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Affaire C-471/04

Finanzamt Offenbach am Main-Land

contre

Keller Holding GmbH

(demande de décision préjudicielle, introduite par le Bundesfinanzhof)

«Liberté d'établissement — Impôt sur les sociétés — Droit pour une société mère de déduire des dépenses afférentes à ses participations — Non-déductibilité des dépenses de financement ayant un lien économique avec des dividendes exonérés d'impôt — Dividendes distribués par une filiale indirecte établie dans un État membre autre que celui du siège social de la société mère»

Arrêt de la Cour (première chambre) du 23 février 2006 

Sommaire de l'arrêt

Libre circulation des personnes — Liberté d'établissement — Législation fiscale

(Traité CE, art. 52 (devenu, après modification, art. 43 CE); accord EEE, art. 31)

Les articles 52 du traité (devenu, après modification, article 43 CE) et 31 de l'accord sur l'Espace économique européen doivent être interprétés en ce sens qu'ils s'opposent à une réglementation d'un État membre qui exclut la déductibilité fiscale des dépenses de financement exposées par une société mère assujettie intégralement à l'impôt dans cet État pour l'acquisition de participations dans une filiale lorsque ces dépenses se rapportent à des dividendes qui sont exonérés d'impôt en raison du fait qu'ils proviennent d'une filiale indirecte établie dans un autre État membre ou dans un État partie audit accord, alors que la déductibilité de telles dépenses est admise lorsque celles-ci se rapportent à des dividendes versés par une filiale indirecte établie dans le même État membre que celui du siège social de la société mère et qui, en réalité, bénéficient également d'une exonération d'impôt.

(cf. point 50 et disp.)




ARRÊT DE LA COUR (première chambre)

23 février 2006 (*)

«Liberté d’établissement – Impôt sur les sociétés – Droit pour une société mère de déduire des dépenses afférentes à ses participations – Non-déductibilité des dépenses de financement ayant un lien économique avec des dividendes exonérés d’impôt – Dividendes distribués par une filiale indirecte établie dans un État membre autre que celui du siège social de la société mère»

Dans l’affaire C-471/04,

ayant pour objet une demande de décision préjudicielle au titre de l’article 234 CE, introduite par le Bundesfinanzhof (Allemagne), par décision du 14 juillet 2004, parvenue à la Cour le 5 novembre 2004, dans la procédure

Finanzamt Offenbach am Main-Land

contre

Keller Holding GmbH,

LA COUR (première chambre),

composée de M. P. Jann, président de chambre, Mme N. Colneric, MM. K. Lenaerts (rapporteur), E. Juhász et E. Levits, juges,

avocat général: M. M. Poiares Maduro,

greffier: M. B. Fülöp, administrateur,

vu la procédure écrite et à la suite de l’audience du 1er décembre 2005,

considérant les observations présentées:

–       pour le Finanzamt Offenbach am Main-Land, par M. V. Hageböck, en qualité d’agent,

–       pour Keller Holding GmbH, par Mme K. Friedrich et M. H. Rehm, conseillers fiscaux, ainsi que par Me J. Nagler, Rechtsanwalt,

–       pour le gouvernement allemand, par Mme N. Wunderlich et M. U. Forsthoff, en qualité d’agents,

–       pour le gouvernement du Royaume-Uni, par Mme C. Jackson, en qualité d’agent, assistée de Mmes S. Moore et J. Stratford, barristers,

–       pour la Commission des Communautés européennes, par MM. R. Lyal et K. Gross, en qualité d’agents,

vu la décision prise, l’avocat général entendu, de juger l’affaire sans conclusions,

rend le présent

Arrêt

1       La demande de décision préjudicielle porte sur l’interprétation des articles 52 du traité CE (devenu, après modification, article 43 CE), 58 et 73 B du traité CE (devenus articles 48 CE et 56 CE).

2       Cette demande a été présentée dans le cadre d’un litige opposant le Finanzamt Offenbach am Main-Land à Keller Holding GmbH (ci-après «Keller Holding»), une société assujettie intégralement à l’impôt en Allemagne, à propos de la non-déductibilité fiscale de dépenses de financement ayant un lien économique avec des dividendes qui lui sont versés par une filiale indirecte établie en Autriche.

 Le cadre juridique

 L’accord sur l’Espace économique européen

3       L’article 6 de l’accord sur l’Espace économique européen, du 2 mai 1992 (JO 1994, L 1, p. 3, ci-après l’«accord EEE»), prévoit:

«Sans préjudice de l’évolution future de la jurisprudence, les dispositions du présent accord, dans la mesure où elles sont identiques en substance aux règles correspondantes du traité instituant la Communauté économique européenne, du traité instituant la Communauté européenne du charbon et de l’acier et des actes arrêtés en application de ces deux traités, sont, pour leur mise en œuvre et leur application, interprétées conformément à la jurisprudence pertinente de la Cour de justice des Communautés européennes antérieure à la date de signature du présent accord.»

4       L’article 31, paragraphe 1, de l’accord EEE est libellé comme suit:

«Dans le cadre du présent accord, les restrictions à la liberté d’établissement des ressortissants d’un État membre de la CE ou d’un État de l’AELE [Association européenne de libre-échange] sur le territoire d’un autre de ces États sont interdites. La présente disposition s’étend également à la création d’agences, de succursales ou de filiales par les ressortissants d’un État membre de la CE ou d’un État de l’AELE, établis sur le territoire de l’un de ces États.

La liberté d’établissement comporte l’accès aux activités non salariées et leur exercice ainsi que la constitution et la gestion d’entreprises, notamment de sociétés au sens de l’article 34 deuxième alinéa, dans les conditions définies par la législation du pays d’établissement pour ses propres ressortissants, sous réserve des dispositions du chapitre 4.»

5       L’article 34 de l’accord EEE dispose:

«Les sociétés constituées en conformité de la législation d’un État membre de la CE ou d’un État de l’AELE et ayant leur siège statutaire, leur administration centrale ou leur principal établissement à l’intérieur du territoire des parties contractantes sont assimilées, pour l’application des dispositions du présent chapitre, aux personnes physiques ressortissantes des États membres de la CE ou des États de l’AELE.

Par sociétés, on entend les sociétés de droit civil ou commercial, y compris les sociétés coopératives, et les autres personnes morales relevant du droit public ou privé, à l’exception des sociétés qui ne poursuivent pas de but lucratif.»

 La réglementation communautaire

6       Aux termes de l’article 4, paragraphes 1 et 2, de la directive 90/435/CEE du Conseil, du 23 juillet 1990, concernant le régime fiscal commun applicable aux sociétés mères et filiales d’États membres différents (JO L 225, p. 6):

«1.      Lorsqu’une société mère reçoit, à titre d’associée de sa société filiale, des bénéfices distribués autrement qu’à l’occasion de la liquidation de celle-ci, l’État de la société mère:

–       soit s’abstient d’imposer ces bénéfices,

–       soit les impose, tout en autorisant cette société à déduire du montant de son impôt la fraction de l’impôt de la filiale afférente à ces bénéfices […].

2.      Toutefois, tout État membre garde la faculté de prévoir que des charges se rapportant à la participation et des moins-values résultant de la distribution des bénéfices de la société filiale ne sont pas déductibles du bénéfice imposable de la société mère. […]»

 La convention entre la République fédérale d’Allemagne et la République d’Autriche tendant à éviter les doubles impositions

7       L’article 15 de la convention conclue le 4 octobre 1954 entre la République fédérale d’Allemagne et la République d’Autriche, tendant à éviter les doubles impositions en matière d’impôts sur le revenu et sur la fortune et en matière d’impôt commercial et d’impôt foncier (ci-après la «convention fiscale»), dispose que «[…] l’État de résidence exonère les revenus provenant de la distribution de dividendes qu’une société résidant dans cet État reçoit d’une autre société établie dans l’autre État et dont le capital appartient directement à la première à hauteur d’au moins 10 %».

 La réglementation nationale

8       L’article 8 b, paragraphe 1, de la loi de 1991 relative à l’impôt sur les sociétés (Körperschaftsteuergesetz 1991, ci-après le «KStG»), intitulé «Participation au capital de sociétés étrangères», prévoit que les dividendes qu’une société assujettie intégralement à l’impôt reçoit d’une société de capitaux assujettie intégralement ne sont pas pris en compte dans le calcul de l’assiette de l’impôt pour autant que la partie de capital propre issue de revenus étrangers exonérés «est réputée utilisée à ces fins».

9       Cette disposition permet notamment à une société assujettie intégralement à l’impôt en Allemagne de redistribuer au sein du groupe auquel elle appartient des dividendes perçus de sociétés établies en Autriche, qui sont eux-mêmes exonérés d’impôt en Allemagne conformément à l’article 15 de la convention fiscale, sans que les dividendes ainsi redistribués entrent dans l’assiette de l’impôt de la société qui les a perçus.

10     Dans une hypothèse purement nationale, les dividendes qu’une société assujettie intégralement à l’impôt en Allemagne distribue à une autre société assujettie intégralement entrent, pour cette dernière, dans l’assiette de l’impôt sur les sociétés. Toutefois, afin d’éviter une double imposition des bénéfices distribués, l’article 36, paragraphe 2, point 3, de la loi de 1990 relative à l’impôt sur le revenu (Einkommensteuergesetz 1990, ci-après l’«EStG») prévoit que l’impôt payé par une société assujettie intégralement et distribuant des dividendes est imputé sur l’impôt dû par l’actionnaire qui perçoit les dividendes. Dès lors, même si ceux-ci entrent dans l’assiette de l’impôt des sociétés assujetties intégralement en Allemagne, ces dernières sont exonérées de l’impôt sur les dividendes perçus par l’effet de la méthode de l’imputation de l’impôt déjà payé.

11     L’article 3 c de l’EStG dispose que, dans la mesure où elles ont un lien économique direct avec des bénéfices non imposables, des dépenses ne peuvent pas être déduites en tant que charges pour la détermination de l’assiette de l’impôt.

12     En vertu de cette disposition, lue en combinaison avec l’article 8 b, paragraphe 1, du KStG, l’interdiction de déduire les dépenses de financement relatives à une participation dans une société ne s’applique pas en l’absence de dividendes distribués sous le régime de l’exonération d’impôts. En revanche, si des dividendes sont distribués sous un tel régime, les dépenses de financement de la participation ne sont pas déductibles dans la proportion où elles se rapportent à ces dividendes.

 Le litige au principal et la question préjudicielle

13     Au cours des années 1993 à 1995, Keller Holding, ayant son siège social et sa direction sur le territoire allemand, a détenu en qualité d’associé unique, notamment, les parts sociales d’une autre société établie en Allemagne, Keller Grundbau GmbH (ci-après «Keller Grundbau»). Cette dernière détenait à son tour les parts sociales d’une société établie en Autriche, Keller Grundbau GmbH Wien (ci-après «Keller Wien»).

14     Au titre des années 1994 et 1995, Keller Wien a distribué des dividendes qui, conformément aux dispositions de la convention fiscale, ont été perçus sous le régime de l’exonération d’impôts par Keller Grundbau, laquelle les a reversés à Keller Holding. En vertu de l’article 8 b, paragraphe 1, du KStG, les dividendes ainsi redistribués n’ont pas été pris en compte pour la détermination de l’assiette de l’impôt sur les sociétés auquel Keller Holding était assujettie.

15     Cette dernière a déduit en tant que charges la totalité des intérêts sur le capital emprunté aux fins de sa prise de participation dans Keller Grundbau ainsi que des dépenses de gestion y afférentes. Le Finanzamt Offenbach-Stadt, dont relevait à l’époque Keller Holding en matière d’impôt sur les sociétés, a refusé la déduction desdites dépenses, en vertu des dispositions combinées des articles 8 b, paragraphe 1, du KStG et 3 c de l’EStG, dans la proportion où ces dépenses se rapportaient aux dividendes exonérés d’impôts, notamment ceux provenant de Keller Wien.

16     Keller Holding a introduit un recours devant le Hessische Finanzgericht, lequel y a fait droit pour ce qui concerne les avis d’imposition afférents aux années 1994 et 1995. Cette juridiction a en effet jugé que la réglementation nationale en cause était contraire aux articles 52, 58 et 73 B du traité.

17     Par la suite, le Finanzamt Offenbach am Main-Land est devenu compétent pour ce qui concerne l’imposition de Keller Holding. Il a alors introduit un recours en «Revision» devant le Bundesfinanzhof contre l’arrêt du Hessische Finanzgericht donnant satisfaction à cette société.

18     Le Bundesfinanzhof constate que les dividendes versés à une société mère assujettie intégralement en Allemagne par sa filiale indirecte établie en Autriche étant exclus de l’assiette de l’impôt auquel est assujettie cette société mère, en application des articles 8 b, paragraphe 1, du KStG et 3 c de l’EStG, les dépenses liées aux participations de cette dernière ne sont pas déductibles dans la proportion où elles se rapportent aux dividendes exonérés d’impôt. En revanche, les dividendes que perçoit une société assujettie intégralement en Allemagne d’une filiale indirecte établie sur le territoire allemand entrent dans l’assiette de l’impôt dû par la société bénéficiaire et les dépenses afférentes aux participations de celle-ci sont des dépenses déductibles, même si, en raison de l’imputation de l’impôt payé par la société distributrice de dividendes sur l’impôt dû par l’actionnaire qui perçoit les dividendes, les sociétés assujetties intégralement à l’impôt en Allemagne sont, en réalité, exonérées de l’impôt sur les dividendes versés par d’autres sociétés établies en Allemagne.

19     Dans ces conditions, le Bundesfinanzhof a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour la question préjudicielle suivante:

«Est-il compatible avec les dispositions combinées des articles 52 et 58 du traité […], ainsi qu’avec l’article 73 B du traité […] que les dépenses de financement engagées par une société et ayant un lien économique direct avec des bénéfices non imposables sur le territoire national, provenant de la participation dans une société de capitaux ayant son siège dans un autre État membre, ne soient déductibles en tant que charges que dans la mesure où aucun bénéfice n’a été distribué en exonération d’impôts au titre de ladite participation?»

 Sur la question préjudicielle

20     Par sa question, la juridiction de renvoi demande en substance si les dispositions du traité CE relatives à la liberté d’établissement et à la libre circulation des capitaux s’opposent à une réglementation d’un État membre qui exclut la déductibilité fiscale au profit d’une société mère assujettie intégralement à l’impôt dans cet État de dépenses de financement se rapportant à des dividendes qui sont exonérés d’impôt en raison du fait qu’ils proviennent d’une filiale indirecte établie dans un autre État membre.

 Observations liminaires

21     Il ressort de la décision de renvoi que la déductibilité, au titre des exercices 1994 et 1995, des dépenses de financement afférentes à la participation de Keller Holding au capital de Keller Grundbau a été refusée dans la mesure où celles-ci se rapportent à des dividendes versés par une filiale indirecte établie en Autriche à une filiale allemande et reversés par cette dernière à la société mère.

22     Il convient d’emblée de rejeter l’argumentation du Finanzamt Offenbach am Main-Land ainsi que des gouvernements allemand et du Royaume-Uni, selon laquelle le litige au principal concerne une situation purement interne à un État membre de sorte qu’il n’y aurait pas lieu d’interpréter les dispositions du traité relatives à la liberté d’établissement ou à la libre circulation des capitaux.

23     En effet, si le litige au principal concerne, certes, une société mère dont le siège social est en Allemagne qui s’oppose à la décision de l’administration fiscale allemande lui refusant le bénéfice de la déductibilité de dépenses engagées aux fins d’une prise de participation dans une filiale établie également en Allemagne, il n’en demeure pas moins que cette décision est fondée sur la réglementation nationale qui exclut la déductibilité desdites dépenses en raison du lien économique direct qui est censé exister entre celles-ci et les dividendes versés par une filiale indirecte établie en Autriche et qui, en tant que tels, sont exonérés de l’impôt sur les sociétés en Allemagne, en application de l’article 15 de la convention fiscale.

24     Dès lors que la réglementation en cause dans le litige au principal s’applique à des situations ayant un lien avec les échanges intracommunautaires, le problème posé par ce litige est susceptible de relever des dispositions du traité relatives aux libertés fondamentales (voir, en ce sens, arrêts du 15 décembre 1982, Oosthoek’s Uitgeversmaatschappij, 286/81, Rec. p. 4575, point 9, et du 15 mai 2003, Salzmann, C-300/01, Rec. p. I-4899, point 32).

25     En outre, il convient de rappeler que la République d’Autriche n’a adhéré à l’Union européenne que le 1er janvier 1995. Il s’ensuit que, pour autant que le litige au principal concerne des faits qui ont eu lieu en 1994, le traité ne s’appliquait pas à cet État.

26     Il incombe toutefois à la Cour de fournir à la juridiction nationale tous les éléments d’interprétation relevant du droit communautaire qui peuvent être utiles au jugement de l’affaire dont elle est saisie, qu’elle y ait fait ou non référence dans l’énoncé de ses questions (voir, notamment, arrêts du 4 mars 1999, Consorzio per la tutela del formaggio Gorgonzola, C-87/97, Rec. p. I-1301, point 16, et du 7 septembre 2004, Trojani, C-456/02, Rec. p. I-7573, point 38).

27     Dès lors, ainsi que le relèvent Keller Holding et la Commission des Communautés européennes, il y a lieu de tenir compte, pour autant que la demande de décision préjudicielle concerne des faits datant de 1994, des dispositions de l’accord EEE relatives à la liberté d’établissement et à la libre circulation des capitaux, qui s’appliquaient aux relations entre la République fédérale d’Allemagne et la République d’Autriche à partir du 1er janvier 1994 et jusqu’à l’adhésion de cette dernière à l’Union européenne.

 Sur l’interprétation des dispositions relatives à la liberté d’établissement

28     À titre liminaire, il convient de rappeler que, en vertu d’une jurisprudence constante, si la fiscalité directe relève de la compétence des États membres, ces derniers doivent toutefois exercer celle-ci dans le respect du droit communautaire (arrêts du 29 avril 1999, Royal Bank of Scotland, C-311/97, Rec. p. I-2651, point 19, et du 7 septembre 2004, Manninen, C-319/02, Rec. p. I-7477, point 19).

29     La liberté d’établissement, que l’article 52 du traité reconnaît aux ressortissants communautaires et qui comporte pour eux l’accès aux activités non salariées et leur exercice, ainsi que la constitution et la gestion d’entreprises, dans les mêmes conditions que celles définies par la législation de l’État membre d’établissement pour ses propres ressortissants, comprend, conformément à l’article 58 du traité, pour les sociétés constituées en conformité avec la législation d’un État membre et ayant leur siège statutaire, leur administration centrale ou leur principal établissement à l’intérieur de la Communauté, le droit d’exercer leur activité dans l’État membre concerné par l’intermédiaire d’une filiale, d’une succursale ou d’une agence (arrêt du 21 septembre 1999, Saint-Gobain ZN, C-307/97, Rec. p. I-6161, point 35).

30     En outre, même si, selon leur libellé, les dispositions relatives à la liberté d’établissement visent à assurer le bénéfice du traitement national dans l’État membre d’accueil, elles s’opposent également à ce que l’État d’origine entrave l’établissement dans un autre État membre d’un de ses ressortissants ou d’une société constituée en conformité avec sa réglementation (arrêt du 16 juillet 1998, ICI, C-264/96, Rec. p. I-4695, point 21).

31     Conformément à la réglementation en cause au principal, les dividendes versés par une filiale indirecte et redistribués à la société mère par une filiale de cette dernière entrent dans l’assiette de l’impôt dû par cette société mère lorsque toutes les sociétés concernées sont assujetties intégralement à l’impôt en Allemagne. Toutefois, par la méthode de l’imputation de l’impôt déjà payé, ces dividendes sont, en réalité, exonérés d’impôt.

32     En revanche, les dividendes versés dans les mêmes conditions par une filiale indirecte établie en Autriche sont, conformément à l’article 15 de la convention fiscale, directement exonérés d’impôt et n’entrent donc pas dans l’assiette de l’impôt dû par la société mère assujettie intégralement à l’impôt en Allemagne.

33     Dès lors que, conformément à l’article 3 c de l’EStG, des dépenses qui ont un lien économique direct avec des bénéfices non imposables ne peuvent pas être déduites en tant que charges, les dépenses de financement supportées par une société mère assujettie intégralement à l’impôt en Allemagne et qui détient indirectement une participation dans une filiale établie en Autriche ne sont pas déductibles pour autant qu’elles se rapportent aux dividendes versés par cette dernière et redistribués à la société mère sous le régime de l’exonération d’impôts. En revanche, dans l’hypothèse où toutes les sociétés concernées sont assujetties à l’impôt en Allemagne, de telles dépenses sont entièrement déductibles. En effet, dans cette hypothèse, les dividendes distribués entrent dans l’assiette de l’impôt auquel la société actionnaire est assujettie, même si, en réalité, ceux-ci sont également exonérés d’impôt.

34     Il s’ensuit que la situation fiscale d’une société ayant une filiale indirecte en Autriche, telle que la défenderesse au principal, est moins favorable que celle qui aurait été la sienne si cette filiale indirecte était établie en Allemagne. Certes, dans les deux cas, les dividendes peuvent être transférés au sein du groupe sans être taxés au moyen, respectivement, de l’exonération des dividendes versés par des sociétés établies en Autriche en application de la convention fiscale ou, dans le cas où la filiale indirecte est établie en Allemagne, par la méthode de l’imputation de l’impôt payé par la société ayant distribué des dividendes sur l’impôt dû par la société qui les a perçus. Toutefois, ce n’est que dans le cas où la filiale indirecte est établie sur le territoire national que les dépenses de financement ayant un lien économique avec les dividendes versés par cette dernière sont totalement déductibles.

35     Compte tenu de cette différence de traitement, une société mère pourrait être dissuadée d’exercer ses activités par l’intermédiaire de filiales ou de filiales indirectes établies dans d’autres États membres (voir, en ce sens, arrêt du 18 septembre 2003, Bosal, C-168/01, Rec. p. I-9409, point 27).

36     Toutefois, les gouvernements allemand et du Royaume-Uni font valoir, d’une part, qu’une telle différence de traitement ne constitue pas une restriction à la liberté d’établissement dès lors que la situation d’une société mère établie dans un État membre ayant une filiale indirecte dont le siège est situé dans le même État n’est pas comparable à celle d’une société mère dont la filiale indirecte est établie dans un autre État membre. Ils soulignent que, alors que les dividendes versés par une filiale indirecte nationale entrent dans la base d’imposition de la société mère, les dividendes versés par une filiale indirecte autrichienne sont exonérés d’impôt. La limitation de la déductibilité des dépenses de financement serait le corollaire du caractère non imposable des dividendes provenant de l’étranger. Le fait que Keller Holding ne bénéficie pas de la méthode de l’imputation fiscale résulterait de la circonstance que Keller Wien est établie en Autriche et, partant, est soumise à l’impôt sur les sociétés autrichien. Ainsi, cette dernière, à la différence d’une filiale indirecte établie en Allemagne, aurait payé l’impôt sur les sociétés aux autorités autrichiennes et non aux autorités allemandes.

37     À cet égard, il doit être relevé que, pour ce qui concerne l’imposition des dividendes perçus, les sociétés mères assujetties intégralement à l’impôt en Allemagne se trouvent dans une situation comparable, qu’elles reçoivent des dividendes d’une filiale indirecte établie dans cet État membre ou d’une filiale indirecte ayant son siège social en Autriche. En effet, dans les deux cas, les dividendes perçus par la société mère sont, en réalité, exonérés d’impôt. Dès lors, une limitation de la déductibilité des dépenses de financement dans le chef d’une société mère – en tant que corollaire de la non-imposition des dividendes – qui affecte uniquement les dividendes provenant de l’étranger ne reflète pas une différence de situation des sociétés mères selon que la filiale indirecte détenue par ces dernières a son siège en Allemagne ou dans un autre État membre.

38     Le fait que les filiales indirectes établies en Autriche ne sont pas assujetties à l’impôt sur les sociétés en Allemagne n’est pas pertinent à cet égard. En effet, la différence de traitement fiscal en cause au principal concerne les sociétés mères selon qu’elles disposent ou non de filiales indirectes en Allemagne, alors même que ces sociétés mères sont toutes établies dans cet État membre. Or, en ce qui concerne la situation fiscale de ces dernières au regard des dividendes versés par leurs filiales indirectes, force est de constater que ceux-ci ne donnent pas lieu à une perception d’impôt dans le chef des sociétés mères, qu’ils proviennent de filiales indirectes imposables en Allemagne ou en Autriche.

39     D’autre part, en se référant aux arrêts du 28 janvier 1992, Bachmann (C-204/90, Rec. p. I-249) et Commission/Belgique (C-300/90, Rec. p. I-305), les gouvernements allemand et du Royaume-Uni soutiennent que la réglementation fiscale en cause au principal est objectivement justifiée par la nécessité de maintenir la cohérence du système fiscal national. Il existerait un lien direct, dans le cadre d’une même imposition, entre l’octroi d’un avantage fiscal, à savoir la déductibilité des dépenses de financement liées à la participation acquise par une société dans une autre société, et la compensation de cet avantage par un prélèvement fiscal, en l’occurrence l’imposition des dividendes distribués. Inversement, le désavantage fiscal que subit une société mère telle que celle au principal, à savoir la non-déductibilité desdites dépenses, serait compensé par un avantage correspondant, en l’occurrence la perception de dividendes exonérés d’impôt.

40     À cet égard, il y a lieu de rappeler que, aux points 28 et 21 respectivement des arrêts précités Bachmann et Commission/Belgique, la Cour a admis que la nécessité de préserver la cohérence d’un régime fiscal peut justifier une restriction à l’exercice des libertés fondamentales garanties par le traité. Toutefois, pour qu’un argument fondé sur une telle justification puisse prospérer, il faut que soit établie l’existence d’un lien direct entre l’avantage fiscal concerné et la compensation de cet avantage par un prélèvement fiscal déterminé (voir, en ce sens, arrêts du 14 novembre 1995, Svensson et Gustavsson, C-484/93, Rec. p. I-3955, point 18; ICI, précité, point 29, et Manninen, précité, point 42).

41     Or, il ressort de l’examen de la réglementation nationale en cause que les sociétés assujetties intégralement à l’impôt en Allemagne et qui contrôlent une filiale ou une filiale indirecte établie dans ce même État membre bénéficient à la fois de la déductibilité fiscale des dépenses de financement afférentes à leurs participations et de l’exonération fiscale des dividendes en application de la méthode d’imputation de l’impôt. En revanche, même si les dividendes que les sociétés mères assujetties intégralement à l’impôt en Allemagne perçoivent d’une filiale ou d’une filiale indirecte établie en Autriche sont également exonérés d’impôt, la déduction fiscale des dépenses afférentes à leurs participations est toujours exclue.

42     Ainsi, ne saurait être retenu, au titre de la nécessité de sauvegarder la cohérence fiscale, l’argument selon lequel, pour une société mère allemande ayant perçu des dividendes distribués par une filiale indirecte établie en Autriche, la non-déductibilité de ses dépenses de financement compense l’avantage fiscal constitué par l’exonération desdits dividendes dès lors que, dans le cas d’une société mère percevant des dividendes d’une filiale indirecte établie en Allemagne, l’avantage fiscal que constitue la déductibilité des dépenses de financement afférentes à ses participations dans le capital de filiales ne correspond, dans les faits, à aucun prélèvement fiscal sur les dividendes distribués au profit de cette société mère. En effet, ainsi que le fait valoir le gouvernement allemand lui-même, dans ce dernier cas, afin d’éviter la double imposition économique des bénéfices distribués, l’assujettissement à l’impôt sur les sociétés des dividendes distribués est compensé par l’imputation de l’impôt payé par la société distributrice.

43     En vue d’établir l’existence de la nécessité de sauvegarder la cohérence du système fiscal, le gouvernement allemand ne saurait non plus tirer argument du fait que les bénéfices réalisés par la filiale indirecte étrangère – contrairement à ceux de la filiale indirecte établie en Allemagne – ne sont pas imposables dans cet État membre. En effet, la réglementation en cause au principal n’établit pas de relation entre la déductibilité des dépenses de financement relatives aux participations de la société mère et les bénéfices imposables dans le chef de la filiale indirecte. En outre, les bénéfices réalisés par cette filiale indirecte et qui lui ont permis de distribuer des dividendes sont soumis à l’impôt sur les sociétés en Autriche, tout comme sont imposables en Allemagne les bénéfices d’une filiale indirecte dont le siège est situé dans cet État membre, le lieu d’établissement de la société mère étant indifférent à cet égard .

44     Pour les mêmes raisons, la réglementation nationale en cause au principal ne peut être justifiée par le principe de territorialité, tel qu’il est admis par la Cour au point 22 de l’arrêt du 15 mai 1997, Futura Participations et Singer (C-250/95, Rec. p. I-2471). En effet, cette réglementation ne saurait être considérée comme une mise en œuvre dudit principe dans la mesure où elle exclut la déductibilité des dépenses de financement exposées par une société mère assujettie intégralement à l’impôt en Allemagne et percevant des dividendes provenant d’une filiale indirecte établie en Autriche en raison du fait que ceux-ci sont exonérés d’impôt en Allemagne, alors que les dividendes versés à la même société mère par une filiale indirecte assujettie intégralement à l’impôt en Allemagne et ayant son siège social dans cet État membre bénéficient également dans les faits, au moyen de la méthode de l’imputation de l’impôt payé par la société distributrice, d’une telle exonération.

45     Afin de justifier la réglementation nationale en cause au principal, le gouvernement allemand n’est pas non plus fondé à invoquer le fait que celle-ci se borne à mettre en œuvre un pouvoir d’imposition prévu à l’article 4, paragraphe 2, de la directive 90/435, qui reconnaît à tout État membre la possibilité de prévoir, lorsqu’une société mère reçoit des bénéfices distribués par une filiale établie dans un autre État membre – bénéfices que le premier État membre soit s’abstient d’imposer, soit impose tout en autorisant cette société mère à déduire du montant de son impôt la fraction de l’impôt de la filiale afférente à ces bénéfices –, que des charges se rapportant à cette participation ne sont pas déductibles du bénéfice imposable de cette société mère. En effet, indépendamment de la question de savoir si cette directive s’applique au cas d’espèce, une telle possibilité ne saurait être exercée que dans le respect des dispositions fondamentales du traité, en l’occurrence l’article 52 de celui-ci.

46     Faute d’avoir établi que la réglementation nationale en cause au principal est justifiée par des raisons impérieuses d’intérêt général, il convient de conclure que l’article 52 du traité s’oppose à une telle réglementation.

47     Pour autant que cette réglementation s’applique à des faits qui ont eu lieu en 1994, il convient de se référer aux dispositions relatives à la liberté d’établissement telles que contenues dans l’accord EEE.

48     Ainsi que le précise son article 6, les dispositions de cet accord, dans la mesure où elles sont identiques en substance aux règles correspondantes du traité et des actes arrêtés en application de celui-ci, sont, pour leur mise en œuvre et leur application, interprétées conformément à la jurisprudence pertinente de la Cour antérieure à la signature dudit accord. Par ailleurs, tant la Cour que la Cour AELE ont reconnu la nécessité de veiller à ce que les règles de l’accord EEE identiques en substance à celles du traité soient interprétées de manière uniforme (arrêts de la Cour du 23 septembre 2003, Ospelt et Schlössle Weissenberg, C-452/01, Rec. p. I-9743, point 29, et du 1er avril 2004, Bellio F.lli, C-286/02, Rec. p. I-3465, point 34; voir également arrêt de la Cour AELE du 12 décembre 2003, EFTA Surveillance Authority/Iceland, E-1/03, EFTA Court Report, p. 143, point 27).

49     Or, il convient de relever que les règles interdisant les restrictions à la liberté d’établissement énoncées à l’article 31 de l’accord EEE sont identiques à celles qu’impose l’article 52 du traité.

50     Dans ces conditions, il y a lieu de répondre à la question posée que les articles 52 du traité et 31 de l’accord EEE doivent être interprétés en ce sens qu’ils s’opposent à une réglementation d’un État membre qui exclut la déductibilité fiscale des dépenses de financement exposées par une société mère assujettie intégralement à l’impôt dans cet État pour l’acquisition de participations dans une filiale lorsque ces dépenses se rapportent à des dividendes qui sont exonérés d’impôt en raison du fait qu’ils proviennent d’une filiale indirecte établie dans un autre État membre ou dans un État partie audit accord, alors que la déductibilité de telles dépenses est admise lorsque celles-ci se rapportent à des dividendes versés par une filiale indirecte établie dans le même État membre que celui du siège social de la société mère et qui, en réalité, bénéficient également d’une exonération d’impôt.

 Sur l’interprétation des dispositions relatives à la libre circulation des capitaux

51     Les dispositions du traité et de l’accord EEE relatives à la liberté d’établissement s’opposant ainsi à une réglementation nationale telle que celle en cause au principal, il n’est pas nécessaire d’examiner si les dispositions du traité concernant la libre circulation des capitaux s’opposent également à cette réglementation.

 Sur les dépens

52     La procédure revêtant, à l’égard des parties au principal, le caractère d’un incident soulevé devant la juridiction de renvoi, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens. Les frais exposés pour soumettre des observations à la Cour, autres que ceux desdites parties, ne peuvent faire l’objet d’un remboursement.

Par ces motifs, la Cour (première chambre) dit pour droit:

Les articles 52 du traité CE (devenu, après modification, article 43 CE) et 31 de l’accord sur l’Espace économique européen, du 2 mai 1992, doivent être interprétés en ce sens qu’ils s’opposent à une réglementation d’un État membre qui exclut la déductibilité fiscale des dépenses de financement exposées par une société mère assujettie intégralement à l’impôt dans cet État pour l’acquisition de participations dans une filiale lorsque ces dépenses se rapportent à des dividendes qui sont exonérés d’impôt en raison du fait qu’ils proviennent d’une filiale indirecte établie dans un autre État membre ou dans un État partie audit accord, alors que la déductibilité de telles dépenses est admise lorsque celles-ci se rapportent à des dividendes versés par une filiale indirecte établie dans le même État membre que celui du siège social de la société mère et qui, en réalité, bénéficient également d’une exonération d’impôt.

Signatures


* Langue de procédure: l’allemand.