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CONCLUSIONS DE L’AVOCAT GÉNÉRAL

Mme Juliane Kokott

présentées le 6 mai 2010 (1)

Affaire C-84/09

X

contre

Skatteverket

[demande de décision préjudicielle formée par le Regeringsrätten (Suède)]

«TVA – Directive 2006/112/CE – Acquisition intracommunautaire d’un voilier neuf – Utilisation du bien dans l’État d’origine ou dans un autre État membre avant son transport vers l’État de destination – Délai pour débuter le transport vers l’État de destination – Moment pertinent pour apprécier le caractère neuf du moyen de transport»





I –    Introduction

1.        Par cette demande de décision préjudicielle, le Regeringsrätten (Cour administrative suprême) (Suède) demande à la Cour d’interpréter les règles se rapportant aux acquisitions intracommunautaires contenues dans la directive 2006/112/CE du Conseil, du 28 novembre 2006, relative au système commun de taxe sur la valeur ajoutée (2).

2.        Il s’agit, concrètement, de savoir quel traitement fiscal réserver à l’acquisition d’un voilier neuf dont l’acquéreur, M. X, envisage de prendre livraison au Royaume-Uni, pour l’utiliser trois à cinq mois sur place ou dans un autre État membre, avant de le conduire finalement à son lieu de domicile en Suède. M. X est d’avis que cela représente une livraison sur le territoire de l’État d’origine devant être taxée dans celui-ci. L’administration fiscale suédoise estime au contraire – avec le soutien du gouvernement allemand et de la Commission européenne, dans le cadre de la procédure devant la Cour – que l’on est présence (malgré l’interruption) d’une acquisition intracommunautaire en Suède.

II – Le cadre juridique

A –    Le droit de l’Union

3.        Le onzième considérant de la directive 2006/112 est ainsi formulé:

«Il convient également de taxer, au cours de cette période transitoire, dans les États membres de destination, aux taux et conditions de ces États membres, les acquisitions intracommunautaires effectuées pour un certain montant par des assujettis exonérés ou par des personnes morales non assujetties ainsi que certaines opérations intracommunautaires de ventes à distance et de livraisons de moyens de transport neufs effectuées à des particuliers ou à des organismes exonérés ou non assujettis, dans la mesure où ces opérations, à défaut de dispositions particulières, risqueraient de conduire à d’importantes distorsions de concurrence entre les États membres.»

4.        Les passages qui nous intéressent, dans l’article 2, paragraphe 1, sous a) et b), de la directive 2006/112, sont les suivants:

«Sont soumises à la [taxe sur la valeur ajoutée, ci-après la «TVA»] les opérations suivantes:

a)      les livraisons de biens effectuées à titre onéreux sur le territoire d’un État membre par un assujetti agissant en tant que tel;

b)      les acquisitions intracommunautaires de biens effectuées à titre onéreux sur le territoire d’un État membre:

[…]

ii)      lorsqu’il s’agit de moyens de transport neufs, par un assujetti ou par une personne morale non assujettie, dont les autres acquisitions ne sont pas soumises à la TVA en vertu de l’article 3, paragraphe 1, ou par toute autre personne non assujettie;

[…]»

5.        L’article 2, paragraphe 2, de la directive 2006/112 ajoute:

«a)      Aux fins du paragraphe 1, point b) ii), sont considérés comme ‘moyens de transport’, les moyens de transport suivants, destinés au transport de personnes ou de marchandises:

[…]

ii)      les bateaux d’une longueur de plus de 7,5 mètres, à l’exception des bateaux affectés à la navigation en haute mer et assurant un trafic rémunéré de voyageurs ou à l’exercice d’une activité commerciale, industrielle ou de pêche, ainsi que des bateaux de sauvetage et d’assistance en mer et des bateaux affectés à la pêche côtière;

[…]

b)      Ces moyens de transport sont considérés comme «neufs» dans les cas suivants:

[…]

ii)      pour les bateaux, lorsque la livraison est effectuée dans les trois mois après la première mise en service ou que le bateau a navigué un maximum de 100 heures;

[…]

c)      Les États membres fixent les conditions dans lesquelles peuvent être établies les données visées au point b).»

6.        L’article 14, paragraphe 1, de la directive 2006/112 définit ainsi la notion de «livraison de biens»:

«Est considéré comme “livraison de biens” le transfert du pouvoir de disposer d’un bien corporel comme un propriétaire.»

7.        En vertu de l’article 20, paragraphe 1, de la directive 2006/112, est considérée comme une «acquisition intracommunautaire de biens l’obtention du pouvoir de disposer comme un propriétaire d’un bien meuble corporel expédié ou transporté à destination de l’acquéreur, par le vendeur, par l’acquéreur ou pour leur compte, vers un État membre autre que celui de départ de l’expédition ou du transport du bien».

8.        Le lieu d’une acquisition intracommunautaire de biens est défini à l’article 40 de la directive 2006/112 comme étant l’endroit où les biens se trouvent au moment de l’arrivée de l’expédition ou du transport à destination de l’acquéreur.

9.        L’article 68 de la directive 2006/112 précise que le fait générateur, en cas d’acquisition intracommunautaire de biens, se produit au moment où l’acquisition intracommunautaire de biens est effectuée. Selon l’article 68, celle-ci est réputée effectuée au moment où la livraison de biens similaires sur le territoire de l’État membre est considérée comme effectuée.

10.      L’article 138 de la directive 2006/112 régit l’exonération des livraisons intracommunautaires de biens:

«1.       Les États membres exonèrent les livraisons de biens expédiés ou transportés en dehors de leur territoire respectif mais dans la Communauté par le vendeur, par l’acquéreur ou pour leur compte, effectuées pour un autre assujetti, ou pour une personne morale non assujettie, agissant en tant que tel dans un État membre autre que celui du départ de l’expédition ou du transport des biens.

2.       Outre les livraisons visées au paragraphe 1, les États membres exonèrent les opérations suivantes:

a)      les livraisons de moyens de transport neufs expédiés ou transportés en dehors de leur territoire respectif mais dans la Communauté à destination de l’acquéreur, par le vendeur, par l’acquéreur ou pour leur compte, effectuées pour des assujettis ou pour des personnes morales non assujetties, dont les acquisitions intracommunautaires de biens ne sont pas soumises à la TVA en vertu de l’article 3, paragraphe 1, ou pour toute autre personne non assujettie;

[…]»

B –    Le droit suédois

11.      En vertu du chapitre 1, article 1er, de la Mervärdesskattelag (loi 1994:200 relative à la taxe sur la valeur joutée, ci-après la «loi sur la TVA»), la TVA est due au Trésor notamment en cas de vente imposable de biens effectuée sur le territoire suédois dans le cadre d’une activité professionnelle ainsi qu’en cas d’acquisitions intracommunautaires imposables de biens de nature mobilière. En vertu du chapitre 2 a, article 3, de la loi sur la TVA, un bien consistant en un moyen de transport neuf est réputé avoir été acquis dans le cadre d’une acquisition intracommunautaire s’il s’agit d’un moyen de transport neuf visé au chapitre 1, article 13 a, de cette loi.

12.      En vertu du chapitre 3, article 30 a, de la loi sur la TVA, sont exonérées les ventes de moyens de transport neufs transportés hors de Suède vers un autre État membre par le vendeur, par l’acheteur ou pour leur compte, même si l’acheteur n’est pas enregistré comme assujetti à la TVA.

13.      Constitue une acquisition intracommunautaire, selon le chapitre 2 a, article 2, de la loi sur la TVA, le fait pour une personne d’acquérir un bien à titre onéreux, lorsque ce bien est transporté vers l’acquéreur par lui-même, par le vendeur ou par un tiers pour leur compte et que le transport a lieu vers la Suède à partir d’un autre État membre.

14.      Le chapitre 1, article 13 a, de la loi sur la TVA considère notamment comme moyens de transport neufs les bateaux – sous réserve de quelques exceptions sans importance ici – dont la longueur dépasse 7,5 mètres, lorsque la vente en est effectuée dans les trois mois après la première mise en service ou que le bateau a navigué un maximum de 100 heures avant la vente.

III – Les faits et les questions préjudicielles

15.      M. X, un particulier domicilié en Suède, a l’intention d’acquérir au Royaume-Uni un voilier de plus de 7,5 mètres de longueur, pour son usage privé. Après la livraison du bateau, M. X envisage de l’utiliser pour ses loisirs soit dans l’État d’origine pendant une durée de trois à cinq mois et, ce faisant, de naviguer avec ce bateau pendant plus de 100 heures, soit, autre possibilité, de convoyer le voilier, directement après la livraison, hors de l’État d’origine pour l’utiliser de façon identique dans un État membre autre que le Royaume de Suède. Dans les deux hypothèses, le bateau serait, après l’utilisation projetée, convoyé par la mer jusqu’en Suède, sa destination finale.

16.      Pour connaître les conséquences fiscales de l’acquisition en question, M. X a saisi le Skatterättsnämnd (commission de droit fiscal) de la question de savoir si l’acquisition serait, dans l’une ou l’autre de ces hypothèses, imposable en Suède.

17.      Le Skatterättsnämnd a conclu qu’il fallait dans les deux cas considérer que M. X a effectué une acquisition intracommunautaire d’un moyen de transport neuf, pour laquelle il lui faudrait acquitter la TVA en Suède. M. X a intenté un recours contre ce rescrit devant le Regeringsrätten. Il estime en effet que la livraison du bateau doit être taxée comme une livraison effectuée à l’intérieur du Royaume-Uni. C’est dans ce contexte que le Regeringsrätten a posé à la Cour les questions suivantes, par décision du 16 février 2009:

1)      Les articles 138 et 20 de la directive relative au système commun de taxe sur la valeur ajoutée doivent-ils être interprétés en ce sens que le transport à partir du territoire de l’État d’origine doit avoir commencé dans un certain délai pour que la vente soit exonérée de la taxe et qu’une acquisition intracommunautaire puisse être réputée exister?

2)      De façon analogue, lesdits articles doivent-ils être interprétés en ce sens que le transport doit avoir été achevé dans l’État de destination dans un certain délai pour que la vente soit exonérée de la taxe et qu’une acquisition intracommunautaire puisse être réputée exister?

3)      La réponse aux première et deuxième questions est-elle affectée par le fait que le bien acquis est un moyen de transport neuf et que l’acquéreur est un particulier dont l’intention est, en définitive, d’utiliser le moyen de transport dans un certain État membre?

4)      À quel moment faut-il se placer, en cas d’acquisition intracommunautaire, pour apprécier si un moyen de transport est neuf au sens de l’article 2, paragraphe 2, sous b), de la directive?

18.      Au cours de la procédure écrite devant la Cour, M. X, le Skatteverket (administration fiscale suédoise), le gouvernement allemand et la Commission ont présenté des observations. À l’audience, M. X, le gouvernement suédois ainsi que la Commission ont présenté des observations orales.

IV – Analyse juridique

A –    Sur les première et troisième questions

19.      Les trois premières questions préjudicielles, qu’il faut examiner ensemble, visent à préciser à quelles conditions il y a acquisition intracommunautaire au sens de l’article 20 de la directive 2006/112 et livraison intracommunautaire exonérée au sens de l’article 138 de ladite directive, dans le cas où le bien n’est pas immédiatement transporté de l’État d’origine vers l’État de destination. Le Regeringsrätten demande également à cette occasion s’il faut accorder de l’importance au fait que le bien acquis est un moyen de transport neuf et que l’acquéreur est un particulier qui envisage d’utiliser finalement le moyen de transport dans un État membre déterminé (troisième question).

20.      En vertu des dispositions de l’article 2, paragraphe 1, sous a), ii), et de l’article 2, sous b), ii), de la directive 2006/112, l’acquisition intracommunautaire d’un bateau neuf d’une longueur supérieure à 7,5 mètres par une personne non assujettie à la TVA est imposable sur le territoire de l’État d’acquisition.

21.      L’article 20 de la directive 2006/112 définit l’acquisition intracommunautaire comme le transfert du pouvoir de disposer comme un propriétaire d’un bien meuble corporel expédié ou transporté à destination de l’acquéreur, par le vendeur, par l’acquéreur ou pour leur compte, vers un État membre autre que celui de départ de l’expédition ou du transport du bien.

22.      De façon cohérente avec ces dispositions, l’article 138, paragraphe 1, de la directive 2006/112 fait dépendre l’exonération de la livraison intracommunautaire du point de savoir si le bien concerné est expédié ou transporté hors du territoire de l’État de départ – mais à l’intérieur de la Communauté – à destination de l’acquéreur, par le vendeur ou l’acquéreur ou pour leur compte.

23.      Le fait générateur de l’imposition suppose donc, dans le cas de l’acquisition intracommunautaire, que soit remplie une double condition: premièrement, l’acquéreur doit obtenir le pouvoir de disposer du bien comme un propriétaire; deuxièmement, le bien doit être expédié ou transporté de l’État d’origine vers un autre État membre. Cette deuxième condition est exigée à titre cumulatif pour que la livraison soit exonérée dans l’État d’origine. Ainsi, selon la jurisprudence de la Cour, la qualification de livraison ou d’acquisition intracommunautaires doit s’effectuer sur la base d’éléments objectifs, tels que l’existence d’un mouvement physique des biens concernés entre des États membres (3).

24.      Cependant, il n’est pas possible de déduire du libellé de ces dispositions quel rapport doit exister, du point de vue temporel ou factuel, entre l’obtention des pouvoirs de propriétaire et le début ou la fin du transport dans un autre État membre.

25.      M. X est d’avis que l’on cesse d’être en présence d’une acquisition intracommunautaire dans le cas où le voilier a été utilisé plus de trois mois ou plus de 100 heures avant que ne débute le transport vers l’État de destination. En effet, la mise en service dans l’État d’origine ne devrait pas être considérée comme constituant le début du transport si le trajet vers le port de destination n’est pas entrepris immédiatement. La sécurité juridique voudrait que l’on impose le respect d’un délai clairement défini.

26.      Les autres parties à la procédure estiment, au contraire, qu’il faut examiner l’opération sous un angle global, et que le temps écoulé entre la remise à l’acquéreur et l’expédition ou le transport ne représente qu’un des multiples aspects à prendre en compte. S’il est clair d’emblée que l’utilisation finale aura lieu dans un autre État membre que l’État membre d’origine, cela revêt une importance déterminante en faveur de l’existence d’une acquisition intracommunautaire dans l’État de destination.

27.      On peut se demander lequel des deux points de vue correspond à l’esprit et à l’économie des règles gouvernant l’acquisition intracommunautaire. À cet égard, il est utile de retracer, pour commencer, le contexte dans lequel les dispositions relatives aux échanges intracommunautaires ont été adoptées (4).

28.      La TVA est une taxe qui frappe la consommation privée à l’intérieur du pays. C’est ainsi que la livraison de biens et la fourniture de services à l’intérieur du pays sont soumis à la taxe [article 2, paragraphe 1, sous a) et c), de la directive 2006/112]. Par ailleurs, l’acquisition intracommunautaire ainsi que l’importation de biens [article 2, paragraphe 1, sous b) et d), de la directive 2006/112] sont imposables. La taxation de ces deux dernières opérations permet que les biens soient soumis à la taxe dans l’État d’acquisition/importation où ils font l’objet d’une consommation privée (5).

29.      Le fait générateur que constitue l’acquisition intracommunautaire est apparu le 1er janvier 1993 dans le cadre du régime transitoire de taxation des échanges entre les États membres (6). Avant cela, les livraisons de biens entre deux États membres étaient traitées comme des livraisons relevant du commerce international en général. Le franchissement de frontière lors de l’exportation et de l’importation représentait alors le point de rattachement décisif pour l’imposition. La réalisation du marché intérieur a entraîné la suppression des contrôles aux frontières intérieures, ce qui a rendu nécessaire une refonte de la réglementation de la TVA en ce qui concerne les échanges intracommunautaires.

30.      La réforme n’est toutefois pas allée jusqu’à étendre aux échanges entre deux États membres les règles applicables aux livraisons de biens réalisées à l’intérieur du pays. Car cela aurait impliqué que la TVA ne revienne plus à l’État dans lequel le bien est importé et dans lequel il est consommé, mais à celui à partir duquel il est expédié. Le régime transitoire laisse au contraire intacte la répartition antérieure des compétences d’imposition entre les États membres (7).

31.      Afin que la TVA continue de revenir à l’État dans lequel intervient la consommation finale, il a été prévu que l’acquisition intracommunautaire constitue un nouveau fait générateur de la taxe, tandis que la livraison à l’intérieur du pays est exonérée.

32.      L’expédition ou le transport vers un autre État membre représentent également un élément déterminant pour distinguer une livraison à l’intérieur du pays d’une livraison intracommunautaire. Cet élément constitutif permet de parvenir à une répartition des compétences fiscales entre l’État de livraison et l’État de destination qui tienne compte de la consommation finale du bien.

33.      Outre la répartition des compétences fiscales, les règles relatives à l’imposition de l’acquisition intracommunautaire de moyens de transport neufs ont pour objectif spécifique, comme le montre l’onzième considérant de la directive 2006/112, d’éviter les distorsions de concurrence susceptibles de résulter de l’application de taux différents dans les États membres.

34.      Tandis que l’article 2, paragraphe 1, sous b), i), de la directive 2006/112 prévoit en règle générale que seule l’acquisition intracommunautaire réalisée par des assujettis, ou des personnes morales non assujetties, est imposée, dans le cas particulier des moyens de transport neufs, le législateur a également soumis à la taxe l’acquisition réalisée par des particuliers. En raison de la valeur importante (8) et du caractère facilement transportable de ces biens, les particuliers se verraient incités, si la livraison devait être imposée dans l’État d’origine, à acquérir ces moyens de transport dans les États qui appliquent des taux de TVA peu élevés. L’imposition dans l’État d’acquisition garantit que l’acquéreur aura à verser le même montant de taxe quel que soit l’État dans lequel il se procure le moyen de transport. Ainsi les règles excluent-elles que des vendeurs de moyens de transport puissent tirer un avantage concurrentiel du seul fait qu’ils sont établis dans un État qui applique un taux de TVA peu élevé.

35.      Il faut interpréter les dispositions relatives à l’acquisition intracommunautaire de telle sorte que la répartition des compétences fiscales et l’égalité face à la concurrence ne puissent pas être contournées grâce à des montages fiscaux conçus à cette fin.

36.      Comme le Skatteverket, le gouvernement allemand et la Commission l’observent avec raison, les assujettis pourraient décider arbitrairement, sans qu’il n’existe aucun lien avec le pays de consommation, du lieu où l’acquisition d’un nouveau moyen de transport sera imposée, dans l’hypothèse où l’attribution du pouvoir d’imposition à l’État d’acquisition ne dépendrait que du seul point de savoir si le moyen de transport quitte l’État d’origine ou arrive dans l’État de destination à l’intérieur d’un délai déterminé. De plus, des retards involontaires affectant le transport pourraient venir modifier la répartition des compétences d’imposition, même si le bien en question est clairement introduit, aux fins de consommation finale, dans un autre État membre que l’État de livraison.

37.      Au lieu de s’en tenir à des délais rigides, que la directive 2006/112 elle-même ne prévoit d’ailleurs pas, il convient de rechercher dans quel État membre la consommation finale interviendra, en se fondant sur une appréciation globale de tous les éléments pertinents. À cet effet, il convient de prendre en compte avant tout des données objectives.

38.      Dans le présent cas, outre le déroulement dans le temps du transport, le lieu d’immatriculation du voilier ainsi que l’endroit où l’acquéreur dispose d’une place de stationnement durable pour le bateau peuvent aussi avoir une importance certaine. Le lieu du domicile d’un acquéreur privé peut également constituer un indice pour déterminer où le bateau sera finalement utilisé de façon durable. Pour l’appréciation du temps écoulé, la distance entre l’État de livraison et l’État de destination peut notamment jouer un rôle, ainsi que la durée de vie du bien livré. Si le transfert n’a représenté qu’un temps tout à fait négligeable par rapport à la durée totale de vie du moyen de transport, on peut s’attendre à ce que la consommation du bien ait lieu essentiellement dans l’État de destination.

39.      Même si les notions de livraison intracommunautaire et d’acquisition intracommunautaire ont un caractère objectif et s’appliquent indépendamment des buts et des résultats des opérations concernées (9), il est néanmoins nécessaire de tenir compte des intentions que l’acquéreur exprime (10) lors de la livraison, étayées par des éléments objectifs, en ce qui concerne le lieu de l’utilisation finale. En effet, le vendeur doit déjà savoir au moment où il établit la facture s’il doit y faire figurer la TVA ou s’il peut s’en dispenser parce qu’il y aura une livraison intracommunautaire exonérée.

40.      De plus, le fait générateur de la taxe que représente l’acquisition intracommunautaire se produit, selon l’article 68 de la directive 2006/112, dès le moment où la livraison de biens similaires sur le territoire de l’État membre est considérée comme effectuée. Le moment à prendre en considération à cet effet est, selon les dispositions combinées des articles 63 et 14 de ladite directive, la date à laquelle l’acquéreur obtient le pouvoir de disposer du bien comme un propriétaire. Si l’acquéreur récupère lui-même le bien dans l’État d’origine, la condition d’une livraison à l’intérieur du territoire de cet État membre est remplie. Le point de savoir s’il y a effectivement, au lieu d’une telle livraison, une acquisition intracommunautaire dans un autre État membre ne peut être déterminé, à ce stade, qu’au vu des indications données par l’acquéreur quant au transport projeté dans un autre État membre et à l’utilisation finale qui y prendra place.

41.      L’acquisition intracommunautaire d’un moyen de transport par une personne privée constitue à cet égard un cas particulier. D’abord parce qu’il est inhabituel ici qu’une personne en soi non assujettie réalise une opération génératrice de la taxe. Ensuite parce que, dans ce cas, il est fréquent que la mise en service d’un moyen de transport par un acquéreur privé dans l’État d’origine ne puisse pas être clairement distinguée du début du transport vers l’État de destination.

42.      Ces circonstances particulières n’ont cependant pas pour effet de rendre nécessaire, aux fins de distinguer entre livraison à l’intérieur du pays et acquisition intracommunautaire, la fixation d’un délai déterminé à respecter entre la remise du moyen de transport à l’acquéreur et le début du transport du bien hors du territoire de l’État d’origine vers l’État de destination. L’objectif recherché avec la réglementation spéciale de l’article 2, paragraphe 1, sous a), ii), et paragraphe 2, sous b), ii), de la directive 2006/112, à savoir éviter les distorsions de concurrence, impose précisément dans ce contexte de se fonder non pas exclusivement sur l’aspect «délai», mais sur une appréciation de l’ensemble des circonstances, y compris les intentions de l’acquéreur étayées par des éléments concrets.

43.      M. X est toutefois d’avis que le principe de la sécurité juridique suppose la fixation d’un délai précis.

44.      En vertu de la jurisprudence constante, le principe de la sécurité juridique s’impose avec une rigueur particulière lorsqu’il s’agit d’une réglementation susceptible de comporter des conséquences financières, afin de permettre aux intéressés de connaître avec exactitude l’étendue des obligations qu’elle leur impose (11).

45.      Par ailleurs, la Cour a par principe refusé, pour des raisons de sécurité juridique, de faire dépendre la qualification d’opération intracommunautaire de la seule intention du vendeur ou de l’acquéreur d’effectuer une telle opération (12). Toutefois cette solution repose aussi sur l’idée qu’il faut épargner à l’administration fiscale des recherches visant à établir quelle était l’intention de l’assujetti. La Cour a en outre expressément émis une réserve pour les cas exceptionnels.

46.      C’est pourquoi il n’est pas contraire au principe de la sécurité juridique que la qualification d’acquisition intracommunautaire dépende, dans un cas tel que celui de l’espèce, d’une appréciation globale de toutes les circonstances, y compris l’intention exprimée par l’acquéreur si elle est étayée par des éléments objectifs, en ce qui concerne le lieu de l’utilisation du bien. Cette manière de procéder n’a pas pour résultat de faire peser sur l’acquéreur l’obligation d’acquitter la taxe due au titre de l’acquisition intracommunautaire de façon non prévisible, car ses propres indications quant à l’utilisation finale sont prises en compte.

47.      Selon M. X, la livraison intracommunautaire au Royaume-Uni ne pourrait être exonérée que si le bateau a quitté le territoire de cet État membre dans un délai de deux mois. Il existerait alors un risque de double imposition dans la mesure où la livraison serait, au-delà d’un tel délai, imposable en tant que livraison effectuée sur le territoire de l’État d’origine, mais où il existe simultanément une acquisition intracommunautaire imposable dans l’État de destination.

48.      Il convient de constater à cet égard que la livraison intracommunautaire d’un bien et l’acquisition intracommunautaire de celui-ci représentent en réalité une seule et même opération économique, bien que cette dernière crée différents droits et obligations tant pour les parties à la transaction que pour les autorités fiscales des États membres concernés (13).

49.      Il est vrai que, conformément à l’article 21 du règlement (CE) n° 1777/2005 du Conseil, du 17 octobre 2005, portant mesures d’exécution de la directive 77/388/CEE relative au système commun de taxe sur la valeur ajoutée (14), l’État membre d’arrivée de l’expédition ou du transport de biens dans lequel est effectuée une acquisition intracommunautaire exerce sa compétence d’imposition quel que soit le traitement de la TVA qui a été appliqué à l’opération dans l’État membre de départ de l’expédition ou du transport de biens. Les deux États membres doivent néanmoins se fonder, à cette occasion, sur une interprétation uniforme des règles d’exonération des livraisons intracommunautaires (article 138 de la directive 2006/112) et d’imposition des acquisitions intracommunautaires (article 20 de la directive 2006/112).

50.      Ces dispositions doivent se voir reconnaître, compte tenu de la corrélation matérielle et temporelle existant entre la livraison et le transport ou l’expédition dans l’État membre de destination, une signification et une portée identiques (15). À défaut, l’exonération de la livraison intracommunautaire n’assumerait plus sa fonction, qui est d’éviter la double imposition des livraisons dans les échanges intracommunautaires et, par voie de conséquence, de garantir la neutralité fiscale (16).

51.      Il faut ajouter que l’exonération fiscale des livraisons intracommunautaires s’applique, conformément à l’article 131 de la directive 2006/112, dans les conditions que les États membres fixent en vue d’assurer l’application correcte et simple des exonérations et de prévenir toute fraude, évasion et abus éventuels. Cela exclut en principe la possibilité que l’État membre d’origine fixe des délais précis à l’intérieur desquels le bien faisant l’objet d’une livraison intracommunautaire doit avoir quitté son territoire.

52.      Dans l’exercice de leurs compétences, les États membres n’en doivent pas moins respecter les principes généraux qui font partie du droit de l’Union, auxquels appartiennent notamment le principe de la sécurité juridique et le principe de proportionnalité (17). Les mesures que les États membres ont la faculté d’adopter afin d’assurer l’exacte perception de la taxe et d’éviter la fraude ne peuvent pas être utilisées de manière telle qu’elles remettraient en cause la neutralité de la TVA (18).

53.      C’est pourquoi les réglementations nationales qui subordonnent l’exonération d’une livraison intracommunautaire au respect de certains délais pour procéder à l’expédition ou au transport doivent conserver suffisamment de souplesse pour accorder également l’exonération dans des cas particuliers, lorsque le bien a en pratique quitté le territoire de l’État concerné après une période un peu plus longue et qu’il s’avère, au vu de l’ensemble des circonstances, que l’utilisation finale a lieu dans un autre État membre. Il faut que, dans ces conditions au moins, il existe une possibilité de correction quant à la détermination de l’imposition, lorsque cela ne met pas en danger la recette fiscale et que les intéressés ont agi de bonne foi (19).

54.      Il convient par conséquent de répondre aux première à troisième questions préjudicielles que, pour pouvoir qualifier une opération concernant un bateau de plus 7,5 mètres de long de livraison intracommunautaire exonérée au sens de l’article 138 de la directive 2006/112 et d’acquisition intracommunautaire imposable au sens de l’article 20 de cette directive, il ne suffit pas qu’un délai déterminé ait été respecté, à l’intérieur duquel le moyen de transport a quitté l’État d’origine ou est arrivé dans l’État de destination. Une telle qualification doit, au contraire, se faire au vu d’une appréciation globale de toutes les circonstances objectives et en tenant compte de l’intention de l’acquéreur étayée par des éléments factuels quant à l’utilisation finale du bien.

B –    Sur la quatrième question

55.      Avec sa quatrième question, le Regeringsrätten souhaite savoir à quel moment il faut se placer pour déterminer si un moyen de transport est neuf au sens de l’article 2, paragraphe 2, sous b), de la directive 2006/112.

56.      M. X est d’avis qu’il faut, à cet effet, prendre en compte le moment où le bateau atteint l’État de destination.

57.      Les autres parties intervenues à la procédure insistent cependant, avec raison, sur le texte de l’article 2, paragraphe 2, sous b), ii), de la directive 2006/112. Selon cette disposition, un bateau doit être considéré comme neuf lorsque la livraison est effectuée dans les trois mois après la première mise en service ou que le bateau a navigué un maximum de 100 heures. L’article 14 de ladite directive définit la livraison comme le transfert du pouvoir de disposer d’un bien corporel comme un propriétaire. Ce pouvoir est transféré à l’acquéreur dès le moment où on lui remet le bateau dans l’État d’origine, et non pas lors de l’arrivée de celui-ci dans l’État de destination.

58.      Comme le gouvernement allemand le fait observer, prendre pour critère le moment de l’arrivée dans l’État de destination donnerait aux assujettis la possibilité de jouer sur le lieu de l’imposition, en retardant le transport et ainsi l’arrivée dans l’État de destination au-delà du délai de trois mois visé à l’article 2, paragraphe 2, sous b), ii), de la directive 2006/112. Cela irait à l’encontre de la répartition des compétences fiscales axée sur le lieu de l’utilisation réelle (20).

59.      En outre, il existe un risque que des opérations échappent totalement à la taxe. Ainsi, un assujetti pourrait, dans la situation de M. X, emmener un bateau hors de l’État d’origine en se prévalant de l’exonération au titre de la livraison intracommunautaire, passer plus de 100 heures sur l’eau ou trois mois en haute mer ou séjourner dans un État tiers, puis conduire finalement le bateau dans l’État de destination. Si la qualification de moyen de transport neuf dépendait du moment de l’arrivée dans l’État de destination, l’acquisition intracommunautaire n’existerait alors plus.

60.      Pour déterminer si un moyen de transport est neuf au sens de l’article 2, paragraphe 2, sous b), ii), de la directive 2006/112, il faut donc se placer à la date de la livraison et non à la date de l’arrivée dans l’État de destination.

61.      L’article 40 de la directive 2006/112 ne contredit pas non plus cette solution. En vertu de cette disposition, une acquisition intracommunautaire de biens est réputée se faire dans le lieu où les biens se trouvent au moment de l’arrivée de l’expédition ou du transport à destination de l’acquéreur. Cette disposition sert uniquement à attribuer à l’État de destination le droit d’imposition au titre de l’acquisition intracommunautaire. Elle ne dit rien sur la question de savoir si le bien doit être neuf au moment de son arrivée dans cet État.

62.      Il convient par conséquent de répondre à la quatrième question préjudicielle que, dans le cadre d’une acquisition intracommunautaire, pour déterminer si un moyen de transport est neuf au sens de l’article 2, paragraphe 2, sous b), de la directive 2006/112, il faut se placer à la date de la livraison.

V –    Conclusion

63.      En conclusion, je suggère de répondre ainsi aux questions posées par le Regeringsrätten:

«1)      Pour pouvoir qualifier une opération concernant un bateau de plus 7,5 mètres de long de livraison intracommunautaire exonérée au sens de l’article 138 de la directive 2006/112/CE du Conseil, du 28 novembre 2006, relative au système commun de taxe sur la valeur ajoutée, et d’acquisition intracommunautaire imposable au sens de l’article 20 de cette directive, il ne suffit pas qu’un délai déterminé ait été respecté, à l’intérieur duquel le moyen de transport a quitté l’État d’origine ou est arrivé dans l’État de destination. Une telle qualification doit, au contraire, se faire au vu d’une appréciation globale de toutes les circonstances objectives et en tenant compte de l’intention de l’acquéreur étayée par des éléments factuels quant à l’utilisation finale du bien.

2)      Dans le cadre d’une acquisition intracommunautaire, pour déterminer si un moyen de transport est neuf au sens de l’article 2, paragraphe 2, sous b), de la directive 2006/112, il faut se placer à la date de la livraison.»


1 – Langue originale: le suédois.


2 – JO L 347, p. 1.


3 – Arrêt du 27 septembre 2007, Teleos e.a. (C-409/04, Rec. p. I-7797, point 40).


4 – Voir à ce propos les points 24 à 29 de mes conclusions du 11 janvier 2007 dans l’affaire Teleos e.a., précitée, et les points 19 à 25 de mes conclusions du 10 novembre 2005 dans l’affaire EMAG Handel Eder ayant donné lieu à l’arrêt du 6 avril 2006 (C-245/04, Rec. p. I-3227).


5 – Arrêts EMAG Handel Eder (précité à la note 4, points 31 et 40); Teleos e.a. (précité à la note 3, point 36); du 27 septembre 2007, Collée (C-146/05, Rec. p. I-7861, point 22), et du 27 septembre 2007, Twoh International (C-184/05, Rec. p. I-7897, point 22).


6 – Directive 91/680/CEE du Conseil, du 16 décembre 1991, complétant le système commun de la taxe sur la valeur ajoutée et modifiant, en vue de l’abolition des frontières fiscales, la directive 77/388/CEE (JO L 376, p. 1).


7 – Voir arrêts EMAG Handel Eder (précité à la note 5, point 27), et Teleos e.a. (précité à la note 3, point 22), qui se réfèrent tous deux aux septième à dixième considérants de la directive 91/680.


8 – En vertu de l’article 2, paragraphe 2, sous a), ii), de la directive 2006/112, l’imposition des acquisitions réalisées par des particuliers ne s’applique qu’aux bateaux d’une longueur supérieure à 7,5 mètres.


9 – Arrêt Teleos e.a. (précité à la note 3, point 38) qui renvoie aux arrêts du 12 janvier 2006, Optigen e.a. (C-354/03, C-355/03 et C-484/03, Rec. p. I-483, point 44), et du 6 juillet 2006, Kittel et Recolta Recycling (C-439/04 et C-440/04, Rec. p. I-6161, point 41).


10 – Pour déterminer si un bien sera utilisé dans le cadre d’une activité économique au sens de l’article 4, paragraphe 1, de la sixième directive et de l’article 9, paragraphe 1, de la directive 2006/112, et s’il existe, de ce fait, un droit à déduction de la taxe, il faut, selon la jurisprudence, se fonder sur l’utilisation envisagée par l’acquéreur telle que prouvée au moyen d’éléments objectifs [voir arrêts du 14 février 1985, Rompelman (268/83, Rec. p. 655, point 24), et du 8 juin 2000, Breitsohl (C-400/98, Rec. p. I-4321, points 34 à 39)]. Pour déterminer la portée du droit à déduction, il faut également se fonder sur l’utilisation effective ou projetée du bien [voir arrêt du 15 décembre 2005, Centralan Property (C-63/04, Rec. p. I-11087, point 54)].


11 – Arrêts du 15 décembre 1987, Pays-Bas/Commission (326/85, Rec. p. 5091, point 24); du 21 février 2006, Halifax e.a. (C-255/02, Rec. p. I-1609, point 72), et Teleos e.a. (précité à la note 3, point 46).


12 – Arrêts du 6 avril 1995, BLP Group (C-4/94, Rec. p. I-983, point 24); Optigen e.a. (précité à la note 9, point 45); Kittel et Recolta Recycling (précité à la note 9, point 42); Teleos e.a. (précité à la note 3, point 39), et du 29 octobre 2009, AB SKF (C-29/08, non encore publié au Recueil, point 77).


13 – Arrêt Teleos e.a. (précité à la note 3, point 23).


14 – JO L 288, p. 1.


15 – Voir en ce sens arrêt Teleos e.a. (précité à la note 3, point 34).


16 – Arrêts Teleos e.a. (précité à la note 3, point 25), et Collée (précité à la note 5, point 23).


17 – Voir, en ce sens, arrêts du 18 décembre 1997, Mohlenheide e.a. (C-286/94, C-340/95, C-401/95 et C-47/96, Rec. p. I-7281, point 48); du 11 mai 2006, Federation of Technological Industries e.a. (C-384/04, Rec. p. I-4191, points 29 et 30), et Teleos e.a. (précité à la note 3, point 45).


18 – Voir en ce sens arrêts du 21 mars 2000, Gabalfrisa e.a. (C-110/98 à C-147/98, Rec. p. I-1577, point 52); Halifax e.a. (précité à la note 11, point 92), et Teleos e.a. (précité à la note 3, points 31, 35 et 37).


19 – Voir en ce sens arrêt Collée (précité à la note 5, points 31, 35 et 37).


20 – Voir également, à ce propos, points 38 et 39 des présentes conclusions.