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 ARRÊT DE LA COUR (deuxième chambre)

14 mai 2020 ( *1 )

« Renvoi préjudiciel – Articles 49 et 54 TFUE – Liberté d’établissement – Législation fiscale – Impôts sur les sociétés – Sociétés mères et filiales – Intégration fiscale verticale et horizontale »

Dans l’affaire C-749/18,

ayant pour objet une demande de décision préjudicielle au titre de l’article 267 TFUE, introduite par la Cour administrative (Luxembourg), par décision du 29 novembre 2018, parvenue à la Cour le 30 novembre 2018, dans la procédure

B e.a.

contre

Administration des contributions directes,

LA COUR (deuxième chambre),

composée de M. A. Arabadjiev (rapporteur), président de chambre, M. K. Lenaerts, président de la Cour, faisant fonction de juge de la deuxième chambre, MM. P. G. Xuereb, T. von Danwitz et A. Kumin, juges,

avocat général : M. P. Pikamäe,

greffier : M. A. Calot Escobar,

vu la procédure écrite,

considérant les observations présentées :

pour B e.a., par Me G. Simon, avocat,

pour le gouvernement luxembourgeois, par Mme D. Holderer, en qualité d’agent,

pour le gouvernement italien, par Mme G. Palmieri, en qualité d’agent, assistée de M. P. Gentili, avvocato dello Stato,

pour la Commission européenne, par M. W. Roels et Mme A. Armenia, en qualité d’agents,

vu la décision prise, l’avocat général entendu, de juger l’affaire sans conclusions,

rend le présent

Arrêt

1

La demande de décision préjudicielle porte sur l’interprétation des articles 49 et 54 TFUE.

2

Cette demande a été présentée dans le cadre d’un litige opposant trois sociétés de droit luxembourgeois, B, C et D, à l’administration des contributions directes (Luxembourg) au sujet du rejet de leur demande conjointe tendant à l’octroi du régime d’intégration fiscale concernant les exercices d’imposition 2013 et 2014.

Le cadre juridique

3

L’article 164 bis de la loi modifiée du 4 décembre 1967 concernant l’impôt sur le revenu (Mémorial A 1967, p. 1228), dans sa version applicable aux exercices d’imposition 2013 et 2014 (ci-après l’« article 164 bis de la LIR »), prévoyait :

« (1)   Les sociétés de capitaux résidentes pleinement imposables, dont 95 % au moins du capital est détenu directement ou indirectement par une autre société de capitaux résidente pleinement imposable ou par un établissement stable indigène d’une société de capitaux non résidente pleinement imposable à un impôt correspondant à l’impôt sur le revenu des collectivités, peuvent, sur demande, être intégrées fiscalement dans la société mère ou dans l’établissement stable indigène, de façon à faire masse de leurs résultats fiscaux respectifs avec celui de la société mère ou de l’établissement stable indigène.

[...]

(4)   Le régime d’intégration fiscale est subordonné à une demande écrite conjointe de la société mère ou de l’établissement stable indigène et des filiales visées. La demande est à introduire auprès de l’administration des contributions directes avant la fin du premier exercice de la période pour laquelle le régime d’intégration fiscale est demandé, période devant couvrir au moins 5 exercices d’exploitation. [...] »

4

L’article 164 bis de la LIR a été modifié par la loi du 18 décembre 2015 (Mémorial A 2015, p. 5989), avec effet au 1er janvier 2015 (ci-après « l’article 164 bis de la LIR, tel que modifié »). Cette disposition est libellée comme suit :

« (1)   Au sens du présent article on entend par :

1.

société intégrée : une société de capitaux résidente pleinement imposable ou un établissement stable indigène d’une société de capitaux non résidente pleinement imposable à un impôt correspondant à l’impôt sur le revenu des collectivités ;

2.

société mère intégrante : une société de capitaux résidente pleinement imposable ou un établissement stable indigène d’une société de capitaux non résidente pleinement imposable à un impôt correspondant à l’impôt sur le revenu des collectivités ;

3.

société mère non intégrante : une société de capitaux résidente pleinement imposable ou un établissement stable indigène d’une société de capitaux non résidente pleinement imposable à un impôt correspondant à l’impôt sur le revenu des collectivités ou une société de capitaux résidente d’un autre État partie à l’Accord sur l’Espace économique européen (EEE) pleinement imposable à un impôt correspondant à l’impôt sur le revenu des collectivités ou un établissement stable d’une société de capitaux pleinement imposable à un impôt correspondant à l’impôt sur le revenu des collectivités situé dans un autre État partie à l’Accord sur l’[EEE] et y pleinement imposable à un impôt correspondant à l’impôt sur le revenu des collectivités ;

4.

société filiale intégrante : une société de capitaux résidente pleinement imposable ou un établissement stable indigène d’une société de capitaux non résidente pleinement imposable à un impôt correspondant à l’impôt sur le revenu des collectivités ;

5.

groupe intégré : soit un groupe composé par la société mère intégrante et la (les) société(s) intégrée(s) au sens de l’alinéa 2, soit un groupe composé par la société filiale intégrante et la (les) société(s) intégrée(s) au sens de l’alinéa 3. Un membre d’un groupe intégré ne peut pas faire partie simultanément d’un autre groupe intégré.

[...] »

Le litige au principal et les questions préjudicielles

5

B est une société de droit luxembourgeois fiscalement résidente au Luxembourg dont la société mère est la société anonyme de droit français A, fiscalement résidente en France.

6

À partir du 1er janvier 2008, B a constitué, avec sa filiale E, un groupe fiscalement intégré vertical dans le cadre du régime de l’intégration fiscale, au sens de l’article 164 bis de la LIR. Ce groupe a été progressivement étendu à d’autres filiales de B de la manière suivante : à partir du 1er janvier 2010 à la société F, à partir du 1er janvier 2011 à la société G, qui a ensuite été absorbée par la société F, à partir du 1er janvier 2012 à la société H et à partir du 1er janvier 2013 aux sociétés I, J, K et L. Dans le cadre de ce groupe fiscalement intégré vertical progressivement étendu, B a assumé le rôle de société faîtière du groupe en détenant au moins 95 % du capital social de toutes les filiales dont le siège social et l’administration centrale se trouvent au Luxembourg, l’ensemble des résultats des sociétés du groupe ayant été consolidés pour être imposés dans le chef de B.

7

C et D sont des sociétés de droit luxembourgeois fiscalement résidentes au Luxembourg, dont le capital est détenu indirectement par la société de droit français A, sans que la société B détienne une quelconque participation dans le capital de ces deux sociétés.

8

Par deux lettres portant la date du 8 décembre 2014 et déposées le 22 décembre 2014, B, C et D ont demandé l’octroi du bénéfice du régime de l’intégration fiscale, au sens de l’article 164 bis de la LIR à partir, respectivement, du 1er janvier 2013 et du 1er janvier 2014.

9

Par décision du 3 février 2015, le bureau d’imposition Sociétés 6 de l’administration des contributions directes (Luxembourg, ci-après le « bureau d’imposition ») a rejeté ces demandes au motif que B, C et D ne remplissaient pas les conditions prévues à l’article 164 bis de la LIR.

10

La réclamation introduite le 27 avril 2015 contre ladite décision étant restée sans réponse, B, C et D ont déposé, le 12 août 2016, un recours devant le tribunal administratif (Luxembourg) tendant à la réformation, sinon à l’annulation, de la décision du bureau d’imposition du 3 février 2015.

11

Par jugement du 6 décembre 2017, le tribunal administratif a déclaré le recours non fondé en ce qui concerne l’admission au régime d’intégration fiscale à partir du 1er janvier 2013, au motif que la demande en ce sens aurait dû parvenir à l’administration avant la fin du premier exercice de la période pour laquelle le régime d’intégration fiscale était demandé, à savoir avant la fin de l’année 2013.

12

En revanche, en ce qui concerne l’exercice d’imposition 2014, le tribunal administratif a déclaré le recours fondé et a décidé que l’interdiction, pour une société mère non-résidente établie dans un autre État membre, de former une entité fiscale entre ses sociétés filiales résidentes, telle qu’elle résulte de l’article 164 bis de la LIR, alors que cette même possibilité est conférée à une société mère résidente au moyen d’une intégration verticale, est incompatible avec les libertés de circulation et d’établissement visées aux articles 49 et 54 TFUE.

13

Par requête déposée le 15 janvier 2018, B, C et D ont fait appel de ce jugement devant la juridiction de renvoi, la Cour administrative (Luxembourg), dans la mesure où leur recours relatif à l’exercice d’imposition 2013 a été déclaré non fondé. Selon ces sociétés, il est contraire au principe de l’effet utile du droit de l’Union de leur refuser le bénéfice du régime de l’intégration fiscale à partir du 1er janvier 2013 au motif qu’une condition de pure forme, à savoir le respect du délai dans lequel la demande doit être déposée, n’a pas été respectée. Une telle condition aurait été excessivement difficile à remplir au vu des positions administrative et jurisprudentielle luxembourgeoises retenues en 2013, s’opposant à toute demande d’intégration fiscale horizontale. B, C et D auraient déposé leur demande dès que l’arrêt du 12 juin 2014, SCA Group Holding e.a. (C-39/13 à C-41/13, EU:C:2014:1758) leur aurait fourni des arguments juridiques pour faire valoir, sur la base du droit de l’Union, leur droit à pouvoir bénéficier du régime d’intégration fiscale prévu par la législation luxembourgeoise compte tenu de l’existence d’un groupe fiscalement intégré préexistant.

14

Devant la juridiction de renvoi, l’administration des contributions directes demande la confirmation du jugement du tribunal administratif du 6 décembre 2017, dans la mesure où ce dernier a confirmé le refus d’admission au régime d’intégration fiscale pour la période débutant le 1er janvier 2013. Cette administration forme toutefois un appel incident contre ce jugement, dans la mesure où le tribunal administratif a jugé fondé le recours de B, C et D concernant l’année d’imposition 2014.

15

Dans ces conditions, la Cour administrative a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour les questions préjudicielles suivantes :

« 1)

Est-ce que les articles 49 et 54 TFUE doivent être interprétés en ce sens qu’ils s’opposent à une législation d’un État membre relative à un régime d’intégration fiscale qui, d’un côté, permet une consolidation des résultats de sociétés d’un même groupe qui admet exclusivement une intégration fiscale verticale entre une société mère résidente ou un établissement stable indigène d’une société mère non résidente et ses filiales résidentes et qui, d’un autre côté, s’oppose de la même manière à l’intégration fiscale purement horizontale des seules filiales tant d’une société mère non résidente et ne disposant pas d’un établissement stable indigène que d’une société mère résidente ou non résidente mais disposant d’un établissement stable indigène ?

2)

Dans l’hypothèse d’une réponse affirmative à la première question, est-ce que les articles 49 et 54 TFUE doivent être interprétés en ce sens qu’ils s’opposent à la même législation d’un État membre relative à un régime d’intégration fiscale et, plus particulièrement, à la stricte séparation entre les régimes d’intégration verticale (entre une société faîtière et ses filiales directes ou indirectes) et horizontale (entre deux ou plusieurs filiales résidentes d’une société faîtière restant en dehors du périmètre d’intégration fiscale) découlant de cette législation et à l’obligation en résultant de mettre un terme à une intégration fiscale verticale préexistante avant de pouvoir constituer un groupe d’intégration fiscale horizontale et ce dans l’hypothèse

où une intégration fiscale verticale avec une société faîtière intégrante au niveau national résidente de l’État membre concerné (représentant en même temps la filiale intermédiaire par rapport à la société mère ultime résidente d’un autre État membre) et des filiales résidentes de la société faîtière avait été antérieurement mise en place, en raison de l’admission, par la législation de l’État membre concerné, de la seule intégration fiscale verticale, afin de pouvoir bénéficier du régime nonobstant la résidence de la société mère ultime dans un autre État membre,

où des sociétés sœurs de la société faîtière intégrante de l’État membre concerné (et donc également filiales de la société mère ultime résidente d’un autre État membre) se voient refuser l’accès à l’intégration fiscale existante au motif tiré de l’incompatibilité entre les deux régimes d’intégration fiscale verticale et horizontale et

où l’inclusion desdites sociétés sœurs dans le périmètre de consolidation des résultats entre sociétés du groupe impliquerait l’abolition de l’intégration fiscale verticale préexistante – avec les conséquences fiscales négatives y attachées en raison du non-respect de la durée minimale d’existence de l’intégration prévue par la législation nationale – et la mise en place d’une nouvelle intégration fiscale horizontale alors même que la société intégrante résidente (au niveau de laquelle les résultats des sociétés fiscalement intégrées seraient consolidés) resterait la même ?

3)

En cas de réponse affirmative également à la deuxième question, est-ce que les articles 49 et 54 TFUE, ensemble [avec] le principe de l’effet utile du droit de l’Union, doivent être interprétés en ce sens qu’ils s’opposent à la même législation d’un État membre relative à un régime d’intégration fiscale et, plus particulièrement, à l’application d’un délai en vertu duquel toute demande en vue de l’admission au régime de l’intégration fiscale doit obligatoirement être introduite auprès de l’autorité compétente avant la fin du premier exercice pour lequel l’application de ce régime est demandée et ce dans l’hypothèse

où, d’après les réponses affirmatives aux deux premières questions, cette législation excluait de manière incompatible avec la liberté d’établissement une intégration fiscale horizontale entre les seules filiales d’une même société mère et la modification d’un groupe fiscalement intégré vertical existant par l’ajout de sociétés sœurs de la société intégrante,

où la pratique administrative et la jurisprudence nationales de l’État membre concerné étaient, avant la publication de [l’arrêt du 12 juin 2014, SCA Group Holding e.a. (C-39/13 à C-41/13, EU:C:2014:1758)], fixées dans le sens de l’admission de la validité de ladite législation,

où plusieurs sociétés ont soumis, [à la] suite [de] la publication [de cet arrêt] et encore avant la fin de l’année 2014, une demande tendant à rejoindre un groupe fiscalement intégré existant à travers l’admission d’une intégration fiscale horizontale avec la société intégrante du groupe existant en se prévalant [dudit arrêt] et

où cette demande porte non seulement sur l’exercice 2014 encore en cours au moment de l’introduction de la demande, mais également sur l’exercice antérieur de l’année 2013 à partir duquel les sociétés impliquées satisfaisaient à toutes les conditions de fond compatibles avec le droit de l’Union pour l’admission au régime de l’intégration fiscale ? »

Sur les questions préjudicielles

Observations liminaires

16

Il ressort des explications fournies par la juridiction de renvoi, seule compétente pour interpréter le droit national dans le cadre du système de coopération judiciaire établi à l’article 267 TFUE (arrêt du 7 novembre 2018, C et A, C-257/17, EU:C:2018:876, point 34 ainsi que jurisprudence citée), que l’article 164 bis de la LIR, tel que modifié, a introduit la possibilité d’effectuer une intégration fiscale horizontale entre une société filiale résidente et d’autres sociétés filiales résidentes d’une société mère non intégrante résidente ou non-résidente. Toutefois, selon cette juridiction, cette modification n’est applicable « qu’à partir de l’année d’imposition 2015 ». Par conséquent, les années d’imposition 2013 et 2014, en cause dans l’affaire au principal, demeurent régies par l’article 164 bis de la LIR.

17

La juridiction de renvoi expose également que le régime d’intégration fiscale, prévu à l’article 164 bis de la LIR, constitue un régime spécial d’imposition du bénéfice consolidé d’un groupe de sociétés et implique que toutes les sociétés comprises dans le périmètre d’intégration déterminent leurs propres résultats comptables et fiscaux, éliminent de leurs résultats comptables respectifs les doubles déductions ou doubles impositions pouvant résulter des opérations réalisées entre les sociétés du groupe et que ces résultats soient consolidés au niveau de la société intégrante – ce qui comporte une compensation entre les résultats positifs et négatifs des sociétés concernées – pour aboutir au résultat fiscal consolidé imposable dans le chef de la seule société intégrante. Conformément à l’article 164 bis de la LIR, une telle intégration fiscale ne se concevait pas en dehors de la participation de la société mère et uniquement à l’intérieur du périmètre d’intégration d’une seule et même juridiction fiscale.

18

Par ailleurs, conformément à la jurisprudence de la juridiction de renvoi, le régime d’intégration fiscale serait de droit pour les contribuables qui répondent aux conditions matérielles fixées par l’article 164 bis de la LIR, de telle sorte que le bureau d’imposition compétent serait tenu de délivrer son agrément lorsque, après vérification, il constate que les conditions matérielles sont remplies.

19

Il convient de répondre aux questions préjudicielles en tenant compte de ces considérations.

Sur la première question

20

Par sa première question, la juridiction de renvoi demande, en substance, si les articles 49 et 54 TFUE doivent être interprétés en ce sens qu’ils s’opposent à une législation d’un État membre qui, tout en admettant une intégration fiscale verticale entre une société mère résidente ou un établissement stable, dans cet État membre, d’une société mère non-résidente et ses filiales résidentes, n’admet pas une intégration fiscale horizontale entre les filiales résidentes d’une société mère non-résidente.

21

La liberté d’établissement, que l’article 49 TFUE reconnaît aux ressortissants de l’Union, comporte pour ces derniers l’accès aux activités non salariées et l’exercice de celles-ci ainsi que la constitution et la gestion d’entreprises dans les mêmes conditions que celles définies par la législation de l’État membre d’établissement pour ses propres ressortissants. Elle comprend, conformément à l’article 54 TFUE, pour les sociétés constituées en conformité avec la législation d’un État membre et ayant leur siège statutaire, leur administration centrale ou leur principal établissement à l’intérieur de l’Union, le droit d’exercer leur activité dans l’État membre concerné par l’intermédiaire d’une filiale, d’une succursale ou d’une agence (arrêt du 1er avril 2014, Felixstowe Dock and Railway Company e.a., C-80/12, EU:C:2014:200, point 17 ainsi que jurisprudence citée).

22

Il convient de rappeler que, s’agissant de sociétés, leur siège, au sens de l’article 54 TFUE, sert à déterminer, à l’instar de la nationalité des personnes physiques, leur rattachement à l’ordre juridique d’un État membre. Toutefois, admettre que l’État membre de résidence puisse librement appliquer un traitement différent en raison du seul fait que le siège d’une société est situé dans un autre État membre viderait l’article 49 TFUE de son contenu. La liberté d’établissement vise en effet à garantir le bénéfice du traitement national dans l’État membre d’accueil, en interdisant toute discrimination fondée sur le siège des sociétés (arrêt du 12 juin 2014, SCA Group Holding e.a., C-39/13 à C-41/13, EU:C:2014:1758, point 45 ainsi que jurisprudence citée).

23

Un régime d’intégration fiscale, tel que celui en cause au principal, constitue un avantage fiscal pour les sociétés concernées. Au moyen d’une compensation entre les résultats positifs et négatifs des sociétés comprises dans le périmètre d’intégration et de la consolidation de ces résultats dans le chef de la société mère intégrante, le régime d’intégration fiscale confère au groupe des sociétés concernées un avantage de trésorerie (voir, par analogie, arrêt du 12 juin 2014, SCA Group Holding e.a., C-39/13 à C-41/13, EU:C:2014:1758, point 46).

24

En application de l’article 164 bis de la LIR, un tel avantage fiscal est conféré aux sociétés mères résidentes au Luxembourg ou aux établissements stables, dans cet État membre, des sociétés mères non-résidentes, en permettant que les résultats fiscaux des filiales résidentes soient consolidés au niveau de ces sociétés mères et établissements stables.

25

La législation en cause au principal crée donc une différence de traitement entre, d’une part, les sociétés mères ayant leur siège au Luxembourg, qui, grâce au régime de l’intégration fiscale, peuvent, notamment, compenser les résultats positifs de leurs filiales bénéficiaires par les résultats négatifs de leurs filiales déficitaires, et, d’autre part, les sociétés mères détenant également des filiales au Luxembourg mais ayant leur siège dans un autre État membre et ne disposant pas d’établissement stable au Luxembourg, qui ne peuvent bénéficier de ce régime d’intégration fiscale et, partant, de l’avantage fiscal auquel ce régime donne droit.

26

La différence de traitement, telle que constatée au point précédent, n’est pas remise en cause par les arguments du gouvernement luxembourgeois qui fait valoir, dans ses observations écrites, que toutes les sociétés soumises à la souveraineté fiscale du Grand-Duché de Luxembourg bénéficient du même traitement. Selon ce gouvernement, d’une part, si une société mère non-résidente détenait un établissement stable au Luxembourg, celui-ci pourrait bénéficier du même traitement que les sociétés mères résidentes. D’autre part, même dans une situation purement interne, une intégration fiscale entre les filiales d’une société mère ne pourrait pas être effectuée sans la participation de la société mère.

27

À cet égard, il y a lieu de relever, tout d’abord, qu’il ressort de la demande de décision préjudicielle que le litige au principal porte non pas sur la possibilité, pour la société mère non-résidente, d’être incluse dans le régime d’intégration fiscale luxembourgeois au même titre que ses filiales résidentes, mais uniquement sur la possibilité de procéder à l’intégration horizontale des résultats des filiales elles-mêmes qui sont toutes résidentes au Luxembourg. Dès lors, la circonstance que la société mère non-résidente n’est pas soumise à la souveraineté fiscale luxembourgeoise est dénuée de pertinence.

28

Ensuite, il est certes vrai que, dans une situation purement interne, une intégration fiscale entre les filiales résidentes d’une société mère résidente ne peut pas être effectuée sans la participation de cette dernière. Toutefois, lorsque l’intégration fiscale horizontale entre les filiales résidentes d’une société mère résidente n’est pas permise, la consolidation des résultats de ces filiales peut néanmoins être obtenue, ainsi qu’il a été relevé au point 25 du présent arrêt, au moyen de l’intégration des résultats desdites filiales dans le résultat de la société mère.

29

Or, lorsqu’il s’agit des filiales d’une société mère non-résidente, la consolidation des résultats des filiales n’est possible ni au moyen d’une intégration fiscale verticale ni au moyen d’une intégration fiscale horizontale.

30

Enfin, il ressort de la jurisprudence de la Cour que, l’article 49, premier alinéa, deuxième phrase, TFUE laissant expressément aux opérateurs économiques la possibilité de choisir librement la forme juridique appropriée pour l’exercice de leurs activités dans un autre État membre, ce libre choix ne doit pas être limité par des dispositions fiscales discriminatoires (voir, en ce sens, arrêts du 28 janvier 1986, Commission/France, 270/83, EU:C:1986:37, point 22 ; du 6 septembre 2012, Philips Electronics UK, C-18/11, EU:C:2012:532, point 13, ainsi que du 17 mai 2017, X, C-68/15, EU:C:2017:379, point 40 et jurisprudence citée). Dès lors, est sans incidence l’argument selon lequel la création, au Luxembourg, d’un établissement stable ou d’une filiale intermédiaire assumant le rôle de la société mère des filiales existantes aurait permis à la société mère non-résidente de parvenir à l’intégration fiscale des résultats de ses filiales résidentes.

31

En tant qu’elles défavorisent, sur le plan fiscal, les situations transfrontalières par rapport aux situations purement internes, les dispositions de la LIR en cause au principal constituent donc une restriction en principe interdite par les dispositions du traité relatives à la liberté d’établissement (voir, par analogie, arrêts du 27 novembre 2008, Papillon, C-418/07, EU:C:2008:659, point 32, et du 12 juin 2014, SCA Group Holding e.a., C-39/13 à C-41/13, EU:C:2014:1758, point 48).

32

Une telle restriction ne saurait être admise que si elle concerne des situations qui ne sont pas objectivement comparables ou si elle est justifiée par une raison impérieuse d’intérêt général et proportionnée à cet objectif (voir, en ce sens, arrêts du 17 juillet 2014, Nordea Bank Danmark, C-48/13, EU:C:2014:2087, point 23, et du 12 juin 2018, Bevola et Jens W. Trock, C-650/16, EU:C:2018:424, point 20).

33

À cet égard, selon la jurisprudence de la Cour, la comparabilité d’une situation transfrontalière avec une situation interne doit être examinée en tenant compte de l’objectif poursuivi par les dispositions nationales en cause (voir, en ce sens, arrêts du 18 juillet 2007, Oy AA, C-231/05, EU:C:2007:439, point 38 ; du 25 février 2010, X Holding, C-337/08, EU:C:2010:89, point 22, du 12 juin 2014, SCA Group Holding e.a., C-39/13 à C-41/13, EU:C:2014:1758, point 28, et du 12 juin 2018, Bevola et Jens W. Trock, C-650/16, EU:C:2018:424, point 32).

34

La différence de traitement entre les sociétés mères ayant leur siège au Luxembourg et les sociétés mères ayant leur siège dans un autre État membre et ne disposant pas d’établissement stable au Luxembourg quant à la possibilité de procéder à la consolidation fiscale des résultats de leurs filiales au Luxembourg concerne des situations qui sont objectivement comparables.

35

En effet, ainsi qu’il ressort de la demande de décision préjudicielle, le régime d’intégration fiscale établi à l’article 164 bis de la LIR est prévu pour des raisons de neutralité fiscale, afin de permettre une imposition consolidée d’une partie des sociétés du groupe ou de toutes les sociétés du groupe.

36

Or, cet objectif peut être atteint, en ce qui concerne la consolidation des résultats des filiales établies au Luxembourg et leur imposition dans cet État membre, tant par les groupes dont la société mère est également établie dans cet État membre que par ceux dont la société mère ne l’est pas (voir, par analogie, arrêt du 12 juin 2014, SCA Group Holding e.a., C-39/13 à C-41/13, EU:C:2014:1758, point 51).

37

Enfin, ni la juridiction de renvoi ni le gouvernement luxembourgeois n’ont fait état de motifs d’intérêt général permettant de justifier, le cas échéant, la différence de traitement induite par le régime d’intégration fiscale en cause au principal.

38

Dans ces conditions, il y a lieu de répondre à la première question que les articles 49 et 54 TFUE doivent être interprétés en ce sens qu’ils s’opposent à une législation d’un État membre qui, tout en admettant une intégration fiscale verticale entre une société mère résidente ou un établissement stable, dans cet État membre, d’une société mère non-résidente et ses filiales résidentes, n’admet pas une intégration fiscale horizontale entre les filiales résidentes d’une société mère non-résidente.

Sur la deuxième question

39

Par sa deuxième question, la juridiction de renvoi demande, en substance, si les articles 49 et 54 TFUE doivent être interprétés en ce sens qu’ils s’opposent à une législation d’un État membre qui a pour effet de contraindre une société mère ayant son siège dans un autre État membre de dissoudre une intégration fiscale verticale existant entre l’une de ses filiales et un certain nombre de ses sous-filiales résidentes afin de permettre à cette filiale de procéder à une intégration fiscale horizontale avec d’autres filiales résidentes de ladite société mère, alors même que la filiale intégrante résidente reste la même et que la dissolution de l’intégration fiscale verticale avant la fin de la durée minimale de l’existence d’intégration, prévue par la législation nationale, implique l’imposition rectificative individuelle des sociétés concernées.

40

À cet égard, il convient de relever, tout d’abord, que, ainsi que le précise la juridiction de renvoi dans sa demande de décision préjudicielle, le régime d’intégration fiscale horizontale, introduit par l’article 164 bis de la LIR, tel que modifié, est conçu en tant qu’un régime d’intégration alternatif au régime d’intégration verticale, de telle sorte que ces deux régimes s’excluent mutuellement et que le changement d’un régime vers l’autre emporte la dissolution du groupe fiscalement intégré préexistant.

41

Ensuite, toujours selon la juridiction de renvoi, alors même que l’article 164 bis de la LIR, tel que modifié, ne saurait être appliqué de manière rétroactive aux exercices d’imposition en cause au principal, il conviendrait néanmoins d’interpréter l’article 164 bis de la LIR, applicable à ces exercices d’imposition, en tenant compte de la séparation entre les régimes d’intégration fiscale verticale et horizontale, ce qui impliquerait une obligation de mettre un terme à une intégration fiscale verticale préexistante avant de pouvoir constituer un groupe d’intégration fiscale horizontale. Or, la dissolution d’un groupe fiscalement intégré avant la fin de la durée minimale de l’existence de cette intégration, fixée à cinq exercices d’exploitation par l’article 164 bis, paragraphe 4, de la LIR, a pour conséquence une imposition rectificative individuelle de toutes les sociétés qui n’ont pas respecté ladite durée minimale. Cette imposition individuelle rectificative est effectuée au titre des années pour lesquelles une consolidation des résultats n’est plus admise.

42

Enfin, il ressort de la demande de décision préjudicielle que, conformément à la réglementation nationale en cause au principal, s’agissant d’un groupe constitué d’une société mère ayant son siège au Luxembourg et des filiales résidentes, une filiale résidente peut rejoindre une intégration fiscale préexistante, pour en ressortir à la fin de la durée minimale de cinq exercices d’exploitation, de manière à ce que, au niveau des filiales intégrées, toute modification de la composition du groupe fiscalement intégré n’emporte pas la dissolution de l’ancien groupe fiscalement intégré et la création d’un nouveau groupe.

43

Il découle de ce qui précède qu’une société mère ayant son siège au Luxembourg peut librement décider d’incorporer une filiale résidente dans une intégration fiscale préexistante et de l’en faire ressortir après une durée minimale de cinq ans, avec la conséquence que ladite filiale se trouve à nouveau soumise au régime d’imposition individuelle, sans que l’une ou l’autre de ces opérations ait pour conséquence la dissolution de l’ancien groupe intégré et la création d’un nouveau groupe.

44

En revanche, la séparation entre les régimes d’intégration fiscale verticale et horizontale, telle que présentée par la juridiction de renvoi, a pour conséquence qu’une société mère ayant son siège dans un autre État membre et ne disposant pas d’un établissement stable au Luxembourg ne pourrait procéder à une intégration de ses filiales résidentes qu’au prix de la dissolution d’une intégration fiscale verticale existante entre l’une de ces filiales et un certain nombre de ses sous-filiales résidentes. Lorsque l’intégration entre cette filiale résidente et ses sous-filiales résidentes n’a pas été effective, pour toutes les sociétés concernées ou pour seulement certaines d’entre elles, pendant toute la période minimale de cinq ans prévue par la législation nationale en cause au principal, la dissolution de l’intégration existante a pour conséquence l’imposition rectificative des sociétés concernées.

45

Or, la possibilité d’inclure une filiale dans une intégration fiscale préexistante, sans que cela emporte la dissolution de l’ancien groupe intégré et la création d’un nouveau groupe, constitue un avantage fiscal pour les sociétés concernées.

46

Par conséquent, en l’occurrence, une société mère ayant son siège dans un autre État membre que le Grand-Duché de Luxembourg subit, du fait de l’obligation de devoir dissoudre un groupe intégré existant avant de pouvoir procéder à une intégration fiscale horizontale entre ses filiales résidentes, un traitement désavantageux par rapport à une société mère ayant son siège dans cet État membre.

47

Contrairement à ce que soutient le gouvernement luxembourgeois dans ses observations écrites, est, à cet égard, sans incidence la circonstance que, dans une situation purement interne, aucune société ne pourrait simultanément faire partie de deux groupes intégrés.

48

En effet, ainsi qu’il a été relevé aux points 25, 28 et 43 du présent arrêt, une société mère ayant son siège au Luxembourg peut néanmoins obtenir que les résultats d’une filiale soient consolidés avec les résultats de ses autres filiales résidentes, en incorporant ladite filiale dans l’intégration fiscale verticale existante. Dès lors, dans une telle situation interne, le problème de l’existence simultanée de deux groupes intégrés ne se pose pas et seule la société mère non-résidente est confrontée à l’obligation de dissoudre l’ancien groupe intégré préexistant afin de procéder à la consolidation des résultats de ses filiales résidentes.

49

Partant, le fait, pour une société mère non-résidente et ne disposant pas d’un établissement stable au Luxembourg de ne pouvoir procéder à une intégration horizontale entre ses filiales résidentes qu’au prix de la dissolution d’une intégration verticale existante entre l’une de ses filiales et un certain nombre de ses sous-filiales résidentes défavorise les situations transfrontalières par rapport aux situations purement internes. Une telle obligation de fait constitue une restriction en principe interdite par les dispositions du traité relatives à la liberté d’établissement, au sens de la jurisprudence visée au point 31 du présent arrêt.

50

Conformément à la jurisprudence rappelée au point 32 du présent arrêt, une telle restriction ne saurait être admise que si elle concerne des situations qui ne sont pas objectivement comparables ou si elle est justifiée par une raison impérieuse d’intérêt général et proportionnée à cet objectif.

51

Le gouvernement luxembourgeois fait valoir qu’une situation où une société mère ayant son siège au Luxembourg incorpore une filiale résidente à une intégration fiscale verticale n’est pas comparable, au sens de la jurisprudence de la Cour rappelée au point 33 du présent arrêt, à une situation où une filiale d’une société dont le siège se trouve dans un autre État membre souhaite procéder à une intégration avec une autre filiale, dans la mesure où l’incorporation d’une filiale dans l’intégration fiscale verticale ne serait possible que si la société mère détenait directement ou indirectement au moins 95 % des parts de la filiale et où une filiale souhaitant procéder à une intégration avec une autre filiale ne détient pas 95 % de cette filiale.

52

Or, dans la mesure où, ainsi qu’il ressort du point 35 du présent arrêt, l’objectif d’une imposition consolidée d’une partie des sociétés d’un groupe ou de toutes les sociétés de ce groupe peut être atteint, en ce qui concerne la consolidation des résultats des filiales résidentes au Luxembourg et leur imposition dans cet État membre, tant par les groupes dont la société mère est établie dans cet État membre que par ceux dont la société mère ne l’est pas, il convient de constater que, dès lors que la société mère établie dans un autre État membre détient directement ou indirectement au moins 95 % des parts des filiales résidentes souhaitant consolider leurs résultats, la différence de traitement ne saurait être justifiée par une différence de situation objective.

53

Par ailleurs, ni la juridiction de renvoi ni le gouvernement luxembourgeois n’ont fait état de raisons impérieuses d’intérêt général justifiant une telle restriction.

54

Compte tenu de ce qui précède, il convient de répondre à la deuxième question que les articles 49 et 54 TFUE doivent être interprétés en ce sens qu’ils s’opposent à une législation d’un État membre qui a pour effet de contraindre une société mère ayant son siège dans un autre État membre de dissoudre une intégration fiscale verticale existant entre l’une de ses filiales et un certain nombre de ses sous-filiales résidentes afin de permettre à cette filiale de procéder à une intégration fiscale horizontale avec d’autres filiales résidentes de ladite société mère, alors même que la filiale intégrante résidente reste la même et que la dissolution de l’intégration fiscale verticale avant la fin de la durée minimale de l’existence d’intégration, prévue par la législation nationale, implique l’imposition rectificative individuelle des sociétés concernées.

Sur la troisième question

55

Par sa troisième question, la juridiction de renvoi demande, en substance, si les articles 49 et 54 TFUE ainsi que le principe de l’effet utile du droit de l’Union doivent être interprétés en ce sens qu’ils s’opposent à une législation d’un État membre relative à un régime d’intégration fiscale qui prévoit que toute demande visant à pouvoir bénéficier d’un tel régime doit obligatoirement être introduite auprès de l’autorité compétente avant la fin du premier exercice d’imposition pour lequel l’application de ce régime est demandée.

56

La juridiction de renvoi expose, dans sa demande de décision préjudicielle, que l’article 164 bis, paragraphe 4, de la LIR ne prévoit pas de délai de forclusion de l’action du contribuable, tant au niveau précontentieux que contentieux, ni de délai de prescription limitant de manière rétroactive la recevabilité d’une telle action, mais vise à encadrer la procédure d’octroi du régime d’intégration fiscale. Cette disposition aurait en effet pour objectif que la reconnaissance, par le bureau d’imposition compétent, de l’application du régime d’intégration fiscale au groupe de sociétés défini dans la demande puisse être établie à un moment utile, avant que toutes les sociétés impliquées ne procèdent à l’établissement de leurs comptes sociaux concernant la première année d’application du régime d’intégration et de leurs déclarations fiscales y afférentes.

57

En l’occurrence, la troisième question est posée dans un contexte où, ainsi que l’explique la juridiction de renvoi, en ce qui concerne l’exercice d’imposition 2013, la pratique administrative et la jurisprudence luxembourgeoises considéraient que la législation nationale excluant une intégration fiscale horizontale entre les seules filiales d’une même société mère ayant son siège dans un autre État membre était compatible avec le droit de l’Union.

58

B, C et D font valoir à cet égard que l’introduction tardive de leur demande d’intégration fiscale horizontale s’agissant de l’exercice d’imposition 2013 est justifiée par la circonstance que, jusqu’au prononcé de l’arrêt du 12 juin 2014, SCA Group Holding e.a. (C-39/13 à C-41/13, EU:C:2014:1758), la pratique administrative et la jurisprudence luxembourgeoises s’opposaient à une telle demande. Elles auraient néanmoins introduit leur demande rapidement après ce prononcé, soit à un moment où elles avaient de réelles chances qu’il soit fait droit à cette demande, et avant la fin de prescription généralisée de cinq ans prévue par le droit luxembourgeois.

59

À cet égard, il découle des réponses apportées aux première et deuxième questions que les articles 49 et 54 TFUE doivent être interprétés en ce sens qu’ils s’opposent à une législation d’un État membre qui, tout en admettant une intégration fiscale verticale entre une société mère résidente ou un établissement stable, dans cet État membre, d’une société mère non-résidente et ses filiales résidentes, n’admet pas une intégration fiscale horizontale entre les seules filiales résidentes d’une société mère non-résidente.

60

Selon une jurisprudence constante de la Cour, l’interprétation que la Cour donne d’une règle de droit de l’Union, dans l’exercice de la compétence que lui confère l’article 267 TFUE, éclaire et précise la signification et la portée de cette règle, telle qu’elle doit ou aurait dû être comprise et appliquée depuis le moment de son entrée en vigueur. Il en résulte que la règle ainsi interprétée peut et doit être appliquée par le juge même à des rapports juridiques nés et constitués avant l’arrêt statuant sur la demande d’interprétation si, par ailleurs, les conditions permettant de porter devant les juridictions compétentes un litige relatif à l’application de ladite règle se trouvent réunies (voir, notamment, arrêt du 6 mars 2007, Meilicke e.a., C-292/04, EU:C:2007:132, point 34 ainsi que jurisprudence citée).

61

Dans le litige au principal, la condition formelle relative à l’obligation d’introduire la demande en vue de l’admission au régime de l’intégration fiscale avant la fin du premier exercice pour lequel l’application de ce régime est demandée n’a pas été remplie pour l’année d’imposition 2013.

62

À cet égard, même si la juridiction de renvoi ne qualifie pas ce délai de délai de forclusion, il ressort néanmoins du dossier soumis à la Cour que le non-respect dudit délai a conduit le tribunal administratif à rejeter le recours dirigé contre le rejet de la demande d’intégration s’agissant de l’année d’imposition 2013.

63

Dès lors, la question de savoir si le dépassement du délai d’introduction de la demande d’intégration fiscale peut être opposé aux requérantes au principal, dans des circonstances telles que celles en cause dans l’affaire au principal, doit être examinée en tenant compte, par analogie, des principes d’équivalence et d’effectivité qui s’appliquent aux demandes destinées à assurer l’exercice d’un droit qu’un particulier tire du droit de l’Union (voir, en ce sens, arrêt du 21 décembre 2016, TDC, C-327/15, EU:C:2016:974, points 89 à 91) et aux recours en justice destinés à assurer la sauvegarde d’un tel droit (voir en ce sens, notamment, arrêt du 24 octobre 2018, XC e.a., C-234/17, EU:C:2018:853, point 22 ainsi que jurisprudence citée).

64

S’agissant du principe d’équivalence, il ne ressort pas du dossier soumis à la Cour que le délai d’introduction de la demande d’intégration fiscale visé à l’article 164 bis, paragraphe 4, de la LIR ne respecte pas ledit principe.

65

En ce qui concerne le principe d’effectivité, il y a lieu de rappeler que les États membres ont la responsabilité d’assurer, dans chaque cas, une protection effective des droits conférés par le droit de l’Union et que ce principe exige, notamment, que les autorités fiscales de ces États ne rendent pas en pratique impossible ou excessivement difficile l’exercice des droits conférés par l’ordre juridique de l’Union (arrêt du 20 décembre 2017, Caterpillar Financial Services, C-500/16, EU:C:2017:996, point 41).

66

Conformément à la jurisprudence constante de la Cour, chaque cas dans lequel se pose la question de savoir si une disposition procédurale nationale rend impossible ou excessivement difficile l’application du droit de l’Union doit être analysé en tenant compte de la place de cette disposition dans l’ensemble de la procédure, de son déroulement et des particularités de celle-ci devant les diverses instances nationales. Dans cette perspective, il y a lieu, notamment, de prendre en considération, le cas échéant, la protection des droits de la défense, le principe de la sécurité juridique et le bon déroulement de la procédure (arrêts du 22 février 2018, INEOS Köln, C-572/16, EU:C:2018:100, point 44, et du 24 octobre 2018, XC e.a., C-234/17, EU:C:2018:853, point 49).

67

En outre, la Cour a reconnu la compatibilité avec le droit de l’Union de la fixation de délais raisonnables de recours à peine de forclusion dans l’intérêt de la sécurité juridique qui protège à la fois le contribuable et l’administration concernés. En effet, de tels délais ne sont pas de nature à rendre pratiquement impossible ou excessivement difficile l’exercice des droits conférés par l’ordre juridique de l’Union, même si, par définition, l’écoulement de ces délais entraîne le rejet, total ou partiel, de l’action intentée (arrêt du 8 septembre 2011, Q-Beef et Bosschaert, C-89/10 et C-96/10, EU:C:2011:555, point 36 ainsi que jurisprudence citée). Selon une jurisprudence constante de la Cour, l’éventuelle constatation par la Cour de la violation du droit de l’Union est, en principe, sans incidence sur le point de départ du délai de prescription (arrêt du 8 septembre 2011, Q-Beef et Bosschaert, C-89/10 et C-96/10, EU:C:2011:555, point 47 ainsi que jurisprudence citée).

68

Le droit de l’Union ne s’oppose à ce qu’une autorité nationale excipe de l’écoulement d’un délai de prescription raisonnable que si le comportement des autorités nationales combiné avec l’existence d’un délai de forclusion aboutissent à priver totalement une personne de la possibilité de faire valoir ses droits en vertu du droit de l’Union devant les juridictions nationales (voir, en ce sens, arrêts du 15 avril 2010, Barth, C-542/08, EU:C:2010:193, point 33, et du 8 septembre 2011, Q-Beef et Bosschaert, C-89/10 et C-96/10, EU:C:2011:555, point 51).

69

Certes, concernant la mise en œuvre des voies de droit disponibles en vue de mettre en cause la responsabilité d’un État membre pour violation du droit de l’Union, la Cour a jugé qu’il serait contraire au principe d’effectivité d’imposer aux personnes lésées d’avoir systématiquement recours à toutes les voies de droit à leur disposition quand bien même cela engendrerait des difficultés excessives ou ne pourrait être raisonnablement exigé d’eux (arrêts du 24 mars 2009, Danske Slagterier, C-445/06, EU:C:2009:178, point 62, et du 25 novembre 2010, Fuß, C-429/09, EU:C:2010:717, point 77).

70

Ainsi, aux points 104 à 106 de son arrêt du 8 mars 2001, Metallgesellschaft e.a. (C-397/98 et C-410/98, EU:C:2001:134), la Cour a jugé que l’exercice des droits que les dispositions directement applicables du droit de l’Union confèrent aux particuliers serait rendu impossible ou excessivement difficile si leurs demandes en réparation fondées sur la violation du droit de l’Union devaient être rejetées ou réduites au seul motif que les particuliers n’ont pas demandé à bénéficier du droit conféré par les dispositions de l’Union, et que la loi nationale leur refusait, en vue de contester le refus de l’État membre par les voies de droit prévues à cet effet, en invoquant la primauté et l’effet direct du droit de l’Union. Dans un tel cas, il n’aurait pas été raisonnable d’exiger des personnes lésées qu’elles mettent en œuvre les voies de droit à leur disposition, puisque celles-ci auraient dû de toute façon s’acquitter de l’obligation de paiement en cause dans les affaires ayant donné lieu à cet arrêt de manière anticipée et, même si le juge national avait jugé le caractère anticipé de ce paiement incompatible avec le droit de l’Union les personnes en question n’auraient pas pu obtenir le remboursement de cette somme et se seraient exposées à une éventuelle amende.

71

Toutefois, bien que la législation en cause au principal, la pratique administrative et la jurisprudence luxembourgeoises n’autorisaient pas, en ce qui concerne l’exercice d’imposition 2013, une intégration fiscale horizontale entre les seules filiales d’une même société mère, l’introduction d’une demande d’intégration n’entraînait pas, pour les requérantes au principal, des risques financiers et juridiques analogues à ceux en cause notamment dans les affaires ayant donné lieu aux arrêts du 8 mars 2001, Metallgesellschaft e.a. (C-397/98 et C-410/98, EU:C:2001:134, point 104), et du 25 novembre 2010, Fuß, (C-429/09, EU:C:2010:717, point 81), mais pouvait, au contraire, être raisonnablement exigée de celles-ci.

72

En l’occurrence, en ce qui concerne l’année d’imposition 2013, les requérantes au principal avaient en effet la possibilité de déposer à tout moment, au cours de cette année, une demande d’intégration fiscale horizontale, en invoquant l’incompatibilité de la législation luxembourgeoise avec le droit de l’Union. Ainsi qu’il résulte du dossier soumis à la Cour, elles ont d’ailleurs introduit une telle demande sur le fondement du droit de l’Union, pour ce qui concerne l’exercice d’imposition 2014, avant que la loi luxembourgeoise ne soit modifiée dans le sens admettant une telle intégration.

73

La circonstance que, au vu de la législation nationale, ainsi que de la pratique administrative et de la jurisprudence internes, les requérantes au principal auraient considéré vaine l’introduction d’une telle demande, ne saurait être assimilée ni à l’impossibilité objective d’introduire celle-ci, au sens de la jurisprudence de la Cour rappelée au point 68 du présent arrêt, ni à une situation où une telle démarche engendrerait des difficultés excessives ou ne pourrait raisonnablement être exigée d’eux, au sens de la jurisprudence de la Cour rappelée au point 69 du présent arrêt.

74

Compte tenu de ce qui précède, il convient de répondre à la troisième question que les principes d’équivalence et d’effectivité doivent être interprétés en ce sens qu’ils ne s’opposent pas à une législation d’un État membre relative à un régime d’intégration fiscale qui prévoit que toute demande visant à pouvoir bénéficier d’un tel régime doit obligatoirement être introduite auprès de l’autorité compétente avant la fin du premier exercice d’imposition pour lequel l’application de ce régime est demandée.

Sur les dépens

75

La procédure revêtant, à l’égard des parties au principal, le caractère d’un incident soulevé devant la juridiction de renvoi, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens. Les frais exposés pour soumettre des observations à la Cour, autres que ceux desdites parties, ne peuvent faire l’objet d’un remboursement.

 

Par ces motifs, la Cour (deuxième chambre) dit pour droit :

 

1)

Les articles 49 et 54 TFUE doivent être interprétés en ce sens qu’ils s’opposent à une législation d’un État membre qui, tout en admettant une intégration fiscale verticale entre une société mère résidente ou un établissement stable, dans cet État membre, d’une société mère non-résidente et ses filiales résidentes, n’admet pas une intégration fiscale horizontale entre les filiales résidentes d’une société mère non-résidente.

 

2)

Les articles 49 et 54 TFUE doivent être interprétés en ce sens qu’ils s’opposent à une législation d’un État membre qui a pour effet de contraindre une société mère ayant son siège dans un autre État membre de dissoudre une intégration fiscale verticale existant entre l’une de ses filiales et un certain nombre de ses sous-filiales résidentes afin de permettre à cette filiale de procéder à une intégration fiscale horizontale avec d’autres filiales résidentes de ladite société mère, alors même que la filiale intégrante résidente reste la même et que la dissolution de l’intégration fiscale verticale avant la fin de la durée minimale de l’existence d’intégration, prévue par la législation nationale, implique l’imposition rectificative individuelle des sociétés concernées.

 

3)

Les principes d’équivalence et d’effectivité doivent être interprétés en ce sens qu’ils ne s’opposent pas à une législation d’un État membre relative à un régime d’intégration fiscale qui prévoit que toute demande visant à pouvoir bénéficier d’un tel régime doit obligatoirement être introduite auprès de l’autorité compétente avant la fin du premier exercice d’imposition pour lequel l’application de ce régime est demandée.

 

Arabadjiev

Lenaerts

Xuereb

von Danwitz

Kumin

Ainsi prononcé en audience publique à Luxembourg, le 14 mai 2020.

Le greffier

A. Calot Escobar

Le président de la IIème chambre

A. Arabadjiev


( *1 ) Langue de procédure : le français.