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ARRÊT DE LA COUR (cinquième chambre)

22 octobre 2015 (*)

«Renvoi préjudiciel – Fiscalité – Taxe sur la valeur ajoutée – Sixième directive – Droit à déduction – Refus – Vente réalisée par une entité considérée comme non existante»

Dans l’affaire C-277/14,

ayant pour objet une demande de décision préjudicielle au titre de l’article 267 TFUE, introduite par le Naczelny Sąd Administracyjny (Cour suprême administrative, Pologne), par décision du 6 mars 2014, parvenue à la Cour le 5 juin 2014, dans la procédure

PPUH Stehcemp sp. j. Florian Stefanek, Janina Stefanek, Jarosław Stefanek

contre

Dyrektor Izby Skarbowej w Łodzi,

LA COUR (cinquième chambre),

composée de M. T. von Danwitz (rapporteur), président de la quatrième chambre, faisant fonction de président de la cinquième chambre, MM. D. Šváby, A. Rosas, E. Juhász et C. Vajda, juges,

avocat général: M. Y. Bot,

greffier: M. A. Calot Escobar,

vu la procédure écrite,

considérant les observations présentées:

–        pour le Dyrektor Izby Skarbowej w Łodzi, par MM. P. Szczerbiak et T. Szymański, en qualité d’agents,

–        pour le gouvernement polonais, par M. B. Majczyna, en qualité d’agent,

–        pour le gouvernement autrichien, par M. G. Eberhard, en qualité d’agent,

–        pour la Commission européenne, par Mmes L. Lozano Palacios et M. Owsiany-Hornung, en qualité d’agents,

vu la décision prise, l’avocat général entendu, de juger l’affaire sans conclusions,

rend le présent

Arrêt

1        La demande de décision préjudicielle porte sur l’interprétation de la sixième directive 77/388/CEE du Conseil, du 17 mai 1977, en matière d’harmonisation des législations des États membres relatives aux taxes sur le chiffre d’affaires – Système commun de taxe sur la valeur ajoutée: assiette uniforme (JO L 145, p. 1), telle que modifiée par la directive 2002/38/CE du Conseil, du 7 mai 2002 (JOL 128, p. 41, ci-après la «sixième directive»).

2        Cette demande a été présentée dans le cadre d’un litige opposant PPUH Stehcemp sp. j. Florian Stefanek, Janina Stefanek, Jarosław Stefanek (ci-après «PPUH Stehcemp») au Dyrektor Izby Skarbowej w Łodzi (directeur de la chambre fiscale de Łódź) au sujet du refus de ce dernier d’admettre le droit de déduire la taxe sur la valeur ajoutée (ci-après la «TVA») acquittée en amont par PPUH Stehcemp sur des opérations considérées comme suspectes.

 Le cadre juridique

 Le droit de l’Union

3        En vertu de l’article 2, paragraphe 1, de la sixième directive, sont soumises à la TVA «les livraisons de biens et les prestations de services, effectuées à titre onéreux à l’intérieur du pays par un assujetti agissant en tant que tel».

4        L’article 4, paragraphes 1 et 2, de cette directive dispose:

«1.      Est considéré comme assujetti quiconque accomplit, d’une façon indépendante et quel qu’en soit le lieu, une des activités économiques mentionnées au paragraphe 2, quels que soient les buts ou les résultats de cette activité.

2.      Les activités économiques visées au paragraphe 1 sont toutes les activités de producteur, de commerçant ou de prestataire de services, y compris les activités extractives, agricoles et celles des professions libérales ou assimilées. Est notamment considérée comme activité économique une opération comportant l’exploitation d’un bien corporel ou incorporel en vue d’en retirer des recettes ayant un caractère de permanence.»

5        Selon l’article 5, paragraphe 1, de ladite directive, est considéré comme «livraison d’un bien» le transfert du pouvoir de disposer d’un bien corporel comme un propriétaire.

6        L’article 10, paragraphes 1 et 2, de la sixième directive dispose:

«1.      Sont considérés comme:

a)      fait générateur de la taxe: le fait par lequel sont réalisées les conditions légales, nécessaires pour l’exigibilité de la taxe;

b)      exigibilité de la taxe: le droit que le Trésor peut faire valoir aux termes de la loi, à partir d’un moment donné, auprès du redevable pour le paiement de la taxe, même si le paiement peut en être reporté.

2.      Le fait générateur de la taxe intervient et la taxe devient exigible au moment où la livraison du bien ou la prestation de services est effectuée. [...]»

7        Aux termes de l’article 17, paragraphe 1, de la sixième directive, «[l]e droit à déduction prend naissance au moment où la taxe déductible devient exigible».

8        L’article 17, paragraphe 2, sous a), de cette directive, dans sa rédaction résultant de l’article 28 septies, point 1, de ladite directive, dispose:

«Dans la mesure où les biens et les services sont utilisés pour les besoins de ses opérations taxées, l’assujetti est autorisé à déduire de la taxe dont il est redevable:

a)      la [TVA] due ou acquittée à l’intérieur du pays pour les biens qui lui sont ou lui seront livrés et pour les services qui lui sont ou lui seront rendus par un autre assujetti».

9        L’article 18, paragraphe 1, sous a), de la sixième directive, dans sa rédaction résultant de l’article 28 septies, point 2, de celle-ci, prévoit que, pour pouvoir exercer le droit à déduction visé à l’article 17, paragraphe 2, sous a), de cette directive, l’assujetti doit détenir une facture établie conformément à l’article 22, paragraphe 3, de ladite directive.

10      Cet article 22, qui figure dans le titre XIII de la même directive, intitulé «Obligations des redevables», dispose, à ses paragraphes 1, sous a), 3, sous b), 4, sous a), et 5, dans leur rédaction résultant de l’article 28 nonies de la sixième directive:

«1.       a)       Tout assujetti déclare le commencement, le changement et la cessation de son activité imposable. Les États membres autorisent, voire exigent, que cette déclaration soit faite, dans les conditions qu’ils déterminent, par voie électronique par l’assujetti.

[...]

3.

[...]

b)      Sans préjudice des dispositions particulières prévues par la présente directive, seules les mentions suivantes doivent figurer obligatoirement, aux fins de la taxe sur la valeur ajoutée, sur les factures émises en application des dispositions du point a), premier, deuxième et troisième alinéas:

–        sa date de délivrance,

–        un numéro séquentiel, basé sur une ou plusieurs séries, qui identifie la facture de façon unique,

–        le numéro d’identification à la taxe sur la valeur ajoutée, visé au paragraphe 1, point c), sous lequel l’assujetti a effectué la livraison de biens ou la prestation de services,

–        le numéro d’identification à la taxe sur la valeur ajoutée visé au paragraphe 1, point c), du client, sous lequel il a reçu une livraison de biens ou une prestation de services pour laquelle il est redevable de la taxe ou une livraison de biens visée à l’article 28 quater, titre A,

–        le nom complet et l’adresse de l’assujetti et de son client,

–        la quantité et la nature des biens livrés ou l’étendue et la nature des services rendus,

–        la date à laquelle est effectuée, ou achevée, la livraison de biens ou la prestation de services ou la date à laquelle est versé l’acompte visé au point a), deuxième alinéa, dans la mesure où une telle date est déterminée et différente de la date d’émission de la facture,

–        la base d’imposition pour chaque taux ou exonération, le prix unitaire hors taxe, ainsi que les escomptes, rabais ou ristournes éventuels s’ils ne sont pas compris dans le prix unitaire,

–        le taux de TVA appliqué,

–        le montant de taxe à payer, sauf lorsqu’est appliqué un régime particulier pour lequel la présente directive exclut une telle mention,

[...]

4.

a)       Tout assujetti dépose une déclaration dans le délai qui aura été fixé par les États membres. Ce délai ne peut dépasser de plus de deux mois le terme de chaque période imposable. Les États membres fixent la durée de cette période à un mois, deux mois ou un trimestre. Ils peuvent toutefois fixer des durées différentes pour autant qu’elles n’excèdent pas un an. Les États membres autorisent, voire exigent, que la déclaration fiscale soit faite, dans les conditions qu’ils déterminent, par voie électronique par l’assujetti.

[...]

5.      Tout assujetti doit payer le montant net de la taxe sur la valeur ajoutée lors du dépôt de la déclaration périodique. Toutefois, les États membres peuvent fixer une autre échéance pour le paiement de ce montant ou percevoir des acomptes provisionnels.»

 Le droit polonais

11      L’article 5, paragraphe 1, point 1, de la loi relative à la taxe sur les biens et les services (Ustawa r. o podatku od towarów i usług), du 11 mars 2004 (Dz. U. n° 54, position 535, ci-après la «loi relative à la TVA»), dispose que la base d’imposition à la taxe sur les biens et les services est constituée par les livraisons de biens et les prestations de services effectuées à titre onéreux sur le territoire national.

12      Selon l’article 7, paragraphe 1, de cette loi, on entend par «livraison de biens», au sens de cet article 5, paragraphe 1, point 1, le transfert du pouvoir de disposer des biens comme un propriétaire.

13      L’article 15, paragraphes 1 et 2, de ladite loi dispose:

«1.      Sont considérées comme assujetties les personnes morales, les entités organisationnelles n’ayant pas la personnalité juridique et les personnes physiques qui accomplissent, d’une façon indépendante, une des activités économiques mentionnées au paragraphe 2, quels que soient les buts ou les résultats de cette activité.

2.      Est considérée comme activité économique toute activité de producteur, de commerçant ou de prestataire de services, y compris les activités extractives, agricoles et celles des professions libérales, même lorsque l’activité n’a été exercée qu’une seule fois mais qu’il ressort des circonstances que l’intention était de l’accomplir de manière répétée. Est également considérée comme activité économique l’exploitation d’un bien corporel ou incorporel en vue d’en retirer des recettes ayant un caractère de permanence.»

14      Selon l’article 19, paragraphe 1, de la loi relative à la TVA, l’obligation fiscale prend naissance au moment de la livraison de la marchandise ou de la prestation de services.

15      Conformément à l’article 86, paragraphe 1, de cette loi, dans la mesure où les biens et les services sont utilisés pour les besoins de ses activités sujettes à taxation, l’assujetti visé à l’article 15 de ladite loi a le droit de déduire du montant de la taxe dont il est redevable le montant de la taxe en amont. Le paragraphe 2 de cet article 86 dispose que le montant de la taxe en amont est égal à la somme des montants de TVA indiqués dans les factures reçues par l’assujetti pour l’acquisition de biens et de services.

16      L’article 14, paragraphe 2, point 1, sous a), de l’arrêté du ministre des Finances du 27 avril 2004 portant exécution de certaines dispositions de la loi relative à la taxe sur les biens et les services (Dz. U. n° 97, position 970), dans sa version applicable aux faits au principal (ci-après l’«arrêté du 27 avril 2004»), prévoit que, lorsque la vente de biens ou de services est justifiée par des factures ou des factures de régularisation émises par un opérateur inexistant ou non habilité à émettre des factures ou des factures de régularisation (ci-après un «opérateur inexistant»), ces factures et les documents douaniers ne donnent droit ni à une diminution de la taxe due, ni au remboursement d’un crédit de taxe, ni au remboursement de la taxe payée en amont.

 Le litige au principal et les questions préjudicielles

17      Au cours de l’année 2004, PPUH Stehcemp a effectué plusieurs achats de carburant diesel qu’elle a utilisé dans le cadre de son activité économique. Les factures afférentes à ces achats de carburant ont été émises par Finnet sp. z o.o. (ci-après «Finnet»). PPUH Stehcemp a procédé à la déduction de la TVA acquittée au titre de ces achats de carburant.

18      À la suite d’un contrôle fiscal, l’administration fiscale lui a refusé, par décision du 5 avril 2012, le droit de déduire cette TVA au motif que les factures relatives à auxdits achats de carburant avaient été émises par un opérateur inexistant.

19      Le directeur de la chambre fiscale de Łódź a confirmé cette décision, par décision du 29 mai 2012, au motif que Finnet devait être considérée, au regard des critères prévus par l’arrêté du 27 avril 2004, comme un opérateur inexistant ne pouvant procéder à des livraisons de biens. La constatation relative à l’inexistence de Finnet était fondée sur un ensemble d’éléments, notamment sur le fait que cette société n’était pas enregistrée aux fins de la TVA, n’effectuait pas de déclaration fiscale et ne payait pas de taxes. En outre, ladite société ne procéderait pas à la publication de ses comptes annuels et ne disposerait pas de concession pour la vente de combustibles liquides. L’immeuble désigné comme son siège social dans le registre de commerce serait dans un état délabré, rendant impossible toute activité économique. Enfin, toute tentative d’entrer en contact avec Finnet ou avec la personne inscrite comme son directeur dans le registre du commerce se serait révélée infructueuse.

20      PPUH Stehcemp a introduit un recours devant le Wojewódzki Sąd Administracyjny w Łodzi (tribunal administratif de voïvodie de Łódź) contre la décision du directeur de la chambre fiscale de Łódź du 29 mai 2012. Ce recours a été rejeté au motif que Finnet était un opérateur inexistant à la date des opérations en cause au principal et que PPUH Stehcemp n’avait pas fait preuve d’une diligence raisonnable en s’abstenant de vérifier si ces opérations étaient impliquées dans une fraude.

21      PPUH Stehcemp s’est pourvue en cassation devant le Naczelny Sąd Administracyjny (Cour suprême administrative) en invoquant une violation de l’article 86, paragraphes 1 et 2, point 1, sous a), de la loi relative à la TVA, lu en combinaison avec l’article 17, paragraphe 2, de la sixième directive.

22      Au soutien de son pourvoi en cassation, PPUH Stehcemp fait valoir qu’il serait contraire au principe de neutralité de la TVA de priver un assujetti de bonne foi du droit à déduction. Or, elle aurait reçu de Finnet des documents d’immatriculation établissant que cette société était un opérateur exerçant légalement, à savoir un extrait du registre du commerce, l’attribution d’un numéro d’identification fiscale et une attestation d’attribution d’un numéro d’identification statistique.

23      La juridiction de renvoi s’interroge sur l’importance qu’accorde la jurisprudence de la Cour à la bonne foi de l’assujetti dans le contexte du droit à déduction de la TVA (voir, notamment, arrêts Optigen e.a., C-354/03, C-355/03 et C-484/03, EU:C:2006:16; Kittel et Recolta Recycling, C-439/04 et C-440/04, EU:C:2006:446; Mahagében et Dávid, C-80/11 et C-142/11, EU:C:2012:373; Tóth, C-324/11, EU:C:2012:549, ainsi que ordonnances Forvards V, C-563/11, EU:C:2013:125, et Jagiełło, C-33/13, EU:C:2014:184). Elle estime que la bonne foi de l’assujetti ne saurait ouvrir un droit à déduction de la TVA si les conditions matérielles de ce droit ne sont pas réunies. Notamment, elle s’interroge sur le point de savoir si une acquisition de biens peut être qualifiée de livraison de biens lorsque les factures afférentes à cette opération indiquent un opérateur inexistant et qu’il est impossible de déterminer l’identité du véritable fournisseur des biens en cause. En effet, un opérateur inexistant ne pourrait ni transférer le pouvoir de disposer des marchandises comme un propriétaire ni recevoir de paiement. Dans ces conditions, les autorités fiscales ne disposeraient pas non plus d’une créance fiscale exigible, de sorte qu’il n’existerait pas de taxe due.

24      Eu égard à ces considérations, le Naczelny Sąd Administracyjny (Cour suprême administrative) a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour les questions préjudicielles suivantes:

«1)      Les articles 2, paragraphe 1, 4, paragraphes 1 et 2, 5, paragraphe 1, et 10, paragraphes 1 et 2, de la sixième directive […] doivent-ils être interprétés en ce sens qu’une opération réalisée dans des circonstances telles que celles du litige au principal, où ni l’assujetti ni l’autorité fiscale ne sont en mesure d’établir l’identité du véritable fournisseur des biens, est une livraison de biens?

2)      En cas de réponse affirmative à la première question, les articles 17, paragraphe 2, sous a), 18, paragraphe 1, sous a), et 22, paragraphe 3, de la sixième directive, doivent-ils être interprétés en ce sens qu’ils s’opposent à une réglementation nationale qui, dans des circonstances telles que celles du litige au principal, interdit à l’assujetti de déduire la taxe aux motifs que la facture a été émise par un opérateur qui n’était pas le véritable fournisseur des biens et qu’il est impossible d’établir l’identité dudit fournisseur, de le contraindre à payer la taxe ou de déterminer la personne tenue de payer la taxe en vertu de l’article 21, paragraphe 1, sous c), de la sixième directive au titre de l’émission de la facture?»

 Sur les questions préjudicielles

25      Par ses questions, qu’il convient d’examiner ensemble, la juridiction de renvoi demande, en substance, si les dispositions de la sixième directive doivent être interprétées en ce sens qu’elles s’opposent à une réglementation nationale, telle que celle en cause au principal, refusant à un assujetti le droit de déduire la TVA due ou acquittée pour des biens qui lui ont été livrés aux motifs que la facture a été émise par un opérateur devant être considéré, au regard des critères prévus par cette réglementation, comme un opérateur inexistant et qu’il est impossible d’établir l’identité du véritable fournisseur des biens.

26      Selon une jurisprudence bien établie, le droit à déduction prévu aux articles 17 et suivants de la sixième directive est un principe fondamental du système commun de la TVA qui ne peut, en principe, être limité et qui s’exerce immédiatement pour la totalité des taxes ayant grevé les opérations effectuées en amont (voir, en ce sens, arrêts Mahagében et Dávid, C-80/11 et C-142/11, EU:C:2012:373, points 37 et 38 ainsi que jurisprudence citée; Bonik, C-285/11, EU:C:2012:774, points 25 et 26, ainsi que Petroma Transports e.a., C-271/12, EU:C:2013:297, point 22).

27      Le régime des déductions vise à soulager entièrement l’entrepreneur du poids de la TVA due ou acquittée dans le cadre de toutes ses activités économiques. Le système commun de la TVA garantit, par conséquent, la neutralité quant à la charge fiscale de toutes les activités économiques, quels que soient les buts ou les résultats de ces activités, à condition que lesdites activités soient, en principe, elles-mêmes soumises à la TVA (voir arrêts Dankowski, C-438/09, EU:C:2010:818, point 24; Tóth, C-324/11, EU:C:2012:549, point 25, ainsi que ordonnances Forvards V, C-563/11, EU:C:2013:125, point 27, et Jagiełło, C-33/13, EU:C:2014:184, point 25).

28      En ce qui concerne les conditions matérielles requises pour la naissance du droit à déduction, il ressort du libellé de l’article 17, paragraphe 2, sous a), de la sixième directive que, pour pouvoir bénéficier de ce droit, il faut, d’une part, que l’intéressé soit un assujetti au sens de cette directive et, d’autre part, que les biens ou les services invoqués pour fonder ledit droit soient utilisés en aval par l’assujetti pour les besoins de ses propres opérations taxées et que, en amont, ces biens soient livrés ou ces services soient rendus par un autre assujetti (voir, en ce sens, arrêts Centralan Property, C-63/04, EU:C:2005:773, point 52; Tóth, C-324/11, EU:C:2012:549, point 26, et Bonik, C-285/11, EU:C:2012:774, point 29, ainsi que ordonnance Jagiełło, C-33/13, EU:C:2014:184, point 27).

29      Quant aux conditions formelles du droit à déduction, l’article 18, paragraphe 1, sous a), de la sixième directive dispose que l’assujetti doit détenir une facture établie conformément à l’article 22, paragraphe 3, de cette directive. Aux termes de cet article 22, paragraphe 3, sous b), la facture doit mentionner d’une façon distincte, notamment, le numéro d’identification à la TVA sous lequel l’assujetti a effectué la livraison, le nom complet de celui-ci et son adresse ainsi que la quantité et la nature des biens livrés.

30      S’agissant de l’affaire au principal, il ressort de la décision de renvoi que PPUH Stehcemp, qui souhaite exercer le droit à déduction, a la qualité d’assujetti au sens de la sixième directive, qu’elle a effectivement reçu et payé les biens concernés, à savoir du carburant, indiqués sur les factures émises par Finnet et qu’elle a utilisé ces biens en aval pour les besoins de ses opérations taxées.

31      Cependant, la juridiction de renvoi part de la prémisse que l’opération mentionnée sur la facture en cause au principal ne peut ouvrir droit à la déduction de la TVA payée en amont, dès lors que, même si Finnet était enregistrée au registre du commerce, cette société doit être considérée, au regard des critères prévus par la réglementation en cause au principal, comme un opérateur inexistant à la date de ces livraisons de carburant. Selon ladite juridiction, cette inexistence résulte notamment du fait que Finnet n’était pas enregistrée aux fins de la TVA, n’effectuait pas de déclaration fiscale, ne payait pas de taxe et ne disposait pas de concession pour la vente de combustibles liquides. En outre, l’état délabré de l’immeuble, désigné comme son siège social, rendrait impossible toute activité économique.

32      Estimant qu’un tel opérateur inexistant ne peut ni réaliser une livraison des biens ni établir une facture afférente à une telle livraison selon les dispositions pertinentes de la sixième directive, la juridiction de renvoi conclut à l’absence d’une livraison de biens au sens de cette directive, dès lors que le véritable fournisseur de ces biens ne pouvait pas non plus être identifié.

33      À cet égard, il convient de relever, en premier lieu, que le critère de l’existence du fournisseur des biens ou de son droit d’émettre des factures, tel qu’il résulte de la réglementation en cause au principal, telle qu’interprétée par la juridiction nationale, ne figure pas parmi les conditions du droit à déduction relevées aux points 28 et 29 du présent arrêt. En revanche, l’article 17, paragraphe 2, sous a), de la sixième directive dispose que ce fournisseur doit avoir la qualité d’assujetti au sens de l’article 4, paragraphes 1 et 2, de cette directive. Ainsi, les critères auxquels la réglementation nationale en cause au principal, telle qu’interprétée par la juridiction nationale, soumet l’existence du fournisseur ou son droit d’émettre des factures ne doivent pas aller à l’encontre des exigences telles qu’elles résultent de la qualité d’assujetti au sens de ces dispositions.

34      Selon l’article 4, paragraphes 1 et 2, de la sixième directive, est considéré comme assujetti quiconque accomplit, d’une façon indépendante, des activités économiques de producteur, de commerçant ou de prestataire de services, quels que soient les buts ou les résultats de ces activités. Il en résulte que la notion d’«assujetti» est définie de manière large, en se fondant sur des circonstances factuelles (voir arrêt Tóth, C-324/11, EU:C:2012:549, point 30).

35      S’agissant de Finnet, une telle activité économique n’apparaît pas exclue compte tenu des circonstances entourant les livraisons de carburant en cause au principal. Cette conclusion n’est pas remise en cause par la circonstance, relevée par la juridiction de renvoi, selon laquelle l’état délabré de l’immeuble dans lequel se situe le siège social de Finnet ne permettait aucune activité économique, dès lors qu’un tel constat n’exclut pas que cette activité pouvait avoir lieu en d’autres lieux que le siège social. Notamment, lorsque l’activité économique en cause consiste en des livraisons des biens réalisées dans le cadre de plusieurs ventes successives, le premier acquéreur et revendeur de ces biens peut se limiter à donner ordre au premier vendeur de transporter les biens en cause directement au second acquéreur (voir ordonnances Forvards V, C-563/11, EU:C:2013:125, point 34, et Jagiełło, C-33/13, EU:C:2014:184, point 32), sans disposer nécessairement lui-même des moyens de stockage et de transport indispensables pour la réalisation de la livraison des biens en cause.

36      De même, l’éventuelle impossibilité d’établir un contact avec Finnet ou avec la personne inscrite comme son directeur dans le registre du commerce dans le cadre de procédures administratives ne permet pas, dès lors que ces tentatives de contact ont eu lieu pendant une période antérieure ou postérieure aux livraisons en cause au principal, de conclure automatiquement à l’absence d’une activité économique à la date de ces livraisons.

37      En outre, il ne ressort pas de l’article 4, paragraphes 1 et 2, de la sixième directive que la qualité d’assujetti dépend d’une quelconque autorisation ou licence octroyée par l’administration afin d’exercer une activité économique (voir, en ce sens, arrêt Tóth, C-324/11, EU:C:2012:549, point 30).

38      Certes, l’article 22, paragraphe 1, sous a), de cette directive dispose que tout assujetti déclare le commencement, le changement et la cessation de son activité en qualité d’assujetti. Toutefois, nonobstant l’importance pour le bon fonctionnement du système de la TVA d’une telle déclaration, celle-ci ne saurait constituer une condition supplémentaire requise pour la reconnaissance de la qualité d’assujetti au sens de l’article 4 de la même directive, étant donné que cet article 22 figure sous le titre XIII de celle-ci, intitulé «Obligations des redevables» (voir, en ce sens, arrêt Tóth, C-324/11, EU:C:2012:549, point 31).

39      Il s’ensuit que cette qualité ne saurait pas non plus dépendre du respect des obligations de l’assujetti, résultant des paragraphes 4 et 5 dudit article 22, de déposer une déclaration fiscale et de payer la TVA. À plus forte raison, la reconnaissance de la qualité d’assujetti ne peut pas être soumise à l’obligation de publier des comptes annuels ou de disposer d’une concession pour la vente de carburant, ces obligations n’étant pas prévues par la sixième directive.

40      Dans ce contexte, la Cour a également jugé qu’un éventuel manquement par le fournisseur des biens à l’obligation de déclarer le commencement de son activité imposable ne saurait remettre en cause le droit à déduction du destinataire des biens livrés en ce qui concerne la TVA acquittée pour ceux-ci. Dès lors, ledit destinataire bénéficie du droit à déduction même si le fournisseur des biens est un assujetti qui n’est pas enregistré aux fins de la TVA, lorsque les factures relatives aux biens livrés comportent toutes les informations exigées par l’article 22, paragraphe 3, sous b), de la sixième directive, en particulier celles nécessaires pour l’identification de la personne ayant établi lesdites factures et la nature desdits biens (voir, en ce sens, arrêts Dankowski, C-438/09, EU:C:2010:818, points 33, 36 et 38, ainsi que Tóth, C-324/11, EU:C:2012:549, point 32).

41      La Cour en a conclu que les autorités fiscales ne sauraient refuser le droit à déduction au motif que l’émetteur de la facture ne dispose plus d’une carte d’entrepreneur individuel et que, dès lors, il n’a plus le droit d’utiliser son numéro d’identification fiscale, lorsque cette facture comporte toutes les informations énoncées audit article 22, paragraphe 3, sous b) (voir, en ce sens, arrêt Tóth, C-324/11, EU:C:2012:549, point 33).

42      En l’occurrence, il ressort du dossier soumis à la Cour que les factures relatives aux opérations en cause au principal mentionnaient, conformément à ladite disposition, notamment la nature des biens livrés et le montant de la TVA due, ainsi que le nom de Finnet, son numéro d’identification fiscale et l’adresse du siège social de celle-ci. Ainsi, les circonstances relevées par la juridiction de renvoi et résumées au point 31 du présent arrêt ne permettent ni de conclure à l’absence de qualité d’assujetti de Finnet ni, partant, de refuser à PPUH Stehcemp le droit à déduction.

43      Il convient d’ajouter, en second lieu, que, s’agissant des livraisons de carburant en cause au principal, les autres conditions matérielles du droit à déduction, relevées au point 28 du présent arrêt, étaient également remplies, nonobstant l’éventuelle inexistence de Finnet au regard de l’arrêté du 27 avril 2004.

44      En effet, la notion de «livraison de biens», visée à l’article 5, paragraphe 1, de la sixième directive, se référant non pas au transfert de propriété dans les formes prévues par le droit national applicable, mais à toute opération de transfert d’un bien corporel par une partie qui habilite l’autre partie à en disposer en fait comme si elle était le propriétaire de ce bien (voir, notamment, arrêts Shipping and Forwarding Enterprise Safe, C-320/88, EU:C:1990:61, point 7, ainsi que Dixons Retail, C-494/12, EU:C:2013:758, point 20 et jurisprudence citée), l’éventuelle absence de pouvoir de Finnet de disposer juridiquement des biens en cause au principal ne saurait exclure une livraison de ces biens au sens de cette disposition, dès lors que lesdits biens ont effectivement été remis à PPUH Stehcemp qui les a utilisés pour les besoins de ses opérations taxées.

45      En outre, la TVA que PPUH Stehcemp a effectivement payée au titre des livraisons de carburant en cause au principal, selon les indications figurant dans le dossier soumis à la Cour, était également «due ou acquittée», au sens de l’article 17, paragraphe 2, sous a), de la sixième directive. En effet, il est de jurisprudence constante que la TVA s’applique à chaque transaction de production ou de distribution, déduction faite de la taxe qui a grevé directement le coût des divers éléments constitutifs du prix (voir, notamment, arrêts Optigen e.a., C-354/03, C-355/03 et C-484/03, EU:C:2006:16, point 54; Kittel et Recolta Recycling, C-439/04 et C-440/04, EU:C:2006:446, point 49, ainsi que Bonik, C-285/11, EU:C:2012:774, point 28). Dès lors, la question de savoir si le fournisseur des biens en cause au principal a ou non versé la TVA due sur ces opérations de vente au Trésor public est sans influence sur le droit de l’assujetti de déduire la TVA acquittée en amont (voir, en ce sens, arrêts Optigen e.a., C-354/03, C-355/03 et C-484/03, EU:C:2006:16, point 54, ainsi que Véleclair, C-414/10, EU:C:2012:183, point 25).

46      Or, il ressort de la demande de décision préjudicielle que, au regard des circonstances de l’affaire au principal, la juridiction de renvoi estime que les opérations en cause au principal ont été effectuées non pas par Finnet, mais par un autre opérateur qu’il était impossible à identifier de sorte que les autorités fiscales n’ont pu recouvrer la taxe afférente à ces opérations.

47       À cet égard, il convient de rappeler que la lutte contre la fraude, l’évasion fiscale et les abus éventuels est un objectif reconnu et encouragé par la sixième directive. Dès lors, il appartient aux autorités et aux juridictions nationales de refuser le bénéfice du droit à déduction s’il est établi, au vu d’éléments objectifs, que ce droit est invoqué frauduleusement ou abusivement (voir arrêts Bonik, C-285/11, EU:C:2012:774, points 35 et 37 ainsi que jurisprudence citée, et Maks Pen, C-18/13, EU:C:2014:69, point 26).

48      Si tel est le cas lorsqu’une fraude fiscale est commise par l’assujetti lui-même, il en est également ainsi lorsqu’un assujetti savait ou aurait dû savoir que, par son acquisition, il participait à une opération impliquée dans une fraude à la TVA. Dans de telles circonstances, l’assujetti concerné doit, pour les besoins de la sixième directive, être considéré comme participant à une telle fraude, et cela indépendamment de la question de savoir s’il tire ou non un bénéfice de la revente des biens ou de l’utilisation des services dans le cadre des opérations taxées effectuées par lui en aval (voir arrêts Bonik, C-285/11, EU:C:2012:774, points 38 et 39 ainsi que jurisprudence citée, et Maks Pen, C-18/13, EU:C:2014:69, point 27).

49      En revanche, lorsque les conditions matérielles et formelles prévues par la sixième directive pour la naissance et l’exercice du droit à déduction sont réunies, il n’est pas compatible avec le régime du droit à déduction prévu par cette directive de sanctionner, par le refus de ce droit, un assujetti qui ne savait pas et n’aurait pas pu savoir que l’opération concernée était impliquée dans une fraude commise par le fournisseur ou qu’une autre opération faisant partie de la chaîne de livraison, antérieure ou postérieure à celle réalisée par ledit assujetti, était entachée de fraude à la TVA (voir, en ce sens, arrêts Optigen e.a., C-354/03, C-355/03 et C-484/03, EU:C:2006:16; points 51, 52 et 55; Kittel et Recolta Recycling, C-439/04 et C-440/04, EU:C:2006:446, points 44 à 46 et 60, ainsi que Mahagében et Dávid, C-80/11 et C-142/11, EU:C:2012:373, points 44, 45 et 47).

50      Il incombe à l’administration fiscale, ayant constaté des fraudes ou des irrégularités commises par l’émetteur de la facture, d’établir, au vu d’éléments objectifs et sans exiger du destinataire de la facture des vérifications qui ne lui incombent pas, que ce destinataire savait ou aurait dû savoir que l’opération invoquée pour fonder le droit à déduction était impliquée dans une fraude à la TVA, ce qu’il appartient à la juridiction de renvoi de vérifier (voir, en ce sens, arrêts Bonik, C-285/11, EU:C:2012:774, point 45, et LVK – 56, C-643/11, EU:C:2013:55, point 64).

51      La détermination des mesures pouvant, dans un cas d’espèce, raisonnablement être exigées d’un assujetti souhaitant exercer le droit à déduction de la TVA pour s’assurer que ses opérations ne sont pas impliquées dans une fraude commise par un opérateur en amont dépend essentiellement des circonstances dudit cas d’espèce (voir arrêt Mahagében et Dávid, C-80/11 et C-142/11, EU:C:2012:373, point 59, ainsi que ordonnance Jagiełło, C-33/13, EU:C:2014:184, point 37).

52      Si un tel assujetti peut se voir obligé, lorsqu’il dispose d’indices permettant de soupçonner l’existence d’irrégularités ou de fraude, de prendre des renseignements sur l’opérateur auprès duquel il envisage d’acheter des biens ou des services afin de s’assurer de la fiabilité de celui-ci, l’administration fiscale ne peut toutefois exiger de manière générale de cet assujetti, d’une part, de vérifier que l’émetteur de la facture afférente aux biens et aux services au titre desquels l’exercice de ce droit est demandé disposait des biens en cause et était en mesure de les livrer et qu’il a rempli ses obligations de déclaration et de paiement de la TVA, afin de s’assurer qu’il n’existe pas d’irrégularités ou de fraude au niveau des opérateurs en amont, ou, d’autre part, de disposer de documents à cet égard (voir, en ce sens, arrêts Mahagében et Dávid, C-80/11 et C-142/11, EU:C:2012:373, points 60 et 61; Stroy trans, C-642/11, EU:C:2013:54, point 49, ainsi que ordonnance Jagiełło, C-33/13, EU:C:2014:184, points 38 et 39).

53      Eu égard aux considérations qui précèdent, il convient de répondre aux questions posées que les dispositions de la sixième directive doivent être interprétées en ce sens qu’elles s’opposent à une réglementation nationale, telle que celle en cause au principal, refusant à un assujetti le droit de déduire la TVA due ou acquittée pour des biens qui lui ont été livrés aux motifs que la facture a été émise par un opérateur devant être considéré, au regard des critères prévus par cette réglementation, comme un opérateur inexistant et qu’il est impossible d’établir l’identité du véritable fournisseur des biens, sauf s’il est établi, au vu d’éléments objectifs et sans qu’il soit exigé de l’assujetti des vérifications qui ne lui incombent pas, que cet assujetti savait ou aurait dû savoir que ladite livraison était impliquée dans une fraude à la TVA, ce qu’il appartient à la juridiction de renvoi de vérifier.

 Sur les dépens

54      La procédure revêtant, à l’égard des parties au principal, le caractère d’un incident soulevé devant la juridiction de renvoi, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens. Les frais exposés pour soumettre des observations à la Cour, autres que ceux desdites parties, ne peuvent faire l’objet d’un remboursement.

Par ces motifs, la Cour (cinquième chambre) dit pour droit:

Les dispositions de la sixième directive 77/388/CEE du Conseil, du 17 mai 1977, en matière d’harmonisation des législations des États membres relatives aux taxes sur le chiffre d’affaires – Système commun de taxe sur la valeur ajoutée: assiette uniforme, telle que modifiée par la directive 2002/38/CE du Conseil, du 7 mai 2002, doivent être interprétées en ce sens qu’elles s’opposent à une réglementation nationale, telle que celle en cause au principal, refusant à un assujetti le droit de déduire la taxe sur la valeur ajoutée due ou acquittée pour des biens qui lui ont été livrés aux motifs que la facture a été émise par un opérateur devant être considéré, au regard des critères prévus par cette réglementation, comme un opérateur inexistant et qu’il est impossible d’établir l’identité du véritable fournisseur des biens, sauf s’il est établi, au vu d’éléments objectifs et sans qu’il soit exigé de l’assujetti des vérifications qui ne lui incombent pas, que cet assujetti savait ou aurait dû savoir que ladite livraison était impliquée dans une fraude à la taxe sur la valeur ajoutée, ce qu’il appartient à la juridiction de renvoi de vérifier.

Signatures


* Langue de procédure: le polonais.