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CONCLUSIONS DE L'AVOCAT GÉNÉRAL
MME JULIANE KOKOTT
présentées le 18 mars 2004(1)


Affaire C-319/02



Petri Manninen




[demande de décision préjudicielle formée par le Korkein hallinto-oikeus (Finlande)]

«Libre circulation des capitaux – Impôt sur le revenu – Avoir fiscal pour les dividendes versés par les sociétés nationales – Justification pour des motifs de cohérence du régime fiscal»






I –   Introduction

1.        La présente demande de décision préjudicielle du Korkein hallinto-oikeus (Cour administrative suprême) (Finlande) porte sur la réglementation finlandaise relative à l’imposition des dividendes. Celle-ci prévoit que l’actionnaire d’une société nationale perçoit, en plus du dividende, un avoir fiscal proportionnel à l’impôt sur les sociétés que l’entreprise a acquitté. Aux fins de l’imposition du dividende, l’avoir fiscal est déduit de telle manière que l’actionnaire n’a en pratique pas d’autre impôt à acquitter sur ces revenus du capital. En revanche, le bénéficiaire de dividendes de sociétés étrangères ne peut pas déduire l’impôt sur les sociétés acquitté dans le pays où la société a son siège.

2.        M. Manninen réside en Finlande et doit acquitter en Finlande l’impôt sur le revenu au titre des dividendes qu’il a perçus d’une société suédoise. Il estime que la réglementation finlandaise, qui lui refuse la déduction de l’impôt sur les sociétés acquitté en Suède, est incompatible avec la libre circulation des capitaux.

3.        Le principe de base de la réglementation finlandaise est d’éviter la double imposition des bénéfices des entreprises par l’administration fiscale finlandaise (double imposition économique). Celle-ci se produirait en effet si les bénéfices étaient d’abord grevés, lors de l’imposition de l’entreprise, de l’impôt sur les sociétés, puis à nouveau, lors de l’imposition des dividendes, de l’impôt sur le revenu.

4.        De nombreux États membres ont ou ont eu des régimes analogues de déduction ou d’exonération, destinés à exclure ou à adoucir cette double imposition  (2) . Mais il est fréquent que ces dispositions ne s’appliquent – comme en l’espèce – qu’aux opérations purement internes, car les États membres estiment que la prise en compte de l’impôt sur les sociétés lors de la taxation des dividendes n’est opportune que dans le cas où l’impôt sur les sociétés a lui aussi été perçu par l’administration fiscale nationale  (3) .

5.        La Cour a déjà établi, en particulier dans l’arrêt Verkooijen  (4) , qu’une exonération de l’impôt sur le revenu frappant les dividendes ne peut être subordonnée à la condition que la société qui verse les dividendes ait son siège dans le pays. Dans aucun des cas sur lesquels la Cour a statué à ce jour, il n’existait un lien économiquement et juridiquement aussi étroit entre l’impôt sur les sociétés, d’une part, et l’impôt sur le revenu frappant les dividendes, d’autre part, que dans le cas d’espèce. C’est pourquoi la question de la justification tirée des motifs pris de la cohérence fiscale, que la Cour n’a jusqu’à présent admise que dans les arrêts Bachmann  (5) et Commission/Belgique  (6) , est à nouveau posée en l’espèce.

II –  La réglementation nationale sur l’avoir fiscal

6.        En Finlande, les dividendes perçus par les personnes physiques assujetties à l’impôt à titre principal sont soumis à un impôt au taux de 29 %. Le taux de l’impôt sur les sociétés, que ces dernières doivent acquitter au titre de leurs bénéfices est également de 29 %. Afin d’éviter une double imposition des bénéfices distribués sous forme de dividende, l’article 4 de la loi sur l’avoir fiscal prévoit que le bénéficiaire de dividendes obtient un crédit d’impôt égal à 29/71 du dividende. L’avoir et le dividende liquide sont additionnés et soumis à l’impôt sur le revenu au titre des revenus du capital.

7.        L’effet de l’avoir fiscal peut être illustré par l’exemple de calcul suivant. Si l’on suppose que le bénéfice d’une société s’élève à 100 centimes par action avant impôt, l’entreprise en acquitte 29 centimes au titre de l’impôt sur les sociétés. Les 71 centimes restants sont versés au titre du dividende. L’avoir fiscal s’élève à 29/71 du dividende (71 centimes), soit 29 centimes. Le bénéficiaire du dividende perçoit au total 71 centimes par action en liquide et 29 centimes sous la forme d’un avoir fiscal, soit au total 100 centimes. L’impôt sur le revenu frappant les revenus du capital s’élevant à 29 % de ces 100 centimes, cet impôt se monte à 29 centimes, dont est déduit l’avoir fiscal du même montant. Le bénéficiaire du dividende conserve donc, après impôt, exactement le montant du dividende en liquide, soit 71 centimes. La déduction de l’impôt sur les sociétés acquitté par la société entraîne donc, en pratique, une exonération totale de l’impôt sur le revenu frappant les revenus du capital.

8.        Il existe un rapport inverse entre l’impôt sur les sociétés dû par la société et l’avoir fiscal. En effet, si l’impôt sur les sociétés effectivement acquitté par la société est inférieur à 29/71 du dividende, c’est-à-dire inférieur à l’avoir fiscal, la société doit fournir la différence sous la forme d’un impôt complémentaire. Tel est le cas lorsque les dividendes distribués excèdent le bénéfice de l’entreprise après impôt.

9.        Si l’entreprise a en revanche acquitté plus d’impôt sur les sociétés que les actionnaires n’ont perçu à titre d’avoir fiscal, la différence reste pour la société un avoir fiscal qui peut être imputé pendant dix ans sur les dettes d’impôt correspondantes.

10.      La loi sur l’avoir fiscal ne s’applique toutefois, aux termes de son article 1er, paragraphe 1, qu’à la taxation par l’État et les communes des sociétés anonymes nationales versant des dividendes, et au contribuable assujetti à l’impôt à titre principal dans le pays qui perçoit des dividendes de cette société. En vertu de son article 1er, paragraphe 4, les dispositions de cette loi s’appliquent également aux sociétés établies dans un État membre de l’Espace économique européen dont les parts donnant lieu à des dividendes ont un lien effectif avec un établissement situé en Finlande.

11.      En Suède, les dividendes servis à des contribuables à l’intérieur du pays sont soumis à titre principal à l’impôt sur le revenu. Dans le cas où les bénéficiaires des dividendes ne résident pas en Suède, un impôt est retenu à la source. En vertu de la convention fiscale conclue entre les pays nordiques en vue d’éviter la double imposition, l’État où le dividende est servi peut retenir un impôt à la source de 15 % au plus sur les dividendes, qui est imputé sur l’impôt sur le revenu dû par le bénéficiaire des dividendes dans l’État membre où il réside.

12.      En se basant sur l’exemple précédemment fourni, l’imposition est la suivante lorsqu’une entreprise suédoise sert un dividende de 71 centimes par action à un contribuable établi en Finlande. L’administration fiscale suédoise retient un impôt à la source de 15 % (au plus), soit 10,65 centimes. En Finlande, le bénéficiaire du dividende doit acquitter 29 % d’impôt sur le revenu de 71 centimes (20,59 centimes), sur lesquels sont imputés les 10,65 centimes déjà acquittés. Le dividende restant après impôt est de 50,41 centimes. L’impôt sur les sociétés déjà acquitté par la société en Suède n’est pas pris en considération.

III –  Faits du litige principal et questions préjudicielles

13.      Dans sa demande auprès de la Keskusverolautakunta (commission centrale des impôts), M. Manninen a souhaité obtenir une décision préliminaire sur la question de savoir si, compte tenu des articles 56 CE et 58 CE, les dividendes que doit lui verser la société suédoise cotée en bourse Telia Ab (publ) sont imposables en Finlande, où il est assujetti à l’impôt à titre principal. Dans sa décision préliminaire, la Keskusverolautakunta a estimé que les dividendes servis en Finlande pour l’exercice fiscal 2001 par la société Telia Ab (publ) étaient intégralement assujettis à l’impôt sur le revenu, et que le contribuable n’avait pas droit à un avoir fiscal.

14.      M. Manninen s’est pourvu contre cette décision auprès du Korkein hallinto-oikeus qui, par ordonnance de renvoi du 10 septembre 2002, a soumis à la Cour, au titre de l’article 234 CE, les questions préjudicielles suivantes:

«1)Convient-il d’interpréter l’article 56 CE en ce sens qu’il s’oppose à un régime d’avoir fiscal tel que le régime finlandais décrit dans l’ordonnance de renvoi, dans lequel une personne qui est assujettie à l’impôt à titre principal en Finlande a droit à l’avoir fiscal au titre des dividendes qui lui sont versés par une société anonyme nationale, mais pas au titre de ceux qu’elle reçoit d’une société anonyme immatriculée en Suède?

2)En cas de réponse affirmative à la première question, est-il possible d’interpréter l’article 58 CE en ce sens que les dispositions de l’article 56 CE ne restreignent pas le droit pour la Finlande d’appliquer les dispositions en cause de la loi relative à l’avoir fiscal, étant donné que l’octroi de l’avoir fiscal est subordonné au paiement en Finlande, par la société qui procède à la répartition des dividendes, d’un impôt ou impôt complémentaire correspondant, ce qui n’est pas le cas lorsqu’il s’agit de dividendes versés par une société étrangère, situation dans laquelle il n’y a pas du tout d’imposition?»

IV –  Arguments des parties

15.      Au cours de la procédure devant la Cour, M. Manninen, les gouvernements finlandais, français et du Royaume-Uni, ainsi que la Commission, ont déposé des observations. Alors que M. Manninen et la Commission estiment que le régime finlandais de l’avoir fiscal est incompatible avec les articles 56 CE et 58 CE, les gouvernements cités sont tous d’un avis contraire.

16.      Selon M. Manninen et la Commission, on est en présence d’une restriction à la libre circulation des capitaux, car les modalités du régime de l’avoir fiscal sont de nature à dissuader les investisseurs de placer des capitaux dans un autre État membre. Aucun avoir fiscal ne pouvant être déduit aux fins de l’imposition des dividendes perçus à l’étranger, ces revenus sont en définitive plus fortement imposés que les dividendes servis dans le pays de résidence. En outre, du fait de ce régime, il est également plus difficile, pour les sociétés ayant leur siège dans un autre État membre, de collecter des capitaux en Finlande.

17.      De leur point de vue, l’article 58 CE et la cohérence du système fiscal ne justifient pas la réglementation en cause. Ainsi que la Cour l’a établi dans l’arrᆰt Verkooijen  (7) , la cohérence fiscale ne peut pas être invoquée s’agissant de contribuables et de types d’imposition différents. Les dispositions litigieuses concernent, d’une part, l’impôt sur les sociétés dû par la société et, d’autre part, l’imposition du revenu du bénéficiaire du dividende.

18.      La Commission estime qu’un système d’avoir fiscal destiné à éviter la double imposition n’est licite que s’il est non discriminatoire et effectivement cohérent. La réglementation finlandaise ne remplit pas ces conditions, car aucun avoir fiscal n’est accordé pour les placements à l’étranger. En outre, les contribuables établis dans un autre État ne bénéficient pas d’un crédit d’impôt pour les dividendes servis par des sociétés finlandaises. En réalité, le régime litigieux vise à garantir des recettes fiscales.

19.      M. Manninen estime, de même, que le système ne serait cohérent que si un avoir fiscal était aussi accordé au titre des dividendes servis à l’étranger. Cela est possible, comme le montre une disposition en ce sens de la convention sur la double imposition conclue entre l’Irlande et la Finlande, aux termes de laquelle les contribuables établis en Irlande qui perçoivent des dividendes de sociétés finlandaises bénéficient, dans certaines limites, d’un avoir fiscal.

20.      Les gouvernements finlandais, français et du Royaume-Uni invoquent la jurisprudence qui autorise un traitement différent des contribuables si ceux-ci ne se trouvent pas dans la même situation  (8) . La situation diffère en l’espèce en ce que, pour les entreprises établies en Finlande, l’impôt complémentaire permet d’assurer un parfait équilibre entre le crédit d’impôt accordé au bénéficiaire de dividendes et l’impôt sur les sociétés effectivement acquitté par la société. Cela n’est pas possible pour les sociétés étrangères, qui ne sont pas soumises à l’impôt complémentaire. Pour le gouvernement français, la réglementation procède du principe de territorialité, admis par la Cour  (9) .

21.      Les gouvernements finlandais, français et du Royaume-Uni estiment qu’il s’agit en outre d’un régime cohérent. La réglementation garantit que les mêmes revenus ne sont taxés qu’une seule fois en Finlande. Les revenus des sociétés étrangères n’ayant pas été taxés en Finlande, l’imposition des dividendes que ces sociétés servent à des contribuables en Finlande ne donne pas lieu à une double imposition par l’administration fiscale finlandaise.

22.      Il existe, de plus, un rapport direct entre l’imposition du bénéficiaire des dividendes et l’imposition de la société, car l’avoir fiscal n’est accordé qu’à condition que l’impôt sur les sociétés correspondant ait été effectivement acquitté. Le régime litigieux en l’espèce diffère donc à cet égard du régime d’exonération qui faisait l’objet de l’affaire Verkooijen, précitée.

23.      La prise en compte de l’impôt sur les sociétés acquitté à l’étranger demandée par M. Manninen serait en contradiction avec le système, qui repose précisément sur le lien existant entre le crédit d’impôt et l’impôt sur les sociétés. Dans le cas des sociétés ayant leur siège à l’étranger, ce lien n’existe pas.

24.      Les gouvernements français et du Royaume-Uni se demandent quelle marge d’application peut bien subsister pour l’article 58, paragraphe 1, sous a), CE et pour le principe de la cohérence fiscale si le régime finlandais ne répond pas aux conditions requises par ces dispositions. Certes, la cohérence n’est pas réalisée dans le cadre de l’imposition d’un contribuable seul. Mais la réglementation vise un but légitime, celui d’éviter une double imposition. Faute d’une harmonisation à l’échelle communautaire, la Cour de justice ne peut s’ingérer dans l’organisation des régimes fiscaux nationaux, en n’autorisant qu’une forme déterminée d’imputation ou d’exonération de l’impôt sur les sociétés.

V –  Appréciation juridique

25.      Par ses deux questions préjudicielles, qui doivent être examinées ensemble, la juridiction de renvoi souhaite en substance savoir si des dispositions telles que celles du régime finlandais litigieux de l’avoir fiscal sont compatibles avec les règles relatives à la libre circulation des capitaux, en particulier avec les articles 56 CE et 58, paragraphes 1, sous a), et 3, CE.

26.      En ce qui concerne l’applicabilité du principe de la libre circulation des capitaux aux dispositions nationales relatives aux impôts directs, il convient de se référer à la jurisprudence constante, selon laquelle «si, en l’état actuel du droit communautaire, la matière des impôts directs ne relève pas en tant que telle du domaine de la compétence de la Communauté, il n’en reste pas moins que les États membres doivent exercer leurs compétences retenues dans le respect du droit communautaire»  (10) . Par conséquent, le législateur finlandais est tenu, en matière fiscale, de tenir compte des libertés fondamentales et, en particulier, des dispositions sur la libre circulation des capitaux.

A –   Restriction aux mouvements de capitaux

27.      En vertu de l’article 56, paragraphe 1, CE, toutes les restrictions aux mouvements de capitaux entre les États membres sont interdites. L’acquisition par des non-résidents de titres étrangers cotés en bourse est, en vertu du point III, A, 2, de la nomenclature figurant à l’annexe I de la directive 88/361/CEE du Conseil, du 24 juin 1988, pour la mise en œuvre de l’article 67 du traité  (11) , une opération relevant du champ d’application de la libre circulation des capitaux, ainsi que la Commission l’a relevé à juste titre. La nomenclature peut continuer à être invoquée après l’introduction par le traité sur l’Union européenne des articles 73 B à 73 D du traité CE (devenus articles 56 CE à 58 CE)  (12) .

28.      Toute mesure qui complique le transfert transfrontalier de capitaux ou le rend moins attrayant, et qui est donc de nature à dissuader l’investisseur de l’effectuer, constitue une restriction aux mouvements de capitaux  (13) . La notion de restriction aux mouvements de capitaux correspond à cet égard à la notion de restriction que la Cour a développée dans le domaine des autres libertés fondamentales, en particulier de la libre circulation des marchandises  (14) .

29.      Les dispositions nationales litigieuses ne concernent, certes, pas directement l’acquisition d’actions, mais le traitement fiscal des revenus du placement financier. Le but du placement étant généralement de dégager des revenus nets, la réglementation relative au traitement fiscal des revenus affecte aussi l’attractivité du placement du capital lui-même.

30.      Dans le régime finlandais, les dividendes des sociétés étrangères et ceux des sociétés nationales sont traités de manière différente. L’actionnaire qui perçoit des dividendes de sociétés nationales bénéficie d’un avoir fiscal dont la déduction ramène en pratique l’impôt sur les sociétés à zéro. Les dividendes perçus à l’étranger doivent être imposés au taux de 29 %, sans possibilité de déduire l’impôt sur les sociétés acquitté par la société étrangère. Le capital placé à l’étranger donne donc lieu en pratique à une double imposition des bénéfices de l’entreprise – même si ce n’est pas par la même administration fiscale –, laquelle doit être évitée, dans les opérations purement internes, grâce à l’avoir fiscal.

31.      Certes, l’impôt à la source déjà retenu à l’étranger est pris en compte. Mais cela n’entraîne pas de réduction de la charge fiscale supportée par le bénéficiaire de dividendes. Ce dernier doit en tout état de cause continuer à payer au total 29 % d’impôt, pour partie sous la forme d’une retenue à la source dans l’État du siège de la société qui distribue le dividende, le reste au titre de l’impôt sur le revenu en Finlande.

32.      Le traitement fiscal du placement de fonds en actions de sociétés ayant leur siège à l’étranger étant moins avantageux, ce placement est moins attrayant pour les investisseurs que l’achat d’actions de sociétés nationales, ce qui restreint les mouvements de capitaux.

33.      Puisqu’il est désavantageux, du point de vue fiscal, pour les personnes physiques, d’acquérir des actions de sociétés étrangères, la collecte de capitaux sur le marché finlandais en devient par là même plus difficile pour les sociétés étrangères. Cela constitue également une restriction à la libre circulation des capitaux au détriment des sociétés étrangères de capitaux.

B –   Justification de la restriction

1.        Interprétation de l’article 58 CE

34.      L’article 58, paragraphe 1, sous a), CE  (15) permet aux États membres «d’appliquer les dispositions pertinentes de leur législation fiscale qui établissent une distinction entre les contribuables qui ne se trouvent pas dans la même situation en ce qui concerne leur résidence ou le lieu où leurs capitaux sont investis».

35.      Les dispositions fiscales litigieuses établissent une distinction entre les contribuables qui ont investi dans des entreprises nationales et ceux qui ont effectué les mêmes placements dans un autre État membre. Cela constitue donc une différence de traitement selon le lieu où les capitaux sont investis, qui est en principe permise aux États membres dans le cadre de leur droit fiscal, au titre de l’article 58, paragraphe 1, sous a), CE.

36.      Il se peut, certes, que les États membres aient introduit l’article 73 D, paragraphe 1, sous a), du traité dans le traité sur l’Union européenne dans le but de permettre à quelques États membres de conserver leur système de déduction en fonction du lieu d’imposition, ainsi que le gouvernement du Royaume-Uni l’a fait valoir à l’audience  (16) . Mais, depuis l’arrêt Verkooijen, précité, il est acquis que cette disposition ne donne pas aux États membres un blanc-seing pour que le droit fiscal national admette n’importe quelle différence de traitement entre contribuables en fonction du lieu où le capital est placé.

37.      L’article 58, paragraphe 1, sous a), CE doit bien plutôt, en tant que dérogation à la libre circulation des capitaux, être interprété de manière restrictive  (17) . En outre, cette disposition doit être lue conjointement avec l’article 58, paragraphe 3, CE, qui stipule que les mesures et procédures visées au paragraphe 1 ne doivent pas constituer une discrimination arbitraire ou une restriction déguisée à la libre circulation des capitaux  (18) .

38.      Dans l’arrêt Verkooijen  (19) , la Cour a par ailleurs indiqué que les exceptions à la libre circulation des capitaux prévues à l’article 58 CE étaient déjà admises auparavant par la jurisprudence. La Cour a donc pratiquement considéré l’article 58 CE comme une codification de sa jurisprudence antérieure  (20) . Cette disposition doit par conséquent être interprétée aussi à la lumière de la jurisprudence antérieure à son introduction  (21) .

39.      Il convient par conséquent de retenir que les restrictions à la libre circulation des capitaux au sens de l’article 58, paragraphe 1, sous a), CE sont quant à elles soumises aux principes établis à l’article 58, paragraphe 3, CE et développés dans la jurisprudence.

2.        Situation comparable en cas de placement du capital dans le pays de résidence ou à l’étranger (jurisprudence Schumacker)

40.      Pour être admise, la différence de traitement fiscal des dividendes en fonction du lieu du placement ne doit constituer, en vertu de l’article 58, paragraphe 3, CE, ni un moyen de discrimination arbitraire ni une restriction déguisée.

41.      L’hypothèse d’une discrimination arbitraire pourrait être exclue parce que la différence de traitement concerne des faits différents. La Cour a ainsi jugé, dans l’arrêt Schumacker, qu’une différence de traitement selon que le contribuable réside dans le pays ou à l’étranger ne constitue pas une discrimination interdite, dans la mesure où résidents et non-résidents ne se trouvent pas dans une situation comparable  (22) .

42.      Le principe de territorialité invoqué par le gouvernement français se rattache en définitive à cette constatation. Selon l’interprétation retenue par la Cour dans l’arrêt Futura Participations et Singer  (23) , ce principe signifie que, aux fins de l’imposition des non-résidents, seuls les gains et les dépenses ayant leur origine dans l’État d’imposition doivent être pris en compte, alors que, pour les résidents, les gains et dépenses universels sont inclus dans l’assiette de l’impôt. Puisque c’est précisément en l’espèce l’imposition d’une personne physique intégralement assujettie qui est en cause, il ne découle pas du principe de territorialité que l’imputation des impôts sur les sociétés acquittés à l’étranger est exclue.

43.      S’appuyant sur la jurisprudence Schumacker, précitée, les gouvernements qui ont pris part à la procédure ont soutenu que la situation diffère selon que le dividende est servi par une société nationale ou par une société étrangère.

44.      Il convient de relever, à cet égard, que la situation de départ ne diffère pas à la base dans les deux cas de figure. Le risque d’une double imposition des bénéfices d’une entreprise existe indépendamment du fait que l’entreprise qui sert les dividendes a son siège dans un autre État membre ou dans le même État membre que le bénéficiaire des dividendes. Dans les deux cas, les revenus sont d’abord assujettis à l’impôt sur les sociétés puis – dans la mesure où ils sont distribués sous forme de dividendes – à l’impôt sur le revenu.

45.      La seule différence consiste en ceci que la double imposition résulte, dans un cas, de l’imposition par le même État, alors que, en cas de versement transfrontalier de dividendes, elle résulte de l’imposition par deux États. Mais cette différence n’a d’importance ni du point de vue de l’investisseur ni du point de vue de l’entreprise qui souhaite collecter des capitaux.

46.      Le fait que les contribuables soient établis dans des États membres différents, et que la souveraineté fiscale soit ainsi scindée entre deux États, ne revêt une importance particulière que lorsqu’on veut instaurer des règles en vue d’éviter la double imposition. Le but de tels systèmes est que le bénéfice de l’entreprise ne soit assujetti qu’une seule et unique fois à l’impôt. L’imposition pratiquée par l’une et l’autre autorités fiscales doit donc être coordonnée. Puisque aucune harmonisation du droit communautaire n’a été effectuée dans le domaine des impôts directs, et qu’il n’existe pas non plus entre la république de Finlande et le royaume de Suède de convention en vue d’éviter la double imposition en la matière, cette coordination n’est possible sans restriction que si les deux assujettis résident dans le même État membre.

47.      On retiendra d’ores et déjà que, en ce qui concerne les procédés visant à éviter la double imposition des bénéfices des entreprises, les situations diffèrent selon que la société assujettie à l’impôt sur les sociétés et la personne physique qui est soumise à l’impôt sur le revenu du chef des dividendes qu’elle a perçus de cette société sont établies dans le même État ou dans des États différents.

48.      Mais toute différence de traitement n’est pas pour autant autorisée. En effet, des circonstances qui diffèrent ne peuvent être traitées différemment que dans la mesure où cela est inévitable du fait de leurs différences  (24) .

3.        La cohérence du régime fiscal et le principe de proportionnalité

49.      Par ailleurs, pour qu’une différence de traitement fiscal entre opérations purement intérieures et opérations transfrontalières qui restreint les mouvements de capitaux ne constitue pas une discrimination arbitraire ou une restriction déguisée au sens de l’article 58, paragraphe 3, CE, il faut qu’elle s’impose pour des raisons impérieuses d’intérêt général. La mesure en cause doit être conforme à cet égard au principe de proportionnalité, c’est-à-dire qu’elle doit être propre à la réalisation d’un objectif conforme au traité, nécessaire et proportionnée au sens étroit  (25) .

a)        La notion de cohérence du régime fiscal

50.      Le gouvernement finlandais et les autres gouvernements sont d’avis que les dispositions relatives à l’avoir fiscal sont justifiées en vue de garantir la cohérence du régime fiscal.

51.      Cette notion quelque peu diffuse s’est fermement ancrée dans la jurisprudence et dans la doctrine depuis les arrêts Bachmann  (26) et Commission/Belgique  (27) . Dans ces arrêts, la Cour a en principe admis que la préservation de la cohérence du régime fiscal est un objectif admis par le droit communautaire, que les États membres peuvent invoquer en vue de justifier des restrictions des libertés fondamentales  (28) . Sur le fond, on entend généralement simplement éviter ainsi une double imposition  (29) ou permettre qu’une opération soit soumise à un impôt (unique)  (30) (principe de l’imposition unique). Le régime belge litigieux dans les affaires précitées visait ainsi à exclure que les revenus qu’un contribuable place dans une assurance vieillesse soient imposés d’abord au titre des revenus professionnels, puis qu’ils soient à nouveau soumis à l’impôt sur le revenu au moment du versement de la pension.

52.      On ne saurait négliger à cet égard un point important: éviter la double imposition contribue aussi à la neutralité du régime fiscal du point de vue de la concurrence. Ainsi, l’un des motifs qui ont amené le législateur finlandais à adopter la loi relative à l’impôt sur les sociétés était d’harmoniser le régime fiscal de l’acquisition de capitaux propres et celui du financement par crédits bancaires. En effet, les intérêts des prêts ne sont imposés qu’une fois – au titre des recettes de la banque. L’emprunteur, lui, peut déduire de ses impôts les frais occasionnés par l’emprunt, au titre des frais professionnels.

53.     À la suite de l’arrêt Bachmann, précité, la cohérence du régime fiscal a été invoquée à de multiples reprises pour justifier des restrictions à diverses libertés fondamentales. Dans le souci de tenir compte du caractère dérogatoire de cette justification, la Cour a restreint la notion de cohérence fiscale dans ses arrêts ultérieurs. Elle exige, selon une jurisprudence constante, qu’il existe un lien direct entre l’octroi d’un avantage fiscal et la compensation de cet avantage par un prélèvement fiscal effectué dans le cadre d’une même imposition  (31) .

54.      Dans l’arrêt Bosal, la Cour a ajouté: «Lorsqu’un tel lien direct fait défaut, parce qu’il s’agit, par exemple, d’impositions distinctes ou du traitement fiscal de contribuables différents, l’argument de la cohérence du système fiscal ne saurait être invoqué»  (32) .

55.      Il reste à déterminer si les critères du «même contribuable» et du «même type d’impôt» doivent être obligatoirement et cumulativement réunis, ou s’il s’agit là seulement d’indices – certainement déterminants – de l’existence d’un lien direct entre un avantage fiscal et sa contrepartie.

56.      Si la première de ces interprétations devait être privilégiée, la république de Finlande ne pourrait en tout état de cause pas invoquer la cohérence du régime fiscal. On pourrait, certes, considérer à la rigueur l’impôt sur les sociétés et l’impôt sur le revenu comme des impôts analogues pour l’essentiel, puisqu’ils portent tous deux – contrairement par exemple à l’impôt sur la fortune  (33) – sur des revenus courants. Mais le critère du même assujetti n’est pas satisfait. En effet, comme la Cour l’avait déjà établi dans l’arrêt Verkooijen, l’assujettissement de la société à l’impôt sur les sociétés, d’une part, et l’assujettissement du bénéficiaire du dividende à l’impôt sur le revenu, d’autre part, constituent deux impositions distinctes de contribuables différents  (34) .

57.      On relèvera, à l’appui de cette interprétation étroite de la notion de cohérence fiscale, qu’elle correspond particulièrement à l’objectif consistant à n’admettre que de manière restreinte des dérogations à la libre circulation des capitaux. Par contre, l’attachement rigoureux au critère du même contribuable débouche dans certains cas sur des résultats arbitraires, comme le montre précisément le présent cas de figure.

58.      Plusieurs moyens s’offrent en principe pour éviter que les bénéfices de l’entreprise ne soient doublement imposés. On peut imputer en totalité l’impôt sur les sociétés lors de l’imposition des dividendes (comme dans le modèle finlandais, pour les dividendes versés dans le pays), ou au contraire exonérer le dividende de l’impôt sur le revenu. Dans ce cas, l’impôt unique est perçu exclusivement au niveau de l’entreprise. Mais on peut aussi envisager la voie inverse, seuls les bénéfices non distribués de l’entreprise étant soumis à l’impôt sur les sociétés. L’actionnaire perçoit alors son dividende sur des gains encore non imposés, il ne sera imposé qu’au titre de l’impôt sur le revenu dont il est redevable  (35) .

59.      Enfin, les impôts peuvent être prélevés pour partie auprès de l’entreprise et pour partie auprès du bénéficiaire du dividende, comme c’est par exemple le cas avec les systèmes d’abattement de 50 % ou les systèmes que la Commission qualifie de cédulaires  (36) . Dans le litige principal également, seule une partie du dividende de M. Manninen est imposée en Finlande. L’autre partie a en effet déjà été retenue auparavant à la source lors du versement du dividende par l’entreprise en Suède.

60.      Ces exemples montrent qu’il est relativement indifférent que le versement unique de la taxe soit en définitive imputé à l’entreprise ou à l’actionnaire, aussi longtemps du moins que les mêmes taux d’imposition sont appliqués dans les deux cas. Dans le cas du régime finlandais de déduction, on pourrait aussi adopter – comme la juridiction de renvoi – le point de vue selon lequel l’entreprise acquitte en définitive, pour le compte de l’actionnaire, une sorte d’impôt anticipé sur les dividendes, dans la mesure où elle verse l’impôt sur les sociétés au titre des bénéfices de l’entreprise distribués ensuite sous forme de dividende.

61.      Ces arguments laissent à penser qu’il peut aussi exceptionnellement exister un lien justifiant la cohérence fiscale lorsqu’une charge pesant sur un contribuable est compensée par un allègement pour un autre contribuable. Il faut pour cela:

–que l’imposition vise, sinon le même contribuable, à tout le moins les mêmes revenus ou la même opération économique, et

–que les modalités de conception juridique du régime garantissent que l’avantage ne bénéficie à un contribuable que si la charge imposée à l’autre contribuable est effectivement créée et qu’elle a la même valeur.

62.      L’application de ces critères offre, tout aussi efficacement que le critère du même contribuable, la garantie que la cohérence du régime fiscal ne devienne pas un motif justificatif extensible à volonté. C’est ainsi par exemple que les dispositions nationales applicables dans l’affaire Verkooijen  (37) , tout comme dans l’affaire Svensson et Gustavsson  (38) , n’auraient pas non plus été considérées comme un régime cohérent.

63.      Dans l’affaire Verkooijen, il n’était pas garanti que le dividende ne serait exonéré de l’impôt sur le revenu que lorsque la société servant le dividende aurait effectivement acquitté le montant de l’impôt sur les sociétés correspondant. Dans le régime luxembourgeois sur lequel portait l’arrêt Svensson et Gustavsson, précité, c’est le critère de la même opération économique ou des mêmes revenus qui aurait fait défaut. Selon ce régime, les contribuables obtenaient en effet au Luxembourg une bonification d’intérêt sur les crédits destinés à l’achat de leur résidence principale souscrits auprès de banques luxembourgeoises. La limitation aux banques nationales avait été justifiée par le fait que seules celles-ci étaient assujetties à l’impôt dans le pays.

64.      La réglementation finlandaise litigieuse remplit les conditions énumérées au point 61. Elle vise les mêmes revenus, à savoir les revenus de la société, qui, sous forme de dividendes, sont pour ainsi dire transférés au contribuable, et elle garantit que l’avantage (la déduction de l’impôt sur les sociétés) n’est accordé que si sa contrepartie (le paiement de l’impôt sur les sociétés) a réellement été fournie. Les dispositions relatives à l’impôt complémentaire garantissent en outre que le montant de l’avoir fiscal coïncide avec celui de l’impôt acquitté par la société.

65.      Le motif pris de la cohérence du régime fiscal ne peut donc pas être rejeté d’emblée en l’espèce au motif que ce régime vise deux contribuables, la société et le bénéficiaire de dividendes.

b)        La cohérence du régime fiscal, objectif légitime dans le cadre de la justification de l’inégalité de traitement des opérations nationales et étrangères

66.      La question est de savoir dans quelle mesure la cohérence du régime fiscal peut aussi être invoquée en l’occurrence comme un objectif compatible avec le traité lorsque, sous ce régime, les opérations internes et internationales sont traitées différemment. Si le traité imposait que la cohérence ne puisse pas être assurée au niveau national seul, mais qu’elle englobe aussi dans la mesure du possible les opérations internationales, les objectifs mêmes du régime finlandais ne seraient pas conformes au droit communautaire.

67.      Les dispositions finlandaises litigieuses sur l’avoir fiscal ne sont pas applicables lorsque la société qui sert les dividendes a son siège à l’étranger. Les dispositions se bornent donc à exclure une double imposition dans les opérations purement internes, mais l’admettent en cas de placement financier à l’étranger.

68.      La Commission fait en outre valoir que le bénéficiaire étranger de dividendes d’une société finlandaise ne perçoit pas non plus d’avoir fiscal. Mais le gouvernement finlandais a à juste titre mentionné à ce sujet à l’audience que l’administration fiscale finlandaise n’a pas le pouvoir de veiller à la déduction de l’impôt sur les sociétés lorsque le bénéficiaire de dividendes est imposé à l’étranger.

69.      Il est vrai que le droit communautaire ne dicte pas aux États membres la manière dont ils doivent aménager leurs régimes en vue d’éviter la double imposition économique. Mais, ainsi que cela a été exposé en introduction, le législateur national doit en tout cas, en matière fiscale, respecter les libertés fondamentales sur le marché intérieur, en l’occurrence la libre circulation des capitaux, même si la Communauté ne dispose pas actuellement de compétences propres en matière d’impôts directs  (39) . Par ailleurs, les États membres sont en principe habilités à traiter de manière différente les opérations purement intérieures et les opérations transfrontalières. Mais, si la différence de traitement est en outre associée à la restriction d’une liberté fondamentale, la différence ne saurait excéder ce qui est inévitable du fait de situations différentes  (40) .

70.      C’est sur cet élément que se fonde l’argumentation des gouvernements qui ont pris part à la procédure. Ils avancent, en substance, deux arguments. D’une part, ils indiquent que l’impôt sur les sociétés acquitté à l’étranger – en l’occurrence en Suède – ne bénéficie pas au fisc finlandais, et qu’il ne peut donc pas être déduit lors de l’imposition du dividende en Finlande. D’autre part, ils font valoir que le fisc finlandais ne peut pas assurer la compensation intégrale de l’impôt sur les sociétés acquitté en Suède et du crédit d’impôt correspondant à accorder en Finlande, parce qu’il ne peut pas imposer à la société suédoise un impôt complémentaire.

71.      Sur le premier argument, il convient de renvoyer à la jurisprudence constante selon laquelle un déficit de rentrées fiscales ne saurait par principe être invoqué pour justifier une mesure portant atteinte à un droit fondamental  (41) . La république de Finlande doit donc admettre que la déduction de l’impôt sur les sociétés qui a été versé au fisc suédois entraîne pour elle une diminution de ressources lors de l’imposition du ressortissant national qui a perçu des dividendes. Les ressources fiscales vont ainsi en définitive à l’État dans lequel une activité économique a donné lieu à la production de bénéfices.

72.      En ce qui concerne le deuxième argument invoqué par les gouvernements, on ne peut nier qu’il est nettement plus simple d’effectuer la déduction lorsque les deux contribuables concernés relèvent de la même autorité fiscale. Mais cela ne peut pas justifier que l’impôt sur les sociétés acquitté à l’étranger ne soit en aucun cas déductible, et que la libre circulation des capitaux soit ainsi entravée.

73.      Il faut bien plutôt donner au moins au bénéficiaire de dividendes assujetti à l’impôt en Finlande la possibilité, par exemple en produisant les attestations correspondantes de la société, de fournir une preuve du taux de l’impôt sur les sociétés effectivement déjà acquitté. On ne saurait cependant poser des exigences exorbitantes, qui rendraient pratiquement impossible ou excessivement difficile l’exercice des droits conférés par l’ordre juridique communautaire  (42) .

74.      L’imputation ne doit, du reste, pas nécessairement aboutir à ce que les dividendes versés en Suède soient intégralement exonérés de l’impôt sur le revenu en Finlande. Le principe de non-discrimination exige seulement, en fait, que, lors de l’application de l’imposition (unique), l’impôt sur les sociétés effectivement acquitté soit (intégralement) pris en compte. Dès lors que le fisc finlandais ne peut pas exiger une compensation de l’entreprise étrangère, pour compenser une différence entre l’impôt sur les sociétés payé et l’impôt sur le revenu, il serait légitime que la compensation soit fournie par une imposition relativement plus élevée des revenus du contribuable national.

75.      Si cette solution était retenue, le bénéficiaire de dividendes produits par un placement à l’étranger serait certes traité, là encore, moins favorablement que le bénéficiaire de dividendes d’une société nationale. D’une part, il devrait dans certains cas admettre, le cas échéant, une imposition légèrement plus élevée. D’autre part, il devrait remplir des formalités supplémentaires pour pouvoir bénéficier de l’avoir fiscal, alors que la déduction est effectuée d’office en cas de placement dans le pays. Ces différences de traitement sont néanmoins inévitables, les circonstances de fait étant différentes  (43) .

76.      Au vu de ces arguments, la Cour a demandé aux parties d’indiquer quelles difficultés pratiques feraient obstacle à une déduction, lors de l’imposition du dividende en Finlande, de l’impôt sur les sociétés acquitté à l’étranger.

77.     À l’audience, les gouvernements finlandais et du Royaume-Uni ont surtout fait valoir à cet égard qu’il est difficile, pour le contribuable comme pour l’administration fiscale, d’obtenir, dans le cadre de l’imposition des dividendes, les informations nécessaires sur l’impôt sur les sociétés acquitté par la société dans un autre État membre. Le gouvernement finlandais a ajouté pour compléter que, aux fins de la déduction, le taux de l’impôt sur les sociétés applicable à l’étranger ne doit pas être seul pris en considération, car la base d’imposition peut inclure des facteurs différents d’un État à l’autre. Le gouvernement du Royaume-Uni a souligné les difficultés particulières qui résultent du fait que la libre circulation des capitaux s’applique également dans les rapports avec les États tiers.

78.      Mais ces difficultés ne peuvent pas justifier que la déduction de l’impôt sur les sociétés payé à l’étranger soit totalement exclue. Pour tenir compte des différences de taux d’imposition et de composition de la base d’imposition, la somme effectivement versée par action au titre de l’impôt sur les sociétés pourrait être déduite. Cette somme devrait pouvoir être indiquée par la société concernée, par exemple sur la base de son bilan portant sur l’exercice pour lequel le dividende est également servi. Si la société n’est pas en mesure de le faire, c’est en définitive l’actionnaire qui en pâtit, puisqu’il ne peut fournir les preuves requises dans le cadre de l’imposition de ses dividendes quant à l’impôt à déduire. Il est plausible qu’il optera en pareil cas pour un autre placement financier.

79.      Des problèmes particuliers peuvent se poser dans des cas impliquant des États tiers. Mais le principe de la libre circulation des capitaux avec les États tiers établi à l’article 56, paragraphe 1, CE n’impose pas obligatoirement que l’impôt sur les sociétés acquitté dans des États tiers doive nécessairement être déduit de la même manière que dans les opérations intérieures à la Communauté. Le principe est au contraire, là encore, qu’une égalité de traitement ne s’impose que dans la mesure où les situations sont comparables. Mais, compte tenu des circonstances du cas d’espèce, on peut laisser ouverte la question de savoir dans quelle mesure les principes développés en l’espèce sont transposables aux rapports avec les États tiers.

80.      En conclusion, il convient de retenir qu’un régime de déduction de l’impôt sur les sociétés lors de l’imposition des dividendes ne peut pas être justifié par des motifs pris de la cohérence du régime fiscal si la déduction est exclue en cas de placement à l’étranger, alors que la déduction serait en principe possible.

VI –  Conclusion

81.      Sur la base des développements qui précèdent, je suggère de répondre aux questions préjudicielles du Korkein hallinto-oikeus dans les termes suivants:

«Les articles 56, paragraphe 1, CE et 58, paragraphes 1, sous a), et 3, CE font obstacle aux dispositions d’un État membre aux termes desquelles, lors de l’imposition du dividende versé par une société anonyme ayant son siège dans ce pays à une personne physique intégralement assujettie à l’impôt dans ce même pays, l’impôt sur les sociétés acquitté par la société est imputé, alors qu’une telle imputation de l’impôt sur les sociétés est exclue lorsque le dividende a été servi par une société ayant son siège à l’étranger.»


1 – Langue originale: l'allemand.


2 – La Commission donne dans sa communication COM/2003/810, du 19 décembre 2003, sur l’imposition des dividendes au niveau des personnes physiques dans le marché intérieur, un aperçu mis à jour des régimes existant dans les États membres. Voir également le régime néerlandais, qui a fait l’objet de l’arrêt du 6 juin 2000, Verkooijen (C-35/98, Rec. p. I-4071), et le régime autrichien, que l’avocat général Tizzano a analysé dans ses conclusions du 29 janvier 2002 dans l’affaire Schmid (arrêt du 30 mai 2002, C-516/99, Rec. p. I-4573, spécialement p. I-4575) et, sur le même sujet, l’affaire Lenz (C-315/02, actuellement pendante devant la Cour).


3 – La Commission étudie depuis les années 60 les problèmes que cette pratique d’imposition entraîne pour le marché intérieur (voir Lupo, «Reliefs from Economic Double Taxation on EU Dividends: Impact of the Baars and Verkooijen Cases», European Taxation, 2000, p. 270, spécialement p. 271). Sur la situation actuelle, voir la communication citée à la note 2.


4 – Précité (note 2).


5 – Arrêt du 28 janvier 1992 (C-204/90, Rec. p. I-249).


6 – Arrêt du 28 janvier 1992 (C-300/90, Rec. p. I-305).


7 – Précité (note 2), points 57 et 58. Voir également les conclusions de l’avocat général Tizzano dans l’affaire Schmid, précitée (note 2), point 51.


8 – Arrêts Verkooijen, précité (note 2), point 43, et du 14 février 1995, Schumacker (C-279/93, Rec. p. I-225, points 26 et suiv.).


9 – Arrêt du 15 mai 1997, Futura Participations et Singer (C-250/95, Rec. p. I-2471, point 22).


10 – Arrêt Schumacker, précité (note 8), point 21; voir également arrêts Verkooijen, précité (note 2), point 32, et du 11 décembre 2003, Barbier (C-364/01, non encore publié au Recueil, point 56).


11 – JO L 178, p. 5.


12 – La Commission renvoie aux conclusions de l’avocat général Tesauro dans l’affaire Sanz de Lera e.a. (arrêt du 14 décembre 1995, C-163/94, C-165/94 et C-250/94, Rec. p. I-4821, spécialement p. I-4823, points 9 et 10).


13 – Dans le même sens, arrêt du 16 mars 1999, Trummer et Mayer (C-222/97, Rec. p. I-1661, point 26).


14 – Voir les arrêts de base du 11 juillet 1974, Dassonville (8/74, Rec. p. 837, point 5); du 25 juillet 1991, Säger (C-76/90, Rec. p. I-4221, point 12), et du 30 novembre 1995, Gebhard (C-55/94, Rec. p. I-4165, point 37).


15 – Selon la déclaration n° 7 sur le traité sur l’Union européenne, cette disposition ne doit s’appliquer qu’aux dispositions du droit national qui existaient fin 1993. Pour la république de Finlande, c’est la date de son adhésion qui devrait être pertinente de ce point de vue. La version de la loi sur l’avoir fiscal en vigueur semble effectivement dater de 1998. Il ressort néanmoins des observations présentées par le gouvernement finlandais au cours de la procédure que le système de l’avoir fiscal a été instauré dès 1990.


16 – Voir Terra, Wattel, European Tax Law, 3e éd., 2001, p 19.


17 – Arrêt du 14 mars 2000, Église de scientologie (C-54/99, Rec. p. I-1335, point 17).


18 – Arrêt Verkooijen, précité (note 2), point 44, et conclusions de l’avocat général Tizzano dans l’affaire Schmid, précitée (note 2), point 44.


19 – Précité (note 2), point 43.


20 – Voir mes conclusions du 12 février 2004 dans l’affaire Weidert et Paulus (C-242/03, pendante devant la Cour, point 27).


21 – Dans le même sens, conclusions de l’avocat général Tizzano dans l’affaire Schmid, précitée (note 2), point 44.


22 – Arrêt Schumacker, précité (note 8), points 31 et suiv.


23 – Précité (note 9), points 20 à 22.


24 – Voir arrêt du 12 juin 2003, Gerritse (C-234/01, Rec. p. I-5933). Dans cette décision, la Cour a, certes, admis qu’un contribuable partiellement assujetti peut valablement être soumis à un taux d’imposition forfaitaire, qui ne prend pas en compte sa situation financière personnelle globale, car la situation des contribuables non-résidents, partiellement assujettis, diffère de celle des contribuables résidents. Elle a en revanche estimé que la différence de traitement des frais professionnels était contraire au droit communautaire.


25 – Voir arrêts du 26 septembre 2000, Commission/Belgique (C-478/98, Rec. p I-7587, point 41), et Sanz de Lera e.a., précité (note 12), point 23. Voir également les conclusions de l’avocat général Mischo dans l’affaire X. et Y. (arrêt du 21 novembre 2002, C-436/00, Rec. p. I-10829, spécialement p. I-10832, point 80) et de l’avocat général Tizzano dans l’affaire Schmid, précitée (note 2), point 44.


26 – Précité (note 5).


27 – Précité (note 6).


28 – Le législateur communautaire poursuit lui-même cet objectif [voir le deuxième considérant de la directive 2003/123/CE du Conseil, du 22 décembre 2003, modifiant la directive 90/435/CEE concernant le régime fiscal commun applicable aux sociétés mères et filiales d’États membres différents (JO 2004, L 7, p. 41)] «d’exonérer de retenue à la source les dividendes et autres bénéfices distribués par des filiales à leur société mère, et d’éliminer la double imposition de ces revenus au niveau de la société mère».


29 – Cet argument semble également avoir été à la base des différentes réglementations nationales qui ont fait l’objet des arrêts du 3 octobre 2002, Danner (C-136/00, Rec. p. I-8147), et du 26 juin 2003, Skandia et Ramstedt (C-422/01, Rec. p. I-6817).


30 – Voir arrêt X et Y, précité (note 25): la réglementation suédoise en cause dans cette affaire avait pour but de (parvenir à) taxer les bénéfices des actions.


31 – Arrêts Verkooijen, précité (note 2), point 57, et du 18 septembre 2003, Bosal (C-168/01, non encore publié au Recueil, point 29).


32 – Arrêt Bosal, précité (note 31), point 30, se référant à l’arrêt du 13 avril 2000, Baars (C-251/98, Rec. p. I-2787, point 40).


33 – Dans l’arrêt Baars, précité (note 32), la justification fondée sur des motifs pris de la cohérence du régime fiscal a été rejetée notamment parce qu’il s’agissait de deux types d’impôts différents, à savoir l’impôt sur la fortune et l’impôt sur les sociétés.


34 – Arrêt Verkooijen, précité (note 2), point 58.


35 – Dans ce modèle, l’État veut toutefois garantir par un impôt à la source que les dividendes perçus à l’étranger n’échappent pas à l’impôt. Il existe (ou existait) en Grèce un système analogue [voir Terra, Vattel, précité (note 16), point 4.2.3.2, p. 166 et 167].


36 – Voir à cet égard la communication de la Commission du 19 décembre 2003, précitée (note 2), point 2.2.2. Selon les indications de la Commission, cette approche est maintenant adoptée – avec certaines variantes – dans la plupart des États membres (voir point 2.4 de la communication).


37 – Précitée (note 2).


38 – Arrêt du 14 novembre 1995, Svensson et Gustavsson (C-484/93, Rec. p. I-3955).


39 – Voir ci-dessus, point 26.


40 – Voir ci-dessus, points 47 et 48.


41 – Arrêts du 16 juillet 1998, ICI (C-264/96, Rec. p. I-4695, point 28); du 12 décembre 2002, De Groot (C-385/00, Rec. p. I-11819, point 103), et Verkooijen, précité (note 2), point 59.


42 – Voir, en particulier, sur le principe d’effectivité, les arrêts du 16 décembre 1976, Rewe (33/76, Rec. p. 1989, point 5), et du 24 septembre 2002, Grundig Italiana (C-255/00, Rec. p. I-8003, point 33).


43 – Voir ci-dessus, point 48.