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CONCLUSIONS DE L’AVOCAT GÉNÉRAL

Mme CHRISTINE Stix-Hackl

présentées le 12 mai 2005 (1)

Affaire C-512/03

J. E. J. Blanckaert

contre

Inspecteur van de Belastingdienst/Particulieren/Ondernemingen buitenland te Heerlen

[demande de décision préjudicielle formée par le Gerechtshof te’s-Hertogenbosch (Pays-Bas)]

«Libre circulation des capitaux – Fiscalité directe – Impôt sur le revenu – Revenus provenant de l’épargne et des placements – Réduction de prélèvements au titre de la sécurité sociale – Qualité d’affilié comme critère de distinction admissible?»





I –    Remarques introductives

1.     La présente affaire s’inscrit dans une série d’affaires encore en partie pendantes relatives aux limites apportées par le droit communautaire à la souveraineté fiscale des États membres (2).

2.     Dans la présente espèce, la juridiction de renvoi souhaite savoir en substance si la libre circulation des capitaux s’oppose à une réglementation nationale selon laquelle les réductions de prélèvements au titre de la sécurité sociale ne sont pas accordées aux non-résidents si ceux-ci ne perçoivent pas de revenus dans ce même État membre servant de base pour l’établissement des cotisations visant à financer les assurances sociales.

II – Cadre juridique

A –    La réglementation communautaire

3.     Suivant l’article 56 CE (anciennement article 73 B du traité CE), toutes les restrictions aux mouvements de capitaux et aux paiements entre les États membres et entre les États membres et les pays tiers sont interdites; sans préjudice toutefois des dispositions fiscales pertinentes des États membres qui établissent une distinction entre les contribuables qui ne se trouvent pas dans la même situation en ce qui concerne leur résidence ou le lieu où leurs capitaux sont investis [article 58, paragraphe 1, sous a), CE (anciennement article 73 D, paragraphe 1, sous a), du traité CE)]. Toutefois, cette exception ne permet pas l’adoption de règles constituant un moyen de discrimination arbitraire ou une restriction déguisée à la libre circulation des capitaux et des paiements (article 58, paragraphe 3, CE).

4.     D’autre part, l’article 293, deuxième tiret, CE (autrefois article 220, deuxième tiret, du traité CE) permet aux États membres d’engager des négociations en vue d’assurer, en faveur de leurs ressortissants, l’élimination de la double imposition à l’intérieur de la Communauté.

B –    La réglementation nationale

5.     Suivant l’article 2.1, premier alinéa, de loi relative à l’impôt sur les revenus 2001 (Wet op de inkomstenbelasting 2001, ci-après la «loi IB 2001»), les contribuables sont, d’une part, les personnes physiques qui résident aux Pays-Bas (contribuables résidents) et, d’autre part, celles qui ne résident pas aux Pays-Bas, mais qui y perçoivent des revenus (contribuables non-résidents).

6.     L’article 2.3 de la loi IB 2001 prévoit que l’impôt sur les revenus porte sur les revenus suivants perçus par le contribuable au cours de l’année civile en cause:

a)      les revenus imposables d’un travail ou d’une habitation;

b)      les revenus imposables provenant d’une participation importante dans une société établie aux Pays-Bas;

c)      les revenus imposables provenant de l’épargne et des placements.

7.     En vertu de l’article 5.2 de la loi IB 2001, les revenus provenant de l’épargne et des placements sont fixés légalement à 4 % (rendement forfaitaire) de la moyenne de la valeur des possessions diminuées de la valeur des dettes au début et à la fin de l’année civile, dans la mesure où la moyenne est supérieure au capital exempté d’impôt. Le capital exempté d’impôt, qui, conformément à l’article 5.5 de la loi IB 2001, s’élève à 17 600 euros – au moment de l’affaire au principal – a pour objectif d’exempter les petits épargnants de l’impôt sur les revenus provenant de l’épargne et des placements.

8.     Un contribuable résident est en principe considéré comme un affilié et un cotisant au régime néerlandais des assurances sociales. Il en est de même des contribuables non-résidents qui sont soumis à l’impôt sur les revenus en raison du travail salarié exercé aux Pays-Bas. Conformément à l’article 6 de la loi sur le financement de la sécurité sociale (Wet financiering volksverzekeringen; ci-après la «loi WFV»), l’affilié est redevable des cotisations de sécurité sociale. Les cotisations sont fixées en fonction du revenu imposable provenant du travail et d’une habitation de l’affilié concerné. Les cotisations de sécurité sociale dues sont les cotisations diminuées de diverses réductions de prélèvements au titre de la sécurité sociale.

9.     Les contribuables résidents bénéficient du capital exempté d’impôt et de diverses réductions de prélèvements au titre de l’impôt sur les revenus. Dans la mesure où ils cotisent au régime de l’assurance sociale, ils bénéficient en outre de réductions de prélèvements au titre de la sécurité sociale (assurance générale vieillesse, assurance de survie et assurance générale relative aux frais médicaux spéciaux), qu’il y a lieu tout d’abord de compenser avec les cotisations de sécurité sociale.

10.   Les impôts et les cotisations font l’objet d’un prélèvement combiné. Les revenus imposables au titre du poste III sont soumis à un prélèvement combiné sur les revenus. Sur ce montant sont appliqués un taux combiné d’imposition et une réduction de l’impôt combinée (article 8.1 de la loi IB 2001). La réduction combinée de l’impôt est, suivant l’article 8.1, sous d), de la loi IB 2001, le montant commun issu de la réduction de l’impôt sur les revenus et des réductions des prélèvements au titre de la sécurité sociale. La réduction de l’impôt sur les revenus est, en application de l’article 8.3 de la loi IB 2001, la partie de la réduction standard de l’impôt qui se trouve dans la même situation par rapport à celle-ci que le taux d’imposition de la première tranche par rapport au taux combiné d’imposition. Les réductions de prélèvements au titre de la sécurité sociale constituent la part de la réduction standard de l’impôt qui se trouve dans la même situation par rapport à celle-ci que les taux de cotisation de sécurité sociale prévus par la loi WFV par rapport au taux combiné d’imposition (articles 8.4, 8.5 et 8.6 de la loi IB 2001, en combinaison avec les articles 10, paragraphe 2, et 11 de la loi WFV).

11.   Toutefois, l’article 2.7, paragraphe 2, de la loi IB 2001 prévoit:

«Si le contribuable est également redevable des cotisations de sécurité sociale et que, en vertu de l’article 10, paragraphe 4, de la loi [WFV], la réduction des prélèvements au titre de la sécurité sociale ne peut pas être totalement compensée avec les cotisations de sécurité sociale en vertu de l’article 10, paragraphes 1 et 2, de la loi [WFV], le montant de l’impôt sur le revenu qui est dû est également diminué de cette part non déductible, après application des réglementations préventives de la double imposition.»

12.   Il en résulte qu’un contribuable résident qui ne paie pas de cotisations de sécurité sociale, par exemple parce qu’il ne perçoit pas de revenus du travail ou d’une habitation, mais uniquement des revenus provenant de l’épargne et des placements bénéficie non seulement de la réduction de prélèvements au titre de l’impôt sur le revenu, mais également des réductions de prélèvements de sécurité sociale.

13.   Contrairement au contribuable résident, les contribuables non-résidents ne bénéficient pas du capital exempté d’impôt au sens de l’article 5.5 de la loi IB 2001 lors de l’établissement de leur revenu imposable provenant de l’épargne et des placements au titre du chapitre 7 de la loi IB 2001. Suivant le chapitre 7 de la loi IB 2001, les contribuables non-résidents ne bénéficient pas non plus de la réduction standard de prélèvements au sens de l’article 8.2 de la loi IB 2001.

14.   Les contribuables non-résidents bénéficient uniquement des réductions de prélèvements au titre de la sécurité sociale s’ils sont affiliés au régime néerlandais des assurances sociales, ce qui implique qu’ils perçoivent aux Pays-Bas des revenus du travail et, partant, y versent des cotisations de sécurité sociale.

15.   Suivant l’article 2.5 de la loi IB 2001, les contribuables non-résidents peuvent à certaines conditions choisir d’être soumis à la réglementation de la loi IB 2001 relative aux contribuables résidents. Si un contribuable étranger fait usage de ce «régime d’option», il bénéficie du capital exempté d’impôt et de l’ensemble des réductions de prélèvements s’il respecte en outre les conditions pertinentes à cet égard.

C –    La convention belgo-néerlandaise préventive de la double imposition

16.   Suivant cette convention bilatérale du 19 octobre 1970 (3), le patrimoine immobilier est imposé dans l’État dans lequel il est situé (article 23, paragraphe 1, de la convention belgo-néerlandaise).

17.   Suivant l’article 25, paragraphe 3, de la convention belgo-néerlandaise, «les personnes physiques résidantes de l’un des États bénéficient dans l’autre État des déductions personnelles, abattements et réductions qui sont accordés par cet autre État à ses propres résidents en raison de leur situation ou de leurs charges de famille».

18.   Les contribuables étrangers résidant en Belgique qui font usage du «régime d’option» bénéficient, selon la décision de renvoi, des avantages de la convention belgo-néerlandaise. L’arrêté du Staatssecretaris van Financiën (secrétaire d’État aux Finances) du 21 février 2002 (4) précise les conséquences résultant de l’article 25, paragraphe 3, de la convention belgo-néerlandaise.

III – Les faits et la procédure

19.   M. J. E. J. Blanckaert est un ressortissant belge résidant en Belgique. Avec son épouse, il est propriétaire d’une maison de vacances à Retranchement aux Pays-Bas. Il ne perçoit pas de revenus d’un travail ou d’une habitation aux Pays-Bas, ni de revenus provenant d’une participation importante dans une entreprise établie aux Pays-Bas. En revanche, sa résidence secondaire lui procure des revenus provenant de l’épargne et des placements aux Pays-Bas.

20.   M. Blanckaert n’est pas affilié au régime néerlandais de sécurité sociale et, partant, il n’est pas tenu au paiement de cotisations de sécurité sociale néerlandaise.

21.   M. Blanckaert perçoit moins de 90 % des revenus du ménage aux Pays-Bas. Il n’a pas fait usage du «régime d’option» au titre de l’article 2.5 de la loi IB 2001.

22.   Pour l’année 2001, M. Blanckaert a été imposé au titre de l’impôt sur les revenus par les autorités fiscales néerlandaises, sur un revenu imposable provenant de l’épargne et des placements de 1 610 euros. La somme due était de 339 euros. En application des dispositions de la convention belgo-néerlandaise, lors de l’établissement de l’avis d’imposition, il a été tenu compte du capital exempté d’impôt. Les réductions de prélèvements au titre de l’impôt sur le revenu lui ont également été accordées pour un montant de 144 euros. En revanche, les réductions de prélèvements au titre de la sécurité sociale ne lui ont pas été accordées.

23.   Toutefois, M. Blanckaert avait demandé la totalité de la réduction générale des prélèvements de 1 576 euros, comprenant par conséquent les réductions de prélèvements au titre de l’assurance générale vieillesse, de l’assurance de survie et de l’assurance générale relative aux frais médicaux spéciaux.

24.   M. Blanckaert a introduit un recours contre l’avis d’imposition en cause qui a été maintenu par l’autorité fiscale compétente. Il a formé un recours contre cette décision devant le Gerechtshof te’s-Hertogenbosch.

25.   Par ordonnance du 4 décembre 2003, le Gerechtshof te ‘s-Hertogenbosch a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour les questions préjudicielles suivantes:

«1)      Un contribuable non-résident, ayant son domicile dans un autre État membre et qui ne perçoit pas de revenus du travail aux Pays-Bas mais uniquement des revenus provenant de l’épargne et des placements, et qui par conséquent n’est pas redevable des cotisations et ne verse pas les cotisations de sécurité sociale néerlandaises, a-t-il droit, sur la base du droit communautaire, lors de l’établissement de son revenu imposable provenant de l’épargne et des placements, à ce que les Pays-Bas lui accordent les réductions de prélèvements au titre de la sécurité sociale (les réductions de prélèvements au titre de l’assurance générale vieillesse, de l’assurance de survie et de l’assurance générale relative aux frais médicaux spéciaux), si, lors de l’établissement du revenu imposable provenant de l’épargne et des placements, un contribuable résident a droit à ces réductions de prélèvements, au motif qu’il est un assuré au régime des assurances sociales néerlandaises et à ce titre est redevable des cotisations sociales, même s’il ne perçoit pas de revenus du travail aux Pays-Bas mais uniquement des revenus provenant de l’épargne et des placements et que, pour cette raison, il ne verse pas de cotisations sociales au régime des assurances sociales néerlandaises?

2)      Dans le cadre de la réponse à la première question, est-il pertinent que le contribuable non-résident perçoive moins de 90 % des revenus du ménage aux Pays-Bas? Et plus particulièrement:

–       est-ce que le test Schumacker pour les résidents et les non-résidents s’applique uniquement aux aspects fiscaux subjectifs ou personnels, tels que le droit de déduire les frais liés à la famille ou à la personne ou s’applique-t-il également aux aspects fiscaux objectifs ou non personnels, tels que le taux d’imposition?

–       Pour décider si les non-résidents sont traités comme les résidents, les États membres peuvent-ils utiliser une règle quantitative (telle que la règle des 90 %) malgré le fait que cette règle ne permette pas de garantir que toute forme de discrimination soit éliminée?

3)      Le régime d’option tel que prévu à l’article 2.5 de la loi IB 2001 constitue-t-il un remède procédural efficace permettant de garantir que l’intéressé puisse faire usage des droits qui lui sont garantis par le traité CE et qui excluent toute forme de discrimination?

En cas de réponse affirmative à cette question, ce régime constitue-t-il également un remède suffisant lorsque l’intéressé ne perçoit que des revenus provenant de son épargne et de ses placements alors que, ainsi que cela est examiné […], le régime d’option ne peut l’avantager?»

IV – Les questions préjudicielles

26.   Le Gerechtshof te’s-Hertogenbosch a déféré au total trois questions préjudicielles. Par sa première question, le Gerechtshof aimerait savoir en substance dans quelle mesure il serait admissible en droit communautaire et dans les circonstances de l’espèce de faire une distinction entre les affiliés à la sécurité sociale et les tiers lors de l’imposition des revenus provenant de l’épargne et des placements, en ce qui concerne le droit à bénéficier des réductions de prélèvements au titre de la sécurité sociale. L’arrière-plan de cette question est le fait que les affiliés à la sécurité sociale – avec l’exception notable des travailleurs transfrontaliers – sont en général des résidents alors que les non-résidents ne tombent que rarement sous le régime des assurances sociales de l’État en question.

27.   Par sa deuxième question, la juridiction de renvoi s’interroge sur ce qu’il est convenu d’appeler le test Schumacker (5) pour savoir dans quelle mesure les contribuables résidents et non-résidents se trouvent dans une situation comparable. La troisième question a trait à l’option prévue en droit interne pour les contribuables non-résidents en vue d’être traités fiscalement comme des contribuables résidents.

A –    Arguments principaux des parties

28.   En ce qui concerne la première question, l’ensemble des parties, excepté M. Blanckaert, soutiennent que le droit communautaire ne s’oppose pas à la législation nationale en cause, selon laquelle un contribuable résidant en Belgique qui perçoit (aux Pays-Bas) uniquement des revenus provenant de l’épargne et des placements et, partant, n’est pas redevable des cotisations de sécurité sociale aux Pays-Bas ne bénéficie pas du droit aux réductions de prélèvements au titre de la sécurité sociale, alors qu’un contribuable résidant aux Pays-Bas, qui y perçoit uniquement des revenus provenant de l’épargne et des placements a droit lui à ces mêmes réductions.

29.   Les gouvernements néerlandais et allemand ainsi que la Commission déclarent en substance que les réductions en cause sont soumises au droit de la sécurité sociale. Il existerait une différence objective entre la situation d’un contribuable non-résident percevant exclusivement des revenus provenant de l’épargne et des placements – tel que M. Blanckaert – qui n’est pas affilié à la sécurité sociale néerlandaise et, partant, non redevable des cotisations, et la situation d’un contribuable résident percevant exclusivement des revenus provenant de l’épargne et des placements, qui est affilié à la sécurité sociale néerlandaise et, en tant que tel, redevable en principe des cotisations. Une différence de traitement serait justifiée en raison des différences existant dans les situations de départ.

30.   Le gouvernement néerlandais ajoute que le droit aux réductions des cotisations de sécurité sociale ou des prélèvements au titre de la sécurité sociale ne dépend pas du lieu de résidence de l’intéressé. En revanche, ce droit dépendrait de la question de savoir si l’intéressé – résident ou non-résident – est affilié au régime national de sécurité sociale. Ainsi, un non-résident pourrait compenser la partie éventuellement non utilisée de la réduction des prélèvements au titre de la sécurité sociale avec le montant des impôts dus, dans la mesure où il est – en raison d’un emploi aux Pays-Bas – affilié au régime néerlandais de sécurité sociale et, partant, redevable des cotisations. En revanche, un résident ne bénéficierait pas du droit de compensation s’il n’est pas affilié au régime national de sécurité sociale, notamment sur le fondement des dispositions du règlement (CEE) n° 1408/71 du Conseil (6).

31.   En revanche, lors de l’audience, M. Blanckaert a confirmé que la réglementation nationale en cause entraînait une différence de traitement injustifiée entre les non-résidents et les résidents au motif que, si l’on ne perçoit aux Pays-Bas que des revenus provenant de l’épargne et des placements, seuls les résidents – en leur qualité d’affiliés à la sécurité sociale – auraient droit aux réductions de prélèvements au titre de la sécurité sociale.

32.   En ce qui concerne la deuxième question, les gouvernements néerlandais et allemand font valoir à titre subsidiaire que la réglementation en cause constitue un avantage fiscal subjectif ou personnel. C’est pourquoi, dans l’affaire au principal, cet avantage fiscal ne pourrait pas être accordé au motif que M. Blanckaert n’aurait pas perçu la totalité ou la quasi-totalité de ses revenus aux Pays-Bas. La Cour de justice aurait permis aux États membres d’utiliser une règle quantitative (telle que la règle des 90 %) pour distinguer les diverses situations existant entre les résidents d’une part et les non-résidents d’autre part.

33.   M. Blanckaert considère qu’une telle règle quantitative n’est pas applicable dans la mesure où son application confirmerait la discrimination qu’il subit.

34.   En ce qui concerne la troisième question préjudicielle, les gouvernements néerlandais et allemand émettent des doutes quant au fait que M. Blanckaert aurait choisi d’être traité comme un résident, en sorte que la question aurait un caractère hypothétique.

B –    Appréciation

35.   Il y a lieu d’examiner tout d’abord si la juridiction de renvoi a précisé de manière suffisante les dispositions de droit communautaire dont elle demande l’interprétation. Il convient ensuite d’examiner la question principale de la présente affaire, à savoir dans quelle mesure la libre circulation des capitaux garantie en droit communautaire s’oppose à une différence de traitement entre les affiliés à la sécurité sociale et les autres personnes lors de l’octroi de réductions de prélèvements.

1.      Recevabilité de la demande de décision préjudicielle et droit communautaire applicable

36.   Dans ses questions, la juridiction de renvoi ne fait référence à aucune disposition particulière de droit communautaire. Dans cette perspective, la demande de décision préjudicielle ne satisfait pas aux exigences de la jurisprudence selon lesquelles la juridiction de renvoi est tenue de préciser les dispositions du droit communautaire dont elle demande l’interprétation (7).

37.   Toutefois, ces exigences ne sont pas absolues: il importe plutôt de voir si la juridiction de renvoi permet à la Cour de donner une réponse utile (8). En effet, il est de jurisprudence constante que, «dans le cadre de la coopération entre la Cour et les juridictions nationales instituée par l’article 234 CE, il appartient au seul juge national, qui est saisi du litige et qui doit assumer la responsabilité de la décision juridictionnelle à intervenir, d’apprécier, au regard des particularités de l’affaire, tant la nécessité d’une décision préjudicielle que la pertinence des questions qu’il pose à la Cour. En conséquence, dès lors que les questions posées portent sur l’interprétation du droit communautaire, la Cour est, en principe, tenue de statuer» (9).

38.   À cela s’ajoute que la Cour peut être amenée «à prendre en considération des normes de droit communautaire auxquelles le juge national n’a pas fait référence dans l’énoncé de sa question, en vue de fournir à la juridiction qui lui a adressé une question préjudicielle une réponse utile» (10).

39.   Les dispositions du traité CE relatives à la libre circulation des capitaux (articles 56 CE et suivants) sont citées dans les motifs de la présente décision de renvoi. En outre, la juridiction de renvoi précise dans quelle mesure ces dispositions s’opposent aux règles de droit national en cause. De cette manière, elle a indiqué les motifs présidant au choix des dispositions du droit communautaire en cause et dont elle demande l’interprétation, ainsi que le lien qu’elle voit entre ces dispositions et les dispositions du droit national applicables au litige dont elle est saisie. Par conséquent, la demande de décision préjudicielle est recevable.

40.   Le principe de libre circulation invoqué par la juridiction de renvoi apparaît également applicable. À cet égard, il suffit de constater que l’annexe I, section II, sous A, de la directive 88/361/CEE (11) mentionne l’investissement immobilier effectué par un non-résident. Certes, cette directive ne s’applique pas ratione temporis à l’espèce au principal; toutefois, son annexe est reprise régulièrement dans la jurisprudence de la Cour afin de délimiter le champ d’application de la libre circulation des capitaux, et ce même en vertu de la nouvelle formulation des articles 56 CE et suivants (12).

41.   À partir de cela, il ne semble pas nécessaire de se pencher sur les dispositions du traité relatives à la liberté d’établissement (articles 43 CE et suivants), ainsi que cela a été proposé par la Commission.

2.      La libre circulation des capitaux

a)      Relation existant entre la libre circulation des capitaux et d’autres libertés fondamentales

42.   La libre circulation des capitaux (articles 56 CE et suivants) se distingue en tout état de cause dans son libellé des autres libertés fondamentales dans la mesure où, suivant le libellé de l’article 56 CE, elle contient une interdiction générale de restrictions. L’article 58, paragraphe 1, sous a), CE a clairement relativisé cette interdiction en ce sens que l’interdiction au titre de l’article 56 CE ne porte pas atteinte au droit qu’ont les États membres d’appliquer les dispositions pertinentes de leur législation fiscale qui établissent une distinction entre les contribuables ayant des résidences distinctes ou des lieux distincts où leurs capitaux sont investis (13). L’article 58, paragraphe 3, CE explique en outre que les distinctions que peuvent faire les États membres entre les contribuables en raison de leur résidence ou du lieu où leurs capitaux sont investis ne doivent constituer ni un moyen de discrimination arbitraire ni une restriction déguisée à la libre circulation des capitaux (14).

43.   Toutefois, c’est seulement dans l’arrêt du 7 septembre 2004, Manninen (15) que la Cour a eu l’occasion d’examiner à la lumière des articles 56 CE et 58 CE le pouvoir fondamental de réglementation des États membres en matière d’impôt direct. Parmi les grandes lignes de cet arrêt, il ressort que l’article 58 CE n’admet une disposition fiscale qui procède à une distinction entre les contribuables selon le lieu où leurs capitaux sont investis que si la différence qui en résulte se fonde sur une différence objective ou si la différence de traitement entre les situations comparables semble justifiée par des raisons impérieuses d’intérêt général (16). Une telle justification requiert que la différence de traitement en cause n’aille pas au-delà de ce qui est nécessaire pour que l’objectif poursuivi par la réglementation en cause soit atteint (17).

44.   Il résulte de tout ce qui précède que les restrictions à la libre circulation des capitaux ne sont pas en principe interdites par l’article 56 CE, mais doivent être en revanche appréciées à la lumière de l’interdiction des discriminations qui découle de l’article 58 CE, et à cet égard les discriminations peuvent éventuellement être justifiées par des raisons impérieuses d’intérêt général, dans le respect du principe de proportionnalité.

45.   Dans une approche purement théorique, il en résulte que la libre circulation des capitaux ne se distingue qu’à première vue des autres libertés fondamentales et c’est la raison pour laquelle nous nous rapprochons manifestement de la jurisprudence relative à ces autres libertés fondamentales en matière de fiscalité directe (18). Il y a lieu d’examiner à présent cette jurisprudence.

b)      Jurisprudence de la Cour relative aux limitations de droit communautaire à la compétence législative des États membres en matière de fiscalité directe

46.   La jurisprudence de la Cour relative aux limitations de droit communautaire à la compétence législative des États membres en matière de fiscalité directe s’est développée principalement à l’occasion de réglementations nationales qui faisaient une distinction soit entre les contribuables résidents et les non-résidents (19), soit d’après l’origine des revenus imposés (20).

47.   À cet égard, la Cour a examiné les réglementations nationales à la lumière de la libre circulation (21), de la liberté d’établissement (22) et de la libre circulation des services (23).

48.   S’il est vrai qu’il est de jurisprudence constante que le domaine des impôts directs ne relève pas en tant que tel de la compétence de la Communauté, les États membres sont toutefois tenus d’exercer leur pouvoir résiduel en la matière dans le respect du droit communautaire (24). Les libertés fondamentales prohibent non seulement les discriminations ostensibles, fondées sur la nationalité, mais encore toute forme dissimulée de discrimination qui, par application d’autres critères de distinction, aboutit en fait au même résultat (25).

49.   Elles contiennent dès lors une interdiction de discrimination selon laquelle on devrait exclure d’appliquer, sans justification, des règles différentes à des situations comparables ou la même règle à des situations différentes (26).

50.   En ce qui concerne la différence de traitement éventuelle faite entre les résidents et les non-résidents en droit fiscal national, la Cour a souligné qu’il existe un risque qu’une réglementation d’un État membre qui réserve certains avantages fiscaux aux résidents puisse avoir des effets au détriment principalement des ressortissants d’autres États membres, car les non-résidents sont le plus souvent des non-ressortissants en sorte qu’une telle réglementation pourrait constituer une discrimination indirecte fondée sur la nationalité (27).

51.   Or, en matière de fiscalité directe, la situation des résidents dans un État donné et celle des non-résidents ne sont, en règle générale, pas comparables, car elles présentent des différences objectives s’agissant de l’origine des revenus, de la capacité contributive ou de la situation personnelle et familiale (28).

52.   Dans ce contexte, ce qui est déterminant c’est de savoir si l’on peut tenir compte de critères d’imposition subjectifs tels que la situation personnelle et familiale du contribuable dans l’État de résidence ou dans l’État d’emploi, si ceux-ci sont distincts, en particulier en cas d’imposition au titre de l’impôt sur les revenus dans l’État d’emploi.

53.   Dans l’arrêt Schumacker, la Cour a jugé qu’un non-résident et un résident ne se trouvaient pas dans une situation objectivement différente si le non-résident ne perçoit pas de revenus significatifs dans son État de résidence et qu’il perçoit son revenu imposable pour l’essentiel dans l’État d’emploi. En effet, dans un tel cas, l’État de résidence n’est pas en mesure de lui accorder des avantages qui résultent de la prise en compte de sa situation personnelle et familiale. Dès lors, la différence de traitement par rapport aux non-résidents est discriminatoire, car sa situation personnelle et familiale ne peut être prise en compte ni dans l’État de résidence ni dans l’État d’emploi.

54.   La situation se présente différemment dans les cas dans lesquels les revenus imposables ne proviennent précisément pas de manière significative de l’État d’emploi. Ainsi, la Cour a, dans ce contexte, récemment jugé que, «en matière d’impôts directs, la situation des résidents et celle des non-résidents dans un État ne sont, en règle générale, pas comparables dans la mesure où le revenu perçu sur le territoire d’un État par un non-résident ne constitue le plus souvent qu’une partie de son revenu global, centralisé au lieu de sa résidence, et que la capacité contributive personnelle du non-résident, résultant de la prise en compte de l’ensemble de ses revenus et de sa situation personnelle et familiale, peut s’apprécier le plus aisément à l’endroit où il a le centre de ses intérêts personnels et patrimoniaux, ce qui correspond en général à sa résidence habituelle» (29). Aussi, «le fait pour un État membre de ne pas faire bénéficier un non-résident de certains avantages fiscaux qu’il accorde au résident n’est-il, en règle générale, pas discriminatoire, compte tenu des différences objectives entre la situation des résidents et celle des non-résidents tant du point de vue de la source des revenus que de la capacité contributive personnelle ou de la situation personnelle et familiale» (30).

55.   Par conséquent, dans la mesure où la situation des non-résidents et des résidents est comparable, on se pose la question de savoir dans quelle mesure un traitement différent des résidents et des non-résidents peut être justifié de manière objective, car une telle différence de traitement peut constituer une discrimination indirecte fondée sur la nationalité, si l’on part de l’hypothèse que les ressortissants d’un État membre sont en général des contribuables résidents.

c)      Existence d’une discrimination indirecte du requérant dans l’affaire au principal

56.   Une discrimination indirecte du requérant pourrait exister dans l’affaire au principal en ce sens que celui-ci – en tant que non-résident – ne peut bénéficier des réductions de prélèvements litigieuses au titre des dépenses de sécurité sociale, au motif que, en sa qualité de non-résident ne percevant pas de revenus du travail aux Pays-Bas, il n’y est pas tenu au paiement des cotisations de sécurité sociale (31), alors qu’un résident – indépendamment de la nature de ses revenus (32) – est en principe affilié à la sécurité sociale et peut, en conséquence, bénéficier des réductions de prélèvements litigieuses. Toutefois, contrairement à l’affaire Schumacker, cette différence de traitement n’a pas de lien direct avec la résidence du contribuable.

57.   En tout état de cause, la réglementation nationale litigieuse ne se fonde pas directement sur le lieu de résidence du contribuable. En effet, la possibilité de réduction de l’impôt sur les revenus aux conditions de l’article 2.7, paragraphe 2, de la loi IB 2001 – et donc dans les cas dans lesquels les réductions de prélèvements au titre de la sécurité sociale ne pouvaient pas être totalement compensées avec les cotisations de sécurité sociale – dépend, suivant le libellé de cette disposition, de la question de savoir si le contribuable est également affilié obligatoirement à la sécurité sociale. Ce dernier point dépend à son tour soit du fait que l’intéressé a sa résidence aux Pays-Bas, soit qu’il perçoit des revenus du travail sur le territoire néerlandais. Il en résulte que même un non-résident peut bénéficier des réductions de prélèvements litigieuses – et ce dans les conditions de l’article 2.7, paragraphe 2, de la loi IB 2001 qui ne fait pas de distinction de manière directe suivant le lieu de résidence – et en particulier lorsqu’il perçoit des revenus du travail sur le territoire néerlandais. Le gouvernement néerlandais a confirmé ce point à plusieurs reprises lors de l’audience.

58.   Par conséquent, les réductions de prélèvements en cause n’ont pas été refusées à M. Blanckaert pour la raison qu’il était un non-résident, mais au motif que, en tant que non-résident, il n’était pas affilié obligatoire à la sécurité sociale, en raison de l’insuffisance des revenus du travail aux Pays-Bas.

59.   Il est vrai que l’on pourrait objecter que la réglementation en cause se fonde indirectement sur le lieu de résidence en ce sens que des non-résidents qui perçoivent uniquement des revenus provenant de l’épargne et des placements ne sont pas affiliés obligatoires à la sécurité sociale, alors que des résidents se trouvant dans cette situation relèvent du régime néerlandais de sécurité sociale. Il convient de répondre à cet argument qu’il n’y a malgré tout en l’espèce pas de différence suivant le lieu de résidence dans la mesure où la perception de revenus du travail entraîne l’affiliation obligatoire à la sécurité sociale, également et précisément pour les non-résidents.

60.   Il en résulte que M. Blanckaert, dans les circonstances de l’affaire au principal – c’est-à-dire en tant que non-résident ne percevant pas de revenus du travail –, ne se trouve pas dans une situation comparable à celle d’un résident ne percevant pas non plus de revenu du travail, car seuls les résidents sont soumis à l’obligation d’affiliation au régime de sécurité sociale en droit national, en l’espèce en vertu de la Volksverzekeringswet.

61.   Dans ce contexte, il est également important de noter que les résidents ne bénéficient pas toujours des avantages des réductions de prélèvements litigieuses. En effet, le gouvernement néerlandais a déclaré à cet égard que même un résident qui n’a pas la qualité d’affilié dans un régime d’assurances sociales donné ne peut pas non plus bénéficier du droit à la réduction des prélèvements en cause. Ainsi, d’après les informations données par le gouvernement néerlandais, une personne ayant atteint l’âge de 65 ans n’est plus affiliée au régime de l’assurance vieillesse et, partant, ne pourrait plus faire valoir ses droits à la réduction de prélèvement au titre de cette assurance. Si l’on considère la finalité de cette réglementation – garantir un minimum de subsistance (33) – il apparaît que celle-ci est cohérente.

62.   S’agissant de la cohérence de cette disposition nationale, il y a lieu de noter en outre que la possibilité demandée par M. Blanckaert de faire valoir la réduction des prélèvements au titre de la sécurité sociale placerait le non-résident qui ne perçoit pas de revenus du travail dans une meilleure position – sans justification objective – que celle du résident qui ne perçoit pas de revenus du travail, au motif que la compensation de la réduction en cause avec l’impôt sur le revenu prévue à l’article 2.7, paragraphe 2, de la loi IB 2001 n’est prévue que pour le cas où il n’y a pas de possibilité de compensation avec les cotisations de sécurité sociale, en sorte qu’elle a un caractère subsidiaire. Dans la mesure où un non-résident qui ne perçoit pas de revenus du travail n’est pas tenu au paiement des cotisations sociales, une compensation éventuelle des réductions de prélèvements au titre de la sécurité sociale avec l’impôt sur les revenus n’aurait dès le départ pas de caractère subsidiaire. Elle serait en outre contraire au système, car une telle personne n’est pas affiliée à la sécurité sociale néerlandaise, en sorte que seuls les non-résidents seraient privilégiés sans raison par rapport aux résidents qui ne sont pas affiliés à la sécurité sociale (34).

63.   Indépendamment de la question de la possibilité de comparer, il serait toutefois douteux qu’il puisse être justifié objectivement de faire une distinction de la sorte entre les non-résidents et les résidents dans la mesure où les derniers cités peuvent habituellement faire état de leur qualité d’affilié à la sécurité sociale lorsqu’ils ne perçoivent pas de revenu du travail (et sans qu’il y ait ainsi d’obligation de cotisation sociale).

d)      Justification objective de la différence de traitement

64.   Enfin, M. Blanckaert se sent discriminé au motif que, selon le droit néerlandais, une personne qui ne perçoit pas de revenu du travail – suivant qu’elle soit résidente ou non – doit faire état ou non de sa qualité d’affilié à la sécurité sociale. Toutefois, lorsqu’une personne n’est pas affiliée, elle perd la possibilité d’une réduction des prélèvements au titre de l’impôt sur les revenus par le fait de la cession des montants de la réduction des prélèvements au titre de la sécurité sociale ne faisant pas l’objet d’une compensation avec les cotisations de sécurité sociale.

65.   Tant la Commission que les gouvernements néerlandais et allemand ont fait valoir que la réglementation en cause relevait du droit de la sécurité sociale et non du droit fiscal, ce qui impliquerait une compétence réglementaire exclusive des États membres. Le fait que la réglementation en cause soit soumise à l’une ou à l’autre branche du droit nous semble être sans conséquence, car les États membres sont tenus d’exercer leur compétence réglementaire dans le respect des exigences du droit communautaire, même en droit de la sécurité sociale (35).

66.   Bien plus, il apparaît important que, suivant la jurisprudence constante de la Cour, «le droit communautaire ne porte pas atteinte à la compétence des États membres pour aménager leurs systèmes de sécurité sociale» (36). La Cour en déduit que, «en l’absence d’une harmonisation au niveau communautaire, il appartient à la législation de chaque État membre de déterminer, d’une part, les conditions du droit ou de l’obligation de s’affilier à un régime de sécurité sociale» (37) «et, d’autre part, les conditions qui donnent droit à des prestations» (38). Par conséquent, la détermination de l’étendue et de la portée d’une obligation d’affiliation appartient aux seuls États membres.

67.   En ce qui concerne le financement de la sécurité sociale, la compétence réglementaire des États membres est également limitée par les règles de coordination du règlement n° 1408/71. Parmi ces règles de coordination, il y a notamment l’interdiction de doubles cotisations prévue à l’article 13 (39) ainsi que les règles d’attribution de compétence particulière (40).

68.   Même si l’on considère – avec M. Blanckaert – que la réglementation en cause fait une distinction entre les résidents et les non-résidents en ce sens qu’elle traite différemment ces deux groupes lorsque les contribuables perçoivent uniquement des revenus provenant de l’épargne et des placements aux Pays-Bas – et donc dans la mesure où l’on réserve la compensation de la réduction de prélèvements au titre de la sécurité sociale avec les impôts sur les revenus des résidents comme étant éventuellement des affiliés non soumis à l’obligation de cotisation –, cette différence de traitement n’est manifestement pas injustifiée de manière objective.

69.   Selon nous, le gouvernement néerlandais ne devait pas, lors de l’établissement du financement de son régime de sécurité sociale maintenir des exigences allant au-delà des principes établis dans le règlement n° 1408/71. En particulier, il ne résulte aucune obligation de droit communautaire de prendre en compte les revenus provenant de l’épargne et des placements en vue du financement de la sécurité sociale (41). D’un autre côté, il n’en résulte pas non plus d’obligation de droit communautaire d’exclure du régime de la sécurité sociale les affiliés qui ne sont pas tenus au paiement des cotisations sociales.

70.   Par conséquent, le traitement distinct des contribuables ne percevant pas de revenu du travail en vue de l’application des réductions de prélèvements au titre de la sécurité sociale suivant leur qualité d’affilié, tel qu’en l’espèce, est justifié de manière objective, et ce en raison de la conception du régime national de sécurité sociale dont il n’est pas douteux qu’il soit compatible avec les exigences communautaires, notamment celles résultant du règlement n° 1408/71.

71.   Il n’est dès lors pas nécessaire d’examiner les deuxième et troisième questions préjudicielles.

V –    Conclusion

72.   Eu égard aux considérations qui précèdent, nous proposons à la Cour de répondre comme suit à la première question posée:

«Les articles 56 CE et 58 CE relatifs à la libre circulation des capitaux dans la Communauté ne s’opposent pas à une réglementation nationale qui accorde au contribuable résident, en matière d’impôt sur les revenus, une réduction de prélèvements au titre des dépenses liées aux assurances sociales, mais qui en revanche refuse cette réduction de prélèvements au contribuable non-résident, dans la mesure où cette différence de traitement ne se fonde pas sur le lieu de résidence des contribuables, mais sur leur qualité d’affilié à la sécurité sociale, sans tenir compte à cet égard d’une éventuelle obligation de cotisation des intéressés.»


1 – Langue originale: l’allemand.


2 – Voir, en particulier, les conclusions de l’avocat général Ruiz-Jarabo Colomer du 26 octobre 2004 dans l’affaire D. pendante (C-376/03); voir, également, les affaires pendantes Ritter-Coulais (C-152/03, avec les conclusions de l’avocat général Léger du 1er mars 2005), Schempp (C-403/03, avec les conclusions de l’avocat général Geelhoed du 27 janvier 2005), Marks & Spencer (C-446/03, avec les conclusions de l’avocat général Poiares Maduro du 7 avril 2005), Van Hilten - Van der Heijden (C-513/03), et Bujura (C-8/04). L’affaire Bujura, précitée, a également pour objet l’imposition aux Pays-Bas des revenus provenant de l’épargne et des placements de non-résidents, à cet égard – contrairement à la présente affaire – se pose surtout la question de savoir s’il existe pour un État membre une obligation de droit communautaire de ne pas traiter différemment les non-résidents se trouvant dans une situation comparable en raison d’une convention préventive de double imposition. Voir, également, les conclusions de l’avocat général Léger du 14 avril 2005, dans l’affaire CLT-UFA (C-253/03, pendante) ainsi que les affaires Bouanich (C-265/04), et Meilicke (C-292/04) ainsi que Conijn (C-346/04), encore pendantes, relatives à libre circulation des capitaux. Voir, enfin, l’affaire pendante FKP Scorpio Konzertproduktionen (C-290/04), relative à la libre prestation des services.


3 – Convention conclue entre le gouvernement néerlandais et le gouvernement belge tendant à éviter la double imposition en matière d’impôt sur les revenus et sur la fortune et à régler certaines autres questions en matière fiscale (overeenkomst tussen de regering van het Koninkrijk der Nederlanden en de regering van het Koninkrijk België tot het vermijden van dubbele belasting op het gebied van belastingen naar het inkomen en naar het vermogen en tot het vaststellen van enige andere regelen verband houdende met de belastingheffing, Trb. 1970, p. 192, ci-après la «convention belgo-néerlandaise»).


4 – N° CPP 2001/2745, BNB 2002/164.


5 – Arrêt du 14 février 1995 (C-279/93, Rec. p. I-225).


6 – Règlement du 14 juin 1971, relatif à l’application des régimes de sécurité sociale aux travailleurs salariés, aux travailleurs non salariés et aux membres de leur famille qui se déplacent à l’intérieur de la Communauté (JO L 149, p. 2), modifié et mis à jour par le règlement (CE) n° 118/97 du Conseil, du 2 décembre 1996 (JO 1997, L 28, p. 1).


7 – Arrêt du 12 juillet 2001, Ordine degli Architetti e.a. (C-399/98, Rec. p. I-5409, point 105).


8 – Ordonnance du 25 février 2003, Simoncello et Boerio (C-445/01, Rec. p. I-1807, points 22, 23 et 30).


9 – Voir, notamment, arrêts du 15 décembre 1995, Bosman (C-415/93, Rec. p. I-4921, point 59); du 13 mars 2001, PreussenElektra (C-379/98, Rec. p. I-2099, point 38); du 22 janvier 2002, Canal Satélite Digital (C-390/99, Rec. p. I-607, point 18), et du 10 décembre 2002, Der Weduwe (C-153/00, Rec. p. I-11319, point 31).


10 – Voir, notamment, arrêts du 20 mars 1986, Tissier (35/85, Rec. p. 1207, point 9); du 27 mars 1990, Bagli Pennacchiotti (C-315/88, Rec. p. I-1323, point 10); du 18 novembre 1999, Teckal (C-107/98, Rec. p. I-8121, point 39), et du 7 novembre 2002, Bourrasse et Perchicot (C-228/01 et C-289/01, Rec. p. I-10213, point 33).


11 – Directive du Conseil, du 24 juin 1988, pour la mise en œuvre de l’article 67 du traité (JO L 178, p. 5).


12 – Arrêt du 16 mars 1999, Trummer et Mayer (C-222/97, Rec. p. I-1661, point 21): «[…] dans la mesure où l'article 73 B du traité CE (maintenant article 56 CE) a repris en substance le contenu de l'article 1er de la directive 88/361 et même si celle-ci a été adoptée sur la base des articles 69 et 70, paragraphe 1, du traité CEE, entre-temps remplacés par les articles 73 B et suivants du traité CE, la nomenclature des mouvements de capitaux qui lui est annexée conserve la valeur indicative qui était la sienne avant leur entrée en vigueur pour définir la notion de mouvements de capitaux, étant entendu que, conformément à son introduction, la liste qu'elle contient ne présente pas un caractère exhaustif».


13 – L’article 58, paragraphe 1, sous b), CE contient une réserve comparable s’agissant du pouvoir de sanctionner notamment les infractions fiscales, en vue de préserver l’ordre public ou la sécurité publique, et à des fins d’information relative au mouvement des capitaux.


14 – La Cour rappelle ce point – précisément en lien avec la version antérieure de l’article 73 D, paragraphe 3, du traité – dans son arrêt du 6 juin 2000, Verkooijen (C-35/98, Rec. p. I-4071, point 44).


15 – C-319/02, Rec. p. I-7477.


16 – Ibidem, points 28 et suiv.


17 – Ibidem, point 29.


18 – L’avocat général Ruiz-Jarabo Colomer arrive à la même conclusion.


19 – Arrêts du 8 mai 1990, Biehl (C-175/88, Rec. p. I-1779); du 11 août 1995, Wielockx (C-80/94, Rec. p. I-2493); du 26 octobre 1995, Commission/Luxembourg (C-151/94, Rec. p. I-3685); du 27 juin 1996, Asscher (C-107/94, Rec. p. I-3089); du 14 septembre 1999, Gschwind (C-391/97, Rec. p. I-5451); du 16 mai 2000, Zurstrassen (C-87/99, Rec. p. I-3337); du 12 juin 2003, Gerritse (C-234/01, Rec. p. I-5933); du 13 novembre 2003, Schilling et Fleck-Schilling (C-209/01, Rec. p. I-13389), et du 1er juillet 2004, Wallentin (C-169/03, Rec. p. I-6443).


20 – Arrêts Verkooijen (précité note 14); du 26 juin 2003, Skandia et Ramstedt (C-422/01, Rec. p. I-6817); du 13 novembre 2003, Lindman (C-42/02, Rec. p. I-13519); du 4 mars 2004, Commission/France (C-334/02, Rec. p. I-2229), et Weidert et Paulus (C-242/03, Rec. p. I-7379).


21 – Voir, notamment, arrêts Schumacker (précité note 5); ainsi que Wielockx, Asscher, Gschwind, Zurstrassen, Schilling et Fleck-Schilling, Wallentin (précités note 19).


22 – Voir, notamment, arrêt du 13 avril 2000, Baars (C-251/98, Rec. p. I-2787).


23 – Voir, notamment, arrêts Gerritse (précité note 19), Skandia et Ramstedt (précité note 20) ainsi que arrêt Lindman (précité note 20).


24 – Voir, parmi de nombreux autres, arrêts du 4 octobre 1991, Commission/Royaume-Uni (C-246/89, Rec. p. I-4585, point 12), et Schilling et Fleck-Schilling (précité note 19), point 22.


25 – Voir, notamment, arrêts du 12 février 1974, Sotgiu (152/73, Rec. p. 153, point 11), et du 21 novembre 1991, Le Manoir (C-27/91, Rec. p. I-5531, point 10).


26 – Il suffit de voir l’arrêt Schumacker (précité note 5), point 30.


27 – Voir, notamment, arrêts Schumacker (précité note 5), point 28; Asscher (précité note 19), point 38, et Zurstrassen (précité note 19), points 19 et 20.


28 – Arrêts Schumacker (précité note 5), points 31 et suiv., et du 12 décembre 2002, De Groot (C-385/00, Rec. p. I-11819, points 90 et suiv.).


29 – Voir, notamment, arrêt Wallentin (précité note 19), point 15 et jurisprudence citée.


30 – Arrêt précité, point 16 et jurisprudence citée; toutefois, une discrimination fondée sur des circonstances particulières ne peut être exclue dans un cas particulier.


31 – Est affiliée obligatoirement à la sécurité sociale toute personne qui a sa résidence aux Pays-Bas ou qui y perçoit des revenus provenant du travail [voir articles 6 de la loi sur l’assurance vieillesse (Algemene Ouderdomswet), 3 de la loi sur l’assurance généralisée des survivants (Algemene Nabestaandenwet) et 5 de la loi concernant l’assurance générale des frais de maladie spéciaux (Algemene Wet Bijzondere Ziektekosten)].


32 – En raison de la législation citée dans la note précédente, un résident est tenu au paiement de cotisations sociales sans que l’on tienne compte uniquement des éventuels revenus du travail. Suivant l’article 6 de la loi sur le financement de la sécurité sociale (Wet financiering volksverzekeringen), l’affilié est en principe redevable des cotisations de sécurité sociale, alors que, selon l’article 8 de cette même loi, sont seuls pris en considération les revenus du travail et d’une habitation. Par conséquent, un contribuable résident est en principe affilié à la sécurité sociale; toutefois, s’il ne perçoit pas de revenu du travail, il n’est pas redevable des cotisations.


33 – Conformément aux déclarations de l’agent du gouvernement néerlandais de l’audience.


34 – Voir l’exemple mentionné au point 61.


35 – Voir arrêts du 28 avril 1998, Kohll (C-158/96, Rec. p. I-1931, point 19), et du 12 juillet 2001, Smits et Peerbooms (C-157/99, Rec. p. I-5473, point 46). Voir, également, Maydell, V., «Der Einfluss des europäischen und internationalen Rechts auf das deutsche Sozialrecht» (l’influence des droits européen et international sur le droit social allemand), http://www.soc.nii.ac.jp/jassl/profmaydell1.pdf.


36 – Arrêts du 7 février 1984, Duphar e.a. (238/82, Rec. p. 523, point 16); du 17 juin 1997, Sodemare e.a. (C-70/95, Rec. p. I-3395, point 27); voir, également, arrêts Kohll (précité note 35, point 17), et Smits et Peerbooms (précité note 35, point 44).


37 – Arrêts du 24 avril 1980, Coonan (110/79, Rec. p. 1445, point 12); du 4 octobre 1991, Paraschi (C-349/87, Rec. p. I-4501, point 15); Kohll (précité note 35, point 18), et Smits et Peerbooms (précité note 35, point 45).


38 – Arrêts du 30 janvier 1997, Stöber et Piosa Pereira (C-4/95 et C-5/95, Rec. p. I-511, point 36); Kohll (précité note 35, point 18), et Smits et Peerbooms (précité note 35, point 45).


39 – Dans l’arrêt du 15 février 2000, Commission/France (C-169/98, Rec. p. I-1049), la Cour a jugé qu’une réglementation nationale que l’État membre en cause considérait comme une réglementation fiscale était incompatible avec l’interdiction de doubles cotisations prévue à l’article 13 du règlement n° 1408/71.


40 – Voir article 13, paragraphe 2, sous a), du règlement n° 1408/71: «La personne qui exerce une activité salariée sur le territoire d’un État membre est soumise à la législation de cet État, même si elle réside sur le territoire d’un autre État membre ou si l’entreprise ou l’employeur qui l’occupe a son siège ou son domicile sur le territoire d’un autre État membre».


41 – Si toutefois un État membre se décide à ce sujet, il est tenu de respecter l’interdiction des doubles cotisations en vertu de l’article 13 du règlement n° 1408/71, voir l’arrêt Commission/France (cité note 39).