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CONCLUSIONS DE L’AVOCAT GÉNÉRAL

M. J. Mazák

présentées le 13 mars 2008 (1)

Affaire C-43/07

D.M.M.A. Arens-Sikken

contre

Staatssecretaris van Financiën

[demande de décision préjudicielle formée par le Hoge Raad der Nederlanden (Pays-Bas)]

«Libre circulation des capitaux – Articles 56 CE et 58 CE – Restrictions – Impôt sur les successions – Déductibilité de dettes liées à un excédent d’attribution – Refus au motif que le de cujus n’était pas résident de l’État membre d’imposition au moment du décès»





I –    Introduction

1.        Par trois questions posées à titre préjudiciel dans son arrêt du 12 janvier 2007, le Hoge Raad der Nederlanden (Pays-Bas) interroge la Cour de justice sur le point de savoir, en substance, si la législation néerlandaise relative à l’imposition des biens acquis par succession est compatible avec les articles 56 CE et 58 CE relatifs à la libre circulation des capitaux. Plus spécifiquement, la juridiction de renvoi voudrait savoir si ces dispositions du traité CE s’opposent à une législation nationale qui – aux fins de la détermination de l’assiette de l’impôt dû lors de l’acquisition par succession d’un bien immeuble situé sur le territoire de l’État membre concerné – permet de prendre en compte certaines dettes naissant lors d’une succession, si, au moment du décès, le de cujus résidait dans cet État membre, mais ne le permet pas s’il résidait dans un autre État membre.

2.        Les questions soulevées dans la présente affaire sont très semblables à celles soulevées dans l’affaire Eckelkamp (2) dans laquelle nous présentons également nos conclusions ce jour. Cette affaire concerne aussi une législation nationale en vertu de laquelle, afin de déterminer les impôts dus sur l’acquisition par voie de succession d’une propriété immobilière située sur le territoire national, certaines charges ne sont pas déductibles lorsque, au moment du décès, le défunt résidait dans un autre État membre.

3.        En répondant aux questions posées dans le présent litige, la Cour de justice aura l’occasion de développer la jurisprudence existante relative à l’imposition des successions dans le contexte de la libre circulation des capitaux, et en particulier celle découlant des arrêts Barbier (3) et van Hilten-van der Heijden (4).

II – Droit applicable

A –    Droit communautaire

4.        L’article 56, paragraphe 1, CE (anciennement article 73 B, paragraphe 1, du traité CE) dispose:

«Dans le cadre des dispositions du présent chapitre, toutes les restrictions aux mouvements de capitaux entre les États membres et entre les États membres et les pays tiers sont interdites.»

5.        L’article 58 CE (anciennement article 73 D du traité CE) dispose:

«1.      L’article 56 [CE] ne porte pas atteinte au droit qu’ont les États membres:

a)       d’appliquer les dispositions pertinentes de leur législation fiscale qui établissent une distinction entre les contribuables qui ne se trouvent pas dans la même situation en ce qui concerne leur résidence ou le lieu où leurs capitaux sont investis;

[…]

3.      Les mesures et procédures visées [au paragraphe 1] ne doivent constituer ni un moyen de discrimination arbitraire ni une restriction déguisée à la libre circulation des capitaux et des paiements telle que définie à l’article 56 [CE].»

6.        L’annexe I de la directive 88/361/CEE du Conseil, du 24 juin 1988, pour la mise en œuvre de l’article 67 du traité (5), intitulée «Nomenclature des mouvements de capitaux visés à l’article 1er de la directive», énumère treize catégories de mouvements de capitaux. Au titre XI de l’annexe, intitulé «Mouvements de capitaux à caractère personnel», sont mentionnés les:

«[…]

D.       Successions et legs

[…]»

B –    Droit national

7.        En vertu de la loi néerlandaise, toutes les successions sont frappées d’impôt. L’article 1er, paragraphe 1 de la loi de 1956 relative aux successions (Successiewet 1956), du 28 juin 1956 (ci-après la «loi relative aux successions»), fait une distinction selon que la personne dont la succession est ouverte résidait aux Pays-Bas ou à l’étranger. Cet article dispose:

«1.      En application de cette loi, les impôts suivants sont perçus:

1°      des droits de succession sur la valeur de l’ensemble des biens transmis en vertu du droit successoral à la suite du décès d’une personne qui résidait aux Pays-Bas à l’époque dudit décès. [...]

2°      des droits de mutation sur la valeur des éléments précisés à l’article 5, paragraphe 2, obtenus par libéralité ou par succession à la suite du décès d’une personne qui ne résidait pas aux Pays-Bas à l’époque de ladite libéralité ou dudit décès;

[...]»

8.        L’article 5, paragraphe 2, de la loi est rédigé comme suit:

«2.      Le droit de mutation est perçu sur la valeur:

1°      des possessions intérieures citées à l’article 13 de la Wet op de vermogensbelasting 1964 […], éventuellement après déduction des dettes visées à cet article;

[...]»

9.        L’article 13, paragraphe 1, sous b), 1°, de la la loi de 1964 relative à l’impôt sur le patrimoine (Wet op de vermogensbelasting 1964), du 16 décembre 1964 (ci-après la «loi relative à l’impôt sur le patrimoine»), définit les «possessions intérieures» comme les «biens immobiliers sis aux Pays-Bas ou les droits portant sur ceux-ci» (pour autant qu’ils n’appartiennent pas à une entreprise néerlandaise).

10.      En vertu de l’article 13, paragraphe 2, sous b), de la loi relative à l’impôt sur le patrimoine, les «dettes intérieures» comprennent les dettes garanties par une hypothèque sur un bien immobilier sis aux Pays-Bas ou un droit portant sur celui-ci, dans la mesure où les intérêts et frais afférents auxdites dettes sont pris en compte pour établir le revenu intérieur brut au sens de l’article 49 de la loi de 1964 relative à l’impôt sur les revenus (Wet op de Inkomstenbelasting 1964), du 16 décembre 1964.

11.      L’article 49 de cette dernière loi définit le «revenu intérieur brut» comme le revenu net total d’un non-résident provenant d’un bien immobilier situé aux Pays-Bas.

12.      Il n’existe pas de conventions bilatérales de double imposition en matière d’imposition des successions entre le Royaume des Pays-Bas et la République italienne.

III – Les faits, la procédure et les questions posées à titre préjudiciel

13.      M. Arens, à qui Mme Arens-Sikken, la demanderesse en cassation, était mariée, est décédé le 8 novembre 1998. Au moment de son décès, M. Arens résidait en Italie et habitait hors des Pays-Bas depuis plus de dix ans déjà.

14.      M. Arens a disposé de ses biens par testament. Sa succession a été partagée en parts égales entre Mme Arens-Sikken et chacun de leurs quatre enfants.

15.      Toutefois, en vertu d’un partage d’ascendant testamentaire, tel que visé à l’article 1167 du code civil, toute la succession de M. Arens – les actifs comme le passif – a été attribuée à Mme Arens-Sikken, à charge pour celle-ci de compenser ultérieurement l’excédent, en versant aux enfants la valeur de leurs parts respectives en espèces (ci-après les «dettes pour excédent d’attribution»).

16.      La succession comprenait notamment la part de M. Arens dans un bien immeuble situé aux Pays-Bas, part dont la valeur a été fixée à 475 000 NLG (pour plus de clarté, nous désignerons ci-après la part de M. Arens dans ledit bien en nous servant simplement des termes le «bien immeuble»).

17.      L’Inspection des impôts néerlandaise a estimé que Mme Arens-Sikken avait acquis par succession un bien situé aux Pays-Bas ayant appartenu à un non-résident, d’une valeur de 475 000 NLG. En conséquence, l’Inspection des impôts l’a invitée à payer un droit de mutation calculé sur la base de ce montant.

18.      À la suite d’une procédure de réclamation devant l’Inspection des impôts, Mme Arens-Sikken a formé un recours devant le Gerechtshof te ’s-Hertogenbosch (cour d’appel de Bois-le-Duc). La question principalement soulevée devant le Gerechtshof était celle de savoir si le droit de mutation que Mme Arens-Sikken devait acquitter en raison de l’acquisition du bien par héritage devait être calculé sur une valeur de 475 000 NLG ou de 95 000 NLG (c’est-à-dire une part d’un cinquième).

19.      Le Gerechtshof a rejeté le recours comme non fondé en déclarant, notamment, que le droit de mutation se rapportait à l’acquisition du bien immeuble en vertu du droit successoral. La cour a ajouté que, dans le cadre du partage d’ascendant, le bien attribué à Mme Arens-Sikken était le bien immeuble dans sa totalité.

20.      Mme Arens-Sikken s’est pourvue en cassation contre l’arrêt du Gerechtshof devant le Hoge Raad der Nederlanden. Dans son arrêt de renvoi, le Hoge Raad a considéré que c’était à raison que le Gerechtshof a jugé que Mme Arens-Sikken avait, aux fins de la perception du droit de mutation, acquis dans son intégralité le bien immeuble qui lui a été attribué selon le droit successoral. En conséquence, son moyen principal de cassation – selon lequel il se serait produit une acquisition conjointe suivie d’un partage d’ascendant testamentaire – ne pouvait pas être considéré comme fondé.

21.      D’après la juridiction de renvoi, le Gerechtshof a également eu raison de juger qu’on ne pouvait, pour déterminer le montant de la dette de Mme Arens-Sikken au titre du droit de mutation, tenir aucun compte de ses dettes pour excédent d’attribution découlant du partage d’ascendant. En effet, ces dettes ne pourraient pas être considérées comme des «dettes intérieures» au sens de l’article 13 de la loi relative à l’impôt sur le patrimoine. Or, en ce qui concerne les droits de mutation, seules les dettes intérieures sont déductibles.

22.      Toutefois, dans la mesure où ces dispositions législatives ont, en définitive, pour effet d’empêcher la déduction des dettes pour excédent d’attribution pour le seul motif que le bien a été hérité d’une personne qui, à son décès, avait sa résidence hors des Pays-Bas, la juridiction de renvoi soulève le point de savoir si une telle conséquence est compatible avec la liberté des mouvements de capitaux consacrée aux articles 56 CE et 58 CE. À cet égard, le Hoge Raad demande si les dettes pour excédent d’attribution – lesquelles présentent, selon lui, un lien de connexité moins étroit avec l’immeuble que l’obligation de délivrance de l’affaire Barbier (6) ou les frais d’acquisition de l’affaire Gerritse (7) – doivent, comme ce fut le cas dans ces affaires, être prises en compte pour déterminer l’assiette de l’impôt.

23.      En cas de réponse affirmative sur ce point, deux questions supplémentaires se posent: la première concerne la méthode correcte à appliquer pour comparer le montant imposable au titre du droit de mutation avec celui qui l’aurait été au titre des droits de succession, afin de déterminer l’existence éventuelle d’une violation du principe de la libre circulation des capitaux (8); la seconde concerne le point de savoir s’il importe de tenir compte du fait que, à supposer que les dettes pour excédent d’attribution soient déduites aux Pays-Bas, l’État membre de résidence peut, en vertu de ses règles préventives de la double imposition, accorder en conséquence une compensation moins élevée par rapport à celle qui, autrement, aurait été accordée au moment de déterminer la dette fiscale de Mme Arens-Sikken au titre de la succession.

24.      Dans ce contexte, le Hoge Raad der Nederlander a décidé de suspendre la procédure et de déférer les questions suivantes à la Cour de justice dans le cadre d’une procédure préjudicielle:

«1)      Les articles 73B et 73D du traité CE (devenus, respectivement, articles 56 CE et 58 CE) doivent-ils être interprétés en ce sens qu’ils s’opposent à ce qu’un État membre perçoive, en ce qui concerne un bien immeuble situé dans cet État membre et faisant partie de la succession d’une personne résidant, au moment de son décès, dans un autre État membre, un impôt sur l’acquisition par voie de succession de ce bien selon la valeur de celui-ci, sans tenir compte des dettes liées à un excédent d’attribution, assumées par le bénéficiaire en vertu d’un testament-partage?

2)      Dans l’éventualité où la question précédente devrait recevoir une réponse positive et où, en outre, il y aurait lieu de déterminer par comparaison si, et dans quelle mesure, il faut tenir compte des dettes liées à un excédent d’attribution, quelle méthode de comparaison […] est alors applicable, dans une hypothèse comme celle du cas d’espèce, afin de déterminer si le montant des droits de succession qui auraient été perçus dans l’hypothèse où le de cujus aurait, au moment de son décès, résidé aux Pays-Bas aurait été inférieur à celui du droit de mutation?

3)      Faut-il tenir compte, dans l’appréciation de l’existence éventuelle d’une obligation, qui serait assumée en vertu du traité par l’État membre où le bien immeuble est situé, de permettre la déduction en tout ou en partie des dettes liées à un excédent d’attribution, du fait que cette déduction pourrait aboutir à une compensation préventive de double imposition moins élevée dans l’État membre qui se considère comme fiscalement compétente en ce qui concerne la succession en raison du lieu de résidence du de cujus?»

IV – Appréciation en droit

A –    Principaux arguments des parties

25.      Des observations écrites ont été présentées par les gouvernements du Royaume des Pays-Bas et du Royaume de Belgique, ainsi que par la Commission. Tous trois étaient représentés à l’audience du 13 décembre 2007.

26.      Après avoir décrit la législation fiscale néerlandaise applicable en matière d’acquisitions par succession, et avoir, en particulier, précisé la différence existant entre les droits de succession et les droits de mutation, le gouvernement néerlandais soutient que la première question devrait recevoir une réponse négative.

27.      Selon le gouvernement, une telle réponse n’entraînerait ni discrimination ni le moindre obstacle à la libre circulation des capitaux.

28.      À ce propos, il fait, premièrement, valoir – en invoquant l’arrêt van Hilten-van der Heijden (9) – que le fait que les dettes liées à un excédent d’attribution ne sont pas déductibles (pour le calcul de l’assiette des droits de mutation) lorsque le de cujus ne réside pas aux Pays-Bas, alors qu’elles le sont (dans l’hypothèse de droits de succession) en ce qui concerne l’héritage d’un résident, constitue simplement une différenciation résultant de la répartition de la compétence fiscale entre les États membres. Le Royaume des Pays-Bas n’est compétent qu’en ce qui concerne l’acquisition de possessions intérieures, en l’occurrence, du bien immeuble en cause. En matière de fiscalité des acquisitions par voie de succession, la situation où le défunt était résident des Pays-Bas et celle où il ne l’était pas sont bien distinctes et ne peuvent pas être comparées.

29.      Le gouvernement néerlandais fait, deuxièmement, valoir qu’il ne s’est, au principal, produit aucune discrimination dans l’exercice de la compétence fiscale, étant donné que les dettes pour excédent d’attribution ne sont pas étroitement liées au bien immeuble, au sens de l’arrêt Gerritse (10).

30.      Troisièmement, il soutient que, par voie de conséquence, les dettes en question ne causent pas de diminution de la valeur de la succession, selon les termes de l’arrêt Barbier (11). Une diminution de valeur est le critère déterminant pour apprécier s’il existe un lien suffisant entre une dette et un bien immeuble. Or, contrairement à l’obligation de délivrance de l’affaire Barbier, les dettes pour excédent d’attribution en cause ici ne sont pas spécifiquement liées à l’immeuble comme tel, mais se rapportent plutôt à la succession dans son ensemble.

31.      À l’audience, le gouvernement néerlandais a réfuté l’argument présenté par la Commission des Communautés européennes, selon lequel la loi néerlandaise applique une méthode de calcul différente selon que le de cujus est ou non un résident, ce qui aurait pour effet un partage de la succession variant selon le régime fiscal. Il a, toutefois, admis que la charge fiscale globale peut varier, en raison principalement de la progressivité du tarif de l’impôt applicable. Étant donné que le de cujus est, dans l’affaire dont la juridiction de renvoi a été saisie, un non-résident, l’acquisition par succession a été imposée sous la forme d’un droit de mutation sur la valeur du bien immeuble situé aux Pays-Bas, lequel a été réputé acquis dans son entièreté par le conjoint. Si M. Arens avait, au contraire, résidé aux Pays-Bas à son décès, l’imposition aurait pris la forme de droits de succession, dont l’assiette aurait compris tous les éléments d’actif et de passif de son patrimoine. L’impôt aurait alors frappé le conjoint, après prise en compte des dettes de celui-ci liées à l’excédent d’attribution, et aussi les enfants, en raison de leurs créances liées au déficit d’attribution, lesquelles correspondent à l’excédent d’attribution. La circonstance que seul le conjoint a été imposé en l’espèce illustre le fait que, lorsque la succession concernée est celle d’un non-résident, on ne tient compte ni des dettes pour excédent d’attribution ni des créances pour déficit d’attribution correspondantes. Pour les raisons données ci-dessus, cette situation ne serait pas contraire à la libre circulation des capitaux. L’assiette de l’impôt – c’est-à-dire la valeur intégrale du bien immeuble taxé – serait la même dans les deux cas de toute manière.

32.      De façon tout à fait subsidiaire, le gouvernement néerlandais soutient, en ce qui concerne la deuxième question, que, compte tenu du critère de la compétence fiscale respective des États membres, toute comparaison doit se restreindre au bien immeuble situé aux Pays-Bas. On ne peut, dès lors, pas tenir compte des éléments de la succession se situant hors des Pays-Bas ni d’une éventuelle exemption qui aurait pu profiter à la succession si le de cujus avait eu sa résidence aux Pays-Bas au moment de son décès (12).

33.      Sur la troisième question, le gouvernement néerlandais fait observer que, en vue de déterminer s’il s’est produit une infraction au droit communautaire, il convient de tenir compte de l’existence de conventions conclues en matière fiscale entre les États membres. Il ressort, en particulier, de l’arrêt Denkavit Internationaal et Denkavit France (13) que, pour déterminer si le droit communautaire a été enfreint, la Cour détermine d’abord si la réglementation nationale est contraire au droit communautaire et puis, à supposer que tel soit le cas, si une convention conclue entre les États concernés vient effectivement neutraliser le préjudice subi par le contribuable.

34.      Le gouvernement néerlandais conclut qu’il faut, pour déterminer s’il existe une obligation de permettre la déduction en tout ou en partie des dettes pour excédent d’attribution, tenir compte des conséquences que cela peut avoir lorsque l’ensemble de la succession est taxé par l’État membre qui se considère comme fiscalement compétent en raison du lieu de résidence du de cujus. En particulier, il faut tenir compte de l’éventualité que ce dernier État membre pourrait, en application de ses règles préventives de la double imposition, n’accorder qu’une compensation moins élevée au motif qu’une déduction a déjà été accordée.

35.      Les observations du gouvernement belge concordent, pour l’essentiel, avec celles du gouvernement néerlandais. Le gouvernement belge ajoute que les dettes ou charges assumées dans le cadre d’une succession peuvent être divisées en trois catégories: i) les dettes inhérentes à un actif, ii) les dettes liées à l’acquisition d’un actif, c’est-à-dire le type de dette qui nous concerne dans la présente affaire, et iii) les dettes qui font partie de la succession, mais qui ne sont, comme c’est le cas dans l’affaire Eckelkamp, liées au bien immeuble concerné que dans une moindre mesure, voire pas du tout. Le gouvernement belge fait valoir que, selon la jurisprudence de l’arrêt Barbier (14), l’État membre de situation du bien considéré ne doit tenir compte, en vue de l’imposition d’une acquisition dans le cadre de la succession d’un non-résident, que des dettes de la première catégorie, c’est-à-dire inhérentes au bien situé sur son territoire.

36.      Le gouvernement met l’accent sur le fait que, en matière d’impôts directs, la situation des résidents et celle des non-résidents dans un État ne sont, en règle générale, pas comparables.

37.      Il soutient que seul l’État où résidait le de cujus (ci-après l’«État membre de résidence») est à même d’apprécier la situation économique globale de celui-ci et de tenir compte de tout l’actif et le passif afin de déterminer le montant de l’imposition de sa succession. Les dettes telles que celles qui sont en cause ici sont donc, en principe, toujours prises en compte par l’État membre de résidence. Par conséquent, la déduction de ces dettes dans l’État membre où le bien est situé pourrait, en fait, aboutir à une double déduction.

38.      En ce qui concerne la deuxième question, le gouvernement belge fait valoir que, pour le cas où l’État membre de situation du bien immeuble serait tenu de permettre la déduction des dettes pour excédent d’attribution, une telle déduction ne devrait être possible qu’à la condition que la portion des dettes se rapportant à la possession intérieure n’ait pas déjà été déduite auparavant dans l’État membre de résidence, aux fins du calcul des droits de succession qui y sont dus. En outre, la déduction ne devrait être admise que dans la mesure où le droit de mutation dû sur la possession intérieure entraînerait une charge fiscale plus lourde par rapport à l’hypothèse où le de cujus aurait résidé dans l’État membre de situation du bien, c’est-à-dire où ce sont des droits de succession qui auraient été payables (auquel cas, on aurait tenu compte de l’ensemble du patrimoine du de cujus à l’échelle mondiale).

39.      Enfin, en ce qui concerne la troisième question, le gouvernement belge se rallie, en substance, à l’avis du gouvernement néerlandais.

40.      D’après la Commission, qui répond à la première et à la deuxième questions ensemble, la situation d’une personne qui réside aux Pays-Bas et qui y a, en général, perçu la plupart de ses revenus n’est pas comparable, en principe, à celle d’une personne non-résidente qui ne possède aux Pays-Bas qu’un bien immeuble. La Commission est d’accord avec les gouvernements belge et néerlandais que l’application d’exonérations doit avoir lieu dans l’État membre de résidence et que – contrairement au cas des dettes en cause dans l’affaire Eckelkamp – une dette pour excédent d’attribution ne peut pas être considérée comme une dette étroitement liée au bien immeuble, au sens de l’arrêt Barbier (15). De telles dettes n’ont pas pour effet de diminuer la valeur du bien immeuble en question.

41.      Toutefois, la Commission, qui apprécie la question sous un autre angle, soutient que la législation néerlandaise litigieuse n’est pas cohérente. En effet, le montant des droits de succession (à supposer que le de cujus avait été résident aux Pays-Bas) aurait été calculé en tenant compte du fait qu’il y avait plusieurs héritiers, tandis que le droit de mutation (applicable lorsque le défunt n’est pas un résident) peut être calculé – comme ce fut le cas en l’espèce – en supposant que l’héritage a été acquis par une seule personne, à savoir le conjoint. Cela peut, compte tenu du caractère progressif du tarif de ces impôts, avoir pour conséquence que la charge fiscale globale pesant sur le bien immeuble varie selon que le de cujus résidait ou non dans l’État membre de l’imposition. À l’audience, la Commission a expliqué qu’elle ne critique pas le caractère progressif, en tant que tel, du taux de l’impôt, mais bien le fait que, à son avis, il est possible, lorsque le défunt est un non-résident, que le conjoint survivant soit considéré comme l’unique héritier et taxé en conséquence, tandis que, dans l’hypothèse où il aurait été résident, l’impôt serait exigé de tous les héritiers et perçu sur leurs créances respectives liées au déficit d’attribution.

42.      La Commission conclut que, dans ces circonstances, la législation fiscale peut constituer une entrave à la libre circulation des capitaux, le gouvernement néerlandais n’ayant fourni aucune justification valable.

43.      En ce qui concerne la troisième question, la Commission souligne l’absence de convention bilatérale entre le Royaume des Pays-Bas et la République italienne en matière de prévention de la double imposition en ce qui concerne les biens acquis par succession. Elle soutient qu’un État membre ne peut pas, pour justifier une restriction à la libre circulation des capitaux, se fonder sur un crédit d’impôt ou un avantage fiscal qu’un autre État membre peut prévoir s’il le souhaite et qui compenserait éventuellement, en tout ou en partie, le préjudice subi par le contribuable concerné. La question de savoir si, ou dans quelle mesure, l’État membre de résidence peut accorder un tel avantage est donc sans importance ici.

B –    Appréciation

44.      Par les questions déférées, que nous estimons opportun d’examiner ensemble (16), la juridiction de renvoi demande, en substance, si les articles 56 CE et 58 CE s’opposent à une législation nationale telle que celle qui est en cause dans la procédure de fond, en vertu de laquelle il est permis – aux fins de la détermination de l’assiette de l’impôt dû lors de l’acquisition par succession d’un bien immeuble situé sur le territoire de l’État membre concerné – de prendre en compte les dettes pour excédent d’attribution si la personne dont on a hérité ledit bien immeuble résidait dans cet État membre au moment de son décès, mais pas s’il résidait dans un autre État membre, comme c’est le cas en l’espèce.

45.      On peut ajouter, en ce qui concerne l’objet de la présente procédure, que la Cour ne doit pas se préoccuper de la question, soulevée au principal, de savoir si la demanderesse en cassation doit, aux fins de la perception du droit de mutation, être considérée comme ayant hérité du bien immeuble dans sa totalité, ou si ledit bien a fait l’objet d’une acquisition conjointe par les héritiers. Une telle question est du ressort de la réglementation nationale en matière de successions, et, d’ailleurs, elle semble, à la lecture de la décision de renvoi, avoir reçu une réponse de la part du Hoge Raad qui considère que la demanderesse a acquis le bien dans sa totalité.

46.      Il convient de rappeler, dès le départ, que, conformément à une jurisprudence constante, bien que les impôts directs relèvent de la compétence des États membres, ceux-ci doivent néanmoins exercer cette compétence en conformité avec le droit communautaire (17).

47.      S’agissant plus particulièrement de l’application ratione materiæ des dispositions du traité relatives à la libre circulation des capitaux à une situation telle que celle de l’espèce – qui, en fait, n’a pas été contestée par les parties à la présente procédure – selon une jurisprudence bien établie, les successions constituent des mouvements de capitaux au sens de l’article 56 CE, à l’exception des cas où leurs éléments constitutifs se cantonnent à l’intérieur d’un seul État membre (18).

48.      Il suffit de relever, à ce propos, que le cas d’espèce, soumis au Hoge Raad, n’est manifestement pas une situation purement interne en ce qu’elle concerne l’imposition de l’acquisition d’un bien immeuble par voie de la succession d’une personne qui résidait, au moment du décès, dans un État membre autre que les Pays-Bas, c’est-à-dire dans un État membre qui n’est pas l’État membre dans lequel le bien immeuble est situé.

49.      En conséquence, la succession en cause dans la procédure au principal relève du domaine d’application des dispositions du traité relatives à la libre circulation des capitaux.

50.      Il convient donc d’examiner la question de savoir si une législation nationale telle que celle en cause en l’espèce constitue une restriction prohibée à la libre circulation des capitaux.

51.      La présente affaire s’articule autour de la distinction effectuée, en ce qui concerne les acquisitions par succession, par la législation fiscale néerlandaise entre deux situations: i) celle où un bien immeuble situé aux Pays-Bas est acquis dans le cadre de la succession d’un non-résident, et ii) celle où le de cujus dont on a hérité ledit bien immeuble est un résident.

52.      Dans la première hypothèse (qui est celle du cas d’espèce), le bien immeuble fait l’objet d’un droit de mutation. En conséquence, les dettes pour excédent d’attribution, telles que celles assumées par Mme Arens-Sikken en vertu du partage d’ascendant, ne peuvent pas être déduites de la valeur du bien, aux fins du calcul de l’assiette de l’impôt, puisque ces dettes ne sont pas considérées comme des «dettes intérieures» au sens de l’article 13, paragraphe 2, sous b), de la loi relative à l’impôt sur le patrimoine, selon l’interprétation qu’en a donnée le Gerechtshof et la juridiction de renvoi. Le droit de mutation est donc perçu en tenant compte de la valeur du bien concerné, sans déduction.

53.      En revanche, en ce qui concerne la seconde hypothèse, l’acquisition du bien immeuble par voie de succession donne lieu à la perception, cette fois, d’un droit de succession, dont l’assiette est déterminée en tenant compte des dettes pour excédent d’attribution.

54.      À ce propos, le gouvernement néerlandais a, toutefois, souligné que s’il est vrai qu’on aurait, dans le cadre des droits de succession, tenu compte des dettes pour excédent d’attribution assumées par Mme Arens-Sikken, on aurait également tenu compte, dans le calcul, des créances correspondantes des autres héritiers, liées au déficit d’attribution.

55.      Cela étant, le gouvernement néerlandais n’a pas contesté le point de vue de la Commission, selon lequel la charge fiscale globale pesant sur le bien immeuble peut, en raison du tarif progressif tant des droits de mutation que des droits de succession, être plus onéreuse dans des situations analogues au cas d’espèce que dans l’hypothèse où le bien a été acquis dans la succession d’un résident et a fait l’objet de la perception de droits de succession.

56.      Il demeure, par conséquent, que la dette fiscale globale dans un cas comparable à celui de Mme Arens-Sikken – une situation où les dettes pour excédent d’attribution de celle-ci ne peuvent pas être prises en considération pour calculer le droit de mutation – dépasse celle qui aurait été assumée dans l’hypothèse de droits de succession, c’est-à-dire si le bien immeuble avait été hérité d’un résident. Le fait que, ainsi que l’a fait valoir le gouvernement néerlandais, la valeur fiscale du bien aurait été la même dans les deux cas ne vient, d’ailleurs, en rien remettre en question cette constatation.

57.      Il est donc évident que, dans la réglementation néerlandaise applicable aux acquisitions par voie de succession, un avoir tel que le bien immeuble en cause reçoit un traitement fiscal moins favorable lorsqu’il est hérité d’un non-résident que s’il l’est d’un résident.

58.      Dans son arrêt Barbier – qui concernait également l’imposition d’un bien immeuble acquis dans la succession d’un non-résident –, la Cour a considéré que les mesures interdites par l’article 56 CE, en tant que restrictions aux mouvements de capitaux, comprennent celles qui ont pour effet de diminuer la valeur de la succession d’un résident d’un État autre que l’État membre où se trouvent les biens concernés et qui impose la succession desdits biens (19).

59.      À ce propos, le gouvernement néerlandais a fait valoir que le cas d’espèce devait être distingué de celui de l’affaire Barbier, dans la mesure où la réglementation en cause ici n’a pas pour effet de diminuer la valeur de la succession, pour reprendre les termes de la jurisprudence précitée, puisque, contrairement à l’obligation de délivrance de l’affaire Barbier, les dettes qui nous concernent ne présentent pas avec le bien immeuble un lien de nature à affecter, en tant que telle, la valeur dudit bien, que ce soit dans l’hypothèse des droits de mutation ou de succession.

60.      Nous ne sommes, toutefois, pas convaincu par la pertinence de cette distinction. À notre avis, en cas de diminution, comme en l’espèce, de la valeur de la succession considérée dans son ensemble – par opposition à une situation purement interne –, à cause de la non-déductibilité des dettes pour excédent d’attribution assumées lorsque le bien a été acquis, la valeur de la succession se trouve également, d’un point de vue économique, diminuée, pour reprendre la terminologie de l’arrêt Barbier.

61.      Du point de vue du (futur) testateur – qui tient compte de telles conséquences fiscales lorsqu’il décide, par hypothèse, de prendre résidence dans un État membre autre que son État membre d’origine où il possède un bien immeuble, ou d’acquérir un bien immeuble dans ce dernier État membre tout en résidant dans un autre État membre (20)–, et du point de vue, à plus forte raison, des héritiers, la question déterminante n’est pas tant de savoir, «techniquement», à quel moment, dans le calcul de l’impôt dû, une obligation ou un autre facteur susceptible de réduire le montant de l’impôt ne sera pas pris en compte, que de savoir si la charge fiscale globale sera plus élevée, avec pour conséquence une diminution de la valeur totale de la succession finalement acquise (21).

62.      Il s’ensuit que la législation nationale en cause est, en principe, de nature à entraver la libre circulation des capitaux.

63.      Toutefois, le gouvernement néerlandais, soutenu par le gouvernement belge, se fonde essentiellement sur deux principaux arguments pour montrer que la législation en cause est compatible avec les dispositions du traité relatives à la libre circulation des capitaux et que la distinction sur laquelle elle se fonde est justifiée. Premièrement, il fait valoir, en invoquant des décisions de la Cour telles que les arrêts Schumacker (22) et Gerritse (23), que les situations respectives d’un de cujus résident et non-résident ne sont pas comparables du point de vue des impôts frappant les acquisitions par voie de succession. Le deuxième point, étroitement lié au premier, qu’il souligne est que la non-déductibilité des dettes pour excédent d’attribution lorsqu’un bien immeuble est acquis dans la succession d’un non-résident est ancrée dans les principes du droit international en matière fiscale, selon lesquels il appartient à l’État membre de résidence de tenir compte d’obligations personnelles telles que celles en cause ici.

64.      Afin de déterminer si ces considérations peuvent justifier la réglementation en cause, il peut s’avérer utile de rappeler certains aspects du «contexte juridique» dans lequel les dispositions du traité en matière de libre circulation des capitaux fonctionnent en ce qui concerne les impôts directs, ainsi que de faire un bref rappel de la jurisprudence pertinente.

65.      À cet égard, il convient, en particulier, de garder à l’esprit que, en l’absence de mesures d’unification ou d’harmonisation dans le cadre communautaire, les États membres demeurent, en principe, compétents pour définir les critères de taxation et pour décider des facteurs de rattachement dont dépend la compétence fiscale, que ce soit unilatéralement ou par voie conventionnelle (24).

66.      Une conséquence sur laquelle nous reviendrons ci-dessous est que, comme dans d’autres domaines d’où les mesures communautaires sont absentes, l’article 56 CE n’interdit pas les restrictions ou traitements défavorables qui résultent seulement des disparités existant entre les régimes fiscaux nationaux et de l’exercice parallèle par deux États membres de leurs compétences fiscales respectives (25). Cela signifie que l’article 56 CE concerne les restrictions découlant des règles fiscales d’un État membre considéré isolément.

67.      Ensuite, on peut affirmer que la Cour a, en général, retenu des critères de répartition de la compétence fiscale fondés sur le principe de territorialité et a, en particulier, reconnu que c’est la résidence qui constitue, en droit fiscal international, le facteur de rattachement sur lequel repose, en principe, la répartition de la compétence fiscale entre les États membres dans les situations présentant un élément d’extranéité (26).

68.      Vu sous cet angle, le lieu de résidence d’un contribuable peut donc revêtir une pertinence objective en tant que critère de répartition de la compétence fiscale dans le domaine des impôts directs.

69.      C’est dans ce contexte que, ainsi que l’a fait observer le gouvernement néerlandais, la Cour a admis, dans les arrêts qu’elle a rendus dans le sillage de l’arrêt Schumacker, que, en matière d’impôts directs, la situation des résidents et celle des non-résidents ne sont, en règle générale, pas comparables, de telle sorte que, en droit fiscal, la résidence des contribuables peut constituer un facteur pouvant justifier des règles nationales qui impliquent une différence de traitement entre contribuables résidents et contribuables non-résidents (27).

70.      Dans la même veine, l’article 58, paragraphe 1, sous a), CE prévoit expressément que «l’article 56 ne porte pas atteinte au droit qu’ont les États membres […] d’appliquer les dispositions pertinentes de leur législation fiscale qui établissent une distinction entre les contribuables qui ne se trouvent pas dans la même situation en ce qui concerne leur résidence […]».

71.      Toutefois, la Cour a itérativement souligné que, en tant que dérogation au principe fondamental de libre circulation des capitaux, une telle disposition doit faire l’objet d’une interprétation stricte et que cette disposition ne saurait être interprétée en ce sens que toute législation fiscale comportant une distinction entre les contribuables en fonction du lieu où ils résident ou de l’État membre dans lequel ils investissent leurs capitaux serait automatiquement compatible avec le traité (28).

72.      Ainsi, la dérogation prévue à l’article 58, paragraphe 1, sous a), CE est elle-même limitée par l’article 58, paragraphe 3, CE, qui prévoit que les dispositions nationales visées au paragraphe 1 de cet article «ne doivent constituer ni un moyen de discrimination arbitraire ni une restriction déguisée à la libre circulation des capitaux et des paiements telle que définie à l’article 56».

73.      Il y a donc lieu de distinguer les traitements inégaux permis au titre de l’article 58, paragraphe 1, sous a), CE des discriminations arbitraires interdites par le paragraphe 3 de ce même article. Il ressort de la jurisprudence que, pour qu’une réglementation nationale puisse être considérée comme compatible avec les dispositions du traité relatives à la libre circulation des capitaux, il faut que la différence de traitement concerne des situations qui ne sont pas objectivement comparables ou soit justifiée par une raison impérieuse d’intérêt général (29).

74.      Il est donc évident que ces questions se mesurent, en définitive, à l’aune du principe général de l’égalité de traitement, ou de la non-discrimination, qui suppose que des situations comparables ne se voient pas appliquer un traitement différent, et qu’on n’applique pas le même traitement à des situations différentes (30).

75.      Bien qu’il faille, en principe, apprécier, dans chaque cas concret, si un critère distinctif tel que la résidence est un élément objectif pertinent susceptible de justifier la différence de traitement concernée (31), la jurisprudence formule certains critères dont la Cour a fait application en vue de déterminer si deux situations sont objectivement comparables du point de vue d’une mesure fiscale particulière.

76.      On peut constater, premièrement, que la Cour attache une importance à la cohérence dans l’exercice de la compétence fiscale. À cet égard, lorsqu’un État membre a décidé d’imposer une forme particulière d’impôt aux non-résidents aussi bien qu’aux résidents, cela implique que les résidents et les non-résidents soient considérés comme se trouvant dans une situation comparable au regard des déductions liées à cette imposition (32).

77.      C’est ainsi que, dans son arrêt Denkavit Internationaal et Denkavit France, la Cour a indiqué que, à partir du moment où un État membre, de manière unilatérale ou par voie conventionnelle, assujettit à l’impôt sur le revenu non seulement les actionnaires résidents, mais également les actionnaires non-résidents, pour les dividendes qu’ils perçoivent d’une société résidente, la situation desdits actionnaires non-résidents se rapproche de celle des actionnaires résidents (33).

78.      La Cour suit un raisonnement similaire dans nombre d’affaires, dans lesquelles il apparaît que, lorsque la législation fiscale d’un État membre considère les situations des résidents et des non-résidents comme comparables en ce qui concerne certains types de revenus, d’actifs ou, plus généralement, de faits générateurs de l’impôt, elle doit également considérer leurs situations comme comparables lorsqu’il s’agit de prendre en compte les frais, charges ou obligations «directement liés», d’une manière ou d’une autre, au revenu ou à l’actif imposé, ou au fait générateur de l’impôt.

79.      C’est ainsi que la Cour a, dans l’arrêt Gerritse, estimé que, étant donné que les frais professionnels concernés étaient directement liés à l’activité ayant généré les revenus imposables en Allemagne, les résidents et les non-résidents se trouvaient, à cet égard, placés dans une situation comparable, de telle sorte qu’un traitement identique s’imposait également en ce qui concerne la déduction de ces frais (34). De même, dans l’affaire Bouanich, la Cour a examiné le cas d’une réglementation nationale qui, en ce qui concerne l’imposition de versements effectués à des actionnaires à l’occasion d’un rachat d’actions, permettait aux actionnaires résidents d’en déduire les frais d’acquisition, alors que ce droit n’était pas reconnu aux non-résidents. La Cour a considéré que, puisque les frais d’acquisition étaient directement liés aux versements soumis à l’impôt, les deux catégories de contribuables se trouvaient, à cet égard, placés dans une situation comparable (35).

80.      Premièrement, il convient de relever, dans ce contexte, que, bien que les impôts applicables à la succession soient formellement perçus sur la valeur du bien immeuble faisant partie des biens d’un non-résident, il ne faut pas perdre de vue que la succession est imposée à la charge des héritiers. Le problème ne concerne donc pas exclusivement la situation personnelle du défunt et la responsabilité incombant à l’État membre de résidence dans la prise en compte, conformément au principe de résidence invoqué par le gouvernement néerlandais, de toutes les circonstances et obligations personnelles du défunt, dès lors que ce sont les héritiers qui sont assujettis selon la loi relative aux successions, et redevables d’impôts selon leur part dans l’héritage.

81.      En particulier, dans une situation dans laquelle les héritiers étaient eux-mêmes résidents néerlandais, auxquels s’appliquerait apparemment la même règle d’absence de déductibilité concernant l’acquisition d’un immeuble par succession d’un non-résident, on pourrait se demander si l’État de résidence serait vraiment mieux à même de prendre en considération des obligations telles que celle en cause en l’espèce, qui sont assumées par l’héritier en raison de l’excédent d’attribution (36).

82.      Deuxièmement, l’événement qui fait naître les dettes pour excédent d’attribution est l’acquisition frappée du droit de mutation. Le droit de mutation est donc directement lié au transfert aux héritiers de la propriété du bien immeuble sur lequel porte l’imposition de la succession.

83.      Troisièmement, il convient de relever que la législation litigieuse reconnaît implicitement le caractère comparable des situations où un bien est acquis par succession par un résident et par un non-résident, respectivement. En effet, ladite législation (en l’occurrence, la loi relative aux successions) prévoit qu’un impôt sur les biens acquis par succession est prélevé dans les deux cas, bien que sous la forme tantôt de droits de succession, tantôt de droits de mutation. Il ressort clairement du dossier que, sous réserve des possibilités de déduction, ces deux impôts constituent, en principe, les deux faces d’une même médaille.

84.      Dans ces conditions, on ne peut pas, selon nous, prétendre que, en ce qui concerne la déductibilité des dettes pour excédent d’attribution, la situation d’une personne qui hérite un bien immeuble d’un non-résident est objectivement différente de celle d’une personne qui en hérite d’un résident. En conséquence, nous ne voyons pas en quoi le simple fait que le de cujus n’était, au moment du décès, pas résident de l’État membre dans lequel est situé le bien immeuble faisant partie de son patrimoine pourrait permettre de justifier objectivement le refus fait à un héritier de déduire, dans une situation comme celle soumise à la juridiction de renvoi, les dettes pour excédent d’attribution assumées par lui à l’occasion de son acquisition dudit bien par succession.

85.      Il s’ensuit que la différence de traitement fiscal litigieuse constitue une discrimination arbitraire et, partant, elle est incompatible avec les dispositions du traité relatives à la libre circulation des capitaux.

86.      Ajoutons, pour terminer, que, ainsi que la Commission l’a fait observer avec raison, la question de savoir si, ou dans quelle mesure, l’État membre de résidence du défunt peut accorder un crédit d’impôt ou un avantage fiscal ne peut revêtir aucune importance à cet égard.

87.      Il s’agit là, en fait, d’une conséquence de l’absence de règles communes régissant les compétences fiscales respectives des États membres (37). À cause de cette absence de règles communes – en particulier dans des cas comme en l’espèce, où aucune convention préventive de la double imposition ne s’applique – les obligations d’un État membre au titre des dispositions du traité concernant la libre circulation des capitaux dépendraient, de façon aléatoire, de la manière dont un autre État membre a choisi d’exercer sa compétence fiscale. En outre, il serait très difficile d’établir systématiquement dans chaque cas, et ce même dans l’hypothèse où l’État membre de résidence octroierait un avantage fiscal ou un crédit d’impôt, si le désavantage créé par l’imposition dans l’État membre de situation du bien est tout à fait compensé.

88.      De plus, à supposer même que le désavantage subi en l’espèce par l’héritier dans l’État membre de situation serait entièrement compensé par un crédit d’impôt ou un avantage fiscal accordé par l’État membre de résidence du de cujus, cela ne serait pas nécessairement le cas si ce dernier avait résidé dans un État membre différent.

89.      Il ressort aussi clairement de la jurisprudence que, pour déterminer si les dispositions du traité concernant la libre circulation des capitaux ont été enfreintes dans le domaine des impôts directs, la Cour suit, en règle générale, une approche par État (38).

90.      S’agissant, plus particulièrement, de l’argument soulevé par le gouvernement néerlandais, tiré du fait que la prise en compte des dettes pour excédent d’attribution pourrait aboutir à une double déduction, une jurisprudence bien établie de la Cour veut qu’un ressortissant communautaire ne saurait être privé de la possibilité de se prévaloir des dispositions du traité au motif qu’il profite des avantages fiscaux légalement offerts par les normes en vigueur dans un État membre autre que celui dans lequel il réside (39).

91.      Nous concluons de ce qui précède que les dispositions du traité concernant la libre circulation des capitaux s’opposent à une réglementation nationale qui, à l’instar de la législation en cause au principal, prévoit la possibilité de prendre en compte – afin de déterminer l’assiette de l’impôt dû sur l’acquisition par voie de succession d’un bien immeuble situé sur le territoire de l’État membre concerné – les dettes liées à un excédent d’attribution résultant d’un testament-partage si le de cujus résidait, au moment de son décès, dans cet État membre, mais pas s’il résidait dans un autre État membre. La question de savoir si, ou dans quelle mesure, l’État membre de résidence du de cujus peut accorder un avantage fiscal est, à cet égard, sans importance.

V –    Conclusion

92.      Compte tenu des considérations qui précèdent, nous proposons à la Cour de répondre comme suit aux questions posées par le Hoge Raad der Nederlanden:

«Les dispositions du traité CE concernant la libre circulation des capitaux s’opposent à une réglementation nationale qui, à l’instar de la législation en cause au principal, prévoit la possibilité de prendre en compte – afin de déterminer l’assiette de l’impôt dû sur l’acquisition par voie de succession d’un bien immeuble situé sur le territoire de l’État membre concerné – les dettes liées à un excédent d’attribution résultant d’un testament-partage si le de cujus résidait, au moment de son décès, dans cet État membre, mais pas s’il résidait dans un autre État membre.

La question de savoir si, ou dans quelle mesure, l’État membre de résidence du de cujus peut accorder un avantage fiscal est, à cet égard, sans importance.»


1 – Langue originale: l’anglais.


2 – Affaire C-11/07, pendante devant la Cour.


3 – Arrêt du 11 décembre 2003 (C-364/01, Rec. p. I-15013).


4 – Arrêt du 23 février 2006 (C-513/03, Rec. p. I-1957).


5 – JO L 178, p. 5.


6 – Précitée note 3.


7 – Arrêt du 12 juin 2003 (C-234/01, Rec. p. I-5933).


8 – À ce propos, la juridiction de renvoi compare les approches suivies, respectivement, dans l’arrêt Barbier, précité note 3, en particulier au point 62 dudit arrêt, et dans l’arrêt Gerritse, précité note 7.


9 – Précité note 4.


10 – Précité note 7, point 27.


11 – Précité note 3.


12 – Il est fait référence, à ce propos, aux arrêts Gerritse, précité note 7, et du 14 février 1995, Schumacker (C-279/93, Rec. p. I-225).


13 – Arrêt du 14 décembre 2006 (C-170/05, Rec. p. I-11949).


14 – Précité note 3.


15 – Ibidem.


16 – En particulier, comme on pourra le constater dans ce qui suit, on ne peut pas répondre à la question de savoir s’il s’est produit une restriction ou une discrimination interdite par les dispositions en matière de libre circulation des capitaux à moins de disposer d’un point de référence ou d’appliquer une méthode de comparaison.


17 – Voir, notamment, arrêts du 7 septembre 2004, Manninen (C-319/02, Rec. p. I-7477, point 19); du 14 septembre 2006, Centro di Musicologia Walter Stauffer (C-386/04, Rec. p. I-8203, point 15), et du 29 mars 2007, Rewe Zentralfinanz (C-347/04, Rec. p. I-2647, point 21).


18 – Voir entre autres, à cet égard, arrêts du 17 janvier 2008, Jäger (C-256/06, non encore publié au Recueil, point 25), et van Hilten-van der Heijden, précité note 4, point 42.


19 – Voir, en ce sens, arrêts Barbier, précité note 3, point 62; van Hilten-van der Heijden, précité note 4, point 44, et, plus récemment, Jäger, précité note 18, point 30.


20 – Voir conclusions de l’avocat général Mischo rendues dans l’affaire Barbier, précitée note 3, point 30.


21 – Voir, en ce sens, arrêt Jäger, précité note 18, point 32, où la Cour a considéré comme déterminant, dans le contexte de cette affaire, le fait que les règles nationales en cause aboutissent à ce qu’une succession soit soumise à des droits de succession plus élevés que ceux qui seraient dus dans une situation purement interne.


22 – Précité note 12.


23 – Précité note 7.


24 – Voir, en ce sens, arrêts du 12 mai 1998, Gilly (C-336/96, Rec. p. I-2793, points 24 et 30), et du 21 septembre 1999, Saint-Gobain ZN (C-307/97, Rec. p. I-6161, point 57).


25 – En ce sens, voir, notamment, arrêts du 25 octobre 2007, Porto Antico di Genova (C-427/05, non encore publié au Recueil, point 19), et du 14 novembre 2006, Kerckhaert et Morres (C-513/04, Rec. p. I-10967, point 22).


26 – Voir, notamment, arrêt Gerritse, précité note 7, point 45.


27 – Dans son arrêt Schumacker, précité note 12, la Cour a estimé que, en matière d’impôt sur le revenu, la situation du résident n’est, en règle générale, pas comparable à celle du non-résident, «dans la mesure où l’essentiel de ses revenus est normalement centralisé dans l’État de résidence. Par ailleurs, cet État dispose généralement de toutes les informations nécessaires pour apprécier la capacité contributive globale du contribuable, compte tenu de sa situation personnelle et familiale» (points 31 et 33).


28 – Voir, notamment, arrêts du 13 décembre 2005, Marks & Spencer (C-446/03, Rec. p. I-10837, point 37); Manninen, précité note 17, point 28, et Jäger, précité note 18, point 40.


29 – Voir, entre autres, à cet égard, arrêts Manninen, précité note 17, points 28 et 29; du 6 juin 2000, Verkooijen (C-35/98, Rec. p. I-4071, point 43); du 5 juillet 2005, D. (C-376/03, Rec. p. I-5821, point 25), et du 8 septembre 2005, Blanckaert (C-512/03, Rec. p. I-7685, point 42).


30 – Voir, en ce sens, arrêt Schumacker, précité note 12, point 30. Voir aussi, notamment, arrêts du 17 juillet 1997, National Farmers’ Union e.a. (C-354/95, Rec. p. I-4559, point 61), et du 2 octobre 2003, Garcia Avello (C-148/02, Rec. p. I-11613, point 31).


31 – Voir, à ce propos, arrêt Marks & Spencer, précité note 28, point 38.


32 – Voir, à ce sujet, arrêt du 28 janvier 1986, Commission/France (270/83, Rec. p. 273, point 20). Voir aussi les conclusions présentées par l’avocat général Lenz dans l’affaire Futura Participations et Singer (arrêt du 15 mai 1997, C-290/95, Rec. p. I-2471, points 38 et 39).


33 – Arrêt précité note 13, point 35. Voir aussi arrêt du 12 décembre 2006, Test Claimants in Class IV of the ACT Group Litigation (C-374/04, Rec. p. I-11673, point 68).


34 – Arrêt précité note 7, points 27 et 28. En ce qui concerne la référence à un «lien direct», voir aussi arrêts du 19 janvier 2006, Bouanich (C-265/04, Rec. p. I-923, point 40) et Jäger, précité note 18, point 44.


35 – Arrêt cité à la note précédente, points 39 et 40. La Cour s’est également référée au critère du «lien direct» dans son arrêt Jäger, précité note 18, point 44. Il nous paraît, cependant, que la question de savoir ce qui constitue un «lien direct» suffisant doit, dans une large mesure, être appréciée à la lumière des circonstances concrètes de la cause et, particulièrement, du type d’impôt dont il s’agit. Nous ne sommes donc pas persuadé qu’il soit utile, voire même possible, de faire, comme le suggère le gouvernement belge, une distinction abstraite selon l’intensité variable du caractère direct du lien qui unirait une obligation ou charge à, par exemple, un actif sur lequel un impôt est perçu.


36 – Voir, dans ce contexte, note 27 ci-dessus. Vu sous cet angle, le cas d’espèce présente également une ressemblance avec des affaires où il était question de l’imposition de revenus d’origine étrangère, par exemple des dividendes, par l’État membre de résidence du contribuable, à l’instar de celle où la Cour a estimé que, à l’égard de la législation fiscale de l’État de résidence, la position d’un actionnaire percevant des dividendes ne devient pas nécessairement différente du seul fait qu’il perçoit ceux-ci d’une société établie dans un autre État membre qui, dans l’exercice de sa compétence fiscale, soumet ces dividendes à une retenue à la source au titre de l’impôt sur le revenu (voir en ce sens, notamment, arrêt Kerckhaert et Morres, précité note 25, point 19).


37 – Voir point 66 ci-dessus.


38 – C’est ainsi que la Cour a repoussé l’argument selon lequel c’est à un autre État qu’il appartenait, même s’il existait une convention préventive de la double imposition, de corriger les effets d’une restriction (voir, en ce sens, arrêts Denkavit Internationaal et Denkavit France, précité note 13, points 51 et 52, et du 8 novembre 2007, Amurta, C-379/05, non encore publié au Recueil, point 55).


39 – Voir, notamment, arrêt Barbier, précité note 3, point 71.