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Affaire C-182/06

État du Grand-Duché de Luxembourg

contre

Hans Ulrich Lakebrink et Katrin Peters-Lakebrink

(demande de décision préjudicielle, introduite par la Cour administrative)

«Article 39 CE — Impôt sur le revenu des non-résidents — Calcul du taux d'imposition — Biens immobiliers situés sur le territoire d'un autre État membre — Revenus locatifs négatifs non pris en compte»

Sommaire de l'arrêt

Libre circulation des personnes — Travailleurs — Égalité de traitement — Rémunération — Impôts sur le revenu

(Art. 39 CE)

L'article 39 CE doit être interprété en ce sens qu'il s'oppose à une réglementation nationale qui ne permet pas à un ressortissant communautaire, non-résident de l'État membre dans lequel il perçoit des revenus constituant l'essentiel de ses ressources imposables, de demander la prise en compte, aux fins de la détermination du taux d'imposition applicable auxdits revenus, des revenus locatifs négatifs relatifs à des immeubles non occupés personnellement et situés dans un autre État membre, alors qu'un résident du premier État peut demander la prise en compte desdits revenus locatifs négatifs.

En matière d'impôts directs, la situation des résidents et celle des non-résidents ne sont, en règle générale, pas comparables, de sorte que le fait, pour un État membre, de ne pas faire bénéficier un contribuable non-résident de certains avantages fiscaux qu'il accorde à un contribuable résident n'est, en règle générale, pas discriminatoire, puisque ces deux catégories de contribuables ne se trouvent pas dans une situation comparable.

Il en va toutefois différemment dans le cas où le non-résident ne perçoit pas de revenu significatif dans son État de résidence et tire l'essentiel de ses ressources imposables d'une activité exercée dans l'État d'emploi, de sorte que l'État de résidence n'est pas en mesure de lui accorder les avantages résultant de la prise en compte de sa situation personnelle et familiale, la discrimination consistant dans le fait que celle-ci n'est prise en compte ni dans l'État de résidence ni dans l'État d'emploi.

La ratio sur laquelle se fonde ladite discrimination porte sur tous les avantages fiscaux liés à la capacité contributive du non-résident qui ne sont pris en compte ni dans l'État de résidence ni dans l'État d'emploi, la capacité contributive faisant partie de la situation personnelle du non-résident.

(cf. points 28-31, 34, 36 et disp.)




ARRÊT DE LA COUR (première chambre)

18 juillet 2007 (*)

«Article 39 CE – Impôt sur le revenu des non-résidents – Calcul du taux d’imposition – Biens immobiliers situés sur le territoire d’un autre État membre – Revenus locatifs négatifs non pris en compte»

Dans l’affaire C-182/06,

ayant pour objet une demande de décision préjudicielle au titre de l’article 234 CE, introduite par la Cour administrative (Luxembourg), par décision du 6 avril 2006, parvenue à la Cour le 10 avril 2006, dans la procédure

État du Grand-Duché de Luxembourg

contre

Hans Ulrich Lakebrink,      

Katrin Peters-Lakebrink,

LA COUR (première chambre),

composée de M. P. Jann, président de chambre, MM. R. Schintgen, A. Tizzano, M. Ilešič et E. Levits (rapporteur), juges,

avocat général: M. P. Mengozzi,

greffier: M. R. Grass,

vu la procédure écrite,

considérant les observations présentées:

–        pour l’État du Grand-Duché de Luxembourg, par M. C. Schiltz, en qualité d’agent,

–        pour M. Lakebrink et Mme Peters-Lakebrink, par Me M. Kleyr, avocat,

–        pour le gouvernement néerlandais, par Mmes H. G. Sevenster et M. de Mol, en qualité d’agents,

–        pour le gouvernement suédois, par Mme K. Wistrand, en qualité d’agent,

–        pour la Commission des Communautés européennes, par MM. R. Lyal et J.-P. Keppenne, en qualité d’agents,

ayant entendu l’avocat général en ses conclusions à l’audience du 29 mars 2007,

rend le présent

Arrêt

1        La demande de décision préjudicielle porte sur l’interprétation de l’article 39 CE.

2        Cette demande a été présentée dans le cadre d’un litige opposant l’État du Grand-Duché de Luxembourg à M. Lakebrink et Mme Peters-Lakebrink (ci-après ensemble les «époux Lakebrink») au sujet de l’impôt sur le revenu auquel ils ont été assujettis au Luxembourg au titre de l’année 2002.

 Le cadre juridique, le litige au principal et la question préjudicielle

3        Les époux Lakebrink, ressortissants et résidents allemands, exercent tous les deux une activité salariale exclusivement au Luxembourg. Pour l’année 2002, ils ont sollicité leur imposition collective dans cet État membre au sens des dispositions de l’article 157 ter de la loi modifiée du 4 décembre 1967 relative à l’impôt sur le revenu (ci-après la «LIR»).

4        Dans leur déclaration fiscale adressée à l’administration fiscale luxembourgeoise, les époux Lakebrink ont fait état d’un revenu locatif négatif d’un montant de 26 080 euros se rapportant à deux immeubles dont ils sont propriétaires en Allemagne sans les occuper personnellement. Ils ont sollicité la prise en compte de cette perte locative pour la détermination du taux d’imposition dont bénéficient les résidents.

5        Ledit revenu locatif négatif a été dûment constaté dans le bulletin d’imposition des époux pour l’année 2002, dressé par le Finanzamt Trier (Allemagne), le 30 juillet 2003. Il ressort de ce bulletin d’imposition que les époux Lakebrink n’ont pas perçu de revenus imposables en Allemagne. De ce fait, ils n’y ont pas payé d’impôts.

6        À la suite de leur demande, les époux Lakebrink ont été imposés collectivement au Luxembourg. Conformément à l’article 157 ter de la LIR, l’imposition a été calculée au taux qui leur aurait été applicable s’ils avaient été résidents de cet État membre. Cependant, s’agissant de la détermination de ce taux, le revenu locatif négatif provenant de leurs biens immobiliers situés en Allemagne n’a pas été pris en considération.

7        En effet, l’article 157 ter de la LIR prévoit que, par dérogation au régime d’imposition applicable aux contribuables résidents, où la règle de progressivité pour le calcul du taux d’imposition s’applique à l’ensemble des revenus dont le droit d’imposition est attribué à d’autres États, le régime d’imposition applicable aux contribuables non-résidents prévoit que la clause de progressivité s’applique, conformément à l’article 134 de la LIR, outre aux revenus indigènes, aux seuls revenus professionnels étrangers desdits contribuables.

8        En application de l’article 4 de la convention, conclue le 23 août 1958 entre le Grand-Duché de Luxembourg et la République fédérale d’Allemagne, tendant à éviter les doubles impositions et à établir des règles d’assistance administrative réciproque en matière d’impôts sur le revenu et sur la fortune et en matière d’impôt commercial communal et d’impôt foncier, le droit d’imposition des revenus provenant de la location de biens immobiliers appartient à l’État de la situation de l’immeuble, en l’occurrence à la République fédérale d’Allemagne.

9        Les époux Lakebrink ont introduit une réclamation à l’encontre du bulletin de l’impôt sur le revenu dressé par l’administration fiscale luxembourgeoise. Cette réclamation est restée sans réponse. Leur recours tendant à la réformation de ce bulletin a été déclaré justifié par le tribunal administratif luxembourgeois.

10      L’État du Grand-Duché de Luxembourg a interjeté appel contre cette décision devant la Cour administrative. Cette dernière se demande notamment si l’application de l’article 157 ter de la LIR, en ce qu’il implique le refus de la prise en considération des revenus locatifs négatifs provenant des biens immobiliers des époux Lakebrink situés en Allemagne pour la détermination du taux d’imposition applicable à leurs revenus de source luxembourgeoise, constitue une discrimination indirecte prohibée par l’article 39 CE.

11      Dans ces conditions, la Cour administrative a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour la question préjudicielle suivante:

«Est-ce que l’article 39 CE doit être interprété en ce sens qu’il s’oppose à une réglementation nationale, telle que celle instaurée au [...] Luxembourg par l’article 157 ter ?de la? LIR, en application de laquelle un ressortissant communautaire, non-résident luxembourgeois, qui perçoit, de source luxembourgeoise, des revenus d’un travail[salarié], lesdits revenus constituant l’essentiel de ses ressources imposables, ne peut pas faire valoir ses revenus locatifs négatifs relatifs à des immeubles, non occupés personnellement, situés dans un autre État membre, en l’occurrence en Allemagne, aux fins de la détermination du taux d’imposition applicable à ses revenus de source luxembourgeoise?»

 Sur la question préjudicielle

12      Par sa question, la juridiction de renvoi demande, en substance, si l’article 39 CE doit être interprété en ce sens qu’il s’oppose à une réglementation nationale telle que celle en cause au principal en vertu de laquelle un ressortissant communautaire, non-résident de l’État membre dans lequel il perçoit des revenus constituant l’essentiel de ses ressources imposables, ne peut, aux fins de la détermination du taux d’imposition applicable auxdits revenus, faire valoir des revenus locatifs négatifs relatifs à des immeubles non occupés personnellement et situés dans un autre État membre, alors qu’un résident du premier État peut faire valoir lesdits revenus locatifs négatifs.

13      La législation en cause au principal établit un régime fiscal différent selon que le travailleur percevant l’essentiel de ses ressources imposables au Luxembourg y est résident ou non.

14       À cet égard, il y a lieu de rappeler, tout d’abord, que, si la matière des impôts directs ne relève pas en tant que telle du domaine de la compétence de la Communauté européenne, il n’en reste pas moins que les États membres doivent exercer leurs compétences retenues dans le respect du droit communautaire (voir, notamment, arrêts du 14 février 1995, Schumacker, C-279/93, Rec. p. I-225, point 21, et du 3 octobre 2006, FKP Scorpio Konzertproduktionen, C-290/04, Rec. p. I-9461, point 30).

15      Il convient de constater, ensuite, que tout ressortissant communautaire, indépendamment de son lieu de résidence et de sa nationalité, qui exerce une activité professionnelle dans un État membre autre que celui de résidence, relève du champ d’application de l’article 39 CE (voir arrêt du 21 février 2006, Ritter-Coulais, C-152/03, Rec. p. I-1711, point 31).

16       Il s’ensuit que la situation des époux Lakebrink, qui travaillaient dans un État membre autre que celui où se trouvait leur résidence, relève du champ d’application de l’article 39 CE.

17      Enfin, il résulte d’une jurisprudence constante que l’ensemble des dispositions du traité CE relatives à la libre circulation des personnes visent à faciliter, pour les ressortissants communautaires, l’exercice d’activités professionnelles de toute nature sur le territoire de la Communauté et s’opposent aux mesures qui pourraient défavoriser ces ressortissants lorsqu’ils souhaitent exercer une activité économique sur le territoire d’un autre État membre (voir arrêts du 15 juin 2000, Sehrer, C-302/98, Rec. p. I-4585, point 32, ainsi que du 13 novembre 2003, Schilling et Fleck-Schilling, C-209/01, Rec. p. I-13389, point 24).

18      Les époux Lakebrink, travaillant au Luxembourg tout en résidant en Allemagne, n’avaient pas, à la différence des personnes travaillant et résidant au Luxembourg, le droit, selon la législation luxembourgeoise, de demander la prise en compte des pertes de revenu locatif lié à leurs biens immobiliers situés en Allemagne pour la détermination du taux d’imposition de leurs revenus perçus au Luxembourg.

19      Par conséquent, le traitement réservé par la réglementation en cause au principal aux travailleurs non-résidents, tels que les époux Lakebrink, est moins avantageux que celui dont bénéficient les travailleurs résidents.

20      Les gouvernements luxembourgeois et néerlandais avancent, au contraire, que, dans la mesure où cette réglementation ne tient compte d’aucun revenu étranger non professionnel, qu’il soit négatif ou positif, elle offre aux contribuables non-résidents un régime fiscal globalement plus avantageux par rapport à celui des contribuables résidents.

21      Une telle appréciation globale des effets de ladite réglementation ne saurait être retenue, dans la mesure où elle équivaudrait à vider de son contenu l’interdiction établie par l’article 39 CE.

22      En effet, si une réglementation telle que celle en cause au principal peut offrir des avantages fiscaux à des contribuables non-résidents faisant valoir des revenus étrangers non professionnels positifs, ou du moins en majorité positifs, il en est autrement en ce qui concerne des contribuables non-résidents tels que les époux Lakebrink, qui ne disposent que de revenus étrangers non professionnels négatifs.

23      Or, ainsi que M. l’avocat général le relève au point 29 de ses conclusions, la circonstance que dans une situation telle que celle de l’affaire au principal la réglementation en cause défavorise des non-résidents ne saurait être compensée par le fait que, dans d’autres situations, cette même réglementation n’affecte pas les non-résidents par rapport aux résidents.

24      Dans ce contexte, il convient de rappeler qu’il est de jurisprudence constante qu’un traitement fiscal défavorable contraire à une liberté fondamentale ne saurait être justifié par l’existence d’autres avantages fiscaux, à supposer même que de tels avantages existent (voir arrêt du 12 décembre 2002, de Groot, C-385/00, Rec. p. I-11819, point 97 et jurisprudence citée).

25      En outre, il importe de relever que, en l’absence de revenus imposables dans leur État de résidence, des travailleurs, tels que les époux Lakebrink, n’ont pas la possibilité de demander la prise en compte des pertes de revenu locatif lié à leurs biens immobiliers situés dans cet État et se voient alors privés de toute possibilité de faire valoir leur revenu locatif négatif pour la détermination du taux d’imposition de l’ensemble de leurs revenus.

26      Dans ces conditions, il convient de vérifier si le désavantage fiscal frappant destravailleurs ne résidant pas au Luxembourg, tels que les époux Lakebrink, est susceptible de constituer une discrimination indirecte fondée sur la nationalité prohibée par l’article 39 CE.

27      En effet, en vertu d’une jurisprudence constante, une discrimination ne peut consister que dans l’application de règles différentes à des situations comparables ou bien dans l’application de la même règle à des situations différentes (arrêts Schumacker, précité, point 30; du 29 avril 1999, Royal Bank of Scotland, C-311/97, Rec. p. I-2651, point 26, et du 22 mars 2007, Talotta, C-383/05, non encore publié au Recueil, point 18).

28      Or, en matière d’impôts directs, la situation des résidents et celle des non-résidents ne sont, en règle générale, pas comparables (arrêt Schumacker, précité, point 31).

29      En conséquence, le fait, pour un État membre, de ne pas faire bénéficier un contribuable non-résident de certains avantages fiscaux qu’il accorde à un contribuable résident n’est, en règle générale, pas discriminatoire, puisque ces deux catégories de contribuables ne se trouvent pas dans une situation comparable.

30      Selon une jurisprudence bien établie, il en va toutefois différemment dans le cas où le non-résident ne perçoit pas de revenu significatif dans son État de résidence et tire l’essentiel de ses ressources imposables d’une activité exercée dans l’État d’emploi, de sorte que l’État de résidence n’est pas en mesure de lui accorder les avantages résultant de la prise en compte de sa situation personnelle et familiale (voir, notamment, arrêt Schumacker, précité, point 36).

31      Selon cette même jurisprudence, la discrimination consiste dans le fait que la situation personnelle et familiale d’un non-résident qui perçoit, dans un État membre autre que celui de sa résidence, l’essentiel de ses revenus et la quasi-totalité de ses revenus familiaux, n’est prise en compte ni dans l’État de résidence ni dans l’État d’emploi (arrêt Schumacker, précité, point 38).

32      Cette jurisprudence s’applique dans une situation telle que celle de l’espèce au principal.

33      En effet, d’une part, la discrimination évoquée au point 31 du présent arrêt concerne a fortiori des travailleurs non-résidents, tels que les époux Lakebrink, qui, ainsi qu’il a été souligné au point 25 du présent arrêt, ne perçoivent aucun revenu dans leur État de résidence et tirent la totalité de leurs revenus familiaux d’une activité exercée dans l’État d’emploi.

34      D’autre part, la ratio sur laquelle se fonde la discrimination constatée par la Cour dans l’arrêt Schumacker, précité, et rappelée au point 31 du présent arrêt, porte, ainsi que M. l’avocat général l’a mis en évidence au point 36 de ses conclusions, sur tous les avantages fiscaux liés à la capacité contributive du non-résident qui ne sont pris en compte ni dans l’État de résidence ni dans l’État d’emploi (voir, également, les conclusions de l’avocat général Léger dans l’affaire ayant donné lieu à l’arrêt Ritter-Coulais, précité, points 97 à 99), la capacité contributive pouvant d’ailleurs être qualifiée comme faisant partie de la situation personnelle du non-résident au sens de l’arrêt Schumacker, précité.

35      Par conséquent, le refus de la prise en considération, par l’administration fiscale d’un État membre, des revenus locatifs négatifs relatifs à des biens immobiliers d’un contribuable situés à l’étranger, constitue une discrimination prohibée par l’article 39 CE.

36      Eu égard aux considérations qui précèdent, il convient de répondre à la question posée que l’article 39 CE doit être interprété en ce sens qu’il s’oppose à une réglementation nationale qui ne permet pas à un ressortissant communautaire, non-résident de l’État membre dans lequel il perçoit des revenus constituant l’essentiel de ses ressources imposables, de demander la prise en compte, aux fins de la détermination du taux d’imposition applicable auxdits revenus, des revenus locatifs négatifs relatifs à des immeubles non occupés personnellement et situés dans un autre État membre, alors qu’un résident du premier État peut demander la prise en compte desdits revenus locatifs négatifs.

Sur les dépens

37      La procédure revêtant, à l’égard des parties au principal, le caractère d’un incident soulevé devant la juridiction de renvoi, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens. Les frais exposés pour soumettre des observations à la Cour, autres que ceux desdites parties, ne peuvent faire l’objet d’un remboursement.

Par ces motifs, la Cour (première chambre) dit pour droit:

L’article 39 CEdoit être interprété en ce sens qu’il s’oppose à une réglementation nationale qui ne permet pas à un ressortissant communautaire, non-résident de l’État membre dans lequel il perçoit des revenusconstituant l’essentiel de ses ressources imposables, de demander la prise en compte, aux fins de la détermination du taux d’imposition applicable auxdits revenus, des revenus locatifs négatifs relatifs à des immeubles non occupés personnellement et situés dans un autre État membre, alors qu’un résident du premier État peut demander la prise en compte desdits revenus locatifs négatifs.

Signatures


* Langue de procédure: le français.