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CONCLUSIONS DE L’AVOCAT GÉNÉRAL

Mme CHRISTINE Stix-Hackl

présentées le 16 mars 2006 (1)

Affaire C-452/04

Fidium Finanz AG

contre

Bundesanstalt für Finanzdienstleistungsaufsicht

[demande de décision préjudicielle formée par le Verwaltungsgericht Frankfurt am Main (Allemagne)]

«Libre circulation des capitaux – Libre prestation de services – Octroi de crédits par une entreprise établie dans un pays tiers à des résidents d’un État membre – Exigence d’une autorisation préalable dans l’État membre dans lequel la prestation est fournie – Abus»





I –    Observations liminaires

1.     La présente procédure de renvoi préjudiciel porte sur la question de savoir si l’octroi de crédits à titre professionnel par une entreprise établie dans un pays tiers aux résidents d’un État membre de l’Union européenne relève de la libre circulation des capitaux ou de la libre prestation de services. La question qui se pose concerne en particulier l’admissibilité d’un agrément imposé par l’État membre concerné pour exercer l’activité d’octroi de crédits et de l’établissement nécessaire de l’entreprise du pays tiers dans cet État membre.

II – Cadre juridique

A –    Droit communautaire

1.      Les dispositions applicables en matière de libre circulation des capitaux      

2.     L’article 56, paragraphe 1, CE est libellé comme suit:

«Dans le cadre des dispositions du présent chapitre, toutes les restrictions aux mouvements de capitaux entre les États membres et entre les États membres et les pays tiers sont interdites.»

3.     L’article 57, paragraphe 1, CE dispose:

«L’article 56 ne porte pas atteinte à l’application, aux pays tiers, des restrictions existant le 31 décembre 1993 en vertu du droit national ou du droit communautaire en ce qui concerne les mouvements de capitaux à destination ou en provenance de pays tiers lorsqu’ils impliquent des investissements directs, y compris les investissements immobiliers, l’établissement, la prestation de services financiers ou l’admission de titres sur les marchés des capitaux.»

4.     L’article 58, paragraphe 1, sous b), CE prévoit:

«L’article 56 ne porte pas atteinte au droit qu’ont les États membres: [...] 

b)      de prendre toutes les mesures indispensables pour faire échec aux infractions à leurs lois et règlements, notamment en matière fiscale ou en matière de contrôle prudentiel des établissements financiers, de prévoir des procédures de déclaration des mouvements de capitaux à des fins d’information administrative ou statistique ou de prendre des mesures justifiées par des motifs liés à l’ordre public ou à la sécurité publique.»

5.     En vertu de l’article 58, paragraphe 3, CE:

«Les mesures et procédures visées aux paragraphes 1 et 2 ne doivent constituer ni un moyen de discrimination arbitraire ni une restriction déguisée à la libre circulation des capitaux et des paiements telle que définie à l’article 56.»

2. La directive 88/361/CEE du Conseil, du 24 juin 1988, pour la mise en œuvre de l’article 67 du traité (2).

6.     L’introduction de la nomenclature de l’annexe I de la directive 88/361 précise (extrait):

«Les mouvements de capitaux énumérés dans la présente nomenclature s’entendent comme couvrant:

–       l’ensemble des opérations nécessaires à la réalisation des mouvements de capitaux: conclusion et exécution de la transaction et transferts y afférents […],

[…]

–       les opérations de remboursement des crédits ou prêts.

La présente nomenclature n’est pas limitative de la notion de mouvement de capitaux, d’où la présence d’une rubrique XIII - F ‘Autres mouvements de capitaux: Divers’ [...]

7.     La classification de la nomenclature comprend notamment:

«VIII. Prêts et crédits financiers (non compris dans les catégories I, VII et XI)

A. Prêts et crédits accordés par des non-résidents à des résidents»

8.     Les définitions visent:

«Prêts et crédits financiers

Cette catégorie comprend également les prêts hypothécaires, les crédits à la consommation [...]»

3. La directive 2000/12/CE du Parlement européen et du Conseil, du 20 mars 2000, concernant l’accès à l’activité des établissements de crédit et son exercice (3).

9.     La référence à la base juridique est libellée comme suit:

«vu le traité instituant la Communauté européenne, et notamment son article 47, paragraphe 2, première et troisième phrases, [...]»

10.   Le quatrième considérant précise (extrait):

«La présente directive constitue l’instrument essentiel pour la réalisation du marché intérieur [...] sous le [...] aspect [...] de la libre prestation des services, dans le secteur des établissements de crédit.»

11.   Le dix-huitième considérant est libellé comme suit:

«Il existe un lien nécessaire entre l’objectif poursuivi par la présente directive et la libération des mouvements de capitaux qui est réalisée au moyen d’autres actes législatifs communautaires; en tout état de cause, les mesures de libération des services bancaires doivent être en harmonie avec les mesures de libéralisation des mouvements de capitaux.»

12.   D’après la quatrième phrase du dix-neuvième considérant:

«Les succursales des établissements de crédit ayant leur siège en dehors de la Communauté ne bénéficient pas de la libre prestation des services […] dans des États membres autres que celui où elles sont établies [...].»

13.   Selon le soixante-cinquième considérant:

«La surveillance des établissements de crédit sur une base consolidée doit se donner, notamment, pour objectif de protéger les intérêts des déposants desdits établissements et d’assurer la stabilité du système financier.»

14.   Au sens de l’article 4, paragraphe 1:

«Les États membres prévoient que les établissements de crédit doivent avoir reçu un agrément avant de commencer leurs activités.»

15.   Parmi les activités qui bénéficient de la reconnaissance mutuelle, l’annexe I énumère notamment les «prêts y compris notamment les crédits à la consommation».

B –    Droit national

1.      Loi sur le secteur du crédit (4) (ci-après le «KWG)

16.   L’article 32, paragraphe 1, du KWG dispose:

«Toute personne qui souhaite réaliser des opérations bancaires ou fournir des services financiers dans le pays à titre professionnel ou pour un volume qui nécessite l’existence d’une entreprise organisée de façon commerciale doit obtenir l’agrément écrit du Bundesanstalt [...]»

17.   D’après l’article 1er, paragraphe 1, du KWG:

«On entend par établissements de crédit, des entreprises qui réalisent des opérations bancaires à titre professionnel ou pour un volume qui nécessite l’existence d’une entreprise organisée de façon commerciale.»

18.   Au sens de l’article 1er, paragraphe 1, deuxième alinéa, du KWG:

«(2) On entend par opérations bancaires, notamment ‘l’octroi de prêts d’argent et de crédits d’acceptation (opérations de crédit)’».

19.   L’article 6, paragraphe 2, est libellé comme suit:

«L’Office fédéral doit veiller à éviter les défaillances dans le secteur du crédit et des services financiers, qui mettent en péril la sécurité des avoirs confiés aux établissements, qui affectent l’exécution régulière des opérations bancaires ou des services financiers ou qui sont susceptibles de causer des préjudices importants à l’ensemble de l’économie.»

20.   D’après l’article 33, paragraphe 1, du KWG (extrait):

«L’agrément doit être refusé notamment lorsque [...]

(6) l’établissement n’a pas son administration centrale dans le pays».

21.   À la différence de l’article 33, paragraphe 1, premier alinéa, point 6, du KWG, l’article 53 du KWG autorise les succursales d’établissements étrangers à exercer leurs activités sans déplacer le siège de leur administration centrale lorsque les conditions visées par son paragraphe 2 sont remplies. L’article 53b du KWG prévoit des possibilités privilégiées d’accès au marché en Allemagne pour les établissements recevant des dépôts et pour les entreprises de services financiers dont le siège est situé dans un autre État de l’Espace économique européen.

22.   Pour les États comme la Confédération suisse, l’article 53c du KWG subordonne l’allégement des conditions d’accès au marché à un règlement du ministère fédéral des Finances.

23.   L’article 54 du KWG sanctionne pénalement l’exercice d’activités bancaires ou la fourniture de services financiers en l’absence d’agrément.

2.      Informations du Bundesanstalt für Finanzdienstleistungsaufsicht (ci-après le «BaFin») du 12 avril 2003 sur l’agrément obligatoire en vertu de l’article 32, paragraphe 1, du KWG

24.   À la suite d’une modification de sa pratique administrative, le BaFin considère désormais que les activités bancaires d’entreprises établies à l’étranger et qui contactent de façon ciblée des personnes dans le pays sont soumises à l’agrément obligatoire.

III – Les faits et la procédure au principal

25.   Fidium Finanz AG (ci-après «Fidium Finanz») est une société par actions de droit suisse qui a son siège et son administration centrale à St Gallen. Elle accorde pour l’essentiel des petits crédits d’un montant de 2 500 ou 3 500 euros, pour lesquels aucun renseignement n’est demandé au préalable auprès de la Schufa (centrale de renseignements sur les crédits). Une telle procédure est cependant habituelle lorsque des établissements de crédit établis en Allemagne accordent des crédits. La requérante ne disposait pas de l’agrément prévu par le droit allemand pour exercer une activité bancaire durant la période en cause.

26.   D’après la décision de renvoi, Fidium Finanz n’est pas soumise en Suisse au contrôle de la commission bancaire. La décision de renvoi révèle qu’il ressort des informations fournies le 28 juin 2004 par le canton compétent de St Gallen que Fidium Finanz ne disposait pas d’une autorisation de droit suisse pour accorder des crédits, mais qu’elle n’en avait pas besoin non plus, puisqu’elle octroie uniquement des crédits à la consommation à des personnes résidant à l’étranger.

27.   L’attention du BaFin a été attirée au début de l’année 2003 sur l’activité de prêteur exercée par Fidium Finanz. Celle-ci proposait notamment via Internet des crédits pour les deux montants précités. Le site Internet était rédigé en langue allemande. Les clients pouvaient télécharger les documents relatifs aux crédits, les compléter et les envoyer par la poste à la requérante qui prenait alors sa décision de donner suite ou non à la demande de crédit. En cas d’acceptation, le montant du crédit était envoyé au client par mandat postal. La durée du crédit était de 40 mois, le taux effectif s’élevant en 2003 à 13,94 % d’après les indications de la requérante. Fidium Finanz proposait ses crédits selon une deuxième modalité, à savoir au moyen d’intermédiaires opérant en Allemagne, qui faisaient aussi du démarchage par Internet en son nom.

28.   Le 12 avril 2003, le BaFin a publié de nouvelles informations sur l’agrément obligatoire en vertu de l’article 32, paragraphe 1, du KWG en matière d’activités bancaires transfrontalières.

29.   Par décision du 22 août 2003, le BaFin a interdit à Fidium Finanz de réaliser, à titre professionnel ou pour un volume qui nécessite l’existence d’une entreprise organisée de façon commerciale, des opérations de crédit au sens de l’article 1er, paragraphe 2, deuxième alinéa, point 2, du KWG, opérations qui consistent pour Fidium Finanz à contacter de façon ciblée des clients établis en Allemagne et à leur accorder des crédits.

30.   La réclamation introduite le 1er septembre 2003 par Fidium Finanz contre cette décision a été rejetée le 18 février 2004 par le BaFin. Fidium Finanz a introduit un recours le 2 mars 2004 en demandant l’annulation de la décision prise à son égard. Elle prétend que, dans la mesure où le siège de sa société et l’ensemble de ses activités administratives sont concentrés en Suisse, elle n’exerce pas d’activité bancaire «dans le pays» («im Inland»), activité qui suppose la détention d’un agrément conformément à l’article 32, paragraphe 2, premier alinéa, du KWG.

31.   Le Verwaltungsgericht considère cependant que le recours n’a aucune chance d’aboutir en application du droit national parce que Fidium Finanz est soumise à l’agrément obligatoire en application de l’article 32, paragraphe 1, du KWG. Un résultat différent peut éventuellement être atteint par application du droit communautaire en raison de sa primauté.

IV – Questions préjudicielles

32.   Le Verwaltungsgericht Frankfurt am Main a dès lors posé les questions préjudicielles suivantes à la Cour:

«1)       Une entreprise établie dans un État situé en dehors de l’Union européenne, en l’occurrence la Suisse, peut-elle, dans le cadre de son activité professionnelle d’octroi de crédits à des résidents d’un État membre de l’Union européenne, en l’occurrence la République fédérale d’Allemagne, invoquer à l’égard de cet État membre et des mesures de ses autorités ou de ses tribunaux la libre circulation des capitaux visée à l’article 56 CE, ou bien le démarchage, la fourniture et l’exécution de tels services financiers relèvent-ils uniquement de la libre prestation de services visée aux articles 49 CE et suivants?

2)       Une entreprise établie dans un État situé en dehors de l’Union européenne peut-elle invoquer la libre circulation des capitaux visée à l’article 56 CE lorsqu’elle accorde des crédits à titre professionnel ou principalement à des résidents établis au sein de l’Union européenne et que son siège est situé dans un pays dans lequel l’accès à cette activité et son exercice ne sont pas soumis à l’exigence d’un agrément préalable par une autorité publique de cet État ni à l’exigence d’un contrôle courant de ses activités d’une façon qui est habituelle pour les établissements de crédit au sein de l’Union européenne et, en particulier en l’occurrence, en Allemagne, ou bien le fait d’invoquer la libre circulation des capitaux constitue-t-il dans un tel cas un abus de droit?

Au regard du droit de l’Union européenne, une telle entreprise peut-elle être traitée de la même façon que les personnes et entreprises établies sur le territoire de l’État membre en cause en ce qui concerne l’agrément obligatoire, bien que son siège ne soit pas établi dans cet État membre et qu’elle n’y possède pas de succursale non plus?

3)       Une législation en vertu de laquelle l’octroi de crédits à titre professionnel par une entreprise établie dans un État situé en dehors de l’Union européenne à des personnes résidant au sein de l’Union européenne est subordonné à l’obtention d’un agrément préalable par une autorité de l’État membre de l’Union européenne dans lequel l’emprunteur est établi, affecte-t-elle la libre circulation des capitaux visée à l’article 56 CE?

La circonstance que l’octroi non autorisé de crédits à titre professionnel constitue une infraction pénale ou simplement une irrégularité importe-t-elle dans cette mesure?

4)       L’exigence d’agrément préalable visée à la troisième question est-elle justifiée par l’article 58, paragraphe 1, sous b), CE, en particulier en ce qui concerne

–       la protection de l’emprunteur en matière d’obligations contractuelles et financières à l’égard de personnes dont la fiabilité n’a pas été vérifiée au préalable,

–       la protection de ces personnes à l’égard de personnes ou d’entreprises qui n’opèrent pas de façon régulière en ce qui concerne leur comptabilité et les obligations de conseil et d’information des clients qui leur incombent en vertu de réglementations générales,

–       la protection de ces personnes contre des publicités déraisonnables ou abusives,

–       la garantie que l’entreprise accordant les crédits dispose d’une dotation financière suffisante,

–       la protection du marché des capitaux contre un octroi incontrôlé de grands crédits,

–       la protection du marché des capitaux et de la société en général contre des actes criminels, comme ceux faisant en particulier l’objet des dispositions relatives à la lutte contre le blanchiment d’argent ou le terrorisme?

5)       L’aménagement d’une exigence d’agrément au sens de la troisième question, exigence permise en soi en droit communautaire, est-il couvert par l’article 58, paragraphe 1, sous b), CE, en vertu duquel la délivrance d’un agrément suppose obligatoirement que l’entreprise ait son administration principale ou, du moins, une succursale dans l’État membre concerné, en particulier en vue:

–       de permettre que les procédures et transactions puissent effectivement être contrôlées par les organes de l’État membre concerné, c’est-à-dire notamment à bref délai ou de façon imprévue,

–       de permettre de comprendre complètement les procédures et transactions au moyen des documents disponibles ou tenus à disposition dans l’État membre,

–       d’avoir accès aux représentants personnellement responsables de l’entreprise sur le territoire de l’État membre,

–       d’assurer ou du moins de faciliter le respect des engagements financiers à l’égard des clients de l’entreprise dans l’État membre?»

V –    Sur la première question préjudicielle

33.   En posant sa première question, le Verwaltungsgericht souhaite pour l’essentiel savoir si une entreprise établie dans un pays tiers peut invoquer la libre circulation des capitaux en vue d’octroyer des crédits aux résidents d’un État membre ou si cette activité relève uniquement de l’article 49 CE, c’est-à-dire de la libre prestation de services.

A –    Principaux arguments des parties

34.   Fidium Finanz et la Commission considèrent que l’octroi de crédits tombe dans le champ d’application de la libre circulation des capitaux. Elles se réfèrent à ce propos à la nomenclature de l’annexe I de la directive 88/361.

35.   D’après Fidium Finanz, l’octroi de crédits de la rubrique VIII de l’annexe I de la directive 88/361 intitulée «Prêts et crédits financiers» relève explicitement des mouvements de capitaux. La Commission estime que l’expression «opérations de remboursement des crédits ou prêts» figurant dans l’introduction de la nomenclature n’y change rien, puisque l’octroi de prêts est aussi visé en raison du caractère non exhaustif de l’énumération.

36.   Fidium Finanz ajoute que, s’agissant de l’octroi de crédits, il existe certes un lien avec la libre prestation de services, mais que celui-ci n’exclut pas l’applicabilité de l’article 56 CE parce que l’on peut déduire de la majorité de la jurisprudence de la Cour que, en matière de services financiers, les deux libertés s’appliquent de façon parallèle (5).

37.   Le BaFin ainsi que les gouvernements allemand, grec, italien, portugais et l’Irlande sont en revanche d’avis que l’article 56 CE n’est pas applicable. Le BaFin et le gouvernement allemand se fondent tout d’abord à cet égard sur le fait qu’un octroi de crédits n’a pas la nature d’un placement ou d’un investissement (6). De plus, les gouvernements allemand et grec ainsi que le BaFin admettent que l’agrément obligatoire peut indirectement exercer une incidence sur les mouvements des capitaux, en l’espèce sur le paiement du montant du prêt, mais ils soulignent dans le même temps que, d’après la jurisprudence de la Cour (7), l’article 56 CE n’interdit pas les restrictions aux mouvements de capitaux qui résultent indirectement de restrictions aux autres libertés fondamentales, en l’occurrence la libre prestation de services.

38.   L’Irlande estime qu’il ne faut certes plus se référer à cette jurisprudence, mais que le critère lié à l’«élément prédominant» exclut lui aussi l’application des règles en matière de circulation des capitaux.

39.   Les gouvernements italien, grec et allemand ainsi que le BaFin citent par ailleurs la directive 2000/12, qui, compte tenu de sa base juridique, de certains de ses considérants et de l’énumération figurant à l’annexe I, fait relever l’octroi de crédits non pas de la libre circulation des capitaux, mais bien de la libre prestation de services.

40.   Le gouvernement allemand ajoute enfin que l’article 49 CE est une disposition au sens de l’article 57, paragraphe 1, CE et que la libre circulation des capitaux en matière de prestations de services financiers est limitée aux États membres, parce que l’octroi de crédits représente pour le moins aussi un service.

B –    Appréciation

41.   En posant sa première question, le juge de renvoi souhaite savoir si l’octroi de prêts à partir d’un pays tiers et à destination de l’Union européenne est soumis aux règles relatives à la libre circulation des capitaux et/ou à celles applicables en matière de libre prestation de services.

42.   S’agissant des articles 49 CE et suivants, à savoir ceux consacrés à la libre prestation de services, la Cour a considéré que les prêts étaient aussi des services dans ses arrêts Svensson et Gustavsson (8) et Parodi (9). Ces opérations relèvent donc certes du champ d’application matériel de ces dispositions, mais une entreprise comme Fidium Finanz ne peut pas invoquer la libre prestation de services, étant donné que, du point de vue personnel, son application ne s’étend pas aux personnes établies en dehors de la Communauté. L’accord relatif à la libre circulation des personnes conclu entre la Communauté européenne et la Confédération suisse ne dit rien d’autre (10).

43.   Il résulte par contre du libellé de l’article 56, paragraphe 1, CE – «[…] et entre les États membres et les pays tiers […] – qu’une entreprise établie en dehors de la Communauté peut aussi invoquer la libre circulation des capitaux (11).

44.   L’analyse qui suit doit ainsi se concentrer sur la question de savoir si les opérations en cause tombent dans le champ d’application non seulement personnel, mais aussi matériel de l’article 56, paragraphe 1, CE et si l’octroi de crédits doit relever des mouvements de capitaux.

45.   Le traité CE ne comporte pas de définition juridique de la notion de mouvements de capitaux. D’après une jurisprudence constante (12), la Cour se réfère cependant à la nomenclature figurant à l’annexe I de la directive 88/361 pour la concrétiser. Indépendamment du fait que cette nomenclature est fondée sur les articles 69 et 70, paragraphe 1, du traité CEE alors applicables, elle continue de fournir des indications pour la définition de la notion de mouvements de capitaux, même après l’entrée en vigueur du traité de Maastricht.

46.   La rubrique VIII de la nomenclature figurant à l’annexe I de la directive 88/361 mentionne les «Prêts et crédits accordés par des non-résidents à des résidents» sous le point A. Les notes explicatives insérées à la fin de la nomenclature précisent que ces opérations sont des «financements de toute nature accordés par les établissements financiers […] également […] les crédits à la consommation». Dans une première étape, une activité comme celle exercée par Fidium Finanz fait ainsi partie des mouvements de capitaux.

47.   Toutefois, l’introduction de la nomenclature ne parle que d’«opérations de remboursement des crédits ou prêts» au titre des mouvements de capitaux, ce qui suggérerait une dissociation entre la conclusion des contrats portant sur la fourniture d’un service financier, qui relèverait de la libre prestation de services – non applicable en l’espèce – et l’exécution de telles opérations en tant que composante de la libre circulation des capitaux.

48.   La suite de l’introduction de la nomenclatur, qui indique que font partie des mouvements de capitaux «l’ensemble des opérations nécessaires à la réalisation des mouvements de capitaux: conclusion et exécution de la transaction et transferts y afférents», montre cependant, d’une part, que le législateur n’a pas entendu opérer une telle dissociation d’un processus économique unique.

49.   D’autre part, cette approche est confirmée par la formulation de la rubrique VIII, qui s’écarte de celle de la rubrique X intitulée «Transferts en exécution de contrats d’assurances». On pourrait en déduire que les mouvements de capitaux se limitent dans ce domaine à la simple opération de transfert, à l’exclusion du contrat d’assurance sous-jacent.

50.   L’autre formulation de la rubrique VIII, point A, montre toutefois que le législateur communautaire n’a pas voulu opérer de dissociation juridique d’un processus économique, du moins en ce qui concerne les prêts.

51.   Cette conclusion est étayée par la jurisprudence de la Cour (13), en vertu de laquelle d’autres hypothèses qui ne sont pas visées par l’énumération explicite relèvent aussi de la libre circulation des capitaux parce que l’annexe I «contient une liste non exhaustive des opérations». La libre circulation des capitaux doit a fortiori s’appliquer à l’octroi de crédits, en particulier parce que ces derniers sont visés explicitement par la nomenclature de l’annexe I, bien que l’introduction de cette nomenclature parle uniquement des opérations de remboursement des crédits ou prêts.

52.   Les considérations émises par la Cour dans son arrêt Luisi et Carbone (14) n’affectent en rien cette interprétation. En effet, les mouvements de capitaux sont uniquement des «opérations financières qui visent essentiellement le placement ou l’investissement du montant en cause et non la rémunération d’une prestation». L’octroi de prêts a toutefois dans cette mesure intrinsèquement la nature d’un placement s’il est réalisé régulièrement avec un bénéfice sous forme d’intérêts (15). De plus, le versement des sommes consécutif à l’octroi du prêt ne constitue pas la rémunération d’un service au sens de la libre circulation des capitaux, mais il est lui-même un mouvement de capitaux.

53.   Il convient maintenant de vérifier en détail si les règles de la libre circulation des capitaux sont applicables à l’octroi de crédits. Nous pouvons tirer quatre séries d’éléments de la jurisprudence de la Cour pour fonder notre réponse:

54.   La première série est constituée par les arrêts Svensson et Gustavsson (16) et Parodi (17), qui portent tous les deux sur des dispositions empêchant des banques d’accorder des crédits, ainsi que Commission/Italie (18). On peut déduire de ces arrêts que les articles 49 CE et 56 CE font l’objet d’une application parallèle en matière de prestations de services financiers. Les règles relatives à la libre circulation des capitaux peuvent donc être invoquées en plus de celles consacrées à la libre prestation de services.

55.   Les arrêts Safir (19) et Ambry (20) forment la deuxième série. Dans ces décisions, la Cour fonde son appréciation sur la seule libre prestation de services. Bien que les questions préjudicielles posées dans les deux cas invoquent à la fois l’article 49 CE et l’article 56 CE, la Cour a explicitement déclaré qu’il n’était pas nécessaire d’apprécier si une telle réglementation est également contraire à l’article 73 B du traité. On pourrait à première vue identifier dans cette approche un rejet de l’application des règles relatives à la libre circulation des capitaux (21).

56.   Une analyse plus approfondie des arrêts dans les affaires Safir et Ambry, précitées, en particulier de l’expression «il n’est pas nécessaire d’apprécier», montre toutefois que la Cour ne voulait simplement pas écarter en tout cas l’application de l’article 56 CE (22).

57.   À cela s’ajoute que, dans l’affaire Safir, la question préjudicielle relative à l’article 56 CE avait uniquement été posée à titre d’alternative («ou») (23) par rapport aux règles de la libre prestation de services. Étant donné que, en interprétant l’article 49 CE, la Cour avait déjà conclu à l’incompatibilité de la mesure nationale avec cette disposition, il n’était pas nécessaire de se prononcer plus avant en matière de libre circulation des capitaux. Cette jurisprudence ne traduit donc aucun rejet de l’applicabilité de l’article 56 CE.

58.   Il en va de même pour l’affaire Ambry. La question préjudicielle avait certes été posée de façon cumulative («et») (24), mais la Cour avait aussi déclaré tout d’abord que la mesure nationale était incompatible avec l’article 49 CE, de sorte que, pour trancher le litige au principal, elle ne devait pas obligatoirement se prononcer davantage.

59.   Les arrêts cités dans les points qui précèdent n’excluent donc pas non plus l’application des règles relatives à la libre circulation des capitaux.

60.   Dans ses arrêts Sandoz (25) (le traitement réservé à des emprunts contractés à l’étranger) et Reisch e.a. (26), la Cour a uniquement interprété l’actuel article 56 CE et ne s’est par ailleurs pas prononcée sur l’article 49 CE, étant donné que les questions préjudicielles étaient limitées aux règles relatives à la libre circulation des capitaux. En vertu de cette jurisprudence aussi, il faut donc partir de l’idée que les articles 56 CE et suivants s’appliquent aux opérations d’octroi de crédits.

61.   Seul l’arrêt Bachmann (27) ainsi que certaines conclusions qui s’y rattachent (28) et dans lesquelles, en cas de potentielle application concurrente de la libre prestation de services et de la libre circulation des capitaux, les avocats généraux n’ont pas voulu appliquer cette dernière en présence d’une simple restriction indirecte à l’article 56 CE pourraient plaider contre l’applicabilité des règles sur la libre circulation des capitaux.

62.   Il faut tout d’abord observer à ce propos que le critère de la restriction ou de l’affectation indirecte n’est pas suffisamment distinctif et est trop indéterminé pour faire relever un cas concret de l’une des libertés fondamentales (29). Il ne faut toutefois plus recourir à ce critère d’après la jurisprudence de la Cour parce que, depuis son arrêt Bachmann, elle ne l’utilise plus comme élément distinctif. Cette remarque s’applique aussi au critère de l’«élément primordial» visant le même objectif. Cette approche jurisprudentielle ne s’oppose donc en tout cas pas non plus à ce que les intéressés invoquent l’article 56 CE.

63.   Force est donc de conclure à propos de la jurisprudence de la Cour que les règles relatives à la libre circulation des capitaux s’appliquent à des hypothèses comme celle faisant l’objet du litige au principal.

64.   Il nous reste à examiner si les dispositions de la directive 2000/12 peuvent être incompatibles avec le recours à l’article 56 CE. Cette directive ne s’applique certes pas à un cas d’espèce comme celui faisant l’objet du litige au principal (30), mais elle doit néanmoins être prise en compte en raison de ses liens étroits avec l’activité économique qui nous occupe.

65.   La directive vise notamment à réglementer les «prêts y compris notamment les crédits à la consommation», comme l’indique son annexe I. Comme le montre la base juridique de la directive, à savoir l’article 47, paragraphe 2, CE, et le dix-neuvième considérant, les crédits bénéficient de la libre prestation de services.

66.   Il convient maintenant d’examiner cette circonstance au regard des répercussions éventuelles de l’applicabilité de l’article 56 CE.

67.   Il est vrai que le choix de la base juridique d’un acte de droit dérivé qui fait relever une hypothèse de l’une des libertés fondamentales peut revêtir de l’importance pour la qualification des crédits dans le cadre de la liberté fondamentale en cause, mais cela ne signifie pas qu’un tel acte juridique peut restreindre la portée de la liberté fondamentale en cause ou d’une autre de ces libertés.

68.   Le dix-huitième considérant de la directive 2000/12 et la nomenclature précitée figurant à l’annexe I de la directive 88/361 montrent que telle n’était pas l’intention du législateur communautaire. D’après ces sources, le législateur communautaire fait bénéficier l’octroi de prêts non seulement de la libre prestation de services, mais aussi de la libre circulation des capitaux. La directive 2000/12 plaide donc pour deux raisons en faveur de l’applicabilité de l’article 56, paragraphe 1, CE.

69.   Il faut par ailleurs se pencher sur la thèse d’après laquelle la libre circulation des capitaux s’applique uniquement à ce que l’on qualifie d’«opérations sur valeurs» ou à des «transferts de valeurs», qui peuvent être mis en parallèle avec l’activité économique. Même si l’on devait partager cette approche, cela ne signifie pas que l’octroi de crédits serait automatiquement exclu du champ d’application de la libre circulation des capitaux. En effet, l’octroi de crédits porte évidemment sur une opération impliquant des valeurs; comme cela a aussi été indiqué explicitement à l’audience, elle constitue un mouvement de capitaux. Compte tenu de la spécificité de la libre circulation des capitaux, il n’est pas nécessaire de préciser davantage les hypothèses qu’elle peut encore recouvrir. Signalons, pour être complet, qu’il existe évidemment aussi des prestations de services financiers qui ne sont associées à aucun mouvement de capitaux, comme les activités de conseil pur.

70.   Il faut par ailleurs rappeler dans ce contexte une règle explicite de droit primaire relative aux relations existant entre la libre circulation des capitaux et la libre prestation de services. En vertu de l’article 50 CE, la primauté revient à la libre circulation des capitaux par rapport à la libre prestation de services. Ce rapport de spécificité fixé par le droit primaire intervient précisément dans un cas comme celui de l’affaire au principal. Cela signifie que, même lorsque considérée isolément, l’activité économique d’un établissement de crédit est régie par les règles de la libre prestation de services, elle relève à certains points de vue exclusivement des dispositions relatives à la libre circulation des capitaux, qui doivent être appliquées par priorité.

71.   Ce rapport de spécificité s’applique de la même façon à l’égard des pays tiers. En effet, s’agissant des relations avec les pays tiers, le traité comporte certes des règles spécifiques (articles 57 CE, 59 CE et 60 CE), mais aucune disposition particulière n’est consacrée à la règle de spécificité. En tant qu’auteurs des traités, les États membres n’ont manifestement voulu prévoir aucune dérogation en la matière.

72.   Il faut en outre continuer à défendre l’idée de l’applicabilité de la libre circulation des capitaux, même lorsqu’on examine la mesure en cause de l’État membre, parce que ce qui importe, c’est non pas son objectif, mais ses effets. Dans la procédure au principal, ces derniers s’étendent notamment aux opérations d’octroi de crédits. L’intensité de l’effet, par exemple lorsqu’elle concerne un aspect essentiel, ou le caractère direct de la mesure importent peu.

73.   Il a par ailleurs été soutenu durant la procédure que la libre circulation des capitaux vise uniquement des mesures portant sur un objet spécifique. Rien dans le droit primaire n’étaye cette interprétation stricte. On peut en revanche déduire du traité que les mesures liées à des personnes, comme le contrôle des établissements de crédit, relèvent de la libre circulation des capitaux. Si tel n’était pas le cas, la dérogation inscrite à l’article 58, paragraphe 1, sous b), CE serait superflue.

74.   Enfin, les dispositions combinées de l’article 57, paragraphe 1, CE – dans la variante «droit communautaire […] en ce qui concerne […] la prestation de services financiers […]» – et de l’article 49 CE ne débouchent pas davantage sur une autre conclusion. Si le recours à l’article 56 CE par des entreprises de pays tiers était systématiquement exclu parce que, en outre, d’un point de vue matériel, une autre liberté fondamentale est concernée, on en arriverait à vider de leur substance les garanties visées par la libre circulation des capitaux.

75.   Au regard des considérations qui précèdent, il faut conclure qu’une entreprise établie en dehors de l’Union européenne, en l’occurrence dans la Confédération suisse, peut invoquer la libre circulation des capitaux pour accorder des crédits aux personnes résidant dans un État membre.

VI – Sur la deuxième question préjudicielle

76.   En posant sa deuxième question, le juge de renvoi souhaite tout d’abord savoir si le fait qu’une entreprise choisit de s’établir dans un pays tiers dans le but exclusif d’accorder des crédits à des personnes résidant dans des États membres constitue un abus de droit au motif que cette entreprise n’a besoin d’aucun agrément dans l’État tiers en cause pour exercer cette activité. En deuxième lieu, la question porte sur le point de savoir si le droit communautaire applicable doit être interprété en ce sens qu’il s’oppose à une assimilation avec les entreprises nationales en ce qui concerne l’obligation de détenir un agrément.

A –    Principaux arguments des parties

77.   Seule Fidium Finanz estime à propos de la première partie de la question qu’elle n’a pas agi abusivement et elle renvoie à la jurisprudence de la Cour (31), en vertu de laquelle le fait de choisir le siège dans un État dont les conditions d’exercice d’une activité commerciale sont moins strictes que dans l’État destinataire de l’activité ne constitue pas en soi un abus, mais uniquement l’exercice d’une liberté fondamentale.

78.   En revanche, le BaFin, les gouvernements allemand, grec, et italien et l’Irlande soutiennent à titre subsidiaire que, dans les circonstances évoquées dans la décision de renvoi, le recours à l’article 56 CE doit être considéré comme un abus de droit. Il ressort de la jurisprudence constante de la Cour (32) qu’il n’est pas permis d’invoquer abusivement le droit communautaire. Le gouvernement italien se réfère en outre au neuvième considérant de la directive 2000/12. D’après le gouvernement portugais, il n’y a aucun abus, tout simplement parce que l’article 56 CE n’a fait naître aucun droit. La Commission estime qu’il n’est pas nécessaire de répondre à cette question au regard des quatrième et cinquième questions préjudicielles.

79.   S’agissant de la seconde partie de la deuxième question préjudicielle, seuls le BaFin ainsi que les gouvernements italien et portugais considèrent que le droit communautaire ne s’oppose pas à une assimilation en matière d’agrément obligatoire. La Commission renvoie aux observations qu’elle a présentées à propos de la quatrième question préjudicielle.

B –    Appréciation

80.   Dans le cadre de la première partie de la deuxième question préjudicielle, il faut déterminer si le comportement d’une entreprise comme Fidium Finanz doit s’analyser comme un recours abusif à l’article 56, paragraphe 1, CE et, dans l’affirmative, quelles conséquences juridiques le droit communautaire attache à une telle qualification.

81.   D’après la jurisprudence constante de la Cour, le recours abusif aux libertés fondamentales, notamment à la liberté d’établissement et à la libre prestation de services, n’est pas permis (33). Au regard de la jurisprudence citée, cette règle s’applique aussi au recours au droit dérivé correspondant.

82.   Les juridictions nationales peuvent tenir compte du comportement abusif de l’intéressé pour lui refuser le bénéfice des dispositions de droit communautaire qu’il a invoquées (34).

83.   Dans l’affaire au principal, une entreprise est certes établie dans un pays tiers, mais son activité commerciale consiste presque exclusivement à accorder des crédits aux résidents d’un État membre déterminé. Compte tenu de cet aspect transfrontalier, l’entreprise n’est pas soumise aux contrôles officiels nationaux prévus par le droit du pays tiers concerné, à savoir en l’occurrence la Confédération suisse. Invoquant l’article 56 CE, Fidium Finanz conteste l’obligation de détenir un agrément dans l’État hôte. D’après les indications du juge de renvoi, il existe des indices sérieux établissant que le siège de l’entreprise a été choisi de telle façon qu’elle n’est soumise au contrôle ni de son État d’établissement ni à celui de l’État dans lequel elle exerce effectivement son activité. Le juge de renvoi considère par conséquent que le contournement des dispositions nationales de l’État membre est un élément susceptible d’établir l’existence d’un comportement abusif.

84.   Il faut se demander si ces circonstances excluent le recours à l’article 56 CE qui ne peut être admis que dans la mesure où les États membres prennent (peuvent prendre) des mesures non justifiées qui restreignent la libre circulation des capitaux.

85.   En matière de libre prestation de services, la Cour a dit pour droit dans ses arrêts TV 10 (35), Commission/Allemagne (36) et Van Binsbergen (37) que l’on ne saurait dénier à un État membre le droit de prendre des mesures destinées à empêcher que les libertés garanties par le traité soient utilisées par un prestataire dont l’activité serait entièrement ou principalement tournée vers son territoire en vue de se soustraire aux règles qui lui seraient applicables au cas où il serait établi sur le territoire de cet État.

86.   Si l’on transpose la jurisprudence relative à l’article 49 CE à l’article 56 CE, le recours à la libre circulation des capitaux par une entreprise se trouvant dans la situation de Fidium Finanz pourrait être exclu.

87.   La situation est toutefois différente au regard de la jurisprudence relative à la liberté d’établissement. Dans le cadre de l’article 43 CE, la Cour a déclaré qu’il n’est en soi pas abusif de fonder une société dans un premier État membre prévoyant des conditions moins strictes pour exercer une activité dans le seul but, en invoquant les articles 43 CE et suivants, de pouvoir créer une succursale dans un deuxième État membre qui applique des règles plus strictes.

88.   Il en irait de même si toute l’activité commerciale était exercée dans le pays de la succursale et que la création de la société dans le premier État membre aurait pour unique but d’y bénéficier de la réglementation – plus avantageuse – applicable et d’échapper aux règles plus strictes imposées par l’État de la succursale (38).

89.   S’agissant de la création d’une première entreprise, le contournement de dispositions nationales ne constitue ainsi pas un abus. Si l’on invoquait la jurisprudence relative à la liberté d’établissement, le recours à l’article 56 CE ne serait donc pas absolument exclu en l’occurrence.

90.   Il faut ainsi déterminer quels critères s’appliquent pour établir l’existence d’un abus en matière de libre circulation des capitaux. À la différence de la jurisprudence relative à la libre prestation de services, il n’existe en l’occurrence pas de risque de détournement d’une autre liberté fondamentale, à savoir la liberté d’établissement (39). Contrairement à l’affaire Centros, le détournement ou la possibilité qu’il se produise n’est pas inscrit dans la disposition de droit communautaire invoquée, à savoir précisément la liberté d’établissement dans la jurisprudence Centros.

91.   On peut déduire de l’arrêt Centros que les deux approches jurisprudentielles, à savoir celle relative à la libre prestation de services et celle consacrée à la liberté d’établissement, ne se contredisent pas. En effet, dans le cadre de l’article 43 CE, la Cour n’a pas déclaré que le contournement de dispositions nationales n’était pas abusif de façon générale, mais uniquement parce que l’objectif de la liberté l’établissement est précisément de permettre que des sociétés établies dans la Communauté exercent leurs activités dans d’autres États membres par l’entremise de succursales (40).

92.   En d’autres termes, le contournement de règles ne constitue un abus que s’il s’inscrit en dehors de l’objectif de la disposition invoquée (41).

93.   Ce critère est aussi utilisé et complété dans deux arrêts plus récents de la Cour. La preuve d’une pratique abusive nécessite, tout d’abord, un ensemble de circonstances objectives d’où il résulte que, malgré un respect formel des conditions prévues par la réglementation communautaire, l’objectif poursuivi par cette réglementation n’a pas été atteint. Cette preuve suppose, d’autre part, un élément subjectif consistant en la volonté d’obtenir un avantage résultant de la réglementation communautaire en créant artificiellement les conditions requises pour son obtention (42) ou en la volonté de se soustraire à l’application du droit communautaire, en particulier du droit fiscal (43).

94.   Nous devons maintenant examiner si l’on peut appliquer au présent cas d’espèce la jurisprudence relative à des questions de droit dérivé et qui concernait le recours frauduleux au droit communautaire pour bénéficier de droits subjectifs ou le recours abusif à de tels droits.

95.   En ce qui concerne l’applicabilité de cette jurisprudence à des circonstances impliquant des dispositions de droit primaire, il faut signaler que la Cour s’est certes prononcée sur des questions de droit dérivé, mais qu’elle l’a fait de façon générale, de sorte que ses déclarations sont valables au-delà des circonstances dans lesquelles elles ont été faites (44).

96.   De plus, le fait de traiter la thématique en cause dans le cadre d’un autre cas d’abus, à savoir celui de la fraude, n’empêche pas de recourir à cette jurisprudence de la Cour. D’une part, l’obtention frauduleuse d’un avantage non prévu est inhérente au contournement d’une norme qui impose une obligation. D’autre part, la Cour traite les deux types de cas de la même façon, dans la mesure où, dans les cas d’obtention frauduleuse d’un droit subjectif, elle renvoie à sa jurisprudence en matière d’usage abusif des règles et inversement (45). La Cour traite cet ensemble de cas de la même façon que celui qui nous occupe et qui porte sur le contournement de dispositions nationales par le recours au droit communautaire au titre de la notion générale d’abus (46).

97.   Les décisions précitées de la Cour peuvent donc être invoquées dans la présente procédure. La preuve d’une pratique abusive nécessite ainsi la présence d’éléments objectifs et subjectifs.

98.   Compte tenu de la répartition des compétences dans le cadre des procédures préjudicielles au titre de l’article 234 CE, il appartient au juge national d’établir l’existence de ces deux éléments (47).

99.   S’agissant de la condition objective retenue dans l’affaire Centros, à savoir que la norme invoquée n’a pas atteint son objectif, il incombe au juge national de vérifier, au regard des circonstances de fait concrètes, si une appréciation globale montre que le comportement objectif de Fidium Finanz permet de lui interdire de recourir aux dispositions applicables en matière de libre circulation des capitaux. Le juge national doit à cet égard tenir compte des objectifs poursuivis par la libre circulation des capitaux. L’un de ces objectifs importants est de permettre les prestations transfrontalières de services financiers.

100. Le fait que les disparités législatives en matière de règles de contrôle soient exploitées et que des crédits soient accordés dans un État membre au départ d’un pays tiers ne peut ainsi pas constituer en soi un usage abusif de la libre circulation des capitaux.

101. Pour ce qui est de l’élément subjectif, le juge national doit déterminer si Fidium Finanz avait l’intention de bénéficier d’un avantage prévu par le droit communautaire en créant artificiellement les conditions requises pour son obtention ou si elle voulait se soustraire à l’application du droit de l’État membre concerné, c’est-à-dire en particulier aux règles allemandes applicables en matière de contrôle bancaire.

102. Il faut par conséquent répondre à la première partie de la question préjudicielle en ce sens qu’une entreprise établie dans un pays tiers, dans lequel elle n’est soumise à aucun contrôle, ne peut pas invoquer l’article 56 CE pour accorder des crédits à des personnes résidant dans un État membre si les deux conditions cumulatives établissant l’existence d’une pratique abusive sont remplies, cette appréciation incombant au juge national.

103. La décision du juge de renvoi révèle qu’il existe un rapport direct entre la première et la seconde partie de la deuxième question préjudicielle. Dans la seconde partie, qui concerne l’éventuelle égalité de traitement, le juge de renvoi évoque les conséquences juridiques attachées à une pratique abusive par l’arrêt TV10, précité. Dans la mesure où la seconde partie de la deuxième question ne va pas sur le fond au-delà de la première partie et évoque la question de la justification, nous renvoyons aux observations présentées à propos des quatrième et cinquième questions préjudicielles.

VII – Sur la troisième question préjudicielle

104. En posant sa troisième question préjudicielle, le juge de renvoi souhaite savoir si le fait de soumettre des opérations d’octroi de crédits à un agrément obligatoire constitue une restriction à la libre circulation des capitaux et si la nature de la sanction prévue dans le cas d’une activité non autorisée présente de l’importance.

A –    Principaux arguments des parties

105. Fidium Finanz et la Commission estiment à propos de la première partie de la troisième question préjudicielle que l’agrément obligatoire remplit les conditions pour être considéré comme une restriction au sens de l’article 56 CE, puisqu’il s’oppose à des opérations d’octroi de crédits dans un État membre à partir d’un pays tiers. Le BaFin se range aussi à cette thèse à titre subsidiaire.

106. Les gouvernements italien, grec et portugais et l’Irlande sont par contre d’avis que l’agrément ne constitue pas une restriction. Se référant aux observations qu’ils ont présentées à propos de la deuxième question, le gouvernement italien et l’Irlande soulignent que c’est uniquement la prestation de services, et non le transfert de capitaux lui-même, qui est soumise à restriction.

107. S’agissant de la seconde partie de la troisième question, Fidium Finanz, le BaFin et la Commission signalent simplement que la nature de restriction de l’agrément préalable est indépendante de la qualification de l’activité non autorisée comme constituant une infraction pénale ou une irrégularité.

B –    Appréciation

108. Il faut déterminer, dans le cadre de la première partie de la troisième question, si l’obligation d’obtenir préalablement un agrément en vue d’accorder des crédits doit être considérée comme une restriction au sens de l’article 56, paragraphe 1, CE.

109. Il faut, dans un premier temps, constater à cet égard que l’obligation de détenir un agrément, telle qu’elle résulte des dispositions nationales et de la modification de la pratique administrative du BaFin, s’applique de la même façon aux entreprises établies en Allemagne et à celles des pays tiers. Cette circonstance ne s’oppose toutefois pas à l’existence d’une restriction. En effet, comme le révèlent le libellé de l’article 56, paragraphe 1, CE («toutes les restrictions») et la jurisprudence de la Cour (48), la libre circulation des capitaux va au-delà de l’élimination d’un traitement inégal et est aménagée comme une interdiction générale de toute restriction.

110. Il faut ainsi voir dans un deuxième temps si, sur le fond, nous sommes en présence d’une restriction. L’obligation de détenir un agrément empêche une entreprise établie dans un pays tiers d’accorder des crédits à des personnes vivant en Allemagne si elle ne dispose pas de l’agrément en cause. En application de la jurisprudence Konle (49), Reisch e.a. (50) et Salzmann (51), cela montre déjà qu’il existe une restriction. Dans ces affaires, la Cour a qualifié de restriction l’obligation de détenir un agrément avant même de pouvoir faire usage de la libre circulation des capitaux.

111. Cette conclusion est confirmée par l’arrêt rendu dans l’affaire Parodi (52). La Cour y a considéré que l’obligation de détenir un agrément dans l’État hôte pour accorder des prêts à partir de pays situés dans la Communauté constituait une restriction à la liberté fondamentale en cause dans cette affaire. Étant donné que la deuxième directive bancaire (53), introduisant ce que l’on qualifie de «passeport européen», n’était pas encore applicable à ces circonstances de fait intracommunautaires, ces dernières correspondent à la situation actuelle entre les pays tiers et les États membres et cette directive peut donc lui être transposée.

112. Circonstance aggravante dans la présente procédure, compte tenu de l’aménagement du droit national, à savoir du droit allemand, l’obtention d’un agrément n’est possible que si l’entreprise dispose d’une administration centrale ou du moins d’une succursale dans le pays.

113. Ainsi, pour pouvoir accorder des crédits en Allemagne, une entreprise d’un pays tiers devrait y établir une présence physique. Cette obligation s’accompagnerait de surcoûts considérables et pourrait dissuader les opérateurs économiques d’exercer cette activité commerciale. Nous sommes donc en présence d’une restriction.

114. Il faut donc répondre à la première partie de la troisième question préjudicielle que l’exigence d’agrément constitue une restriction à la libre circulation des capitaux.

115. La seconde partie de la troisième question porte sur la nature de la sanction prévue en cas d’exercice non autorisé d’une activité, c’est-à-dire sur la qualification de l’infraction comme étant une irrégularité ou une infraction pénale et sur la question de savoir si cette qualification revêt une importance pour qualifier la mesure de restriction à la libre circulation des capitaux.

116. Nous pouvons à cet égard renvoyer à la jurisprudence de la Cour, d’après laquelle il y a restriction à la libre circulation des capitaux, même lorsque le non-respect de l’obligation d’agrément n’est assorti d’aucune sanction (54). Cette règle doit à plus forte raison s’appliquer lorsque, comme en l’espèce, la méconnaissance de l’agrément obligatoire est assortie de sanctions, quelles qu’elles soient. Elles renforcent même la restriction. La nature de la sanction, qu’il s’agisse d’une infraction pénale ou d’une irrégularité, importe donc peu et ne change rien à l’existence d’une restriction au sens de l’article 56 CE.

VIII – Sur la quatrième question préjudicielle

117. En posant sa quatrième question, le juge de renvoi souhaite savoir si l’obligation pour une entreprise établie dans un pays tiers d’obtenir un agrément préalable en vue d’octroyer des crédits à des personnes résidant dans un État membre de l’Union européenne est justifiée par l’article 58, paragraphe 1, sous b), CE.

A –    Principaux arguments des parties

118. Fidium Finanz est la seule à considérer que la restriction résultant de l’exigence d’agrément ne peut pas être justifiée par l’article 58, paragraphe 1, sous b), CE. Elle renvoie à cet égard à l’alternative du «contrôle des établissements de crédit» qui peut en toute hypothèse être appliquée. Des dispositions de ce type en matière de contrôle ne seraient par ailleurs justifiées que si elles permettaient d’atteindre les objectifs poursuivis par le contrôle bancaire de façon adéquate et sans aller au-delà de ce qui est nécessaire. Ces objectifs ne seraient toutefois pas garantis de façon adéquate par l’exigence d’agrément.

119. Le contrôle n’est déjà pas justifié en soi par l’objectif de protection des investisseurs, parce que les clients se voient proposer des crédits et non des placements. Leur patrimoine ne court dès lors aucun risque.

120. L’octroi de prêts constitue certes un risque au regard de l’objectif de l’efficacité du secteur du crédit. Ce risque est néanmoins indépendant de l’endroit où est accordé le crédit parce que, fondamentalement, les établissements de crédit qui accordent des prêts à des particuliers doivent souvent se financer eux-mêmes au moyen de fonds de tiers. Si un grand nombre de débiteurs sont défaillants, les établissements de crédit qui ont financé les prêts sont aussi affectés. Il est toutefois fréquent que leur siège ne soit pas identique à l’endroit où le crédit a été accordé, de sorte que le risque concerne un autre marché des capitaux. Le fait de rattacher l’exigence d’agrément au lieu de l’octroi de crédits n’est donc pas un moyen adéquat d’atteindre l’objectif poursuivi en matière de contrôle.

121. De surcroît, l’exigence d’agrément n’est en aucun cas nécessaire pour atteindre les objectifs poursuivis. Il résulte de la jurisprudence de la Cour (55) que, en l’espèce, un système de déclaration constitue un instrument moins contraignant et tout aussi efficace pour garantir le contrôle des établissements de crédit.

122. En revanche, le BaFin, les gouvernements allemand, italien, irlandais, grec et portugais ainsi que la Commission considèrent que l’exigence d’agrément est en tout cas justifiée par l’article 58, paragraphe 1, sous b), CE. Le BaFin et le gouvernement allemand invoquent tout d’abord à cet égard la jurisprudence de la Cour (56), d’après laquelle l’exigence d’agrément peut être justifiée pour les entreprises d’assurances. L’octroi de crédits n’est pas soumis à des règles différentes.

123. Le BaFin, le gouvernement allemand et la Commission invoquent par ailleurs la directive 2000/12, qui subordonne l’activité des établissements de crédit à un agrément des États membres. L’octroi de crédits par un établissement financier comme Fidium Finanz comportant des risques similaires, les justifications de l’obligation d’agrément prévue par la directive, à savoir à la protection des investisseurs et des marchés financiers, doivent aussi s’appliquer en l’espèce.

124. De plus, la lecture de la jurisprudence de la Cour (57) montre qu’une simple obligation de déclaration, en tant que mesure moins contraignante dans la mesure où elle ne va pas au-delà de ce qui est nécessaire, n’assure pas toujours la sauvegarde des intérêts juridiquement protégés. D’après le BaFin et le gouvernement allemand, un agrément préalable pourrait donc aussi être justifié.

125. Les gouvernements irlandais et grec ajoutent que, en l’absence d’harmonisation des règles au niveau communautaire, l’État membre dans lequel le service est fourni peut prendre les mesures de contrôle nécessaires, y compris prévoir une obligation de détenir un agrément préalable.

B –    Appréciation

126. Pour que l’article 58, paragraphe 1, sous b), CE puisse être invoqué pour justifier l’exigence d’agrément, il devrait aussi s’appliquer dans les relations avec les pays tiers. Ces derniers ne sont certes pas visés de façon explicite par l’article 58 CE. Dans la mesure toutefois où son paragraphe 3 renvoie à l’article 56 CE et que celui-ci vise précisément aussi les «pays tiers», l’article 58 CE est applicable aux pays tiers, en l’occurrence la Confédération suisse (58). Si tel n’était pas le cas, il existerait des restrictions plus sévères dans la Communauté qu’à l’égard des pays tiers.

127. Il faut tenir compte de la première variante visée à l’article 58, paragraphe 1, sous b), CE en tant que possibilité de justification. D’après le libellé de cette disposition – «les mesures indispensables pour faire échec aux infractions à leurs lois et règlements, notamment en matière […] de contrôle prudentiel des établissements financiers» –, toute justification suppose que quatre conditions soient remplies. Nous les examinons ci-dessous.

128. Étant donné que les dispositions du KWG en tant que règles nationales constituent des lois et règlements, la première condition est remplie. En deuxième lieu, elles doivent aussi concerner le contrôle prudentiel des établissements financiers. Comme le montrent les dispositions combinées des articles 1er, paragraphe 1, premier et deuxième alinéas, et 6, paragraphe 2, du KWG précitées, les dispositions du KWG portent sur le contrôle des établissements financiers au sens de l’article 58, paragraphe 1, sous b), CE, de sorte que cette condition est, elle aussi, remplie. En troisième lieu, l’article 58, paragraphe 1, sous b), CE exige que les mesures en cause fassent échec aux infractions. C’est précisément l’objectif d’une exigence d’agrément. La troisième condition est donc remplie elle aussi.

129. Il nous reste à vérifier que la quatrième et dernière condition est respectée, à savoir que l’exigence d’agrément doit aussi être considérée comme une «mesure indispensable». Elle ne présenterait ce caractère que si elle était susceptible d’atteindre l’objectif poursuivi par le législateur et si cet objectif ne pouvait pas aussi être atteint par des mesures moins restrictives de la libre circulation des capitaux.

130. Nous devons ainsi tout d’abord déterminer à ce stade les objectifs poursuivis par les dispositions en matière de contrôle.

131. Ces objectifs peuvent être déduits de l’énumération figurant dans la quatrième question préjudicielle du juge de renvoi. Les aspects visés dans les trois premiers tirets concernent la protection des emprunteurs. Les quatrième à sixième tirets concernent la protection du marché des capitaux en tant que telle. Ces deux objectifs correspondent ainsi aux buts typiques poursuivis par les dispositions en matière de contrôle financier comme celles du KWG (59).

132. Nous devons donc tout d’abord examiner ci-dessous si l’agrément est susceptible de protéger les emprunteurs. On pourrait soutenir à cet égard qu’il n’existe aucun besoin de protéger le client, parce qu’un établissement financier comme Fidium Finanz accorde simplement des crédits et ne reçoit pas de dépôts de clients, de sorte qu’elle ne met pas directement en danger des avoirs de tiers. L’arrêt de la Cour dans l’affaire Parodi (60) va aussi en ce sens; s’agissant du degré de risque pour les clients, la Cour y établit une distinction entre l’octroi de prêts et le placement de fonds.

133. L’exposé des faits du litige au principal révèle cependant que, en renonçant à consulter la Schufa, Fidium Finanz a délibérément démarché des clients financièrement faibles pour lesquels il est particulièrement important que l’opération de crédit se déroule sans encombres.

134. À cela s’ajoute que les clients risquent non seulement de perdre des avoirs, mais aussi de contracter des engagements financiers supplémentaires à l’égard de l’institut financier. Cela est particulièrement vrai lorsqu’une partie des crédits sont accordés par l’entremise d’Internet, de sorte qu’aucune personne dont la responsabilité pourrait être engagée en cas de conseil et d’information inadéquats n’est soumise au contrôle national. Une exigence d’agrément pour faire en sorte que l’objectif de protection de l’emprunteur soit atteint constitue en revanche un moyen adéquat.

135. Il faudrait par ailleurs aussi que le contrôle soit adéquat en ce qui concerne le deuxième objectif, à savoir la protection du marché des capitaux.

136. Cette condition pourrait à première vue soulever un problème parce que la mise en péril du marché des capitaux provient notamment du fait que l’entreprise accordant le crédit se refinance elle-même auprès d’autres instituts financiers. Si un grand nombre de débiteurs sont défaillants, les instituts ayant accordé le refinancement sont aussi affectés. Toutefois, ces derniers peuvent aussi être actifs sur d’autres marchés des capitaux, comme l’emprunteur.

137. Cela ne peut néanmoins pas avoir pour conséquence de contester la nécessité d’un contrôle dans l’État de l’emprunteur. D’une part, il est tout aussi possible que l’institut ayant accordé le refinancement soit aussi établi dans cet État. D’autre part, même dans le cas contraire, c’est à tout le moins l’institut ayant accordé le crédit qui est affecté en cas de défaillance de nombreux débiteurs. Même si elle n’est pas établie dans l’État de l’emprunteur, cette circonstance a au moins des répercussions négatives sur les activités qu’il y exerce. Enfin, l’endroit où est exercée l’activité est le point de rattachement le plus rationnel en matière de contrôle. Si la nécessité de ce dernier pouvait être réfutée au motif que l’institut de refinancement éventuellement affecté est établi ailleurs, tout contrôle serait absolument impossible.

138. À cela s’ajoute que les règles en matière de contrôle visent aussi à empêcher le blanchiment d’argent. Le simple fait de réaliser des opérations de crédit en l’absence de contrôle comporte en soi un risque de blanchiment, puisque tant l’octroi d’un crédit que son remboursement peuvent occulter l’origine des fonds. Ainsi, l’exigence d’agrément constitue aussi un moyen approprié pour atteindre l’objectif de protection du marché des capitaux.

139. Les dispositions de la directive 2000/12 montrent elles aussi que l’exigence d’agrément et la possibilité consécutive d’exercer un contrôle sont un moyen approprié pour garantir la protection des clients et du marché des capitaux.

140. En vertu de l’article 4 de cette directive, l’exercice de l’activité des établissements de crédit est subordonné à un agrément préalable, ce qui s’accompagne d’un contrôle de l’établissement en cause. Le soixante-cinquième considérant de la directive 2000/12 justifie le contrôle des établissements de crédit par la protection des clients et de la stabilité du système financier.

141. Il est vrai que, en vertu de l’article 1er, point 1, de la directive, les instituts financiers comme Fidium Finanz qui accordent uniquement des prêts ne sont pas des établissements de crédit au sens de l’article 4, parce qu’ils ne reçoivent pas de dépôts. Les raisons que nous venons d’évoquer et qui imposent un agrément des établissements de crédit s’appliquent toutefois de la même façon en raison des risques comparables que comportent de pures opérations d’octroi de crédits dans des circonstances de fait comme celles de l’affaire au principal.

142. La nécessité de l’agrément obligatoire devrait cependant aussi être par ailleurs établie. Au-delà du caractère approprié de l’agrément, il faut pour ce faire prouver qu’il n’existe pas de moyen moins contraignant et aussi efficace pour atteindre l’objectif poursuivi.

143. La jurisprudence de la Cour (61) en matière de libre circulation des capitaux pourrait plaider contre la nécessité de l’agrément en l’espèce. En vertu de cette jurisprudence, il faut fondamentalement préférer un système de déclaration à un système d’agrément préalable, parce qu’il s’agit d’un système qui affecte moins la libre circulation des capitaux.

144. S’agissant de l’exportation de devises, la Cour estime qu’un système de déclaration adéquat suffit, étant donné que, contrairement à l’agrément, il n’a pas pour effet de suspendre les exportations de pièces de monnaie, de billets, etc. (62).

145. Le moyen le moins contraignant ne doit cependant être utilisé que s’il est aussi efficace dans la réalisation de l’objectif. La Cour (63) a ainsi déclaré en matière d’acquisitions immobilières, dans lesquelles interviennent des mouvements de capitaux, qu’un système de déclaration ne suffit pas toujours à lui seul pour parvenir aux buts fixés et qu’un système d’agrément peut aussi s’avérer nécessaire.

146. Il importe ainsi de déterminer dans quelles conditions un agrément est nécessaire. D’après la «jurisprudence immobilière» précitée, tel n’est en tout cas pas le cas lorsque le but à atteindre, comme dans le cas de l’exportation de devises, réside simplement pour les autorités nationales dans l’obtention d’informations (64).

147. L’exigence d’un agrément en vue de l’octroi de crédits va cependant au-delà d’un simple besoin d’informations des autorités nationales et elle doit le cas échéant leur donner la possibilité d’adopter et d’imposer des mesures efficaces à l’égard de l’entreprise, allant dans le pire des cas jusqu’au refus ou au retrait de l’agrément.

148. S’agissant de l’octroi de prêts, un système de déclaration a posteriori n’offrirait en effet pas les mêmes garanties qu’un système d’agrément préalable. Jusqu’à la vérification des opérations de prêt, des processus difficilement compréhensibles et des infractions aux dispositions applicables peuvent déjà s’être produits.

149. D’après l’arrêt Bordessa e.a., la nécessité d’un agrément doit en outre être fondée sur des critères objectifs connus à l’avance et permettant à toute personne frappée par une mesure de ce type de disposer d’une voie de recours (65).

150. Les dispositions applicables du KWG sont fondées sur des critères objectifs connus à l’avance. Les notions juridiques indéterminées figurant à l’article 32, paragraphe 1, du KWG en matière d’agrément sont définies à l’article 1er du KWG. Les indications du BaFin montrent, en ce qui concerne l’aspect «dans le pays», les personnes qui remplissent cette condition. De surcroît, en vertu de l’article 33, paragraphe 1, du KWG, le refus de l’agrément relève d’une compétence liée et non du pouvoir discrétionnaire des autorités («doit être refusé»). Enfin, il existe une possibilité de recours contre une décision de refus.

151. Les cas particuliers éventuellement restants sont visés par l’article 2, paragraphe 4, du KWG, qui prévoit la possibilité d’exonérer de l’exigence d’agrément visée à l’article 32, paragraphe 1, du KWG certaines entreprises qui, en raison de la nature des activités qu’elles exercent, ne doivent pas être soumises à un contrôle.

152. Il faut ainsi conclure à titre intermédiaire que l’obligation de détenir un agrément en vue d’atteindre les objectifs de protection des clients et du marché des capitaux doit être qualifiée à la fois d’adéquate et de nécessaire. Elle est donc «indispensable» au sens de l’article 58, paragraphe 1, CE.

153. D’après les pièces versées au dossier, les mesures visées dans le litige au principal ne sont pas une discrimination arbitraire ou une restriction déguisée au sens de l’article 58, paragraphe 3, CE. Au contraire, compte tenu de l’application de l’exigence d’agrément, les entreprises de pays tiers sont traitées de la même façon que les entreprises nationales du point de vue des règles de contrôle.

154. Il y a donc lieu de répondre à la quatrième question que l’exigence d’agrément préalable imposée à une entreprise établie dans un pays tiers pour accorder des crédits à des personnes résidant dans l’Union européenne est justifiée par l’article 58, paragraphe 1, sous b), CE.

IX – Sur la cinquième question préjudicielle

155. En posant la cinquième question, le juge de renvoi souhaite savoir si une exigence d’agrément permise en soi et du type de celle évoquée dans la troisième question est aussi justifiée en vertu de l’article 58, paragraphe 1, CE lorsque la délivrance de l’agrément suppose que l’entreprise ait son administration centrale ou du moins une succursale dans l’État membre concerné.

A –    Principaux arguments des parties

156. Fidium Finanz considère que subordonner la délivrance d’un agrément à l’existence de l’administration centrale ou d’une succursale dans l’État membre concerné est disproportionné et qu’une telle mesure n’est donc pas justifiée par l’article 58, paragraphe 1, CE. Pour étayer son point de vue, Fidium Finanz renvoie à l’arrêt rendu par la Cour dans l’affaire Commission/Italie (66). Compte tenu de la façon dont la délivrance de l’agrément est aménagée, l’établissement financier demandeur est contraint de devenir un «national». Cela revient toutefois à nier l’existence de la libre circulation des capitaux. Enfin, les coûts liés à la création d’un établissement témoignent eux aussi du caractère disproportionné de ce régime.

157. Le BaFin, les gouvernements allemand, italien, grec et portugais, l’Irlande ainsi que la Commission sont en revanche d’avis que la condition de présence physique durable dans l’État membre concerné en vue d’obtenir un agrément est justifiée par l’article 58, paragraphe 1, sous b), CE. D’après le BaFin et les gouvernements allemand, italien et irlandais, en l’absence de possibilité de vérification et d’intervention dans son pays d’origine, un contrôle efficace sur des entreprises de pays tiers peut uniquement être assuré par une présence physique dans l’État membre dans lequel l’entreprise opère.

158. Les gouvernements allemand et grec estiment que la directive 2000/12 part aussi de l’idée qu’une entreprise doit disposer d’un siège dans un État membre pour pouvoir obtenir l’agrément.

159. L’Irlande ajoute qu’une présence physique dans l’État membre concerné n’est certes pas nécessaire de façon générale aux fins du contrôle, mais en tout cas lorsque l’entreprise n’est soumise à aucune surveillance dans le pays tiers en cause.

B –    Appréciation

160. Tout comme dans le cadre de la quatrième question préjudicielle, il faut aussi vérifier en l’occurrence si l’article 58, paragraphe 1, sous b), CE peut apporter une justification. Au-delà de l’admissibilité de l’exigence d’agrément préalable en tant que telle, question à laquelle nous avons déjà répondu par l’affirmative, c’est son aménagement spécifique qui est en cause en l’occurrence. En vertu des dispositions combinées des articles 33, paragraphe 1, premier alinéa, point 6, et 53 du KWG, la délivrance de l’agrément en vue de réaliser des opérations d’octroi de crédits suppose obligatoirement la présence de l’administration centrale ou du moins d’une succursale dans l’État membre concerné. Une entreprise établie exclusivement dans un pays tiers serait ainsi tenue d’établir une présence physique dans l’État membre pour pouvoir y opérer.

161. Dans la mesure où l’article 58, paragraphe 1, sous b), CE s’applique en principe aux pays tiers et compte tenu de l’hypothèse en cause, visée par l’article 58, paragraphe 1, CE, nous pouvons renvoyer aux observations que nous avons présentées à propos de la quatrième question.

162. De plus, l’exigence de la présence physique doit servir à «faire échec aux infractions à leurs lois et règlements [...] en matière de contrôle prudentiel des établissements financiers», puisque cet objectif est inscrit dans la même loi que l’agrément obligatoire et ne fait que le concrétiser.

163. Nous devons donc vérifier maintenant si la présence physique est une «mesure indispensable» au sens de l’article 58, paragraphe 1, CE.

164. Le caractère adéquat de l’agrément pour parvenir à l’objectif poursuivi ne soulève aucun doute. Comme le montre la réponse donnée à la quatrième question, l’agrément obligatoire lui-même sert déjà à protéger les clients et le marché des capitaux. Il en va a fortiori de même de la nécessité de la présence physique. En effet, elle facilite le contrôle de l’État membre vers lequel est dirigée l’activité, dans la mesure où elle permet par exemple d’organiser des contrôles à bref délai et imprévus ou qu’elle garantit mieux le respect des engagements financiers à l’égard des clients de l’entreprise.

165. On peut toutefois se demander si l’obligation de s’établir est aussi nécessaire. Il n’en irait ainsi que s’il n’existait pas de mesure moins contraignante et aussi efficace pour protéger la clientèle ou le marché des capitaux. L’agrément préalable constitue déjà une restriction non négligeable aux mouvements de capitaux. Comme le montrent les observations présentées à l’égard de la troisième question, cette restriction est encore accentuée par l’exigence d’une présence physique, parce qu’elle entraîne des charges financières supplémentaires pour les entreprises de pays tiers.

166. La Cour a ainsi déclaré dans son arrêt Ospelt und Schlössle Weissenberg en matière de libre circulation des capitaux (67) que, du point de vue du principe de proportionnalité, l’obligation de résidence dans l’entreprise associée à la délivrance d’une autorisation préalable en vue d’acquérir des terrains agricoles et forestiers va au-delà de ce qui est nécessaire pour atteindre l’objectif poursuivi.

167. La Cour s’est aussi prononcée de façon analogue en matière de libre prestation de services. Ainsi, par exemple, l’exigence d’établissement dans un État membre, imposée à des fins de contrôle, en vue d’obtenir l’agrément pour effectuer des analyses biomédicales à partir d’un autre État membre est disproportionnée (68). La Cour a aussi jugé que l’obligation de s’établir dans un État membre, elle aussi prévue à des fins de contrôle, pour exercer des activités de courtage était injustifiée (69).

168. Nous pouvons aussi appliquer cette jurisprudence relative à l’article 49 CE pour apprécier les opérations d’octroi de crédits à la lumière de la libre circulation des capitaux parce que, comme nous l’avons dit, l’octroi d’un crédit est fondamentalement un service.

169. On peut dans un premier temps déduire de la jurisprudence précitée que l’obligation d’une présence physique n’est pas vraiment nécessaire pour parvenir au but visé par la réglementation. Il faut cependant analyser plus précisément les arrêts précités au regard des circonstances de fait qui leur ont donné naissance pour porter un jugement définitif.

170. Alors que l’arrêt rendu dans l’affaire Ospelt et Schlössle Weissenberg fournit peu d’éléments à cet égard en raison de circonstances de fait différentes sur des points essentiels, on peut déduire de la jurisprudence relative à l’article 49 CE deux caractéristiques déterminantes pour répondre à la question préjudicielle.

171. Tout d’abord et à la différence de la présente procédure, le contexte de fait était intracommunautaire. De plus, la Cour a notamment fondé ses décisions sur la circonstance qu’un contrôle comparable était déjà assuré dans l’État membre d’origine par les autorités compétentes. La situation est fondamentalement différente dans la présente affaire. Comme nous l’avons déjà indiqué, Fidium Finanz n’est soumise à aucun contrôle équivalent dans son État d’origine, à savoir la Confédération suisse.

172. Compte tenu de ces différences essentielles entre la procédure qui nous occupe et celles qui sont à la base de la jurisprudence précitée, on ne saurait transposer automatiquement au présent cas d’espèce les appréciations portées dans ces arrêts.

173. Il faut au contraire examiner les conséquences pour la présente procédure de l’établissement dans un pays tiers qui, de surcroît, n’exerce pas de contrôle. Si, compte tenu des circonstances de fait qui ont été évoquées, il n’existait pas de mesures qui, sans obligation de présence physique, garantissent efficacement un contrôle général, cela plaiderait en faveur de l’admissibilité des mesures allemandes.

174. S’agissant des mesures envisageables, il faut de façon générale établir une distinction, du point de vue des vérifications, entre celles qui sont effectuées au siège de l’entreprise et celles qui ont lieu dans l’État dans lequel l’activité est exercée.

175. Aucune méthode efficace ne se dégage dans le cas du contrôle dans l’État du siège. À défaut d’accords internationaux en ce sens, un contrôle sur place dans la Confédération suisse par des autorités des États membres n’est pas possible. Il ne faut pas compter non plus, dans le cadre de la coopération administrative, sur des contrôles par les autorités du pays tiers, puisque, dans ce dernier, les activités transfrontalières n’étaient soumises à aucun contrôle durant la période concernée par la présente procédure.

176. S’agissant du contrôle dans l’État membre vers le territoire duquel l’activité est dirigée, à savoir l’Allemagne, nous devons tout d’abord nous pencher sur le respect des droits de la clientèle en termes financiers à l’égard de l’entreprise. Cet objectif peut être atteint sans présence physique dans la Communauté. En effet, comme l’a déclaré la Cour dans son arrêt Commission/Italie (70), il suffit pour ce faire que des garanties financières soient données dans l’État membre concerné.

177. Il reste donc à vérifier si, en l’absence d’établissement, des contrôles efficaces sont possibles dans l’État membre où l’activité est exercée.

178. Il faut songer, en recourant à l’arrêt Commission/Allemagne (71), à une obligation de l’entreprise de fournir aux autorités compétentes les documents commerciaux nécessaires, les bilans, les livres de comptes, les programmes d’activité et d’autres éléments comparables.

179. Comme la Cour l’a toutefois déclaré dans cet arrêt, ces informations doivent être «envoyées à partir de l’État d’établissement et dûment certifiées par les autorités de cet État membre».

180. La reconnaissance par la Cour que cette transmission d’informations était un moyen de contrôle efficace et moins contraignant supposait, dans l’arrêt Commission/Allemagne, précité, qu’il existe un minimum de coopération entre les autorités de l’État d’établissement et celles de l’État membre sur le territoire duquel l’activité s’étendait effectivement.

181. Comme nous l’avons déjà souligné à plusieurs reprises, il ne devrait cependant pas exister de collaboration de ce type dans le présent cas d’espèce. Il incomberait donc à l’entreprise qui doit être contrôlée, et non aux autorités de l’État d’établissement, de rassembler les documents à vérifier et de les fournir aux autorités de l’État où l’activité est exercée.

182. En l’absence de toute intervention de l’État dans le pays d’origine, les autorités de l’État membre concerné ne seraient pas en mesure, dans les circonstances décrites, de pouvoir s’assurer du caractère complet et/ou correct des documents fournis, ce qui exclut tout contrôle efficace sur la base des documents mis à disposition.

183. Ainsi, la circonstance que l’entreprise est établie dans un pays tiers, dans lequel aucun contrôle n’est effectué, débouche dans la présente procédure sur un résultat différent de celui des arrêts rendus par la Cour à propos de l’article 49 CE. En l’espèce, une obligation de présenter des documents commerciaux par exemple ne constitue pas un moyen moins contraignant et aussi efficace pour atteindre les buts poursuivis par la législation de l’État membre concerné.

184. Par conséquent, étant donné qu’aucune méthode de contrôle moins contraignante mais tout aussi efficace n’est envisageable, force est de conclure que l’exigence de la présence physique doit être qualifiée de moyen adéquat et nécessaire et qu’elle constitue donc une «mesure indispensable» au sens de l’article 58, paragraphe 1, sous b), CE.

185. Il faut dès lors répondre à la cinquième question préjudicielle que l’aménagement d’une exigence d’agrément au sens de la troisième question, exigence permise en soi, en vertu de laquelle la délivrance d’un agrément suppose obligatoirement que l’entreprise ait son administration principale ou, du moins, une succursale dans l’État membre concerné, est justifié.

X –    Conclusion

186. Au regard de l’ensemble de ces éléments, je propose à la Cour de répondre comme suit aux questions préjudicielles:

«1)      Une entreprise établie dans un État situé en dehors de l’Union européenne, en l’occurrence la Confédération suisse, peut, dans le cadre de son activité professionnelle d’octroi de crédits à des résidents d’un État membre de l’Union européenne, en l’occurrence la République fédérale d’Allemagne, invoquer à l’égard de cet État membre et des mesures de ses autorités ou de ses tribunaux la libre circulation des capitaux visée à l’article 56 CE.

2)       Une entreprise établie dans un pays tiers, dans lequel elle n’est soumise à aucun contrôle, ne peut pas invoquer l’article 56 CE pour accorder des crédits à des personnes résidant dans un État membre si les conditions objectives (points 99 et 100 des présentes conclusions) et subjectives (point 101 des présentes conclusions) de l’existence d’une pratique abusive sont remplies. Il appartient au juge national d’apprécier si tel est le cas.

3)      Une exigence d’agrément constitue une restriction à la libre circulation des capitaux. Peu importe dans cette mesure que l’activité non autorisée d’octroi de crédits à titre professionnel constitue une infraction pénale ou une irrégularité.

4)      L’article 58, paragraphe 1, CE doit être interprété en ce sens qu’une exigence d’agrément préalable imposée à une entreprise établie dans un pays tiers, dans lequel elle n’est soumise à aucun contrôle, pour accorder des crédits à des personnes résidant dans l’Union européenne est permise et que l’aménagement d’une exigence d’agrément, exigence permise en soi, en vertu de laquelle la délivrance d’un agrément suppose obligatoirement que l’entreprise qui octroie les crédits ait son administration principale ou, du moins, une succursale dans l’État membre concerné, est justifié.»


1 – Langue originale: l’allemand.


2 –      JO L 178, p. 5.


3 –      JO L 126, p. 1.


4 – BGBl. I, p. 2776.


5 – Arrêts du 14 novembre 1995, Svensson et Gustavsson (C-484/93, Rec. p. I-3955, points 10 et suiv.), et du 9 juillet 1997, Parodi (C-222/95, Rec. p. I-3899, points 14 et 17).


6 – Voir arrêt du 31 janvier 1984, Luisi et Carbone (286/82 et 26/83, Rec. p. 377, point 21).


7 – Arrêt du 28 janvier 1992, Bachmann (C-204/90, Rec. p. I-249, point 34).


8 – Précité à la note 5, point 11.


9 – Précité à la note 5, point 17.


10 – Accord entre la Communauté européenne et ses États membres, d’une part, et la Confédération suisse, d’autre part, sur la libre circulation des personnes (JO 2002, L 114, p. 6).


11 – Voir, à ce propos, Kiemel, dans von der Groeben et Schwarze, Kommentar zum Vertrag über die Europäische Union und zur Gründung der Europäischen Gemeinschaft, tome 1, Art. 56, paragraphe 24; Follak, dans Dauses, Handbuch des EU-Wirtschaftsrechts, tome 1, F. II, paragraphe 5; conclusions de l’avocat général Geelhoed du 10 avril 2003 dans l’affaire Ospelt et Schlössle Weissenberg (arrêt du 23 septembre 2003, C-452/01, Rec. p. I-9743, points 45 à 47).


12 – Arrêts du 16 mars 1999, Trummer et Mayer (C-222/97, Rec. p. I-1661, point 21); du 5 mars 2002, Reisch e.a. (C-515/99, C-519/99 à C-524/99 et C-526/99 à C-540/99, Rec. p. I-2157, point 30); du 4 juin 2002, Commission/Portugal (C-367/98, Rec. p. I-4731, point 37); du 13 mai 2003, Commission/Royaume-Uni (C-98/01, Rec. p. I-4641, point 39); du 2 juin 2005, Commission/Italie (C-174/04, Rec. p. I-4933, point 27); du 5 juillet 2005, D. (C-376/03, Rec. p. I-5821, point 24), et du 19 janvier 2006, Bouanich (C-265/04, Rec. p. I-923, point 29).


13 – Arrêts Trummer et Mayer, précité à la note 12, points 22 à 24, et du 6 juin 2000, Verkooijen (C-35/98, Rec. p. I-4071, points 27 à 30).


14 – Arrêt précité à la note 6, point 21.


15 – Voir Ohler, «Die Kapitalverkehrsfreiheit und ihre Schranken», Wertpapiermitteilungen1996, 1801 (1805).


16 – Arrêt précité à la note 5, points 10 et suiv.


17 – Arrêt précité à la note 5, points 14 et 17.


18 – Arrêt du 7 février 2002 (C-279/00, Rec. p. I-1425, points 37 et suiv.).


19 – Arrêt du 28 avril 1998 (C-118/96, Rec. p. I-1897, points 35 et suiv.).


20 – Arrêt du 1er décembre 1998 (C-410/96, Rec. p. I-7875, points 39 et suiv.).


21 – En ce sens, Notaro, Revue du marché unique européen, 1998, n° 2, p. 268, 269; Rohde, Freier Kapitalverkehr in der Europäischen Gemeinschaft, p. 101, note 376.


22 – Voir Bröhmer, dans: Callies et Ruffert, Kommentar des EUV/EGV, Art. 56, points 30 et suiv.


23 – Arrêt précité à la note 19, point 19.


24 – Arrêt précité à la note 20, point 18.


25 – Arrêt du 14 octobre 1999 (C-439/97, Rec. p. I-7041, point 38).


26 – Arrêt précité à la note 12, point 40.


27 – Arrêt précité à la note 7, point 34.


28 – Voir, par exemple, les conclusions de l’avocat général Elmer du 17 mai 1995 dans l’affaire Svensson et Gustavsson, précitée à la note 5, points 8 et suiv., de l’avocat général Tesauro du 23 septembre 1997 dans l’affaire Safir, précitée à la note 19, point 17, et de l’avocat général Geelhoed du 20 novembre 2001 dans l’affaire Reisch e.a., précitée à la note 12, points 62 et suiv.


29 – Par exemple Ohler, Europäische Kapital- und Zahlungsverkehrsfreiheit, Kommentar zu den Art. 56 bis 60 EGV, p. 103, point 141; Frenz, Handbuch Europarecht, tome 1, Europäische Grundfreiheiten, p. 1049, points 2784 et suiv.


30 – Le titre IV de la directive, qui régit les relations avec les pays tiers, ne comporte pas de dispositions relatives à des opérations d’octroi de prêts à partir de pays tiers et à destination d’un État membre en l’absence de succursales ou de filiales de l’opérateur en cause dans la Communauté.


31 – Arrêt du 9 mars 1999, Centros (C-212/97, Rec. p. I-1459, points 27 et suiv.).


32 – Arrêts Centros, précité à la note 31, point 24, et du 5 octobre 1994, TV10 (C-23/93, Rec. p. I-4795, point 21).


33 – Voir, notamment, arrêts Centros, précité à la note 31, point 24; du 2 mai 1996, Paletta (C-206/94, Rec. p. I-2357, point 24); du 12 mai 1998, Kefalas e.a. (C-367/96, Rec. p. I-2843, point 20), et TV 10, précité à la note 32, point 25.


34 – Arrêts du 23 mars 2000, Diamantis (C-373/97, Rec. p. I-1705, point 34), et Paletta, précité à la note 33, point 25.


35 – Arrêt précité à la note 32, points 26 et suiv.


36 – Arrêt du 4 décembre 1986 (205/84, Rec. p. 3755, point 22).


37 – Arrêt du 3 décembre 1974 (33/74, Rec. p. 1299, point 13).


38 – Arrêts du 30 septembre 2003, Inspire Art (C-167/01, Rec. p. I-10155, points 95, 96 et 98), et Centros, précité à la note 31, points 18, 27 et 29.


39 – Voir, à ce propos, arrêts Commission/Allemagne, précité à la note 36, point 22, et Van Binsbergen, précité à la note 37, point 13.


40 – Arrêt Centros, précité à la note 31, point 26.


41 – Voir aussi en ce sens Karayannis, «L’abus de droits découlant de l´ordre juridique communautaire», Cahiers de droit européen, 1999, Cahier 1/2, p. 531.


42 – Arrêts du 14 décembre 2000, Emsland-Stärke (C-110/99, Rec. p. I-11569, points 52 et suiv.), et du 21 juillet 2005, Eichsfelder Schlachtbetrieb (C-515/03, Rec. p. I-7355, point 39).


43 – Voir, à ce propos, arrêt du 13 décembre 2005, Marks & Spencer (C-446/03, Rec. p. I-10837, point 57 et la jurisprudence citée).


44 – Voir aussi en ce sens Dennis Weber, Abuse of Law, Legal Issues of Economic Integration, 2004, p. 43, 51 et 54.


45 – Arrêts Centros, précité à la note 31, point 24, et Kefalas e.a., précité à la note 33, point 20; voir aussi Zimmermann, Das Rechtsmissbrauchsverbot im Recht der Europäischen Gemeinschaften, p. 185 et suiv.


46 – Voir, à propos des différents cas d’abus, Lagondet, «L’abus de droit dans la jurisprudence communautaire», Journal des tribunaux, 2003, n° 95, p. 8 et suiv.


47 – Arrêts Eichsfelder Schlachtbetrieb, précité à la note 42, point 40, et Emsland-Stärke, précité à la note 42, point 54.


48 – Arrêts du 4 juin 2002, Commission/France (C-483/99, Rec. p. I-4781, point 40); du 13 mai 2003, Commission/Espagne (C-463/00, Rec. p. I-4581, point 56), et Commission/Royaume-Uni, précité à la note 12, point 43.


49 – Arrêt du 1er juin 1999 (C-302/97, Rec. p. I-3099, point 39).


50 – Arrêt précité à la note 12, point 32.


51 – Arrêt du 15 mai 2003 (C-300/01, Rec. p. I-4899, point 41).


52 – Arrêt précité à la note 5, point 19.


53 – Deuxième directive 89/646/CEE du Conseil, du 15 décembre 1989, visant à la coordination des dispositions législatives, réglementaires et administratives concernant l’accès à l’activité des établissements de crédit et son exercice, et modifiant la directive 77/780/CEE (JO L 386, p. 1).


54 – Arrêt du 14 mars 2000, Église de scientologie (C-54/99, Rec. p. I-1335, point 15).


55 – Arrêts Reisch e.a., précité à la note 12, point 37, et du 14 décembre 1995, Sanz de Lera e.a. (C-163/94, C-165/94 et C-250/94, Rec. p. I-4821, point 27).


56 – Arrêt Commission/Allemagne, précité à la note 36, point 46.


57 – Arrêt Konle, précité à la note 49, points 45 et suiv.


58 – Voir Frenz, précité à la note 29, p. 1065, point 2822, et Bröhmer, précité à la note 22, article 58, paragraphe 1.


59 – Voir Hübner dans: Dauses, Handbuch des EU-Wirtschaftsrechts, tome 1, E. IV, point 46.


60 – Arrêt précité à la note 5, point 29.


61 – Arrêts Salzmann, précité à la note 51, point 50, Reisch e.a., précité à la note 12, point 37, Konle, précité à la note 49, point 44, et Sanz de Lera e.a., précité à la note 55, point 27.


62 – Arrêt du 23 février 1995, Bordessa e.a. (C-358/93 et C-416/93, Rec. p. I-361, point 27).


63 – Arrêts Ospelt et Schlössle Weissenberg, précité à la note 11, point 45, Salzmann, précité à la note 51, point 49, et Konle, précité à la note 49, point 46.


64 – Arrêt Konle, précité à la note 49, point 45.


65 – Arrêt Ospelt et Schlössle Weissenberg, précité à la note 11, point 34.


66 – Arrêt du 6 juin 1996 (C-101/94, Rec. p. I-2691, points 16 et suiv.).


67 – Arrêt précité à la note 11, point 54.


68 – Arrêt du 11 mars 2004, Commission/France (C-496/01, Rec. p. I-2351, point 69).


69 – Arrêt du 6 juin 1996, Commission/Italie, précité à la note 66, points 16 et suiv.


70 – Arrêt du 6 juin 1996, précité à la note 66, point 23.


71 – Arrêt précité à la note 36, point 55.