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ARRÊT DE LA COUR (sixième chambre)

18 juillet 2013 (*)

«Taxe sur la valeur ajoutée – Directive 2006/112/CE – Articles 168, sous a), et 176 – Droit à déduction – Dépenses relatives à l’acquisition de biens et de prestations de services destinés au personnel – Personnel mis à disposition de l’assujetti faisant valoir le droit à déduction mais employé par un autre assujetti»

Dans l’affaire C-124/12,

ayant pour objet une demande de décision préjudicielle au titre de l’article 267 TFUE, introduite par l’Administrativen sad Plovdiv (Bulgarie), par décision du 24 février 2012, parvenue à la Cour le 7 mars 2012, dans la procédure

AES-3C Maritza East 1 EOOD

contre

Direktor na Direktsia «Obzhalvane i upravlenie na izpalnenieto» pri Tsentralno upravlenie na Natsionalnata agentsia za prihodite, Plovdiv,

LA COUR (sixième chambre),

composée de Mme M. Berger, président de chambre, MM. A. Borg Barthet et J.-J. Kasel (rapporteur), juges,

avocat général: Mme E. Sharpston,

greffier: M. M. Aleksejev, administrateur,

vu la procédure écrite et à la suite de l’audience du 10 avril 2013,

considérant les observations présentées:

–        pour AES-3C Maritza East 1 EOOD, par Mes S. Garbolino, E. Evtimov et Y. Mateeva, advokati,

–        pour le Direktor na Direktsia «Obzhalvane i upravlenie na izpalnenieto» pri Tsentralno upravlenie na Natsionalnata agentsia za prihodite, Plovdiv, par M. V. Apostolov, en qualité d’agent,

–        pour la Commission européenne, par Mmes L. Lozano Palacios et C. Soulay ainsi que par M. D. Roussanov, en qualité d’agents,

vu la décision prise, l’avocat général entendu, de juger l’affaire sans conclusions,

rend le présent

Arrêt

1        La demande de décision préjudicielle porte sur l’interprétation des articles 168, sous a), et 176 de la directive 2006/112/CE du Conseil, du 28 novembre 2006, relative au système commun de taxe sur la valeur ajoutée (JO L 347, p. 1).

2        Cette demande a été présentée dans le cadre d’un litige opposant AES-3C Maritza East 1 EOOD (ci-après «AES»), société de droit bulgare, au Direktor na Direktsia «Obzhalvane i upravlenie na izpalnenieto» pri Tsentralno upravlenie na Natsionalnata agentsia za prihodite, Plovdiv (directeur de la direction «Recours et gestion de l’exécution» auprès de l’administration centrale de l’Agence nationale des recettes, Plovdiv, ci-après le «Direktor»), au sujet du droit à déduction de la taxe sur la valeur ajoutée (ci-après la «TVA») payée en amont pour l’acquisition de divers biens et services destinés à des travailleurs qui sont mis à la disposition d’AES par une autre société.

 Le cadre juridique

 Le droit de l’Union

3        L’article 168 de la directive 2006/112 prévoit:

«Dans la mesure où les biens et les services sont utilisés pour les besoins de ses opérations taxées, l’assujetti a le droit, dans l’État membre dans lequel il effectue ces opérations, de déduire du montant de la taxe dont il est redevable les montants suivants:

a)      la TVA due ou acquittée dans cet État membre pour les biens qui lui sont ou lui seront livrés et pour les services qui lui sont ou lui seront fournis par un autre assujetti;

[...]»

4        L’article 176 de cette directive dispose:

«Le Conseil [de l’Union européenne], statuant à l’unanimité sur proposition de la Commission [européenne], détermine les dépenses n’ouvrant pas droit à déduction de la TVA. En tout état de cause, seront exclues du droit à déduction les dépenses n’ayant pas un caractère strictement professionnel, telles que les dépenses de luxe, de divertissement ou de représentation.

Jusqu’à l’entrée en vigueur des dispositions visées au premier alinéa, les États membres peuvent maintenir toutes les exclusions prévues par leur législation nationale soit au 1er janvier 1979 soit, pour les États membres ayant adhéré à la Communauté [européenne] après cette date, à la date de leur adhésion.»

 Le droit bulgare

5        Aux termes de l’article 69, paragraphe 1, de la loi relative à la taxe sur la valeur ajoutée (Zakon za danak varhu dobavenata stoynost, DV no 63, du 4 août 2006, ci-après le «ZDDS»), en vigueur à compter de la date d’entrée en vigueur de l’acte relatif aux conditions d’adhésion à l’Union européenne de la République de Bulgarie et de la Roumanie et aux adaptations des traités sur lesquels est fondée l’Union européenne (JO 2005, L 157, p. 203):

«(1)      Lorsque les biens et les services sont utilisés pour les besoins des livraisons ou des prestations taxables effectuées par l’assujetti enregistré, celui-ci est autorisé à déduire:

1.      la taxe sur les biens ou les services que le fournisseur, lorsque celui-ci est aussi un assujetti enregistré conformément à la présente loi, lui a livrés ou fournis ou doit lui livrer ou fournir;

[...]»

6        L’article 70, paragraphes 1 et 3, du ZDDS prévoit, notamment:

«(1)      Même si les conditions de l’article 69 ou de l’article 74 sont remplies, le droit de déduire un crédit d’impôt n’existe pas lorsque:

[...]

2.      les biens ou les services sont destinés à des livraisons ou prestations à titre gratuit ou à des activités étrangères à l’activité économique de l’assujetti;

[...]

(3)      le paragraphe 1, point 2, ne s’applique pas:

1.      [...] aux tenues spéciales, aux tenues de travail, aux uniformes, aux tenues officielles et aux moyens de protection personnels, mis à disposition à titre gratuit par l’employeur à ses employés, y compris à ceux sous contrat de gestion, pour les besoins de son activité économique;

2.      aux déplacements des employés, y compris de ceux sous contrat de gestion, entre leur domicile et leur lieu de travail – dans les deux sens – pris en charge par l’employeur à titre gratuit pour les besoins de son activité économique;

[...]

7.      au transport et à l’hébergement de personnes envoyées en mission par l’assujetti;

[...]»

7        Dans sa version applicable avant l’adhésion de la République de Bulgarie à l’Union (DV no 153, du 23 décembre 1998), le ZDDS prévoyait à son article 64, paragraphe 1:

«(1)      La personne qui a reçu la livraison ou la prestation ou l’importateur a le droit de déduire un crédit d’impôt lorsque les conditions suivantes sont remplies:

[...]

5.      le bien reçu par le biais d’une importation ou le bien ou le service reçu en vertu d’une livraison ou prestation taxable a été utilisé, est utilisé ou sera utilisé pour les besoins de livraisons ou de prestations taxables;

[...]»

8        L’article 65, paragraphe 1, de cette dernière version du ZDDS disposait:

«(1)      Même si les conditions de l’article 64 ou de l’article 68 sont remplies, le droit de déduire un crédit d’impôt n’existe pas lorsque:

1.      le bien ou le service est destiné à des fins de réception et de représentation;

2.      il y a acquisition d’un motocycle ou d’un véhicule automobile dont le nombre de places assises, sans celle du conducteur, ne dépasse pas cinq, sauf dans les cas où l’assujetti exerce une activité fondée sur l’utilisation de ce motocycle ou véhicule automobile;

3.      [complété – DV no 100 de 2005] le bien ou le service est destiné au soutien, à la réparation, à l’amélioration et à l’exploitation de motocycles et de véhicules automobiles au sens du point 2;

4.      le bien ou le service est utilisé en vue de la réalisation de livraisons ou de prestations exonérées au sens de l’article 33;

5.      le bien est saisi au bénéfice de l’État ou le bâtiment est détruit parce que construit de manière illégale.»

9        Conformément à l’article 1er, point 1, des dispositions complémentaires du code du travail (Kodeks na truda, DV no 26, du 1er avril 1986, et DV no 27, du 4 avril 1986), dans sa version applicable à l’époque des faits au principal, on entend par «employeur», au sens de ce code, «toute personne physique, personne morale ou entité dépendant de celle-ci, ainsi que toute autre entité autonome sur le plan organisationnel et économique (entreprise, institution, organisation, coopérative, exploitation, établissement, ménage, société et autres), qui, de manière indépendante, engage des salariés par un contrat de travail, et cela également lorsqu’il s’agit de travail à domicile, de télétravail ou de l’envoi en vue de l’exécution d’une tâche auprès d’une autre entreprise».

10      La loi relative à la santé et à la sécurité au travail (Zakon za zdravoslovni i bezopasni uslovia na trud, DV no 124, du 23 décembre 1997), prévoit, à l’article 1er de ses dispositions complémentaires, que le terme «employeur» correspond à la notion déterminée à l’article 1er, point 1, des dispositions complémentaires du code du travail ainsi qu’à toute personne qui confie un travail à quelqu’un d’autre et qui assume l’entière responsabilité de l’entreprise, de la coopérative ou de l’organisation.

 Le litige au principal et les questions préjudicielles

11      AES détient et exploite une centrale électrique qui, tout en étant située sur le territoire de la commune de Galabovo (Bulgarie), se trouve en dehors des limites de la zone habitée de cette commune.

12      AES ne dispose pas de personnel propre pour assurer l’exploitation de ladite centrale de sorte qu’elle est obligée de louer à plein temps les services de travailleurs au moyen d’un contrat de mise à disposition de personnel conclu avec la société AES Maritza East 1 Services EOOD (ci-après «AES Services»). En vertu de ce contrat, AES Services choisit et engage le personnel nécessaire à l’activité économique d’AES. Les contrats de travail sont conclus entre les travailleurs et AES Services et c’est cette dernière qui rémunère ces travailleurs.

13      Les travailleurs en question sont, par la suite, mis à la disposition d’AES. En vertu du contrat liant AES à AES Services, la première verse à la seconde une rémunération pour le service de mise à disposition de personnel. Cette rémunération inclut les salaires et les assurances sociales des travailleurs. Les tenues de travail et les moyens de protection personnels des travailleurs ainsi que le service assurant le transport, aller-retour, desdits travailleurs entre la centrale électrique et leur domicile sont fournis par AES. Les frais relatifs à ces biens et services ne sont pas inclus dans le montant de la rémunération versée à AES Services. Lorsqu’un travailleur est envoyé en mission, ses frais de transport et d’hébergement sont également pris directement en charge par AES.

14      Entre le mois d’août 2008 et le mois de septembre 2010, AES a bénéficié, de la part de tiers, de prestations ayant pour objet un service de transport, de mise à disposition de tenues de travail et de moyens de protection personnels, ainsi que de services liés aux missions effectuées par les travailleurs.

15      Il ressort de la décision de renvoi que, dans la mesure où les personnes travaillant dans la centrale électrique vivent dans des zones habitées qui ne sont pas desservies par les transports publics, AES a décidé d’assurer elle-même un service de transport selon des horaires correspondant aux plages de travail des travailleurs.

16      Par ailleurs, la juridiction de renvoi relève que, en vertu des dispositions du code du travail et de la loi relative à la santé et à la sécurité au travail, AES a l’obligation de fournir des tenues de travail et des moyens de protection aux personnes travaillant dans la centrale électrique.

17      L’administration des recettes a refusé la déduction de la TVA d’un montant de 218 377 leva bulgares (BGN) relative à l’acquisition, par AES, de services de transport, de mise à disposition de tenues de travail et de moyens de protection personnels ainsi qu’aux dépenses effectuées dans le cadre de missions, au motif que les biens et les services reçus étaient destinés à être fournis à titre gratuit aux salariés d’AES Services. Ladite administration n’a pas admis l’application des dérogations à cette limitation du droit à déduction de la TVA, prévues à l’article 70, paragraphe 3, points 1, 2 et 7, du ZDDS, au motif qu’AES n’est pas considérée comme étant l’employeur des travailleurs par le droit bulgare. En effet, en application du code du travail, l’employeur de ces derniers est AES Services.

18      Le recours administratif introduit à l’encontre de cet avis de redressement fiscal ayant été rejeté par le Direktor, AES a introduit un recours auprès de la juridiction de renvoi.

19      Devant cette juridiction, AES a fait valoir qu’elle est l’employeur «économique» des travailleurs, puisqu’elle tire profit de leur travail et qu’elle supporte les coûts y relatifs dans la mesure où elle verse une rémunération à AES Services. De surcroît, AES aurait la qualité d’employeur au sens de la loi relative à la santé et à la sécurité au travail dès lors que ce serait à elle qu’incombe l’obligation de fournir des tenues de travail et d’assurer les conditions garantissant la sécurité des travailleurs. Le Direktor, pour sa part, a réitéré la position découlant de l’avis d’imposition rectificatif.

20      La juridiction de renvoi considère que l’arrêt de la Cour du 16 octobre 1997, Fillibeck (C-258/95, Rec. p. I-5577), ne fournit pas la réponse aux questions d’interprétation soulevées par le litige au principal puisque les services de transport en cause dans l’affaire à l’origine de cet arrêt étaient offerts non pas à du personnel mis à disposition par un autre assujetti que celui qui invoque le droit à déduction, mais aux propres salariés de l’assujetti.

21      Cette juridiction relève par ailleurs que, dans sa version applicable jusqu’à la date de l’adhésion de la République de Bulgarie à l’Union, le ZDDS ne contenait pas de limitation du droit de déduction de la TVA telle que celle prévue à l’actuel article 70, paragraphe 1, point 2, de cette loi. En effet, dans sa version applicable jusqu’au 1er janvier 2007, l’article 65 du ZDDS contenait une énumération exhaustive des limitations du droit de déduction de la TVA et aucune de ces limitations n’était liée à la destination des livraisons ou des prestations à titre gratuit.

22      Dans ces conditions, l’Administrativen sad- Plovdiv a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour les questions préjudicielles suivantes:

«1)      Faut-il considérer comme compatible avec l’article 168, sous a), et avec l’article 176 de la directive 2006/112 une règle comme celle prévue à l’article 70, paragraphe 1, point 2, [du ZDDS], en vertu de laquelle il convient de ne pas reconnaître à l’assujetti le droit de déduire la TVA pour des services de transport, des tenues de travail, des moyens de protection et des frais de mission, au motif que ceux-ci sont fournis à titre gratuit à des personnes physiques travaillant pour l’assujetti, compte tenu des circonstances suivantes:

a)      l’assujetti n’a pas conclu de contrat avec les travailleurs, mais il utilise la force de travail de ceux-ci [au moyen] d’un contrat de ‘mise à disposition de personnel’ conclu avec un autre assujetti qui, quant à lui, est l’employeur des travailleurs;

b)      les services de transport reçus sont utilisés pour le transport, aller-retour, des travailleurs à partir de points de rassemblement spéciaux dans différentes zones habitées jusqu’à leur lieu de travail et il n’existe pas de transport public permettant aux travailleurs de se rendre à leur lieu de travail;

c)      l’obligation de fournir des tenues de travail et des moyens de protection résulte du [code du travail] et de la [loi relative à la santé et à la sécurité au travail];

d)      s’agissant des services de transport, des tenues de travail, des moyens de protection et des frais de mission, la déduction de la TVA ne serait pas contestée si ceux-ci étaient fournis ou effectués par l’employeur des travailleurs. Cependant, en l’espèce, ces acquisitions sont effectuées par un assujetti qui n’est pas l’employeur, mais qui tire profit du travail effectué et qui supporte le coût de celui-ci [au moyen] d’un contrat de mise à disposition de personnel?

2)      L’article 176 de la directive 2006/112 autorise-t-il les États membres à introduire, lors de leur adhésion à l’Union, une condition limitant l’exercice du droit au crédit d’impôt, comme celle de l’article 70, paragraphe 1, point 2, [du ZDDS], visant ‘les biens ou les services [...] destinés à des livraisons ou prestations à titre gratuit’, alors que cette limitation n’est pas prévue dans la version de la loi en vigueur à la date de l’adhésion?

3)      Dans l’hypothèse d’une réponse affirmative à la question précédente, faut-il en déduire que les biens ou les services reçus sont destinés à des ‘livraisons ou prestations à titre gratuit’ lorsqu’ils sont acquis pour les besoins de l’activité économique, mais que, en raison de leur nature, leur utilisation requiert de les mettre à la disposition des travailleurs qui travaillent dans l’entreprise de l’assujetti?»

 Sur les questions préjudicielles

 Sur la première question

23      À titre liminaire, il convient de relever que, selon la juridiction de renvoi, les frais engagés par AES pour l’acquisition des biens et des services visés à la première question peuvent, en principe, être considérés comme faisant partie des frais généraux liés à l’ensemble des activités économiques d’AES et que le problème relatif à leur déductibilité se pose uniquement en raison du fait que, à la différence de la situation en cause dans l’affaire ayant donné lieu à l’arrêt Fillibeck, précité, l’assujetti qui invoque le droit à déduction n’a pas, en vertu du droit bulgare, la qualité d’employeur des personnes travaillant sur son site, mais a uniquement celle d’«employeur économique».

24      Dans ces conditions, il y a lieu de comprendre la question posée par la juridiction de renvoi comme visant, en substance, à savoir si les articles 168, sous a), et 176 de la directive 2006/112 doivent être interprétés en ce sens qu’ils s’opposent à une législation nationale en application de laquelle un assujetti qui expose des frais pour des services de transport, des tenues de travail, des moyens de protection et des missions de personnes travaillant pour ledit assujetti ne dispose pas d’un droit à déduction de la TVA afférente à ces frais, au motif que lesdites personnes sont mises à sa disposition par une autre entité et ne peuvent dès lors être considérées, au sens de cette législation, en tant que membres du personnel de l’assujetti, alors même que lesdits frais peuvent être considérés comme entretenant un lien direct et immédiat avec les frais généraux liés à l’ensemble des activités économiques de cet assujetti.

25      En vue de répondre à cette question, il convient, en premier lieu, de rappeler que le droit à déduction prévu à l’article 168, sous a), de la directive 2006/112 fait partie intégrante du mécanisme de la TVA et ne peut, en principe, être limité. Il s’exerce immédiatement pour la totalité des taxes ayant grevé les opérations effectuées en amont (voir, en ce sens, arrêt du 29 octobre 2009, SKF, C-29/08, Rec. p. I-10413, point 55).

26      En effet, le régime des déductions vise à soulager entièrement l’entrepreneur du poids de la TVA due ou acquittée dans le cadre de toutes ses activités économiques. Le système commun de la TVA garantit ainsi la neutralité quant à la charge fiscale de toutes les activités économiques, quels que soient les buts ou les résultats de celles-ci, à condition que lesdites activités soient, en principe, elles-mêmes soumises à la TVA (voir, notamment, arrêt SKF, précité, point 56 et jurisprudence citée).

27      Selon une jurisprudence constante, l’existence d’un lien direct et immédiat entre une opération particulière en amont et une ou plusieurs opérations en aval ouvrant droit à déduction est, en principe, nécessaire pour qu’un droit à déduction de la TVA en amont soit reconnu à l’assujetti et pour déterminer l’étendue d’un tel droit. Le droit à déduction de la TVA grevant l’acquisition de biens ou de services en amont présuppose que les dépenses effectuées pour acquérir ceux-ci fassent partie des éléments constitutifs du prix des opérations taxées en aval ouvrant droit à déduction (arrêt SKF, précité, point 57 et jurisprudence citée).

28      Un droit à déduction est cependant également admis en faveur de l’assujetti, même en l’absence de lien direct et immédiat entre une opération particulière en amont et une ou plusieurs opérations en aval ouvrant droit à déduction, lorsque les coûts des services en cause font partie des frais généraux de ce dernier et sont, en tant que tels, des éléments constitutifs du prix des biens ou des services qu’il fournit. De tels coûts entretiennent, en effet, un lien direct et immédiat avec l’ensemble de l’activité économique de l’assujetti (voir, notamment, arrêt SKF, précité, point 58 et jurisprudence citée).

29      Il ressort par ailleurs de la jurisprudence de la Cour que la sixième directive 77/388/CEE du Conseil, du 17 mai 1977, en matière d’harmonisation des législations des États membres relatives aux taxes sur le chiffre d’affaires – Système commun de taxe sur la valeur ajoutée: assiette uniforme (JO L 145, p. 1), doit être interprétée en ce sens que le transport gratuit de salariés, assuré par l’employeur entre leur domicile et leur lieu de travail, au moyen d’un véhicule affecté à l’entreprise, satisfait en principe des besoins privés des salariés et sert donc des fins étrangères à l’entreprise. Cependant, lorsque les exigences de l’entreprise, eu égard à certaines circonstances particulières, telles que la difficulté de recourir à d’autres moyens de transport convenables et les changements de lieu de travail, commandent que le transport des salariés soit assuré par l’employeur, cette prestation ne saurait être considérée comme étant effectuée à des fins étrangères à l’entreprise (voir, en ce sens, arrêt Fillibeck, précité, point 34).

30      Il importe, en second lieu, d’examiner si la circonstance qu’un assujetti n’est pas considéré, par la législation nationale, comme étant l’employeur des personnes qui travaillent dans son entreprise est susceptible de remettre en cause l’existence du lien direct et immédiat entre les frais engagés en amont pour le travail de ces personnes et les frais généraux liés à l’ensemble des activités économiques de l’assujetti.

31      À cet égard, il y a lieu, d’abord, de constater que l’article 168, sous a), de la directive 2006/112 ne subordonne l’existence du droit à déduction qu’à la condition que les biens et les services acquis soient utilisés pour les besoins des opérations taxées de l’assujetti qui s’en prévaut. Conformément à la jurisprudence citée aux points 25 à 29 du présent arrêt, le lien devant exister est de nature purement économique.

32      Dans l’affaire au principal, ainsi qu’il a été rappelé au point 23 du présent arrêt, il est constant que les coûts en cause peuvent être considérés comme ayant un lien économique avec l’ensemble des activités économiques d’AES.

33      Ensuite, il importe de rappeler que la Cour a déjà jugé que le fait que le personnel puisse tirer un avantage d’une prestation de services offerte par l’employeur mais effectuée dans l’intérêt de l’entreprise doit être considéré comme étant accessoire par rapport aux besoins de l’entreprise (voir, en ce sens, arrêt Fillibeck, précité, point 30).

34      Or, la réponse à la question de savoir si la fourniture, à titre gratuit, d’un bien ou d’une prestation de services aux personnes travaillant pour l’assujetti est effectuée pour les besoins de l’entreprise n’est pas tributaire de la nature de la relation juridique existant entre l’assujetti et ces personnes.

35      En outre, ainsi qu’il ressort du point 26 du présent arrêt, le système commun de la TVA garantit, au moyen du régime des déductions, la neutralité quant à la charge fiscale de toutes les activités économiques, quels que soient les buts ou les résultats de celles-ci, à condition que lesdites activités soient, en principe, elles-mêmes soumises à la TVA.

36      Or, il serait contraire au principe de la neutralité de la TVA de faire supporter à un assujetti la TVA relative à des dépenses, telles que celles en cause au principal, dont il est constant, ainsi qu’il ressort de la décision de renvoi, qu’elles ont été effectuées pour les besoins d’une activité économique elle-même soumise à la TVA, au motif que l’assujetti n’est pas l’employeur, au sens de la législation nationale, des personnes travaillant pour son entreprise et pour le travail desquelles ces dépenses ont été exposées.

37      Enfin, il convient de relever que l’interprétation selon laquelle, dans une situation telle que celle en cause au principal, l’assujetti peut bénéficier, en application des articles 168, sous a), et 176 de la directive 2006/112 d’un droit à déduction pour les dépenses effectuées pour les besoins de son entreprise est également la plus conforme aux objectifs du système de TVA d’assurer la sécurité juridique et l’application correcte et simple des dispositions de ladite directive (voir, en ce sens, arrêt du 9 octobre 2001, Cantor Fitzgerald International, C-108/99, Rec. p. I-7257, point 33).

38      En effet, en dissociant le droit à déduction de la TVA payée en amont relative à des dépenses effectuées pour les besoins de l’activité économique d’un assujetti du rapport juridique qui lie l’assujetti aux personnes travaillant pour son entreprise et pour le travail desquelles ces dépenses sont exposées, cette interprétation permet une gestion simple du régime de déductions mis en place par le système commun de la TVA et contribue à assurer une perception fiable et correcte de la TVA (voir, en ce sens, arrêts du 6 octobre 2011, Stoppelkamp, C-421/10, Rec. p. I-9309, point 34, et du 26 janvier 2012, ADV Allround, C-218/10, point 31).

39      Eu égard à ces considérations, il y a lieu de répondre à la première question que les articles 168, sous a), et 176, second alinéa, de la directive 2006/112 doivent être interprétés en ce sens qu’ils s’opposent à une législation nationale en application de laquelle un assujetti qui expose des frais pour des services de transport, des tenues de travail, des moyens de protection et des missions de personnes travaillant pour cet assujetti ne dispose pas d’un droit à déduction de la TVA afférente à ces frais, au motif que lesdites personnes sont mises à sa disposition par une autre entité et ne peuvent dès lors être considérées, au sens de cette législation, en tant que membres du personnel de l’assujetti, alors même que lesdits frais peuvent être considérés comme entretenant un lien direct et immédiat avec les frais généraux liés à l’ensemble des activités économiques dudit assujetti.

 Sur la deuxième question

40      Par la deuxième question, la juridiction de renvoi demande, en substance, si l’article 176, second alinéa, de la directive 2006/112 doit être interprété en ce sens qu’il s’oppose à ce que, au moment de son adhésion à l’Union, un État membre introduise une limitation au droit à déduction en application d’une disposition législative nationale qui prévoit l’exclusion du droit à déduction de biens et de services destinés à des livraisons ou à des prestations à titre gratuit ou à des activités étrangères à l’activité économique de l’assujetti, alors qu’une telle exclusion n’était pas prévue par la législation nationale en vigueur jusqu’à la date de cette adhésion.

41      En vue de répondre à cette question, il convient, d’abord, de constater que l’interprétation de la législation nationale, afin de déterminer son contenu au moment de l’adhésion d’un nouvel État membre à l’Union et d’établir si cette législation a eu pour effet d’étendre, postérieurement à cette adhésion, le champ des exclusions existantes, est, en principe, de la compétence de la juridiction de renvoi (voir, en ce sens, arrêt du 22 décembre 2008, Magoora, C-414/07, Rec. p. I-10921, point 32).

42      Il y a lieu, ensuite, de rappeler que, dans le cadre de la procédure visée à l’article 267 TFUE, fondée sur une nette séparation des fonctions entre les juridictions nationales et la Cour, toute appréciation des faits de la cause relève de la compétence de la juridiction nationale. Toutefois, afin de donner à celle-ci une réponse utile, la Cour peut, dans un esprit de coopération avec les juridictions nationales, lui fournir toutes les indications qu’elle juge nécessaires (voir, en ce sens, arrêt Magoora, précité, point 33).

43      À cet égard, il importe de relever que l’article 176, second alinéa, de la directive 2006/112 comporte une clause de «standstill» prévoyant, pour les États adhérant à l’Union, le maintien des exclusions nationales du droit à déduction de la TVA qui étaient applicables avant la date de leur adhésion (voir, en ce sens, arrêt du 19 septembre 2000, Ampafrance et Sanofi, C-177/99 et C-181/99, Rec. p. I-7013, point 5). Toutefois, la clause de «standstill» prévue à l’article 176, second alinéa, de la directive 2006/112 ne permet pas à un nouvel État membre de modifier sa législation interne à l’occasion de son adhésion à l’Union dans un sens qui éloignerait cette législation des objectifs de cette directive. Une modification en ce sens serait contraire à l’esprit même de cette clause (voir arrêt Magoora, précité, point 39).

44      L’objectif de cette disposition est ainsi de permettre aux États membres, en attendant l’établissement par le Conseil du régime communautaire des exclusions du droit à déduction de la TVA, de maintenir toute règle de droit national portant exclusion de ce droit effectivement appliquée par leurs autorités publiques au moment de l’entrée en vigueur des dispositions de la directive 2006/112 (voir, en ce sens, arrêt Magoora, précité, point 35).

45      Il convient, en revanche, de rappeler que, selon une jurisprudence constante de la Cour, une réglementation nationale d’un État membre ne constitue pas une dérogation permise par l’article 176, second alinéa, de la directive 2006/112 si elle a pour effet d’étendre, postérieurement à l’adhésion de cet État membre, le champ des exclusions existantes et effectivement appliquées, s’éloignant ainsi de l’objectif de ladite directive (voir, en ce sens, arrêt Magoora, précité, points 37 et 38).

46      Dans ces conditions, l’abrogation, à la date de l’adhésion de la République de Bulgarie à l’Union, de dispositions internes et leur remplacement, à cette même date, par d’autres dispositions internes ne permettent pas, en tant que tels, de présumer que l’État membre concerné aurait méconnu l’article 176, second alinéa, de la directive 2006/112, à condition, toutefois, que ce remplacement n’ait pas conduit à un élargissement, à compter de ladite date, des exclusions nationales antérieures.

47      Dans l’affaire au principal, il incombe donc à la juridiction de renvoi, qui, ainsi qu’il a été rappelé au point 41 du présent arrêt, est seule compétente pour interpréter son droit national, d’apprécier si les modifications introduites, lors de l’adhésion de la République de Bulgarie à l’Union, dans le droit national en cause ont eu pour effet d’étendre, par rapport aux dispositions nationales antérieures, le champ d’application des limitations du droit à déduction de la TVA payée en amont et ayant grevé l’acquisition de biens et de services pouvant être considérés comme entretenant un lien direct et immédiat avec les frais généraux liés à l’ensemble des activités économiques d’un assujetti.

48      Il convient cependant de noter à cet égard que, aux termes de la demande de décision préjudicielle elle-même, la modification introduite au ZDDS au moment de l’adhésion de la République de Bulgarie à l’Union a eu pour effet d’étendre le champ d’application des limitations par rapport à la situation existant avant cette adhésion, puisqu’aucune des limitations exhaustivement énumérées par le ZDDS en vigueur avant l’adhésion en question n’était liée à la destination des livraisons ou des prestations à titre gratuit, ce qui, eu égard à la jurisprudence rappelée au point 44 du présent arrêt, est contraire à l’article 176, second alinéa, de la directive 2006/112.

49      La circonstance que la Cour a jugé, au point 72 de son arrêt du 16 février 2012, Eon Aset Menidjmunt (C-118/11), que l’article 70, paragraphe 1, du ZDDS ne limite pas le droit à déduction au sens de l’article 176 de la directive 2006/112, n’est pas, en tant que telle, de nature à remettre en cause ce constat.

50      En effet, d’une part, la Cour a précisé, au point 73 de cet arrêt, qu’un État membre ne peut refuser aux assujettis, qui ont choisi de traiter des biens d’investissement utilisés à la fois à des fins professionnelles et à des fins privées comme des biens d’entreprise, la déduction intégrale et immédiate de la TVA due en amont sur l’acquisition de ces biens, à laquelle ils ont droit conformément à la jurisprudence constante de la Cour.

51      D’autre part, comme il ressort des points 45 et 46 du présent arrêt, il y a lieu, également, de tenir compte de l’application effective des dispositions nationales relatives aux exclusions du droit à déduction de la TVA et des effets qui en résultent pour les assujettis.

52      Or, ainsi qu’il découle du point 39 du présent arrêt, la directive 2006/112 doit être interprétée en ce sens qu’elle s’oppose à une réglementation nationale, telle que celle visée à la première question, qui a pour effet de priver un assujetti du droit à déduction de la TVA payée en amont ayant grevé des frais qui peuvent être considérés comme entretenant un lien direct et immédiat avec les frais généraux liés à l’ensemble des activités économiques de cet assujetti.

53      Il incombe à la juridiction de renvoi d’interpréter, dans toute la mesure possible, son droit interne à la lumière du texte et de la finalité de la directive 2006/112 aux fins d’atteindre les résultats poursuivis par cette dernière, en privilégiant l’interprétation des règles nationales la plus conforme à cette finalité pour aboutir ainsi à une solution compatible avec les dispositions de cette directive (voir, en ce sens, arrêt du 4 juillet 2006, Adeneler e.a., C-212/04, Rec. p. I-6057, point 124) et en laissant au besoin inappliquée toute disposition contraire de la loi nationale (voir, en ce sens, arrêt du 22 novembre 2005, Mangold, C-144/04, Rec. p. I-9981, point 77).

54      Eu égard à l’ensemble de ces considérations, il convient de répondre à la deuxième question que l’article 176, second alinéa, de la directive 2006/112 doit être interprété en ce sens qu’il s’oppose à ce que, au moment de son adhésion à l’Union, un État membre introduise une limitation au droit à déduction en application d’une disposition législative nationale qui prévoit l’exclusion du droit à déduction de biens et de services destinés à des livraisons ou à des prestations à titre gratuit ou à des activités étrangères à l’activité économique de l’assujetti, alors qu’une telle exclusion n’était pas prévue par la législation nationale en vigueur jusqu’à la date de cette adhésion.

Il incombe à la juridiction nationale d’interpréter les dispositions nationales en cause au principal, dans toute la mesure possible, conformément au droit de l’Union. Dans l’éventualité où une telle interprétation s’avérerait impossible, la juridiction nationale est tenue de laisser inappliquées ces dispositions pour incompatibilité avec l’article 176, second alinéa, de la directive 2006/112.

 Sur la troisième question

55      Eu égard à la réponse apportée à la deuxième question, il n’y a pas lieu de répondre à la troisième question.

 Sur les dépens

56      La procédure revêtant, à l’égard des parties au principal, le caractère d’un incident soulevé devant la juridiction de renvoi, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens. Les frais exposés pour soumettre des observations à la Cour, autres que ceux desdites parties, ne peuvent faire l’objet d’un remboursement.

Par ces motifs, la Cour (sixième chambre) dit pour droit:

1)      Les articles 168, sous a), et 176, second alinéa, de la directive 2006/112/CE du Conseil, du 28 novembre 2006, relative au système commun de taxe sur la valeur ajoutée, doivent être interprétés en ce sens qu’ils s’opposent à une législation nationale en application de laquelle un assujetti qui expose des frais pour des services de transport, des tenues de travail, des moyens de protection et des missions de personnes travaillant pour cet assujetti ne dispose pas d’un droit à déduction de la taxe sur la valeur ajoutée afférente à ces frais, au motif que lesdites personnes sont mises à sa disposition par une autre entité et ne peuvent dès lors être considérées, au sens de cette législation, en tant que membres du personnel de l’assujetti, alors même que lesdits frais peuvent être considérés comme entretenant un lien direct et immédiat avec les frais généraux liés à l’ensemble des activités économiques dudit assujetti.

2)      L’article 176, second alinéa, de la directive 2006/112 doit être interprété en ce sens qu’il s’oppose à ce que, au moment de son adhésion à l’Union européenne, un État membre introduise une limitation au droit à déduction en application d’une disposition législative nationale qui prévoit l’exclusion du droit à déduction de biens et de services destinés à des livraisons ou à des prestations à titre gratuit ou à des activités étrangères à l’activité économique de l’assujetti, alors qu’une telle exclusion n’était pas prévue par la législation nationale en vigueur jusqu’à la date de cette adhésion.

Il incombe à la juridiction nationale d’interpréter les dispositions nationales en cause au principal, dans toute la mesure possible, conformément au droit de l’Union. Dans l’éventualité où une telle interprétation s’avérerait impossible, la juridiction nationale est tenue de laisser inappliquées ces dispositions pour incompatibilité avec l’article 176, second alinéa, de la directive 2006/112.

Signatures


* Langue de procédure: le bulgare.