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ARRÊT DE LA COUR (dixième chambre)

21 mars 2013 (*)

«Manquement d’État – Fiscalité – TVA – Directive 2006/112/CE – Article 148 – Exonération de certaines opérations destinées aux bateaux assurant un trafic rémunéré de voyageurs ou exerçant une activité commerciale – Condition d’affectation à la navigation en haute mer»

Dans l’affaire C-197/12,

ayant pour objet un recours en manquement au titre de l’article 258 TFUE, introduit le 26 avril 2012,

Commission européenne, représentée par M. F. Dintilhac et Mme C. Soulay, en qualité d’agents,

partie requérante,

contre

République française, représentée par MM. G. de Bergues, J.-S. Pilczer et D. Colas, en qualité d’agents,

partie défenderesse,

LA COUR (dixième chambre),

composée de M. A. Rosas, président de chambre, MM. E. Juhász et C. Vajda (rapporteur), juges,

avocat général: M. P. Cruz Villalón,

greffier: M. A. Calot Escobar,

vu la procédure écrite,

vu la décision prise, l’avocat général entendu, de juger l’affaire sans conclusions,

rend le présent

Arrêt

1        Par sa requête, la Commission européenne demande à la Cour de constater que, en ne subordonnant pas l’exonération de taxe sur la valeur ajoutée (ci-après la «TVA») des opérations visées à l’article 262, II, points 2, 3, 6 et 7, du code général des impôts (ci-après le «CGI») à l’exigence d’une affectation à la navigation en haute mer des bateaux assurant un trafic rémunéré de voyageurs et de ceux utilisés pour l’exercice d’une activité commerciale, la République française a manqué aux obligations qui lui incombent en vertu de la directive 2006/112/CE du Conseil, du 28 novembre 2006, relative au système commun de taxe sur la valeur ajoutée (JO L 347, p. 1, ci-après la «directive TVA»), et, en particulier, de l’article 148, sous a), c) et d), de celle-ci.

 Le cadre juridique

 La réglementation de l’Union

2        Le titre IX de la directive TVA, intitulé «Exonérations», contient dix chapitres. Sous ce titre IX, l’article 131, unique article du chapitre 1, intitulé «Dispositions générales», prévoit:

«Les exonérations prévues aux chapitres 2 à 9 s’appliquent sans préjudice d’autres dispositions communautaires et dans les conditions que les États membres fixent en vue d’assurer l’application correcte et simple desdites exonérations et de prévenir toute fraude, évasion et abus éventuels.»

3        Sous le même titre IX de la directive TVA, l’article 148, figurant au chapitre 7, intitulé «Exonérations liées aux transports internationaux», dispose:

«Les États membres exonèrent les opérations suivantes:

a)      les livraisons de biens destinés à l’avitaillement des bateaux affectés à la navigation en haute mer et assurant un trafic rémunéré de voyageurs ou à l’exercice d’une activité commerciale, industrielle ou de pêche, ainsi que des bateaux de sauvetage et d’assistance en mer et des bateaux affectés à la pêche côtière sauf, pour ces derniers, les provisions de bord;

[...]

c)      les livraisons, transformations, réparations, entretien, affrètements et locations des bateaux visés au point a), ainsi que les livraisons, locations, réparations et l’entretien des objets, y compris l’équipement de pêche, incorporés à ces bateaux ou servant à leur exploitation;

d)      les prestations de services, autres que celles visées au point c), effectuées pour les besoins directs des bateaux visés au point a) et de leur cargaison;

[...]»

 La réglementation française

4        L’article 262, II, du CGI, dans sa version applicable jusqu’au 31 décembre 2010, disposait:

«Sont également exonérés de la [TVA]:

[...]

2°      Les opérations de livraison, de réparation, de transformation, d’entretien, d’affrètement et de location portant sur:

–        les navires de commerce maritime;

–        les bateaux utilisés pour l’exercice d’une activité industrielle en haute mer;

–        les bateaux affectés à la pêche professionnelle maritime, les bateaux de sauvetage et d’assistance en mer;

3°      Les opérations de livraison, de location, de réparation et d’entretien portant sur des objets destinés à être incorporés dans ces bateaux ou utilisés pour leur exploitation en mer ou sur les fleuves internationaux, ainsi que sur les engins et filets pour la pêche maritime;

[...]

6°      Les livraisons de biens destinés à l’avitaillement des bateaux et des aéronefs désignés aux 2° et 4°, ainsi que des bateaux de guerre, tels qu’ils sont définis à la sous-position 89-01 du tarif douanier commun;

7°      Les prestations de services effectuées pour les besoins directs des bateaux ou des aéronefs désignés aux 2° et 4° et de leur cargaison;

[...]»

5        Le point 7 de l’instruction administrative 3 C-4-03 n° 168, du 22 octobre 2003, repris au point 4 de l’instruction administrative 3 A-1-05 n° 15, du 24 janvier 2005, définit les navires de commerce maritime bénéficiant de l’exonération prévue à l’article 262, II, point 2, du CGI et, par conséquent, de l’exonération prévue à l’article 262, II, points 3, 6 et 7, du CGI comme tout navire «remplissant cumulativement les trois conditions suivantes: inscription comme navire de commerce sur les registres officiels d’une autorité administrative française ou étrangère, présence à bord d’un équipage permanent; affectation à une activité commerciale».

6        L’article 70 de la loi n° 2010-1658, du 29 décembre 2010, de finances rectificative pour 2010 (JORF du 30 décembre 2010, p. 23127) a modifié l’article 262, II, du CGI. Notamment, depuis le 1er janvier 2011, le premier tiret du point 2 de cette disposition se réfère désormais aux navires de commerce maritime «affectés à la navigation en haute mer».

7        Le rescrit relatif aux modalités d’application de l’exonération de taxe sur la valeur ajoutée relative à certaines opérations liées aux navires de commerce affectés à une navigation en haute mer [RES n° 2011/2 (TCA)], publié par l’administration fiscale française le 22 février 2011, à la suite d’une demande d’Armateurs de France, organisation professionnelle des entreprises françaises de transport et de services maritimes (ci-après le «rescrit du 22 février 2011»), précise:

«En application du 2° du II de l’article 262 du [CGI], les opérations de livraison, de réparation, de transformation, d’entretien, d’affrètement et de location portant sur les navires de commerce maritime affectés à la navigation en haute mer sont exonérées de TVA.

Sont également exonérées de TVA les opérations visées aux 3°, 6° et 7° de l’article précité rendues pour les besoins des mêmes navires.

Les critères retenus pour que les navires de commerce puissent bénéficier de ces dispositions sont au nombre de trois tels que prévus par l’instruction 3 C-4-03 du 22 octobre 2003 reprise par l’instruction 3 A-1-05 du 25 janvier 2005. Il s’agit de l’inscription du navire comme navire de commerce sur les registres officiels d’une autorité administrative française ou étrangère, de la présence à bord d’un équipage permanent et de l’affectation des navires aux besoins d’une activité commerciale.»

8        Les prises de positions formelles de portée générale contenues dans un rescrit tel que celui en cause en l’espèce sont, en application de la réglementation française, opposables à l’administration et cette dernière ne peut, par conséquent, sanctionner un contribuable qui agit conformément audit rescrit, même dans le cas où le comportement de ce contribuable ne serait pas conforme aux prescriptions législatives.

 La procédure précontentieuse

9        Par une lettre de mise en demeure du 15 mai 2009, la Commission a informé la République française qu’elle considérait que les dispositions de l’article 262, II, du CGI n’étaient pas compatibles avec celles de l’article 148, sous a), c) et d), de la directive TVA, notamment en ce que l’exonération de TVA des opérations visées à l’article 262, II, points 2, 3, 6 et 7, du CGI n’était pas subordonnée à l’exigence d’une affectation à la navigation en haute mer, s’agissant des bateaux assurant un trafic rémunéré de voyageurs et des bateaux utilisés pour l’exercice d’une activité commerciale.

10      Dans sa réponse en date du 14 octobre 2009 à cette lettre de mise en demeure, la République française a contesté l’interprétation de la Commission en faisant valoir que la condition tenant à l’affectation du navire à la navigation en haute mer ne devait pas être interprétée de manière excessivement restrictive et que, s’agissant de la catégorie des navires de commerce, l’absence de mention expresse de cette condition dans la législation nationale n’avait pas pour effet, à elle seule, de rendre cette législation contraire aux exigences de la directive TVA.

11      N’étant pas convaincue par cette réponse, la Commission a adressé, le 22 mars 2010, un avis motivé à la République française en maintenant son argumentation et en l’invitant à prendre les mesures nécessaires pour se conformer à cet avis motivé dans un délai de deux mois à compter de la réception de celui-ci.

12      Par une lettre en date du 15 octobre 2010, la République française a de nouveau contesté l’analyse de la Commission. Elle a toutefois indiqué que les dispositions législatives faisant notamment l’objet du grief soulevé dans la présente affaire allaient être modifiées dans le cadre du prochain projet de loi de finances rectificative, en vue de rendre leur rédaction compatible avec l’article 148, sous a), de la directive TVA.

13      Après modification, avec effet au 1er janvier 2011, l’article 262, II, point 2, premier tiret, du CGI s’applique désormais, selon son libellé, aux «navires de commerce maritime affectés à la navigation en haute mer» et la Commission reconnaît que la condition d’affectation des navires à la haute mer a ainsi été ajoutée dans les dispositions législatives françaises régissant la TVA.

14      Toutefois, compte tenu, d’une part, des termes du rescrit du 22 février 2011, lequel reprend à l’identique les trois critères appliqués avant la modification de l’article 262, II, point 2, du CGI, et, d’autre part, du fait que ce rescrit ne mentionne pas la condition d’affectation à la navigation en haute mer, la Commission a considéré que la publication de ce rescrit avait pour résultat de priver d’effet utile ladite modification et a, par conséquent, décidé de maintenir inchangé son grief invoqué dans l’avis motivé.

15      Des échanges ultérieurs entre la Commission et la République française n’ayant pu écarter les doutes émis par la Commission, cette dernière a décidé d’introduire le présent recours.

 Sur le recours

 Argumentation des parties

16      La Commission fait valoir que le champ d’application de l’article 262, II, point 2, du CGI, dont les dispositions applicables au terme du délai fixé dans l’avis motivé omettaient de soumettre le bénéfice de l’exonération de TVA pour les navires de commerce maritime à la condition expresse que ceux-ci soient affectés à la navigation en haute mer, excédait le champ d’application de l’exonération de TVA prévue à l’article 148, sous a), c) et d), de la directive TVA.

17      La Commission relève, en outre, que le manquement invoqué n’a pas cessé, malgré la modification de l’article 262, II, point 2, du CGI adoptée avec effet au 1er janvier 2011, cette modification législative étant privée d’effet par le rescrit du 22 février 2011, lequel ne reprend pas la condition d’affectation à la haute mer et se fonde sur les trois critères fixés antérieurement à ladite modification législative. Elle souligne le caractère opposable à l’administration fiscale de ce rescrit, qui conduirait les contribuables à appliquer l’exonération selon les critères prévus par celui-ci et non pas conformément aux nouvelles dispositions législatives.

18      La République française ne conteste pas le fait que le bénéfice de l’exonération en cause doive être subordonné à l’affectation des bateaux concernés à la navigation en haute mer. Elle relève que c’est pour cette raison que l’article 262, II, point 2, du CGI a été modifié, aux fins d’y intégrer, de manière explicite, la notion d’affectation à la navigation en haute mer.

19      Selon la République française, le présent litige concerne principalement la portée et les modalités de mise en œuvre de la condition d’affectation des bateaux concernés à la navigation en haute mer. Elle considère, à cet égard, que la réunion des trois critères imposés par la réglementation française et rappelés dans le rescrit du 22 février 2011 permet de cerner l’ensemble des bateaux affectés à la navigation en haute mer. Cette réglementation instituerait ainsi une présomption selon laquelle un bateau réunissant ces trois critères doit être considéré comme affecté à la navigation en haute mer. Cet État membre ajoute que la Commission exige une affectation exclusive des bateaux concernés à la navigation en haute mer, ce qui, d’une part, est impossible en pratique et, d’autre part, tend à priver l’exonération prévue à l’article 148 de la directive TVA de son effet utile.

20      La République française invoque, par ailleurs, l’article 131 de la directive TVA, en vertu duquel, notamment, les exonérations liées aux transports internationaux s’appliquent dans les conditions que les États membres fixent en vue d’assurer l’application correcte et simple desdites exonérations. Malgré les sollicitations dont elle aurait fait l’objet, la Commission n’aurait pas souhaité donner un contenu concret à la notion d’affectation à la navigation en haute mer, et n’aurait même pas tenté de le faire. En l’absence de solution de remplacement proposée par la Commission, cet État membre a considéré que les critères retenus par les autorités françaises demeuraient applicables.

21      Sur ce dernier point, la Commission rétorque, d’une part, que c’est aux États membres qu’il appartient, dans le respect des conditions fixées par la directive TVA, de mettre en place les critères permettant de déterminer quels sont les bateaux effectivement affectés à la navigation en haute mer et, d’autre part, que ses services ont suggéré aux autorités françaises de saisir le comité consultatif de la taxe sur la valeur ajoutée à ce sujet. Elle relève, par ailleurs, que la République française n’applique pas sa propre interprétation de la condition d’affectation à la navigation en haute mer, selon laquelle les bateaux concernés par l’exonération en cause devraient naviguer de façon régulière, voire prépondérante, en haute mer et que, en vertu de la réglementation en vigueur en France, les bateaux de commerce bénéficient de l’exonération de TVA dès lors qu’ils remplissent trois critères particuliers, sans pour autant être effectivement affectés à la navigation en haute mer, voire sans jamais gagner la haute mer. La Commission rappelle également sa position selon laquelle, contrairement à ce que semble considérer la République française, l’exonération de TVA en cause bénéficie aux bateaux de commerce qui font l’objet d’une affectation effective, et non pas exclusive, à la navigation en haute mer.

 Appréciation de la Cour

22      Ainsi que le reconnaissent tant la Commission que la République française, le bénéfice de l’exonération prévue à l’article 148, sous a), c) et d), de la directive TVA est, s’agissant des bateaux assurant un trafic rémunéré de voyageurs et de ceux utilisés pour l’exercice d’une activité commerciale, subordonné à l’affectation de ces bateaux à la navigation en haute mer.

23      Il est constant que, dans sa version en vigueur à la date d’expiration du délai fixé dans l’avis motivé, l’article 262, II, du CGI ne prévoyait aucune condition expresse d’affectation à la navigation en haute mer à l’octroi de l’exonération en cause aux bateaux assurant un trafic rémunéré de voyageurs et à ceux utilisés pour l’exercice d’une activité commerciale.

24      Par ailleurs, il n’est pas sérieusement contesté par la République française que les trois conditions cumulatives appliquées, en vertu du point 7 de l’instruction administrative 3 C-4-03 n° 168, du 22 octobre 2003, repris au point 4 de l’instruction administrative 3 A-1-05 n° 15, du 24 janvier 2005, par l’administration fiscale française, et pleinement opposables à cette dernière, peuvent également être satisfaites par des bateaux ne gagnant jamais la haute mer, donc par des bateaux manifestement non affectés à la navigation en haute mer. La Commission a, sans être contredite par la République française, fait état de trois exemples à cet égard, à savoir, premièrement, les bateaux de commerce affectés à des activités de cabotage, en matière de transport de marchandises, deuxièmement, les bateaux de commerce affectés au transport de voyageurs, comme les «navettes maritimes» assurant ce transport entre deux villes côtières, ainsi que, troisièmement, les yachts exerçant une activité commerciale et restant à proximité des côtes, et même à quai, lorsqu’ils sont utilisés comme résidence dans des stations balnéaires réputées.

25      Par voie de conséquence, l’exonération des opérations prévues à l’article 262, II, point 2, du CGI, dans sa version en vigueur jusqu’au 31 décembre 2010, et, partant, l’exonération de celles prévues aux points 3, 6 et 7 de cette disposition pouvaient, en contravention avec les dispositions de l’article 148, sous a), c) et d), de la directive TVA, bénéficier à des bateaux qui n’étaient pas affectés à la navigation en haute mer.

26      Dans la mesure où le recours de la Commission vise également la version de l’article 262, II, point 2, du CGI résultant de la modification introduite par l’article 70 de la loi n° 2010-1658 avec effet au 1er janvier 2011, version entrée en vigueur après l’expiration du délai fixé dans l’avis motivé de la Commission, il convient de rappeler que, en principe, l’existence d’un manquement doit être appréciée en fonction de la situation telle qu’elle se présentait au terme du délai fixé dans cet avis motivé et qu’il ne saurait être tenu compte de l’adoption de mesures législatives, réglementaires ou administratives postérieurement à la date d’expiration dudit délai. Toutefois, il ressort également de la jurisprudence de la Cour que, en cas de modification postérieure de la réglementation nationale mise en cause dans le cadre d’une procédure en manquement, la Commission ne modifie pas l’objet de son recours en imputant les griefs formulés à l’encontre de la réglementation antérieure à celle résultant de la modification adoptée, lorsque les deux versions de la réglementation nationale ont un contenu identique (voir, en ce sens, arrêt du 5 juillet 1990, Commission/Belgique, C-42/89, Rec. p. I-2821, point 11). Au demeurant, la République française n’a soulevé aucune exception d’irrecevabilité à l’encontre du recours de la Commission.

27      Force est de constater, à cet égard, que, nonobstant le fait que l’article 262, II, point 2, du CGI, dans sa version résultant de la modification introduite par l’article 70 de la loi n° 2010-1658, comprend désormais une condition expresse d’affectation des navires concernés à la navigation en haute mer, il est constant que cette modification n’a pas mis fin au grief formulé par la Commission, étant donné que les trois conditions cumulatives fixées aux fins de déterminer si l’exonération litigieuse doit être octroyée demeurent inchangées en vertu du rescrit du 22 février 2011.

28      Il convient, par conséquent, de constater que le grief formulé par la Commission est fondé tant pour la période antérieure à la modification, par l’article 70 de la loi n° 2010-1658, de l’article 262, II, points 2, 3, 6 et 7, du CGI, que pour la période postérieure à cette modification.

29      Cette conclusion ne saurait être infirmée par l’argumentation de la République française selon laquelle, en substance, il serait difficile en pratique de donner un contenu à la notion d’affectation à la navigation en haute mer et de fixer des modalités d’application assurant que le bénéfice de l’exonération en cause soit limité aux bateaux ainsi affectés.

30      En effet, premièrement, selon une jurisprudence constante, les exonérations de TVA doivent être interprétées strictement puisqu’elles constituent des exceptions au principe général selon lequel chaque service fourni à titre onéreux par un assujetti est soumis à cette taxe (voir, notamment, arrêt du 22 décembre 2010, Feltgen et Bacino Charter Company, C-116/10, Rec. p. I-14187, point 19 et jurisprudence citée).

31      Deuxièmement, si, en vertu de l’article 131 de la directive TVA, les États membres fixent les conditions auxquelles sont soumises les exonérations afin d’assurer l’application correcte et simple de ces dernières et de prévenir toute fraude, évasion et abus éventuels, ces conditions ne sauraient porter sur la définition du contenu des exonérations prévues [voir, en ce sens, au sujet de la phrase introductive de l’article 15 de la sixième directive 77/388/CEE du Conseil, du 17 mai 1977, en matière d’harmonisation des législations des États membres relatives aux taxes sur le chiffre d’affaires – Système commun de taxe sur la valeur ajoutée: assiette uniforme (JO L 145, p. 1), reprise, en substance, à l’article 131 de la directive TVA, arrêt Feltgen et Bacino Charter Company, précité, point 20].

32      Troisièmement, rien ne laisse supposer que l’application d’une condition spécifique relative à l’affectation des bateaux concernés à la navigation en haute mer rendrait l’application pratique des dispositions en cause excessivement difficile ou aléatoire. La République française, dans son argumentation sur ce point, s’est limitée à affirmer, en substance, qu’un critère d’affectation exclusive à la navigation en haute mer serait excessivement restrictif et priverait l’article 148 de la directive TVA de toute portée utile, dès lors que, notamment, tout bateau doit traverser les eaux territoriales pour rejoindre un port. Or, une telle argumentation ne démontre aucunement l’existence d’une impossibilité d’exiger que les bateaux en cause soient effectivement affectés à la navigation en haute mer, seule exigence que l’article 148 de la directive TVA impose et que, au demeurant, la Commission fait valoir.

33      Sans qu’il soit nécessaire, dans le cadre de la présente affaire, de se prononcer sur les critères spécifiques devant êtres satisfaits par un bateau afin qu’il puisse être considéré comme affecté à la navigation en haute mer, il convient de constater que la réglementation française ne comporte pas suffisamment de garanties permettant d’éviter que l’exonération en cause soit appliquée dans des situations pour lesquelles elle n’est pas prévue.

34      Quatrièmement, il convient de rappeler que les États membres sont tenus d’appliquer les dispositions en matière de TVA telles qu’elles ont été formulées, même s’ils considèrent qu’elles sont perfectibles (voir arrêt du 6 octobre 2005, Commission/Espagne, C-204/03, Rec. p. I-8389, point 28).

35      Compte tenu de l’ensemble des considérations qui précèdent, il apparaît que le recours de la Commission est fondé.

36      Par conséquent, il convient de constater que, en ne subordonnant pas l’exonération de TVA des opérations visées à l’article 262, II, points 2, 3, 6 et 7, du CGI à l’exigence d’une affectation à la navigation en haute mer des bateaux assurant un trafic rémunéré de voyageurs et de ceux utilisés pour l’exercice d’une activité commerciale, la République française a manqué aux obligations qui lui incombent en vertu de la directive TVA et, en particulier, de l’article 148, sous a), c) et d), de celle-ci.

 Sur les dépens

37      Aux termes de l’article 138, paragraphe 1, du règlement de procédure, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens, s’il est conclu en ce sens. La Commission ayant conclu à la condamnation de la République française et cette dernière ayant succombé en ses moyens, il y a lieu de la condamner aux dépens.

Par ces motifs, la Cour (dixième chambre) déclare et arrête:

1)      En ne subordonnant pas l’exonération de taxe sur la valeur ajoutée des opérations visées à l’article 262, II, points 2, 3, 6 et 7, du code général des impôts à l’exigence d’une affectation à la navigation en haute mer des bateaux assurant un trafic rémunéré de voyageurs et de ceux utilisés pour l’exercice d’une activité commerciale, la République française a manqué aux obligations qui lui incombent en vertu de la directive 2006/112/CE du Conseil, du 28 novembre 2006, relative au système commun de taxe sur la valeur ajoutée, et, en particulier, de l’article 148, sous a), c) et d), de celle-ci.

2)      La République française est condamnée aux dépens.

Signatures


* Langue de procédure: le français.