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ARRÊT DE LA COUR (dixième chambre)

16 juin 2016 (*)

« Renvoi préjudiciel – Fiscalité – Taxe sur la valeur ajoutée – Directive 2006/112/CE – Articles 18, sous c), 184 et 187 – Opérations imposables – Cessation de l’activité économique imposable – Détention de biens ayant donné lieu à la déduction de la TVA – Régularisation des déductions – Période de régularisation – Imposition en vertu de l’article 18, sous c), de la directive 2006/112 après l’expiration de la période de régularisation »

Dans l’affaire C-229/15,

ayant pour objet une demande de décision préjudicielle au titre de l’article 267 TFUE, introduite par le Naczelny Sąd Administracyjny (Cour suprême administrative, Pologne), par décision du 5 février 2015, parvenue à la Cour le 19 mai 2015, dans la procédure

Minister Finansów

contre

Jan Mateusiak,

LA COUR (dixième chambre),

composée de M. F. Biltgen, président de chambre, M. E. Levits (rapporteur) et Mme M. Berger, juges,

avocat général : Mme J. Kokott,

greffier : M. A. Calot Escobar,

considérant les observations présentées :

–        pour M. Jan Mateusiak, par lui-même,

–        pour le gouvernement polonais, par M. B. Majczyna, en qualité d’agent,

–        pour le gouvernement grec, par M. K. Georgiadis et Mme K. Karavasili, en qualité d’agents,

–        pour la Commission européenne, par M. R. Lyal et Mme M. Owsiany-Hornung, en qualité d’agents,

ayant entendu l’avocat général en ses conclusions à l’audience du 3 mars 2016,

rend le présent

Arrêt

1        La demande de décision préjudicielle porte sur l’interprétation de l’article 18, sous c), et de l’article 187 de la directive 2006/112/CE du Conseil, du 28 novembre 2006, relative au système commun de taxe sur la valeur ajoutée (JO 2006, L 347, p. 1), telle que modifiée par la directive 2009/162/UE du Conseil, du 22 décembre 2009 (JO 2010, L 10, p. 14, ci-après la « directive TVA »).

2        Cette demande a été présentée dans le cadre d’un litige opposant le Minister Finansów (ministre des Finances) à M. Jan Mateusiak au sujet de l’imposition de la taxe sur la valeur ajoutée (TVA) sur des biens immobiliers détenus par ce dernier à la suite de la cessation de son activité économique.

 Le cadre juridique

 Le droit de l’Union

3        L’article 18 de la directive TVA dispose :

« Les États membres peuvent assimiler à une livraison de biens effectuée à titre onéreux les opérations suivantes :

a)      l’affectation par un assujetti aux besoins de son entreprise d’un bien produit, construit, extrait, transformé, acheté ou importé dans le cadre de son entreprise dans le cas où l’acquisition d’un tel bien auprès d’un autre assujetti ne lui ouvrirait pas droit à la déduction complète de la TVA ;

b)      l’affectation d’un bien par un assujetti à un secteur d’activité non imposé, lorsque ce bien a ouvert droit à une déduction complète ou partielle de la TVA lors de son acquisition ou de son affectation conformément au point a) ;

c)      à l’exception des cas visés à l’article 19, la détention de biens par un assujetti ou par ses ayants droit en cas de cessation de son activité économique imposable, lorsque ces biens ont ouvert droit à une déduction complète ou partielle de la TVA lors de leur acquisition ou de leur affectation conformément au point a). »

4        Aux termes de l’article 19, premier alinéa, de cette directive :

« Les États membres peuvent considérer que, à l’occasion de la transmission, à titre onéreux ou à titre gratuit ou sous forme d’apport à une société, d’une universalité totale ou partielle de biens, aucune livraison de biens n’est intervenue et que le bénéficiaire continue la personne du cédant. »

5        L’article 168 de la directive TVA énonce :

« Dans la mesure où les biens et les services sont utilisés pour les besoins de ses opérations taxées, l’assujetti a le droit, dans l’État membre dans lequel il effectue ces opérations, de déduire du montant de la taxe dont il est redevable les montants suivants :

a)      la TVA due ou acquittée dans cet État membre pour les biens qui lui sont ou lui seront livrés et pour les services qui lui sont ou lui seront fournis par un autre assujetti ;

[...] »

6        L’article 168 bis, paragraphe 1, de la directive TVA dispose :

« Dans le cas d’un bien immeuble faisant partie du patrimoine de l’entreprise d’un assujetti et utilisé par l’assujetti à la fois aux fins des activités de l’entreprise et pour son usage privé ou celui de son personnel ou, plus généralement, à des fins autres que celles de son entreprise, la TVA sur les dépenses liées à ce bien ne doit être déductible, conformément aux principes énoncés aux articles 167, 168, 169 et 173, qu’à proportion de son utilisation aux fins des activités de l’entreprise de l’assujetti.

Par dérogation à l’article 26, les changements dans la proportion de l’utilisation d’un bien immobilier visé au premier alinéa sont pris en compte, dans le respect des principes énoncés aux articles 184 à 192, tels qu’ils sont appliqués dans l’État membre concerné. »

7        L’article 184 de la directive TVA prévoit :

« La déduction initialement opérée est régularisée lorsqu’elle est supérieure ou inférieure à celle que l’assujetti était en droit d’opérer. »

8        L’article 187 de la directive TVA est libellé comme suit :

« 1.      En ce qui concerne les biens d’investissement, la régularisation est opérée pendant une période de cinq années, dont celle au cours de laquelle le bien a été acquis ou fabriqué.

Toutefois, les États membres peuvent, lors de la régularisation, se baser sur une période de cinq années entières à compter du début de l’utilisation du bien.

En ce qui concerne les biens d’investissement immobiliers, la durée de la période servant de base au calcul des régularisations peut être prolongée jusqu’à vingt ans.

2.      Chaque année, la régularisation ne porte que sur le cinquième ou, dans le cas où la période de régularisation a été prolongée, sur la fraction correspondante de la TVA dont les biens d’investissement ont été grevés.

La régularisation visée au premier alinéa est effectuée en fonction des modifications du droit à déduction intervenues au cours des années suivantes, par rapport à celui de l’année au cours de laquelle le bien a été acquis, fabriqué ou, le cas échéant, utilisé pour la première fois. »

 Le droit polonais

9        L’article 14, paragraphe 1, points 1 et 2, ainsi que paragraphes 4 à 6 et 8, de la ustawa o podatku od towarów i usług (loi relative à la taxe sur les biens et services), du 11 mars 2004 (texte codifié, Dz. U. de 2011, n° 177, position 1054), dans sa version applicable au litige au principal (ci-après la « loi sur la TVA »), dispose :

« 1.      Sont soumis à la taxe les biens produits pour compte propre et ceux qui n’ont pas fait l’objet d’une livraison de biens après leur acquisition, en cas de :

1)      dissolution d’une société civile ou commerciale sans personnalité juridique ;

2)      cessation des activités imposables d’un assujetti visé à l’article 15, ayant la qualité de personne physique, tenu de déclarer, sur la base de l’article 96, paragraphe 6, la cessation de ses activités auprès du directeur de l’administration fiscale.

[...]

4.      Les dispositions des paragraphes 1 et 3 s’appliquent aux biens ouvrant droit à déduction de la taxe payée en amont.

5.      Dans les cas visés aux paragraphes 1 et 3, les assujettis sont tenus d’établir un inventaire physique des biens à la date de la dissolution de la société ou de la cessation des activités imposables, ci-après dénommé l’“inventaire physique”. Les assujettis sont tenus de joindre à la déclaration d’impôt relative à la période comprenant la date de la dissolution de la société ou de la cessation des activités imposables, les informations concernant l’inventaire physique réalisé, la valeur établie sur sa base et le montant de la taxe due.

6.      Dans le cas visé au paragraphe 1, l’obligation fiscale prend naissance à la date de la dissolution de la société ou de la cessation des activités imposables.

[...]

8.      La base d’imposition est constituée par la valeur des biens inscrits à l’inventaire physique, établie conformément à l’article 29, paragraphe 10. »

10      L’article 29, paragraphe 10, de la loi sur la TVA dispose que, « dans le cas de la livraison de biens, au sens de l’article 7, paragraphe 2, la base d’imposition est constituée par le prix d’acquisition des biens (hors taxe) et, en l’absence de prix d’acquisition, par le prix de revient, déterminé au moment de la livraison des biens ».

11      Aux termes de l’article 91, paragraphes 1 à 4, de la loi sur la TVA :

« 1.      Après la fin de l’année au cours de laquelle il a bénéficié du droit à déduction de la taxe payée en amont, visé à l’article 86, paragraphe 1, l’assujetti est tenu, au titre de l’année fiscale clôturée, de régulariser les déductions conformément à l’article 90, paragraphes 2 à 10, compte tenu du prorata calculé selon la méthode prévue à l’article 90, paragraphes 2 à 6 ou 10, ou selon les dispositions adoptées sur la base de l’article 90, paragraphes 11 et 12.

2.      S’agissant des biens et des services qui, sur la base des dispositions relatives à l’impôt sur les bénéfices, sont affectés par l’assujetti aux immobilisations corporelles et incorporelles amortissables, ainsi que des terrains et des droits emphytéotiques affectés aux immobilisations corporelles et incorporelles de l’acquéreur, à l’exception de ceux dont la valeur initiale n’excède pas 15 000 [zlotys polonais (PLN) (environ 3 417 euros)], l’assujetti procède à la régularisation visée au paragraphe 1 au cours d’une période de 5 ans à compter de l’année du début de l’utilisation, ou de 10 ans en ce qui concerne les terrains et les droits emphytéotiques. La régularisation annuelle dans le cas visé dans la première phrase porte sur un cinquième ou, s’agissant des immeubles et des droits emphytéotiques, sur un dixième du montant de la taxe calculée lors de leur acquisition ou de leur fabrication. Pour les immobilisations corporelles ou incorporelles dont la valeur initiale n’excède pas 15 000 PLN (environ 3 417 euros), le paragraphe 1 s’applique mutatis mutandis, la régularisation étant effectuée à la fin de l’année du début de l’utilisation.

[...]

3.      La régularisation visée aux paragraphes 1 et 2 est effectuée dans la déclaration fiscale déposée au titre de la première période de déclaration de l’année suivant celle pour laquelle la régularisation est effectuée et, en cas de cessation de l’activité économique, dans la déclaration fiscale de la dernière période de déclaration.

4.      Lorsque les biens et les services au sens du paragraphe 2 sont vendus au cours de la période de régularisation visée au paragraphe 2, ou que ces biens sont taxés en vertu de l’article 14, ces biens ou ces services sont considérés comme restant utilisés pour les besoins des activités taxées de l’assujetti jusqu’à la fin de la période de régularisation. »

12      L’article 96, paragraphe 6, de la loi sur la TVA énonce que, « [l]orsqu’il cesse une activité imposable, l’assujetti enregistré comme assujetti à la TVA est tenu de déclarer la cessation de son activité auprès du directeur de l’administration fiscale; cette déclaration constitue pour le directeur de l’administration fiscale le fondement de la radiation de l’assujetti du registre en tant qu’assujetti à la TVA. »

 Le litige au principal et la question préjudicielle

13      Au cours des années 1997 à 1999, M. Mateusiak a effectué un investissement consistant en la construction d’un bâtiment à usage d’habitation et de services d’une emprise au sol de 108,7 m2, d’une surface de plancher de 357,6 m2 (dont 87,8 m2 affectés à la prestation de services). Il a obtenu l’autorisation de mise en exploitation de ce bâtiment le 26 juillet 1999.

14      M. Mateusiak a déduit la taxe payée en amont figurant sur les factures originales afférentes à des achats de matériaux de construction, à des frais de main d’œuvre ainsi qu’à d’autres frais, exclusivement liés à la partie du bâtiment affectée à la prestation d’une activité soumise à la TVA, à savoir une étude notariale.

15      La partie du bâtiment affectée à la prestation de services a été inscrite le 10 août 1999 à l’inventaire des immobilisations tenu aux fins de l’impôt sur le revenu des personnes physiques et mise en exploitation pour les besoins de l’activité économique non agricole exercée. La valeur initiale de l’immobilisation dénommée « bâtiment de l’étude » était de 101 525,70 PLN.

16      Le 14 janvier 2013, M. Mateusiak a introduit une demande de rescrit fiscal au directeur de la chambre fiscale de Łódź (Izba Skarbowa w Łodzi), agissant sous l’autorité du ministre des Finances (ci-après l’« autorité fiscale »), en posant la question de savoir s’il y avait lieu d’inscrire à l’inventaire de liquidation dressé à l’occasion de la liquidation de l’activité économique exercée par une personne physique, qui se trouve être également un assujetti actif à la TVA, la valeur des immobilisations de cette personne constituées par des biens immobiliers qui lui appartenaient à la date de la liquidation. Si la réponse devait être affirmative, il souhaitait savoir quelle valeur devait être adoptée comme base d’imposition de la TVA à la date de la cessation de l’activité économique en question.

17      Selon M. Mateusiak, il n’y a pas lieu de tenir compte de la valeur des immobilisations lui appartenant, une telle prise en compte entraînant une violation du principe de neutralité de la TVA, pour autant que ladite cessation a lieu au-delà de la période de régularisation, qui est d’une durée de dix ans pour les biens immobiliers. Dans l’hypothèse où son point de vue ne serait pas partagé, il conviendrait de prendre en compte, pour l’assujettissement à la TVA, la seule partie du bâtiment qui a été utilisée pour les besoins de l’activité économique, en adoptant comme base d’imposition le prix de revient, si celui-ci est inférieur au prix courant du marché.

18      L’autorité fiscale a considéré, en s’appuyant notamment sur l’article 14, paragraphe 1, point 2, et paragraphes 4 et 8, ainsi que sur l’article 29, paragraphe 10, de la loi sur la TVA, que la taxation des biens en raison de la cessation des activités imposables était justifiée par la structure même de la TVA, qui est une taxe sur la consommation, et qu’elle reflétait le principe de neutralité de cette taxe. Tous les biens pour lesquels la taxe payée en amont a été déduite lors de leur acquisition devaient être soumis à la TVA afin de compenser cette déduction.

19      Le recours introduit par M. Mateusiak devant le Wojewódzki Sąd Administracyjny w Lublinie (tribunal administratif de voïvodie de Lublin, Pologne) contre le rescrit fiscal a été accueilli par un arrêt du 16 octobre 2013. Cette juridiction a jugé que les articles 14 et 91 de la loi sur la TVA devaient être lus ensemble, le législateur ayant établi une corrélation entre la taxation des immobilisations au titre de la liquidation d’une activité et le droit de déduire la partie de la taxe payée en amont au titre de l’acquisition de ces immobilisations qui n’a pas été déduite au cours de la période de régularisation. Après l’expiration de cette période, les immobilisations qui sont en possession d’un assujetti à la date de la liquidation de son activité ne doivent pas être imposables ni être inscrites à l’inventaire de liquidation, dès lors que la période fixée par la loi pour la régularisation de la taxe payée en amont au titre de l’acquisition de ces immobilisations, résultant de leur durée de vie estimée dans l’activité de l’assujetti, a expiré.

20      Le ministre des Finances s’est pourvu en cassation devant le Naczelny Sąd Administracyjny (Cour suprême administrative, Pologne). Cette juridiction émet un doute sur la question de savoir si, même après l’expiration de la période de régularisation prévue pour un type de biens déterminé, la cessation de l’activité économique entraîne la nécessité de taxer l’immobilisation détenue sur le fondement de l’article 18, sous c), de la directive TVA.

21      Cette juridiction fait valoir que, dès lors que la durée de vie légale des biens d’investissement utilisés aux fins de l’activité économique de l’assujetti, exprimée par la période de régularisation (article 187 de la directive TVA), a expiré, on pourrait présumer que l’assujetti, au cours de la période pendant laquelle l’immobilisation a été utilisée dans son activité imposable, a « consommé » la taxe déduite au titre de son acquisition, cette taxe étant liée, pendant toute la période de son utilisation (régularisation), à la taxe due, générée par cette immobilisation affectée à l’activité économique de l’assujetti.

22      Dans ces conditions, le Naczelny Sąd Administracyjny (Cour suprême administrative) a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour la question préjudicielle suivante :

« L’article 18, sous c), de la [directive TVA] doit-il être interprété en ce sens que, après l’expiration de la période de régularisation prévue à l’article 187 de cette directive, les immobilisations d’un assujetti lors de l’acquisition desquelles ce dernier a déduit la TVA ne doivent pas être imposables ni inscrites à l’inventaire de liquidation au moment de la cessation de son activité, dès lors que la période légale de régularisation de la taxe payée en amont au titre de leur acquisition, résultant de leur durée de vie estimée dans l’activité économique de l’assujetti, a expiré, ou bien en ce sens que ces immobilisations, au moment de la cessation de l’activité économique de l’assujetti, sont imposables, indépendamment de la période de régularisation ? »

 Sur la question préjudicielle

23      Par sa question, la juridiction de renvoi demande, en substance, si l’article 18, sous c), de la directive TVA doit être interprété en ce sens que, en cas de cessation de l’activité économique imposable d’un assujetti, la détention de biens par celui-ci, lorsque ces biens ont ouvert droit à une déduction de la TVA lors de leur acquisition, peut être assimilée à une livraison de biens effectuée à titre onéreux et imposée à la TVA si la période de régularisation visée à l’article 187 de la directive TVA est expirée.

24      À titre liminaire, il importe de rappeler que, selon la logique du système mis en place par la directive TVA, les taxes ayant grevé en amont les biens ou les services utilisés par un assujetti aux fins de ses opérations taxées peuvent être déduites. La déduction des taxes en amont est liée à la perception des taxes en aval. Lorsque des biens ou des services acquis par un assujetti sont utilisés pour les besoins d’opérations exonérées ou ne relevant pas du champ d’application de la TVA, il ne saurait y avoir ni perception de la taxe en aval ni déduction de cette taxe en amont. En revanche, dans la mesure où des biens ou des services sont utilisés aux fins d’opérations taxées en aval, une déduction de la taxe ayant grevé ceux-ci en amont s’impose afin d’éviter une double imposition (voir, en ce sens, arrêt du 30 mars 2006, Uudenkaupungin kaupunki, C-184/04, EU:C:2006:214, point 24, et ordonnance du 5 juin 2014, Gmina Miȩdzyzdroje, C-500/13, EU:C:2014:1750, point 19).

25      Dans ce contexte, en vertu de l’article 18, sous c), de la directive TVA, les États membres peuvent assimiler à une livraison de biens effectuée à titre onéreux la détention de biens par un assujetti ou par ses ayants droit en cas de cessation de son activité économique imposable, lorsque ces biens ont ouvert droit à une déduction complète ou partielle de la TVA lors de leur acquisition ou de leur affectation conformément au point a) dudit article. L’article 18, sous c), de la directive TVA autorise ainsi les États membres à adopter une disposition spéciale pour les situations dans lesquelles un assujetti met un terme à son activité professionnelle (voir arrêt du 17 mai 2001, Fischer et Brandenstein, C-322/99 et C-323/99, EU:C:2001:280, point 86).

26      Ainsi que la juridiction de renvoi l’a relevé, la République de Pologne a exercé la faculté prévue à l’article 18, sous c), de la directive TVA. Cette juridiction se demande, toutefois, si la disposition mettant en œuvre l’article 18, sous c), de la directive TVA devait être appliquée à l’expiration du délai de régularisation qui, conformément à l’article 187, paragraphe 1, troisième alinéa, de la directive TVA peut être prolongé en ce qui concerne les biens d’investissement immobiliers jusqu’à vingt ans et qui, selon la juridiction de renvoi, est de dix ans en Pologne.

27      À cet égard, il convient de relever que l’objectif principal de l’article 18, sous c), de la directive TVA est d’éviter que des biens ayant ouvert droit à déduction ne fassent l’objet d’une consommation finale non taxée à la suite de la cessation de l’activité imposable, quels que soient les motifs ou les circonstances de celle-ci (arrêt du 8 mai 2013, Marinov, C-142/12, EU:C:2013:292, point 27).

28      Le mécanisme de régularisation prévu par la directive TVA vise, pour sa part, à accroître la précision des déductions de manière à assurer la neutralité de la TVA, de telle sorte que les opérations réalisées au stade antérieur continuent de donner lieu au droit à déduction dans la seule mesure où elles servent à fournir des prestations soumises à une telle taxe. Ce mécanisme a ainsi pour objectif d’établir une relation étroite et directe entre le droit à déduction de la TVA payée en amont et l’utilisation des biens ou des services concernés pour des opérations taxées en aval (arrêt du 18 octobre 2012, TETS Haskovo, C-234/11, EU:C:2012:644, points 30 et 31).

29      En ce qui concerne la naissance d’une éventuelle obligation de régularisation de la déduction de la TVA effectuée au titre de la taxe payée en amont, l’article 185, paragraphe 1, de la directive TVA établit le principe selon lequel une telle régularisation doit notamment être opérée lorsque des modifications des éléments pris en considération pour la détermination du montant de ladite déduction sont intervenues postérieurement à la déclaration de TVA (arrêts du 18 octobre 2012, TETS Haskovo, C-234/11, EU:C:2012:644, point 32, et du 13 mars 2014, FIRIN, C-107/13, EU:C:2014:151, point 51).

30      La période de régularisation des déductions prévue à l’article 187 de la directive TVA permet d’éviter des inexactitudes dans le calcul des déductions et des avantages ou des désavantages injustifiés pour l’assujetti lorsque, notamment, des modifications des éléments initialement pris en considération pour la détermination du montant des déductions interviennent postérieurement à la déclaration. La probabilité de pareilles modifications est particulièrement importante dans le cas de biens d’investissement qui sont souvent utilisés durant une période de plusieurs années au cours de laquelle leur affectation peut varier (voir, en ce sens, arrêt du 30 mars 2006, Uudenkaupungin kaupunki, C-184/04, EU:C:2006:214, point 25, et ordonnance du 5 juin 2014, Gmina Miȩdzyzdroje, C-500/13, EU:C:2014:1750, point 20).

31      Il s’ensuit, certes, que la finalité de l’imposition de la détention des biens ayant donné lieu à la déduction, en vertu de l’article 18, sous c), de la directive TVA, se rapproche de celle du mécanisme de régularisation, dans la mesure où il s’agit, d’une part, d’éviter de procurer un avantage économique injustifié à l’assujetti par rapport à un consommateur final, qui achète le bien en acquittant la TVA et, d’autre part, de garantir une correspondance entre la déduction de la taxe en amont et la perception de la taxe en aval (voir en ce sens, par analogie, arrêt du 14 septembre 2006, Wollny, C-72/05, EU:C:2006:573, points 35 et 36, ainsi que jurisprudence citée).

32      Toutefois, une telle similarité des objectifs ne conduit pas à ce que la période prévue pour la régularisation d’une déduction au moyen de paiements fractionnés sur plusieurs années, en vertu des articles 184 à 187 de la directive TVA, puisse valoir de période à l’échéance au-delà de laquelle l’imposition en vertu de l’article 18, sous c), de cette directive n’est plus possible.

33      Il découle, tout d’abord, de l’article 18, sous c), de la directive TVA que la détention de biens par un assujetti en cas de cessation de son activité économique imposable peut être assimilée à une livraison de biens effectuée à titre onéreux, si ces biens ont ouvert droit à une déduction complète ou partielle de la TVA lors de leur acquisition.

34      Aucune autre condition, notamment liée à un délai après l’acquisition pendant lequel la détention suivante à la cessation de l’activité doit intervenir pour pouvoir être imposée, n’est prévue audit article 18, sous c), de la directive TVA.

35      Ensuite, ladite disposition, en ce qui concerne son application, ne contient pas de renvoi aux dispositions relatives à la régularisation de la déduction prévues aux articles 184 à 192 de la directive TVA, à la différence de l’article 168 bis, paragraphe 1, deuxième alinéa, de cette directive qui renvoie à ces dispositions en ce qui concerne la taxation de l’utilisation privée d’un bien immobilier en vertu de l’article 26 de ladite directive.

36      Enfin, la régularisation des déductions, qui est effectuée, notamment, lorsque des modifications des éléments pris en considération pour la détermination du montant de la TVA sont intervenues postérieurement à la déclaration de TVA et qui vise à assurer que les déductions opérées reflètent étroitement l’utilisation des biens pour les besoins de l’entreprise, est un mécanisme correctif tourné vers le passé, ainsi que Mme l’avocat général l’a relevé au point 28 de ses conclusions.

37      En revanche, l’imposition prévue à l’article 18, sous c), de la directive TVA n’est pas fondée sur la prémisse selon laquelle la déduction complète ou partielle de la TVA, opérée lors de l’acquisition de biens faisant l’objet de la détention en cas de cessation de l’activité économique imposable, était supérieure ou inférieure à celle que l’assujetti était en droit d’opérer, mais bien sur l’intervention d’une nouvelle opération imposable à la date de la cessation de l’activité économique.

38      L’imposition prévue à l’article 18, sous c), de la directive TVA prend en compte les modifications de la valeur des actifs d’entreprise, pendant toute la durée de leur utilisation pour les activités d’entreprise, puisque, conformément à l’article 74 de la directive TVA, pour les opérations telles que celles visées à l’article 18, sous c), de la directive TVA, la base d’imposition est constituée par le prix d’achat des biens ou de biens similaires ou, à défaut de prix d’achat, par le prix de revient, déterminés à la date où ces opérations sont réalisées. La base d’imposition de l’opération dans le cas de la cessation de l’activité économique imposable est la valeur des biens en question déterminée à la date de cette cessation, qui prend donc en compte l’évolution de la valeur desdits biens entre leur acquisition et ladite cessation (voir, notamment, arrêt du 8 mai 2013, Marinov, C-142/12, EU:C:2013:292, point 33).

39      Afin d’atteindre l’objectif de l’article 18, sous c), de la directive TVA, qui consiste à éviter que des biens ayant ouvert droit à déduction ne fassent l’objet d’une consommation finale non taxée à la suite de la cessation de l’activité économique imposable, et à éliminer effectivement toute inégalité en matière de TVA entre les consommateurs qui acquièrent leurs biens auprès d’un autre assujetti et ceux qui les acquièrent dans le cadre de leur entreprise, l’imposition due en vertu de l’article 18, sous c), de la directive TVA doit être effectuée, ainsi que Mme l’avocat général l’a relevé au point 34 de ses conclusions, dès lors qu’un bien ayant ouvert droit à une déduction de la TVA conserve une valeur résiduelle à la date de la cessation de l’activité économique imposable, indépendamment de la période écoulée entre la date de l’acquisition dudit bien et celle de la cessation de cette activité.

40      Eu égard aux considérations qui précèdent, il convient de répondre à la question posée que l’article 18, sous c), de la directive TVA doit être interprété en ce sens que, en cas de cessation de l’activité économique imposable d’un assujetti, la détention de biens par celui-ci, lorsque ces biens ont ouvert droit à une déduction de la TVA lors de leur acquisition, peut être assimilée à une livraison de biens effectuée à titre onéreux et soumise à la TVA, si la période de régularisation visée à l’article 187 de la directive TVA est expirée.

 Sur les dépens

41      La procédure revêtant, à l’égard des parties au principal, le caractère d’un incident soulevé devant la juridiction de renvoi, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens. Les frais exposés pour soumettre des observations à la Cour, autres que ceux desdites parties, ne peuvent faire l’objet d’un remboursement.

Par ces motifs, la Cour (dixième chambre) dit pour droit :

L’article 18, sous c), de la directive 2006/112/CE du Conseil, du 28 novembre 2006, relative au système commun de taxe sur la valeur ajoutée, telle que modifiée par la directive 2009/162/UE du Conseil, du 22 décembre 2009, doit être interprété en ce sens que, en cas de cessation de l’activité économique imposable d’un assujetti, la détention de biens par celui-ci, lorsque ces biens ont ouvert droit à une déduction de la taxe sur la valeur ajoutée lors de leur acquisition, peut être assimilée à une livraison de biens effectuée à titre onéreux et soumise à la taxe sur la valeur ajoutée, si la période de régularisation visée à l’article 187 de la directive 2006/112, telle que modifiée par la directive 2009/162, est expirée.

Signatures


* Langue de procédure : le polonais.