Conclusions
CONCLUSIONS DE L'AVOCAT GÉNÉRAL
M. F. G. JACOBS
présentées le 30 avril 2002(1)
Affaire C-126/01 Ministre de l'Économie, des Finances et de l'Industrie contre GEMO SA
«»
Introduction
1.
Le présent renvoi de la cour administrative d’appel de Lyon (France) concerne une loi française instaurant un service public
de collecte et d’élimination des cadavres d’animaux et des déchets d’abattoirs, qui est i) obligatoire et gratuit pour ses
principaux bénéficiaires, à savoir les éleveurs et les abattoirs, ii) accompli par des entreprises privées d’équarrissage
dont les services sont rémunérés par l’État aux termes de contrats passés selon des procédures d’adjudication publique, et
iii) financé par une taxe sur les achats de viande frappant principalement les supermarchés revendant de la viande mais pas
les petits détaillants.
2.
On se demande essentiellement si la loi comporte une aide d’État en faveur des éleveurs et des abattoirs qui bénéficient d’un
service gratuit, en faveur des entreprises d’équarrissage sélectionnées et rémunérées par l’État pour ce service et/ou en
faveur des petits détaillants qui ne doivent pas acquitter la taxe sur les achats de viande.
3.
Ces questions s’inscrivent dans une procédure dans laquelle un supermarché revendant de la viande sollicite la restitution
de la taxe sur les achats de viande au motif que le dispositif mis en place par la loi en cause constitue une aide d’État
qui ne pouvait pas être introduite sans avoir été préalablement notifiée à la Commission conformément à l’article 88, paragraphe
3, CE.
4.
Une des importantes questions soulevées dans cette affaire a été récemment examinée par la Cour dans l’arrêt Ferring
(2)
et est actuellement soumise à la Cour dans l’affaire Altmark Trans et Regierungspräsident Magdeburg
(3)
, à savoir si une compensation financière accordée par un État membre à une entreprise accomplissant un service public doit
être assimilée à une aide d’État et, le cas échéant, dans quelles conditions.
Contexte général
5.
Les dispositions nationales en cause concernent l’élimination et la transformation de produits animaux non destinés à la consommation
humaine
(4)
. Ces produits incluent par exemple les carcasses d’animaux d’élevage morts en présentant des symptômes de maladie ou d’animaux
abattus dans des campagnes d’éradication de maladie, d’autres carcasses d’animaux (par exemple celles ramassées après des
accidents de la circulation ou celles d’animaux familiers), les parties d’animaux déclarés impropres à la consommation humaine
ou les parties d’animaux abattus déclarés propres à la consommation humaine mais qui ne sont pas destinées à la consommation
humaine par exemple pour des raisons commerciales.
6.
Les produits animaux non destinés à la consommation humaine peuvent être utilisés de différentes manières. La majorité d’entre
eux est utilisée par l’industrie de la récupération pour fabriquer des aliments pour animaux (par exemple des aliments d’origine
animale destinés aux animaux d’élevage comportant des farines de viande et d’os et des graisses d’équarrissage). Les restes
sont utilisés par exemple pour produire des aliments pour animaux familiers et des produits techniques servant à d’autres
fins que la consommation humaine ou animale (par exemple des cosmétiques, des produits pharmaceutiques, des peaux et cuirs
tannés et traités, de la laine transformée, des plumes).
7.
Avant la crise de l’encéphalopathie spongiforme bovine (ESB), tous les produits animaux non destinés à la consommation humaine
pouvaient être utilisés, quelle qu’en fût l’origine pour produire des aliments pour animaux après avoir reçu un traitement
approprié. On admet largement à présent que, à tout le moins certains produits animaux dangereux provenant par exemple d’animaux
qui n’ont pas été jugés propres à la consommation humaine à la suite d’une inspection vétérinaire, ne devraient pas être recyclés
dans la chaîne alimentaire.
8.
À cette fin on doit donc distinguer les produits animaux devant être exclus de la chaîne alimentaire et ceux qui peuvent continuer
à être utilisés pour produire des aliments pour animaux. Deuxièmement, de nouveaux débouchés doivent être conçus pour ces
produits exclus de la chaîne alimentaire puisque les matières premières qui étaient auparavant transformées sont à présent
considérées comme étant des déchets dangereux devant être éliminés de manière sûre. Troisièmement, il faut décider qui supportera
les frais d’élimination de ce nouveau type de déchet.
9.
Les incidences économiques et environnementales d’un changement de politique en la matière peuvent être illustrées par les
chiffres suivants. En 1998, le secteur européen de l’équarrissage a récolté 16,1 millions de tonnes de produits animaux qu’il
a transformées en 3 millions de tonnes d’aliments pour animaux et en 1,5 million de graisse susceptible d’entrer dans la chaîne
alimentaire et d’être utilisée dans différents produits techniques (cosmétiques, produits pharmaceutiques). Il a représenté
un revenu annuel de plus de 2,2 milliards d’euros pour l’agriculture européenne. 14,3 millions de tonnes de ces produits animaux
provenaient en particulier des abattoirs. 1,8 million de tonnes (plus de 10 % des produits animaux non destinés à la consommation
humaine) consistaient en carcasses ou autres produits condamnés.
Le contexte légal français
10.
Une loi du 31 décembre 1975 obligeait chaque entreprise d’équarrissage à collecter et à éliminer tous les cadavres d’animaux
et les déchets d’abattoirs dans un périmètre géographique donné. Leurs services bénéficiaient en contrepartie d’un monopole
dans ce périmètre géographique. Leur activité était normalement rentable car elles pouvaient transformer toutes les matières
premières ─ y compris celles réputées à présent dangereuses ─ en produits secondaires et en particulier en aliments pour animaux.
La collecte de produits animaux était dès lors accomplie gratuitement en principe. Toutefois, lorsque les entreprises en question
ne pouvaient pas réaliser la collecte et l’élimination dans des conditions économiques satisfaisantes, la loi de 1975 permettait
à l’État de fixer des redevances que les bénéficiaires (principalement les éleveurs et les abattoirs) devaient acquitter en
rémunération des services en question.
11.
La crise de l’ESB a rompu l’équilibre qui existait auparavant dans le secteur. L’emploi de certains produits dangereux a été
interdit dans un premier temps dans certains États membres et dans toute la Communauté ensuite. Le prix des aliments pour
animaux dérivés de produits animaux a dramatiquement chuté. De nombreuses entreprises de récupération ont cessé d’utiliser
des carcasses d’animaux ou des produits condamnés au bénéfice de sous-produits d’abattoirs en considérant que le marché des
aliments pour animaux dérivés des produits condamnés était en train de s’effondrer. Les entreprises d’équarrissage n’avaient
dès lors plus aucun intérêt économique à collecter des cadavres d’animaux dans les élevages ni des produits condamnés dans
les abattoirs.
12.
C’est dans ce contexte que le législateur français a adopté la loi n° 96-1139, du 26 décembre 1996, relative à la collecte
et à l’élimination des cadavres d’animaux et des déchets d’abattoirs et modifiant le code rural
(5)
(ci-après la «loi n° 96-1139») et les deux décrets d’application n° 96-1229, du 27 décembre 1996
(6)
, et n° 97-1005, du 30 octobre 1997
(7)
. La loi et les décrets en question insèrent un certain nombre de dispositions nouvelles dans le code rural
(8)
et une nouvelle disposition dans le code général des impôts
(9)
et contiennent une disposition autonome
(10)
.
Définition et domaine du service public de l'équarrissage
13.
L’article 264 du code rural, tel qu’amendé, établit le service public de l’équarrissage qui est défini comme étant la collecte
et l’élimination des cadavres d’animaux ainsi que celle des viandes et abats saisis à l’abattoir reconnus impropres à la consommation
humaine et animale.
14.
En vertu de l’article 265, paragraphe 1, du code rural, sont obligatoirement tenus de recourir au service public de l’équarrissage:
–
les propriétaires et détenteurs de cadavres d’animaux ou lots de cadavres d’animaux pesant plus de 40 kilos
(11)
;
–
les abattoirs, sans limite de poids, à l’égard de carcasses d’animaux morts avant abattage et de carcasses d’animaux de boucherie
saisies en totalité et reconnues impropres à la consommation.
15.
L’article 271 du code rural exclut du domaine du service public obligatoire de l’équarrissage l’élimination i) des saisies
vétérinaires autres que celles visées à l’article 264 et ii) des déchets
(12)
d’origine animale provenant d’abattoirs ou d’établissements de manipulation ou de préparation de denrées animales ou d’origine
animale. L’élimination de produits animaux couverts par l’article 271 relève de la responsabilité des abattoirs et des établissements
concernés par cette disposition. Sauf s’ils sont eux-mêmes agréés ou enregistrés à cette fin, ils sont tenus d’en confier
le traitement à des établissements agréés ou enregistrés par l’autorité administrative.
16.
Il ressort de ces dispositions et des travaux préparatoires de la loi n° 96-1139 que le service public de l’équarrissage obligatoire
a été conçu pour couvrir approximativement 10 % des produits animaux non destinés à la consommation humaine considérés comme
étant dangereux (cadavres et autres produits condamnés). En revanche, l’élimination et la transformation ultérieure des 90
% restant (en particulier les sous-produits d’animaux abattus non destinés à l’alimentation humaine) sont laissées aux abattoirs
et aux établissements concernés et donc au marché libre.
Accomplissement du service public de l'équarrissage
17.
Le service public de l’équarrissage relève en principe de la compétence de l’État
(13)
. Pour accomplir le service public de l’équarrissage, l’État passe ─ en respectant les règles générales de passation des marchés
publics ─ des contrats de service public d’une durée maximale de cinq années avec des entreprises spécialisées dans l’équarrissage
(14)
. Ces contrats peuvent être passés sur le plan d’un département ou de plusieurs départements regroupés ou même, exceptionnellement,
sur le plan national.
18.
Les entreprises d’équarrissage chargées du service public doivent fournir gratuitement leurs services de collecte et d’élimination
aux bénéficiaires (principalement des éleveurs et des abattoirs) et sont rémunérées exclusivement par l’État
(15)
.
Le financement du service public de l'équarrissage
19.
Pour garantir le financement du service public de l’équarrissage, la loi n° 96-1139 a inséré l’article 302 bis ZD dans le
code général des impôts.
20.
Cet article instaure, avec effet au 1 er janvier 1997, une taxe due en principe par toute personne qui réalise des ventes au détail de viandes. Les entreprises dont
le chiffre d’affaires annuel est inférieur à 2 500 000 FRF ou dont le montant des achats mensuels est inférieur à 20 000 FRF
hors taxe sur la valeur ajoutée sont exonérées de la taxe.
21.
La taxe est assise sur la valeur des achats de viande du revendeur.
22.
Le taux de la taxe, qui doit être fixé conjointement par les ministres chargés de l’économie et du budget et par le ministre
de l’Agriculture, ne peut pas dépasser 0,6 % sur la première tranche d’achats mensuels hors taxe sur la valeur ajoutée allant
jusqu’à 125 000 FRF et 1 % au-delà de 125 000 FRF.
23.
La taxe est constatée, recouvrée et contrôlée selon les mêmes procédures et sous les mêmes sanctions, garanties et privilèges
que la taxe sur la valeur ajoutée.
24.
L’article 1 er - B de la loi n° 96-1139 établit le lien entre la taxe régie par le code général des impôts et le service public de l’équarrissage
régi par le code rural. Aux termes de cette disposition, le produit de la taxe est affecté à un fonds ayant pour objet de
financer la collecte et l’élimination des cadavres d’animaux et des saisies d’abattoirs reconnus impropres à la consommation
humaine et animale.
25.
La Cour a été avisée de ce que la Commission avait demandé à la République française de mettre fin aux effets discriminatoires
de la taxe sur les achats de viande. Dans un avis motivé (la deuxième phase de la procédure en manquement au titre de l’article
226 CE) d’octobre 2000, la Commission a indiqué que, selon elle, la taxe sur les achats de viande est une mesure fiscale discriminatoire
incompatible avec l’article 90 CE en ce qu’elle s’appliquait aux viandes importées alors que seuls les producteurs de viandes
françaises bénéficiaient du service public de l’équarrissage
(16)
.
La procédure au principal et l'arrêt de renvoi
26.
La société anonyme Grande Épicerie moderne Olive, en abrégé GEMO SA (ci-après «GEMO»), gère à Venarey-les-Laumes (Côte-d’Or)
une moyenne surface qui comprend un rayon de boucherie.
27.
Par jugement du 25 mai 2000, le tribunal administratif de Dijon a accordé à GEMO la restitution de la taxe sur les achats
de viande qu’elle avait acquittée entre le 1 er janvier 1997 et le 31 août 1998 pour un montant de 106 178 FRF (environ 16 200 euros). Le tribunal a estimé que le dispositif
mis en place par la loi n° 96-1139 constituait premièrement une aide d’État au sens de l’article 87 CE qui ne pouvait pas
être instaurée sans notification préalable à la Commission au titre de l’article 88, paragraphe 3, CE et était, deuxièmement,
incompatible avec l’article 90 CE qui interdit les taxes discriminatoires.
28.
En appel, le ministre de l’Économie, des Finances et de l’Industrie (ci-après le «ministre») a sollicité la cour administrative
d’appel de Lyon d’annuler le jugement et d’imposer à nouveau la taxe en cause à GEMO.
29.
Devant cette même cour, GEMO soutient en substance, premièrement, que le dispositif en cause constitue une aide d’État en
faveur des éleveurs en ce qu’il épargne à la chaîne alimentaire un coût inhérent à son activité et soutient dès lors la commercialisation
dans d’autres États membres, à un prix inférieur, de la viande produite en France. Cette aide d’État n’aurait pas dû être
instaurée sans notification. Deuxièmement, la taxe a un effet équivalent à un droit de douane en ce que les viandes importées
d’autres États membres (dont les coûts de production incluent ceux de l’élimination des carcasses) doivent supporter la charge
économique de la taxe sur des achats de viande alors que la charge économique pesant apparemment sur la viande produite en
France est annulée par l’avantage de bénéficier gratuitement du service public de l’équarrissage. Troisièmement, la portée
générale du champ d’application de la taxe en cause et son taux proportionnel l’apparentent à une taxe sur le chiffre d’affaires
introduite au mépris des règles communautaires régissant la taxe sur la valeur ajoutée.
30.
Le ministre soutient en substance que la taxe n’a pas pour effet d’attribuer des aides aux entreprises d’équarrissage, ni
aux éleveurs et exploitants d’abattoirs nationaux et pouvait donc être instaurée sans notification préalable. Cela parce que
les sommes versées par l’État aux entreprises d’équarrissage correspondent aux prix des prestations réalisées, que cette taxe
a pour objet de financer un service public dans un but de sécurité sanitaire, qu’elle assure le maintien d’un système d’enlèvement
gratuit des cadavres chez les éleveurs et qu’elle n’a pas modifié les conditions de concurrence. De surcroît, la taxe n’a
pas d’effet équivalant à un droit de douane et est aussi compatible avec les règles communautaires régissant la taxe sur la
valeur ajoutée.
31.
La juridiction de renvoi rappelle que la validité des actes des autorités nationales est affectée par la méconnaissance de
l’obligation, que leur impose l’article 88, paragraphe 3, CE, de ne pas mettre à exécution des projets tendant à modifier
ou à instituer des aides qu’elles n’auraient pas préalablement notifiées à la Commission
(17)
. Elle considère que le dispositif issu de la loi n° 96-1139 ne peut pas être regardé comme une aide aux entreprises d’équarrissage
dès lors que la rémunération qui leur est servie par l’État représente le prix des prestations qu’elles effectuent. Toutefois,
le service public de l’équarrissage assure gratuitement pour les éleveurs la collecte et l’élimination des déchets qu’ils
produisent. Il pourrait ainsi être regardé comme susceptible de soulager une filière de production d’une charge qui lui incomberait
normalement. De surcroît, le projet d’instaurer la taxe sur les achats de viande n’a pas été notifié en son temps à la Commission.
32.
Par ces motifs, la cour administrative d’appel de Lyon a posé à la Cour la question préjudicielle suivante :«La taxe sur les
achats de viande prévue à l’article 302 bis ZD du code général des impôts s’insère-t-elle dans un dispositif pouvant être
regardé comme une aide au sens de l’article 92 du traité du 25 mars 1957 instituant la Communauté européenne (devenu l’article
87 CE) ?»
33.
Des observations écrites ont été déposées par GEMO, le gouvernement français et la Commission. Toutes les parties qui avaient
déposé des observations écrites ainsi que le gouvernement du Royaume-Uni étaient représentés à l’audience.
34.
GEMO affirme que la compatibilité de la taxe en cause avec les règles communautaires relatives aux aides d’État et avec l’interdiction
des taxes discriminatoires figurant à l’article 90 CE a été contestée dans différentes autres procédures en France.
Recevabilité
35.
Le gouvernement français conteste la recevabilité du renvoi en invoquant les arrêts EKW et Wein & Co
(18)
, Idéal Tourisme
(19)
et Banks
(20)
dans lesquels la Cour a déterminé en substance que les redevables d’une contribution obligatoire (par exemple un droit ou
une taxe) ne sauraient exciper de ce que l’exonération dont bénéficient d’autres personnes constitue une aide d’État (non
notifiée) pour se soustraire au paiement de ladite contribution. Dans les arrêts EKW et Wein & Co et Idéal Tourisme, la Cour
a dès lors estimé qu’il n’était pas nécessaire de déterminer si la mesure constituait une aide d’État dès lors que cette question
n’avait «aucun rapport» avec le litige au principal
(21)
. Selon le gouvernement français, il découle de cette jurisprudence que, même si le régime mis en place par la loi n° 96-1139
devait être qualifié d’aide d’État, la juridiction de renvoi pourrait tout au plus ordonner la récupération de cette aide,
mais elle ne pourrait pas accorder à GEMO la restitution de la taxe. Dans son esprit, la question de la qualification de la
mesure d’aide d’État n’intéresse dès lors pas la procédure au principal.
36.
Même si elle semble séduisante, cette argumentation ne me convainc pas.
37.
En ce qui concerne tout d’abord la prémisse voulant que le droit communautaire empêche la juridiction de renvoi d’accorder
la restitution de la taxe, la présente affaire diffère sur un point essentiel des trois affaires invoquées par le gouvernement
français : l’argument principal de GEMO n’est pas que l’exonération des petits détaillants constitue une aide, mais bien que
la taxe en cause est le volet financier d’un dispositif plus large d’aide d’État en faveur des éleveurs et des abattoirs français
et en faveur des entreprises d’équarrissage. Dans de nombreuses affaires mettant en cause la compatibilité avec le droit communautaire
de charges parafiscales perçues par un État membre, portées devant des juridictions par des demandeurs ne voulant pas acquitter
ces charges, la Cour n’a pas hésité à répondre à des questions intéressant la qualification des mesures d’aide d’État
(22)
.
38.
De surcroît, j’avoue trouver problématiques les arrêts invoqués par le gouvernement français, et en particulier l’arrêt Banks.
39.
C’est essentiellement parce que je ne parviens pas à apercevoir dans le droit communautaire de fondement interdisant à un
ordre juridique interne d’accorder ce type d’action en cas de méconnaissance des obligations de notifier un projet d’aide
et de ne pas le mettre à exécution avant que la Commission ait rendu une décision finale, inscrites à la première et à la
dernière phrase de l’article 88, paragraphe 3, CE. Il ressort au contraire de différents arrêts de référence de la Cour que
l’action n’est pas seulement envisageable mais qu’elle peut même parfois être imposée par le droit communautaire pour assurer
l’effectivité de l’interdiction énoncée dans la dernière phrase de l’article 88, paragraphe 3, CE.
40.
Aux termes de la première phrase de l’article 88, paragraphe 3, CE «la Commission est informée, en temps utile pour présenter
ses observations, des projets tendant à instituer ou à modifier des aides». Aux termes de sa dernière phrase, «l’État membre
intéressé ne peut mettre à exécution les mesures projetées, avant que cette procédure ait abouti à une décision finale».
41.
Dans l’arrêt Lorenz, la juridiction de renvoi avait demandé si une loi adoptée en violation des obligations énoncées à l’article
88, paragraphe 3, CE était nonvalide. La Cour a indiqué que, si l’effet direct de l’interdiction en cause oblige les juridictions
nationales à l’appliquer, sans que puissent lui être opposées des règles de droit national, quelles qu’elles soient, il appartient
à l’ordre juridique interne de chaque État membre de déterminer le procédé juridique aboutissant à ce résultat
(23)
.
42.
Dans l’arrêt Fédération nationale du commerce extérieur des produits alimenatires et syndicat national des négociateurs et
transformateurs de saumon, une affaire très comparable à la présente affaire
(24)
, la Cour était saisie de la même question que dans l’affaire Lorenz. La Cour a été plus explicite ici et a indiqué que «la
dernière phrase de l’article [88, paragraphe 3, CE] doit être interprétée en ce sens qu’elle impose aux autorités des États
membres une obligation dont la méconnaissance affecte la validité des actes comportant mise à exécution de mesures d’aides
(...)»
(25)
. La Cour a aussi indiqué que les «juridictions nationales doivent garantir aux justiciables qui sont en mesure de se prévaloir
d’une telle méconnaissance que toutes les conséquences en seront tirées, conformément à leur droit national, tant en ce qui
concerne la validité des actes comportant mise à exécution des mesures d’aide, que le recouvrement des soutiens financiers
accordés au mépris de cette disposition ou d’éventuelles mesures provisoires»
(26)
.
43.
Il découle de cette jurisprudence que l’une des différentes conséquences de la méconnaissance de la dernière phrase de l’article
88, paragraphe 3, CE est la non-validité des actes de mise à exécution de l’aide et que la sanction de la non-validité est
tout aussi importante que par exemple la sanction du recouvrement de l’aide.
44.
Compte tenu du principe de l’autonomie procédurale, c’est à mon sens à l’ordre juridique interne qu’il appartient de déterminer
précisément les mesures internes qui sont affectées par la non-validité et les conséquences que la non-validité a par exemple
sur la restitution de taxes perçues au titre des mesures concernées. Les seules limites à cette autonomie sont les principes
d’équivalence et d’effectivité.
45.
Il me semble qu’une juridiction interne qui souhaite ordonner au titre de son droit interne la restitution de taxes perçues
en application d’une loi adoptée au mépris de l’article 88, paragraphe 3, CE n’enfreint aucun de ces principes mais contribue
à l’effectivité du droit communautaire.
46.
S’agissant, deuxièmement, de l’allégation voulant que la réponse à la question n’intéresse manifestement pas la procédure
au principal, on doit rappeler qu’il appartient au seul juge national d’apprécier tant la nécessité d’une décision préjudicielle
que la pertinence des questions qu’il pose à la Cour. Ce n’est que lorsqu’il apparaît de manière manifeste que l’interprétation
du droit communautaire sollicitée n’a aucun rapport avec la réalité ou l’objet du litige au principal que la Cour peut refuser
de statuer
(27)
. Même s’il était exact que le droit communautaire exclut la restitution de la taxe perçue dans le but illégal de financer
une aide qui n’a pas été notifiée, la question adressée pourrait toujours intéresser la procédure au principal par exemple
pour statuer sur des indemnisations. Il serait dès lors contraire au principe de coopération loyale entre les juridictions
nationales et la Cour de justice de déclarer que la question posée est
manifestement dénuée de pertinence.
47.
L’arrêt Ferring
(28)
, qui a été rendu après les arrêts EKW et Wein & Co, Idéal Tourisme et Banks, conforte mon analyse. Dans l’affaire Ferring,
le gouvernement français avait contesté la recevabilité du renvoi par des arguments identiques à ceux qu’il développe ici.
Dans ses conclusions, l’avocat général Tizzano a rejeté ces arguments pour des raisons comparables à celles exposées ci-dessus
(29)
. Dans son arrêt, la Cour n’a même pas mentionné l’objection soulevée par le gouvernement français et l’on peut dès lors considérer
qu’elle a suivi l’argumentation de l’avocat général.
48.
Le renvoi est dès lors recevable.
Qualification du dispositif d'aide d'État
49.
L’article 87, paragraphe 1, CE définit les aides d’État comme étant «(...) dans la mesure où elles affectent les échanges
entre États membres, les aides accordées par les États ou au moyen de ressources d’État sous quelque forme que ce soit qui
faussent ou qui menacent de fausser la concurrence en favorisant certaines entreprises ou certaines productions».
50.
Il convient de souligner préalablement qu’il faut examiner la présente affaire en ayant toujours à l’esprit qu’il ne s’agit
pas de rechercher si la loi n° 96-1139 est compatible avec les règles du traité relatives aux aides d’État. La détermination
de la compatibilité d’aides avec le marché commun relève de la compétence exclusive de la Commission qu’elle exerce sous le
contrôle du juge communautaire. Même si la loi n° 96-1139 constitue une aide d’État, elle est toujours susceptible d’être
autorisée. On relèvera à cet égard que la Commission a récemment autorisé des aides liées à l’ESB en Belgique et en Allemagne,
qui concernaient notamment les frais de tests de détection de l’ESB et d’élimination de sous-produits à risque
(30)
.
51.
Ce n’est donc que le champ d’application du régime de contrôle des aides d’État qui nous intéresse ici. En d’autres mots,
une mesure comme la loi n° 96-1139 échappe-t-elle totalement aux règles sur les aides d’État ou un État membre qui souhaite
adopter ce type de mesure est-il obligé de suivre la procédure de l’article 88 CE en la notifiant obligatoirement et en s’abstenant
de la mettre à exécution avant que cette procédure ait abouti à une décision finale?
52.
Deuxièmement, il convient de clarifier l’étendue de la question posée. Le gouvernement français maintient que la juridiction
de renvoi souhaite seulement savoir si la loi en cause comporte une aide d’État en faveur des éleveurs et des abattoirs. La
Commission en revanche se demande s’il y a une aide d’État en faveur des éleveurs et des abattoirs (qui bénéficient d’un service
gratuit), des entreprises d’équarrissage (dont les services sont rémunérés), des petits détaillants en viande (qui sont exonérés
de la taxe sur les achats de viande), des grossistes en viande (qui sont eux aussi exonérés de la taxe) et/ou des hôtels et
autres clients des grossistes en viande (qui bénéficient indirectement de l’exonération des grossistes en viande).
53.
La juridiction de renvoi indique il est vrai que selon elle le dispositif en cause ne saurait être regardé comme étant une
aide d’État en faveur des entreprises d’équarrissage. Elle a néanmoins décidé de demander si la taxe sur les achats de viande
en cause s’insère dans un dispositif pouvant être regardé comme une aide sans indiquer quels pourraient en être selon elle
les bénéficiaires potentiels. Compte tenu des arguments développés et en vue de donner une réponse utile je vais donc examiner
s’il y a une aide d’État en faveur i) des éleveurs et des abattoirs, ii) des entreprises d’équarrissage et iii) des petits
détaillants. En revanche je ne vais pas aborder l’aide qui serait faite en faveur des grossistes et de leurs clients dès lors
que cet aspect n’a été soulevé que par la Commission.
54.
Troisièmement, les observations écrites et orales se sont concentrées sur les trois questions consistant à rechercher si la
loi en cause accorde des
avantages économiques au sens de l’article 87, paragraphe 1, CE en faveur de
certaines entreprises ou de certaines productions qui
faussent la concurrence et affectent les échanges entre États membres . Toutes les observations déposées admettent en revanche que les avantages en question sont «accordés par un État membre
ou au moyen de ressources d’État». Il est en effet de jurisprudence constante que, lorsque les fonds affectés à une mesure
sont alimentés par des contributions obligatoires (par exemple des charges parafiscales) et répartis conformément à la législation
de l’État, il y a lieu de les considérer comme des ressources d’État même s’ils sont collectés et administrés par des institutions
distinctes de l’autorité publique
(31)
.
Aide d'État en faveur des éleveurs et des abattoirs
55.
Il faut tout d’abord se demander si la fourniture gratuite aux éleveurs et aux abattoirs du service public de la collecte
et de l’élimination obligatoires des déchets animaux dangereux constitue une aide d’État.
56.
GEMO et la Commission soutiennent en substance, premièrement, que la fourniture gratuite de ce service d’élimination des déchets
libère les éleveurs et les abattoirs de charges leur incombant normalement au titre du principe du pollueur-payeur. Le service
constitue dès lors un avantage économique relevant de l’article 87, paragraphe 1, CE. Deuxièmement, le service en question
favorise «certaines entreprises ou certaines productions» au sens de l’article 87, paragraphe 1, CE en ce qu’il vise à bénéficier
principalement aux éleveurs et aux abattoirs français. Troisièmement, il affecte les échanges entre États membres et fausse
la concurrence en favorisant les exportations françaises de viande et en désavantageant les importations de viande d’autres
États membres.
57.
Le gouvernement français répond en substance que la fourniture gratuite du service d’élimination des déchets animaux en question
ne constitue pas un avantage au sens des règles sur les aides d’État parce qu’elle poursuit un objectif de santé publique
et parce que le service a toujours été fourni gratuitement. Il est donc erroné de supposer que les frais d’élimination de
déchets animaux incombent normalement aux éleveurs et aux abattoirs. Deuxièmement, le service en cause est une mesure générale
qui ne bénéficie pas seulement aux éleveurs et aux abattoirs français, mais aussi à d’autres détenteurs de produits animaux
non destinés à la consommation humaine. Troisièmement, il n’y a pas d’effet négatif sur les échanges entre États membres dès
lors qu’entre 1996 et 2000 les autres États membres n’avaient pas de politique comparable d’élimination des produits animaux
à haut risque.
– Avantage économique au sens de l’article 87, paragraphe 1, CE
58.
On rappellera que la mesure française en cause oblige les entreprises d’équarrissage chargées du service public de l’élimination
des cadavres à fournir gratuitement leurs services de collecte et d’élimination et à être exclusivement rémunérées par l’État.
59.
L’article 87, paragraphe 1, CE s’applique expressément à toute aide «sous quelque forme que ce soit». Selon une jurisprudence
constante, la notion d’aide recouvre dès lors non seulement des prestations positives telles que des subventions, mais également
des interventions qui, sous des formes diverses, allègent les charges qui grèvent normalement le budget d’une entreprise et
qui, par là, sans être des subventions au sens strict du mot, sont de même nature et ont des effets identiques
(32)
.
60.
Compte tenu de cette jurisprudence, j’estime, premièrement, que la fourniture gratuite d’un service peut constituer une aide
d’État. Dans l’arrêt Van der Kooy e.a./Commission, la Cour a qualifié d’aide d’État la fourniture de gaz à un tarif préférentiel
(33)
. Dans l’arrêt SFEI e.a., la Cour a considéré la fourniture d’une assistance logistique et commerciale par la Poste à la SFMI
et à Chronopost comme étant une aide d’État si la rémunération perçue en contrepartie est inférieure à celle qui aurait été
réclamée dans des conditions normales de marché
(34)
. La Cour a ainsi établi que la fourniture de biens ou de services dans des conditions préférentielles est susceptible de
constituer une aide d’État. La fourniture totalement gratuite d’un service est a fortiori susceptible de constituer une aide
d’État.
61.
Deuxièmement, le fait que le gouvernement français ne fournisse pas lui-même le service en cause mais charge des entreprises
d’équarrissage privées de les fournir n’exclut pas de qualifier le service d’aide d’État.
62.
Il est de jurisprudence constante qu’une aide d’État peut être accordée indirectement par des organismes privés tiers
(35)
pour autant que la mesure accordant l’aide soit imputable à l’État et financée au moyen de ressources d’État
(36)
. La Cour l’a réaffirmé récemment dans l’arrêt Allemagne/Commission
(37)
qui concernait une déduction fiscale en faveur d’investisseurs qui acquéraient des parts dans des sociétés d’Allemagne de
l’Est. En tant que mesure générale applicable sans distinction à tous les opérateurs économiques, la déduction fiscale ne
constituait pas une aide aux investisseurs
(38)
. Elle conférait toutefois indirectement un avantage aux entreprises situées dans les nouveaux Länder
(39)
.
63.
En l’espèce, l’intervention du gouvernement français en faveur des bénéficiaires du service en question est moins indirecte:
les entreprises privées chargées du service de collecte et d’élimination en question ne sont pas simplement encouragées par
un incitant fiscal à agir en faveur des bénéficiaires visés par la mesure, mais elles sont obligées de fournir leurs services
dans les termes des contrats de service public conclus avec l’État.
64.
Troisièmement, la fourniture gratuite d’un service de collecte et d’élimination de déchets animaux dangereux libère les éleveurs
et les abattoirs français d’une charge économique leur incombant normalement au titre du principe du pollueur-payeur.
65.
Aux termes de l’article 2 CE, la Communauté a pour mission de promouvoir un niveau élevé de protection et d’amélioration de
la qualité de l’environnement. Aux termes de l’article 6 CE, les exigences de la protection de l’environnement doivent être
intégrées dans la définition et la mise en oeuvre des politiques et actions de la Communauté. Aux termes de l’article 174,
paragraphe 2, CE, la politique de la Communauté dans le domaine de l’environnement est fondée notamment sur le principe du
pollueur-payeur.
66.
Le principe du pollueur-payeur a son origine dans la théorie économique et a été conçu pour résoudre un dysfonctionnement
du marché: la pollution est peut-être le meilleur exemple de ce que les économistes appellent une externalité négative, c’est
une perte (normalement pour la société) qui n’est pas intégrée dans le prix. En l’absence d’intervention de l’État un producteur
de produits chimiques qui pollue l’air ne paye pas pour cette pollution. Il peut dès lors en ignorer les coûts pour la société
lorsqu’il fixe la quantité à produire et le prix auquel il vend ses produits. Conformément au principe du pollueur-payeur,
les coûts des mesures de lutte contre la pollution ne devraient pas être supportés par la société au travers de la fiscalité,
mais bien par le pollueur qui cause la pollution. Les coûts liés à la protection de l’environnement devraient être inclus
dans les coûts de production de l’entreprise (internalisation des coûts). Le principe peut être mis en oeuvre par différentes
mesures prises par l’État telles que des taxes sur la pollution ou des règles de responsabilité.
67.
Le principe de pollueur-payeur a été inséré dans le traité CEE en 1987 alors qu’il avait déjà été évoqué sur le plan communautaire
depuis 1973
(40)
. Sa formulation à l’article 174, paragraphe 2, CE est laconique et varie considérablement dans les différentes versions linguistiques
du traité
(41)
. Le traité l’évoque simplement comme «principe» sur lequel la politique communautaire de l’environnement est «fondée».
Sa signification précise et ses effets juridiques ne sont dès lors pas parfaitement clairs. Dans un arrêt récent, la Cour
n’a pas adopté une position ferme sur ses effets légaux dans une affaire où il était invoqué à l’appui d’un moyen mettant
en cause la validité d’un acte communautaire de portée générale
(42)
.
68.
Dans l’attitude qu’elle adopte à l’égard des aides d’État, la Commission recourt au principe du pollueur-payeur à deux fins
distinctes, à savoir a) pour déterminer si une mesure constitue une aide d’État au sens de l’article 87, paragraphe 1, CE
et b) pour décider si une aide accordée peut être déclarée compatible avec le traité au titre de l’article 87, paragraphe
3, CE.
69.
Dans le premier contexte, celui de l’article 87, paragraphe 1, CE, elle recourt au principe comme instrument d’analyse pour
imputer en fonction de critères économiques la responsabilité des coûts engendrés par la pollution en question. Une mesure
donnée constituera une aide d’État lorsqu’elle libère ceux auxquels le principe du pollueur-payeur impute la responsabilité
de supporter en premier lieu les frais
(43)
.
70.
Dans le deuxième contexte, celui de l’article 87, paragraphe 3, CE, elle recourt en revanche au principe du pollueur-payeur
sous un mode prescriptif comme critère politique. Il est invoqué pour indiquer que, si l’on veut une politique cohérente d’environnement
et d’aides d’État, les coûts de protection de l’environnement
doivent en définitive être supportés par les pollueurs eux-mêmes plutôt que par l’État
(44)
.
71.
Le rôle du principe du pollueur-payeur en tant que prescription politique de base dans l’analyse de la compatibilité d’aide
environnementale au titre de l’article 87, paragraphe 3, CE a parfois été contesté
(45)
. À mon sens, il ne saurait toutefois y avoir d’objection sérieuse à y recourir comme instrument d’analyse pour déterminer
à qui incombent les coûts en vue d’établir si une mesure donnée constitue une aide d’État au sens de l’article 87, paragraphe
1, CE.
72.
En matière d’élimination de déchets, le principe du pollueur-payeur impose de faire supporter le coût de l’élimination des
déchets par le détenteur des déchets et/ou le producteur du produit générateur de déchets
(46)
. D’un point de vue économique, il ne saurait dès lors faire de doute que le coût de l’élimination de produits animaux dangereux
incombe aux éleveurs, abattoirs et autres personnes qui les produisent et les détiennent. Une mesure étatique qui libère ces
opérateurs de ce coût doit dès lors être considérée comme étant un avantage économique susceptible de constituer une aide
d’État. La fourniture gratuite du service d’élimination des déchets en cause a en pratique les mêmes effets qu’une subvention
directe visant à indemniser les entreprises des frais qu’elles exposent pour éliminer leurs déchets.
73.
Le premier argument que le gouvernement français y oppose en soutenant que la mesure en cause poursuit un objectif de santé
publique ne saurait être accepté. Il est de jurisprudence constante que la notion d’aide d’État est une notion objective.
L’article 87, paragraphe 1, CE ne distingue pas entre les mesures d’intervention de l’État en fonction de leurs causes ou
de leurs buts mais les définit en fonction de leurs effets. Les buts d’une mesure ne doivent pas être pris en compte pour
la qualifier d’aide, mais seulement pour déterminer sa compatibilité avec le marché commun au titre de l’article 87, paragraphes
2 et 3, CE. Il se peut que l’État ait en l’espèce des raisons valables de mettre en place un service public gratuit d’élimination
des cadavres par exemple pour éviter que les éleveurs incinèrent des déchets animaux dangereux dans leurs exploitations. Ces
raisons n’ont toutefois pas d’incidence sur la qualification de la mesure d’aide d’État.
74.
La deuxième objection que le gouvernement français tire du fait que le principe du pollueur-payeur ne joue pas dans des circonstances
exceptionnelles comme celles dues à la crise de l’ESB doit elle aussi être rejetée. Les effets juridiques de la loi en cause
n’étant pas limités dans le temps, elle vise apparemment à s’attaquer non pas à une crise à court terme, mais à un problème
à long terme, à savoir l’élimination sûre de produits animaux dangereux. Quoi qu’il en soit, il découle indirectement de l’article
87, paragraphe 2, sous b), CE que même l’assistance économique accordée pour remédier aux dommages causés par les calamités
naturelles ou par d’autres événements extraordinaires peut constituer une aide d’État au sens de l’article 87, paragraphe
1, CE.
75.
La troisième et dernière objection du gouvernement français voulant que le service de collecte et d’élimination ait toujours
été fourni gratuitement et que son coût n’incombe dès lors normalement pas aux éleveurs ni aux abattoirs ne peut pas être
davantage admise.
76.
On doit rappeler tout d’abord que, dans le régime qui était auparavant en vigueur en France, le service n’était fourni gratuitement
que lorsque les entreprises d’équarrissage pouvaient effectuer la collecte et l’élimination «dans des conditions économiques
satisfaisantes». Lorsque tel n’était pas le cas, la loi permettait à l’État de fixer des redevances que les bénéficiaires
devaient verser en rémunération des services en question
(47)
.
77.
En tout état de cause, même si le service en question a pratiquement toujours été fourni gratuitement sous le régime réglementaire
antérieur, le coût de l’élimination des déchets animaux est, à mon sens ,
normalement inclus dans le budget des éleveurs et des abattoirs au sens de la jurisprudence de la Cour. «Normalement» dans ce contexte
signifie «dans les conditions normales du marché»
(48)
. Dans les conditions normales du marché, c’est-à-dire dans les conditions d’un marché sans intervention de l’État ou dysfonctionnements,
les entreprises doivent supporter le coût de l’élimination des déchets qu’elles produisent. Le fait qu’un État membre ait
interféré dans le passé sur ces conditions normales du marché pour libérer des entreprises de coûts analogues ne peut dès
lors pas avoir pour conséquence que les interférences ultérieures dans les conditions normales du marché échappent aux règles
sur les aides.
78.
Par ces motifs, la fourniture gratuite du service public d’élimination des cadavres constitue un avantage économique susceptible
de constituer une aide d’État aux entreprises bénéficiant de ce service.
– Spécificité de la mesure
79.
Une mesure ne relèvera pas de l’article 87, paragraphe 1, CE si elle ne favorise pas «certaines entreprises ou certaines
productions» plutôt que d’être une mesure générale.
80.
Le gouvernement français maintient qu’en l’espèce la condition de la spécificité n’est pas remplie dès lors que le service
public d’élimination des cadavres bénéficie non seulement aux éleveurs et aux abattoirs, mais aussi aux zoos, aux propriétaires
d’animaux familiers et aux autorités chargées d’enlever les cadavres d’animaux sur le domaine public; le service peut aussi
bénéficier à des éleveurs d’autres États membres, par exemple lorsque leurs animaux meurent lors de leur transit en France
ou dans des abattoirs français avant d’être abattus.
81.
On rappellera que la loi n° 96-1139 indique comme bénéficiaires du service public d’élimination des cadavres a) les propriétaires
et les détenteurs de cadavres d’animaux ou de lots de cadavres d’animaux pesant plus de 40 kilogrammes et b) les abattoirs.
82.
Il est donc vrai qu’aux termes de la loi la première catégorie de bénéficiaires est définie selon des critères objectifs et
apparemment généraux. Il est aussi vrai que ces critères permettraient à d’autres ─ par exemple aux zoos ─ de bénéficier du
service. Mais la limite des 40 kilogrammes a pour effet d’exclure la plupart des propriétaires d’animaux familiers du domaine
du service public en question et le fait que certaines entreprises comme les zoos ou les éleveurs étrangers ou certaines autorités
publiques puissent aussi bénéficier occasionnellement de la mesure ne saurait à mon sens ébranler la conclusion que la loi
s’applique essentiellement aux éleveurs et aux abattoirs français
(49)
. De surcroît, aux termes des travaux préparatoires produits devant la Cour, la préoccupation centrale des auteurs de la loi
a été de libérer les éleveurs et les abattoirs du coût de l’élimination des produits animaux. L’insertion de ses dispositions
dans le code rural montre elle aussi que la loi visait en fait essentiellement à bénéficier aux éleveurs et aux abattoirs.
83.
Je suis dès lors convaincu que la mesure favorise essentiellement deux catégories spécifiques d’entreprises, à savoir les
éleveurs et les abattoirs français, et donc «certaines entreprises» au sens de l’article 87, paragraphe 1, CE.
– La concurrence est faussée et les échanges entre États membres sont affectés
84.
J’approuve GEMO et la Commission lorsqu’elles indiquent que la fourniture gratuite du service de collecte et d’élimination
fausse la concurrence et affecte les échanges entre États membres au sens de l’article 87, paragraphe 1, CE. La fourniture
gratuite de ce service réduit le prix des exportations françaises de viandes dans les autres États membres en libérant le
secteur de l’exportation de viandes de coûts lui incombant normalement. Inversement, les importations de viandes en provenance
d’autres États membres, qui sont grevées des coûts de l’élimination de produits animaux dangereux dans leur État d’origine,
sont rendues plus difficiles: du fait de la taxe sur les achats de viande au stade du revendeur, ces importations de viandes
doivent contribuer au financement de l’élimination des déchets produits par leurs concurrents français.
85.
À cet égard, je ne puis admettre l’argument du gouvernement français selon lequel entre 1996 et 2000 pratiquement aucun autre
pays n’avait de politique comparable d’élimination des produits animaux dangereux en sorte que les échanges entre États membres
ne sauraient être affectés puisqu’il n’y avait pas de coûts comparables d’élimination des déchets dans les autres États membres.
Le gouvernement français admet lui-même qu’une telle politique existait au Royaume-Uni. Cela signifie que les exportations
françaises de viandes, du moins dans cet État membre, ont bénéficié durant cette période d’un net avantage compétitif. En
tout état de cause, le gouvernement français n’a produit aucune preuve établissant que dans d’autres États membres les éleveurs
et les abattoirs ne devaient pas payer l’élimination des produits animaux dangereux qu’ils produisaient.
86.
Par ces motifs, je conclus qu’une mesure comme la loi n° 96-1139 constitue une aide d’État en faveur des éleveurs et des abattoirs.
Aide d’État en faveur des entreprises d’équarrissage
87.
Le deuxième aspect de fond du présent cas d’espèce est de savoir si les payements faits par l’État aux entreprises d’équarrissage
pour la mise en oeuvre du service public d’élimination des cadavres constituent une aide d’État à ces entreprises au sens
de l’article 87, paragraphe 1, CE.
88.
Cet aspect soulève des questions importantes et complexes sur l’examen correct à faire au titre des articles 87, paragraphe
1, CE et 86, paragraphe 2, CE du financement étatique de services d’intérêt général. L’importance de ces questions est illustrée
par les tentatives faites récemment au plus haut niveau politique pour assurer une plus grande prévisibilité et une sécurité
juridique accrue dans l’application des règles sur les aides d’État à ce type de financement
(50)
.
89.
Toutefois, si la Cour admet que la loi n° 96-1139 comporte une aide d’État en faveur des éleveurs et des abattoirs, il ne
sera pas nécessaire pour la juridiction de renvoi que la Cour statue sur le deuxième aspect: la mesure constitue en tout état
de cause une aide d’État. De surcroît, dans l’affaire Altmark Trans et Regierungspräsidium Magdeburg
(51)
, actuellement pendante, la formation plénière de la Cour pourrait avoir l’occasion de clarifier la question avant qu’un arrêt
intervienne en l’espèce.
90.
C’est la raison pour laquelle je vais aborder de manière moins exhaustive qu’il ne le faudrait l’examen exact du financement
étatique de services d’intérêt général, un aspect qui a déjà été évoqué par l’avocat général Tizzano dans les conclusions
qu’il a présentées dans l’affaire Ferring
(52)
et par l’avocat général Léger dans les conclusions qu’il a présentées dans l’affaire Altmark Trans et Regierungspräsidium
Magdeburg
(53)
. Je ne vais pas non plus examiner si l’article 86, paragraphe 2, CE a un effet direct dans le contexte de l’application des
règles relatives aux aides d’État et dans quelle mesure il a une incidence sur les obligations procédurales des États membres
au titre de l’article 88, paragraphe 3, CE
(54)
dès lors que dans la solution que je vais proposer ci-dessus ces questions importantes ne doivent pas être résolues en l’espèce.
– Contexte
91.
L’énoncé de l’article 87, paragraphe 1, CE a été rappelé ci-dessus
(55)
. L’article 86, paragraphe 2, CE se lit comme suit:
«Les entreprises chargées de la gestion de services d’intérêt économique général [...] sont soumises aux règles du présent
traité, notamment aux règles de concurrence, dans les limites où l’application de ces règles ne fait pas échec à l’accomplissement
en droit ou en fait de la mission particulière qui leur a été impartie. Le développement des échanges ne doit pas être affecté
dans une mesure contraire à l’intérêt de la Communauté.»
92.
Le financement étatique de services d’intérêt général peut prendre différentes formes, comme le versement d’une rémunération
pour ces services au titre d’un contrat de service public, le versement de subventions annuelles, un régime fiscal préférentiel
ou des charges sociales allégées.
93.
Aux termes des articles 87, paragraphe 1, CE et 86, paragraphe 2, CE, le financement étatique de services d’intérêt général
peut s’analyser de deux manières possibles.
94.
Dans la première approche ─ que j’appellerai par commodité l’ «approche aide d’État» ─ le financement étatique accordé à une
entreprise pour l’accomplissement d’obligations d’intérêt général constitue une aide d’État au sens de l’article 87, paragraphe
1, CE qui peut toutefois être justifiée au titre de l’article 86, paragraphe 2, CE si les conditions de cette dérogation sont
remplies et, en particulier, si le financement répond au principe de proportionnalité.
95.
J’appellerai la deuxième «l’approche compensatoire». À cet égard, le terme «compensatoire» vise à couvrir à la fois une
rémunération appropriée pour les services fournis ou une compensation pour les coûts de fourniture de ces services. Dans l’approche
compensatoire, le financement étatique de services d’intérêt général ne revient à une aide d’État au sens de l’article 87,
paragraphe 1, CE que si et dans la mesure où l’avantage économique qu’il fournit dépasse cette rémunération appropriée ou
ces coûts supplémentaires.
96.
À première vue au moins, il semble que la jurisprudence communautaire sur l’approche correcte à retenir soit incohérente
(56)
.
97.
Au départ, dans l’arrêt ADBHU
(57)
, la Cour a suivi l’approche compensatoire. L’affaire concernait la compatibilité avec les «règles de libre concurrence»
d’une disposition d’une directive communautaire aux termes de laquelle les États membres pouvaient accorder des indemnités,
n’excédant pas les coûts annuels effectifs, à des entreprises d’élimination d’huiles usagées à titre de compensation de l’obligation
qui leur était imposée de collecter et d’éliminer les huiles usagées qui leur étaient remises par les détenteurs dans des
aires géographiques données. La Cour a indiqué que les indemnités en question ne constituaient pas une aide d’État au sens
du traité, mais plutôt une compensation pour les services accomplis par les entreprises de collecte et d’élimination
(58)
.
98.
Dans des affaires ultérieures toutefois, les juridictions communautaires ont expressément ou implicitement suivi l’approche
aide d’État.
99.
Dans l’arrêt Banco Exterior de España, la Cour a indiqué qu’une exonération fiscale espagnole au bénéfice de banques publiques
constituait une aide d’État existante et que, tant que la Commission n’a pas constaté l’incompatibilité d’une aide existante
avec le marché commun, il n’est pas nécessaire d’examiner si, et dans quelle mesure, cette aide est «susceptible d’échapper,
en vertu de l’article [86, paragraphe 2, CE], à l’interdiction de l’article [87 CE]»
(59)
. Dans une approche compensatoire, la Cour aurait d’abord dû examiner si des obligations d’intérêt général de banques publiques
espagnoles excluaient que l’exonération soit effectivement une aide d’État.
100.
Dans l’arrêt FFSA e.a./Commission
(60)
, le Tribunal de première instance a indiqué que, dans l’hypothèse où l’article 86, paragraphe 2, CE peut être invoqué, l’aide
impliquée reste une aide étatique au sens de l’article 87, paragraphe 1, CE mais peut néanmoins être considérée comme compatible
avec le marché commun
(61)
. L’ordonnance de la Cour de justice rejetant le pourvoi formé contre cet arrêt peut peut-être être lue comme une consécration
implicite de cette solution
(62)
.
101.
Dans l’arrêt SIC/Commission
(63)
, le Tribunal de première instance a très clairement indiqué que «la circonstance qu’un avantage financier soit octroyé à
une entreprise par les autorités publiques pour compenser le coût des obligations de service public prétendument assumées
par ladite entreprise est sans incidence sur la qualification de cette mesure d’aide au sens de l’article [87, paragraphe
1, CE], sans préjudice de la prise en compte de cet élément dans le cadre de l’examen de la compatibilité de l’aide en cause
avec le marché commun, au titre de l’article [86, paragraphe 2, CE]»
(64)
.
102.
Dans son arrêt récent Ferring
(65)
toutefois, la Cour a appliqué l’approche compensatoire. Cette affaire concernait une taxe sur les ventes directes imposées
aux laboratoires pharmaceutiques en vue de rétablir l’équilibre dans la concurrence entre ces laboratoires et des grossistes
répartiteurs de médicaments dès lors que la réglementation française n’impose qu’aux grossistes répartiteurs les obligations
de disposer en permanence d’un assortiment de médicaments susceptible de répondre aux exigences d’un territoire géographiquement
déterminé et d’assurer la livraison des médicaments demandés dans de très brefs délais sur l’ensemble dudit territoire.
103.
L’avocat général Tizzano a souligné dans ses conclusions que la notion d’aide requiert qu’un avantage économique soit accordé
et qu’il en résulte une distorsion de concurrence. Lorsque le financement étatique se borne strictement à compenser un désavantage
objectif imposé par l’État au bénéficiaire il n’y a pas d’avantage économique de cet ordre et il n’y a pas non plus de distorsion
de concurrence
(66)
.
104.
La Cour a indiqué que, abstraction faite des obligations de service public en question, la taxe sur les ventes directes pourrait
constituer une aide d’État en ce qu’elle ne s’appliquait pas aux grossistes répartiteurs. Toutefois, pour autant que la taxe
sur les ventes directes imposée aux laboratoires pharmaceutiques correspond aux surcoûts réellement supportés par les grossistes
répartiteurs pour l’accomplissement de leurs obligations de service public, le non-assujettissement de ces derniers à ladite
taxe peut être regardé comme la contrepartie des prestations effectuées
(67)
. Au demeurant, lorsque cette condition d’équivalence entre l’exonération accordée et les surcoûts exposés est remplie ─ il
appartenait à la juridiction de renvoi d’apprécier si ladite condition est remplie ─ les grossistes répartiteurs ne bénéficient
pas, en réalité, d’un avantage au sens de l’article 87, paragraphe 1, CE, car la taxe aura comme seul effet de mettre ceux-ci
et les laboratoires pharmaceutiques dans des conditions de concurrence comparables. Dans la mesure où l’avantage qu’ils tirent
du non-assujettissement à la taxe sur les ventes directes de médicaments excède les surcoûts qu’ils supportent pour l’accomplissement
des obligations de service public, l’avantage ne saurait être regardé comme étant nécessaire pour permettre aux entreprises
concernées d’accomplir les tâches particulières qui leur sont assignées et n’était dès lors pas couvert par l’article 86,
paragraphe 2, CE.
105.
Dans les conclusions qu’il a présentées dans l’affaire Altmark Trans et Regierungspräsidium Magdeburg
(68)
, l’avocat général Léger a critiqué l’approche compensatoire suivie dans l’arrêt Ferring. Dans son esprit, premièrement, cette
approche confond deux questions juridiques distinctes, à savoir la qualification d’une mesure d’aide et sa justification.
Deuxièmement, l’approche compensatoire ôte à l’article 86, paragraphe 2, CE et aux conditions qu’il impose, tout effet utile
dans l’analyse du financement étatique de services d’intérêt général. Troisièmement, l’approche compensatoire met le financement
étatique de services d’intérêt général à l’abri du contrôle nécessaire de la Commission.
106.
Au départ, la Commission a adopté l’approche compensatoire. Après les arrêts rendus dans l’affaire FFSA e.a./Commission et
SIC/Commission toutefois, elle a suivi l’approche aide d’État
(69)
.
107.
En l’espèce, GEMO et la Commission défendent l’approche aide d’État. Elles critiquent l’arrêt Ferring ou tentent d’en distinguer
les faits. En ordre subsidiaire, elles prétendent qu’en raison de la structure oligopolistique du marché français et des occasions
de fraude les entreprises d’équarrissage reçoivent des fonds qui excèdent largement le coût des services de collecte et d’élimination
fournis.
108.
Le gouvernement français approuve l’arrêt Ferring et maintient que les entreprises d’équarrissage en cause ne bénéficient
pas d’un avantage économique au sens de l’article 87, paragraphe 1, CE, mais d’une compensation pour le coût de leur service.
C’est l’approche compensatoire qui devrait être retenue au moins lorsque comme en l’espèce la compensation est déterminée
à la suite d’une procédure ouverte, transparente et non discriminatoire de passation d’un contrat de service public. S’il
n’y a pas de surcompensation il n’y a, par définition, pas de distorsion de concurrence. Il appartient à la juridiction nationale
de déterminer s’il y a surcompensation.
109.
Le gouvernement du Royaume-uni maintient que le financement des entreprises d’équarrissage en cause présente certaines caractéristiques
typiques d’une aide d’État. Ce financement ne devrait toutefois pas être regardé comme étant une aide d’État s’il est manifeste
qu’il ne fausse pas ni ne risque de fausser la concurrence. À cet effet, la juridiction nationale doit prendre en compte les
éventuelles distorsions de concurrence non seulement sur le marché des services fournis par les entreprises d’équarrissage,
mais également sur les marchés des bénéficiaires des services en question (éleveurs et abattoirs).
– Analyse
110.
Le choix entre l’approche aide d’État et l’approche compensatoire n’est pas une simple question théorique: il a d’importantes
conséquences pratiques
(70)
.
111.
Il est vrai que dans les deux approches la question de fond la plus importante est essentiellement de savoir si le financement
étatique excède ce qui est nécessaire pour servir une rémunération appropriée pour les coûts supplémentaires causés par les
obligations d’intérêt général ou pour les compenser. Toutefois, les deux approches ont ─ du moins dans l’état actuel de la
jurisprudence ─ des implications procédurales très différentes.
112.
Lorsqu’une mesure de financement donnée ne constitue pas une aide d’État, selon l’approche compensatoire, la mesure ne relève
pas des règles sur les aides d’État et ne doit pas être notifiée à la Commission. De surcroît, les juridictions nationales
peuvent décider directement s’il y a une aide d’État et elles ne doivent pas attendre que la Commission détermine si elle
est compatible avec le marché commun.
113.
Dans l’approche aide d’État, la même mesure constituerait une aide d’État qui doit être préalablement notifiée à la Commission
au titre de la première phrase de l’article 88, paragraphe 3, CE. De surcroît, il semble découler de l’arrêt Banco Exterior
de España
(71)
et de l’arrêt France/Commission
(72)
que la dérogation de l’article 86, paragraphe 2, CE est soumise au même régime procédural que la dérogation de l’article
87, paragraphes 2 et 3, CE. Cela signifie que, au titre de la dernière phrase de l’article 88, paragraphe 3, CE, une nouvelle
aide ne peut pas être mise à exécution avant que la Commission l’ait déclarée compatible avec l’article 86, paragraphe 2,
CE et que les mesures qui enfreignent cette obligation d’abstention constituent une aide illégale. Cela signifie aussi que
les juridictions nationales doivent «garantir aux justiciables que toutes les conséquences d’une violation de l’article [88,
paragraphe 3, dernière phrase, CE] en seront tirées, [...] en ce qui concerne tant la validité des actes d’exécution que le
recouvrement des soutiens financiers accordés au mépris de cette disposition ou d’éventuelles mesures provisoires»
(73)
.
114.
Deuxièmement, il découle selon moi de la jurisprudence communautaire passée en revue ci-dessus que ni l’approche compensatoire
ni l’approche aide d’État ne fournit de solution idéale dans tous les cas.
115.
Les arguments principaux contre une application généralisée de l’approche aide d’État dans tous les cas sont les suivants:
i)
La notion d’aide d’État figurant à l’article 87, paragraphe 1, CE s’applique aux seules mesures qui fournissent un avantage
économique et qui faussent ou risquent de fausser la concurrence. On n’aperçoit pas pourquoi ces deux conditions ne devraient
pas jouer lorsqu’il s’agit du financement étatique de services d’intérêt général.
ii)
Lorsque l’État ou des émanations de l’État achètent des biens (par exemple des ordinateurs) ou des services (par exemple des
services de nettoyage de locaux) sur les marchés, il n’y aura aide d’État que si et dans la mesure où la rémunération versée
excède ce qui est approprié. On n’aperçoit de nouveau pas pourquoi l’analyse devrait être différente lorsque l’État achète
des services à fournir à la collectivité (par exemple des services d’élimination de déchets).
iii)
Selon la jurisprudence sur les implications procédurales de l’approche aide d’État
(74)
, la notification requise et en particulier l’abstention requise par l’article 88, paragraphe 3, CE pourraient sérieusement
désorganiser la fourniture de services d’intérêt général par des entreprises privées. À l’égard donc de la fourniture de certains
services (par exemple l’élimination de déchets toxiques, les services d’ambulance) il peut être difficile voire même impossible
d’attendre l’autorisation préalable de la Commission. D’autre part, si un État membre met l’aide à exécution avant que cette
autorisation ait été accordée, l’aide sera illégale avec toutes les conséquences que cette illégalité comporte.
116.
Les arguments principaux contre l’application généralisée de l’approche compensatoire sont les suivants:
i)
La lex specialis de l’article 86, paragraphe 2, CE et les conditions qu’il impose seraient privées de tout effet dans le contrôle
des aides d’État. Lorsque le financement étatique n’excède pas ce qui est nécessaire pour compenser les coûts supplémentaires
des services fournis, il n’y aurait pas d’aide d’État au sens de l’article 87, paragraphe 1, CE et donc aucun besoin d’examiner
la compatibilité de la mesure avec l’article 86, paragraphe 2, CE. Dans la mesure où le financement excède ce qui est nécessaire,
la mesure ne pourrait pas être justifiée au titre de l’article 86, paragraphe 2, CE parce qu’il enfreindrait le principe de
proportionnalité. Il n’y aurait donc aucun cas dans lequel la Commission ou une juridiction nationale pourrait contrôler
–
si les services en cause constituent en fait «des services d’intérêt général économique»
(75)
,
–
si l’entreprise concernée ou les entreprises concernées ont effectivement été «chargées» des services en cause
(76)
,
–
si le financement en cause affecte le développement des échanges dans une mesure contraire à l’intérêt de la Communauté (dernière
phrase de l’article 86, paragraphe 2, CE)
(77)
.
ii)
Une application généralisée de l’approche compensatoire signifierait que les États membres courent moins de risque s’ils ne
notifient pas certaines mesures unilatérales de financement susceptibles d’être nocives et inciterait donc à cacher ces mesures
à l’examen de la Commission.
iii)
L’analyse en deux phases selon l’approche aide d’État ─ d’abord la détermination d’une infraction à l’interdiction de l’article
87, paragraphe 1, CE et ensuite la vérification de la dérogation de l’article 86, paragraphe 2, CE ─ est plus cohérente avec
l’analyse parallèle en deux étapes des mesures enfreignant l’article 86, paragraphe 1, CE lu conjointement avec les règles
de concurrence
(78)
ou avec les règles sur la libre circulation
(79)
.
iv)
En matière de transport, aux termes de l’article 73 CE «sont compatibles avec le présent traité les aides qui [...] correspondent
au remboursement de certaines servitudes inhérentes à la notion de service public»; les auteurs du traité ont donc considéré
en principe le financement étatique de services d’intérêt général comme étant une aide d’État qui pourrait toutefois être
justifiée.
117.
Ni l’approche compensatoire ni l’approche aide d’État ne fournissant de solution idéale dans tous les cas, je considère qu’il
est nécessaire de rechercher une solution qui applique une approche à une catégorie de cas et l’autre approche à l’autre catégorie.
118.
À cet égard, la clef de l’analyse exacte du financement étatique de services d’intérêt général au titre des articles 87, paragraphe
1, et 86, paragraphe 2, CE pourrait dans mon esprit consister à établir une distinction entre deux catégories différentes
de cas fondée i) sur la nature du lien entre le financement accordé et les charges d’intérêt général imposées et ii) sur la
clarté avec laquelle ces charges sont définies.
119.
Conformément à la distinction proposée, la première catégorie comprendrait les cas dans lesquels les mesures de financement
sont clairement destinées, en tant que stricte contrepartie, à des obligations d’intérêt général clairement définies ou, en
d’autres mots, où le lien entre, d’une part, le financement étatique accordé et, d’autre part, les obligations d’intérêt général
clairement définies est direct et manifeste. L’exemple le plus clair d’un lien direct et manifeste de cette nature entre le
financement étatique et des obligations clairement définies est les contrats de service public passés après des procédures
d’adjudication publique: un seul et même contrat définit les obligations des entreprises chargées des services d’intérêt général
en question et la rémunération qu’elles percevront en retour. Les cas relevant de cette catégorie devraient selon moi être
analysés conformément à l’approche compensatoire.
120.
La deuxième catégorie consiste dans les cas où il n’apparaît pas d’emblée clairement que le financement étatique est destiné,
en tant que stricte contrepartie, à des obligations d’intérêt général clairement définies. Dans ces cas, le lien entre le
financement étatique et les obligations d’intérêt général qui sont imposées n’est ni direct ni manifeste ou les obligations
d’intérêt général ne sont pas clairement définies. Un bon exemple de cette catégorie est l’affaire Banco Exterior de España
dans laquelle une loi espagnole exonérait toutes les banques publiques du payement de taxes. La loi n’indiquait pas que cet
avantage était destiné, en tant que contrepartie stricte, à l’accomplissement d’obligations d’intérêt général et ne définissait
pas non plus exactement d’obligations de cet ordre. Ce n’est que devant la Cour que le gouvernement espagnol a allégué que
l’exonération était nécessaire à l’accomplissement par les banques publiques de leur fonction de «gestion du crédit public».
Les cas de la deuxième catégorie devraient selon moi être analysés conformément à l’approche aide d’État.
121.
La distinction proposée a un certain nombre d’avantages. Premièrement, elle est cohérente avec la jurisprudence générale sur
l’interprétation de l’article 87, paragraphe 1, CE.
122.
Selon cette jurisprudence, les accords bilatéraux ou les opérations plus complexes comportant des droits et obligations mutuelles
doivent s’analyser comme un tout. Lorsque par exemple l’État achète des biens ou des services d’une entreprise, il n’y aura
aide que si et dans la mesure où le prix payé excède le prix du marché
(80)
. Lorsque l’État prête des fonds à une entreprise, il n’y aura aide que si et dans la mesure où il ne demande pas un rendement
approprié comme le ferait un investisseur privé
(81)
. La même analyse globale doit à mon sens prévaloir lorsque le lien entre le financement étatique et les obligations d’intérêt
général clairement définies qui sont imposées est à ce point direct et manifeste que le financement et l’obligation doivent
être considérés comme une mesure unique.
123.
Selon la jurisprudence générale consacrée à l’article 87, paragraphe 1, CE les causes et les buts d’une mesure unilatérale
ne doivent en revanche pas être pris en compte pour qualifier la mesure d’aide d’État, mais seulement pour déterminer sa compatibilité
avec le marché commun au titre de l’article 87, paragraphes 2 et 3, CE. Lorsqu’il n’est pas d’emblée clair que le financement
étatique est accordé, en tant que stricte contrepartie, pour des obligations d’intérêt général clairement définies, on doit
considérer que si l’État prétend que le financement est en fait destiné à compenser le coût supplémentaire des tâches d’intérêt
général assumées par certaines entreprises il n’a en vue que les causes et les buts de la mesure. Même si de nombreux cas
de ce second type de mesure de financement peuvent être justifiés au titre de l’article 86, paragraphe 2, CE, je considère
qu’ils ne devraient pas échapper au champ d’application des règles sur les aides d’État.
124.
Un second avantage de la distinction proposée est qu’elle accorde la juste mesure à l’importance que l’on attache maintenant
aux services d’intérêt général, à présent reconnue dans l’article 16 CE et dans l’article 36 de la charte des droits fondamentaux
de l’Union européenne, tout en évitant le risque de contourner les règles sur les aides d’État. Elle établit donc un équilibre
entre ces deux régimes qui peuvent se heurter; elle évite également les objections que peut susciter le recours exclusif à
l’une ou à l’autre approche, étant, d’une part, l’approche compensatoire et, d’autre part, l’approche aide d’État.
125.
Enfin, la distinction proposée pourrait contribuer à expliquer la jurisprudence de la Cour de justice exposée ci-dessus.
126.
L’affaire ADBHU concernait une indemnité accordée à des entreprises de collecte et/ou d’élimination d’huiles usagées, en compensation
des obligations de collecte et d’élimination qui leur étaient imposées. L’avocat général Lenz a considéré ces indemnités comme
étant la stricte contrepartie des obligations imposées et la Cour a considéré qu’elles représentaient la «contrepartie des
prestations effectuées». Ils ont donc considéré les indemnités en question comme étant un volet d’un marché bilatéral et ont
donc refusé de les qualifier d’aide d’État.
127.
En revanche, dans l’arrêt Banco Exterior de España, la Cour a qualifié l’exonération fiscale des banques publiques d’aide
d’État (existante) et donc de mesure unilatérale sans prendre en compte les buts de la mesure.
128.
L’affaire Ferring était peut-être un cas limite en ce que l’avantage fiscal avait été accordé dans une loi distincte et seulement
après que les obligations d’intérêt général avaient été imposées. D’autre part, les travaux préparatoires et les circonstances
dans lesquelles la loi avait été adoptée, et en particulier l’arrêt du Conseil constitutionnel, montraient qu’il y avait un
lien étroit entre l’avantage fiscal accordé et les obligations imposées, qui étaient de surcroît clairement définies
(82)
. Cela pourrait expliquer pourquoi la Cour s’est référée à l’arrêt ADBHU et a analysé l’avantage en question et les obligations
imposées comme étant les «deux faces d’une même médaille».
129.
Il est bien sûr évident que la distinction proposée entre les deux catégories de cas, fondée sur un «lien direct et manifeste»
et des «obligations d’intérêt général clairement définies», peut ne pas toujours être facile à tracer. Ces critères semblent
toutefois plus satisfaisants que d’autres qui ont pu être proposés. Premièrement, il serait disproportionné, pour appliquer
l’approche compensatoire, d’exiger toujours un contrat de service public en bonne et due forme entre l’État et fournisseur
de service concerné, dès lors qu’à mon sens un État membre peut légitimement souhaiter mettre les services publics en place
non pas par voie contractuelle mais par exemple par voie législative. Deuxièmement, la Cour recourt à des critères similaires
dans d’autres domaines du droit communautaire: dans le domaine des taxes sur la valeur ajoutée, par exemple, la Cour exige
un lien direct entre le service rendu et la contre-valeur reçue
(83)
. Troisièmement, pour dissiper tout doute dans un cas particulier, les États membres seront incités à accorder une compensation
pour l’accomplissement de services d’intérêt général au titre d’arrangements clairs et transparents et peut-être même au titre
de contrats de service public passés après des procédures de marchés publics ouvertes, transparentes et non discriminatoires.
130.
S’agissant de l’application de la distinction proposée pour résoudre l’affaire qui nous occupe, on rappellera que pour mettre
en oeuvre le service public de l’équarrissage le gouvernement français passe, conformément au régime général des marchés publics,
des contrats de service public d’une durée maximale de cinq ans avec des entreprises spécialisées dans l’équarrissage. Il
est évident qu’il y a un lien direct et manifeste entre la rémunération que ces entreprises perçoivent et les obligations
clairement définies qu’elles doivent remplir au titre des contrats de service public en question. Les payements faits par
l’État aux entreprises d’équarrissage pour mettre en oeuvre le service public d’élimination des cadavres ne constituera dès
lors une aide d’État au sens de l’article 87, paragraphe 1, CE que si et dans la mesure où ils dépassent une rémunération
appropriée
(84)
pour fournir ce service.
131.
Dans cette affaire, on a abondamment relevé que l’offre de ces services est très concentrée en France et que les occasions
de fraude sont importantes dans le secteur de l’élimination des déchets. Les entreprises peuvent dès lors percevoir des fonds
qui dépassent nettement la rémunération qu’elles recevraient dans un marché fonctionnant normalement pour fournir les services
de collecte et d’élimination. Il appartient à la juridiction de renvoi de déterminer si tel est le cas.
132.
Les payements faits par le gouvernement français aux entreprises d’équarrissage pour la mise en oeuvre du service public d’élimination
des cadavres ne constitueront dès lors une aide d’État au sens de l’article 87, paragraphe 1, CE que si et dans la mesure
où ils dépassent une rémunération appropriée pour la fourniture de ce service.
Aide d'État en faveur des petits détaillants
133.
Le troisième aspect de fond du présent cas d’espèce est de savoir si l’exonération des petits détaillants du payement de la
taxe sur les achats de viande constitue une aide d’État en leur faveur.
134.
On rappellera que la taxe sur les achats de viande instaurée par la loi n° 96-1139 est en principe due par toute personne
qui vend de la viande au détail. Elle est assise sur la valeur des achats de viande du revendeur. Les entreprises dont le
chiffre d’affaires est inférieur à 2,5 millions de FRF en sont toutefois exonérées. La taxe n’est pas due non plus lorsque
le montant mensuel des achats de viande est inférieur à 20 000 FRF hors taxe sur la valeur ajoutée.
135.
GEMO et la Commission maintiennent essentiellement que l’exonération en question accorde aux revendeurs de viande dont le
chiffre d’affaires est inférieur au seuil de 2, 5 millions de FRF un avantage économique susceptible de constituer une aide
d’État. De surcroît, l’avantage est accordé à «certaines entreprises» au sens de l’article 87, paragraphe 1, CE sans que
l’exonération trouve de justification objective dans l’économie générale du régime fiscal français.
136.
Ni le gouvernement français ni le gouvernement du Royaume-Uni ne se sont exprimés sur la qualification de l’exonération en
cause.
137.
Je voudrais relever, premièrement, que la qualification d’aide d’État d’une exonération fiscale au bénéfice de petites entreprises
soulève des questions complexes et sensibles. Au reste, si la Cour admet que la loi n° 96-1139 comporte une aide d’État en
faveur des éleveurs et des abattoirs, elle n’aura pas à statuer sur ce point pour les besoins de la juridiction de renvoi
(85)
. Enfin, dans leurs observations écrites et orales les parties ont davantage mis l’accent sur les deux autres aspects. Je
vais donc me contenter d’exposer mon opinion succinctement et sur la base d’une analyse préliminaire.
138.
Il est de jurisprudence constante que les exonérations fiscales sont en principe susceptibles de constituer une aide d’État
au sens de l’article 87, paragraphe 1, CE. Dans l’arrêt Banco Exterior de España, la Cour a indiqué par exemple:
«une mesure par laquelle les autorités publiques accordent à certaines entreprises une exonération fiscale qui, bien que ne
comportant pas un transfert de ressources d’État, place les bénéficiaires dans une situation financière plus favorable que
les autres contribuables constitue une aide d’État au sens de l’article [87, paragraphe 1, CE]»
(86)
.
139.
À première vue au moins, il apparaît au reste que l’exonération en cause est sélective ou spécifique en ce qu’elle favorise
«certaines entreprises» au sens de l’article 87, paragraphe 1, CE, à savoir les revendeurs de viande dont le chiffre d’affaires
est inférieur à un seuil déterminé et donc uniquement des entreprises d’une certaine taille.
140.
Le fait que des entreprises soient traitées différemment n’implique toutefois pas automatiquement qu’il y ait un avantage
économique accordé de manière sélective aux fins de l’article 87, paragraphe 1, CE. Il n’y a pas d’avantage de cette nature
lorsque la différence de traitement est justifiée par la nature du système général
(87)
ou, dans une autre formulation, par la logique
(88)
du système.
141.
En l’espèce, rien n’indique que l’exonération en cause poursuit des objectifs inhérents au système fiscal, par exemple des
objectifs liés au fonctionnement propre et à l’efficacité de ce système fiscal. L’idée de l’exonération ne semble pas être,
par exemple, de libérer les plus petits revendeurs de viande d’obligations comptables onéreuses (un objectif qui pourrait
être atteint par une taxation forfaitaire) ou de renoncer à une recette fiscale là où le coût de perception de la taxe dépasse
son produit.
142.
Au contraire, un certain nombre d’indications montrent que l’exonération pourrait poursuivre des objectifs extérieurs au système
fiscal comme des buts de nature sociale ou des intérêts liés à l’aménagement du territoire: on relèvera que le seuil du chiffre
d’affaires en cause n’est pas fondé sur le chiffre d’affaires créé par la revente de la viande, mais sur le chiffre d’affaires
créé par l’entreprise dans son ensemble. Cela a pour effet qu’une entreprise qui a pour activité exclusive la revente de la
viande (par exemple une boucherie locale) et dont le chiffre d’affaires est de 2,4 millions de FRF sera exonérée de la taxe
alors qu’une entreprise qui a également d’autres activités (par exemple un supermarché) sera assujettie à la taxe même si
ses activités de revente de viande prises séparément créent un chiffre d’affaires bien moindre.
143.
La question n’ayant pas été pleinement abordée devant la Cour, c’est à la juridiction de renvoi qu’il faudrait laisser le
soin de déterminer si l’exonération est justifiée par des raisons tirées de l’économie générale du système fiscal en cause.
Dans un cas comme celui-ci, c’est à l’État concerné qu’il appartient de montrer que l’exonération en cause remplit cette condition
(89)
.
144.
Il reste à aborder les effets de l’exonération sur la concurrence et en particulier sur les échanges entre États membres.
À cet égard la Cour a indiqué:
«Lorsqu’une aide financière accordée par l’État renforce la position d’une entreprise par rapport à d’autres entreprises concurrentes
dans les échanges intracommunautaires, ces derniers doivent être considérés comme influencés par l’aide»
(90)
.
145.
Le problème ici est que l’on n’aperçoit pas clairement s’il y a une concurrence intracommunautaire significative dans le secteur
des revendeurs de viande. Dans des secteurs économiques qui connaissent une faible concurrence dans les échanges intracommunautaires
comme ceux des réparations automobiles, des services de taxi, ou des secteurs qui ont des frais de transport prohibitifs,
une aide d’un montant relativement bas accordée à de petites entreprises opérant essentiellement sur des marchés locaux pourrait
ne pas affecter les échanges entre États membres
(91)
. À mon sens, il faudrait de nouveau laisser à la juridiction nationale le soin de décider si, compte tenu de ces considérations,
l’exonération en cause affecte les échanges entre États membres.
146.
Il s’ensuit que l’exonération des détaillants du payement de la taxe sur les achats de viande en cause constitue une aide
d’État en faveur de ceux-ci à moins qu’il puisse être démontré que l’exonération est justifiée par des raisons liées à l’économie
de la taxe et à condition qu’elle affecte les échanges entre États membres dans le secteur des revendeurs de viande.
Conclusion
147.
Par ces motifs, j’estime que la question posée appelle la réponse suivante:
« Une mesure comme la loi n° 96-1139 relative à la collecte et à l’élimination des cadavres d’animaux et des déchets d’abattoirs
et modifiant le code rural accorde une aide d’État au sens de l’article 87, paragraphe 1, CE
–
aux éleveurs et aux abattoirs en ce que le service public de collecte et d’élimination des déchets animaux dangereux leur
est fourni gratuitement;
–
aux entreprises d’équarrissage seulement si et dans la mesure où les payements faits par le gouvernement français aux entreprises
d’équarrissage pour la mise en oeuvre du service public de l’équarrissage dépassent la rémunération appropriée de la fourniture
de ce service; et
–
aux détaillants en ce qu’ils sont exonérés de la taxe sur les achats de viande à moins que l’on puisse démontrer que cette
exonération est justifiée par des raisons tirées de la nature du régime fiscal général et à condition que l’exonération affecte
les échanges entre États membres dans le secteur des revendeurs de viande. »
1 –
Langue originale: l'anglais.
2 –
Arrêt du 22 novembre 2001 (
C-53/00, Rec. p. I-9067).
3 –
C-280/00, affaire pendante devant la Cour.
4 –
Les observations introductives suivantes sont tirées des informations figurant dans la proposition de la Commission de règlement
du Parlement européen et du Conseil établissant les règles sanitaires applicables aux sous-produits animaux non destinés à
la consommation humaine, COM (2000) 574 final (JO 2001, C 96 E, p. 40).
5 –
JORF 19184, du 27 décembre 1996.
6 –
JORF 19697, du 31 décembre 1996.
7 –
JORF 15908, du 1 er novembre 1997.
8 –
Voir points 13 à 18.
9 –
Voir points 15 à 23.
10 –
Voir point 24.
11 –
Cette limite de poids apparaît avoir été conçue pour exempter les propriétaires d’animaux familiers de l’obligation de recourir
à ce service.
12 –
Il ressort des travaux préparatoires de la loi et de la terminologie employée dans la directive 90/667/CEE du Conseil, du
27 novembre 1990, arrêtant les règles sanitaires relatives à l’élimination et à la transformation de déchets animaux à leur
mise sur le marché et à la protection contre les agents pathogènes des aliments pour animaux d’origine animale ou à base de
poisson, et modifiant la directive 90/425/CEE (JO L 363, p. 51), que la notion de déchets animaux couvre essentiellement tous
les produits animaux qui ne sont pas directement destinés à la consommation humaine.
13 –
Article 264 du code rural.
14 –
Article 264, paragraphe 1, du code rural.
15 –
Article 264, paragraphe 2, du code rural.
16 –
Voir communiqué de presse IP/00/1167 du 17 octobre 2000. La Cour a également été informée que, depuis un amendement législatif
de décembre 2000, le produit de la taxe doit être affecté au budget général et non plus à un fonds spécial. Cette évolution
ultérieure n’a pas d’incidence sur la procédure au principal.
17 –
Voir, par exemple, arrêts du 21 novembre 1991, Fédération nationale du commerce extérieur des produits alimentaires et syndicat
national des négociants et transformateurs de saumon (
C-354/90, Rec. p. I-5505, point 11), et du 11 juillet 1996, SFEI e.a.
(
C-39/94, Rec. p. I-3547, point 40).
18 –
Arrêt du 9 mars 2000 (
C-437/97, Rec. p. I-1157, points 51 à 54).
19 –
Arrêt du 13 juillet 2000 (
C-36/99, Rec. p. I-6049, points 26 à 29).
20 –
Arrêt du 20 septembre 2001 (
C-390/98, Rec. p. I-6117, point 80).
21 –
Voir également les conclusions que l’avocat général Alber a présentées le 20 septembre 2001 dans l’affaire Sea-Land Service
(
C-430/99 et
C-431/99, affaires pendantes devant la Cour), points 132 à 140.
22 –
Voir, par exemple, arrêts du 19 juin 1973, Capolongo (77/72, Rec. p. 611); du 11 mars 1992, Compagnie commerciale de l’Ouest
e.a. (
C-78/90 à
C-83/90, Rec. p. I-1847); du 16 décembre 1992, Lornoy e.a. (
C-17/91, Rec. p. I-6523) et Demoor e.a. (
C-144/91
et
C-145/91, Rec. p. I-6613), et du 27 octobre 1993, Scharbatke (
C-72/92, Rec. p. I-5509).
23 –
Arrêt du 11 décembre 1973, Lorenz (120/73, Rec. p. 1471, point 9).
24 –
Affaire citée à la note 17 : deux associations de commerçants contestaient devant les juridictions françaises une loi instituant
des charges parafiscales au profit d’organismes français de la pêche en invoquant la méconnaissance de la dernière phrase
de l’article 88, paragraphe 3, CE.
25 –
Dispositif de l’arrêt.
26 –
Point 12 de l’arrêt. Cela a été confirmé dans l’arrêt SFEI e.a., cité à la note 17, point 40.
27 –
Voir, notamment, arrêt du 15 décembre 1995, Bosman (
C-415/93, Rec. p. I-4921, point 59).
28 –
Cité à la note 2.
29 –
Points 20 à 24 des conclusions.
30 –
Voir le communiqué de presse de la Commission du 13 février 2002, IP/02/246.
31 –
Voir, par exemple, arrêt du 2 juillet 1974, Italie/Commission (173/73, Rec. p. 709, point 35).
32 –
Voir, par exemple, arrêt SFEI e.a., cité à la note 17, point 58.
33 –
Arrêt du 2 février 1988 (67/85, 68/85 et 70/85, Rec. p. 219, point 28); voir également arrêt du 29 février 1996, Belgique/Commission
(
C-56/93, Rec. p. I-723, point 10).
34 –
Arrêt SFEI e.a., cité à la note 17, point 62.
35 –
Arrêt du 15 juillet 1964, Costa (6/64, Rec. p. 1141). Les mêmes conclusions découlent implicitement de l’article 87, paragraphe
2, sous a), CE qui concerne les aides octroyées aux consommateurs individuels mais visant en réalité à favoriser la consommation
de certains produits.
36 –
Voir arrêt du 13 mars 2001, PreussenElektra (
C-379/98, Rec. p. I-2099, point 58), et les conclusions que j’ai présentées le
13 décembre 2001 dans l’affaire France/Commission (
C-482/99, pendante devant la Cour), points 53 et suiv. et les références
citées.
37 –
Arrêt du 19 septembre 2000 (
C-156/98, Rec. p. I-6857).
38 –
Point 22 de l’arrêt.
39 –
Points 26 à 28 de l’arrêt.
40 –
Déclaration du Conseil des Communautés européennes et des représentants des gouvernements des États membres réunis au sein
du Conseil du 22 novembre 1973 concernant un programme d’action des Communautés européennes en matière d’environnement (JO
1973, C 112, p. 1).
41 –
Krämer L., «Das Verursacherprinzip im Gemeinschaftsrecht: Zur Auslegung von Artikel 130 r EWG Vertrag»,
Europaïsche Grundrechte-Zeitschrift 1989, p. 353.
42 –
Arrêt du 29 avril 1999, Standley e.a. (
C-293/97, Rec. p. I-2603, points 51 et 52).
43 –
Voir, par exemple, la décision 92/316/CEE de la Commission, du 11 mars 1992, relative aux aides envisagées par le gouvernement
néerlandais pour encourager une élimination du lisier écologiquement acceptable (JO 1992, L 170, p. 34), et la décision 1999/227/CECA
de la Commission, du 29 juillet 1998, concernant des aides d’État du Land de Basse-Saxe (Allemagne) à Georgsmarienhütte GmbH
(JO 1999, L 83, p. 72)
44 –
Voir, par exemple, l’encadrement communautaire des aides d’État pour la protection de l’environnement, édicté par la Commission
(JO 2001, C 37, p. 3); voir également la décision 73/293/CEE de la Commission, du 11 septembre 1973, concernant les aides
que le gouvernement belge projette d’accorder en faveur de l’extension d’une raffinerie de pétrole à Anvers (province d’Anvers)
et de l’implantation d’une nouvelle raffinerie à Kallo (province de Flandre orientale) (JO L 270, p. 22).
45 –
Voir, d’une part, Krämer L.,
EC Environmental Law (4e édition, 2000), p. 19, et, d’autre part, Keppenne J.-P., «National environmental policies: unchartered waters for EC
State aid control»,
Nederlandse tijdschrift voor Europees recht 2001, p. 193.
46 –
Voir article 15 de la directive 75/442/CEE du Conseil, du 15 juillet 1975, relative aux déchets (JO L 194, p. 39), telle que
modifiée en substance par la directive 91/156/CEE du Conseil, du 18 mars 1991 (JO L 78, p. 32).
47 –
Voir ci-dessus, point 10.
48 –
Arrêt SFEI e.a., cité à la note 17, point 60.
49 –
Arrêt du 12 juillet 1990, CdF Chimie AZF/Commission (
C-169/84, Rec. p. I-3083, point 22).
50 –
Conseil européen de Laeken des 14 et 15 décembre 2001 conclusions de la présidence, point 26; conclusions concernant les services
d’intérêt général, du Conseil «marché intérieur, consommateurs et tourisme» du 26 novembre 2001; rapport de la Commission,
du 17 octobre 2001, sur les services d’intérêt général à l’intention du Conseil européen de Laeken [COM (2001) 598]; communication
de la Commission concernant l’application aux services publics de radiodiffusion des règles relatives aux aides d’État (JO
2001, C 320, p. 5); voir également les deux communications générales de la Commission de 1996 et 2000 sur les services d’intérêt
général en Europe (JO 1996, C 281, p. 3, et JO 2001, C 17, p. 4).
51 –
Affaire citée à la note 3; la question peut aussi se poser dans l’affaire
Enirisorse (
C-34/01 à
C-38/01, pendante devant la Cour).
52 –
Conclusions du 8 mai 2001 dans l’affaire citée à la note 2.
53 –
Conclusions du 19 mars 2002.
54 –
Voir sur ces points les conclusions que l’avocat général Tizzano a présentées dans l’affaire Ferring, citée à la note 2, points
76 et suiv.
55 –
Point 49.
56 –
Ci-dessous aux points 125 à 128, je vais essayer d’expliquer la logique qui sous-tend cette jurisprudence.
57 –
Arrêt du 7 février 1985 (240/83, Rec. p. 531, points 16 à 21).
58 –
Les conclusions de l’avocat général Lenz dans l’affaire Du Pont de Nemours Italiana (arrêt du 20 mars 1990,
C-21/88, Rec.
p. I-889) sont elles aussi fondées sur l’approche compensatoire: voir le point 58 des conclusions.
59 –
Arrêt du 15 mars 1994 (
C-387/92, Rec. p. I-877, point 21).
60 –
Arrêt du 27 février 1997 (
T-106/95, Rec. p. II-229).
61 –
Point 172 de l’arrêt.
62 –
Ordonnance du 25 mars 1998, FFSA e.a./Commission (
C-174/97 P, Rec. p. I-1303: voir en particulier le point 31 de l’ordonnance).
63 –
Arrêt du 10 mai 2000 (
T-46/97, Rec. p. II-2125).
64 –
Point 84 de l’arrêt. Avant l’arrêt SIC/Commission, la Cour de l’AELE avait déjà suivi l’approche aide d’État dans l’affaire
E-4/97 Norwegian Bankers’ Association/Autorité de surveillance de l’AELE, arrêt du 3 mars 1999.
65 –
Arrêt cité à la note 2.
66 –
Points 60 à 63 des conclusions.
67 –
Point 27 de l’arrêt.
68 –
Citée à la note 3.
69 –
On peut trouver un survol des décisions de la Commission dans Chérot J.-Y., «Financement des obligations de service public
et aides d’État»,
Europe 2000, p. 4.
70 –
Voir le point 31 des conclusions de l’avocat général Tizzano dans l’affaire Ferring, citée à la note 2.
71 –
Cité à la note 59.
72 –
Arrêt du 22 juin 2000 (
C-332/98, Rec. p. I-4833).
73 –
Arrêt SFEI e.a., cité à la note 17, point 40.
74 –
Voir ci-dessus, le point 113.
75 –
Il est clair que ce contrôle est en principe marginal. Néanmoins, dans l’arrêt du 13 décembre 1991, GB-Inno-BM (
C-18/88, Rec.
p. I-5941, point 22), la Cour n’a pas admis que la fabrication et la vente de téléphones constituent un service d’intérêt
général; voir à propos des chargements et déchargements portuaires arrêt du 10 décembre 1991, Merci convenzionali porto di
Genova (
C-179/90, Rec. p. I-5889, point 27); et à propos des transferts bancaires de fonds d’un État membre un autre arrêt
du 14 juillet 1981, Züchner (172/80, Rec. p. 2021, point 7).
76 –
Arrêts du 21 mars 1974, BRT (127/73, Rec. p. 313, point 20), et du 11 avril 1989, Ahmed Saeed Flugreisen et Silver Line Reisebüro
(66/86, Rec. p. 803, point 55).
77 –
Dans l’affaire E-4/97, Norwegian Bankers’ Association/Autorité de surveillance de l’AELE, citée à la note 64, la Cour de l’AELE
a annulé sur cette base une décision de l’Autorité de surveillance de l’AELE.
78 –
Voir, par exemple, l’arrêt du 25 octobre 2001, Ambulanz Glöckner (
C-475/99, Rec. p. I-8089).
79 –
Voir, par exemple, l’arrêt du 23 octobre 1997, Commission/Pays-Bas (
C-157/94, Rec. p. I-5699).
80 –
Voir les conclusions que l’avocat général Fennelly a présentées dans l’affaire France/Commission (arrêt du 5 octobre 1999,
C-251/97, Rec. p. I-6639, point 19 et références citées).
81 –
Voir, par exemple, arrêt du 14 février 1990, France/Commission (
C-301/87, Rec. p. I-307, points 39 à 41).
82 –
Voir les informations plus détaillées dans les conclusions de l’avocat général Tizzano.
83 –
L’arrêt de référence reste l’arrêt du 5 février 1981, Coöperatieve Aardappelenbewaarplaats (154/80, Rec. p. 445, point 12).
84 –
Dans les cas où l’État achète des services d’intérêt général sur le marché le point de référence approprié n’est pas le coût
de la mesure mais la rémunération qu’ils recevraient sur un marché fonctionnant normalement; voir, pour cette distinction,
le point 95 ci-dessus.
85 –
Voir ci-dessus, point 89.
86 –
Arrêt cité à la note 59, point 14; voir également l’arrêt du 19 mai 1999, Italie/Commission (
C-6/97, Rec. p. I-2981).
87 –
Arrêt du 17 juin 1999, Belgique/Commission (
C-75/97, Rec. p. I-3671, point 33).
88 –
Arrêt Ferring cité à la note 2, point 17.
89 –
Voir les conclusions que l’avocat général Ruiz-Jarabo Colomer a présentées dans l’affaire Italie/Commission, citée à la note
86, point 27.
90 –
Arrêt du 17 septembre 1980, Philip Morris Holland/Commission (730/79, Rec. p. 2671, point 11).
91 –
Voir les conclusions que j’ai récemment présentées le 24 janvier 2002 dans l’affaire Espagne/Commission (
C-113/00 et
C-114/00),
point 25.