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Édition provisoire

CONCLUSIONS DE L’AVOCATE GÉNÉRALE

MME JULIANE KOKOTT

du 1er décembre 2022 (1)

Affaire C-620/21

MOMTRADE RUSE OOD

contre

Direktor na Direktsia « Obzhalvane i danachno-osiguritelna praktika » Varna pri Tsentralno upravlenie na Natsionalnata agentsia za prihodite

[demande de décision préjudicielle formée par le Varhoven administrativen sad (Cour administrative suprême, Bulgarie)]

« Renvoi préjudiciel – Directive TVA – Article 132, paragraphe 1, sous g) – Exonération des prestations de services étroitement liées à l’aide et à la sécurité sociales – Organismes reconnus comme ayant un caractère social – État membre concerné qui reconnaît le caractère social de l’organisme »






I.      Introduction

1.        L’évolution démographique et la mondialisation touchent aussi le droit de l’Union en matière de TVA. La présente procédure en est l’illustration. Une entreprise établie en Bulgarie détache ses salariés dans l’Union, notamment auprès de personnes (physiques) résidant en Allemagne et en Autriche qui ont besoin, pour des raisons d’âge ou de santé, d’une aide à domicile et également de soins. En principe, le lieu de prestation de ces services à des personnes physiques est localisé au siège du prestataire, c’est-à-dire, en l’occurrence, en Bulgarie. Par conséquent, le droit bulgare est applicable aux fins de l’imposition correcte à la TVA et, partant, de l’exonération de ces prestations de services effectuées en Allemagne ou en Autriche.

2.        L’exonération fiscale en question concerne les prestations de services étroitement liées à l’aide et à la sécurité sociales fournies par des « organismes reconnus comme ayant un caractère social par l’État membre concerné ». La question déterminante est de savoir quel est cet « État membre concerné ». S’agit-il de celui sur le territoire duquel les services exonérés sont fournis (pays de destination) dans la mesure où ce sont les systèmes sociaux de ce dernier qui supportent en règle générale le coût de la prestation ? Ou s’agit-il de celui qui aurait bénéficié du produit de la taxe si la prestation n’était pas exonérée ? S’agissant de prestations de services à des personnes non assujetties, comme dans la présente affaire, ce serait le pays d’origine ; pour des prestations fournies à des assujettis (par exemple un hôpital situé à l’étranger), ce serait le pays de destination.

3.        L’une et l’autre solutions entraînent des problèmes pratiques. Lorsque c’est l’État membre de destination qui adopte la décision quant à la reconnaissance de l’organisme comme ayant un caractère social, l’État membre d’origine peut difficilement vérifier cette décision, bien que cela puisse affecter indirectement ses recettes fiscales. Si l’État membre d’origine est compétent pour cette reconnaissance, il pourrait alors, en adoptant une pratique très généreuse en la matière, constituer une localisation idéale pour des prestations transfrontalières d’aide sociale. Cela pourrait entraîner des distorsions de concurrence avec les entreprises établies dans le pays de destination, distorsions qu’il s’agit justement d’éviter par un système harmonisé de TVA.

4.        Cependant, puisqu’une seule solution doit s’appliquer, il appartient à la Cour de décider, dans cette affaire, si l’exonération des opérations effectuées par certains organismes devant être reconnus par l’« État membre concerné » dépend toujours de l’État du lieu de la prestation au regard de la TVA (en l’occurrence la Bulgarie) ou toujours du pays de destination (en l’occurrence l’Allemagne ou l’Autriche).

II.    Le cadre juridique

A.      Le droit de l’Union

5.        La directive 2006/112/CE, relative au système commun de taxe sur la valeur ajoutée (ci-après la « directive TVA ») définit le cadre juridique de l’Union (2) :

6.        L’article 45 de la directive TVA concerne le lieu de prestation de services à une personne non assujettie et dispose :

« Le lieu des prestations de services fournies à une personne non assujettie est l’endroit où le prestataire a établi le siège de son activité économique. Toutefois, si ces prestations sont effectuées à partir de l’établissement stable du prestataire situé en un lieu autre que l’endroit où il a établi le siège de son activité économique, le lieu des prestations de ces services est l’endroit où cet établissement stable est situé. À défaut d’un tel siège ou d’un tel établissement stable, le lieu des prestations de services est l’endroit où le prestataire a son domicile ou sa résidence habituelle. »

7.        L’article 132, paragraphe 1, sous g), de la directive TVA régit l’exonération :

« (1) Les États membres exonèrent les opérations suivantes :

g)      les prestations de services et les livraisons de biens étroitement liées à l’aide et à la sécurité sociales, y compris celles fournies par les maisons de retraite, effectuées par des organismes de droit public ou par d’autres organismes reconnus comme ayant un caractère social par l’État membre concerné ; »

8.        L’article 133, premier alinéa, sous c), de la directive TVA permet aux États membres de subordonner l’octroi de l’exonération susmentionnée à une condition :

« Les États membres peuvent subordonner, au cas par cas, l’octroi, à des organismes autres que ceux de droit public, de chacune des exonérations prévues à l’article 132, paragraphe 1, points b), g), h), i), l), m) et n), au respect de l’une ou plusieurs des conditions suivantes :

c)      ces organismes doivent pratiquer des prix homologués par les autorités publiques ou n’excédant pas de tels prix ou, pour les opérations non susceptibles d’homologation des prix, des prix inférieurs à ceux exigés pour des opérations analogues par des entreprises commerciales soumises à la TVA. »

9.        L’article 134, sous a), de la directive TVA prévoit :

« Les livraisons de biens et les prestations de services sont exclues du bénéfice de l’exonération prévue à l’article 132, paragraphe 1, points b), g), h), i), l), m) et n), dans les cas suivants :

a)      lorsqu’elles ne sont pas indispensables à l’accomplissement des opérations exonérées ; »

B.      Le droit national

10.      La directive TVA a été transposée par la Zakon za danaka varhu dobavenata stoynost (loi relative à la taxe sur la valeur ajoutée, ci-après la « ZDDS »).

11.      Conformément à l’article 21 de la ZDDS, lorsque le preneur est une personne non assujettie, le lieu d’exécution d’une prestation de services à une personne non assujettie est le lieu où le prestataire a établi son activité économique indépendante.

12.      Aux termes, de l’article 40 de la ZDDS, la prestation de services sociaux au sens de la Zakon za sotsialnoto podpomagane (loi sur l’assistance sociale, ci-après la « ZSP ») est une opération exonérée.

13.      Selon l’article 16 de la ZSP, les prestations de services sociaux reposent sur un travail social axé sur l’aide à la personne pour la réalisation d’activités quotidiennes ou l’inclusion sociale et sont fournis sur la base d’une évaluation individuelle des besoins et compte tenu des souhaits et des choix personnels de la personne.

14.      En vertu de l’article 18 de la ZSP, les services sociaux ne sont fournis, notamment par des personnes morales bulgares, qu’après inscription au registre de l’Agentsia za sotsialno podpomagane (agence pour l’assistance sociale, Bulgarie).

15.      Selon la définition légale figurant au paragraphe 1, point 6, des dispositions complémentaires de la ZSP, on entend par « services sociaux » les activités qui soutiennent et améliorent les possibilités pour la personne de mener une vie autonome ; en vertu du point 7, les « services sociaux dans la communauté » sont les services rendus dans le milieu familial ou proche du milieu familial.

16.      Aux termes de l’article 40 de la Pravilnik za prilagane na ZSP (règlement d’exécution de la ZSP, ci-après le « PPZSP »), les personnes souhaitant bénéficier de services sociaux déposent une demande écrite auprès de l’organe de direction de leur adresse actuelle, lorsque le prestataire de services sociaux est une personne morale. Elles joignent, pour référence, une copie d’une pièce d’identité, une copie du carnet de santé, s’il existe, et, le cas échéant, un rapport d’expertise médical. L’autorité compétente procède à une évaluation des besoins de la personne en matière de services sociaux et la consigne dans un rapport standardisé.

17.      Conformément à l’article 40d du PPZSP, le prestataire de services sociaux établit, selon le bilan des besoins, un plan individuel qui énonce des objectifs et qui comprend des activités destinées notamment à satisfaire les besoins quotidiens, de santé, d’éducation, de rééducation ou d’autres besoins.

18.      Aux termes de l’article 40e du PPZSP, le prestataire de services sociaux tient un registre des bénéficiaires qui contient des données relatives à la personne et à la prestation fournie.

III. Les faits et la procédure préjudicielle

19.      Momtrade Ruse OOD (ci-après « Momtrade ») est une société à responsabilité limitée qui fournit principalement des prestations sociales à domicile. Elle est immatriculée en tant qu’assujettie à titre volontaire au titre de la ZDDS depuis le 24 juin 2014. En outre, elle est également enregistrée auprès de l’Agence pour l’assistance sociale auprès du ministère du Travail et de la Politique sociale bulgare (3) en tant que prestataire de services sociaux consistant en la fourniture d’assistants personnels, d’assistants sociaux et d’aides à domicile pour personnes âgées.

20.      Momtrade a fait l’objet d’une procédure de contrôle fiscal pour la période allant du 24 juin 2014 au 31 décembre 2015. Le contrôle a porté sur des prestations fournies à différentes personnes physiques, de nationalité allemande ou autrichienne, qui semblent avoir un domicile en Allemagne ou en Autriche.

21.      En vertu des contrats conclus avec ces personnes physiques, Momtrade a détaché des salariés aux domiciles des clients pour y assurer des soins et une aide à domicile. Les différentes tâches sont précisées dans un questionnaire annexé aux contrats. Ce questionnaire a été établi par une société intermédiaire enregistrée en Allemagne et en Autriche, qui fournissait des clients à Momtrade en vertu d’un contrat de courtage.

22.      Les tâches mentionnées comprennent, outre l’aide à domicile, des soins aux personnes âgées dépendantes ayant des problèmes de santé. Chaque contrat indique à la fois le nom du client et le nom de l’intermédiaire. Les paiements effectués par les personnes physiques à Momtrade ne sont pas contestés.

23.      Les autorités fiscales allemandes ont engagé un échange d’informations. Il a ensuite été constaté que le lieu de ces prestations se situait en Bulgarie. Par conséquent, elles ne sont pas imposables en Allemagne, mais doivent être imposées en Bulgarie, conformément à la ZDDS.

24.      Sur la base des documents produits par Momtrade, les services bulgares des recettes fiscales ont constaté qu’aucun accord n’avait été conclu pour fournir des « services sociaux », et que les besoins individuels des clients n’étaient pas mentionnés. Ils ont considéré que, eu égard au fait que, matériellement, le lieu de la prestation était dans un autre État membre, en plus de la ZSP, le droit allemand et le droit autrichien étaient également pertinents. Pour que Momtrade puisse bénéficier de l’exonération en vertu de l’article 40, point 1, de la ZDDS, les éléments de preuve qui, selon le droit de l’autre État membre impliqué, confirment le caractère social des services fournis sur son territoire doivent être produits.

25.      Par un avis de redressement du 4 octobre 2018, l’exonération des prestations de services a en tout état de cause été refusée à Momtrade. Celle-ci a introduit un recours contre cette décision. La juridiction de première instance, l’Administrativen sad Ruse (tribunal administratif de Ruse, Bulgarie), a considéré que l’article 40, point 1, de la ZDDS était conforme à l’article 132, paragraphe 1, sous g), de la directive TVA. Pour que l’exonération prévue à l’article 40, point 1, de la ZDDS puisse s’appliquer, la personne visée par le contrôle devait démontrer que le caractère social de l’activité est établi au regard tant du droit bulgare que du droit de l’État membre sur le territoire duquel les prestations de services sont fournies. Cette juridiction a considéré que ce caractère social n’était pas établi au regard de la réglementation bulgare. Cette réglementation exige nécessairement, selon elle, une évaluation sociale des besoins de la personne, qui n’avait pas été effectuée ni étayée par des documents.

26.      Momtrade n’avait pas présenté de demandes de prestation de services sociaux, d’évaluation du caractère social, de rapports de projet, de plans individuels ni de registre des clients, comme l’exige la législation bulgare, mais uniquement les contrats et les questionnaires les concernant.

27.      En outre, les services d’accompagnement des personnes âgées ne sont pas, selon cette même juridiction, des services sociaux au sens de l’article 40, point 1, de la ZDDS, dans la mesure où seul un accompagnement à domicile est fourni. Les salariés n’étaient pas tenus d’exercer des activités liées à l’état de santé des personnes. Ils n’avaient pas non plus de formation indiquant qu’ils étaient en mesure de fournir des soins médicaux.

28.      La juridiction de première instance a donc largement confirmé les dettes fiscales fixées dans l’avis de redressement. Momtrade a formé un pourvoi contre cette décision. La question qui se pose à la chambre de cassation compétente est celle de savoir quels sont les critères permettant de déterminer s’il s’agit d’activités sociales.

29.      Le Varhoven administrativen sad (Cour administrative suprême) a donc décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour les questions préjudicielles suivantes :

1) L’article 132, paragraphe 1, sous g), de la directive TVA doit-il être interprété en ce sens qu’une société commerciale enregistrée en tant que prestataire de services sociaux dans un État membre (en l’occurrence, la Bulgarie) peut se prévaloir de cette disposition pour obtenir l’exonération de ses prestations de services sociaux au profit de personnes physiques ressortissantes d’autres États membres effectuées sur le territoire de ces États ? Pour répondre à cette question, est-il pertinent que les bénéficiaires des services soient confiés au prestataire par des sociétés commerciales intermédiaires enregistrées dans les États membres sur le territoire desquels les services sont fournis ?

2) En cas de réponse affirmative à la première question, dans le cadre de l’interprétation et de l’application de ladite disposition du droit de l’Union, quels sont les critères applicables pour apprécier si la société faisant l’objet du contrôle fiscal est un « organisme reconnu comme ayant un caractère social » et pour établir que les prestations de services sont « étroitement liées à l’aide et à la sécurité sociales » ; cette appréciation doit-elle être effectuée conformément au droit bulgare et/ou conformément aux droits autrichien et allemand ?

3) Selon cette interprétation, le fait qu’une société commerciale soit enregistrée en tant que prestataire de services sociaux, tels que définis par la législation nationale, suffit-il pour considérer qu’il s’agit d’un « organisme reconnu comme ayant un caractère social » par l’État membre concerné ?

30.      Dans le cadre de la procédure devant la Cour, l’administration fiscale de la République de Bulgarie et la Commission européenne ont présenté leurs observations écrites. Conformément à l’article 76, paragraphe 2, du règlement de procédure, la Cour a renoncé à la tenue d’une audience.

IV.    Appréciation juridique

31.      Dans la mesure où l’on peut trouver des réponses relativement claires aux première et troisième questions dans la directive TVA ou dans la jurisprudence de la Cour, nous nous intéresserons d’abord à ces questions (sous A. et B.). Nous aborderons ensuite la deuxième question, laquelle comporte deux parties qu’il convient d’examiner séparément. D’une part, la juridiction de renvoi cherche à savoir comment la notion de prestations de services « étroitement liées à l’aide et à la sécurité sociales » doit être interprétée et de quelle manière la preuve que de telles prestations ont été fournies doit être apportée. Il s’agit donc de la question de l’existence d’une prestation de services exonérée en tant que telle (sous C.), effectuée par des maisons de retraite, par des organismes de droit public ou par d’autres organismes reconnus. D’autre part, l’interprétation de la notion d’« État membre concerné » qui reconnaît ces « autres organismes » comme ayant un caractère social, afin qu’ils relèvent individuellement du champ d’application de l’exonération fiscale, doit également être clarifiée (sous D).

A.      L’applicabilité directe de l’article 132, paragraphe 1, sous g), de la directive TVA (première question)

32.      La première question vise à déterminer si Momtrade peut invoquer directement l’article 132, paragraphe 1, sous g), de la directive TVA. Il ressort de la jurisprudence de la Cour (4) que, dans tous les cas où des dispositions d’une directive apparaissent comme étant, du point de vue de leur contenu, inconditionnelles et suffisamment précises, ces dispositions peuvent être invoquées, à défaut de mesures d’application prises dans les délais, à l’encontre de toute disposition nationale non conforme à la directive. Cela suppose que ces dispositions soient de nature à définir des droits que les particuliers sont en mesure de faire valoir à l’égard de l’État.

33.      À cet égard, la Cour a déjà jugé, s’agissant de l’article 132, paragraphe 1, sous g), de la directive TVA [ou de la disposition de contenu identique qui l’a précédé, l’article 13, A, paragraphe 1, sous g), de la sixième directive] que celui-ci indique, de manière suffisamment précise et inconditionnelle, les activités bénéficiant de l’exonération (5).

34.      La notion d’« organismes reconnus comme ayant un caractère social par l’État membre concerné » confère cependant aux États membres un pouvoir d’appréciation pour reconnaître un caractère social à certains organismes (6). Aussi longtemps que les États membres respectent les limites du pouvoir d’appréciation qui leur est consenti par l’article 132, paragraphe 1, sous g), de la directive TVA, les particuliers ne sauraient, en se fondant sur cette disposition, obtenir la qualité d’organisme à caractère social à l’encontre de l’État membre concerné (7).

35.      Cependant, lorsqu’un particulier demande à bénéficier de la qualité d’organisme à caractère social, il incombe aux juridictions nationales d’examiner si les autorités compétentes ont respecté les limites de leur pouvoir d’appréciation en appliquant les principes du droit de l’Union, en particulier le principe d’égalité de traitement (8). À cet égard, malgré la marge d’appréciation ainsi reconnue, le particulier peut alors se prévaloir de l’article 132, paragraphe 1, sous g), de la directive TVA (9).

36.      S’agissant de la première question posée par la juridiction de renvoi, il convient de préciser qu’il en va ainsi indépendamment des questions de savoir si le lieu de la prestation est déterminé en fonction du principe du pays de destination ou de celui du pays d’origine et si cette prestation a été organisée par un intermédiaire.

B.      Les exigences auxquelles est subordonnée l’efficacité de la reconnaissance (troisième question)

37.      La troisième question vise à savoir si l’enregistrement d’une société commerciale en tant que prestataire de services sociaux suffit pour qu’elle puisse être considérée comme un organisme valablement reconnu au sens de l’article 132, paragraphe 1, sous g), de la directive TVA.

38.      Il appartient aux autorités nationales de déterminer les organismes qui devraient être reconnus comme ayant un caractère social au sens de l’article 132, paragraphe 1, sous g), de la directive TVA (10). Il convient de rappeler que l’article 132, paragraphe 1, sous g), de la directive TVA ne précise ni les conditions ni les modalités de la reconnaissance du caractère social des organismes autres que ceux de droit public. Il appartient donc, en principe, au droit national de chaque État membre d’édicter les règles selon lesquelles une telle reconnaissance peut être accordée à de tels organismes (11).

39.      À cet égard, il découle cependant de la jurisprudence de la Cour que, lors de la reconnaissance du caractère social des organismes autres que ceux de droit public, il appartient aux autorités nationales, conformément au droit de l’Union et sous le contrôle des juridictions nationales, de prendre en considération plusieurs éléments.

40.      Parmi ceux-ci peuvent figurer l’existence de dispositions spécifiques – qu’elles soient nationales ou régionales, législatives ou à caractère administratif, fiscales ou de sécurité sociale – le caractère d’intérêt général lié aux activités de l’assujetti concerné, le fait que d’autres assujettis ayant les mêmes activités bénéficient déjà d’une reconnaissance semblable, ainsi que le fait que les coûts des prestations en question sont éventuellement assumés en grande partie par des caisses de maladie ou par d’autres organismes de sécurité sociale (12). Les objectifs poursuivis par un organisme considéré dans sa globalité et la stabilité de son engagement social peuvent également être pris en compte à cet égard (13).

41.      Il s’ensuit également que les États membres ne sont pas libres de qualifier des entités privées poursuivant un but lucratif (comme Momtrade dans la présente affaire) d’organismes à caractère social en raison du simple fait qu’elles fournissent également des services à caractère social (14). Dès lors, le seul fait qu’une société commerciale soit enregistrée en tant que prestataire de services sociaux auprès d’une agence étatique ne saurait suffire, en tant que tel, pour en déduire qu’elle a été reconnue, dans le respect des limites du pouvoir d’appréciation en la matière, comme organisme à caractère social. Il pourrait en aller autrement si cet enregistrement était assorti d’un examen matériel des éléments précédemment mentionnés, ce qu’il appartient à la juridiction de renvoi de vérifier.

C.      L’appréciation des prestations de services étroitement liées à l’assistance sociale et à la sécurité sociale (deuxième question – seconde partie)

42.      La seconde partie de la deuxième question porte sur la façon dont il convient d’apprécier une prestation de services exonérée, tant en ce qui concerne les critères de cette appréciation que le droit applicable ainsi que les éléments requis aux fins de la preuve. Il découle du libellé de l’article 132, paragraphe 1, sous g), de la directive TVA que l’exonération prévue à cette disposition ne s’applique qu’aux prestations de services et aux livraisons de biens « étroitement liées à l’aide et à la sécurité sociales ». L’existence d’une prestation de services exonérée est donc uniquement déterminée par le droit de l’Union.

43.      Selon la jurisprudence de la Cour, les termes employés pour désigner les exonérations figurant à l’article 132 de la directive TVA sont d’interprétation stricte, étant donné que celles-ci constituent des dérogations au principe général selon lequel la TVA est perçue sur chaque prestation de services effectuée à titre onéreux par un assujetti (15). Ils n’appellent cependant pas non plus une interprétation trop étroite (16), car l’interprétation de ces termes devrait respecter les exigences du principe de neutralité fiscale inhérent au système commun de TVA et être conforme aux objectifs poursuivis par lesdites exonérations. Cette règle d’interprétation stricte ne signifie donc pas, selon la Cour, que les termes utilisés pour définir les exonérations visées audit article 132 doivent être interprétés d’une manière qui priverait celles-ci de leurs effets (17).

44.      Ce faisant, la Cour exige une interprétation téléologique des règles en matière d’exonération fiscale qui tienne compte des objectifs de l’exonération et du principe de neutralité. Pour interpréter l’article 132, paragraphe 1, sous g), de la directive TVA, il convient également de tenir compte de l’article 134, sous a), de celle-ci, qui exige que les livraisons de biens ou les prestations de services concernées soient indispensables à l’accomplissement des opérations relevant de l’aide et de la sécurité sociales (18).

45.      À cet égard, la Cour a déjà jugé que sont, en principe, étroitement liées à l’aide et à la sécurité sociales, au sens de cette disposition, les prestations de soins et d’économie ménagère fournies par un service de soins ambulatoires à des personnes en état de dépendance physique ou économique (19). Il en va de même des prestations de services fournies à des personnes se trouvant dans un état de dépendance mentale et destinées à les protéger dans les actes de la vie civile, lorsque ces personnes ne sont pas à même d’y pourvoir elles-mêmes sans risquer de nuire à leurs propres intérêts, financiers ou autres (20). Toutefois, cette disposition ne vise pas la mise à disposition de travailleurs, celle-ci ne constituant pas, en tant que telle, une prestation de services d’intérêt général accomplie dans le secteur social. À cet égard, il est sans pertinence que le personnel concerné soit du personnel soignant ni que ce personnel soit mis à la disposition d’établissements de soins reconnus (21).

46.      La question de savoir si la prestation en cause est exonérée doit être tranchée par l’État membre auquel la compétence fiscale est attribuée en vertu la directive. En droit de la TVA, c’est le lieu de la prestation de services qui en décide. Pour les prestations de services effectuées en faveur des assujettis, il s’agit en principe, conformément à l’article 44 de la directive TVA, de l’endroit où le preneur de service a établi le siège de son activité économique (principe du pays de destination). Pour les prestations de services fournies à un non-assujetti, il s’agit, conformément à l’article 45 de la directive TVA, de l’endroit où le prestataire a établi le siège de son activité économique (principe du pays d’origine). Dans certaines dispositions spécifiques de détermination du lieu de la prestation (comme l’article 54 de la directive TVA), le droit d’imposition est fonction de l’endroit où les activités ont effectivement lieu (principe du lieu de l’activité).

47.      La présente affaire concerne des prestations de services fournies à des personnes non assujetties, de sorte que l’État qui dispose du droit d’imposition est la Bulgarie, en application de l’article 45 de la directive TVA. Par conséquent, c’est la loi bulgare relative à la TVA, sous réserve qu’elle ait correctement transposé la directive TVA, qui détermine si une prestation de services exonérée a été effectuée. Peu importe à cet égard de savoir de savoir si les lois allemande ou autrichienne relatives à la taxe sur le chiffre d’affaires qualifieraient également la prestation en cause de prestation d’aide sociale exonérée. Toutefois, dans un domaine juridique harmonisé tel que celui de la TVA, cette appréciation devrait idéalement être la même.

48.      Il appartient à la juridiction de renvoi d’apprécier si les dispositions pertinentes de la ZDDS transposent correctement la directive TVA. Si ce n’est pas le cas, l’assujetti, comme cela a été exposé précédemment (aux points 32 et suivants), peut invoquer directement la directive TVA. Dans les deux cas, il incombe à l’assujetti de contribuer à déterminer si les prestations de services concernées sont également exonérées. Cette obligation de coopération peut également impliquer de tenir des preuves à disposition. En revanche, la directive TVA ne régit pas la question de la nature et des modalités de la preuve.

49.      En l’absence de réglementation de l’Union à cet égard, l’aménagement des exigences en matière de preuve relève de la compétence des États membres (principe de l’autonomie procédurale). Ainsi que la Cour l’a déjà jugé, ils disposent à cet égard d’une marge de manœuvre (22) et peuvent déterminer eux-mêmes les modalités. Ces modalités ne doivent cependant pas être moins favorables que celles régissant des situations similaires de nature interne (principe d’équivalence) ni être aménagées de manière à rendre en pratique impossible ou excessivement difficile l’exercice des droits conférés par l’ordre juridique de l’Union (principe d’effectivité) (23).

50.      Il ne semble pas qu’il y ait en l’occurrence une violation du principe d’équivalence. Il n’apparaît pas non plus que le principe d’effectivité ait été méconnu. Il est évident que certains éléments de preuve requis pour vérifier si la prestation est également exonérée sont appropriés, nécessaires et, le plus souvent, proportionnés, et ce d’autant plus lorsque les services sont fournis en dehors du champ de contrôle des autorités fiscales bulgares (en l’occurrence, en Allemagne ou en Autriche). Le bénéfice de l’exonération ne nous paraît donc pas, en principe, rendu de ce fait pratiquement impossible. Il s’agit cependant d’une appréciation qui incombe, en définitive, à la juridiction de renvoi.

D.      L’« État membre concerné » qui reconnaît les organismes (deuxième question – première partie)

1.      Problématique

51.      C’est donc à la Bulgarie qu’il appartient de déterminer s’il existe un service étroitement lié à l’aide sociale. Cependant, l’article 132, paragraphe 1, sous g), de la directive TVA exige en outre que cette prestation soit fournie par un assujetti déterminé. Ce type de prestations exonérées ne peut être fourni que par « les maisons de retraite, […] par des organismes de droit public ou par d’autres organismes reconnus comme ayant un caractère social par l’État membre concerné ».

52.      Puisqu’en l’occurrence, seule la dernière possibilité est envisageable, la question décisive est celle de savoir si Momtrade est un tel organisme reconnu. Il se peut que Momtrade ait été reconnue comme tel par la Bulgarie, bien que le simple fait qu’une société commerciale soit enregistrée en tant que prestataire de services sociaux auprès d’une agence étatique ne soit pas, en soi, suffisant (voir, à cet égard, points 40 et suivants des présentes conclusions). Momtrade ne semble pas avoir été reconnue comme un tel organisme sur le lieu d’exercice de l’activité ou dans les pays de destination que sont l’Allemagne et l’Autriche. À supposer que la Bulgarie ait valablement reconnu Momtrade comme un tel organisme, il convient, afin de répondre à la première partie de la deuxième question, de déterminer quel « État membre concerné » doit procéder à cette décision de reconnaissance.

53.      La directive TVA ne mentionne que « l’État membre concerné ». À première vue, l’« État membre concerné » est également, au regard des dispositions en matière de TVA, l’État membre du lieu de la prestation. C’est en définitive à cet État – comme l’affirme par exemple la Commission dans ses observations – qu’il appartient de procéder à l’imposition.

54.      Cependant, les règles concernant le lieu de la prestation n’ont justement été modifiées que pour les prestations de services à compter du 1er janvier 2010 (24). Cette modification avait pour but de tenir compte de la nature de taxe sur la consommation de la TVA (25) y compris en ce qui concerne le droit d’imposition de l’État membre. C’est pourquoi, en principe, c’est l’État dans lequel a lieu la consommation qui dispose du droit d’imposition (principe du pays de destination). Cependant, si la mise en œuvre de ce principe pose problème – comme pour les prestations de services fournies à des personnes non assujetties, voir l’article 45 de la directive TVA – le principe du pays d’origine s’applique. L’esprit du principe du pays d’origine – éviter des défauts de mise en œuvre – ne nous semble toutefois pas transposable tel quel à celui de la reconnaissance d’autres organismes au sens de l’article 132, paragraphe 1, sous g), de la directive TVA.

55.      La solution la plus simple pourrait être de se référer au pays d’origine pour cet aspect également. Le fait que le lieu de la prestation à des non-assujettis est normalement le pays d’origine, qui dispose également du droit d’imposition, plaide en ce sens. Dans ce cas, la Bulgarie serait en l’occurrence compétente pour la reconnaissance de l’organisme. D’un autre côté, si cette solution était retenue, un État membre qui impose des exigences particulièrement strictes (par exemple sur le plan qualitatif) en matière de reconnaissance rendrait difficile la fourniture de prestations de services transfrontalières étroitement liées à l’aide sociale pour les entreprises établies sur son territoire. En revanche, dans le cas contraire, il serait avantageux pour de telles entreprises de s’établir dans l’État ayant les exigences les plus basses en matière de reconnaissance. Dans les deux cas, les atteintes à la concurrence dans le pays de destination – le lieu où le service est pris et consommé – seraient inévitables.

56.      Or, le droit de la TVA a précisément été harmonisé parce qu’il est intrinsèquement et particulièrement lié au marché intérieur et que de telles distorsions de concurrence doivent être évitées. C’est pourquoi la directive TVA est fondée sur la base juridique de l’article 113 TFUE, sans qu’il soit nécessaire qu’elle remplisse les conditions particulières prévues à l’article 115 TFUE, contrairement à ce qui est le cas pour d’autres impôts (notamment pour les impôts sur les revenus).

57.      Il semble donc douteux que l’« État membre concerné » vise réellement l’État du lieu de la prestation au sens de la TVA, et ce d’autant plus que le lieu de la prestation dépend de la qualité du preneur de la prestation. Si une seule et même prestation était fournie dans un seul et même État membre (étranger) à un non-assujetti (par exemple, des prestations de soins à une personne physique) et à un assujetti (par exemple, des prestations de soins en tant que sous-traitant à une maison de retraite), une double reconnaissance serait nécessaire, étant donné que le lieu de la prestation se situe tantôt dans le pays de destination (étranger), tantôt dans le pays d’origine (à l’intérieur du pays).

2.      Données textuelles

58.      La notion d’« organismes reconnus […] par l’État membre concerné » n’est utilisée que dans certaines dispositions d’exonération fiscale, tandis que d’autres dispositions exonératoires visent simplement des « établissements […] reconnus » [voir, par exemple, article 132, paragraphe 1, sous b), de la directive TVA].

59.      Cette comparaison textuelle permet déjà de conclure que les termes « État membre concerné » ne visent sans doute pas l’État disposant du droit d’imposition. L’interprétation selon laquelle l’« État membre concerné » désignerait toujours l’État membre qui est également en droit d’imposer l’opération rend de fait cette formule totalement superflue. En effet, en l’absence de cette formule, c’est toujours l’État membre où se situe le lieu de la prestation au regard de la TVA, lequel dispose donc du droit d’imposition, qui vérifie les conditions du fait générateur et peut exercer à cet égard sa marge d’appréciation.

60.      Le libellé indique donc déjà que l’« État membre concerné » ne signifie pas toujours l’État membre en droit de taxer l’opération.

3.      Prise en compte de la genèse

61.      La genèse de la disposition plaide également en ce sens. Dans le texte précédant la directive TVA, l’exonération prévue à l’article 132, paragraphe 1, sous g), de la directive TVA était régie par l’article 13 de la sixième directive. Or, selon son intitulé, cet article ne visait que les « [e]xonérations à l’intérieur du pays ».

62.      Selon le troisième considérant de la directive TVA, l’adoption de la directive TVA avait pour seul but de procéder à la refonte de la structure et du libellé, sans que cela doive provoquer des changements de fond dans la législation existante. Les changements de fond apportés sont mentionnés de manière exhaustive dans les dispositions relatives à la mise en œuvre et à l’entrée en vigueur de la directive. L’article 132, paragraphe 1, sous g), de la directive TVA ne contient aucune indication à cet égard.

63.      Compte tenu de la sixième directive, on peut donc partir du principe que l’exonération à l’intérieur du pays vise donc principalement les prestations fournies par les « maisons de retraite, effectuées par des organismes de droit public ou par d’autres organismes reconnus comme ayant un caractère social par l’État membre concerné » qui sont normalement établis à l’intérieur du pays et effectuent leurs prestations à l’intérieur du pays. L’État membre concerné, à qui il appartient de reconnaître l’organisme, serait alors l’État dans lequel la prestation a été effectuée. Cela correspondrait à l’idée du principe de la taxation au lieu de destination.

4.      Interprétation téléologique

64.      Une interprétation téléologique milite également contre l’utilisation des règles désignant le lieu de prestation pour déterminer l’« État membre concerné » qui décide de la reconnaissance. Comme nous l’avons indiqué précédemment, les règles relatives à la détermination du lieu de la prestation ont pour objet d’attribuer les recettes fiscales des livraisons de biens et des prestations de services transfrontalières à l’un des États membres entrant en ligne de compte. À cette fin, différents principes peuvent être appliqués, qui accordent plus d’importance au caractère de taxe sur la consommation de la TVA (principe du pays de destination, principe du lieu de l’activité), ou plus d’importance au principe d’une administration fiscale efficace (principe du pays d’origine).

65.      Cependant, la finalité de l’exonération de TVA prévue à l’article 132, paragraphe 1, sous g), de la directive TVA et le lien avec une reconnaissance étatique, par l’« État membre concerné », nous semblent différents. En effet, il ne s’agit pas d’une mise en œuvre du caractère de taxe sur la consommation ou d’une administration fiscale efficace, mais, dans une mesure particulière, du financement des différents systèmes de protection sociale des États membres.

66.      L’objectif poursuivi par l’exonération est en effet de réduire le coût de ces services et de les rendre ainsi plus accessibles aux particuliers qui pourraient en bénéficier (26). La plupart de ces coûts étant supportés par les systèmes de protection sociale des États membres, l’exonération sert donc également à financer ces systèmes de protection sociale nationaux.

67.      C’est la raison pour laquelle la Cour a déjà jugé à plusieurs reprises que l’État membre n’excédait pas son pouvoir d’appréciation en ce qui concerne la reconnaissance d’autres organismes en exigeant que les frais afférents aux soins ambulatoires concernés aient été supportés en tout ou pour leur majeure partie par les organismes légaux d’assurance sociale ou d’aide sociale (27).

68.      Or, si la reconnaissance d’un autre organisme, d’une part, relève du pouvoir d’appréciation de l’État membre et que, d’autre part, les coûts des soins médicaux supportés dans leur majeure partie par le système de protection sociale concerné doivent être réduits grâce à l’exonération, le lieu de la prestation au regard de la TVA ne saurait être déterminant. En effet, dans le cas de prestations de services transfrontalières, il paraît difficilement concevable que la question de savoir si les systèmes de protection sociale des pays de destination (en l’occurrence les systèmes allemands ou autrichiens) devront ou non supporter la TVA puisse relever de l’appréciation du pays d’origine (en l’occurrence, la Bulgarie).

69.      Cela expliquerait également pourquoi le législateur de l’Union se réfère explicitement à la reconnaissance par l’État membre concerné. L’État membre concerné est, d’un point de vue téléologique, celui dont les systèmes sociaux sont concernés par la prestation de services et qui doit donc pouvoir décider de la reconnaissance du prestataire en tant qu’organisme à caractère social.

70.      Enfin, la formulation de l’article 133, premier alinéa, sous c), de la directive TVA milite en faveur d’une telle interprétation. Selon cette disposition, l’État membre peut subordonner l’octroi de l’exonération aux « autres organismes » à la condition que ces organismes pratiquent des prix homologués par les autorités publiques. Il ne peut s’agir que des autorités du pays de destination. Si l’homologation des prix pratiqués sur le lieu de la prestation dépend des autorités compétentes du pays de destination, l’« État membre concerné » qui décide de la reconnaissance ne peut être que l’État membre du pays de destination.

5.      Prise en compte du principe de neutralité

71.      De plus, l’interprétation selon laquelle l’État membre compétent en ce qui concerne la reconnaissance au sens de l’article 132, paragraphe 1, sous g), de la directive TVA, est celui dont les systèmes de protection sociale supportent normalement les coûts de la prestation et non pas celui dans lequel le lieu de la prestation de services est déplacé par la directive TVA est conforme au principe de neutralité.

72.      Le principe de neutralité s’oppose notamment à ce que des opérateurs économiques qui effectuent les mêmes opérations soient traités différemment en matière de perception de la TVA (28). Les entreprises qui sont en concurrence doivent, en principe, être traitées de manière identique du point de vue de la TVA.

73.      La concurrence entre les maisons de retraite, les organismes de droit public et les autres organismes reconnus – par l’État membre concerné – se manifeste, en principe, à l’endroit où les prestations de services sont fournies et payées. À cet égard, Momtrade se trouve principalement en concurrence avec des organismes fournissant des services comparables en Allemagne ou en Autriche. Cette concurrence pourrait être considérablement faussée si les États membres pouvaient, par le biais de leur propre pratique de reconnaissance dans le pays d’origine, influer sur les coûts de l’activité dans le pays de destination.

74.      Cette distorsion de concurrence se produirait dans tous les cas où les pratiques de reconnaissance varient d’un État membre à l’autre. La marge d’appréciation consentie à cet égard aux États membres (points 38 et suivants des présentes conclusions) exclut quasiment toute uniformité des pratiques. L’État membre qui impose les conditions les plus strictes en matière de reconnaissance pénaliserait les entreprises ayant établi le siège de leur activité économique sur son territoire s’agissant des prestations de services relevant de l’article 45 de la directive TVA. L’État membre qui impose les conditions de reconnaissance les moins exigeantes favoriserait les entreprises ayant le siège de leur activité économique sur son territoire s’agissant des prestations de services relevant de l’article 45 de la directive TVA.

75.      En conséquence – ainsi que l’a soutenu l’administration fiscale bulgare – la Bulgarie délivre une décision de reconnaissance qui n’est valable que pour les prestations de services effectuées sur le territoire bulgare. Dans la présente affaire, il incomberait donc à l’Allemagne et à l’Autriche de décider si Momtrade doit être reconnue comme organisme à caractère social.

76.      Cette décision devrait être présentée par Momtrade aux autorités fiscales bulgares. Elle devrait être reconnue en Bulgarie conformément au principe de confiance mutuelle (29). Les autorités fiscales bulgares se borneraient alors à vérifier qu’il existe également une prestation de services exonérée étroitement liée à l’aide et à la sécurité sociales, au sens de l’article 132, paragraphe 1, sous g), de la directive TVA. Si ce n’est pas le cas, la prestation de services est imposable ; si c’est le cas, la prestation de services est exonérée. Les éventuels litiges quant à la question de savoir si la décision de reconnaissance n’est pas entachée d’erreur d’appréciation devraient être résolus dans l’État dont les systèmes de protection sociale devraient normalement supporter les coûts afférents, c’est-à-dire dans le pays de destination.

77.      Toutefois, cette interprétation a pour conséquence que le montant de la TVA perçue en Bulgarie est indirectement influencé par la décision de reconnaissance d’un autre État membre (en l’occurrence l’Allemagne et l’Autriche). Cela est cependant, à mon sens, justifié par l’objectif spécifique de l’article 132, paragraphe 1, sous g), de la directive TVA (réduction des coûts des systèmes de protection sociale concernés – points 65 et suivants des présentes conclusions) et par le principe de neutralité concurrentielle.

V.      Conclusion

78.      À la lumière des considérations qui précèdent, nous proposons à la Cour d’apporter les réponses suivantes aux questions préjudicielles posées par le Varhoven administrativen sad (Cour administrative suprême, Bulgarie) :

1)      Les particuliers peuvent invoquer directement l’article 132, paragraphe 1, sous g), de la directive TVA à l’encontre de l’État membre d’imposition malgré la marge d’appréciation laissée aux États membres par cette disposition. Il en va ainsi indépendamment des questions de savoir si le lieu de la prestation est déterminé en fonction du principe du pays de destination ou du principe du pays d’origine et si cette prestation a été organisée par un intermédiaire.

2)      L’article 132, paragraphe 1, sous g), de la directive TVA doit être interprété en ce sens que l’État membre concerné qui décide de la reconnaissance d’autres organismes est l’État dans lequel les prestations de services sont matériellement exécutées et dont les systèmes de protection sociale supportent normalement les coûts desdites prestations. En matière de prestations de services transfrontalières, il peut également s’agir d’un État membre qui ne dispose pas, en application des dispositions de la directive en matière de localisation de la prestation, de la compétence fiscale correspondante.

En revanche, la question de savoir si la prestation en cause constitue une prestation de services étroitement liée à l’aide et à la sécurité sociales et si la preuve en est suffisamment établie doit être appréciée par l’État membre auquel la directive attribue la compétence fiscale au titre du lieu de la prestation, et ce uniquement au regard de sa propre législation [si celle-ci transpose correctement l’article 132, paragraphe 1, sous g), de la directive TVA].

3)      Le seul fait qu’une société commerciale soit enregistrée en tant que prestataire de services sociaux auprès d’une agence étatique ne saurait suffire, en tant que tel, pour en déduire qu’elle a été reconnue, dans le respect des limites du pouvoir d’appréciation en la matière, comme organisme à caractère social.


1      langue originale : l’allemand.


2      Directive du Conseil du 28 novembre 2006 (JO 2006, L 347, p. 1), telle qu’en vigueur pour les années litigieuses (2014 à 2015) ; modifiée à cet égard en dernier lieu par la directive 2013/61/UE du Conseil, du 17 décembre 2013 (JO 2013, L 353, p. 5).


3      Ministerstvo na truda i sotsialnata politika.


4      Arrêts du 10 septembre 2002, Kügler (C-141/00, EU:C:2002:473, point 51), du 26 septembre 2000, IGI (C-134/99, EU:C:2000:503, point 36), et du 19 janvier 1982, Becker (8/81, EU:C:1982:7, point 25).


5      Arrêt du 10 septembre 2002, Kügler (C-141/00, EU:C:2002:473, point 53). Dans l’arrêt du 21 janvier 2016, Les Jardins de Jouvence (C-335/14, EU:C:2016:36, point 47), il est question de notions autonomes du droit de l’Union devant recevoir une définition au niveau de l’Union européenne.


6      Arrêt du 17 juin 2010, Commission/France (C-492/08, EU:C:2010:348, point 41, au sujet de l’annexe III, point 15).


7      Arrêt du 10 septembre 2002, Kügler (C-141/00, EU:C:2002:473, point 55).


8      Arrêts du 8 octobre 2020, Finanzamt D (C-657/19, EU:C:2020:811, point 45) et du 10 septembre 2002, Kügler (C-141/00, EU:C:2002:473, point 56).


9      Arrêts du 15 novembre 2012, Zimmermann (C-174/11, EU:C:2012:716, point 32) et du 10 septembre 2002, Kügler (C-141/00, EU:C:2002:473, point 61).


10      Arrêt du 10 septembre 2002, Kügler (C-141/00, EU:C:2002:473, point 57).


11      Arrêts du 15 avril 2021, Administration de l’Enregistrement, des Domaines et de la TVA (C-846/19, EU:C:2021:277, point 69), du 8 octobre 2020, Finanzamt D (C-657/19, EU:C:2020:811, point 43), du 21 janvier 2016, Les Jardins de Jouvence (C-335/14, EU:C:2016:36, points 32 et 34), ainsi que du 15 novembre 2012, Zimmermann (C-174/11, EU:C:2012:716, point 26).


12      Arrêts du 15 avril 2021, Administration de l’Enregistrement, des Domaines et de la TVA (C-846/19, EU:C:2021:277, point 70), du 8 octobre 2020, Finanzamt D (C-657/19, EU:C:2020:811, point 44), du 21 janvier 2016, Les Jardins de Jouvence (C-335/14, EU:C:2016:36, point 35), du 12 mars 2015, « go fair » Zeitarbeit (C-594/13, EU:C:2015:164, point 20), ainsi que du 15 novembre 2012, Zimmermann (C-174/11, EU:C:2012:716, point 31 et jurisprudence citée).


13      Arrêt du 17 juin 2010, Commission/France (C-492/08, EU:C:2010:348, point 45).


14      Arrêts du 15 avril 2021, Administration de l’Enregistrement, des Domaines et de la TVA (C-846/19, EU:C:2021:277, point 72), du 17 juin 2010, Commission/France (C-492/08, EU:C:2010:348, point 42 et 44), et du 28 juillet 2016, Conseil des ministres (C-543/14, EU:C:2016:605, points 61 et 63).


15      Arrêts du 15 avril 2021, Administration de l’Enregistrement, des Domaines et de la TVA (C-846/19, EU:C:2021:277, point 57), du 8 octobre 2020, Finanzamt D (C-657/19, EU:C:2020:811, point 28), du 12 mars 2015, « go fair » Zeitarbeit (C-594/13, EU:C:2015:164, point 17), du 15 novembre 2012, Zimmermann (C-174/11, EU:C:2012:716, point 22), et du 7 septembre 1999, Gregg (C-216/97, EU:C:1999:390, point 12).


16      Arrêt du 26 mai 2005, Kingscrest Associates et Montecello (C-498/03, EU:C:2005:322, le point 32 parle d’une « interprétation particulièrement étroite »).


17      Arrêts du 15 avril 2021, Administration de l’Enregistrement, des Domaines et de la TVA (C-846/19, EU:C:2021:277, point 57), du 8 octobre 2020, Finanzamt D (C-657/19, EU:C:2020:811, point 28), du 12 mars 2015, « go fair » Zeitarbeit (C-594/13, EU:C:2015:164, point 17) et du 15 novembre 2012, Zimmermann (C-174/11, EU:C:2012:716, point 22).


18      Arrêts du 15 avril 2021, Administration de l’Enregistrement, des Domaines et de la TVA (C-846/19, EU:C:2021:277, point 59) et du 8 octobre 2020, Finanzamt D (C-657/19, EU:C:2020:811, point 32) ; voir également, en ce sens, arrêt du 9 février 2006, Stichting Kinderopvang Enschede (C-415/04, EU:C:2006:95, point 25).


19      Arrêts du 15 avril 2021, Administration de l’Enregistrement, des Domaines et de la TVA (C-846/19, EU:C:2021:277, point 62), et du 15 novembre 2012, Zimmermann (C-174/11, EU:C:2012:716, point 23), voir, en ce sens, arrêt du 10 septembre 2002, Kügler (C-141/00, EU:C:2002:473, point 44).


20      Arrêt du 15 avril 2021, Administration de l’Enregistrement, des Domaines et de la TVA (C-846/19, EU:C:2021:277, point 63).


21      Arrêt du 12 mars 2015, « go fair » Zeitarbeit (C-594/13, EU:C:2015:164, point 28).


22      Voir, en ce qui concerne l’absence de régime des intérêts en matière de TVA : arrêts du 23 avril 2020, Sole-Mizo et Dalmandi Mezőgazdasági (C-13/18 et C-126/18, EU:C:2020:292, point 37), du 24 octobre 2013, Rafinăria Steaua Română (C-431/12, EU:C:2013:686, point 20 – Autonomie), du 28 juillet 2011, Commission/Hongrie (C-274/10, EU:C:2011:530, point 39), et du 12 mai 2011, Enel Maritsa Iztok 3 (C-107/10, EU:C:2011:298, point 29).


23      Arrêts du 16 juillet 2020, UR (C-424/19, EU:C:2020:581, point 25), du 4 mars 2020, Telecom Italia (C-34/19, EU:C:2020:148, point 58), du 10 juillet 2014, Impresa Pizzarotti (C-213/13, EU:C:2014:2067, point 54), du 24 octobre 2013, Rafinăria Steaua Română (C-431/12, EU:C:2013:686, point 20), du 21 janvier 2010, Alstom Power Hydro (C-472/08, EU:C:2010:32, point 17), et du 3 septembre 2009, Fallimento Olimpiclub (C-2/08, EU:C:2009:506, point 24).


24      Directive 2008/8/CE du Conseil du 12 février 2008 modifiant la directive 2006/112/CE en ce qui concerne le lieu des prestations de services (JO 2008, L 44, p. 11).


25      Voir, à titre d’illustration, considérant 3 de la directive 2008/8/CE.


26      Arrêts du 8 octobre 2020, Finanzamt D (C-657/19, EU:C:2020:811, point 29), du 21 janvier 2016, Les Jardins de Jouvence (C-335/14, EU:C:2016:36, point 41), ainsi que du 26 mai 2005, Kingscrest Associates et Montecello (C-498/03, EU:C:2005:322, point 30).


27      Arrêt du 15 novembre 2012, Zimmermann (C-174/11, EU:C:2012:716, point 37) ; voir également, en ce sens, arrêts du 21 janvier 2016, Les Jardins de Jouvence (C-335/14, EU:C:2016:36, point 39), ainsi que du 26 mai 2005, Kingscrest Associates et Montecello (C-498/03, EU:C:2005:322, point 53). De même, en ce qui concerne les prestations de soins exonérées : arrêts du 7 avril 2022, I (Exonération de la TVA des prestations hospitalières) (C-228/20, EU:C:2022:275, point 61), et du 5 mars 2020, Idealmed III (C-211/18, EU:C:2020:168, point 30 et 31).


28      Voir, en ce sens, arrêts du 16 octobre 2008, Canterbury Hockey Club et Canterbury Ladies Hockey Club (C-253/07, EU:C:2008:571, point 30), du 7 septembre 1999, Gregg (C-216/97, EU:C:1999:390, point 20), ainsi que du 11 juin 1998, Fischer (C-283/95, EU:C:1998:276, point 22).


29      Voir, sur ce principe, dans le cadre de la coopération en matière de justice pénale : arrêt du 12 mai 2021, République fédérale d’Allemagne (Red Notice, Interpol) (C-505/19, EU:C:2021:376, point 80 et jurisprudence citée). Voir également arrêt du 28 septembre 2006, van Straaten (C-150/05, EU:C:2006:614, point 43).