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ARRÊT DE LA COUR (quatrième chambre)

20 septembre 2018 ( *1 )

« Renvoi préjudiciel – Aides d’État – Article 108, paragraphe 3, TFUE – Règlement (CE) no 794/2004 – Régimes d’aides notifiés – Article 4 – Modification d’une aide existante – Augmentation importante du produit des taxes affectées au financement de régimes d’aides par rapport aux prévisions notifiées à la Commission européenne – Seuil de 20 % du budget initial »

Dans l’affaire C-510/16,

ayant pour objet une demande de décision préjudicielle au titre de l’article 267 TFUE, introduite par le Conseil d’État (France), par décision du 21 septembre 2016, parvenue à la Cour le 29 septembre 2016, dans la procédure

Carrefour Hypermarchés SAS,

Fnac Paris,

Fnac Direct,

Relais Fnac,

Codirep,

Fnac Périphérie

contre

Ministre des Finances et des Comptes publics,

LA COUR (quatrième chambre),

composée de M. T. von Danwitz (rapporteur), président de chambre, MM. C. Vajda, E. Juhász, Mme K. Jürimäe et M. C. Lycourgos, juges,

avocat général : M. N. Wahl,

greffier : Mme V. Giacobbo-Peyronnel, administrateur,

vu la procédure écrite et à la suite de l’audience du 21 septembre 2017,

considérant les observations présentées :

pour Carrefour Hypermarchés SAS, Fnac Paris, Fnac Direct, Relais Fnac, Codirep et Fnac Périphérie, par Mes C. Rameix-Seguin et É. Meier, avocats,

pour le gouvernement français, par M. D. Colas et Mme J. Bousin, en qualité d’agents,

pour le gouvernement hellénique, par Mmes S. Charitaki et S. Papaioannou, en qualité d’agents,

pour le gouvernement italien, par Mme G. Palmieri, en qualité d’agent, assistée de M. S. Fiorentino, avvocato dello Stato,

pour la Commission européenne, par M. B. Stromsky et Mme K. Blanck-Putz, en qualité d’agents,

ayant entendu l’avocat général en ses conclusions à l’audience du 30 novembre 2017,

rend le présent

Arrêt

1

La demande de décision préjudicielle porte sur l’interprétation de l’article 108, paragraphe 3, TFUE ainsi que de l’article 4 du règlement (CE) no 794/2004 de la Commission, du 21 avril 2004, concernant la mise en œuvre du règlement (CE) no 659/1999 du Conseil portant modalités d’application de l’article [108 TFUE] (JO 2004, L 140, p. 1, et rectificatif JO 2005, L 25, p. 74).

2

Cette demande a été présentée dans le cadre de litiges opposant Carrefour Hypermarchés SAS, Fnac Paris, Fnac Direct, Relais Fnac, Codirep et Fnac Périphérie au ministre des Finances et des Comptes publics (France) au sujet de la restitution d’une taxe sur les ventes et les locations de vidéogrammes acquittée par ces sociétés.

Le cadre juridique

Le règlement (CE) no 659/1999

3

L’article 1er du règlement (CE) no 659/1999 du Conseil, du 22 mars 1999, portant modalités d’application de l’article [108 TFUE] (JO 1999, L 83, p. 1), énonce :

« Aux fins du présent règlement, on entend par :

a)

“aide” : toute mesure remplissant tous les critères fixés à l’article [107, paragraphe 1, TFUE] ;

b)

“aide existante” :

i)

[...] toute aide existant avant l’entrée en vigueur du traité [FUE] dans l’État membre concerné, c’est-à-dire les régimes d’aides et aides individuelles mis à exécution avant et toujours applicables après ladite entrée en vigueur ;

ii)

toute aide autorisée, c’est-à-dire les régimes d’aides et les aides individuelles autorisés par la Commission ou le Conseil ;

[...]

c)

“aide nouvelle” : toute aide, c’est-à-dire tout régime d’aides ou toute aide individuelle, qui n’est pas une aide existante, y compris toute modification d’une aide existante ;

[...] »

Le règlement no 794/2004

4

Selon le considérant 4 du règlement no 794/2004 :

« Pour des raisons de sécurité juridique, il convient de spécifier que les augmentations de faible importance n’excédant pas 20 % du budget initial d’un régime d’aides, notamment celles destinées à tenir compte des effets de l’inflation, ne doivent pas être notifiées à la Commission car il est peu probable qu’elles aient des incidences sur l’appréciation portée à l’origine par la Commission sur la compatibilité du régime d’aides, pour autant que les autres conditions de celui-ci restent inchangées. »

5

L’article 4 de ce règlement, intitulé « Procédure de notification simplifiée pour certaines modifications d’aides existantes », dispose :

« 1.   Aux fins de l’article 1er, point c), du règlement [no 659/1999], on entend par modification d’une aide existante tout changement autre que les modifications de caractère purement formel ou administratif qui ne sont pas de nature à influencer l’évaluation de la compatibilité de la mesure d’aide avec le marché commun. Toutefois, une augmentation du budget initial d’un régime d’aides existant n’excédant pas 20 % n’est pas considérée comme une modification de l’aide existante.

2.   Les modifications suivantes apportées à des aides existantes sont notifiées au moyen du formulaire de notification simplifiée figurant à l’annexe II :

a)

augmentation de plus de 20 % du budget d’un régime d’aides autorisé ;

[...] »

Le litige au principal et les questions préjudicielles

6

Par décision C (2006) 832 final, du 22 mars 2006 (aides NN 84/2004 et N 95/2004 – France, Régimes d’aides au cinéma et à l’audiovisuel) (ci-après la « décision de 2006 »), la Commission a déclaré compatible avec le marché intérieur plusieurs régimes d’aides au cinéma et à l’audiovisuel institués par la République française. Ces régimes sont financés par le Centre national du cinéma et de l’image animée (ci-après le « CNC »), le budget de cet organisme provenant essentiellement du produit de trois taxes, à savoir la taxe sur les billets de cinéma, la taxe sur les services de télévision et la taxe sur les ventes et les locations de vidéogrammes destinés à l’usage privé du public (ci-après, ensemble, les « trois taxes »).

7

Par décision C (2007) 3230 final, du 10 juillet 2007 (Aide d’État N 192/2007 – France, Modification de NN 84/2004 – Soutien aux secteurs du cinéma et de la production audiovisuelle en France – Modernisation du dispositif de contribution du secteur télévisuel au compte de soutien au cinéma et à l’audiovisuel) (ci-après la « décision de 2007 »), la Commission a approuvé une modification du mode de financement desdits régimes d’aides, consécutive à une réforme de la taxe sur les services de télévision.

8

Les requérantes au principal ont demandé la restitution de la taxe sur les ventes et les locations de vidéogrammes destinés à l’usage privé du public dont elles se sont acquittées au cours des années 2008 et 2009 en ce qui concerne Carrefour Hypermarchés, et des années 2009 à 2011 en ce qui concerne les autres sociétés. Elles font valoir que cette taxe a été perçue en violation de l’article 108, paragraphe 3, TFUE, dans la mesure où la République française n’a pas notifié à la Commission l’augmentation que le produit global des trois taxes avait connue entre les années 2007 et 2011 (ci-après la « période en cause »). Selon les requérantes au principal, qui se fondent sur un rapport de la Cour des comptes (France) établi au mois d’août 2012 sur la gestion et le financement du CNC (ci-après le « rapport de la Cour des comptes »), cette augmentation a entraîné une modification substantielle du mode de financement des régimes d’aides, dépassant le seuil de 20 % fixé à l’article 4 du règlement no 794/2004.

9

Dans ce contexte, la juridiction de renvoi expose que, alors que la décision de 2007 faisait état de prévisions selon lesquelles la réforme de la taxe sur les services de télévision, essentiellement à l’origine de l’augmentation des ressources du CNC lors de la période en cause, pouvait, dans l’hypothèse la plus favorable, conduire à une augmentation du produit de cette taxe à hauteur de 16,5 millions d’euros par an, cette augmentation s’est élevée, en réalité, selon le rapport de la Cour des comptes, à 67 millions d’euros en moyenne lors de cette période. La Commission aurait ainsi fondé la décision de 2007 sur des prévisions qui se sont ultérieurement révélées inexactes.

10

Dans ces conditions, le Conseil d’État (France) a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour les questions préjudicielles suivantes :

« 1)

Dans le cas d’un régime d’aides financé par des ressources affectées, lorsqu’un État membre a régulièrement notifié préalablement à leur mise en œuvre les modifications juridiques ayant une incidence substantielle sur ce régime, et notamment celles concernant son mode de financement, une importante augmentation du produit des ressources fiscales affectées au régime par rapport aux prévisions fournies à la Commission européenne constitue-t-elle une modification substantielle au sens du paragraphe 3 de l’article 108 TFUE, de nature à justifier une nouvelle notification ?

2)

Dans ce même cas, comment s’applique l’article 4 du règlement no 794/2004, en vertu duquel une augmentation de plus de 20 % du budget initial d’un régime d’aides existant constitue une modification de ce régime d’aides, et, en particulier :

a)

comment se combine-t-il avec le caractère préalable de l’obligation de notification d’un régime d’aides fixée au paragraphe 3 de l’article 108 TFUE ;

b)

si le dépassement du seuil de 20 % du budget initial d’un régime d’aides existant prévu à l’article 4 du règlement no 794/2004 justifie une nouvelle notification, ce seuil doit-il s’apprécier par rapport au montant des recettes affectées au régime d’aides ou par rapport aux dépenses effectivement allouées aux bénéficiaires, à l’exclusion des sommes mises en réserve ou de celles ayant fait l’objet de prélèvements au profit de l’État ;

c)

à supposer que le respect de ce seuil de 20 % doive s’apprécier par rapport aux dépenses consacrées au régime d’aide, une telle appréciation doit-elle s’opérer par comparaison du plafond global de dépense figurant dans la décision d’approbation avec le budget global alloué ultérieurement à l’ensemble des aides par l’organisme affectataire ou par comparaison des plafonds notifiés au titre de chacune des catégories d’aides identifiées dans cette décision avec la ligne budgétaire correspondante de cet organisme ? »

Sur les questions préjudicielles

Sur la recevabilité

11

Le gouvernement italien fait valoir que les questions préjudicielles sont hypothétiques et, partant, irrecevables.

12

Or, par ces questions, la juridiction de renvoi cherche, en substance, à déterminer si les trois taxes ont été prélevées, lors de la période en cause, en méconnaissance de l’article 108, paragraphe 3, TFUE. Lesdites questions s’inscrivent dans le cadre d’un litige portant sur des demandes de remboursement de l’une de ces taxes, à savoir la taxe sur les ventes et les locations de vidéogrammes destinés à l’usage privé du public. Cette juridiction se fonde, en outre, sur la prémisse que cette taxe constitue effectivement une partie intégrante d’une mesure d’aide, au sens de l’article 107, paragraphe 1, TFUE. Dans ces conditions, ces mêmes questions présentent un rapport direct avec l’objet du litige au principal et ne sont donc pas purement hypothétiques. Partant, les questions préjudicielles sont recevables.

Sur le fond

13

Par ses questions, qu’il convient d’examiner ensemble, la juridiction de renvoi demande, en substance, si une importante augmentation du produit de taxes ayant pour objet de financer plusieurs régimes d’aides autorisés par rapport aux prévisions notifiées à la Commission, telle que celle en cause au principal, constitue une modification d’une aide existante, au sens de l’article 1er, sous c), du règlement no 659/1999 et de l’article 4, paragraphe 1, première phrase, du règlement no 794/2004, lus à la lumière de l’article 108, paragraphe 3, TFUE. À cet égard, elle interroge la Cour, en particulier, sur la façon dont il convient d’apprécier le seuil de 20 % prévu à l’article 4, paragraphe 1, seconde phrase, de ce dernier règlement et sur le point de savoir si ce seuil doit être examiné par rapport aux recettes affectées aux régimes d’aides en cause au principal ou par rapport aux aides effectivement allouées.

14

À titre liminaire, la Cour a itérativement jugé que les taxes n’entrent pas dans le champ d’application des dispositions du traité en matière d’aides d’État, à moins qu’elles constituent le mode de financement d’une mesure d’aide, de telle sorte qu’elles font partie intégrante de cette mesure. Lorsque le mode de financement d’une aide au moyen d’une taxe fait partie intégrante de la mesure d’aide, les conséquences qui découlent de la méconnaissance, de la part des autorités nationales, de l’interdiction de mise à exécution visée à l’article 108, paragraphe 3, dernière phrase, TFUE, s’étendent également à cet aspect de la mesure d’aide, de telle sorte que les autorités nationales sont tenues, en principe, de rembourser les taxes perçues en violation du droit de l’Union (voir, en ce sens, arrêts du 13 janvier 2005, Streekgewest, C-174/02, EU:C:2005:10, points 16, 24 et 25 ; du 27 octobre 2005, Distribution Casino France e.a., C-266/04 à C-270/04, C-276/04 et C-321/04 à C-325/04, EU:C:2005:657, point 35 ; du 7 septembre 2006, Laboratoires Boiron, C-526/04, EU:C:2006:528, point 43 et jurisprudence citée , ainsi que du 10 novembre 2016, DTS Distribuidora de Televisión Digital/Commission, C-449/14 P, EU:C:2016:848, point 65 et jurisprudence citée).

15

Dans la mesure où la juridiction de renvoi se réfère, dans le libellé de ses questions à la Cour, au cas d’« un régime d’aides financé par des ressources affectées », il y a lieu de comprendre les questions préjudicielles comme reposant sur la prémisse selon laquelle les trois taxes faisaient, lors de la période en cause, partie intégrante des régimes d’aides concernés.

16

Certes, dans le cadre de sa seconde question, la juridiction de renvoi établit une distinction entre les recettes du CNC affectées aux régimes d’aides en cause au principal et les dépenses effectivement allouées aux bénéficiaires de ces régimes, en faisant référence à des sommes mises en réserve et à des prélèvements opérés au profit du budget général de l’État. Toutefois, si ces éléments pourraient également s’avérer pertinents pour examiner si les trois taxes faisaient, lors de la période en cause, partie intégrante desdits régimes, la juridiction de renvoi ne les évoque qu’afin d’interroger la Cour sur leur pertinence dans le cadre de l’examen du respect du seuil de 20 % prévu à l’article 4, paragraphe 1, seconde phrase, du règlement no 794/2004.

17

À cet égard, il y a lieu de rappeler que, dans le cadre de la coopération entre la Cour et les juridictions nationales instituée à l’article 267 TFUE, il appartient au seul juge national, qui est saisi du litige et qui doit assumer la responsabilité de la décision juridictionnelle à intervenir, d’apprécier, au regard des particularités de l’affaire, tant la nécessité d’une décision préjudicielle pour être en mesure de rendre son jugement que la pertinence des questions qu’il pose à la Cour (arrêts du 23 janvier 2018, F. Hoffmann-La Roche e.a., C-179/16, EU:C:2018:25, point 44, ainsi que du 29 mai 2018, Liga van Moskeeën en Islamitische Organisaties Provincie Antwerpen e.a., C-426/16, EU:C:2018:335, point 30 et jurisprudence citée). La Cour peut cependant fournir à la juridiction de renvoi des éléments d’interprétation du droit de l’Union pouvant lui être utiles pour vérifier le bien-fondé de la prémisse sur laquelle reposent ses questions préjudicielles (voir, en ce sens, arrêt du 26 mai 2016, Bookit, C-607/14, EU:C:2016:355, points 22 à 28).

18

Devant la Cour, le gouvernement français a soutenu que, lors de la période en cause, les trois taxes ne faisaient pas partie intégrante des régimes d’aides en cause au principal, au motif, en particulier, qu’il n’existait pas de corrélation financière entre le produit de ces taxes et le montant des aides octroyées et que, à la différence de ce produit, ce montant n’avait pas augmenté. Tout en admettant que le droit national prévoit une disposition contraignante affectant ledit produit au budget du CNC, lequel a pour vocation de financer ces régimes, ce gouvernement a fait valoir, notamment, que l’excédent résultant de l’écart entre le produit des trois taxes et les aides effectivement octroyées aurait servi à alimenter un fonds de réserve, aurait été utilisé par le CNC à des fins autres que le financement desdits régimes et aurait donné lieu à des prélèvements, en vertu d’un vote du Parlement français, au profit du budget général de l’État. Cette argumentation a été contestée par les requérantes au principal et la Commission.

19

Il convient de rappeler que, selon la jurisprudence constante de la Cour, pour qu’une taxe puisse être considérée comme faisant partie intégrante d’une mesure d’aide, il doit exister un lien d’affectation contraignant entre la taxe et l’aide en vertu de la réglementation nationale pertinente, en ce sens que le produit de la taxe est nécessairement affecté au financement de l’aide et influence directement l’importance de celle-ci et, par voie de conséquence, l’appréciation de la compatibilité de cette aide avec le marché intérieur (arrêts du 22 décembre 2008, Régie Networks, C-333/07, EU:C:2008:764, point 99 et jurisprudence citée, ainsi que du 10 novembre 2016, DTS Distribuidora de Televisión Digital/Commission, C-449/14 P, EU:C:2016:848, point 68).

20

La Cour a, en outre, déjà jugé que, dans le cas où l’organe chargé de l’octroi d’aides financées au moyen d’une taxe dispose du pouvoir discrétionnaire d’affecter le produit de cette taxe à des mesures autres que celles revêtant toutes les caractéristiques d’une aide au sens de l’article 107, paragraphe 1, TFUE, une telle circonstance est susceptible d’exclure l’existence d’un lien d’affectation contraignant entre la taxe et l’aide. En effet, en présence d’un tel pouvoir discrétionnaire, le produit de la taxe ne saurait affecter directement l’importance de l’avantage octroyé aux bénéficiaires de ces aides. En revanche, un tel lien d’affectation contraignant peut exister lorsque le produit de la taxe est intégralement et exclusivement affecté à l’octroi d’aides, même de types différents (voir, en ce sens, arrêts du 13 janvier 2005, Pape, C-175/02, EU:C:2005:11, point 16 ; du 27 octobre 2005, Distribution Casino France e.a., C-266/04 à C-270/04, C-276/04 et C-321/04 à C-325/04, EU:C:2005:657, point 55, ainsi que du 22 décembre 2008, Régie Networks, C-333/07, EU:C:2008:764, points 102 et 104).

21

Il ressort, en outre, de la jurisprudence de la Cour qu’un tel lien d’affectation contraignant peut faire défaut lorsque le montant des aides octroyées est déterminé uniquement en fonction de critères objectifs, sans rapport avec les recettes fiscales affectées, et soumis à un plafond légal absolu (voir, en ce sens, arrêt du 27 octobre 2005, Distribution Casino France e.a., C-266/04 à C-270/04, C-276/04 et C-321/04 à C-325/04, EU:C:2005:657, point 52).

22

Ainsi, la Cour a, notamment, considéré qu’un lien d’affectation contraignant entre la taxe et l’aide faisait défaut dans un cas où le montant des aides octroyées était déterminé en fonction de critères sans rapport avec les recettes fiscales affectées et où la législation nationale prévoyait qu’un éventuel excédent de ces recettes par rapport à ces aides devait être réattribué, selon le cas, à un fonds de réserve ou au Trésor public, lesdites recettes faisant, en outre l’objet d’un plafond absolu, de telle sorte que tout excédent était également réattribué au budget général de l’État (voir, en ce sens, arrêt du 10 novembre 2016, DTS Distribuidora de Televisión Digital/Commission, C-449/14 P, EU:C:2016:848, points 70 à 72).

23

En l’occurrence, il incombe à la juridiction de renvoi de vérifier le bien-fondé de sa prémisse selon laquelle les trois taxes faisaient, lors de la période en cause, partie intégrante des régimes d’aides en cause au principal en tenant compte des éléments exposés aux points 16 à 22 du présent arrêt. À cet égard, cette juridiction devra, en particulier, examiner si la mise en réserve d’une partie des recettes du CNC a eu pour effet de réaffecter le montant concerné à une mesure autre que celles revêtant toutes les caractéristiques d’une aide, au sens de l’article 107, paragraphe 1, TFUE et apprécier l’impact que pourrait avoir la réattribution d’une partie de ces recettes au profit du budget général de l’État intervenue lors de la période en cause sur l’existence d’un lien d’affectation contraignant entre ces taxes et ces régimes.

24

Cela étant précisé, il convient d’examiner les questions préjudicielles en partant de la prémisse selon laquelle les trois taxes faisaient, lors de la période en cause, partie intégrante des régimes d’aides en cause au principal (voir, par analogie, arrêts du 25 octobre 2017, Polbud – Wykonawstwo, C-106/16, EU:C:2017:804, points 26 à 28, ainsi que du 17 avril 2018, B et Vomero, C-316/16 et C-424/16, EU:C:2018:256, point 42).

25

À ce titre, il convient de rappeler que, dans le cadre du système de contrôle des aides étatiques, instauré aux articles 107 et 108 TFUE, la procédure diffère selon que les aides sont existantes ou nouvelles. En effet, alors que les aides existantes peuvent, conformément à l’article 108, paragraphe 1, TFUE, être régulièrement exécutées tant que la Commission n’a pas constaté leur incompatibilité, l’article 108, paragraphe 3, TFUE prévoit que les projets tendant à instituer des aides nouvelles ou à modifier des aides existantes doivent être notifiés, en temps utile, à la Commission et ne peuvent être mis à exécution avant que la procédure n’ait abouti à une décision finale (arrêts du 18 juillet 2013, P, C-6/12, EU:C:2013:525, point 36 et jurisprudence citée, ainsi que du 27 juin 2017, Congregación de Escuelas Pías Provincia Betania, C-74/16, EU:C:2017:496, point 86).

26

Aux termes de l’article 1er, sous c), du règlement no 659/1999, la notion d’« aide nouvelle » est définie comme étant « toute aide, c’est-à-dire tout régime d’aides ou toute aide individuelle, qui n’est pas une aide existante, y compris toute modification d’une aide existante ». L’article 4, paragraphe 1, première phrase, du règlement no 794/2004 dispose, à cet égard, que, « aux fins de l’article 1er, point c), du règlement [no 659/1999], on entend par modification d’une aide existante tout changement autre que les modifications de caractère purement formel ou administratif qui ne sont pas de nature à influencer l’évaluation de la compatibilité de la mesure d’aide avec le marché [intérieur] ». L’article 4, paragraphe 1, seconde phrase, de ce dernier règlement énonce que, « [t]outefois, une augmentation du budget initial d’un régime d’aides existant n’excédant pas 20 % n’est pas considérée comme une modification de l’aide existante ».

27

Afin de fournir une réponse utile à la juridiction de renvoi, il convient dès lors de déterminer ce qu’il convient d’entendre par l’expression « budget initial d’un régime d’aides existant », au sens de cette disposition, et de vérifier si, en l’occurrence, l’augmentation du produit global des trois taxes doit être considérée comme étant une augmentation du budget initial des régimes d’aides nécessitant qu’elle soit notifiée à la Commission.

28

À cet égard, il convient, afin de déterminer la notion de « budget d’un régime d’aides », au sens de l’article 4, paragraphe 1, du règlement no 794/2004, en l’absence de définition prévue dans la réglementation pertinente, de se référer au sens habituel de cette notion dans le langage courant, tout en tenant compte du contexte dans lequel celle-ci est utilisée et des objectifs poursuivis par la réglementation dont elle fait partie (voir, par analogie, arrêt du 12 juin 2018, Louboutin et Christian Louboutin, C-163/16, EU:C:2018:423, point 20 ainsi que jurisprudence citée).

29

Selon son sens habituel, la notion de « budget » vise les sommes dont dispose une entité pour effectuer des dépenses.

30

S’agissant du contexte dans lequel cette notion est utilisée et de l’objectif poursuivi par l’article 4, paragraphe 1, du règlement no 794/2004, il convient de relever que cette disposition met en œuvre le système de contrôle préventif qu’instaure l’article 108, paragraphe 3, TFUE sur les projets tendant à modifier des aides existantes, dans le cadre duquel la Commission est tenue d’examiner la compatibilité de l’aide projetée avec le marché intérieur (voir, en ce sens, arrêt du 12 février 2008, CELF et ministre de la Culture et de la Communication, C-199/06, EU:C:2008:79, points 37 et 38). Ce contrôle préventif vise à ce que seules des aides compatibles avec le marché intérieur soient mises à exécution (voir, en ce sens, arrêts du 21 novembre 2013, Deutsche Lufthansa, C-284/12, EU:C:2013:755, points 25 et 26, ainsi que du 19 juillet 2016, Kotnik e.a., C-526/14, EU:C:2016:570, point 36).

31

À cet égard, la Cour a déjà jugé que, afin d’être en mesure d’examiner si un régime d’aides envisagé par un État membre peut être considéré comme étant compatible avec le marché intérieur, la Commission doit pouvoir apprécier les effets de ce régime sur la concurrence en fonction, notamment, du budget alloué par l’État membre audit régime, et que, partant, l’obligation de mentionner, dans les notifications, les estimations des montants globaux des aides envisagées est inhérente au système de contrôle préalable des mesures d’aides d’État (voir, en ce sens, ordonnance du 22 mars 2012, Italie/Commission, C-200/11 P, non publiée, EU:C:2012:165, points 47 à 49).

32

En outre, il y a lieu de rappeler que, selon la jurisprudence constante de la Cour, la Commission peut, dans le cas d’un régime d’aides, se borner à étudier les caractéristiques générales du régime en cause, sans être tenue d’examiner chaque cas d’application particulier (arrêts du 9 juin 2011, Comitato  Venezia vuole vivere  e.a./Commission, C-71/09 P, C-73/09 P et C-76/09 P, EU:C:2011:368, point 130, ainsi que du 15 novembre 2011, Commission et Espagne/Government of Gibraltar et Royaume-Uni, C-106/09 P et C-107/09 P, EU:C:2011:732, point 122).

33

Ainsi, même dans le cas d’un régime d’aides mis à exécution en méconnaissance de l’article 108, paragraphe 3, TFUE, le contrôle de la Commission peut se limiter aux caractéristiques générales de ce régime et ne doit pas porter sur les aides qui ont été effectivement versées (voir, en ce sens, arrêt du 29 avril 2004, Grèce/Commission, C-278/00, EU:C:2004:239, points 21 et 24).

34

Dans ces conditions, la notion de « budget d’un régime d’aides », au sens de l’article 4, paragraphe 1, du règlement no 794/2004, ne saurait être conçue comme étant limitée au montant des aides effectivement allouées, ce montant n’étant connu qu’après la mise à exécution du régime d’aides concerné. Au regard du caractère préventif du contrôle institué à l’article 108, paragraphe 3, TFUE, cette notion doit, au contraire, être interprétée comme visant l’enveloppe budgétaire (voir, en ce sens, arrêt du 20 mai 2010, Todaro Nunziatina & C., C-138/09, EU:C:2010:291, points 40 et 41), c’est-à-dire les sommes dont dispose l’organe chargé de l’octroi des aides concernées aux fins de cet octroi, telles qu’elles ont été notifiées à la Commission par l’État membre concerné et approuvées par cette dernière.

35

Dans le cas d’un régime d’aides financé par des taxes affectées, c’est le produit de ces taxes qui est mis à la disposition de l’organe chargé de la mise à exécution du régime concerné et qui constitue ainsi le « budget » dudit régime, au sens de l’article 4, paragraphe 1, du règlement no 794/2004.

36

Dès lors que les régimes d’aides en cause au principal, qui ont été autorisés par les décisions de 2006 et de 2007, relèvent de la notion d’« aide existante », au sens de l’article 1er, sous b), ii), du règlement no 659/1999, il y a lieu de vérifier si la Commission a, par ces décisions, approuvé l’augmentation que le produit global des trois taxes a connue lors de la période en cause.

37

À cet égard, il convient de rappeler que, en tant que dérogations au principe général d’incompatibilité des aides d’État avec le marché intérieur, énoncé à l’article 107, paragraphe 1, TFUE, les décisions de la Commission autorisant un régime d’aides doivent faire l’objet d’une interprétation stricte (voir, en ce sens, arrêts du 29 avril 2004, Allemagne/Commission, C-277/00, EU:C:2004:238, points 20 et 24, ainsi que du 14 octobre 2010, Nuova Agricast et Cofra/Commission, C-67/09 P, EU:C:2010:607, point 74).

38

En outre, selon la jurisprudence constante de la Cour, pour procéder à l’interprétation de telles décisions de la Commission, il convient non seulement d’examiner le texte même de celles-ci, mais également de se reporter à la notification effectuée par l’État membre concerné (voir, en ce sens, arrêts du 20 mai 2010, Todaro Nunziatina & C., C-138/09, EU:C:2010:291, point 31, et du 16 décembre 2010, Kahla Thüringen Porzellan/Commission, C-537/08 P, EU:C:2010:769, point 44, ainsi que ordonnance du 22 mars 2012, Italie/Commission, C-200/11 P, non publiée, EU:C:2012:165, point 27). Ainsi, la Cour a déjà jugé que la portée d’une décision approuvant un régime d’aides est, en principe, limitée par le budget indiqué par l’État membre dans sa lettre de notification, même si ce budget n’a pas été repris dans le texte même de cette décision (voir, en ce sens, ordonnance du 22 mars 2012, Italie/Commission, C-200/11 P, non publiée, EU:C:2012:165, points 26 et 27).

39

En l’occurrence, le texte des décisions de 2006 et de 2007 reprend expressément les prévisions relatives au produit des trois taxes qui ont été notifiées par les autorités françaises à la Commission au titre de budget des régimes d’aides en cause. S’agissant, plus particulièrement, de la décision de 2007, celle-ci fait explicitement état des estimations de ces autorités relatives aux conséquences de la réforme de la taxe sur les services de télévision, laquelle est essentiellement à l’origine de l’augmentation que le produit global des trois taxes a connue lors de la période en cause. Le point 9 de cette décision mentionne en effet que, selon ces estimations, cette réforme pourrait « aller jusqu’à générer une croissance du compte de soutien sur [la] période [entre les années 2009 et 2011] de 2 à 3 % (entre 11 et 16,5 millions d’euros) par an ». De même, au point 20 de ladite décision, lesdites estimations ont été de nouveau évoquées par la Commission lorsque celle-ci a procédé à l’appréciation de l’impact de ladite réforme sur la compatibilité des régimes d’aides en cause au principal avec le marché intérieur.

40

Dans ces conditions, il ressort des décisions de 2006 et de 2007 que le produit des trois taxes constitue un élément sur lequel la Commission a fondé son approbation des régimes d’aides en cause et que cette institution n’a pas autorisé une augmentation de ce produit au-delà des prévisions notifiées à la Commission. En conséquence, eu égard à la jurisprudence citée aux points 31, 37 et 38 du présent arrêt, il y a lieu de considérer que la portée des autorisations de mettre en œuvre ces mêmes régimes, accordées par ces décisions, se limite, quant au produit des trois taxes, à l’augmentation telle qu’elle a été notifiée à la Commission.

41

Or, selon les indications de la juridiction de renvoi, l’augmentation réelle que le produit global des trois taxes a connue lors de la période en cause a nettement dépassé les prévisions fournies à la Commission, à savoir 16,5 millions d’euros, par an, cette augmentation s’étant élevée, selon le rapport de la Cour des comptes citée par cette juridiction, à 67 millions d’euros en moyenne pendant cette période. Dans la mesure où une telle augmentation du budget par rapport au budget autorisé par la Commission est susceptible d’influencer l’évaluation de la compatibilité des régimes d’aides en cause au principal avec le marché intérieur, elle constitue un changement autre qu’une modification purement formelle ou administrative, au sens de l’article 4, paragraphe 1, première phrase, du règlement no 794/2004. Sauf à rester inférieure au seuil de 20 % prévu à l’article 4, paragraphe 1, seconde phrase, de ce règlement, une telle augmentation constitue, partant, une modification d’une aide existante, au sens de l’article 1er, sous c), du règlement no 659/1999.

42

Dans la mesure où la juridiction de renvoi s’interroge, à cet égard, sur la pertinence de la circonstance selon laquelle ladite augmentation n’est pas due à une modification juridique des régimes d’aides en cause au principal, il y a lieu de rappeler que l’article 4, paragraphe 1, première phrase, du règlement no 794/2004 définit la notion de « modification d’une aide existante » de façon large, comme couvrant « tout changement autre que les modifications de caractère purement formel ou administratif qui ne sont pas de nature à influencer l’évaluation de la compatibilité de la mesure d’aide avec le marché [intérieur] ». Ainsi qu’il découle des termes « tout changement », cette définition ne saurait être limitée aux seules modifications juridiques des régimes d’aides.

43

En outre, cette disposition doit être interprétée à la lumière de l’objectif du système de contrôle préventif qu’elle met en œuvre, qui consiste, ainsi qu’il a été rappelé au point 30 du présent arrêt, à assurer que seules des aides compatibles avec le marché intérieur soient mises à exécution. Or, une augmentation du budget d’un régime d’aides est susceptible d’avoir une incidence sur l’appréciation de sa compatibilité avec le marché intérieur, indépendamment du point de savoir si cette modification est ou non due à une modification juridique du régime d’aides concerné.

44

Le nécessaire respect du principe de sécurité juridique ne fait pas non plus obstacle à ce qu’une augmentation du budget d’un régime d’aides par rapport au budget autorisé par la Commission soit considérée, dans des circonstances telles que celles en cause au principal, comme une modification d’une aide existante, au sens de l’article 108, paragraphe 3, TFUE.

45

En effet, il ressort du considérant 4 du règlement no 794/2004 que c’est précisément pour des raisons de sécurité juridique que l’article 4, paragraphe 1, seconde phrase, de ce règlement fixe un seuil précis en dessous duquel une augmentation du budget d’un régime d’aides n’est pas considérée comme étant une modification de l’aide existante. En fixant ce seuil au niveau assez élevé de 20 %, cette disposition prévoit une marge de sécurité qui tient suffisamment compte des incertitudes liées à l’application du contrôle préventif institué à l’article 108, paragraphe 3, TFUE à des régimes d’aides dont le budget fluctue, tels que ceux en cause au principal.

46

La Cour a, par ailleurs, déjà jugé qu’un État membre ne peut pas invoquer le principe de sécurité juridique pour s’écarter des informations qu’il a fournies à la Commission dans le cadre de la notification d’un régime d’aides et dont dépend la portée de la décision de la Commission autorisant ce régime, mais doit, au contraire, tenir compte de ces informations et veiller à ce que ledit régime soit mis à exécution en conformité avec elles (voir, en ce sens, arrêt du 16 décembre 2010, Kahla Thüringen Porzellan/Commission, C-537/08 P, EU:C:2010:769, point 47).

47

En outre, il y a lieu de relever que, en l’occurrence, dans le document de la Commission intitulé « Autorisation des aides d’État dans le cadre des dispositions des articles 87 et 88 du traité CE – Cas à l’égard desquels la Commission ne soulève pas d’objection » et publié au Journal officiel de l’Union européenne (JO 2007, C 246, p. 1), les prévisions des autorités françaises quant à la hausse du produit des trois taxes consécutive à la réforme de la taxe sur les services de télévision ont été présentées comme étant le « budget » de l’aide autorisée. Or, dans le système de contrôle préventif institué à l’article 108, paragraphe 3, TFUE, ni l’État membre concerné ni les bénéficiaires d’un régime d’aides ne sauraient raisonnablement se prévaloir d’une confiance légitime à ce qu’une décision d’autorisation fasse foi au-delà de la description de la mesure telle que publiée au Journal officiel de l’Union européenne (voir, en ce sens, arrêt du 14 octobre 2010, Nuova Agricast et Cofra/Commission, C-67/09 P, EU:C:2010:607, points 72 à 74).

48

La juridiction de renvoi s’interroge encore sur les enseignements qu’il convient de tirer, pour l’affaire en cause au principal, de l’arrêt du 9 août 1994, Namur-Les assurances du crédit (C-44/93, EU:C:1994:311), dans lequel la Cour a jugé, en substance, que l’extension du champ d’activité d’un établissement public qui bénéficiait d’aides accordées par l’État en vertu d’une législation antérieure à l’entrée en vigueur du traité CEE ne pouvait pas être regardée comme une modification d’une aide existante, dès lors que cette extension n’avait pas affecté le régime d’aides institué par cette législation.

49

Cette jurisprudence n’est cependant pas transposable à l’affaire en cause au principal. En effet, l’extension du champ d’activité du bénéficiaire de l’aide en cause dans l’affaire ayant donné lieu à l’arrêt du 9 août 1994, Namur-Les assurances du crédit (C-44/93, EU:C:1994:311), qui n’affectait pas le régime d’aides institué par la législation concernée, n’est pas comparable à l’augmentation du budget des régimes d’aides en cause au principal, seule cette augmentation affectant directement les régimes d’aides en question.

50

Il s’ensuit qu’une augmentation du produit de taxes finançant plusieurs régimes d’aides autorisés par rapport aux prévisions notifiées à la Commission, telle que celle en cause au principal, constitue une modification d’une aide existante, au sens de l’article 1er, sous c), du règlement no 659/1999 et de l’article 4, paragraphe 1, première phrase, du règlement no 794/2004, lus à la lumière de l’article 108, paragraphe 3, TFUE, à moins que cette augmentation ne reste inférieure au seuil de 20 % prévu à l’article 4, paragraphe 1, seconde phrase, de ce dernier règlement.

51

En ce qui concerne le calcul dudit seuil dans des circonstances telles que celles en cause au principal, il ressort des termes mêmes de l’article 4, paragraphe 1, seconde phrase, du règlement no 794/2004 qu’une augmentation du « budget initial » d’un régime d’aides existant n’excédant pas 20 % n’est pas considérée comme étant une modification de l’aide existante. Partant, le seuil de 20 % prévu à cette disposition se rapporte au « budget initial » du régime d’aides concerné, c’est-à-dire au budget du régime tel qu’autorisé par la Commission.

52

En outre, il ressort des points 28 à 35 du présent arrêt que, dans le cas, comme en l’espèce, d’un régime d’aides existant financé par des taxes affectées, le budget initial de ce régime est déterminé par les prévisions des recettes fiscales affectées, telles qu’elles ont été autorisées par la Commission. Partant, le dépassement du seuil de 20 % doit s’apprécier par rapport à ces recettes, et non pas par rapport aux aides effectivement allouées.

53

En l’occurrence, il ressort des décisions de 2006 et de 2007 que la Commission a autorisé, s’agissant du produit annuel des trois taxes, un montant maximal d’environ 557 millions d’euros. Or, il ressort du rapport de la Cour des comptes, auquel la juridiction de renvoi se réfère dans sa demande de décision préjudicielle, que, lors de la période en cause, le montant du produit annuel de ces taxes a augmenté jusqu’à environ 806 millions d’euros au titre de l’année 2011, en raison, notamment, de la forte progression du produit de la taxe sur les services de télévision, passé de 362 millions d’euros au titre de l’année 2007 à 631 millions d’euros au titre de l’année 2011. Ainsi, il apparaît que l’augmentation que le budget des régimes d’aides en cause au principal a connue lors de cette période par rapport au budget autorisé dans les décisions de 2006 et de 2007 dépasse nettement le seuil de 20 %, étant précisé que l’année au cours de laquelle le dépassement de ce seuil est intervenu doit être déterminée par la juridiction de renvoi.

54

S’agissant, à cet égard, de la mise en réserve d’une partie des recettes du CNC, évoquée par la juridiction de renvoi, il semble ressortir du dossier à la disposition de la Cour que celle-ci n’a pas eu pour effet de réaffecter le montant concerné à une mesure autre que celles revêtant toutes les caractéristiques d’une aide, au sens de l’article 107, paragraphe 1, TFUE, ce qu’il appartient néanmoins à la juridiction de renvoi de vérifier.

55

En l’absence d’une telle réaffectation qui permettrait de soustraire le produit des trois taxes au budget des régimes d’aides concernés, une mise en réserve laisse ce produit à la disposition de l’organe chargé de la mise à exécution de ces régimes aux fins du versement d’aides individuelles, dans la mesure où le seul effet de cette mise en réserve consiste, ainsi que la Commission l’a souligné au cours de l’audience, en un report dans le temps de ce versement. Dès lors que ledit produit continue ainsi à relever de ce budget, une telle mise en réserve n’est pas, en soi, susceptible de remettre en cause le dépassement du seuil de 20 % prévu à l’article 4, paragraphe 1, seconde phrase, du règlement no 794/2004.

56

Quant aux prélèvements au profit du budget général de l’État, également mentionnés par la juridiction de renvoi, il convient de faire observer que, selon les indications figurant dans le dossier à la disposition de la Cour, il apparaît que, lors de la période en cause, seul un montant de 20 millions d’euros a été réattribué à ce budget par le Parlement français, au mois de décembre 2010, pour l’année 2011. Or, au vu des informations contenues dans le rapport de la Cour des comptes, visées au point 53 du présent arrêt, il semble que, même en tenant compte de cette réattribution, l’augmentation que le budget des régimes d’aides en cause au principal a connue lors de cette période, par rapport au budget autorisé dans les décisions de 2006 et de 2007, dépasserait le seuil de 20 %.

57

Par conséquent, sous réserve de vérification par la juridiction de renvoi, il apparaît que la seule mise en réserve d’une partie des recettes du CNC, sans réaffectation du montant concerné à des fins autres que l’octroi d’aides, de même que le prélèvement au profit du budget général de l’État intervenu lors de la période en cause, ne sont pas de nature à remettre en cause l’existence d’une augmentation du budget des régimes d’aides en cause au principal, lors de cette période, par rapport au budget autorisé dans les décisions de 2006 et de 2007, excédant le seuil de 20 % prévu à l’article 4, paragraphe 1, seconde phrase, du règlement no 794/2004.

58

Ainsi qu’il ressort du point 23 du présent arrêt, cette conclusion est cependant sans préjudice de l’appréciation qu’il appartiendra à la juridiction de renvoi de porter sur la mise en réserve d’une partie des recettes du CNC et sur le prélèvement au profit du budget général de l’État intervenu lors de la période en cause dans le cadre de l’examen de l’existence d’un lien d’affectation contraignant entre les trois taxes et les régimes d’aides en cause.

59

Ainsi, sous réserve de cette vérification, dans le cadre du système de contrôle préventif instauré par l’article 108, paragraphe 3, TFUE, une augmentation du budget de ces régimes par rapport au budget autorisé par la Commission, telle que celle en cause au principal, aurait dû être notifiée à celle-ci en temps utile, c’est-à-dire dès que les autorités françaises pouvaient raisonnablement prévoir le dépassement dudit seuil de 20 %.

60

Eu égard à l’ensemble des considérations qui précèdent, il y a lieu de répondre aux questions préjudicielles qu’une augmentation du produit de taxes finançant plusieurs régimes d’aides autorisés par rapport aux prévisions notifiées à la Commission, telle que celle en cause au principal, constitue une modification d’une aide existante, au sens de l’article 1er, sous c), du règlement no 659/1999 et de l’article 4, paragraphe 1, première phrase, du règlement no 794/2004, lus à la lumière de l’article 108, paragraphe 3, TFUE, à moins que cette augmentation ne reste inférieure au seuil de 20 %, prévu à l’article 4, paragraphe 1, seconde phrase, de ce dernier règlement. Ce seuil doit s’apprécier, dans une situation telle que celle en cause au principal, par rapport aux recettes affectées aux régimes d’aides concernés et non pas par rapport aux aides effectivement allouées.

Sur la limitation des effets dans le temps du présent arrêt

61

S’agissant de la demande du gouvernement français de limiter les effets du présent arrêt dans le temps, il convient de rappeler que, conformément à une jurisprudence constante, l’interprétation que la Cour donne d’une règle de droit de l’Union, dans l’exercice de la compétence que lui confère l’article 267 TFUE, éclaire et précise la signification et la portée de cette règle, telle qu’elle doit ou aurait dû être comprise et appliquée depuis la date de son entrée en vigueur. Il s’ensuit que la règle ainsi interprétée peut et doit être appliquée par le juge à des rapports juridiques nés et constitués avant l’arrêt statuant sur la demande d’interprétation, si, par ailleurs, les conditions permettant de porter devant les juridictions compétentes un litige relatif à l’application de ladite règle se trouvent réunies (arrêt du 29 septembre 2015, Gmina Wrocław, C-276/14, EU:C:2015:635, point 44 et jurisprudence citée).

62

Ce n’est qu’à titre tout à fait exceptionnel que la Cour peut, par application d’un principe général de sécurité juridique inhérent à l’ordre juridique de l’Union, être amenée à limiter la possibilité pour tout intéressé d’invoquer une disposition qu’elle a interprétée en vue de mettre en cause des relations juridiques établies de bonne foi. Pour qu’une telle limitation puisse être décidée, il est nécessaire que deux critères essentiels soient réunis, à savoir la bonne foi des milieux intéressés et le risque de troubles graves (arrêt du 29 septembre 2015, Gmina Wrocław, C-276/14, EU:C:2015:635, point 45 et jurisprudence citée).

63

En l’occurrence, le gouvernement français ne démontre pas que la constatation, par la juridiction de renvoi, à la suite du présent arrêt, d’une méconnaissance de l’article 108, paragraphe 3, TFUE entraînerait un risque de troubles graves.

64

En conséquence, et sans qu’il soit nécessaire de vérifier s’il est satisfait au critère relatif à la bonne foi des milieux intéressés, il n’y a pas lieu de limiter les effets du présent arrêt dans le temps.

Sur les dépens

65

La procédure revêtant, à l’égard des parties au principal, le caractère d’un incident soulevé devant la juridiction de renvoi, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens. Les frais exposés pour soumettre des observations à la Cour, autres que ceux desdites parties, ne peuvent faire l’objet d’un remboursement.

 

Par ces motifs, la Cour (quatrième chambre) dit pour droit :

 

Une augmentation du produit de taxes finançant plusieurs régimes d’aides autorisés par rapport aux prévisions notifiées à la Commission européenne, telle que celle en cause au principal, constitue une modification d’une aide existante, au sens de l’article 1er, sous c), du règlement (CE) no 659/1999 du Conseil, du 22 mars 1999, portant modalités d’application de l’article [108 TFUE], et de l’article 4, paragraphe 1, première phrase, du règlement (CE) no 794/2004 de la Commission, du 21 avril 2004, concernant la mise en œuvre du règlement no 659/1999, lus à la lumière de l’article 108, paragraphe 3, TFUE, à moins que cette augmentation ne reste inférieure au seuil de 20 %, prévu à l’article 4, paragraphe 1, seconde phrase, de ce dernier règlement.

 

Ce seuil doit s’apprécier, dans une situation telle que celle en cause au principal, par rapport aux recettes affectées aux régimes d’aides concernés et non pas par rapport aux aides effectivement allouées.

 

von Danwitz

Vajda

Juhász

Jürimäe

Lycourgos

Ainsi prononcé en audience publique à Luxembourg, le 20 septembre 2018.

Le greffier

A. Calot Escobar

Le président de la IVème chambre

T. von Danwitz


( *1 ) Langue de procédure : le français.