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ARRÊT DU 26. 10. 2017 – AFFAIRE C534/16 BB construct

ARRÊT DE LA COUR (neuvième chambre)

26 octobre 2017  ( 1 )

« Renvoi préjudiciel – Taxe sur la valeur ajoutée (TVA) – Directive 2006/112/CE – Inscription au registre des assujettis à la TVA – Législation nationale imposant la constitution d’une garantie – Lutte contre la fraude – Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne – Liberté d’entreprise – Principe de non-discrimination – Principe ne bis in idem – Principe de non-rétroactivité »

Dans l’affaire C534/16,

ayant pour objet une demande de décision préjudicielle au titre de l’article 267 TFUE, introduite par le Najvyšší súd Slovenskej republiky (Cour suprême de la République slovaque), par décision du 29 septembre 2016, parvenue à la Cour le 20 octobre 2016, dans la procédure

Finančné riaditeľstvo Slovenskej republiky

contre

BB construct s. r. o.,

LA COUR (neuvième chambre),

composée de M. E. Juhász, faisant fonction de président de chambre, Mme K. Jürimäe (rapporteur) et M. C. Lycourgos, juges,

avocat général : M. M. Szpunar,

greffier : M. A. Calot Escobar,

vu la procédure écrite,

considérant les observations présentées :

pour le Finančné riaditeľstvo Slovenskej republiky, par M. F. Imrecze, en qualité d’agent,

pour BB construct s. r. o., par Me P. Ondrášiková, advokátka,

pour le gouvernement slovaque, par Mme B. Ricziová, en qualité d’agent,

pour la Commission européenne, par Mme L. Lozano Palacios et M. A. Tokár, en qualité d’agents,

vu la décision prise, l’avocat général entendu, de juger l’affaire sans conclusions,

rend le présent

Arrêt

1

La demande de décision préjudicielle porte sur l’interprétation de l’article 273 de la directive 2006/112/CE du Conseil, du 28 novembre 2006, relative au système commun de taxe sur la valeur ajoutée (JO 2006, L 347, p. 1, ci-après la « directive TVA »), ainsi que de la notion de « liberté d’entreprise », du principe d’égalité de traitement, du principe ne bis in idem et du principe de non-rétroactivité des délits et des peines consacrés par la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne (ci-après la « Charte »).

2

Cette demande a été présentée dans le cadre d’un litige opposant le Finančné riaditeľstvo Slovenskej republiky (direction des impôts de la République slovaque, ci-après la « direction des impôts ») à BB construct s. r. o. au sujet d’une garantie exigée lors de l’enregistrement de cette dernière aux fins de la taxe sur la valeur ajoutée (TVA).

Le cadre juridique

Le droit de l’Union

3

L’article 273, premier alinéa, de la directive TVA dispose :

« Les États membres peuvent prévoir d’autres obligations qu’ils jugeraient nécessaires pour assurer l’exacte perception de la TVA et pour éviter la fraude, sous réserve du respect de l’égalité de traitement des opérations intérieures et des opérations effectuées entre États membres par des assujettis, et à condition que ces obligations ne donnent pas lieu dans les échanges entre les États membres à des formalités liées au passage d’une frontière. »

Le droit slovaque

4

L’article 4, paragraphe 1, première phrase, de la loi n° 222/2004 relative à la taxe sur la valeur ajoutée, dans sa version applicable au litige au principal (ci-après la « loi relative à la TVA »), prévoit une obligation d’enregistrement des assujettis en ces termes :

« L’assujetti ayant son siège social, lieu d’exploitation ou établissement dans le pays [...] et qui a réalisé, sur les 12 derniers mois consécutifs, un chiffre d’affaires atteignant 49 790 [euros], est tenu d’introduire auprès de l’administration fiscale une demande d’enregistrement aux fins de la taxe ».

5

Dans sa version citée par la juridiction de renvoi, l’article 4c de cette loi, intitulé « Garantie fiscale », prévoit :

« (1) L’assujetti qui a présenté une demande d’enregistrement aux fins de la taxe conformément à l’article 4, paragraphes 1 et 2, est tenu de garantir le paiement de la taxe par le dépôt d’espèces sur le compte de l’administration fiscale ou par le biais d’une garantie bancaire inconditionnelle fournie pour une durée de 12 mois en faveur de l’administration fiscale, à hauteur de la garantie demandée [...] si :

[...]

c) l’administrateur ou l’associé de cet assujetti est une personne physique ou morale étant ou ayant été administrateur ou associé d’une autre personne morale

1. qui a, ou avait à la date de sa dissolution, des arriérés d’impôts atteignant 1 000 [euros] et plus, accumulés pendant la période pendant laquelle ladite personne physique ou morale en était l’administrateur ou l’associé, et non encore acquittés à la date de présentation de la demande d’enregistrement aux fins de la taxe ;

[...]

(2) L’administration fiscale fixe par décision le montant de la garantie devant être constituée par l’auteur de la demande d’enregistrement visée au paragraphe 1 à un niveau non inférieur à 1 000 [euros] et non supérieur à 500 000 [euros]. Pour la détermination du montant de la garantie fiscale, l’administration fiscale prend en considération le risque d’impayés fiscaux de la part de l’assujetti. L’auteur de la demande d’enregistrement est tenu de fournir la garantie fiscale dans les 20 jours de la notification de la décision imposant la fourniture d’une garantie. »

Le litige au principal et les questions préjudicielles

6

Ayant atteint un chiffre d’affaires de 49 790 euros au moins, BB construct a demandé à être enregistrée aux fins de la TVA. Sur le fondement de l’article 4c, paragraphes 1 et 2, de la loi relative à la TVA, la direction des impôts lui a imposé la constitution d’une garantie pour une période de 12 mois. Le montant de cette garantie s’élevait à 500 000 euros et celle-ci devait être constituée dans un délai de 20 jours. La constitution d’une telle garantie était justifiée, selon la direction des impôts, en raison des arriérés de TVA d’une autre société, avec laquelle l’administrateur ou l’associé de BB construct avait un lien personnel ou patrimonial.

7

BB construct a demandé l’annulation ou la réduction de cette garantie devant le Krajský súd v Bratislave (cour régionale de Bratislava, Slovaquie). Il ressort du dossier dont dispose la Cour que cette juridiction a prononcé l’annulation de la décision exigeant la constitution de ladite garantie et que la direction des impôts a formé un pourvoi contre ce jugement devant le Najvyšší súd Slovenskej republiky (Cour suprême de la République slovaque).

8

Cette dernière juridiction précise que la garantie prévue à l’article 4c de la loi relative à la TVA a été instituée sur le fondement de l’article 273 de la directive TVA, afin d’empêcher la fraude et l’évasion fiscales. Le législateur slovaque aurait cherché à inciter l’administration fiscale à faire dépendre l’enregistrement aux fins de la TVA de l’obligation de constituer cette garantie. Une telle garantie permettrait à cette administration de récupérer les montants dus en cas d’éventuels impayés du nouvel assujetti, au cours de l’exercice suivant son enregistrement.

9

Selon les indications fournies par la direction des impôts devant ladite juridiction, dans chaque cas, le montant de la garantie prévue à l’article 4c de la loi relative à la TVA est calculé automatiquement, par un système informatique, sans qu’il soit possible d’adapter ce montant. Ainsi, chaque demande ferait l’objet d’un traitement individuel et objectif.

10

BB construct conteste, devant la juridiction de renvoi, le montant de la garantie en cause au principal. Celui-ci serait disproportionné au regard de son chiffre d’affaires, au point de porter atteinte à la liberté d’entreprise. Cette garantie s’apparenterait ainsi à une sanction à caractère rétroactif, fondée sur des faits passés.

11

Au regard de ces arguments, cette juridiction s’interroge sur la compatibilité de ladite garantie avec le droit de l’Union.

12

Ladite juridiction relève, notamment, que le système mis en place par le législateur slovaque aboutit à traiter différemment l’assujetti qui ne respecte pas son obligation d’enregistrement aux fins de la TVA, lequel s’expose à des pénalités allant jusqu’à 20 000 euros, et l’assujetti qui respecte ladite obligation et qui doit, dans certaines circonstances, constituer une garantie d’un montant variant de 1 000 euros à 500 000 euros. Elle relève également que les demandeurs qui ont des dettes d’une nature autre que fiscale ne sont pas soumis à une telle obligation de constitution de garantie.

13

Ladite juridiction souligne aussi que, compte tenu de l’importance du montant de cette garantie par rapport aux capacités financières de la société concernée, il est permis de se demander si ladite garantie ne constitue pas une sanction fiscale indirecte, au sens de la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme.

14

C’est dans ces circonstances que le Najvyšší súd Slovenskej republiky (Cour suprême de la République slovaque) a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour les questions préjudicielles suivantes :

« 1) Dans la mesure où une autorité nationale applique une procédure en vertu de laquelle, lorsque n’ont pas été respectés les engagements fiscaux d’une autre personne morale dans laquelle l’actuel administrateur occupait aussi des fonctions de représentant légal, le droit national prend en compte cette situation pour justifier l’exigence d’une garantie fiscale pouvant atteindre 500 000 [euros], cela peut-il être considéré comme conforme à l’objectif poursuivi à l’article 273 de la directive [TVA], qui est de prévenir la fraude à la TVA ?

2) Peut-on considérer que la garantie fiscale en question, par son montant maximal pouvant aller jusqu’à 500 000 [euros] ainsi qu’exigé dans l’affaire au principal, ne porte pas atteinte à la liberté d’entreprendre prévue à l’article 16 de la [Charte], ne contraint pas indirectement l’assujetti à déclarer son insolvabilité, n’est pas discriminatoire au regard de l’article 21, paragraphe 1, de la [Charte] et n’est pas contraire au principe ne bis in idem dans le domaine de la perception de la TVA et, enfin, ne méconnaît pas le principe de non-rétroactivité consacré à l’article 49, paragraphes 1 et 3, de la [Charte] ? »

Sur les questions préjudicielles

Sur la recevabilité

15

Le gouvernement slovaque et la direction des impôts estiment que les questions posées sont dépourvues de lien avec le litige au principal. Ils soulignent, en substance, que la juridiction de renvoi est saisie d’un pourvoi dans le cadre duquel elle est appelée à statuer non pas sur la légalité au fond de la garantie qui fait l’objet de ces questions, mais seulement sur des aspects formels, liés à la motivation. Partant, selon le gouvernement slovaque, lesdites questions, qui sont dénuées de pertinence et qui présentent un caractère hypothétique, sont irrecevables.

16

À cet égard, il convient de rappeler que les questions portant sur le droit de l’Union bénéficient d’une présomption de pertinence. Le refus de la Cour de statuer sur une question préjudicielle posée par une juridiction nationale n’est possible que s’il apparaît de manière manifeste que l’interprétation sollicitée du droit de l’Union n’a aucun rapport avec la réalité ou l’objet du litige au principal, lorsque le problème est de nature hypothétique ou encore lorsque la Cour ne dispose pas des éléments de fait et de droit nécessaires pour répondre de façon utile aux questions qui lui sont posées (arrêt du 8 septembre 2015, Taricco e.a., C105/14, EU:C:2015:555, point 30 ainsi que jurisprudence citée).

17

En l’occurrence, la juridiction de renvoi a précisé que la légalité de la procédure ayant conduit à ce que soit imposée la garantie en cause au principal dépend des réponses qu’il convient d’apporter aux questions posées.

18

Dans ces conditions, il n’apparaît pas de manière manifeste que ces questions présentent un caractère hypothétique ou sont dépourvues de lien avec la réalité ou l’objet du litige au principal. Partant, lesdites questions sont recevables.

Sur le fond

19

Par ses deux questions, qu’il convient d’examiner conjointement, la juridiction de renvoi demande, en substance, si l’article 273 de la directive TVA, l’article 16, l’article 21, paragraphe 1, et l’article 49, paragraphes 1 et 3, de la Charte ou le principe ne bis in idem, consacré à l’article 50 de la Charte, doivent être interprétés en ce sens qu’ils s’opposent à ce que, lors de l’enregistrement aux fins de la TVA d’un assujetti dont l’administrateur était antérieurement l’administrateur ou l’associé d’une autre personne morale qui n’avait pas respecté ses obligations en matière fiscale, l’administration fiscale impose à cet assujetti la constitution d’une garantie dont le montant peut atteindre 500 000 euros.

20

À cet égard, en premier lieu, il convient de rappeler que l’article 273, premier alinéa, de la directive TVA précise que les États membres peuvent prendre les mesures nécessaires pour assurer l’exacte perception de la TVA et pour éviter la fraude, sous réserve du respect de l’égalité de traitement des opérations intérieures et des opérations effectuées entre États membres par des assujettis, à condition que ces obligations ne donnent pas lieu, dans les échanges entre les États membres, à des formalités liées au passage des frontières.

21

La Cour a jugé que, en dehors des limites qu’elles fixent, les dispositions de l’article 273 de la directive TVA ne précisent ni les conditions ni les obligations que les États membres peuvent prévoir, et qu’elles confèrent, dès lors, à ceux-ci une marge d’appréciation quant aux moyens visant à s’assurer de la perception de l’intégralité de la TVA due sur leur territoire et à lutter contre la fraude (voir, en ce sens, arrêt du 5 octobre 2016, Maya Marinova, C576/15, EU:C:2016:740, point 43 et jurisprudence citée).

22

En l’occurrence, il ressort de la demande de décision préjudicielle et des observations présentées devant la Cour que le dispositif légal en cause au principal a été établi en vertu de l’article 273 de la directive TVA, afin d’assurer l’exacte perception de la TVA et de prévenir la fraude fiscale. Il permet à la direction des impôts d’exiger d’un nouvel assujetti présentant un risque d’impayés d’impôts en raison de ses liens avec une autre personne morale ayant des arriérés d’impôts, la constitution, pour une période de 12 mois, d’une garantie. Le montant de cette garantie est déterminé par un système informatique et se situe dans une fourchette allant de 1 000 euros à 500 000 euros.

23

Il s’ensuit qu’un dispositif légal, tel que celui en cause au principal, est destiné à atteindre les objectifs visés à l’article 273 de la directive TVA et paraît de nature à les atteindre, lorsqu’il existe un réel risque d’impayés d’impôts.

24

Cependant, les mesures que les États membres ont la faculté d’adopter, en vertu de cet article 273, afin d’assurer l’exacte perception de la taxe et d’éviter la fraude, ne doivent pas aller au-delà de ce qui est nécessaire pour atteindre de tels objectifs et ne doivent pas remettre en cause la neutralité de la TVA (arrêts du 21 octobre 2010, Nidera Handelscompagnie, C385/09, EU:C:2010:627, point 49 et jurisprudence citée, ainsi que du 5 octobre 2016, Maya Marinova, C576/15, EU:C:2016:740, point 44 et jurisprudence citée).

25

Il appartient à la juridiction de renvoi d’apprécier la compatibilité de l’application de ce dispositif légal avec les exigences mentionnées au point précédent, eu égard à l’ensemble des circonstances de l’affaire au principal. Conformément à une jurisprudence constante de la Cour, celle-ci peut néanmoins fournir à cette juridiction toute indication utile afin de trancher le litige qui lui est soumis (voir, en ce sens, arrêts du 28 juillet 2016, Astone, C332/15, EU:C:2016:614, point 36 et jurisprudence citée, ainsi que du 5 octobre 2016, Maya Marinova, C576/15, EU:C:2016:740, point 46).

26

Premièrement, s’agissant du principe de proportionnalité, il convient de relever, d’une part, que, aux fins de l’application dudit dispositif légal, le risque d’impayés est calculé par un système informatique qui génère, de manière automatique, le montant de la garantie demandée à l’assujetti concerné, sans que cet assujetti paraisse en mesure de connaître les données utilisées par l’administration fiscale aux fins dudit calcul et sans qu’il soit possible d’adapter ce montant en fonction des informations fournies, le cas échéant, par ledit assujetti.

27

L’obligation de constituer une garantie, dans de telles circonstances, pourrait aboutir, dans certains cas, à un résultat allant au-delà de ce qui est nécessaire pour assurer l’exacte perception de la TVA et prévenir la fraude fiscale (voir, par analogie, arrêt du 10 juillet 2008, Sosnowska, C25/07, EU:C:2008:395, point 24 et jurisprudence citée).

28

D’autre part, il ressort des éléments du dossier dont dispose la Cour que le montant de la garantie exigée peut s’élever, comme dans le litige au principal, à 500 000 euros, à savoir le montant maximal prévu. À cet égard, il y a lieu de relever que le principe de proportionnalité exige que le montant de la garantie soit en corrélation avec le risque d’impayés dans le futur et le montant des dettes fiscales antérieures. En outre, doit aussi entrer en ligne de compte tant le rôle qu’assume l’associé ou l’administrateur de la personne morale ayant des arriérés fiscaux dans la constitution et la gestion de la personne morale à laquelle la garantie est demandée que celui qu’il a assumé dans la constitution et la gestion de la personne morale antérieure dont il était l’associé ou l’administrateur.

29

Deuxièmement, s’agissant du principe de neutralité fiscale, qui est la traduction par le législateur de l’Union, en matière de TVA, du principe général d’égalité de traitement, il convient de constater que les assujettis ne respectant pas leurs obligations fiscales, notamment leur obligation d’enregistrement, ne se trouvent pas dans une situation comparable à celle des assujettis qui respectent leur obligation d’enregistrement (voir, par analogie, arrêt du 5 octobre 2016, Maya Marinova, C576/15, EU:C:2016:740, point 49). Dès lors, le principe de neutralité fiscale ne saurait être interprété comme s’opposant à l’exigence de constitution d’une garantie, telle que celle en cause au principal.

30

Il convient de relever, en second lieu, que la juridiction de renvoi interroge également la Cour sur l’interprétation qu’il convient de faire, dans des circonstances telles que celles de l’affaire au principal, de l’article 49, paragraphes 1 et 3, de la Charte, du principe ne bis in idem, consacré à l’article 50 de la Charte, de la notion de « liberté d’entreprise », visée à l’article 16 de la Charte, et du principe d’égalité de traitement, consacré à l’article 21 de la Charte.

31

À cet égard, il convient de rappeler que l’article 49 de la Charte consacre les principes de légalité et de proportionnalité des délits et des peines, selon lesquels, notamment, nul ne peut être condamné pour une action ou une omission qui, au moment où elle a été commise, ne constituait pas une infraction d’après le droit national ou le droit international et que, conformément au principe ne bis in idem énoncé à l’article 50 de la Charte, nul ne peut être poursuivi ou puni pénalement en raison d’une infraction pour laquelle il a déjà été acquitté ou condamné dans l’Union européenne par un jugement pénal définitif conformément à la loi. L’application de ce principe suppose que les mesures qui ont déjà été adoptées à l’encontre d’une personne au moyen d’une décision devenue définitive revêtent un caractère pénal (arrêt du 26 février 2013, Åkerberg Fransson, C617/10, EU:C:2013:105, point 33).

32

Or, l’exigence de constituer une garantie, telle que celle en cause en l’espèce, ne poursuit pas une finalité répressive, étant donné qu’il est constant que la personne morale demandant son enregistrement n’a commis aucune infraction et que le but de la disposition concernée consiste à assurer l’exacte perception de la TVA à l’avenir. La seule circonstance, mise en évidence par la juridiction de renvoi, que, en raison de son montant, la constitution d’une telle garantie peut représenter une charge très lourde pour la personne morale nouvellement constituée, ne permet pas, en l’occurrence, de considérer ladite garantie comme une sanction pénale aux fins de l’application des articles 49 et 50 de la Charte.

33

Dans ces conditions, à l’instar de la direction des impôts, du gouvernement slovaque et de la Commission européenne, il y a lieu de considérer que les articles 49 et 50 de la Charte ne sont pas applicables dans l’affaire au principal.

34

S’agissant de la liberté d’entreprise, il convient de rappeler que, en vertu de l’article 16 de la Charte, cette liberté est reconnue conformément au droit de l’Union et aux législations et aux pratiques nationales.

35

La protection conférée par ledit article 16 comporte la liberté d’exercer une activité économique ou commerciale, la liberté contractuelle et la concurrence libre (arrêt du 22 janvier 2013, Sky Österreich, C283/11, EU:C:2013:28, point 42).

36

Selon la jurisprudence de la Cour, la liberté d’entreprise ne constitue pas une prérogative absolue. Elle peut être soumise à un large éventail d’interventions de la puissance publique susceptibles d’établir, dans l’intérêt général, des limitations à l’exercice de l’activité économique (arrêt du 17 octobre 2013, Schaible, C101/12, EU:C:2013:661, point 28 ; voir également, en ce sens, arrêt du 22 janvier 2013, Sky Österreich, C283/11, EU:C:2013:28, points 45 et 46).

37

Conformément à l’article 52, paragraphe 1, de la Charte, toute limitation de l’exercice de la liberté d’entreprise doit être prévue par la loi, respecter le contenu essentiel de cette liberté et, dans le respect du principe de proportionnalité, être nécessaire et répondre effectivement à des objectifs d’intérêt général reconnus par l’Union ou au besoin de protection des droits et des libertés d’autrui.

38

En l’occurrence, il ressort des éléments du dossier dont dispose la Cour que l’exigence de constituer la garantie en cause au principal fait peser sur l’assujetti une contrainte qui restreint la libre utilisation des ressources financières à sa disposition et, partant, est constitutive d’une atteinte à sa liberté d’entreprise.

39

Il est constant que cette garantie est prévue par la loi relative à la TVA et justifiée par des objectifs légitimes d’assurer l’exacte perception de cette taxe et de prévenir la fraude fiscale.

40

Toutefois, la juridiction de renvoi précise que ladite garantie s’élève à 500 000 euros et qu’elle risque, eu égard à son montant, de contraindre BB construct à se déclarer en situation d’insolvabilité.

41

Or, il y a lieu de considérer que, dès lors que la constitution d’une garantie, eu égard à l’importance de son montant, priverait, sans justification, la société concernée de ses ressources dès sa création et l’empêcherait de développer ses activités économiques, celle-ci porterait une atteinte manifestement disproportionnée à la liberté d’entreprise.

42

Il appartient néanmoins à la juridiction de renvoi de déterminer, compte tenu de l’ensemble des éléments exposés aux points 26 à 28 du présent arrêt, si la constitution d’une garantie de 500 000 euros va, dans les circonstances de l’affaire au principal, au-delà de ce qui est nécessaire pour atteindre l’objectif consistant à assurer l’exacte perception de la TVA et à prévenir la fraude fiscale.

43

S’agissant du principe d’égalité de traitement, il y a lieu de relever que ce principe impose que des situations comparables ne soient pas traitées de manière différente et que des situations différentes ne soient pas traitées de manière égale à moins qu’un tel traitement ne soit objectivement justifié. Les éléments qui caractérisent différentes situations et, ainsi, leur caractère comparable doivent, notamment, être déterminés et appréciés à la lumière de l’objet et du but des dispositions en cause, étant entendu qu’il doit être tenu compte, à cet effet, des principes et des objectifs du domaine dont relève l’acte en cause (arrêts du 16 décembre 2008, Arcelor Atlantique et Lorraine e.a., C127/07, EU:C:2008:728, points 23 et 26, ainsi que du 7 mars 2017, RPO, C390/15, EU:C:2017:174, points 41 et 42).

44

En l’occurrence, ainsi qu’il a été relevé au point 22 du présent arrêt, la mesure nationale en cause au principal est destinée à assurer l’exacte perception de la TVA et à prévenir la fraude fiscale en instaurant une garantie, à la charge des assujettis soumis à une obligation d’enregistrement aux fins de la TVA et dont un administrateur ou un associé a été l’administrateur ou l’associé d’une autre personne morale ayant des arriérés d’impôts s’élevant, à la date de sa dissolution, à 1 000 euros au moins.

45

C’est pour atteindre ces objectifs que, selon le dispositif légal en cause au principal, de nouveaux assujettis peuvent être soumis à une obligation de constituer une garantie, au motif qu’ils présentent un risque d’impayés d’impôts en raison des liens qu’ils entretiennent avec une autre personne morale ayant, elle-même, des arriérés d’impôts.

46

Par conséquent, il y a lieu de considérer que ces assujettis se trouvent dans une situation différente de celle d’assujettis qui auraient des dettes autres que fiscales ou qui auraient des liens avec des personnes morales ayant des dettes autres que fiscales, de telle sorte qu’ils peuvent être traités différemment.

47

Eu égard à l’ensemble des considérations qui précèdent, il y a lieu de répondre aux questions posées de la manière suivante :

L’article 273 de la directive TVA et l’article 16 de la Charte doivent être interprétés en ce sens qu’ils ne s’opposent pas à ce que, lors de l’enregistrement aux fins de la TVA d’un assujetti, dont l’administrateur était antérieurement l’administrateur ou l’associé d’une autre personne morale, qui n’avait pas respecté ses obligations en matière fiscale, l’administration fiscale impose à cet assujetti la constitution d’une garantie dont le montant peut atteindre 500 000 euros, dès lors que la garantie exigée dudit assujetti ne va pas au-delà de ce qui est nécessaire pour atteindre les objectifs visés à cet article 273, ce qu’il appartient à la juridiction de renvoi de vérifier. 

Le principe d’égalité de traitement doit être interprété en ce sens qu’il ne s’oppose pas à ce que l’administration fiscale exige d’un nouvel assujetti, lors de son enregistrement aux fins de la TVA, qu’il constitue, en raison de ses liens avec une autre personne morale ayant des arriérés d’impôts, une telle garantie.

Sur les dépens

48

La procédure revêtant, à l’égard des parties au principal, le caractère d’un incident soulevé devant la juridiction de renvoi, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens. Les frais exposés pour soumettre des observations à la Cour, autres que ceux desdites parties, ne peuvent faire l’objet d’un remboursement.

Par ces motifs, la Cour (neuvième chambre) dit pour droit :

1)

L’article 273 de la directive 2006/112/CE du Conseil, du 28 novembre 2006, relative au système commun de taxe sur la valeur ajoutée, et l’article 16 de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne doivent être interprétés en ce sens qu’ils ne s’opposent pas à ce que, lors de l’enregistrement aux fins de la taxe sur la valeur ajoutée d’un assujetti, dont l’administrateur était antérieurement l’administrateur ou l’associé d’une autre personne morale qui n’avait pas respecté ses obligations en matière fiscale, l’administration fiscale impose à cet assujetti la constitution d’une garantie dont le montant peut atteindre 500 000 euros, dès lors que la garantie exigée dudit assujetti ne va pas au-delà de ce qui est nécessaire pour atteindre les objectifs visés à cet article 273, ce qu’il appartient à la juridiction de renvoi de vérifier.

2)

Le principe d’égalité de traitement doit être interprété en ce sens qu’il ne s’oppose pas à ce que l’administration fiscale exige d’un nouvel assujetti, lors de son enregistrement aux fins de la taxe sur la valeur ajoutée, qu’il constitue, en raison de ses liens avec une autre personne morale ayant des arriérés d’impôts, une telle garantie.

Signatures


( 1 )Langue de procédure : le slovaque.


ARRÊT DE LA COUR (neuvième chambre)

26 octobre 2017 ( *1 )

« Renvoi préjudiciel – Taxe sur la valeur ajoutée (TVA) – Directive 2006/112/CE – Inscription au registre des assujettis à la TVA – Législation nationale imposant la constitution d’une garantie – Lutte contre la fraude – Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne – Liberté d’entreprise – Principe de non-discrimination – Principe ne bis in idem – Principe de non-rétroactivité »

Dans l’affaire C-534/16,

ayant pour objet une demande de décision préjudicielle au titre de l’article 267 TFUE, introduite par le Najvyšší súd Slovenskej republiky (Cour suprême de la République slovaque), par décision du 29 septembre 2016, parvenue à la Cour le 20 octobre 2016, dans la procédure

Finančné riaditeľstvo Slovenskej republiky

contre

BB construct s. r. o.,

LA COUR (neuvième chambre),

composée de M. E. Juhász, faisant fonction de président de chambre, Mme K. Jürimäe (rapporteur) et M. C. Lycourgos, juges,

avocat général : M. M. Szpunar,

greffier : M. A. Calot Escobar,

vu la procédure écrite,

considérant les observations présentées :

pour le Finančné riaditeľstvo Slovenskej republiky, par M. F. Imrecze, en qualité d’agent,

pour BB construct s. r. o., par Me P. Ondrášiková, advokátka,

pour le gouvernement slovaque, par Mme B. Ricziová, en qualité d’agent,

pour la Commission européenne, par Mme L. Lozano Palacios et M. A. Tokár, en qualité d’agents,

vu la décision prise, l’avocat général entendu, de juger l’affaire sans conclusions,

rend le présent

Arrêt

1

La demande de décision préjudicielle porte sur l’interprétation de l’article 273 de la directive 2006/112/CE du Conseil, du 28 novembre 2006, relative au système commun de taxe sur la valeur ajoutée (JO 2006, L 347, p. 1, ci-après la « directive TVA »), ainsi que de la notion de « liberté d’entreprise », du principe d’égalité de traitement, du principe ne bis in idem et du principe de non-rétroactivité des délits et des peines consacrés par la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne (ci-après la « Charte »).

2

Cette demande a été présentée dans le cadre d’un litige opposant le Finančné riaditeľstvo Slovenskej republiky (direction des impôts de la République slovaque, ci-après la « direction des impôts ») à BB construct s. r. o. au sujet d’une garantie exigée lors de l’enregistrement de cette dernière aux fins de la taxe sur la valeur ajoutée (TVA).

Le cadre juridique

Le droit de l’Union

3

L’article 273, premier alinéa, de la directive TVA dispose :

« Les États membres peuvent prévoir d’autres obligations qu’ils jugeraient nécessaires pour assurer l’exacte perception de la TVA et pour éviter la fraude, sous réserve du respect de l’égalité de traitement des opérations intérieures et des opérations effectuées entre États membres par des assujettis, et à condition que ces obligations ne donnent pas lieu dans les échanges entre les États membres à des formalités liées au passage d’une frontière. »

Le droit slovaque

4

L’article 4, paragraphe 1, première phrase, de la loi no 222/2004 relative à la taxe sur la valeur ajoutée, dans sa version applicable au litige au principal (ci-après la « loi relative à la TVA »), prévoit une obligation d’enregistrement des assujettis en ces termes :

« L’assujetti ayant son siège social, lieu d’exploitation ou établissement dans le pays [...] et qui a réalisé, sur les 12 derniers mois consécutifs, un chiffre d’affaires atteignant 49790 [euros], est tenu d’introduire auprès de l’administration fiscale une demande d’enregistrement aux fins de la taxe ».

5

Dans sa version citée par la juridiction de renvoi, l’article 4c de cette loi, intitulé « Garantie fiscale », prévoit :

« (1)   L’assujetti qui a présenté une demande d’enregistrement aux fins de la taxe conformément à l’article 4, paragraphes 1 et 2, est tenu de garantir le paiement de la taxe par le dépôt d’espèces sur le compte de l’administration fiscale ou par le biais d’une garantie bancaire inconditionnelle fournie pour une durée de 12 mois en faveur de l’administration fiscale, à hauteur de la garantie demandée [...] si :

[...]

c)

l’administrateur ou l’associé de cet assujetti est une personne physique ou morale étant ou ayant été administrateur ou associé d’une autre personne morale

1.

qui a, ou avait à la date de sa dissolution, des arriérés d’impôts atteignant 1000 [euros] et plus, accumulés pendant la période pendant laquelle ladite personne physique ou morale en était l’administrateur ou l’associé, et non encore acquittés à la date de présentation de la demande d’enregistrement aux fins de la taxe ;

[...]

(2)   L’administration fiscale fixe par décision le montant de la garantie devant être constituée par l’auteur de la demande d’enregistrement visée au paragraphe 1 à un niveau non inférieur à 1000 [euros] et non supérieur à 500000 [euros]. Pour la détermination du montant de la garantie fiscale, l’administration fiscale prend en considération le risque d’impayés fiscaux de la part de l’assujetti. L’auteur de la demande d’enregistrement est tenu de fournir la garantie fiscale dans les 20 jours de la notification de la décision imposant la fourniture d’une garantie. »

Le litige au principal et les questions préjudicielles

6

Ayant atteint un chiffre d’affaires de 49790 euros au moins, BB construct a demandé à être enregistrée aux fins de la TVA. Sur le fondement de l’article 4c, paragraphes 1 et 2, de la loi relative à la TVA, la direction des impôts lui a imposé la constitution d’une garantie pour une période de 12 mois. Le montant de cette garantie s’élevait à 500000 euros et celle-ci devait être constituée dans un délai de 20 jours. La constitution d’une telle garantie était justifiée, selon la direction des impôts, en raison des arriérés de TVA d’une autre société, avec laquelle l’administrateur ou l’associé de BB construct avait un lien personnel ou patrimonial.

7

BB construct a demandé l’annulation ou la réduction de cette garantie devant le Krajský súd v Bratislave (cour régionale de Bratislava, Slovaquie). Il ressort du dossier dont dispose la Cour que cette juridiction a prononcé l’annulation de la décision exigeant la constitution de ladite garantie et que la direction des impôts a formé un pourvoi contre ce jugement devant le Najvyšší súd Slovenskej republiky (Cour suprême de la République slovaque).

8

Cette dernière juridiction précise que la garantie prévue à l’article 4c de la loi relative à la TVA a été instituée sur le fondement de l’article 273 de la directive TVA, afin d’empêcher la fraude et l’évasion fiscales. Le législateur slovaque aurait cherché à inciter l’administration fiscale à faire dépendre l’enregistrement aux fins de la TVA de l’obligation de constituer cette garantie. Une telle garantie permettrait à cette administration de récupérer les montants dus en cas d’éventuels impayés du nouvel assujetti, au cours de l’exercice suivant son enregistrement.

9

Selon les indications fournies par la direction des impôts devant ladite juridiction, dans chaque cas, le montant de la garantie prévue à l’article 4c de la loi relative à la TVA est calculé automatiquement, par un système informatique, sans qu’il soit possible d’adapter ce montant. Ainsi, chaque demande ferait l’objet d’un traitement individuel et objectif.

10

BB construct conteste, devant la juridiction de renvoi, le montant de la garantie en cause au principal. Celui-ci serait disproportionné au regard de son chiffre d’affaires, au point de porter atteinte à la liberté d’entreprise. Cette garantie s’apparenterait ainsi à une sanction à caractère rétroactif, fondée sur des faits passés.

11

Au regard de ces arguments, cette juridiction s’interroge sur la compatibilité de ladite garantie avec le droit de l’Union.

12

Ladite juridiction relève, notamment, que le système mis en place par le législateur slovaque aboutit à traiter différemment l’assujetti qui ne respecte pas son obligation d’enregistrement aux fins de la TVA, lequel s’expose à des pénalités allant jusqu’à 20000 euros, et l’assujetti qui respecte ladite obligation et qui doit, dans certaines circonstances, constituer une garantie d’un montant variant de 1000 euros à 500000 euros. Elle relève également que les demandeurs qui ont des dettes d’une nature autre que fiscale ne sont pas soumis à une telle obligation de constitution de garantie.

13

Ladite juridiction souligne aussi que, compte tenu de l’importance du montant de cette garantie par rapport aux capacités financières de la société concernée, il est permis de se demander si ladite garantie ne constitue pas une sanction fiscale indirecte, au sens de la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme.

14

C’est dans ces circonstances que le Najvyšší súd Slovenskej republiky (Cour suprême de la République slovaque) a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour les questions préjudicielles suivantes :

« 1)

Dans la mesure où une autorité nationale applique une procédure en vertu de laquelle, lorsque n’ont pas été respectés les engagements fiscaux d’une autre personne morale dans laquelle l’actuel administrateur occupait aussi des fonctions de représentant légal, le droit national prend en compte cette situation pour justifier l’exigence d’une garantie fiscale pouvant atteindre 500000 [euros], cela peut-il être considéré comme conforme à l’objectif poursuivi à l’article 273 de la directive [TVA], qui est de prévenir la fraude à la TVA ?

2)

Peut-on considérer que la garantie fiscale en question, par son montant maximal pouvant aller jusqu’à 500000 [euros] ainsi qu’exigé dans l’affaire au principal, ne porte pas atteinte à la liberté d’entreprendre prévue à l’article 16 de la [Charte], ne contraint pas indirectement l’assujetti à déclarer son insolvabilité, n’est pas discriminatoire au regard de l’article 21, paragraphe 1, de la [Charte] et n’est pas contraire au principe ne bis in idem dans le domaine de la perception de la TVA et, enfin, ne méconnaît pas le principe de non-rétroactivité consacré à l’article 49, paragraphes 1 et 3, de la [Charte] ? »

Sur les questions préjudicielles

Sur la recevabilité

15

Le gouvernement slovaque et la direction des impôts estiment que les questions posées sont dépourvues de lien avec le litige au principal. Ils soulignent, en substance, que la juridiction de renvoi est saisie d’un pourvoi dans le cadre duquel elle est appelée à statuer non pas sur la légalité au fond de la garantie qui fait l’objet de ces questions, mais seulement sur des aspects formels, liés à la motivation. Partant, selon le gouvernement slovaque, lesdites questions, qui sont dénuées de pertinence et qui présentent un caractère hypothétique, sont irrecevables.

16

À cet égard, il convient de rappeler que les questions portant sur le droit de l’Union bénéficient d’une présomption de pertinence. Le refus de la Cour de statuer sur une question préjudicielle posée par une juridiction nationale n’est possible que s’il apparaît de manière manifeste que l’interprétation sollicitée du droit de l’Union n’a aucun rapport avec la réalité ou l’objet du litige au principal, lorsque le problème est de nature hypothétique ou encore lorsque la Cour ne dispose pas des éléments de fait et de droit nécessaires pour répondre de façon utile aux questions qui lui sont posées (arrêt du 8 septembre 2015, Taricco e.a., C-105/14, EU:C:2015:555, point 30 ainsi que jurisprudence citée).

17

En l’occurrence, la juridiction de renvoi a précisé que la légalité de la procédure ayant conduit à ce que soit imposée la garantie en cause au principal dépend des réponses qu’il convient d’apporter aux questions posées.

18

Dans ces conditions, il n’apparaît pas de manière manifeste que ces questions présentent un caractère hypothétique ou sont dépourvues de lien avec la réalité ou l’objet du litige au principal. Partant, lesdites questions sont recevables.

Sur le fond

19

Par ses deux questions, qu’il convient d’examiner conjointement, la juridiction de renvoi demande, en substance, si l’article 273 de la directive TVA, l’article 16, l’article 21, paragraphe 1, et l’article 49, paragraphes 1 et 3, de la Charte ou le principe ne bis in idem, consacré à l’article 50 de la Charte, doivent être interprétés en ce sens qu’ils s’opposent à ce que, lors de l’enregistrement aux fins de la TVA d’un assujetti dont l’administrateur était antérieurement l’administrateur ou l’associé d’une autre personne morale qui n’avait pas respecté ses obligations en matière fiscale, l’administration fiscale impose à cet assujetti la constitution d’une garantie dont le montant peut atteindre 500000 euros.

20

À cet égard, en premier lieu, il convient de rappeler que l’article 273, premier alinéa, de la directive TVA précise que les États membres peuvent prendre les mesures nécessaires pour assurer l’exacte perception de la TVA et pour éviter la fraude, sous réserve du respect de l’égalité de traitement des opérations intérieures et des opérations effectuées entre États membres par des assujettis, à condition que ces obligations ne donnent pas lieu, dans les échanges entre les États membres, à des formalités liées au passage des frontières.

21

La Cour a jugé que, en dehors des limites qu’elles fixent, les dispositions de l’article 273 de la directive TVA ne précisent ni les conditions ni les obligations que les États membres peuvent prévoir, et qu’elles confèrent, dès lors, à ceux-ci une marge d’appréciation quant aux moyens visant à s’assurer de la perception de l’intégralité de la TVA due sur leur territoire et à lutter contre la fraude (voir, en ce sens, arrêt du 5 octobre 2016, Maya Marinova, C-576/15, EU:C:2016:740, point 43 et jurisprudence citée).

22

En l’occurrence, il ressort de la demande de décision préjudicielle et des observations présentées devant la Cour que le dispositif légal en cause au principal a été établi en vertu de l’article 273 de la directive TVA, afin d’assurer l’exacte perception de la TVA et de prévenir la fraude fiscale. Il permet à la direction des impôts d’exiger d’un nouvel assujetti présentant un risque d’impayés d’impôts en raison de ses liens avec une autre personne morale ayant des arriérés d’impôts, la constitution, pour une période de 12 mois, d’une garantie. Le montant de cette garantie est déterminé par un système informatique et se situe dans une fourchette allant de 1000 euros à 500000 euros.

23

Il s’ensuit qu’un dispositif légal, tel que celui en cause au principal, est destiné à atteindre les objectifs visés à l’article 273 de la directive TVA et paraît de nature à les atteindre, lorsqu’il existe un réel risque d’impayés d’impôts.

24

Cependant, les mesures que les États membres ont la faculté d’adopter, en vertu de cet article 273, afin d’assurer l’exacte perception de la taxe et d’éviter la fraude, ne doivent pas aller au-delà de ce qui est nécessaire pour atteindre de tels objectifs et ne doivent pas remettre en cause la neutralité de la TVA (arrêts du 21 octobre 2010, Nidera Handelscompagnie, C-385/09, EU:C:2010:627, point 49 et jurisprudence citée, ainsi que du 5 octobre 2016, Maya Marinova, C-576/15, EU:C:2016:740, point 44 et jurisprudence citée).

25

Il appartient à la juridiction de renvoi d’apprécier la compatibilité de l’application de ce dispositif légal avec les exigences mentionnées au point précédent, eu égard à l’ensemble des circonstances de l’affaire au principal. Conformément à une jurisprudence constante de la Cour, celle-ci peut néanmoins fournir à cette juridiction toute indication utile afin de trancher le litige qui lui est soumis (voir, en ce sens, arrêts du 28 juillet 2016, Astone, C-332/15, EU:C:2016:614, point 36 et jurisprudence citée, ainsi que du 5 octobre 2016, Maya Marinova, C-576/15, EU:C:2016:740, point 46).

26

Premièrement, s’agissant du principe de proportionnalité, il convient de relever, d’une part, que, aux fins de l’application dudit dispositif légal, le risque d’impayés est calculé par un système informatique qui génère, de manière automatique, le montant de la garantie demandée à l’assujetti concerné, sans que cet assujetti paraisse en mesure de connaître les données utilisées par l’administration fiscale aux fins dudit calcul et sans qu’il soit possible d’adapter ce montant en fonction des informations fournies, le cas échéant, par ledit assujetti.

27

L’obligation de constituer une garantie, dans de telles circonstances, pourrait aboutir, dans certains cas, à un résultat allant au-delà de ce qui est nécessaire pour assurer l’exacte perception de la TVA et prévenir la fraude fiscale (voir, par analogie, arrêt du 10 juillet 2008, Sosnowska, C-25/07, EU:C:2008:395, point 24 et jurisprudence citée).

28

D’autre part, il ressort des éléments du dossier dont dispose la Cour que le montant de la garantie exigée peut s’élever, comme dans le litige au principal, à 500000 euros, à savoir le montant maximal prévu. À cet égard, il y a lieu de relever que le principe de proportionnalité exige que le montant de la garantie soit en corrélation avec le risque d’impayés dans le futur et le montant des dettes fiscales antérieures. En outre, doit aussi entrer en ligne de compte tant le rôle qu’assume l’associé ou l’administrateur de la personne morale ayant des arriérés fiscaux dans la constitution et la gestion de la personne morale à laquelle la garantie est demandée que celui qu’il a assumé dans la constitution et la gestion de la personne morale antérieure dont il était l’associé ou l’administrateur.

29

Deuxièmement, s’agissant du principe de neutralité fiscale, qui est la traduction par le législateur de l’Union, en matière de TVA, du principe général d’égalité de traitement, il convient de constater que les assujettis ne respectant pas leurs obligations fiscales, notamment leur obligation d’enregistrement, ne se trouvent pas dans une situation comparable à celle des assujettis qui respectent leur obligation d’enregistrement (voir, par analogie, arrêt du 5 octobre 2016, Maya Marinova, C-576/15, EU:C:2016:740, point 49). Dès lors, le principe de neutralité fiscale ne saurait être interprété comme s’opposant à l’exigence de constitution d’une garantie, telle que celle en cause au principal.

30

Il convient de relever, en second lieu, que la juridiction de renvoi interroge également la Cour sur l’interprétation qu’il convient de faire, dans des circonstances telles que celles de l’affaire au principal, de l’article 49, paragraphes 1 et 3, de la Charte, du principe ne bis in idem, consacré à l’article 50 de la Charte, de la notion de « liberté d’entreprise », visée à l’article 16 de la Charte, et du principe d’égalité de traitement, consacré à l’article 21 de la Charte.

31

À cet égard, il convient de rappeler que l’article 49 de la Charte consacre les principes de légalité et de proportionnalité des délits et des peines, selon lesquels, notamment, nul ne peut être condamné pour une action ou une omission qui, au moment où elle a été commise, ne constituait pas une infraction d’après le droit national ou le droit international et que, conformément au principe ne bis in idem énoncé à l’article 50 de la Charte, nul ne peut être poursuivi ou puni pénalement en raison d’une infraction pour laquelle il a déjà été acquitté ou condamné dans l’Union européenne par un jugement pénal définitif conformément à la loi. L’application de ce principe suppose que les mesures qui ont déjà été adoptées à l’encontre d’une personne au moyen d’une décision devenue définitive revêtent un caractère pénal (arrêt du 26 février 2013, Åkerberg Fransson, C-617/10, EU:C:2013:105, point 33).

32

Or, l’exigence de constituer une garantie, telle que celle en cause en l’espèce, ne poursuit pas une finalité répressive, étant donné qu’il est constant que la personne morale demandant son enregistrement n’a commis aucune infraction et que le but de la disposition concernée consiste à assurer l’exacte perception de la TVA à l’avenir. La seule circonstance, mise en évidence par la juridiction de renvoi, que, en raison de son montant, la constitution d’une telle garantie peut représenter une charge très lourde pour la personne morale nouvellement constituée, ne permet pas, en l’occurrence, de considérer ladite garantie comme une sanction pénale aux fins de l’application des articles 49 et 50 de la Charte.

33

Dans ces conditions, à l’instar de la direction des impôts, du gouvernement slovaque et de la Commission européenne, il y a lieu de considérer que les articles 49 et 50 de la Charte ne sont pas applicables dans l’affaire au principal.

34

S’agissant de la liberté d’entreprise, il convient de rappeler que, en vertu de l’article 16 de la Charte, cette liberté est reconnue conformément au droit de l’Union et aux législations et aux pratiques nationales.

35

La protection conférée par ledit article 16 comporte la liberté d’exercer une activité économique ou commerciale, la liberté contractuelle et la concurrence libre (arrêt du 22 janvier 2013, Sky Österreich, C-283/11, EU:C:2013:28, point 42).

36

Selon la jurisprudence de la Cour, la liberté d’entreprise ne constitue pas une prérogative absolue. Elle peut être soumise à un large éventail d’interventions de la puissance publique susceptibles d’établir, dans l’intérêt général, des limitations à l’exercice de l’activité économique (arrêt du 17 octobre 2013, Schaible, C-101/12, EU:C:2013:661, point 28 ; voir également, en ce sens, arrêt du 22 janvier 2013, Sky Österreich, C-283/11, EU:C:2013:28, points 45 et 46).

37

Conformément à l’article 52, paragraphe 1, de la Charte, toute limitation de l’exercice de la liberté d’entreprise doit être prévue par la loi, respecter le contenu essentiel de cette liberté et, dans le respect du principe de proportionnalité, être nécessaire et répondre effectivement à des objectifs d’intérêt général reconnus par l’Union ou au besoin de protection des droits et des libertés d’autrui.

38

En l’occurrence, il ressort des éléments du dossier dont dispose la Cour que l’exigence de constituer la garantie en cause au principal fait peser sur l’assujetti une contrainte qui restreint la libre utilisation des ressources financières à sa disposition et, partant, est constitutive d’une atteinte à sa liberté d’entreprise.

39

Il est constant que cette garantie est prévue par la loi relative à la TVA et justifiée par des objectifs légitimes d’assurer l’exacte perception de cette taxe et de prévenir la fraude fiscale.

40

Toutefois, la juridiction de renvoi précise que ladite garantie s’élève à 500000 euros et qu’elle risque, eu égard à son montant, de contraindre BB construct à se déclarer en situation d’insolvabilité.

41

Or, il y a lieu de considérer que, dès lors que la constitution d’une garantie, eu égard à l’importance de son montant, priverait, sans justification, la société concernée de ses ressources dès sa création et l’empêcherait de développer ses activités économiques, celle-ci porterait une atteinte manifestement disproportionnée à la liberté d’entreprise.

42

Il appartient néanmoins à la juridiction de renvoi de déterminer, compte tenu de l’ensemble des éléments exposés aux points 26 à 28 du présent arrêt, si la constitution d’une garantie de 500000 euros va, dans les circonstances de l’affaire au principal, au-delà de ce qui est nécessaire pour atteindre l’objectif consistant à assurer l’exacte perception de la TVA et à prévenir la fraude fiscale.

43

S’agissant du principe d’égalité de traitement, il y a lieu de relever que ce principe impose que des situations comparables ne soient pas traitées de manière différente et que des situations différentes ne soient pas traitées de manière égale à moins qu’un tel traitement ne soit objectivement justifié. Les éléments qui caractérisent différentes situations et, ainsi, leur caractère comparable doivent, notamment, être déterminés et appréciés à la lumière de l’objet et du but des dispositions en cause, étant entendu qu’il doit être tenu compte, à cet effet, des principes et des objectifs du domaine dont relève l’acte en cause (arrêts du 16 décembre 2008, Arcelor Atlantique et Lorraine e.a., C-127/07, EU:C:2008:728, points 23 et 26, ainsi que du 7 mars 2017, RPO, C-390/15, EU:C:2017:174, points 41 et 42).

44

En l’occurrence, ainsi qu’il a été relevé au point 22 du présent arrêt, la mesure nationale en cause au principal est destinée à assurer l’exacte perception de la TVA et à prévenir la fraude fiscale en instaurant une garantie, à la charge des assujettis soumis à une obligation d’enregistrement aux fins de la TVA et dont un administrateur ou un associé a été l’administrateur ou l’associé d’une autre personne morale ayant des arriérés d’impôts s’élevant, à la date de sa dissolution, à 1000 euros au moins.

45

C’est pour atteindre ces objectifs que, selon le dispositif légal en cause au principal, de nouveaux assujettis peuvent être soumis à une obligation de constituer une garantie, au motif qu’ils présentent un risque d’impayés d’impôts en raison des liens qu’ils entretiennent avec une autre personne morale ayant, elle-même, des arriérés d’impôts.

46

Par conséquent, il y a lieu de considérer que ces assujettis se trouvent dans une situation différente de celle d’assujettis qui auraient des dettes autres que fiscales ou qui auraient des liens avec des personnes morales ayant des dettes autres que fiscales, de telle sorte qu’ils peuvent être traités différemment.

47

Eu égard à l’ensemble des considérations qui précèdent, il y a lieu de répondre aux questions posées de la manière suivante :

L’article 273 de la directive TVA et l’article 16 de la Charte doivent être interprétés en ce sens qu’ils ne s’opposent pas à ce que, lors de l’enregistrement aux fins de la TVA d’un assujetti, dont l’administrateur était antérieurement l’administrateur ou l’associé d’une autre personne morale, qui n’avait pas respecté ses obligations en matière fiscale, l’administration fiscale impose à cet assujetti la constitution d’une garantie dont le montant peut atteindre 500000 euros, dès lors que la garantie exigée dudit assujetti ne va pas au-delà de ce qui est nécessaire pour atteindre les objectifs visés à cet article 273, ce qu’il appartient à la juridiction de renvoi de vérifier.

Le principe d’égalité de traitement doit être interprété en ce sens qu’il ne s’oppose pas à ce que l’administration fiscale exige d’un nouvel assujetti, lors de son enregistrement aux fins de la TVA, qu’il constitue, en raison de ses liens avec une autre personne morale ayant des arriérés d’impôts, une telle garantie.

Sur les dépens

48

La procédure revêtant, à l’égard des parties au principal, le caractère d’un incident soulevé devant la juridiction de renvoi, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens. Les frais exposés pour soumettre des observations à la Cour, autres que ceux desdites parties, ne peuvent faire l’objet d’un remboursement.

 

Par ces motifs, la Cour (neuvième chambre) dit pour droit :

 

1)

L’article 273 de la directive 2006/112/CE du Conseil, du 28 novembre 2006, relative au système commun de taxe sur la valeur ajoutée, et l’article 16 de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne doivent être interprétés en ce sens qu’ils ne s’opposent pas à ce que, lors de l’enregistrement aux fins de la taxe sur la valeur ajoutée d’un assujetti, dont l’administrateur était antérieurement l’administrateur ou l’associé d’une autre personne morale qui n’avait pas respecté ses obligations en matière fiscale, l’administration fiscale impose à cet assujetti la constitution d’une garantie dont le montant peut atteindre 500000 euros, dès lors que la garantie exigée dudit assujetti ne va pas au-delà de ce qui est nécessaire pour atteindre les objectifs visés à cet article 273, ce qu’il appartient à la juridiction de renvoi de vérifier.

 

2)

Le principe d’égalité de traitement doit être interprété en ce sens qu’il ne s’oppose pas à ce que l’administration fiscale exige d’un nouvel assujetti, lors de son enregistrement aux fins de la taxe sur la valeur ajoutée, qu’il constitue, en raison de ses liens avec une autre personne morale ayant des arriérés d’impôts, une telle garantie.

 

Signatures


( *1 ) Langue de procédure : le slovaque.