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 ARRÊT DE LA COUR (première chambre)

2 juillet 2020 ( *1 )

« Renvoi préjudiciel – Fiscalité – Taxe sur la valeur ajoutée (TVA) – Directive 2006/112/CE – Exonérations – Article 135, paragraphe 1, sous g) – Exonérations des opérations de gestion de fonds communs de placement – Prestation unique utilisée pour la gestion de fonds communs de placement et d’autres fonds »

Dans l’affaire C-231/19,

ayant pour objet une demande de décision préjudicielle au titre de l’article 267 TFUE, introduite par l’Upper Tribunal (Tax and Chancery Chamber) [tribunal supérieur (chambre de la fiscalité et de la Chancery), Royaume-Uni], par décision du 15 mars 2019, parvenue à la Cour le 15 mars 2019, dans la procédure

BlackRock Investment Management (UK) Ltd

contre

Commissioners for Her Majesty’s Revenue and Customs,

LA COUR (première chambre),

composée de M. J.-C. Bonichot (rapporteur), président de chambre, MM. M. Safjan, L. Bay Larsen, Mme C. Toader et M. N. Jääskinen, juges,

avocat général : M. P. Pikamäe,

greffier : Mme C. Strömholm, administratrice,

vu la procédure écrite et à la suite de l’audience du 18 décembre 2019,

considérant les observations présentées :

pour BlackRock Investment Management (UK) Ltd, par M. N. Skerrett, solicitor, Mme L. Poots, barrister, et M. A. Hitchmough, QC,

pour le gouvernement du Royaume-Uni, par Mme Z. Lavery et M. F. Shibli, en qualité d’agents, assistés de M. R. Hill, barrister,

pour la Commission européenne, par Mme L. Lozano Palacios et M. R. Lyal, en qualité d’agents,

ayant entendu l’avocat général en ses conclusions à l’audience du 11 mars 2020,

rend le présent

Arrêt

1

La demande de décision préjudicielle porte sur l’interprétation de l’article 135, paragraphe 1, sous g), de la directive 2006/112/CE du Conseil, du 28 novembre 2006, relative au système commun de taxe sur la valeur ajoutée (JO 2006, L 347, p. 1, ci-après la « directive TVA »).

2

Cette demande a été présentée dans le cadre d’un litige opposant BlackRock Investment Management (UK) Ltd (ci-après « BlackRock ») aux Commissioners for Her Majesty’s Revenue and Customs (administration des impôts et des douanes, Royaume-Uni) (ci-après l’« administration fiscale ») au sujet du refus de cette administration de lui accorder le bénéfice de l’exonération de la taxe sur la valeur ajoutée (TVA) prévue à l’article 135, paragraphe 1, sous g), de la directive TVA.

Le cadre juridique

Le droit de l’Union

3

L’article 1er, paragraphe 2, deuxième alinéa, de la directive TVA énonce :

« À chaque opération, la TVA, calculée sur le prix du bien ou du service au taux applicable à ce bien ou à ce service, est exigible déduction faite du montant de la taxe qui a grevé directement le coût des divers éléments constitutifs du prix. »

4

Aux termes de l’article 2, paragraphe 1, de cette directive :

« Sont soumises à la TVA les opérations suivantes :

[...]

c)

les prestations de services, effectuées à titre onéreux sur le territoire d’un État membre par un assujetti agissant en tant que tel ;

[...] »

5

Le titre IX de ladite directive, intitulé « Exonérations », comprend les articles 131 à 166 de celle-ci.

6

L’article 131 de la directive TVA, qui figure dans le chapitre 1 de ce titre, intitulé « Dispositions générales », dispose :

« Les exonérations prévues aux chapitres 2 à 9 s’appliquent sans préjudice d’autres dispositions communautaires et dans les conditions que les États membres fixent en vue d’assurer l’application correcte et simple desdites exonérations et de prévenir toute fraude, évasion et [tout] abus éventuels. »

7

L’article 135, paragraphe 1, de cette directive, qui figure dans le chapitre 3 dudit titre, intitulé « Exonérations en faveur d’autres activités », prévoit :

« Les États membres exonèrent les opérations suivantes :

[...]

g)

la gestion de fonds communs de placement tels qu’ils sont définis par les États membres ;

[...] »

8

L’article 196 de la même directive, tel que modifié par la directive 2008/8/CE du Conseil du 12 février 2008, dispose :

« La TVA est due par l’assujetti ou la personne morale non assujettie identifiée à la TVA, à qui sont fournis les services visés à l’article 44, si les services sont fournis par un assujetti qui n’est pas établi dans cet État membre. »

Le droit du Royaume-Uni

9

Selon l’article 31, paragraphe 1, du Value Added Tax Act 1994 (loi de 1994 relative à la taxe sur la valeur ajoutée), « [l]es livraisons de biens et les prestations de services sont exonérées si elles relèvent de l’une des catégories actuellement énumérées en annexe 9 ».

10

Le groupe 5 de cette annexe, qui concerne la finance, prévoit l’exonération, notamment, des services de gestion d’une liste d’entités d’investissement et de types de fonds déterminés. Selon les explications de la juridiction de renvoi, ces entités et ces fonds sont ceux qui, au Royaume-Uni, doivent être considérés comme étant les fonds communs de placement.

Les faits du litige au principal et la question préjudicielle

11

BlackRock est membre d’un groupe TVA établi au Royaume-Uni dont elle est le représentant et qui réunit des sociétés exerçant l’activité de gestion de fonds.

12

BlackRock gère des fonds communs de placement ainsi que d’autres fonds, les premiers ne représentant toutefois pas, tant au regard du nombre que de la valeur des actifs gérés, la majorité des fonds gérés.

13

Pour gérer l’ensemble de ces fonds, BlackRock bénéficie de prestations de service fournies par BlackRock Financial Management Inc. (ci-après « BFMI »), société de droit américain appartenant au même groupe commercial. Ces prestations sont fournies au moyen d’une plate-forme informatique, dénommée Aladdin, constituée d’une combinaison de matériel informatique, de logiciels et de ressources humaines. Aladdin fournit aux gestionnaires de portefeuilles des analyses de marché ainsi que des contrôles de performances et de risques pour les assister dans la prise de décisions d’investissement, surveille le respect de la réglementation et permet de mettre en œuvre les décisions portant sur les opérations. Selon la demande préjudicielle, il s’agit d’une seule et même prestation, quels que soient les fonds gérés.

14

BFMI n’étant pas établie au Royaume-Uni, BlackRock s’acquitte de la TVA dans le cadre du mécanisme d’autoliquidation, conformément à l’article 196 de la directive TVA.

15

Au titre de la période comprise entre le 1er janvier 2010 et le 31 janvier 2013, BlackRock a considéré que les services utilisés pour la gestion des fonds communs de placement devaient être exonérés de TVA en application de l’article 135, paragraphe 1, sous g), de cette directive, de sorte qu’elle a acquitté la taxe seulement sur les services utilisés pour la gestion des autres fonds, la valeur de ces services étant calculée au prorata du montant de ces fonds dans le montant total des fonds gérés.

16

En désaccord avec cette approche, l’administration fiscale a émis des avis de recouvrement portant sur cette période. Ces avis ont été contestés par BlackRock devant le First-tier Tribunal (Tax Chamber) [tribunal de première instance (chambre de la fiscalité), Royaume-Uni], qui a rejeté son recours.

17

BlackRock a interjeté appel de ce jugement devant la juridiction de renvoi.

18

Devant cette dernière juridiction, BlackRock soutient que l’utilisation qu’elle fait d’Aladdin devrait en tout état de cause être exonérée pour les prestations de gestion qui bénéficient aux fonds communs de placement, la valeur de ces prestations pouvant être déterminée en fonction de leur part dans le montant total des fonds gérés. À l’inverse, l’administration fiscale soutient que l’ensemble des prestations dont bénéficie BlackRock au moyen de la plate-forme Aladdin doit être taxé, dès lors que cette société gère majoritairement des fonds qui ne sont pas des fonds communs de placement.

19

C’est dans ces conditions que l’Upper Tribunal (Tax and Chancery Chamber) [tribunal supérieur (chambre de la fiscalité et de la Chancery), Royaume-Uni] a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour la question préjudicielle suivante :

« Lorsqu’une seule et même prestation de services visée à l’article 135, paragraphe 1, sous g), de la directive [2006/112] est effectuée par un fournisseur tiers au profit d’un gestionnaire de fond qui y a recours tant dans la gestion de fonds communs de placement que dans la gestion d’autres fonds qui ne sont pas des fonds communs de placement (les autres fonds), cette disposition doit-elle être interprétée :

a)

en ce sens que cette seule et même prestation doit être soumise à un seul et même taux de taxation, et si oui, comment ce taux doit-il être déterminé, ou

b)

en ce sens que la contrepartie de cette seule et même prestation doit être ventilée en fonction de la destination des services de gestion (en tenant compte, par exemple, des montants des fonds sous gestion dans les fonds communs de placement et dans les autres fonds) de manière à traiter une partie de cette prestation comme étant exonérée et l’autre partie comme étant taxable ? »

Sur la question préjudicielle

20

Par sa question préjudicielle, la juridiction de renvoi demande en substance si l’article 135, paragraphe 1, sous g), de la directive TVA doit être interprété en ce sens qu’une prestation unique de services de gestion, fournie par une plateforme informatique appartenant à un fournisseur tiers au profit d’une société de gestion de fonds qui comprend à la fois des fonds communs de placement et d’autres fonds relève de l’exonération de la TVA prévue par cette disposition et, dans l’affirmative, quelles sont les modalités d’application de ladite exonération.

21

Il convient de rappeler que, ainsi qu’il ressort d’une jurisprudence constante, les exonérations visées à l’article 135, paragraphe 1, de la directive TVA constituent des notions autonomes du droit de l’Union qui ont pour objet d’éviter des divergences dans l’application du régime de la TVA d’un État membre à un autre (arrêt du 25 juillet 2018, DPAS, C-5/17, EU:C:2018:592, point 28 et jurisprudence citée).

22

En outre, les termes employés pour désigner les exonérations visées à l’article 135, paragraphe 1, de la directive TVA sont d’interprétation stricte, étant donné qu’elles constituent des dérogations au principe général selon lequel la TVA est perçue sur chaque prestation de services effectuée à titre onéreux par un assujetti (voir, en ce sens, arrêt du 19 décembre 2018, Mailat, C-17/18, EU:C:2018:1038, point 37). Il s’ensuit que, lorsqu’une prestation de services ne relève pas des exonérations prévues par cette directive, cette prestation est soumise à la TVA, en vertu de l’article 2, paragraphe 1, sous c), de ladite directive (arrêt du 10 avril 2019, PSM  K , C-214/18, EU:C:2019:301, point 43).

23

À titre liminaire, s’agissant de la question de savoir si la prestation de services fournie par BFMI à BlackRock au moyen de la plate-forme Aladdin doit être regardée comme constituant une prestation unique, il y a lieu de rappeler, ainsi qu’il ressort d’une jurisprudence constante, que, si chaque opération doit normalement être considérée, aux fins de la TVA, comme distincte et indépendante, ainsi qu’il découle de l’article 1er, paragraphe 2, deuxième alinéa, de la directive TVA, l’opération constituée d’une seule prestation sur le plan économique ne doit pas être artificiellement décomposée pour ne pas altérer la fonctionnalité du système de la TVA. C’est pourquoi il existe une prestation unique lorsque deux ou plusieurs éléments ou actes fournis par l’assujetti au client sont si étroitement liés qu’ils forment, objectivement, une seule prestation économique indissociable dont la décomposition revêtirait un caractère artificiel (arrêt du 18 janvier 2018, Stadion Amsterdam, C-463/16, EU:C:2018:22, point 22 et jurisprudence citée).

24

En l’occurrence, et ainsi que M. l’avocat général l’a relevé au point 51 de ses conclusions, il ressort des éléments fournis à la Cour, notamment lors de l’audience, que la valeur de la prestation de services en cause au principal réside, du point de vue de ses bénéficiaires, dans l’utilisation combinée des différentes fonctionnalités de la plate-forme informatique Aladdin, de sorte que cette prestation de services semble devoir être considérée, nonobstant la pluralité des éléments et des actes fournis auxdits bénéficiaires, comme formant une prestation économique indissociable.

25

Il n’appartient toutefois pas à la Cour, saisie dans le cadre de l’article 267 TFUE, de qualifier les faits du litige au principal, une telle qualification relevant de la seule compétence du juge national. Le rôle de la Cour se limite à fournir à ce dernier une interprétation du droit de l’Union utile pour la décision qu’il lui revient de prendre dans le litige dont il est saisi (arrêts du 13 octobre 2005, Parking Brixen, C-458/03, EU:C:2005:605, point 32, et du 21 mai 2015, Kansaneläkelaitos, C-269/14, non publié, EU:C:2015:329, point 25).

26

Or, en l’occurrence, il ressort du libellé de la question préjudicielle que la juridiction de renvoi considère la prestation de services en cause au principal comme étant « une seule et même prestation ».

27

En conséquence, ladite prestation de services doit être tenue pour une prestation unique aux fins de la réponse à apporter à ladite question préjudicielle.

28

En premier lieu, il convient de prêter attention au fait que la notion de « prestation unique » peut recouvrir, dans la jurisprudence de la Cour, deux types de situations, ainsi que l’a relevé M. l’avocat général au point 42 de ses conclusions.

29

D’une part, il y a une prestation unique lorsqu’un ou plusieurs éléments doivent être considérés comme constituant la prestation principale alors que, à l’inverse, d’autres éléments doivent être regardés comme une ou des prestations accessoires partageant le sort fiscal de la prestation principale. En particulier, une prestation doit être considérée comme accessoire à une prestation principale lorsqu’elle constitue pour la clientèle non pas une fin en soi, mais le moyen de bénéficier dans les meilleures conditions du service principal du prestataire (arrêts du 25 février 1999, CPP, C-349/96, EU:C:1999:93, point 30, ainsi que du 18 janvier 2018, Stadion Amsterdam, C-463/16, EU:C:2018:22, point 23 et jurisprudence citée).

30

D’autre part, les éléments indissociables de la prestation unique peuvent également être placés sur le même plan, de sorte qu’il n’est pas possible de considérer que l’un doit être regardé comme étant la prestation principale et l’autre comme la prestation accessoire (voir, en ce sens, arrêt du 19 juillet 2012, Deutsche Bank, C-44/11, EU:C:2012:484, point 27).

31

Selon le Royaume-Uni de Grande-Bretagne et d’Irlande du Nord, la prestation en cause au principal comporte deux éléments, l’accessoire étant la fourniture de services pour la gestion des fonds communs de placement et le principal la fourniture de services pour la gestion des autres fonds. Cet État en conclut que l’élément accessoire devrait suivre le traitement fiscal de l’élément principal et, partant, être taxé comme le sont les services de gestion des autres fonds, sans bénéficier de l’exonération prévue à l’article 135, paragraphe 1, sous g), de la directive TVA.

32

Toutefois, il y a lieu de relever que, en réalité, le Royaume-Uni ne parvient pas à différencier un élément principal et un élément accessoire de la prestation en cause au principal, mais se borne à distinguer deux usages de l’ensemble des services offerts par la plate-forme Aladdin, l’un consistant à gérer les fonds communs de placement, l’autre à gérer les autres fonds.

33

En outre, il ne ressort pas de la décision de renvoi qu’il serait possible de distinguer au sein de la prestation fournie par une plate-forme telle que celle en cause au principal des prestations principales et accessoires. Les services d’analyse des marchés, de contrôle des performances, d’évaluation des risques, de contrôle du respect de la réglementation et de mise en œuvre des opérations correspondent à des étapes successives, toutes également nécessaires à la réalisation dans de bonnes conditions des opérations d’investissement. En conséquence, une telle prestation s’analyse comme une unique prestation composée de différents éléments d’importance équivalente.

34

La Cour a d’ailleurs déjà jugé que la prestation de gestion de portefeuille est une prestation unique, composée d’une prestation d’analyse et de surveillance du patrimoine du client investisseur et d’une prestation d’achat et de vente de titres, l’une et l’autre également indispensables à la réalisation de la prestation globale (voir, en ce sens, arrêt du 19 juillet 2012, Deutsche Bank, C-44/11, EU:C:2012:484, points 26 et 27).

35

En deuxième lieu, il découle de la qualification même de prestation unique d’une opération comportant plusieurs éléments que cette opération doit être soumise à un seul et même taux de TVA. En effet, la faculté laissée aux États membres de soumettre les différents éléments composant une prestation unique aux différents taux de TVA applicables auxdits éléments conduirait à décomposer artificiellement cette prestation et risquerait d’altérer la fonctionnalité du système de la TVA (arrêt du 18 janvier 2018, Stadion Amsterdam, C-463/16, EU:C:2018:22, point 26 et jurisprudence citée).

36

BlackRock conteste toutefois que cette règle générale soit applicable dans le litige au principal. En effet, selon cette société, si ladite règle s’oppose à ce que les différents éléments d’une prestation unique fassent l’objet d’un traitement fiscal distinct, elle ne fait en revanche pas obstacle à ce que le traitement fiscal d’une prestation unique diffère en fonction de l’utilisation de cette dernière. Un traitement fiscal distinct en fonction de la destination des prestations de services aurait d’ailleurs été admis par la Cour aux points 53 et 54 de l’arrêt du 4 mai 2017, Commission/Luxembourg (C-274/15, EU:C:2017:333).

37

Toutefois, cet arrêt n’est pas pertinent pour l’affaire au principal.

38

En effet, dans ledit arrêt, la Cour s’est prononcée sur un grief tiré de la violation de l’article 132, paragraphe 1, sous f), de la directive TVA. Or, celui-ci exonère « les prestations de service effectuées par des groupements autonomes de personnes exerçant une activité exonérée ou pour laquelle elle n’ont pas la qualité d’assujetti, en vue de rendre à leurs membres les services directement nécessaires à l’exercice de cette activité ». La disposition définit ainsi le champ d’application de l’exonération à la TVA qu’elle prévoit en fonction de la destination des prestations de services concernées. Elle prévoit donc un traitement fiscal différencié selon cette destination, comme l’a jugé la Cour dans l’arrêt susmentionné.

39

En revanche, l’exonération visée à l’article 135, paragraphe 1, sous g), de la directive TVA est uniquement définie par rapport à la nature de la prestation concernée, en l’occurrence les opérations de gestion de fonds communs de placement. Le libellé de cette disposition n’autorise donc pas à dissocier le traitement fiscal d’une prestation unique en fonction de ses usages.

40

Il résulte de ce qui précède que, en application de la règle rappelée au point 35 du présent arrêt, une prestation unique telle que celle en cause au principal doit faire l’objet d’un traitement fiscal unique.

41

En troisième lieu, il y a lieu d’apprécier si le traitement fiscal unique d’une telle prestation doit être déterminé en fonction de la nature des fonds majoritairement gérés. En effet, la juridiction de renvoi envisage la possibilité que l’ensemble des prestations dont bénéficie BlackRock au moyen de la plate-forme Aladdin soit taxé, dès lors que ces prestations sont majoritairement utilisées pour gérer des fonds qui ne sont pas des fonds communs de placement. Inversement, selon la même logique, si BlackRock gérait majoritairement des fonds communs de placement, l’ensemble des prestations devrait être exonéré de TVA.

42

Toutefois, d’une part, cette solution ne peut se prévaloir de la jurisprudence relative aux prestations complexes comportant un élément principal, qui détermine le traitement fiscal de la prestation, et un élément accessoire, assimilé fiscalement à l’élément principal. En effet, ainsi qu’il a été exposé au point 32 du présent arrêt, il n’y a pas, en l’occurrence, une prestation principale accompagnée d’une prestation secondaire.

43

D’autre part, la Cour a jugé, à propos de l’article 13, B, sous d), point 6, de la sixième directive 77/388/CEE du Conseil, du 17 mai 1977, en matière d’harmonisation des législations des États membres relatives aux taxes sur le chiffre d’affaires – Système commun de taxe sur la valeur ajoutée : assiette uniforme (JO 1977, L 145, p. 1), dont l’article 135, paragraphe 1, sous g), de la directive TVA a repris sans changement substantiel le libellé, que la gestion des fonds communs de placement, au sens de cette disposition, est définie en fonction de la nature des prestations de services fournies et non en fonction du prestataire ou du destinataire du service (arrêt du 4 mai 2006, Abbey National, C-169/04, EU:C:2006:289, point 66).

44

En effet, appliquer un taux unique en fonction de la destination principale des services fournis au moyen d’une plate-forme telle que la plate-forme Aladdin pourrait conduire à accorder le bénéfice de l’exonération de la gestion des fonds communs de placement à d’autres fonds. Dans cette hypothèse, un gestionnaire de fonds communs de placement à titre principal pourrait bénéficier de l’exonération des prestations pour l’ensemble de son activité de gestion de fonds, y compris des fonds autres que les fonds communs de placement.

45

Une telle conséquence irait à l’encontre du caractère strict de l’interprétation de l’exonération prévue à l’article 135, paragraphe 1, sous g), de la directive TVA, à l’instar des autres exonérations visées par le même paragraphe de cet article, ainsi qu’il a été rappelé au point 22 du présent arrêt.

46

Dès lors, dans des circonstances telles que celles au principal, le traitement fiscal de la prestation de services ne saurait être déterminé en fonction de la nature des fonds majoritairement gérés par la société concernée.

47

En quatrième lieu, il y a lieu de rappeler que la Cour a jugé que, pour être qualifiés d’opérations exonérées, au sens de cette disposition, les services fournis par un gestionnaire tiers doivent former un ensemble distinct, apprécié de façon globale, destiné à satisfaire des fonctions spécifiques et essentielles de la gestion de fonds communs de placement (voir, en ce sens, arrêts du 4 mai 2006, Abbey National, C-169/04, EU:C:2006:289, points 70 et 71, ainsi que du 7 mars 2013, GfBk, C-275/11, EU:C:2013:141, point 21).

48

Or, en l’occurrence, les parties au principal s’accordent pour admettre que le service en cause a été conçu aux fins de la gestion d’investissements de natures variées et que, en particulier, il peut être indifféremment utilisé pour la gestion de fonds communs de placement et pour celle d’autres fonds. Aussi ce service ne peut-il pas être regardé comme spécifique à la gestion de fonds communs de placement.

49

En conséquence, une prestation de services telle que celle en cause au principal ne remplit pas les conditions pour bénéficier de l’exonération prévue à l’article 135, paragraphe 1, sous g), de la directive TVA.

50

Une telle conclusion ne saurait être remise en cause par l’argument de BlackRock tiré du principe de neutralité fiscale, en vertu duquel les opérateurs doivent pouvoir choisir le modèle d’organisation qui, du point de vue strictement économique, leur convient le mieux, sans courir le risque de voir leurs opérations exclues de l’exonération prévue à l’article 135, paragraphe 1, sous g), de la directive TVA (voir, en ce sens, arrêt du 4 mai 2006, Abbey National, C-169/04, EU:C:2006:289, point 68).

51

En effet, le principe de neutralité fiscale étant une règle d’interprétation de la directive TVA et non une norme d’un rang supérieur aux dispositions de cette directive, il ne saurait permettre d’étendre le champ d’application d’une exonération (voir, en ce sens, arrêt du 19 juillet 2012, Deutsche Bank, C-44/11, EU:C:2012:484, point 45) et, par suite, de rendre applicable l’article 135, paragraphe 1, sous g), de la directive TVA à une prestation, telle que celle en cause au principal, qui n’en remplit pas les conditions.

52

Au vu de l’ensemble des considérations qui précèdent, il y a lieu de répondre à la question préjudicielle que l’article 135, paragraphe 1, sous g), de la directive 2006/112 doit être interprété en ce sens qu’une prestation unique de services de gestion fournie par une plateforme informatique appartenant à un fournisseur tiers au profit d’une société de gestion de fonds qui comprend à la fois des fonds communs de placement et d’autres fonds ne relève pas de l’exonération prévue à cette disposition.

Sur les dépens

53

La procédure revêtant, à l’égard des parties au principal, le caractère d’un incident soulevé devant la juridiction de renvoi, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens. Les frais exposés pour soumettre des observations à la Cour, autres que ceux desdites parties, ne peuvent faire l’objet d’un remboursement.

 

Par ces motifs, la Cour (première chambre) dit pour droit :

 

L’article 135, paragraphe 1, sous g), de la directive 2006/112/CE du Conseil, du 28 novembre 2006, relative au système commun de taxe sur la valeur ajoutée, doit être interprété en ce sens qu’une prestation unique de services de gestion fournie par une plateforme informatique appartenant à un fournisseur tiers au profit d’une société de gestion de fonds qui comprend à la fois des fonds communs de placement et d’autres fonds ne relève pas de l’exonération prévue à cette disposition.

 

Signatures


( *1 ) Langue de procédure : l’anglais.