Available languages

Taxonomy tags

Info

References in this case

References to this case

Share

Highlight in text

Go

CONCLUSIONS DE L’AVOCAT GÉNÉRAL

Mme JULIANE Kokott

présentées le 7 septembre 2006 (1)

Affaire C-401/05

VDP Dental Laboratory NV

contre

Staatssecretaris van Financiën

[demande de décision préjudicielle formée par le Hoge Raad der Nederlanden (Pays-Bas)]

«Sixième directive TVA – Exonérations à l’intérieur du pays – Fourniture de prothèses dentaires par des dentistes et mécaniciens-dentistes – Livraison intracommunautaire – Déduction de la taxe acquittée en amont»





I –    Introduction

1.     La présente affaire nous confronte à des questions d’interprétation de la sixième directive 77/388/CEE du Conseil, du 17 mai 1977, en matière d’harmonisation des législations des États membres relatives aux taxes sur le chiffre d’affaires – Système commun de taxe sur la valeur ajoutée: assiette uniforme (2) (ci-après la «sixième directive») concernant la fourniture de prothèses dentaires.

2.     Il faut déterminer, d’une part, si l’exonération de ce type de fournitures, édictée à l’article 13, A, paragraphe 1, sous e), de la sixième directive, joue également dans le cas où la prothèse dentaire n’est pas fournie directement par un dentiste ou un mécanicien-dentiste, mais par un intermédiaire qui ne possède lui-même pas la qualification professionnelle correspondante.

3.     D’autre part, il se pose la question de savoir si la fourniture intracommunautaire de prothèses dentaires ouvre droit à la déduction de la taxe acquittée en amont lorsque cette fourniture est assujettie à la taxe dans le pays de destination en application d’une disposition transitoire dérogeant à l’article 13, A, paragraphe 1, sous e), de la sixième directive. Une question similaire se posait dans l’affaire Eurodental (3) (C-240/05).

II – Cadre juridique

A –    Droit communautaire

4.     La première directive TVA (4) fournit, à son article 2, la définition suivante des principaux éléments du système commun de TVA:

«Le principe du système commun de taxe sur la valeur ajoutée est d’appliquer aux biens et aux services un impôt général sur la consommation exactement proportionnel au prix des biens et des services, quel que soit le nombre des transactions intervenues dans le processus de production et de distribution antérieur au stade d’imposition.

À chaque transaction, la taxe sur la valeur ajoutée, calculée sur le prix du bien ou du service au taux applicable à ce bien ou à ce service, est exigible déduction faite du montant de la taxe sur la valeur ajoutée qui a grevé directement le coût des divers éléments constitutifs du prix.»

5.     L’article 13 de la sixième directive est intitulé «Exonérations à l’intérieur du pays»; son titre A, paragraphe 1, dispose (extraits):

«Sans préjudice d’autres dispositions communautaires, les États membres exonèrent, dans les conditions qu’ils fixent en vue d’assurer l’application correcte et simple des exonérations prévues ci-dessous et de prévenir toute fraude, évasion et abus éventuels:

[…]

e)      les prestations de services effectuées dans le cadre de leur profession par les mécaniciens-dentistes, ainsi que les fournitures de prothèses dentaires effectuées par les dentistes et les mécaniciens-dentistes […]».

6.     L’article 28, paragraphe 3, de la sixième directive autorise, à titre transitoire, des dérogations à l’article 13:

«Au cours de la période transitoire visée au paragraphe 4 [(5)], les États membres peuvent:

a)      continuer à appliquer la taxe aux opérations qui en sont exonérées en vertu des articles 13 ou 15 et dont la liste est reprise à l’annexe E; […]».

7.     L’annexe E, point 2, mentionne les opérations des dentistes et mécaniciens-dentistes visées à l’article 13, A, paragraphe 1, sous e), de la sixième directive.

8.     La directive 91/680/CEE du Conseil, du 16 décembre 1991 (6), a inséré un nouveau titre XVI bis (régime transitoire de taxation des échanges entre les États membres; articles 28 bis à 28 quaterdecies) dans la sixième directive. Ces dispositions sont toujours d’application, car, à ce jour, il n’a toujours pas été mis en place de régime définitif en ce qui concerne la taxation des échanges de marchandises entre entreprises de différents États membres.

9.     L’article 28 bis (7) de la sixième directive réglemente la taxation des acquisitions intracommunautaires comme suit:

«1.      Sont également soumises à la taxe sur la valeur ajoutée:

a)      les acquisitions intracommunautaires de biens effectuées à titre onéreux à l’intérieur du pays par un assujetti agissant en tant que tel, ou par une personne morale non assujettie, lorsque le vendeur est un assujetti agissant en tant que tel, qui ne bénéficie pas de la franchise de taxe prévue à l’article 24 et qui ne relève pas des dispositions prévues à l’article 8 paragraphe 1 point a) deuxième phrase ou à l’article 28 ter titre B paragraphe 1.

Par dérogation au premier alinéa, les acquisitions intracommunautaires de biens effectuées, par un assujetti ou par une personne morale non assujettie, dans les conditions prévues au paragraphe 1 bis ne sont pas soumises à la taxe sur la valeur ajoutée.

Les États membres accordent aux assujettis et aux personnes morales non assujetties susceptibles de bénéficier des dispositions du deuxième alinéa, le droit d’opter pour le régime général prévu au premier alinéa. Les États membres déterminent les modalités d’exercice de cette option qui, en tout état de cause, couvre une période de deux années civiles.

[…]

bis.         Bénéficient de la dérogation prévue au paragraphe 1 point a) deuxième alinéa:

a)      […]

b)      les acquisitions intracommunautaires de biens, autres que celles visées au point a), effectuées:

–       […] par un assujetti qui ne réalise que des livraisons de biens ou des prestations de services ne lui ouvrant aucun droit à déduction, ou par une personne morale non assujettie,

–       dans la limite, ou jusqu’à concurrence, d’un montant global ne dépassant pas, dans l’année civile en cours, un seuil à fixer par les États membres, mais qui ne peut être inférieur à la contre-valeur en monnaie nationale de 10 000 écus et

–       à condition que le montant global des acquisitions intracommunautaires de biens n’ait pas dépassé, au cours de l’année civile précédente, le seuil visé au deuxième tiret.

Le seuil qui sert de référence pour l’application des dispositions ci-dessus est constitué par le montant global, hors taxe sur la valeur ajoutée due ou acquittée dans l’État membre de départ de l’expédition ou du transport des biens, des acquisitions intracommunautaires de biens autres que des moyens de transport neufs et autres que des produits soumis à accises.»

10.   L’article 28 ter, B, de la sixième directive définit comme suit le lieu de la livraison intracommunautaire pour certains cas dérogatoires:

«1.      Par dérogation à l’article 8 paragraphe 1 point a) et paragraphe 2, le lieu d’une livraison de biens expédiés ou transportés, par le fournisseur ou pour son compte, à partir d’un État membre autre que celui d’arrivée de l’expédition ou du transport est réputé se situer à l’endroit où les biens se trouvent au moment de l’arrivée de l’expédition ou du transport à destination de l’acheteur, lorsque les conditions suivantes sont réunies:

–       la livraison des biens est effectuée pour un assujetti ou pour une personne morale non assujettie qui bénéficient de la dérogation prévue à l’article 28 bis paragraphe 1 point a) deuxième alinéa, ou pour toute autre personne non assujettie,

[…]

2.      Toutefois, dans le cas où les biens livrés sont autres que des produits soumis à accise, le paragraphe 1 ne s’applique pas aux livraisons de biens expédiés ou transportés à destination d’un même État membre d’arrivée de l’expédition ou du transport:

–       effectuées dans la limite ou jusqu’à concurrence d’un montant global, hors taxe sur la valeur ajoutée, ne dépassant pas au cours d’une même année civile la contre-valeur en monnaie nationale de 100 000 écus,

et

–       à condition que le montant global, hors taxe sur la valeur ajoutée, des livraisons de biens autres que des produits soumis à accise effectuées, dans les conditions prévues au paragraphe 1, au cours de l’année civile précédente n’ait pas dépassé la contre-valeur en monnaie nationale de 100 000 écus. [(8)]

L’État membre sur le territoire duquel les biens se trouvent au moment de l’arrivée de l’expédition ou du transport à destination de l’acheteur peut limiter les seuils visés ci-avant à la contre-valeur en monnaie nationale de 35 000 écus dans le cas où cet État membre craint que le seuil de 100 000 écus visé ci-avant conduise à de sérieuses distorsions des conditions de concurrence. Les États membres qui font application de cette faculté prennent les mesures nécessaires pour en informer les autorités publiques compétentes de l’État membre à partir duquel les biens sont expédiés ou transportés.

[…]

3.      L’État membre sur le territoire duquel les biens se trouvent au moment du départ de l’expédition ou du transport accorde aux assujettis qui effectuent des livraisons de biens susceptibles de bénéficier des dispositions du paragraphe 2 le droit d’opter pour que le lieu de ces livraisons soit déterminé conformément au paragraphe 1.

Les États membres concernés déterminent les modalités d’exercice de cette option qui, en tout état de cause, couvre une période de deux années civiles.»

11.   En application de l’article 28 quater, A, de la sixième directive, les livraisons intracommunautaires entre deux États membres sont par principe exonérées de la TVA. Cette disposition est libellée comme suit (extraits):

«Sans préjudice d’autres dispositions communautaires et dans les conditions qu’ils fixent en vue d’assurer l’application correcte et simple des exonérations prévues ci-après et de prévenir toute fraude, évasion ou abus éventuels, les États membres exonèrent:

a)      les livraisons de biens, au sens de l’article 5, expédiés ou transportés, par le vendeur ou par l’acquéreur ou pour leur compte, en dehors du territoire visé à l’article 3 mais à l’intérieur de la Communauté, effectuées pour un autre assujetti, ou pour une personne morale non assujettie, agissant en tant que tel dans un État membre autre que celui du départ de l’expédition ou du transport des biens.

Cette exonération ne s’applique ni aux livraisons de biens effectuées par des assujettis qui bénéficient de la franchise de taxe prévue à l’article 24 ni aux livraisons de biens effectuées pour des assujettis ou pour des personnes morales non assujetties qui bénéficient de la dérogation prévue à l’article 28 bis paragraphe 1 point a) deuxième alinéa;

[…]»

12.   L’article 17 de la sixième directive, tel que modifié par l’article 28 septies de celle-ci (9), régit le droit à déduction de la taxe acquittée en amont. Sont pertinents en l’espèce les paragraphes 2 et 3 de cette disposition:

«2.      Dans la mesure où les biens et les services sont utilisés pour les besoins de ses opérations taxées, l’assujetti est autorisé à déduire de la taxe dont il est redevable:

a)      la taxe sur la valeur ajoutée due ou acquittée à l’intérieur du pays pour les biens qui lui sont ou lui seront livrés et pour les services qui lui sont ou lui seront rendus par un autre assujetti;

[…]

3.      Les États membres accordent également à tout assujetti la déduction ou le remboursement de la taxe sur la valeur ajoutée visée au paragraphe 2 dans la mesure où les biens et les services sont utilisés pour les besoins:

a)      de ses opérations relevant des activités économiques visées à l’article 4 paragraphe 2, effectuées à l’étranger, qui ouvriraient droit à déduction si ces opérations étaient effectuées à l’intérieur du pays;

b)      de ses opérations exonérées conformément à l’article 14 paragraphe 1 point i), à l’article 15, à l’article 16 paragraphe 1 points B, C, D et E et paragraphe 2 et à l’article 28 quater titres A et C;

c)      de ses opérations exonérées conformément à l’article 13 titre B points a) et d) 1 à 5, lorsque le preneur est établi en dehors de la Communauté ou lorsque ces opérations sont directement liées à des biens qui sont destinés à être exportés en dehors de la Communauté.»

B –    Droit national

13.   En vertu de l’article 11, paragraphe 1, sous g), de la loi néerlandaise relative à la taxe sur le chiffre d’affaires (wet op de omzetbelasting), dans sa version en vigueur jusqu’au 1er décembre 1997, les prestations des mécaniciens-dentistes étaient exonérées de la taxe. Selon l’interprétation qu’en faisaient les juridictions néerlandaises, cette exonération ne s’étendait pas aux fournitures effectuées par des intermédiaires qui n’étaient pas eux-mêmes mécaniciens-dentistes.

14.   Depuis le 1er décembre 1997, ladite disposition exonère de la taxe les «fournitures de prothèses dentaires», sans imposer de conditions plus précises quant à la personne du fournisseur.

III – Faits et questions préjudicielles

15.   Sur commande de dentistes établis aux Pays-Bas, en Belgique, au Danemark, en Allemagne, en France, en Italie et dans des pays tiers, la société VDP Dental Laboratory NV (ci-après «VDP»), dont le siège se trouve aux Pays-Bas, fait effectuer des travaux de technique dentaire, tels que des couronnes, des incrustations, des bridges et autres. Le dentiste qui place la commande fait une ou plusieurs empreintes au plâtre de la dentition, qui sont ensuite envoyées à VDP ou enlevées par elle. VDP évalue si lesdites empreintes sont utilisables et les envoie le cas échéant à un laboratoire de prothèses dentaires (situé le plus souvent en dehors de la Communauté). Le laboratoire livre la prothèse à VDP qui en acquitte le prix et, le cas échéant, fait importer la prothèse dans la Communauté. VDP livre ensuite la prothèse – contre paiement et franco destination – au dentiste qui l’a commandée. Elle n’emploie pas de mécanicien-dentiste ou de dentiste diplômé.

16.   VDP considérait que les livraisons effectuées par ses soins aux Pays-Bas étaient exonérées de TVA et que, en ce qui concerne les livraisons effectuées à des dentistes établis aux Pays-Bas, elle n’avait pas le droit de déduire la taxe acquittée en amont. En revanche, elle a déduit la taxe acquittée en amont pour les livraisons effectuées à des dentistes établis en dehors des Pays-Bas.

17.   Afin d’éviter une double imposition, l’administration fiscale a autorisé la déduction de la taxe acquittée en amont, dans la mesure où cette taxe avait été facturée à VDP pour des produits et des services qu’elle s’était procurés dans le cadre de livraisons intracommunautaires. Cela à la condition que VDP enregistre dans ses documents comptables le numéro d’identification TVA de l’acheteur et qu’elle effectue une déclaration de livraison intracommunautaire.

18.   Ces conditions n’étant pas remplies concernant des livraisons effectuées dans les États membres mentionnés ci-dessus (voir point 15), l’administration fiscale a émis pour la période du 1er janvier 1996 au 31 décembre 1998 un avis de redressement de TVA d’un montant de 117 530 NLG.

19.   La juridiction de première instance a estimé que, pour la période allant du 1er janvier 1996 au 1er décembre 1997, les prestations de l’intéressée n’étaient pas exonérées en vertu de l’article 11, paragraphe 1, sous g), de la loi relative à la taxe sur le chiffre d’affaires (dans la version en vigueur jusqu’au 1er décembre 1997). En ce qui concerne la période allant du 1er décembre 1997 au 31 décembre 1998, la juridiction de première instance a considéré que les prestations ne relevaient, certes, pas de l’exonération prévue par la sixième directive, étant donné que VDP n’était pas mécanicien-dentiste. Les conditions de l’article 11, paragraphe 1, sous g), de la loi relative à la taxe sur le chiffre d’affaires (dans la version en vigueur à partir du 1er décembre 1997) se trouveraient cependant remplies. L’exonération de la prestation exclurait tout droit à déduction de la taxe acquittée en amont. VDP ne pourrait se prévaloir, d’une part, de ce que la fourniture était soumise à la taxe en vertu de la sixième directive pour en faire découler le droit de déduire la taxe acquittée en amont et, d’autre part, de son exonération de la taxe en application du droit national. Au final, le tribunal a ramené le montant du rappel de TVA à 9 527 NLG. Ce montant se rapporte à des fournitures de prothèses dentaires à des dentistes établis dans d’autres États membres au cours de la période du 1er décembre 1997 au 31 mars 1998.

20.   Le point litigieux dans le cadre de la procédure de pourvoi devant le Hoge Raad der Nederlanden est de savoir s’il existe également un droit à déduction de la taxe acquittée en amont en ce qui concerne des fournitures effectuées à des dentistes établis en France et en Italie, étant donné que, dans ces pays, la fourniture de prothèses dentaires n’est pas exonérée de la TVA. Dans ce contexte, le Hoge Raad der Nederlanden, par arrêt du 11 novembre 2005, a soumis les questions ci-après à la Cour en vue d’une décision à titre préjudiciel:

«1)      L’article 13, A, initio et sous e), de la sixième directive du Conseil du 17 mai 1977 en matière d’harmonisation des législations des États membres relatives aux taxes sur le chiffre d’affaires – Système commun de taxe sur la valeur ajoutée assiette uniforme (77/388/CEE) doit-il être interprété en ce sens que, sous les termes fournitures de prothèses dentaires par des mécaniciens-dentistes, il faut comprendre également la fourniture de prothèses dentaires par un assujetti qui en délègue la fabrication à un mécanicien-dentiste?

2)      Au cas où la réponse à la première question est affirmative, l’article 17, paragraphe 3, sous a), de la sixième directive doit-il être interprété en ce sens qu’un État membre, qui a exonéré de TVA les livraisons dont question ci-dessus, doit cependant ouvrir un droit à la déduction relativement à ces livraisons dans la mesure où elles ont lieu (notamment sur la base de l’article 28 ter, B, paragraphe 1, initio et premier tiret, de la sixième directive) dans un autre État membre qui les a exclues de l’exonération en application de l’article 28, paragraphe 3, sous a), combiné à l’annexe E, point 2, de la sixième directive?»

21.   Dans le cadre de la procédure devant la Cour, des observations écrites ont été présentées par VDP, par les gouvernements néerlandais et grec, ainsi que par la Commission des Communautés européennes.

IV – Appréciation juridique

A –    Sur le régime applicable

22.   Avant que nous puissions examiner plus en détail les questions préjudicielles posées par le Hoge Raad, il y a lieu de déterminer quelles dispositions relatives aux échanges intracommunautaires sont pertinentes au regard de la présente constellation des faits. En effet, selon le régime applicable, les règles en matière de déduction de la taxe acquittée en amont diffèrent.

1.      Le régime général

23.   Selon le régime général, la livraison intracommunautaire effectuée par un assujetti à un autre assujetti est exonérée de la TVA dans l’État d’origine, en application de l’article 28 quater, A, sous a), de la sixième directive. C’est le destinataire, et non le fournisseur, qui acquitte, dans l’État de destination, la TVA sur son acquisition intracommunautaire, conformément à l’article 28 bis, paragraphe 1, sous a), premier alinéa, de la sixième directive.

24.   Aux termes de l’article 17, paragraphe 3, sous b), de la sixième directive, les États membres accordent à tout assujetti la déduction ou le remboursement de la taxe acquittée en amont également dans la mesure où les biens et les services sont utilisés pour les besoins de ses opérations exonérées conformément à l’article 28 quater, A, c’est-à-dire de la taxe due au titre de prestations que l’assujetti s’est procurées en amont en vue d’une livraison intracommunautaire.

25.   Cette règle peut à première vue surprendre, étant donné que le droit à déduction de la TVA grevant l’acquisition de biens ou de services en amont présuppose que les dépenses effectuées pour acquérir ceux-ci fassent partie des éléments constitutifs du prix des opérations taxées en aval ouvrant droit à déduction (10).

26.   L’article 17, paragraphe 3, sous b), de la sixième directive est cependant en parfaite harmonie avec le système de taxation des échanges entre États membres, comme l’a démontré l’avocat général Ruiz-Jarabo Colomer dans ses conclusions dans l’affaire Eurodental (11). Cette disposition tire les conséquences de ce que le droit de percevoir la taxe est passé à l’État de destination et assure que la valeur ajoutée des prestations en amont est elle aussi soumise à la taxe dans l’État où le bien est consommé, comme le veut le caractère de taxe frappant la consommation privée de la TVA (12).

2.      Le régime de minimis

27.   Pour certaines livraisons intracommunautaires de faible importance viennent s’appliquer des règles particulières que nous regrouperons sous le nom de «régime de minimis». Les conditions d’application de ces règles dérogatoires sont assez compliquées et peuvent être influencées par l’exercice de diverses options.

28.   Pour schématiser, par dérogation aux règles générales en matière de livraisons à distance, le lieu de livraison est fixé comme étant l’endroit où le bien se trouve à l’arrivée de l’expédition ou du transport. De ce fait, la taxe sur la livraison doit être acquittée dans le pays de destination par le fournisseur et non par l’acquéreur, comme le voudrait le régime général des échanges intracommunautaires. Les livraisons de minimis à des assujettis dans un autre État membre sont ainsi largement assimilées à des livraisons transfrontalières par un assujetti à un consommateur final. Ce régime dérogatoire est plus précisément le suivant:

29.   Conformément à l’article 28 bis, paragraphe 1, sous a), deuxième alinéa, lu en liaison avec le paragraphe 1 bis, de la sixième directive, l’acquisition intracommunautaire est exonérée de la taxe lorsque l’acquéreur ne réalise que des livraisons ne lui ouvrant aucun droit à déduction et que le montant global des acquisitions intracommunautaires de cet assujetti au cours d’une année civile ne dépasse pas un seuil à fixer par les États membres. Ce seuil ne peut être inférieur à la contre-valeur de 10 000 écus – 10 000 euros aujourd’hui. En outre, l’assujetti concerné ne doit pas avoir fait usage, au cours de l’année civile en cours ou de l’année civile précédente, de la possibilité prévue à l’article 28 bis, paragraphe 1, sous a), troisième alinéa, de la sixième directive d’opter pour le régime général (taxation de l’acquisition intracommunautaire).

30.   L’article 28 ter, B, paragraphe 1, de la sixième directive déplace dans le pays de destination le lieu de livraison intracommunautaire des biens dont l’acquisition est exonérée de la taxe en vertu de l’article 28 bis, paragraphe 1, sous a), deuxième alinéa. S’agissant de biens non soumis à accise – donc également, par exemple, de prothèses dentaires –, cela n’est cependant le cas que pour autant que les livraisons effectuées dans un État membre au cours de l’année civile en cours ou de l’année civile précédente n’ont pas dépassé un montant de 100 000 écus/euros; les États membres peuvent ramener ce seuil à 35 000 écus/euros (article 28 ter, B, paragraphe 2, de la sixième directive). Là encore, le fournisseur a toutefois la possibilité d’opter pour l’application du régime général.

31.   L’article 28 quater, A, sous a), deuxième alinéa, de la sixième directive vient compléter le régime de minimis. Cette disposition précise que, par dérogation au régime général, la livraison intracommunautaire de biens n’est pas exonérée de la TVA lorsque l’acquisition de biens correspondante n’est pas soumise à la taxe en application de l’article 28 bis, paragraphe 1, sous a), deuxième alinéa.

32.   En ce qui concerne la déduction de la taxe acquittée en amont s’agissant de ces livraisons effectuées par le fournisseur dans le pays de destination, l’article 17, paragraphe 3, sous a), de la sixième directive prévoit qu’il convient de procéder à une comparaison avec le traitement fiscal dont bénéficient de telles opérations effectuées à l’intérieur du pays. Dès lors que la déduction de la taxe acquittée en amont serait possible si les opérations en aval avaient été effectuées à l’intérieur du pays, le droit à déduction existe également en ce qui concerne les prestations en amont des opérations réalisées à l’étranger.

3.      Quel régime est applicable dans l’affaire au principal?

33.   En réponse à une question posée par la Cour, la Commission a estimé qu’il convenait d’appliquer dans l’affaire au principal le régime de minimis.

34.   La demande de décision préjudicielle ne fournit cependant guère d’éclaircissements à cet égard. Le Hoge Raad demande, d’une part, expressément dans sa deuxième question de quelle manière il convient d’interpréter l’article 17, paragraphe 3, sous a), de la sixième directive au regard de livraisons qui, conformément à l’article 28 ter, B, paragraphe 1, premier tiret, de la sixième directive, sont réputées avoir été effectuées dans un autre État membre. C’est là un indice en faveur du régime de minimis.

35.   D’autre part, la juridiction de renvoi fait référence, dans sa motivation, à l’affaire Eurodental et déclare que la question relative à l’interprétation de l’article 17, paragraphe 3, sous b), de la sixième directive qui avait alors été posée est également pertinente aux fins de la présente affaire. Or, cette disposition ne s’applique qu’aux livraisons intracommunautaires relevant du régime général.

36.   La Commission fonde son point de vue surtout sur sa propre analyse des informations de fait fournies par la décision de renvoi.

37.   Il convient de constater à cet égard que le litige portait à l’origine sur un avis de redressement de TVA, pour la période du 1er janvier 1996 au 31 décembre 1998, d’un montant de 117 530 NLG (ce qui correspond à environ 53 000 euros). En nous basant sur un taux moyen de la TVA dans les pays de destination de 19 %, nous pouvons estimer la valeur des livraisons intracommunautaires concernées à environ 279 000 euros.

38.   Il ne ressort toutefois pas de l’exposé des faits comment les livraisons se répartissaient sur les différentes années fiscales et entre les différents pays de destination. Nous ne savons pas davantage si certains parmi ces pays, et si oui, lesquels, ont fait usage de la possibilité d’abaisser le seuil d’application de l’article 28 bis, B, de la sixième directive à 35 000 écus/euros. Nous ignorons enfin quel était le volume des livraisons effectuées au cours de l’année civile précédente et si VDP n’avait pas opté pour l’application du régime général.

39.   Il ne ressort pas non plus sans équivoque des informations fournies dans la demande de décision préjudicielle si les clients de VDP ont uniquement fourni des prestations n’ouvrant pas droit à déduction de la taxe acquittée en amont ou n’ont pas fait usage de la possibilité de payer la taxe au titre de ces acquisitions intracommunautaires. En tout cas, parmi les dentistes s’approvisionnant auprès de VDP, devraient avoir le droit de déduire la taxe acquittée en amont ceux qui étaient établis dans des États membres ayant fait usage de la disposition transitoire de l’article 28, paragraphe 1, sous a), en liaison avec l’annexe E, de la sixième directive.

40.   Il appartient dès lors au juge national de déterminer lequel des deux régimes est applicable dans la présente affaire. Étant donné que les règles relatives à la déduction de la taxe acquittée en amont diffèrent sous les deux régimes, nous examinerons ci-après pour les deux variantes ce qui ressort de la rencontre des dispositions régissant les échanges intracommunautaires avec l’exonération de la fourniture de prothèses dentaires effectuée à l’intérieur du pays.

B –    Sur le rapport entre les dispositions régissant les échanges intracommunautaires et l’exonération de la fourniture de prothèses dentaires effectuée à l’intérieur du pays

1.      Première hypothèse: application du régime général des livraisons intracommunautaires

41.   En application de l’article 28 quater, A, sous a), de la sixième directive, les livraisons intracommunautaires sont exonérées de la TVA. L’article 17, paragraphe 3, sous b), ouvre cependant néanmoins un droit à déduction de la taxe acquittée en amont pour des livraisons intracommunautaires sans opérer la moindre distinction en fonction de l’objet de la livraison.

42.   En cas de primauté de ces règles, la première question préjudicielle pourrait rester sans réponse, puisque la qualification de la livraison au regard du critère de l’article 13, A, paragraphe 1, sous e), de la sixième directive serait sans incidence. Le seul élément déterminant serait qu’il est effectué une livraison intracommunautaire qui ouvre droit à la déduction de la taxe acquittée en amont en application de l’article 17, paragraphe 3, sous b).

43.   Cette approche soulève cependant un problème, dans la mesure où des livraisons à l’intérieur du pays seraient éventuellement désavantagées vis-à-vis des livraisons intracommunautaires, ce qui peut entraîner une distorsion de la concurrence.

44.   En effet, si, dans le pays de destination, une livraison à l’intérieur du pays est exonérée de la taxe en application de l’article 13, alors l’acquisition intracommunautaire est elle aussi exonérée en vertu de l’article 28 quater, B, sous a), de la sixième directive. Par conséquent, un assujetti peut effectuer des livraisons à ses clients dans cet autre État membre sans que ceux-ci n’aient à payer de TVA, sous quelque forme que ce soit. Le fournisseur serait néanmoins en mesure de déduire la taxe acquittée en amont, du fait qu’il a effectué une livraison intracommunautaire.

45.   Un assujetti établi dans le pays de destination peut certes lui aussi effectuer des livraisons exonérées en application de l’article 13. En revanche, conformément à l’article 17, paragraphe 2, de la sixième directive, il ne pourrait se prévaloir d’un droit à déduction de la taxe acquittée en amont.

46.   D’après nous, il conviendrait de résoudre ce problème en accordant la déduction de la taxe acquittée en amont pour des livraisons intracommunautaires uniquement dans le cas où la livraison en aval est effectivement taxée dans le pays de destination.

47.   Dans ses conclusions dans l’affaire Eurodental, l’avocat général Ruiz-Jarabo Colomer a cependant proposé une autre voie. Selon lui, la déduction de la taxe acquittée en amont est exclue pour une livraison intracommunautaire lorsque l’opération concernée n’est, conformément à l’article 13, pas soumise à la TVA en raison de sa «nature» (13). Dans la présente affaire, les gouvernements qui ont présenté des observations et la Commission sont également d’avis que l’exonération en vertu de l’article 13 a rang de priorité sur l’exonération des livraisons intracommunautaires.

48.   Cette approche ne trouve aucun fondement clair dans le texte des dispositions applicables. Au contraire, la réserve expresse énoncée dans la phrase introductive de cette disposition – «[s]ans préjudice d’autres dispositions communautaires, les États membres exonèrent […]» – plaide contre une application prioritaire de l’exonération édictée par l’article 13, A. Il est par ailleurs douteux que la fourniture de prothèses dentaires soit exonérée en raison de sa nature, alors que l’article 28, paragraphe 3, sous a), lu en liaison avec l’annexe E, de la sixième directive, autorise la taxation de ce type de prestations.

49.   L’avocat général Ruiz-Jarabo Colomer avance deux autres arguments à l’appui de son approche. En premier lieu, il invoque – tout comme la Commission dans le cadre de la présente affaire – l’article 17, paragraphe 3, sous c), de la sixième directive. Cette disposition confère le droit de déduire la taxe acquittée en amont en ce qui concerne certaines prestations, exonérées en application de l’article 13, B, lorsque l’opération franchit les frontières de la Communauté. D’après l’avocat général et la Commission, cette disposition serait superflue si, dès lors que les prestations en bénéficiant prennent une dimension internationale, ces exonérations pourraient être directement basées sur l’article 17, paragraphe 3, sous b).

50.   Cet argument ne nous convainc pas. Les exonérations de l’article 13, B, sous a) et d), points 1 à 5, de la sixième directive visées à l’article 17, paragraphe 3, sous c), concernent des services d’assurance et financiers liés à la livraison de biens dans des États tiers. En revanche, l’article 17, paragraphe 3, sous b), de la sixième directive couvre la livraison elle-même de biens dans d’autres États membres ou dans des États tiers. Par conséquent, les dispositions sous b) et c) concernent des prestations fondamentalement différentes, de sorte qu’aucune d’entre elles ne saurait rendre l’autre superflue.

51.   En second lieu, l’avocat général Ruiz-Jarabo Colomer reprend un argument de la Commission et déclare que l’exonération entraînerait des distorsions de la concurrence dans l’État du siège de l’entreprise si celle-ci pouvait déduire la taxe acquittée en amont relative à la fourniture intracommunautaire de prothèses dentaires, tandis que d’autres entreprises, effectuant dans ce même État de telles fournitures à l’intérieur du pays, n’auraient pas cette possibilité.

52.   Sur ce point non plus, nous ne partageons pas le point de vue de notre collègue. Lorsqu’une entreprise effectue des livraisons transfrontalières dans un autre État membre, elle n’est pas en concurrence avec des entreprises qui opèrent sur le marché de son pays. Au contraire, c’est entre la livraison intracommunautaire et les livraisons à l’intérieur de l’État de destination qu’il existe un rapport de concurrence. Pour éviter des distorsions de la concurrence, il faut donc assurer que ces livraisons dans l’État de destination soient soumises à un même traitement fiscal.

53.   La solution proposée par l’avocat général Ruiz-Jarabo Colomer ne rend pas compte de cet aspect. Dans certaines constellations déterminées, telles celles se présentant dans l’affaire Eurodental et, éventuellement, dans l’affaire VDP, il en résulterait tant une violation du principe de neutralité de la TVA que des entraves aux échanges intracommunautaires.

54.   L’affaire Eurodental portait sur le point de savoir si une entreprise établie au Luxembourg pouvait déduire la taxe acquittée en amont dans le cadre de la fourniture de prothèses dentaires en Allemagne. Tandis que le Grand-Duché de Luxembourg, conformément à l’article 13, A, paragraphe 1, sous e), de la sixième directive, exonère la fourniture de prothèses dentaires par des mécaniciens-dentistes de la TVA, la République fédérale d’Allemagne continue à soumettre cette fourniture à la taxe en application de la disposition transitoire de l’article 28, paragraphe 3, sous a), en liaison avec l’annexe E, de la sixième directive.

55.   Si l’on faisait prévaloir le critère de l’exonération de la fourniture de prothèses dentaires dans l’État d’origine en vertu de l’article 13, une entreprise comme Eurodental se verrait refuser la déduction de la taxe acquittée en amont, alors même que sa livraison est effectivement soumise à la taxe dans l’État de destination. La conséquence en serait que la livraison intracommunautaire se trouverait grevée, outre de la TVA proportionnelle au prix final, également de la TVA résiduelle sur les prestations en amont.

56.   Cela est contraire au principe de neutralité de la TVA, qui est à l’origine des règles relatives à la déduction de la taxe acquittée en amont. Le droit à déduction fait partie intégrante du mécanisme de TVA et ne peut en principe être limité (14). La déduction vise à soulager entièrement l’entrepreneur du poids de la TVA due ou acquittée dans le cadre de toutes ses activités économiques. Le système commun de TVA garantit ainsi la parfaite neutralité quant à la charge fiscale de toutes les activités économiques, quels que soient les buts ou les résultats de celles-ci, à condition que lesdites activités soient, en principe, elles-mêmes soumises à la TVA (15).

57.   Selon la description figurant à l’article 2 de la première directive, le système commun de TVA veut que le consommateur final paie une taxe exactement proportionnelle à la valeur de la prestation, sans que les prestations intervenues au cours des différents stades en amont ne soient taxées plusieurs fois. Or, à suivre l’approche proposée par l’avocat général Ruiz-Jarabo Colomer, les prestations en amont seraient taxées deux fois, de telle sorte que la charge fiscale totale ne serait plus proportionnelle au prix payé par le consommateur final (16).

58.   La Cour considère par ailleurs que l’une des expressions du principe de neutralité est que des marchandises ou des prestations de services semblables, qui se trouvent donc en concurrence les unes avec les autres, ne sauraient être traitées de manière différente du point de vue de la TVA (17). À y regarder de plus près, le principe de neutralité ainsi entendu n’est rien d’autre qu’une expression particulière du principe général d’égalité (18). Ce principe se trouverait lui aussi violé si un mécanicien-dentiste établi dans le pays de destination pouvait déduire la TVA acquittée au titre des prestations en amont, alors que la déduction était refusée à un mécanicien-dentiste exportant des livraisons intracommunautaires vers ce pays de destination à partir d’un autre État membre.

59.   Cette différence de traitement fiscal des livraisons à l’intérieur du pays et des livraisons intracommunautaires, en concurrence avec elles, entrave en outre la libre circulation des marchandises, garantie par l’article 28 CE. La double taxation des prestations en amont rend en effet l’importation de prothèses dentaires d’autres États membres plus onéreuse. L’entrave est alors le fait de l’État d’origine de la livraison intracommunautaire, qui n’accorde pas la déduction de la taxe acquittée en amont, alors que la prestation en aval est effectivement soumise à la taxe dans l’État de destination.

60.   L’avocat général Ruiz-Jarabo Colomer estime en revanche, tout comme la Commission, que ce problème provient uniquement du fait que l’État de destination a opté pour une dérogation. L’harmonisation à cet égard incomplète ne saurait avoir pour résultat qu’une décision unilatérale de l’État de destination – dans l’affaire Eurodental, de la République fédérale d’Allemagne – transfère la charge financière au trésor public de l’État d’origine – du Grand-Duché de Luxembourg.

61.   Il est certes souhaitable que le système de la TVA soit autant que possible harmonisé et que des dérogations dépassées soient éliminées. Toutefois, tant que ces dérogations continuent d’exister légalement, il faut minimiser dans la mesure du possible les conséquences négatives en résultant pour le marché intérieur et surtout pour les assujettis, même si cela implique dans le cas concret une réduction des recettes fiscales d’un État membre.

62.   Les difficultés décrites à propos de l’affaire Eurodental peuvent se poser de la même manière en l’espèce, pour peu que la fourniture de prothèses dentaires par un intermédiaire soit en principe une prestation exonérée conformément à l’article 13, A, paragraphe 1, sous e), de la sixième directive, mais qu’elle continue à être taxée dans les pays de destination des livraisons intracommunautaires concrètement effectuées par VDP en application de l’article 28, paragraphe 3, sous a), en liaison avec l’annexe E, de la sixième directive.

63.   Les atteintes au principe de neutralité et l’entrave à la libre circulation des marchandises que nous venons de décrire pourront être évitées dans ce type de constellation si l’État d’origine d’une livraison intracommunautaire qui est effectivement soumise à la taxe dans l’État de destination autorise la déduction de la taxe acquittée au titre des prestations en amont à cette livraison ou la rembourse.

64.   C’est cette solution qu’impose, d’une part, le texte, clair, de l’article 17, paragraphe 3, sous b), de la sixième directive. D’autre part, il est conforme à la logique inhérente au système de la livraison intracommunautaire et au caractère de taxe sur la consommation de la TVA que la taxe soit seulement perçue dans l’État de consommation. L’État d’origine n’a en revanche en général aucun droit sur la TVA payée par les consommateurs finals dans un autre État membre au titre de ces prestations.

65.   VDP soulève par ailleurs le problème suivant: du fait que le Royaume des Pays-Bas étend à tort – selon VDP – l’exonération applicable à l’intérieur du pays à la fourniture de prothèses dentaires par des intermédiaires et refuse pour cette raison la déduction de la taxe acquittée en amont pour ces livraisons, VDP se trouverait désavantagée vis-à-vis d’intermédiaires qui effectuent des livraisons vers les Pays-Bas à partir d’autres États membres. Les États d’établissement de ces concurrents de VDP accordent en effet la déduction, car ils considèrent que les livraisons effectuées par des intermédiaires ne relèvent pas du champ d’application de l’exonération.

66.   Il convient de constater à cet égard que la légalité du traitement fiscal dont bénéficient les concurrents de VDP dans leurs États d’établissement n’est pas objet de la présente procédure. Ne le sont pas davantage l’exonération des livraisons effectuées par VDP à l’intérieur du pays et le refus de la déduction pour ces livraisons. L’unique point litigieux est bien plutôt de savoir si VDP a le droit de déduire la taxe acquittée en amont dans le cadre de livraisons intracommunautaires. L’élément décisif à cet égard est de savoir si l’acquisition intracommunautaire correspondant aux livraisons intracommunautaires est soumise à la taxe dans les États de destination.

67.   Nous ajouterons, enfin, que la solution que nous préconisons est parfaitement en harmonie avec l’arrêt Debouche (19). La situation à l’origine de cette affaire était la suivante: M. Debouche, avocat établi en Belgique, a pris en location, auprès d’une société de leasing établie aux Pays-Bas, une voiture qu’il utilisait exclusivement en Belgique pour ses activités professionnelles. En Belgique, les prestations de services effectuées par les avocats étaient exonérées de la TVA en application de l’article 28, paragraphe 3, sous b), en liaison avec l’annexe F, point 2, de la sixième directive, alors que, aux Pays-Bas, elles étaient soumises à la taxe.

68.   La Cour a jugé que, dans ce type de situation, il n’existait pas de droit à obtenir le remboursement, en tant que taxe acquittée en amont, de la TVA payée au titre de la location de la voiture. Les prestations de services de l’avocat n’étant pas soumises à la TVA dans l’État dans lequel elles sont fournies – dans ladite affaire, en Belgique –, la taxe payée au titre des prestations en amont que l’avocat s’est procurées dans un autre État membre ne peut être déduite. Cela même dans le cas où les prestations en aval seraient soumises à la taxe dans l’État dans lequel les prestations en amont ont été achetées.

69.   Cet arrêt montre clairement que la déduction de la taxe acquittée en amont dépend par principe du traitement fiscal auquel la prestation en aval est effectivement soumise dans l’État dans lequel elle est mise sur le marché. Dès lors qu’elle y est exonérée – ne serait-ce qu’en vertu d’une disposition transitoire –, la déduction de la taxe acquittée en amont doit être refusée.

70.   En revanche, si l’exonération prévue à l’article 13, A, paragraphe 1, sous e), de la sixième directive ne s’appliquait pas à la fourniture de prothèses dentaires par des intermédiaires, il ne surviendrait dans la présente affaire, à la différence de l’affaire Eurodental, pas de conflit entre l’exonération en vertu de l’article 13 sans déduction de la taxe acquittée en amont et l’exonération avec déduction de la taxe acquittée en amont dont bénéficient les livraisons intracommunautaires. Dès lors que ces exigences ont été correctement transposées dans les pays de destination concernés, la déduction de la taxe acquittée en amont pourrait sans autre difficulté être accordée dans l’État d’origine en application de l’article 17, paragraphe 3, sous b), de la sixième directive pour les prestations en amont aux livraisons intracommunautaires.

2.      Deuxième hypothèse: application du régime de minimis des livraisons intracommunautaires

71.   En ce qui concerne les livraisons intracommunautaires qui relèvent du régime de minimis, le droit à déduction en vertu de l’article 17, paragraphe 3, sous a), de la sixième directive dépend du point de savoir si la taxe acquittée en amont aurait pu être déduite pour ces opérations dans le cas où elles auraient été réalisées à l’intérieur du pays.

72.   La disposition sous a) énonce ainsi expressément une dérogation à la disposition sous b) – ainsi que nous la comprenons – pour ce groupe de livraisons intracommunautaires. Au lieu de prendre en considération le traitement fiscal dans l’État de destination, comme, eu égard aux considérations tenant à l’économie du système exposées ci-dessus et s’agissant de livraisons intracommunautaires, il serait en principe approprié, la disposition sous a) choisit comme critère le régime applicable à l’intérieur du pays.

73.   Cette différence avec la disposition sous b) est cependant justifiée du fait du caractère de minimis des livraisons concernées. S’agissant de livraisons sporadiques de faible valeur, il en résulterait une charge de travail administratif disproportionnée s’il fallait déterminer s’il s’agit d’une livraison soumise à la taxe dans l’État de destination, ouvrant droit à la déduction.

74.   Il est certes vrai qu’il existe, là encore, un risque d’atteintes au principe de neutralité fiscale et d’entraves de la libre circulation des marchandises dans le cas où des prothèses dentaires sont livrées dans des États membres qui continuent de taxer de telles livraisons en application de l’article 28, paragraphe 3, sous a), en liaison avec l’annexe E, point 2, de la sixième directive. Le législateur a cependant accepté ce risque, ainsi qu’il ressort du texte clair de l’article 17, paragraphe 3, sous a), de la sixième directive, afin de ne pas, au final, alourdir excessivement le traitement fiscal de livraisons de minimis et causer ainsi des obstacles aux échanges intracommunautaires dans un encore plus grand nombre de cas.

75.   Au regard de la présente affaire, il se pose toutefois la question de savoir comment procéder dans des cas relevant de l’article 17, paragraphe 3, sous a), si l’État d’établissement du fournisseur n’a pas correctement transposé la sixième directive et exonère des opérations que la sixième directive soumet en principe à la taxe. Nous reviendrons sur cette question (20), après avoir examiné plus en détail l’interprétation de l’article 13, A, paragraphe 1, sous e), de la sixième directive.

C –    Sur la première question préjudicielle

76.   En posant cette question, la juridiction de renvoi souhaite savoir si la fourniture de prothèses dentaires par un assujetti qui n’est pas lui-même dentiste ou mécanicien-dentiste relève elle aussi de l’article 13, A, paragraphe 1, sous e), de la sixième directive.

77.   Selon les termes mêmes de l’article 13, A, paragraphe 1, sous e), de la sixième directive, est seule exonérée la fourniture de prothèses dentaires effectuée par les dentistes et les mécaniciens-dentistes. Les exonérations édictées par l’article 13 étant des exceptions au principe, selon lequel toute livraison ou prestation de services est soumise à la TVA, elles sont d’interprétation stricte (21). De ce seul fait, il n’y a aucune raison d’étendre le champ d’application de cette disposition au-delà de son texte.

78.   Une interprétation littérale est en outre conforme à la logique d’ensemble de cette disposition. À la différence d’autres exonérations, en particulier de celles prévues par l’article 13, B, le champ d’application des exonérations édictées à l’article 13, A, est le plus souvent défini par des conditions relatives non seulement à l’objet de la prestation concernée, mais également à la personne du fournisseur.

79.   Comme la Cour l’a jugé tout récemment dans son arrêt Solleveld et van den Hout-van Eijnsbergen (22) à propos de l’article 13, A, paragraphe 1, sous c), de la sixième directive, les conditions relatives à la personne du fournisseur visent à assurer que l’exonération s’applique uniquement aux prestations de soins à la personne qui sont fournies par des prestataires possédant les qualifications professionnelles requises.

80.   L’exonération des prestations médicales a en effet pour but d’assurer, dans l’intérêt général, que ces prestations restent accessibles au grand public et ne soient pas rendues plus onéreuses du fait de la TVA (23). L’intérêt général porte toutefois uniquement sur l’exonération des prestations médicales effectuées par un personnel qualifié (24). Cela est le cas non seulement des prestations de soins au sens de la disposition sous c), mais également de la fourniture de prothèses dentaires visée à la disposition sous e).

81.   Dans le présent contexte, nous pouvons laisser ouverte la question de savoir si cette dernière exonération joue uniquement si le mécanicien-dentiste qui fournit la prothèse dentaire l’a lui-même fabriquée. Même s’il fournit une prothèse dentaire fabriquée par un tiers, sa qualification lui permet toujours d’apprécier si le produit présente la qualité requise. En outre, il peut conseiller le dentiste lorsque celui-ci passe commande de la prothèse dentaire et – si nécessaire – effectuer des travaux complémentaires sur la prothèse dentaire, recevoir des réclamations et y donner suite.

82.   Il en va tout particulièrement ainsi lorsque la prothèse dentaire en question a été fabriquée par des mécaniciens-dentistes dans des États tiers, dont il est difficile de déterminer quelles sont leurs exigences en matière de qualification professionnelle. De plus, l’exécution d’éventuels travaux de reprise peut dans ce cas soulever des difficultés particulières.

83.   Il est vrai que l’on ne peut exclure que, dans un cas précis, une personne qui n’est pas mécanicien-dentiste elle-même acquière avec le temps les compétences nécessaires pour exécuter les tâches à effectuer dans le cadre de la fourniture. Il n’est pas non plus dans notre intention d’affirmer que des prothèses dentaires fabriquées dans un État tiers et distribuées dans la Communauté par un intermédiaire ne satisfont par principe pas aux exigences de qualité en vigueur dans la Communauté. Toutefois, pour assurer de manière générale que l’exonération s’applique uniquement à des livraisons qui présentent la qualité requise, il est justifié de la limiter aux seules fournitures effectuées par des mécaniciens-dentistes (ou dentistes) qualifiés.

84.   Le principe de neutralité fiscale ne fait pas obstacle à cette interprétation de l’article 13, A, paragraphe 1, sous e), de la sixième directive. Selon la jurisprudence, ce principe s’oppose notamment à ce que des marchandises ou des prestations de services semblables, qui se trouvent donc en concurrence les unes avec les autres, soient traitées de manière différente du point de vue de la TVA (25).

85.   L’exonération repose sur l’appréciation du législateur, qui échappe à toute critique, que seuls les mécaniciens-dentistes et les dentistes possèdent la qualification professionnelle nécessaire garantissant que les prothèses dentaires qu’ils fournissent sont de la qualité requise. La prestation d’un intermédiaire qui ne possède pas cette qualification professionnelle n’est donc pas considérée comme équivalente; par conséquent, le principe de neutralité fiscale n’impose pas de la traiter de la même manière.

86.   Il convient donc de répondre à la première question préjudicielle que seules relèvent de l’exonération édictée par l’article 13, A, paragraphe 1, sous e), de la sixième directive les fournitures effectuées par des mécaniciens-dentistes ou des dentistes.

D –    Sur la deuxième question préjudicielle

87.   Le Hoge Raad pose la deuxième question uniquement pour le cas où la première question recevrait une réponse affirmative, que la fourniture de prothèses dentaires par des intermédiaires relèverait donc, elle aussi, du champ d’application de l’exonération.

88.   Cette question repose sur l’analyse que le droit à déduction dans le cadre de livraisons intracommunautaires dépend du traitement dont bénéficient les opérations en aval de même type dans l’État d’origine de la livraison. C’est ce qui semble découler de l’article 17, paragraphe 3, sous a), de la sixième directive, que la juridiction de renvoi demande à la Cour dans le cadre de cette question d’interpréter. Si toutefois le régime général était applicable, l’interprétation de l’article 17, paragraphe 3 – cependant sous b) –, serait effectivement la première question à résoudre.

89.   Étant donné l’incertitude quant au régime effectivement applicable décrite plus haut, nous proposerons de nouveau une réponse pour chacune des deux hypothèses, même si la juridiction de renvoi n’a pas demandé à la Cour d’interpréter l’article 17, paragraphe 3, sous b). En vue de fournir à la juridiction de renvoi une réponse utile, la Cour peut en effet être amenée à prendre en considération des normes de droit communautaire auxquelles le juge national n’a pas fait référence dans l’énoncé de sa question (26).

1.      Première hypothèse: application du régime général des livraisons intracommunautaires

90.   Comme nous l’avons exposé ci-dessus (27), l’article 17, paragraphe 3, sous b), de la sixième directive confère le droit de déduire la taxe acquittée en amont dans le cadre de livraisons intracommunautaires qui sont exonérées de la TVA en application de l’article 28 quater, A. Le droit à déduction existe donc sans soulever la moindre difficulté lorsque la fourniture de la prothèse dentaire est considérée dans le pays de destination, conformément à la sixième directive, comme une livraison soumise à la taxe pour ne pas être effectuée par un mécanicien-dentiste ou un dentiste.

91.   La taxe acquittée en amont peut toutefois également être déduite au titre d’une fourniture de prothèses dentaires qui serait en principe exonérée de la TVA en vertu de l’article 13, A, paragraphe 1, sous e), de la sixième directive, mais continue à être soumise à la taxe dans l’État de destination en application de l’article 28, paragraphe 3, sous a), en liaison avec l’annexe E, point 2, de la sixième directive.

2.      Deuxième hypothèse: application du régime de minimis des livraisons intracommunautaires

92.   Selon l’article 17, paragraphe 3, sous a), de la sixième directive, la taxe acquittée en amont au titre de prestations achetées à l’intérieur du pays peut être déduite lorsque lesdites prestations sont utilisées pour des opérations relevant des activités économiques visées à l’article 4, paragraphe 2, effectuées à l’étranger, qui ouvriraient droit à déduction si ces opérations étaient effectuées à l’intérieur du pays.

93.   Par conséquent, tout droit à déduction de la taxe acquittée en amont est exclu dans le cadre de la fourniture de prothèses dentaires dans un autre État membre à laquelle l’article 28 ter, B, en liaison avec l’article 28 bis, paragraphe 1, sous a), deuxième alinéa, de la sixième directive trouve à s’appliquer, si la livraison dans l’État d’établissement du fournisseur est exonérée de la TVA en vertu de l’article 13, A, paragraphe 1, sous e), de la sixième directive.

94.   Il se pose toutefois la question de savoir quelles en sont les conséquences au regard de la déduction de la taxe acquittée en amont, si l’État d’établissement du fournisseur n’a pas correctement transposé l’article 13, A, paragraphe 1, sous e), de la sixième directive et étend l’exonération à des opérations ne relevant pas de ladite directive. Cela est le cas des dispositions néerlandaises depuis qu’elles exonèrent de la taxe également la fourniture de prothèses dentaires effectuée par des intermédiaires ne possédant pas la qualification de mécanicien-dentiste ou de dentiste.

95.   S’il n’est pas possible d’interpréter le droit national d’une manière conforme à l’article 13, A, paragraphe 1, sous e), de la sixième directive, alors le particulier peut directement invoquer ladite directive en vue d’obtenir le droit de déduire la taxe acquittée en amont. Tant l’article 13, A, paragraphe 1, sous e), que l’article 17, paragraphes 1 et 2, de la sixième directive sont suffisamment précis pour cela (28). On ne saurait cependant invoquer la directive «de manière asymétrique», c’est-à-dire que, par principe, l’assujetti ne peut s’appuyer sur la directive pour prétendre à la déduction de la taxe acquittée en amont sans payer la taxe au titre des opérations en aval.

96.   Il est en effet un principe central du système de la TVA que le droit à déduction de la TVA grevant l’acquisition de biens ou de services en amont présuppose que les dépenses effectuées pour acquérir ceux-ci fassent partie des éléments constitutifs du prix des opérations taxées en aval ouvrant droit à déduction (29). En revanche, lorsqu’un assujetti fournit des services à un autre assujetti qui les utilise pour effectuer une opération exonérée, celui-ci n’a – excepté dans les cas prévus expressément par les directives en la matière – pas le droit de déduire la TVA acquittée en amont (30).

97.   S’agissant de livraisons effectuées à l’intérieur du pays qui, à la suite d’une transposition incorrecte de la sixième directive, sont exonérées de la taxe, il irait à l’encontre de ce principe si la taxe acquittée en amont pouvait néanmoins être déduite dans le cadre de ces livraisons. Pour pouvoir, s’appuyant sur ladite directive, prétendre à la déduction de la taxe acquittée en amont, l’assujetti doit par conséquent demander en même temps à être traité comme assujetti (31). Les règles nationales de procédure doivent alors garantir que le particulier puisse mettre en œuvre les droits que lui confère la directive. Il ne serait en revanche pas une solution acceptable que l’interprétation de la directive confère à l’assujetti un avantage qui serait contraire aux principes mêmes de la directive.

98.   En ce qui concerne les livraisons intracommunautaires soumises au régime de minimis, qui nous intéressent en l’espèce, la situation est cependant tout autre. Ces livraisons ne sont dans les faits nullement soumises à la taxe au siège du fournisseur, étant donné qu’elles sont réputées effectuées dans le pays de destination. Ce n’est que fictivement, pour des raisons de simplification administrative, que l’article 17, paragraphe 3, sous a), de la sixième directive fait dépendre la déduction de la taxe acquittée en amont du traitement d’opérations de même type effectuées à l’intérieur du pays.

99.   Si l’on part du principe que les États membres ont correctement transposé l’article 13, A, paragraphe 1, sous e), de la sixième directive, alors les livraisons correspondantes devront en règle générale être traitées dans les pays de destination comme livraisons soumises à la taxe, de telle sorte que, conformément aux principes exposés ci-dessus, la déduction de la taxe acquittée en amont sera en principe justifiée. Il ne s’agit alors en aucune manière d’une situation où la directive serait invoquée de manière asymétrique.

100. De ce fait, il ne faudrait pas, aux fins de l’application de l’article 17, paragraphe 3, sous a), de la sixième directive, tenir fictivement compte du traitement que des dispositions nationales non conformes à la directive prévoient pour des opérations de même type. Il convient bien plutôt de se demander quelle serait la situation d’opérations de même type au regard du droit fiscal si ladite directive avait été correctement transposée en droit national.

101. Cette solution permet d’éviter, dans la très grande majorité des cas, une violation du principe de neutralité fiscale. En effet, ce principe se trouverait enfreint si la déduction de la taxe acquittée en amont était refusée au siège du fournisseur, bien que, dans les pays de destination, la fourniture de prothèses dentaires par un intermédiaire ne soit, conformément aux principes posés par la sixième directive, pas traitée comme une livraison exonérée. Sans déduction de la taxe acquittée en amont, les prestations en amont se trouveraient en effet doublement taxées, ce qui entraverait les échanges transfrontaliers.

102. Il est certes vrai que des livraisons à l’intérieur du pays et des livraisons effectuées dans un autre État membre sont ainsi soumises à un traitement différent en ce qui concerne la déduction de la taxe acquittée en amont. Or, étant donné que les livraisons sont effectivement taxées dans le pays de destination – à supposer que la directive ait été correctement transposée –, alors que ces mêmes livraisons effectuées à l’intérieur du pays sont exonérées de la taxe en violation de la directive, la situation des livraisons à l’intérieur du pays et celle des livraisons à l’étranger ne sont effectivement pas les mêmes.

V –    Conclusion

103. Eu égard aux considérations qui précèdent, nous proposons à la Cour d’apporter les réponses ci-après aux questions préjudicielles posées par le Hoge Raad der Nederlanden:

«1)      Il convient d’interpréter l’article 13, A, paragraphe 1, sous e), de la sixième directive 77/388/CEE du Conseil, du 17 mai 1977, en matière d’harmonisation des législations des États membres relatives aux taxes sur le chiffre d’affaires – Système commun de taxe sur la valeur ajoutée: assiette uniforme en ce sens que la fourniture de prothèses dentaires par un intermédiaire qui ne possède pas lui-même la qualification de mécanicien-dentiste ou de dentiste ne fait pas partie des livraisons exonérées en vertu de cette disposition.

2)      Conformément à l’article 17, paragraphe 3, sous b), de la sixième directive, un assujetti a un droit à déduction ou à remboursement de la taxe acquittée en amont dans le cadre de la fourniture intracommunautaire de prothèses dentaires, exonérée de la taxe en vertu de l’article 28 quater, A, sous a), premier alinéa, de la sixième directive, dès lors que l’acquisition intracommunautaire correspondante est assujettie à la taxe dans l’État de destination du fait que cet État continue de soumettre de telles opérations à la TVA en application de l’article 28, paragraphe 3, sous a), en liaison avec l’annexe E, point 2, de la sixième directive.

Conformément à l’article 17, paragraphe 3, sous a), de la sixième directive, un assujetti a un droit à déduction ou à remboursement de la taxe acquittée en amont dans le cadre des livraisons qui sont effectuées, selon l’article 28 ter, B, en liaison avec l’article 28 bis, paragraphe 1, sous a), deuxième alinéa, de la sixième directive, dans un autre État membre, pour autant que ces opérations ouvriraient droit à déduction de la taxe acquittée en amont si elles avaient été effectuées à l’intérieur du pays. Le droit à déduction de la taxe acquittée en amont existe dans ce type de cas également dans l’hypothèse où la livraison à l’intérieur du pays serait, en violation de la sixième directive, traitée comme une opération exonérée.»


1 – Langue originale: l’allemand.


2 – JO L 145, p. 1.


3 – Sur ce point, voir conclusions de l’avocat général Ruiz-Jarabo Colomer du 22 juin 2006.


4 – Première directive 67/227/CEE du Conseil, du 11 avril 1967, en matière d'harmonisation des législations des États membres relatives aux taxes sur le chiffre d'affaires (JO 1967, 71, p. 1301).


5 –      Selon cette dernière disposition, la période transitoire dure jusqu’à l’abrogation des règles édictées par l’article 28, abrogation qui n’est pas intervenue en ce qui concerne les opérations en cause en l’espèce.


6 – Directive complétant le système commun de la taxe sur la valeur ajoutée et modifiant, en vue de l’abolition des frontières fiscales, la directive 77/388 (JO L 376, p. 1).


7 – Tel que modifié par la directive 92/111/CEE du Conseil, du 14 décembre 1992, modifiant la directive 77/388 et portant mesures de simplification en matière de taxe sur la valeur ajoutée ( JO L 384, p. 47).


8 – Ce point est désormais réglementé plus en détail par l’article 22 du règlement (CE) n° 1777/2005 du Conseil, du 17 octobre 2005, portant mesures d’exécution de la directive 77/388 (JO L 288, p. 1), lequel, rationae temporis, n’est pas d’application dans la présente affaire.


9 – Tel que modifié par la directive 92/111 (respectivement, en ce qui concerne la version française, par la directive 95/7/CE du Conseil, du 10 avril 1995, modifiant la directive 77/388 et portant nouvelles mesures de simplification en matière de taxe sur la valeur ajoutée – champ d'application de certaines exonérations et modalités pratiques de leur mise en œuvre, JO L 102, p. 18).


10 – Arrêt du 26 mai 2005, Kretztechnik (C-465/03, Rec. p. I-4357, point 35), lequel renvoie aux arrêts du 8 juin 2000, Midland Bank (C-98/98, Rec. p. I-4177, point 30); du 22 février 2001, Abbey National (C-408/98, Rec. p. I-1361, point 28), et du 27 septembre 2001, Cibo Participations (C-16/00, Rec. p. I-6663, point 31).


11 – Précitées à la note 3, point 34. Pour plus de détails concernant le système de la livraison et de l’acquisition intracommunautaires, voir également nos conclusions dans l’affaire EMAG Handel Eder (arrêt du 6 avril 2006, C-245/04, Rec. p. I-3227), points 19 à 25.


12 – Sur ce point, voir conclusions dans l’affaire Eurodental (précitées à la note 3, point 27), ainsi qu’article 2 de la première directive, reproduit au point 4 ci-dessus.


13 – Conclusions précitées à la note 3, point 35.


14 – Voir, en particulier, arrêts du 6 juillet 1995, BP Soupergaz (C-62/93, Rec. p. I-1883, point 18); du 21 mars 2000, Gabalfrisa e.a. (C-110/98 à C-147/98, Rec. p. I-1577, point 43), et Kretztechnik (précité à la note 10, point 33).


15 – Arrêt Kretztechnik (précité à la note 10, point 33), lequel renvoie aux arrêts du 14 février 1985, Rompelman (268/83, Rec. p. 655, point 19); du 15 janvier 1998, Ghent Coal Terminal (C-37/95, Rec. p. I-1, point 15); Gabalfrisa e.a. (précité à la note 14, point 44); Midland Bank (précité à la note 10, point 19) et Abbey National (précité à la note 10, point 24).


16 – Voir note 16 des conclusions dans l’affaire Eurodental (précitées à la note 3).


17 – Arrêts du 7 septembre 1999, Gregg (C-216/97, Rec. p. I-4947, point 20); du 17 février 2005, Linneweber et Akritidis (C-453/02 et C-462/02, Rec. p. I-1131, point 24), et du 12 janvier 2006, Turn- und Sportunion Waldburg (C-246/04, Rec. p. I-589, point 33).


18 – Arrêt du 27 avril 2006, Solleveld et van den Hout-van Eijnsbergen (C-443/04 et C-444/04, Rec. p. I-3617, point 35). Sur ce point, voir également nos conclusions dans ces mêmes affaires, point 40.


19 – Arrêt du 26 septembre 1996 (C-302/93, Rec. p. I-4495).


20 – Voir points 94 et suiv. ci-après.


21 – Arrêts du 10 septembre 2002, Kügler (C-141/00, Rec. p. I-6833, point 28); du 20 novembre 2003, D'Ambrumenil et Dispute Resolution Services (C-307/01, Rec. p. I-13989, point 52), et du 26 mai 2005, Kingscrest Associates et Montecello (C-498/03, Rec. p. I-4427, point 29).


22 – Précité à la note 18, point 37, lequel renvoie à l’arrêt Kügler (précité à la note 21, point 27).


23 – Arrêt D’Ambrumenil et Dispute Resolution Services (précité à la note 21, point 58), lequel renvoie aux arrêts du 11 janvier 2001, Commission/France (C-76/99, Rec. p. I-249, point 23), et Kügler (précité à la note 21, point 29).


24 – Voir conclusions dans l’affaire Solleveld et van den Hout-van Eijnsbergen (précitée à la note 18, point 39).


25 – Voir arrêts cités à la note 17, ainsi qu’arrêts du 23 octobre 2003, Commission/Allemagne (C-109/02, Rec. p. I-12691, point 20); Kingscrest Associates et Montecello (précité à la note 21, point 54), ainsi que Solleveld et van den Hout-van Eijnsbergen (précité à la note 18, point 39).


26 – Voir, en particulier, arrêts du 20 mars 1986, Tissier (35/85, Rec. p. 1207, point 9); du 27 mars 1990, Bagli Pennacchiotti (C-315/88, Rec. p. I-1323, point 10); du 18 novembre 1999, Teckal (C-107/98, Rec. p. I-8121, point 39), et du 7 novembre 2002, Bourrasse et Perchicot (C-228/01 et C-289/01, Rec. p. I-10213, point 33).


27 – Points 41 et suiv.


28 – Voir, sur l’application directe de la sixième directive en général, arrêt du 18 janvier 2001, Stockholm Lindöpark (C-150/99, Rec. p. I-493, point 31); plus spécifiquement sur une exonération en vertu de l’article 13: arrêt du 19 janvier 1982, Becker (8/81, Rec. p. 53, point 49), et sur l’article 17, paragraphes 1 et 2: arrêt BP Soupergaz (précité à la note 14, point 34).


29 – Voir références citées à la note 10.


30 – Arrêts de la Cour du 6 avril 1995, BLP Group (C-4/94, Rec. p. I-983, point 28), et Debouche (précité à la note 19, point 16).


31 – En combinaison avec le droit à déduction de la taxe acquittée en amont, l’assujettissement peut en effet présenter des avantages pour l’assujetti, comme l’expliquait déjà l’avocat général Darmon dans ses conclusions dans l’affaire Lubbock Fine (arrêt du 15 décembre 1993, C-63/92, Rec. p. I-6665, point 19).