de la bonne foi de l’émetteur de la facture

54.      Toutefois, la question de la rectification des factures aux fins de l’élimination du risque de perte de recettes fiscales se pose si la juridiction de renvoi parvient à la conclusion que l’assujetti n’a pas émis la facture de bonne foi. Dans ce cas, la dette fiscale au titre de l’article 203 de la directive TVA ne peut être régularisée que si le risque de perte de recettes fiscales a été intégralement éliminé en temps utile.

55.      Toutefois, ainsi que la Cour l’a indiqué, les mesures que les États membres ont la faculté d’adopter afin d’assurer l’exacte perception de la taxe et d’éviter la fraude ne doivent pas aller au-delà de ce qui est nécessaire pour atteindre de tels objectifs. Elles ne peuvent, dès lors, être utilisées de manière telle qu’elles remettraient en cause la neutralité de la TVA, laquelle constitue un principe fondamental du système commun de la TVA mis en place par la législation communautaire en la matière (19). Cela vaut en particulier pour une responsabilité objective (voir les points 34 et 35 des présentes conclusions).

56.      En conséquence, si le remboursement de la TVA, on songe ici à la réduction de la taxe due au titre de l’article 203 de la directive TVA, devient impossible ou excessivement difficile en fonction des conditions dans lesquelles des demandes de restitution de taxes peuvent être exercées, lesdits principes peuvent exiger que les États membres prévoient les instruments et les modalités procédurales nécessaires pour permettre à l’assujetti de récupérer la taxe indûment facturée (20).

57.      Or, selon la juridiction de renvoi, il n’y a pas de risque de perte de recettes fiscales en l’espèce. Dans ce cas, il n’est pas non plus nécessaire de rectifier les factures.

2.      Sur les suites à donner à l’impossibilité matérielle d’apporter une rectification

58.      Toutefois, dans la mesure où un certain risque existe (voir, à cet égard, points 38 et suivants des présentes conclusions), ce qu’il appartient à la juridiction de renvoi d’apprécier et qui pourrait, au besoin, être déterminé par voie d’estimation, une correction serait en principe nécessaire pour remédier à ce risque de perte de recettes fiscales résultant de l’existence de ces factures erronées.

59.      La juridiction de renvoi s’interroge, à cet égard, sur le point de savoir si ce principe peut être maintenu en cas d’impossibilité matérielle de rectifier les factures concernées, dès lors que les destinataires des factures ne sont même pas nommément connus. Exiger l’impossible de l’émetteur de la facture pourrait constituer une exigence disproportionnée. D’autre part, comme le souligne l’Autriche, l’émetteur de la facture n’a fait que créer, par son comportement, un risque de perte de recettes fiscales.

60.      Nous estimons que dans ce cas, à savoir lorsqu’il y a un risque de perte de recettes fiscales et une impossibilité matérielle de rectifier les factures erronément émises, la solution dépend là aussi de l’examen de l’erreur. Cela est conforme à la jurisprudence de la Cour qui protège l’émetteur de bonne foi d’une facture (voir les points 52 et suivants des présentes conclusions) tandis qu’il incombe à l’émetteur de facture qui n’a pas agi de bonne foi d’éliminer le risque de perte de recettes fiscales. Si cela ne peut se faire que par une rectification de la facture, il supportera les conséquences de l’impossibilité d’y procéder.

61.      Le risque de perte de recettes fiscales résultant de l’existence des factures erronées, celles-ci doivent en principe être rectifiées. Si l’on n’y parvient pas, la dette fiscale au titre de l’article 203 de la directive TVA ne peut pas non plus être réduite. Contrairement à ce que pense la Commission, il est sans incidence que l’émission de la facture fût obligatoire, dès lors qu’il s’agit de l’annulation d’une dette de TVA née du fait d’une facture erronée (voir points 25 et suivants des présentes conclusions).

3.      Conclusion intermédiaire

62.      Le droit de l’Union, en particulier les principes de proportionnalité et de neutralité de la TVA, commande de pouvoir régulariser la dette de TVA, qui est conçue à l’article 203 de la directive TVA comme une responsabilité objective pour risque. L’obligation d’autoriser une régularisation est indépendante de l’élimination du risque de perte de recettes fiscales né de la facturation erronée, lorsque l’émetteur de la facture a agi de bonne foi, en étant, par exemple, victime d’une simple erreur de droit. Dans la mesure où il n’a pas agi de bonne foi, le risque de perte de recettes fiscales doit être éliminé. À cet effet, la facture doit en principe être rectifiée. Si l’émetteur de la facture n’en a pas la possibilité, cette impossibilité fait partie des risques qu’il doit assumer. On s’en tient alors à la dette fiscale au titre de l’article 203 de la directive TVA.

E.      Sur le grief d’enrichissement injustifié

63.      Par la sous-question 2b), la juridiction de renvoi cherche à savoir, en substance, si le fait que les consommateurs finals ont supporté le surcroît de TVA dans le cadre du prix convenu s’oppose à la régularisation de la dette fiscale au titre de l’article 203 de la directive TVA, de sorte que, en définitive, seul l’assujetti fournisseur (en l’occurrence P GmbH) serait enrichi.

64.      Le droit de l’Union admet qu’un système juridique national (tel que, en l’espèce, l’article 239a de la BAO) refuse le remboursement de taxes indûment perçues lorsqu’il entraîne un enrichissement injustifié des ayants droit (21). Toutefois, « le principe d’interdiction de l’enrichissement sans cause doit être mis en œuvre, pour être conforme au droit communautaire, dans le respect de principes tels que le principe d’égalité de traitement » (22).

65.      Or, ainsi que la Cour l’a déjà jugé, pour qu’il y ait enrichissement, il ne suffit pas que la taxe non conforme au droit de l’Union ait été répercutée sur le consommateur final au travers du prix. En effet, même si la taxe a été intégralement incorporée dans le prix, il reste que l’assujetti peut avoir subi un préjudice économique lié à une diminution du volume de ses ventes (23).

66.      En l’espèce, une entreprise concurrente de P GmbH et pratiquant le même prix n’aurait vu le prix grevé de la TVA qu’à hauteur de 13/113 et non de 20/120. À prix égal, P GmbH avait une marge bénéficiaire inférieure à celle d’un concurrent comparable en raison de son erreur sur le taux de la taxe. En revanche, à partir de la même marge bénéficiaire, P GmbH aurait dû calculer un prix plus élevé en raison de son erreur, ce qui aurait constitué un désavantage concurrentiel. Cela récuse, en l’espèce, un enrichissement injustifié de P GmbH.

67.      Par ailleurs, ainsi que la Cour l’a également relevé, pour que le grief tiré par l’État membre d’un enrichissement injustifié soit accueilli, il faut que la charge économique que la taxe indûment perçue a fait peser sur l’assujetti ait été intégralement neutralisée (24).

68.      Or, l’existence et la mesure de l’enrichissement injustifié que le remboursement d’une taxe indûment perçue au regard du droit de l’Union engendrerait pour un assujetti ne pourront être établies qu’au terme d’une analyse économique qui tienne compte de toutes les circonstances pertinentes (25). À cet égard, la charge de la preuve d’un enrichissement injustifié incombe à l’État membre (26). On ne saurait admettre que, en matière de taxes indirectes (il en va de même de la TVA indirectement perçue en l’espèce), il existe une présomption selon laquelle la répercussion a eu lieu (27).

69.      Il appartient à la juridiction de renvoi de vérifier si elle a eu lieu ou non (28). La Cour quant à elle peut fournir à cet égard des indications utiles à la prise en compte exhaustive de toutes les circonstances.

70.      D’une part, il convient de tenir compte du fait que, dans un cas comme celui de l’espèce, où les consommateurs finals, qui supportent effectivement la taxe sur la valeur ajoutée, ne sont pas connus, la TVA perçue erronément à un taux trop élevé « enrichit » soit l’État, soit l’auteur de la prestation. C’est bien pour cette raison que la Commission estime que l’administration fiscale ne saurait, en principe, invoquer un enrichissement injustifié de P GmbH. En l’espèce, la législation fiscale autrichienne n’accorde à l’État qu’un taux réduit (c’est-à-dire à hauteur de 13/113 du prix) pour les prestations fournies par P GmbH. Le surcroît constitue, dans le fond, un « enrichissement injustifié » de l’État. En revanche, en droit civil, le redevable de la taxe avait droit à la totalité du prix négocié avec les consommateurs finals.

71.      D’autre part, s’agissant des prestations fournies à des consommateurs finals, la manière dont le prix définitif est constitué est, en règle générale, dépourvue de pertinence, dès lors que ceux-ci ne peuvent prétendre à une déduction de la taxe payée en amont. Contrairement à ce que prétend la Commission, l’erreur qui entache les propres bases de calcul du prix n’affecte pas, en principe, la créance de droit civil sur le prix convenu avec les consommateurs finals si et dans la mesure où le montant concret de la TVA n’est pas devenu un élément constitutif particulier du contrat.

72.      Cette conclusion est corroborée par les articles 73 et suivants de la directive TVA. Selon cette disposition, la base d’imposition comprend tout ce qui constitue la contrepartie que le fournisseur de la prestation est censé recevoir du preneur. C’est le prix convenu. En vertu de l’article 78, point a), de la directive TVA, la TVA elle-même n’est pas comprise dans la base d’imposition. Dans le système de la directive TVA, la TVA est donc toujours comprise, de plein droit, dans le prix convenu. La Cour l’a confirmé récemment, même en cas de fraude à la TVA (29).

73.      Mais si, indépendamment de la mention correcte sur la facture, le montant exact de la TVA est toujours répercuté sur le consommateur final [Article 73 et article 78, point a), de la directive TVA], on ne peut alors pas dire que le consommateur final a supporté un surcroît de TVA et que, de ce fait, ici la P GmbH est injustement enrichie lorsque l’État rembourse la taxe qui n’était pas légalement due. Le consommateur final a déjà supporté la TVA à son juste montant (voir articles 73 et 78 de la directive TVA), mais elle avait simplement été calculée à un montant erroné et mentionnée à un montant erroné dans la facture.

74.      À cet égard, la Cour a déjà précisé que, dans l’appréciation globale qui s’impose, la question de savoir si les contrats conclus entre les parties prévoient à titre de rémunération des services des montants fixes ou des montants de base majorés, le cas échéant, des taxes applicables, peut être déterminante. Dans la première hypothèse, à savoir la fixation d’un montant fixe, il n’y a probablement pas d’enrichissement injustifié du fournisseur de la prestation (30). Nous irions même un peu plus loin dans l’hypothèse d’un montant fixe convenu à l’égard d’un consommateur final et de la répercussion de la TVA, en excluant, par définition, un enrichissement injustifié de l’assujetti fournisseur de la prestation. Ce dernier a dû s’accommoder soit d’une marge bénéficiaire inférieure, soit d’une compétitivité moindre par rapport à ses concurrents.

75.      Dès lors, le fait que les consommateurs finals ont payé un prix final calculé de manière erronée (parce qu’il contenait une part trop élevée de TVA et une marge bénéficiaire trop faible) n’empêche pas de régulariser une dette fiscale née au titre de l’article 203 de la directive TVA. Lorsqu’un montant dit fixe (prix fixe) a été convenu, il n’en résulte, en tout état de cause, pas d’enrichissement injustifié de l’assujetti. Il peut en aller autrement si le prix convenu s’entendait d’un prix majoré de la TVA légalement due. Or, cette hypothèse peut être écartée en l’espèce.

V.      Conclusion

76.      Nous proposons ainsi à la Cour de répondre comme suit aux questions préjudicielles du Bundesfinanzgericht (tribunal fédéral des finances, Autriche) :

1.      Lorsque les preneurs des services sont des consommateurs finals ne bénéficiant pas du droit à déduction, l’émetteur d’une facture n’est pas redevable de la TVA en vertu de l’article 203 de la directive TVA. En revanche, dans la mesure où il y avait aussi des assujettis parmi les destinataires des factures, la dette fiscale naît au titre de l’article 203 de la directive TVA. La proportion de ces factures doit, le cas échéant, être déterminée par voie d’estimation.

2.      Les principes de proportionnalité et de neutralité de la TVA commandent de pouvoir régulariser la dette de TVA, qui est conçue à l’article 203 de la directive TVA comme une responsabilité objective pour risque. L’obligation d’autoriser une régularisation est indépendante de l’élimination du risque de perte de recettes fiscales né de la facturation erronée, lorsque l’émetteur de la facture a agi de bonne foi. L’assujetti agit de bonne foi lorsqu’il est victime d’une erreur de droit excusable. En revanche, dans la mesure où il n’a pas agi de bonne foi en ce sens, l’élimination du risque de perte de recettes fiscales est une condition impérative. À cet effet, la facture doit en principe être rectifiée. Si l’émetteur de la facture n’en a pas la possibilité, cette impossibilité fait partie des risques qu’il doit assumer. On s’en tient alors à la dette fiscale au titre de l’article 203 de la directive TVA.

3.      Le fait que les consommateurs finals ont payé un prix calculé de manière erronée (parce qu’il contenait une part trop élevée de TVA et de ce fait une marge bénéficiaire trop faible) n’empêche pas de régulariser une dette fiscale née au titre de l’article 203 de la directive TVA. Lorsqu’un montant dit fixe (prix fixe) a été convenu, il n’en résulte, en tout état de cause, pas d’enrichissement injustifié de l’assujetti.


1      Langue originale : l’allemand.


2      Directive du Conseil, du 28 novembre 2006 (JO 2006, L 347, p. 1) dans la version en vigueur pour l’exercice litigieux (2019) ; modifiée à l’époque en dernier lieu par la directive 2018/2057 du Conseil, du 20 décembre 2018 (JO 2018, L 329, p. 3).


3      En ce sens expressément notamment arrêts du 18 mars 2021, P (Tankkarten) (C-48/20, EU:C:2021:215, point 27) ; et du 8 mai 2019, EN.SA. (C-712/17, EU:C:2019:374, point 32).


4      En ce sens expressément arrêts du 18 mars 2021, P (Tankkarten) (C-48/20, EU:C:2021:215, point 27) ; du 8 mai 2019, EN.SA. (C-712/17, EU:C:2019:374, point 32) ; du 11 avril 2013, Rusedespred (C-138/12, EU:C:2013:233, point 24) ; du 31 janvier 2013, Stroy trans (C-642/11, EU:C:2013:54, point 32) ; du 31 janvier 2013, LVK (C-643/11, EU:C:2013:55, points 35 et 36) ; du 18 juin 2009, Stadeco (C-566/07, EU:C:2009:380, points 28 et suivants).


5      Arrêt du 13 décembre 1989, Genius (C-342/87, EU:C:1989:635, point 13).


6      En ce sens expressément arrêt du 18 juin 2009, Stadeco (C-566/07, EU:C:2009:380, points 28 et suivants) citant l’arrêt du 19 septembre 2000, Schmeink & Cofreth et Strobel (C-454/98, EU:C:2000:469, point 57).


7      Voir sur ce point également les conclusions que nous avons présentées dans l’affaire EN.SA. (C-712/17, EU:C:2019:35, points 31 et suivants).


8      Voir en ce sens arrêts du 13 mars 2008, Securenta (C-437/06, EU:C:2008:166, point 25) ; et du 1er avril 2004, Bockemühl (C-90/02, EU:C:2004:206, point 39).


9      En ce sens expressément arrêts du 18 mars 2021, P (Tankkarten) (C-48/20, EU:C:2021:215, point 30) ; du 15 mars 2007, Reemtsma Cigarettenfabriken (C-35/05, EU:C:2007:167, point 38) ; du 19 septembre 2000, Schmeink & Cofreth et Strobel (C-454/98, EU:C:2000:469, point 48).


10      Arrêts du 18 juin 2009, Stadeco (C-566/07, EU:C:2009:380, point 35) ; du 6 novembre 2003, Karageorgou e.a. (C-78/02 à C-80/02, EU:C:2003:604, point 49) ; du 19 septembre 2000, Schmeink & Cofreth et Strobel (C-454/98, EU:C:2000:469, point 49) ; et du 13 décembre 1989, Genius (C 342/87, EU:C:1989:635, point 18).


11      Arrêts du 18 mars 2021, P (Tankkarten) (C-48/20, EU:C:2021:215, point 31) ; du 2 juillet 2020, Terracult (C-835/18, EU:C:2020:520, point 27) ; du 8 mai 2019, EN.SA. (C-712/17, EU:C:2019:374, point 33) ; du 31 janvier 2013, Stroy trans (C-642/11, EU:C:2013:54, point 33) ; du 18 juin 2009, Stadeco (C-566/07, EU:C:2009:380, point 36) ; et du 13 décembre 1989, Genius (C-342/87, EU:C:1989:635, point 18).


12      Arrêt du 18 mars 2021, P (Tankkarten) (C-48/20, EU:C:2021:215, point 33).


13      En ce sens à propos d’une condition devenue impossible à remplir voir arrêt du 11 avril 2013, Rusedespred (C-138/12, EU:C:2013:233, point 34).


14      Arrêts du 2 juillet 2020, Terracult (C-835/18, EU:C:2020:520, point 28) ; du 8 mai 2019, EN.SA. (C-712/17, EU:C:2019:374, point 33) ; du 31 janvier 2013, LVK (C-643/11, EU:C:2013:55, point 37) ; du 18 juin 2009, Stadeco (C-566/07, EU:C:2009:380, point 37) ; du 6 novembre 2003, Karageorgou u.a. (C-78/02 à C-80/02, EU:C:2003:604, point 50) ; et du 19 septembre 2000, Schmeink & Cofreth et Strobel (C-454/98, EU:C:2000:469, point 58).


15      Arrêts du 18 juin 2009, Stadeco (C-566/07, EU:C:2009:380, point 38) ; et du 19 septembre 2000, Schmeink & Cofreth et Strobel (C-454/98, EU:C:2000:469, point 68).


16      Arrêts du 18 juin 2009, Stadeco (C-566/07, EU:C:2009:380, point 36) ; et du 13 décembre 1989, Genius (C-342/87, EU:C:1989:635, point 18).


17      L’arrêt de principe a été l’arrêt du 13 décembre 1989, Genius (C-342/87, EU:C:1989:635, point 18). Depuis, ce texte fondateur a été constamment réaffirmé sans véritablement préciser une seule fois en quoi et à quelles conditions on peut parler d’un assujetti de bonne foi dans ce contexte ; voir seulement arrêts du 18 mars 2021, P (Tankkarten) (C-48/20, EU:C:2021:215, points 31 et suivants) ; du 2 juillet 2020, Terracult (C-835/18, EU:C:2020:520, point 27) ; du 8 mai 2019, EN.SA. (C-712/17, EU:C:2019:374, point 33) ; du 31 janvier 2013, Stroy trans (C-642/11, EU:C:2013:54, point 33) ; et du 18 juin 2009, Stadeco (C-566/07, EU:C:2009:380, point 36).


18      Arrêts du 11 novembre 2021, ELVOSPOL (C-398/20, EU:C:2021:911, point 31) ; du 15 octobre 2020, E. (Mehrwertsteuer – Verminderung der Steuerbemessungsgretlage) (C-335/19, EU:C:2020:829, point 31) ; du 8 mai 2019, A-PACK CZ (C-127/18, EU:C:2019:377, point 22) ; du 23 novembre 2017, Di Maura (C-246/16, EU:C:2017:887, point 23) ; du 13 mars 2008, Securenta (C-437/06, EU:C:2008:166, point 25) ; et du 1er avril 2004, Bockemühl (C-90/02, EU:C:2004:206, point 39).


19      Arrêt du 18 juin 2009, Stadeco (C-566/07, EU:C:2009:380, point 39) ; voir par analogie arrêt du 19 septembre 2000, Schmeink & Cofreth et Strobel (C-454/98, EU:C:2000:469, point 59 et jurisprudence citée).


20      Arrêt du 18 juin 2009, Stadeco (C-566/07, EU:C:2009:380, point 40) ; voir en ce sens et par analogie arrêt du 15 mars 2007, Reemtsma Cigarettenfabriken (C-35/05, EU:C:2007:167, point 41).


21      Arrêts du 18 juin 2009, Stadeco (C-566/07, EU:C:2009:380, point 48) ; du 10 avril 2008, Marks & Spencer (C-309/06, EU:C:2008:211, point 41) ; du 21 septembre 2000, Michaïlidis (C-441/98 et C-442/98, EU:C:2000:479, point 31) ; et du 24 mars 1988, Commission/Italie (104/86, EU:C:1988:171, point 6).


22      Arrêt du 10 avril 2008, Marks & Spencer (C-309/06, EU:C:2008:211, point 41).


23      Arrêts du 6 septembre 2011, Lady & Kid u.a. (C-398/09, EU:C:2011:540, point 21) ; du 10 avril 2008, Marks & Spencer (C-309/06, EU:C:2008:211, points 42 et 56) ; et du 14 janvier 1997, Comateb e.a. (C-192/95 à C-218/95, EU:C:1997:12, points 29 et suivants).


24      Arrêt du 16 mai 2013, Alakor Gabonatermelő és Forgalmazó Kft. (C-191/12, EU:C:2013:315, point 28). On songe par exemple à une subvention du prix erronément trop élevé que l’État membre aurait pratiquée dans le même temps. Ce cas de figure ne se présente toutefois pas ici.


25      Arrêts du 18 juin 2009, Stadeco (C-566/07, EU:C:2009:380, point 49), du 10 avril 2008, Marks & Spencer (C-309/06, EU:C:2008:211, point 43), et du 2 octobre 2003, Weber’s Wine World e.a. (C-147/01, EU:C:2003:53, point 100).


26      C’est en ce sens que l’on pourrait probablement comprendre les motifs de l’arrêt du 24 mars 1988, Commission/Italie (104/86, EU:C:1988:171, point 11). Dans le même sens on consultera l’arrêt du 6 septembre 2011, Lady & Kid e.a. (C-398/09, EU:C:2011:540, point 20), qui parle à l’endroit du non-remboursement de taxes non-dues parle d’une dérogation d’interprétation stricte. Voir également arrêt du 21 septembre 2000, Michaïlidis (C-441/98 et C-442/98, EU:C:2000:479, point 33).


27      En ce sens expressément arrêt du 14 janvier 1997, Comateb e.a. (C-192/95 à C-218/95, EU:C:1997:12, point 25 à la fin).


28      Arrêts du 18. juin 2009, Stadeco (C-566/07, EU:C:2009:380, point 50), du 10 avril 2008, Marks & Spencer (C-309/06, EU:C:2008:211, point 44), du 21 septembre 2000, Michaïlidis (C-441/98 et C-442/98, EU:C:2000:479, point 32), et du 14 janvier 1997, Comateb e.a. (C-192/95 à C-218/95, EU:C:1997:12, points 23 et 25).


29      Arrêt du 1er juillet 2021, Tribunal Económico Administrativo Regional de Galicia (C-521/19, EU:C:2021:527, point 34). La Cour a censuré à juste titre l’administration fiscale qui voulait majorer de TVA, à titre de sanction, le prix (exonéré) convenu.


30      Dans un sens similaire déjà, arrêt du 18. juin 2009, Stadeco (C-566/07, EU:C:2009:380, point 50).