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CONCLUSIONS DE L’AVOCAT GÉNÉRAL

M. PEDRO CRUZ VILLALÓN

présentées le 12 décembre 2013 (1)

Affaire C-464/12

ATP PensionService A/S

contre

Skatteministeriet

[demande de décision préjudicielle de l’Østre Landsret (Danemark)]

«Taxe sur la valeur ajoutée – Directive 77/388/CEE – Article 13, B, sous d), point 6 – Exonération de la gestion de fonds communs de placement – Notion de ‘fonds communs de placement tels qu’ils sont définis par les États membres’ – Régimes de retraite professionnels – Régimes de retraite à cotisations définies»





1.        L’exonération de taxe sur la valeur ajoutée (ci-après la «TVA») pour la gestion des fonds communs de placement qui est prévue à l’article 13, B, sous d), point 6, de la sixième directive 77/388/CEE (2) a occupé la Cour à plusieurs reprises (3). La présente affaire donne à la Cour la possibilité d’affiner sa jurisprudence à l’égard des termes de «fonds communs de placement», en l’occurrence dans le contexte des fonds de pension professionnels. Elle soulève également des questions sur ce que constitue la «gestion» de ceux-ci et sur l’exonération de taxe que prévoit l’article 13, B, sous d), point 3, de la sixième directive pour les opérations concernant les dépôts de fonds, les comptes courants, les paiements et les virements.

2.        Les questions se posent dans un litige opposant ATP PensionService A/S (ci-après «ATP») au Skatteministeriet (ministre des finances) au sujet du traitement en matière de TVA des services d’ATP. Cette dernière fournit des services aux fonds de pension professionnels.

I –    Le cadre juridique

A –    Le droit de l’Union

3.        En vertu de l’article 2 de la sixième directive, les prestations de services effectuées à titre onéreux à l’intérieur du pays par un assujetti agissant en tant que tel sont soumises à la TVA.

4.        L’article 13 de la sixième directive comporte un certain nombre d’exonérations de TVA. Deux d’entre elles sont pertinentes en l’espèce, à savoir celles contenues à l’article 13, B, sous d), points 3 et 6. Elles sont libellées comme suit:

«Sans préjudice d’autres dispositions communautaires, les États membres exonèrent, dans les conditions qu’ils fixent en vue d’assurer l’application correcte et simple des exonérations prévues ci-dessous et de prévenir toute fraude, évasion et abus éventuels:

[...]

d)      les opérations suivantes:

[…]

3.      les opérations, y compris les négociations, concernant les dépôts de fonds, comptes courants, paiements, virements, créances, chèques et autres effets de commerce, à l’exception du recouvrement de créances;

[…]

6.      la gestion de fonds communs de placement tels qu’ils sont définis par les États membres».

5.        Compte tenu de la date des faits de l’espèce, la sixième directive s’applique. Néanmoins, il y a lieu de mentionner que les dispositions citées ont été reproduites sans aucun changement qui serait pertinent pour la présente procédure à l’article 2, paragraphe 1, sous c), et à l’article 135, paragraphe 1, sous d) et g), de la directive 2006/112/CE (4).

B –    Le droit danois

6.        Les dispositions du droit de l’Union mentionnées sont transposées par l’article 13, paragraphe 1, point 11, sous c) et f), de la loi sur la TVA («momsloven»). L’article en cause prévoit:

«Les biens et services suivants sont exonérés de la taxe:

[…]

11.      Les activités financières suivantes:

[…]

c)      les opérations, y compris la négociation, concernant les dépôts de fonds, comptes courants, paiements, virements, créances, chèques et autres effets de commerce, à l’exception du recouvrement de créances;

[…]

f)      la gestion de fonds communs de placement».

7.        Ainsi que l’indique la juridiction de renvoi, plusieurs de ces termes ont été interprétés dans des instructions administratives («juridiske vejledning») (5).

II – Les faits et la procédure au principal

8.        ATP fournit des services aux fonds de pension. Son client le plus important, PensionDanmark, est un fonds de pension professionnel gérant des régimes de retraite en vertu d’accords collectifs et d’accords d’entreprise.

9.        Les régimes de retraite professionnels constituent un élément essentiel du régime de pension danois. Ledit régime est fondé sur trois piliers: un régime de retraite public financé par l’impôt, un régime de retraite professionnel et des plans de pension individuels (6).

10.      Les régimes de retraite professionnels danois qui, compte tenu des activités d’ATP, sont au cœur de cette affaire, sont généralement des régimes à «cotisations définies» fournis dans un cadre professionnel. Les employeurs payent une cotisation définie à l’institution fournissant le régime de retraite (normalement un fonds de pension) pour chacun de leurs salariés (7), lesquels peuvent verser des cotisations supplémentaires facultatives (8). Les cotisations versées à de tels régimes sont déductibles fiscalement, dans certaines limites, en vertu du droit danois en matière d’impôt sur le revenu. La pension qui sera versée dépend du montant versé dans le régime et du succès de l’investissement effectué par le fonds de pension (après déduction des coûts). Elle est habituellement versée sous la forme d’une combinaison de trois types de versements (imposables), lorsque le bénéficiaire a vocation au versement: une rente à vie, des versements échelonnés au cours d’une certaine période et le paiement d’une somme forfaitaire. Les conditions détaillées d’un régime de retraite professionnel sont déterminées par un accord collectif conclu entre les organisations patronales et les syndicats représentant les employeurs individuels et les salariés (9).

11.      Si ATP n’est pas impliquée dans l’investissement des cotisations (cette mission étant remplie par les fonds de pension eux-mêmes), elle fournit néanmoins trois types de services aux fonds de pension. Premièrement, elle fournit des services en relation avec le développement et la maintenance du système, à savoir le développement et la maintenance de la plate-forme sur laquelle ses services sont fournis. Deuxièmement, elle assume des tâches administratives, telles que l’information et le conseil à la fois aux employeurs et aux salariés en matière de régimes de retraite. Troisièmement, elle fournit des services en ce qui concerne les versements effectués aux régimes de retraite et les versements effectués par ceux-ci.

12.      Pour simplifier, lesdits services peuvent être décrits de la manière suivante. L’employeur verse de manière périodique les cotisations qu’il doit, en vertu du régime de retraite professionnel, pour tous ses salariés de manière collective par une somme globale sur le compte bancaire du fonds de pension. ATP ouvre des comptes individuels (10) pour les affiliés, sur la base de l’information qu’elle reçoit de l’employeur. Elle distribue sur lesdits comptes la somme globale que l’employeur verse, conformément aux dispositions de l’accord collectif ou de l’accord d’entreprise. L’affilié peut avoir accès au compte par Internet, lequel est régulièrement mis à jour par ATP. Lorsque les versements deviennent exigibles, ATP initie les retraits de sommes en donnant des instructions à l’institution financière concernée de verser la somme due à l’affilié.

13.      Jusqu’au 30 juin 2002, ATP facturait la TVA sur ses services. Néanmoins, à la lumière de l’arrêt SDC (11), elle a changé d’avis et a soutenu que ses services relatifs aux versements effectués aux régimes de pension et aux versements effectués par ceux-ci devraient être exonérés de TVA, en vertu de l’article 13, B, sous d), point 3, de la sixième directive. Elle a informé l’administration fiscale danoise («SKAT») de sa position le 26 juin 2002. Cette administration a considéré que les services d’ATP en relation avec les sommes versées pour les retraites étaient effectivement exonérés de TVA, mais s’est prononcé contre l’application de l’exonération concernant la plupart des services en relation avec les versements entrant: l’enregistrement des employeurs redevables de cotisations de pension, l’ouverture de comptes individuels, la fourniture de prestations pour gérer les versements effectués par les employeurs de sorte que toutes les cotisations puissent être versées sur le compte du fonds de pension en utilisant un service en ligne ou une carte de paiement, la réception et l’enregistrement de rapports d’employeurs sur la répartition du montant total entre les salariés individuels, le fait de créditer les cotisations sur les comptes individuels et la mise à jour des comptes, l’enregistrement des versements manquants, l’information des clients des fonds de pension sur les cotisations versées et l’envoi de relevés de compte. La décision a été confirmée par l’autorité administrative danoise suprême en matière fiscale, le Landskatteretten (tribunal fiscal national, Danemark) par ordonnance du 13 mai 2009.

14.      ATP a contesté le jugement devant le Retten i Hillerød (tribunal de Hillerød), lequel, à son tour, a renvoyé l’affaire devant l’Østre Landsret (cour d’appel de la région Est) comme étant d’importance générale. ATP soutient que les services qui ont été considérés comme étant soumis à la TVA sont exonérés en tant qu’ils constituent «la gestion de fonds communs de placement» au titre de l’article 13, paragraphe 1, point 11, sous f), de la loi sur la TVA, transposant l’article 13, B, sous d), point 6, de la sixième directive et/ou en tant qu’«opérations […] concernant les dépôts de fonds, comptes courants, paiements, virements […]» au titre de l’article 13, paragraphe 1, point 11, sous c), de cette loi, transposant l’article 13, B, sous d), point 3, de la sixième directive. Le Skatteministeriet a contesté le fait que les prestations de services fournies par ATP soient exonérées de TVA.

III – Les questions déférées à titre préjudiciel et la procédure devant la Cour

15.      Après avoir entendu les parties et avoir délibéré, l’Østre Landsret a décidé, par ordonnance du 8 octobre 2012, de déférer à la Cour les questions suivantes, conformément à l’article 267 TFUE:

«1)      L’article 13, B, sous d), point 6, de la [sixième directive] doit-il être interprété en ce sens que les caisses de retraite comme celles en cause dans l’affaire au principal qui présentent les caractéristiques suivantes relèvent de la notion de ‘fonds communs de placement tels qu’ils sont définis par les États membres' lorsque l’État membre considère comme fonds commun de placement les organismes cités au point 2 de la décision de renvoi:

a)      le rendement perçu par le salarié (affilié) dépend du rendement des investissements réalisés par la caisse de retraite;

b)      l’employeur n’est pas tenu de verser des contributions financières supplémentaires pour garantir à l’affilié un rendement déterminé;

c)      la caisse de retraite investit l’épargne de manière collective selon le principe de la répartition des risques;

d)      l’essentiel des contributions financières versées à la caisse de retraite résulte de conventions collectives entre les organisations patronales et syndicales (partenaires sociaux) qui représentent les différents salariés et les employeurs et non pas d’accords conclus sur une base individuelle avec les salariés;

e)      le salarié peut décider sur une base individuelle de verser des contributions financières supplémentaires à la caisse de retraite;

f)      les travailleurs indépendants, les employeurs et les dirigeants peuvent choisir de verser des contributions à la caisse de retraite;

g)      une partie prédéfinie de l’épargne-retraite des salariés faisant l’objet de la convention collective est utilisée pour servir une rente à vie;

h)      les frais de la caisse de retraite sont à la charge de ses affiliés;

i)      les contributions financières à la caisse de retraite sont exonérées, dans certaines limites en termes de valeur, conformément à la législation nationale sur l’impôt sur le revenu;

j)      les contributions financières à un plan d’épargne-retraite individuel, notamment celui ouvert auprès d’un établissement financier, dont les fonds peuvent être investis dans un fonds commun de placement, sont exonérées conformément à la législation nationale sur l’impôt sur le revenu dans la même mesure [que précisé au point i)];

k)      le droit à l’exonération des contributions financières visé [au point i)] correspond à l’imposition des paiements aux affiliés, et

l)      l’épargne doit en principe être restituée après la limite d’âge de départ à la retraite?

2)      En cas de réponse affirmative à la première question, l’article 13, B, sous d), point 6, de la sixième directive doit-il être interprété en ce sens que la notion de ‘gestion' recouvre une prestation de services comme celle en cause dans la procédure au principal (voir point 1.2 de la décision de renvoi)?

3)      Une prestation de services comme celle en cause dans la procédure au principal qui porte sur des contributions à une caisse de retraite (voir point 1.2 de la décision de renvoi) doit-elle être considérée, en vertu de l’article 13, B, sous d), point 3, de la sixième directive, comme une prestation de services unique ou bien comme plusieurs prestations distinctes qu’il y a lieu d’apprécier de manière autonome?

4)      L’article 13, B, sous d), point 3, de la sixième directive doit-il être interprété en ce sens que l’exonération de TVA prévue par cette disposition pour les opérations relatives à des paiements ou à des transferts s’applique à une prestation de services comme celle en cause dans la procédure au principal concernant des contributions financières à une caisse de retraite (voir point 1.2 de la décision de renvoi)?

5)      En cas de réponse négative à la quatrième question, l’article 13, B, sous d), point 3, de la sixième directive doit-il être interprété en ce sens que l’exonération de TVA prévue par cette disposition pour les opérations concernant les dépôts de fonds ou les comptes courants s’applique à une prestation de services comme celle en cause dans la procédure au principal concernant les contributions financières à une caisse de retraite (voir point 1.2 de la décision de renvoi)?»

16.      ATP, le Royaume de Danemark et la Commission européenne ont présenté des observations écrites.

17.      Ces trois parties ainsi que le Royaume-Uni de Grande-Bretagne et d’Irlande du Nord ont fait des observations lors de l’audience du 2 octobre 2013.

IV – Appréciation

A –    Observations liminaires

18.      Les questions de la juridiction de renvoi comprennent trois problèmes distincts: la signification de «fonds communs de placement tels qu’ils sont définis par les États membres» dans le contexte des régimes de retraite professionnels (première question), la notion de «gestion» desdits fonds (deuxième question) et l’application de l’article 13, B, sous d), point 3, de la sixième directive à des services tels que ceux fournis par ATP (troisième à cinquième questions).

19.      La jurisprudence de la Cour concernant ces trois questions est déjà assez abondante (12). À la lumière de cette jurisprudence, je considère que la Cour dispose d’éléments suffisants pour examiner les deuxième et troisième questions. Par conséquent, je vais concentrer mon analyse sur la première question, en l’occurrence celle de la signification de «fonds communs de placement tels qu’ils sont définis par les États membres» et celle de savoir si (et quand) un fonds de pension professionnel tel que celui-ci auquel ATP fournit des services doit être considéré comme un fonds commun de placement. Cette question a été soulevée deux fois récemment, dans l’affaire Wheels et dans l’affaire PPG Holdings, précitée (13), mais ces deux affaires différaient de manière significative de la présente affaire.

20.      La question relève du domaine extrêmement complexe et controversé du traitement des services financiers (y compris des services de pension) au regard de la TVA. Ces services ont connu une diversification significative (14), à laquelle la directive actuelle sur la TVA, notamment les exonérations dans le domaine des services financiers, ne fait pas justice. Cela a pour conséquence un manque de sécurité juridique dans ce domaine pour les opérateurs, de même que des applications divergentes des exonérations en cause par les États membres (15).

21.      La Commission a présenté à la fois une proposition de directive modifiant la directive 2006/112 en ce qui concerne le traitement des services d’assurance et des services financiers (16) et une proposition de règlement du Conseil portant modalités d’application de la directive 2006/112 en ce qui concerne le traitement des services d’assurances et des services financiers, règlement qui contient des définitions du champ d’application des services exonérés (17). Tous deux ont fait l’objet de travaux préparatoires importants (18), au cours desquels les fonds de pension et leur traitement au regard de la TVA ont également été discutés (19). Néanmoins, aucun accord n’a été atteint sur la réforme (20). Selon les déclarations faites par la Commission lors de l’audience, l’on ne peut pas non plus s’attendre à ce qu’un tel accord voie le jour rapidement. Quelle que soit la situation en ce qui concerne un changement dans le droit applicable, la Cour doit statuer sur la base du droit en vigueur à l’époque des faits en cause.

22.      Je commencerai mon analyse par une présentation des arguments soulevés par les parties à la procédure. Puis, je décrirai l’interprétation que la jurisprudence a faite des termes de «fonds communs de placement tels qu’ils sont définis par les États membres». Enfin, j’analyserai les conséquences de la jurisprudence pour les fonds de pension professionnels.

B –    Observations présentées à la Cour

23.      Le Royaume de Danemark estime qu’il appartient aux États membres de définir les termes de «fonds communs de placement» qui figurent à l’article 13, B, sous d), point 6, de la sixième directive et d’exclure de leur définition les fonds de pension possédant les caractéristiques décrites par la juridiction de renvoi.

24.      Selon le Royaume de Danemark, les États membres doivent faciliter l’investissement dans les fonds communs de placement et respecter le principe de neutralité à l’égard de la TVA imposée sur les fonds qui sont en concurrence avec les fonds communs de placement. Cet État membre estime que les fonds en cause dans la présente affaire diffèrent suffisamment des fonds communs de placement pour justifier un traitement différent: les cotisations sont payées par l’employeur, leur objectif est de fournir une retraite plutôt que de constituer une épargne, ils fournissent également des assurances telles que des assurances sur la vie et des assurances pour incapacité de travail (21), les cotisations, en cas de décès du bénéficiaire, ne reviennent pas (ou ne reviennent pas entièrement) aux héritiers de celui-ci et les cotisations sont généralement exonérées d’impôt sur le revenu. Selon ledit État, l’employeur qui paie les cotisations n’effectue pas un investissement, mais effectue un versement parce qu’il est tenu de le faire en vertu de l’accord collectif mettant en place le régime de retraite.

25.      ATP considère que les fonds de pension possédant les caractéristiques décrites par la juridiction de renvoi relèvent de l’article 13, B, sous d), point 6, de la sixième directive et sont donc exonérés de TVA. Elle soutient que, même si les États membres disposent d’une certaine marge d’appréciation dans la définition des «fonds communs de placement», ils doivent respecter les objectifs de l’exonération et le principe de neutralité fiscale. L’objectif de l’exonération de TVA en cause est de permettre aux particuliers d’investir leurs économies collectivement, en répartissant ainsi le risque, sans subir la charge de la TVA. Selon ATP, les régimes de retraite en cause poursuivent également lesdits objectifs. Le simple fait que les régimes de retraite répondent à l’objectif particulier de financer une retraite ne justifie pas un traitement différent.

26.      ATP considère que le principe de neutralité vient au soutien de sa position, étant donné que d’autres fonds communs de placement sont en concurrence avec les fonds de pension. Si les cotisations prélevées sur le salaire régulier du salarié n’allaient pas au fonds, ledit salarié aurait à épargner d’une autre manière. La relation de concurrence est particulièrement évidente à l’égard des cotisations supplémentaires ou des cotisations versées par les personnes qui ne sont pas couvertes initialement par des régimes de retraite professionnels. Le fait qu’une partie du rendement d’un fonds de pension sera payée en tant que rente à vie (22) n’est pas pertinent, selon ATP, étant donné qu’une telle rente peut simplement être achetée pour une somme forfaitaire. Ne sont pas non plus pertinentes, selon ATP, les circonstances que les cotisations aux fonds de pension soient déductibles fiscalement et que les fonds de pension comprennent généralement un élément d’assurance. En outre, ATP soutient que la conclusion de fonds de pension professionnels par accord collectif n’est pas pertinente, étant donné que les salariés prennent les décisions en cause, représentés par les syndicats.

27.      Lors de l’audience, ATP a indiqué que les fonds de pension en cause en l’espèce diffèrent de manière significative de ceux qui ont fait l’objet des affaires Wheels et PPG Holdings, précitée. Ces affaires concernaient des régimes à prestations définies, dans lesquels l’employeur remplissait une obligation juridique en versant la pension. Seuls les salariés pouvaient participer au régime. En revanche, l’affaire en cause concerne un régime à cotisations définies dans lequel les bénéficiaires et les investisseurs supportent le risque. L’employeur ne doit que verser les cotisations. Un public plus large, à savoir toute personne liée au marché du travail, peut participer aux régimes de pension.

28.      Lors de l’audience, le Royaume-Uni a soutenu que les fonds de pension à cotisations définies tels que celui décrit par la juridiction de renvoi ne sont pas suffisamment comparables aux fonds communs de placement pour être en concurrence avec ceux-ci et, donc, ne peuvent pas bénéficier de l’exonération de TVA en cause, et ce pour cinq raisons: les fonds de pension professionnels ne peuvent pas être vendus à volonté, ils ne donnent aucun droit aux fonds investis avant que le bénéficiaire n’atteigne l’âge de la retraite et sont perdus en cas de décès, ils font l’objet d’un accord collectif et sont financés par l’employeur plutôt que par des investissements constitutifs du salarié, ils sont accessibles seulement aux salariés plutôt qu’au public de manière générale et, enfin, ils ne relèvent pas du régime de la directive 85/611/CEE (23) (ci-après la «directive OPCVM»).

29.      La Commission soutient que les fonds de pension en cause relèvent de la notion de «fonds communs de placement». Elle fait une distinction entre les régimes à cotisations définies et les régimes à prestations définies, soutenant que, s’agissant des premiers, les salariés bénéficient de leur investissement et sont donc dans une situation similaire à celle des petits investisseurs à l’égard des fonds communs de placement (24).

C –    La jurisprudence sur les «fonds communs de placement tels qu’ils sont définis par les États membres»

30.      La jurisprudence relative à l’article 13 de la sixième directive contient à la fois des énoncés généraux pertinents quant à l’interprétation des exonérations et des considérations importantes relatives à l’interprétation des termes de «fonds communs de placement tels qu’ils sont définis par les États membres». Je traiterai ces deux questions successivement, puis je présenterai mes propres vues sur l’approche de la Cour en analysant l’article 13, B, sous d), point 6, de la sixième directive.

1.      Considérations générales sur l’interprétation des exonérations de TVA

31.      En interprétant les exonérations qui figurent à l’article 13 de la sixième directive, la Cour a considéré de manière constante que, par principe, les termes de ces exonérations ont leur signification autonome propre en droit de l’Union afin «d’éviter des divergences dans l’application du régime de la TVA d’un État membre à l’autre» (25). Néanmoins, ce n’est pas le cas à l’égard des termes dont le droit de l’Union confie explicitement la définition aux États membres (26). Dans de tels cas, il appartient aux États membres de définir la notion en cause dans leur droit national (27). Néanmoins, en définissant de telles notions, ils doivent «respecter les objectifs et les principes généraux de la sixième directive, notamment le principe de neutralité fiscale» (28).

32.      En outre, la Cour a considéré de manière constante que les exonérations qui figurent à l’article 13 de la sixième directive doivent être interprétées de manière stricte, étant donné que, en principe, la TVA doit être perçue sur chaque prestation de services effectuée à titre onéreux par un assujetti (29).

2.      Les termes de «fonds communs de placement tels qu’ils sont définis par les États membres»

33.      Ainsi que la formulation des termes le suggère, l’Union européenne laisse aux États membres le soin de définir les «fonds communs de placement». J’examinerai tout d’abord la signification de cette marge d’appréciation des États membres, puis je résumerai la jurisprudence de la Cour concernant trois limites à ladite marge: la formulation de la disposition et la directive OPCVM, l’objectif de l’exonération et, enfin, le principe de neutralité fiscale.

a)      La marge d’appréciation des États membres

34.      Ainsi que je l’ai déjà mentionné, le principe selon lequel les termes de l’exonération de l’article 13 de la sixième directive doivent être interprétés de manière autonome trouve ses limites lorsque la définition est explicitement laissée aux États membres. La Cour a considéré que tel était le cas en ce qui concerne les termes «fonds communs de placement» (30). Néanmoins, les États ne peuvent pas être libres de qualifier n’importe quoi de «fonds communs de placement». Une marge d’appréciation qui ne serait soumise à aucune restriction pourrait être sujette à des abus, confondrait les différentes exonérations et irait à l’encontre du principe selon lequel les exonérations sont généralement interprétées de manière stricte. Par conséquent, les termes de «fonds communs de placement» doivent avoir une signification en droit de l’Union, nonobstant le fait que la formulation de l’exonération laisse la définition de ceux-ci aux États membres.

35.      Cette tension en droit de l’Union, qui laisse aux États membres le soin de définir des termes tout en devant néanmoins imposer des limites à ladite définition (31), apparaît lorsque la Cour dit que «le soin de définir le contenu de la notion de ‘fonds communs de placement’ n’autorise nullement les États membres à sélectionner certains fonds situés sur leur territoire pour leur accorder le bénéfice de l’exonération et à exclure d’autres fonds de cette exonération. […] les termes ‘fonds communs de placement’ doivent être le point de départ du pouvoir d’appréciation conféré aux États membres» (32). Ce que la Cour a entendu dire est que, logiquement, le droit de l’Union doit fixer à la fois des limites intérieures et extérieures à la notion de «fonds communs de placement», au sein desquelles les États membres sont libres de choisir leur définition des termes. Ainsi, la marge d’appréciation des États membres pour déterminer le contenu de la notion est limitée. La Cour déduit ces limites du libellé (et des développements législatifs ultérieurs) de la disposition, de son objectif et des principes généraux qui sous-tendent la directive, tels que le principe de neutralité (33).

36.      En pratique, l’application de ces limites a réduit de manière significative le pouvoir des États membres en matière de définition. Cette évolution pourrait être critiquée, mais la sécurité juridique, qui est fondamentale lorsqu’il s’agit du traitement des produits financiers au regard de la TVA, exige de respecter la continuité de la jurisprudence de la Cour.

b)      Le libellé de la disposition et la directive OPCVM

37.      Le libellé de l’article 13, B, sous d), point 6, de la sixième directive donne en comparaison peu d’indications quant au contenu des termes de «fonds communs de placement», particulièrement lorsque l’on garde à l’esprit les termes variés utilisés dans les différentes langues. Ainsi, là où la version en langue anglaise de la sixième directive parle de «special investment funds», la version en langue française parle de «fonds communs de placement», la version en langue espagnole de «fondos communes de inversión» (34), la version en langue allemande de «Sondervermögen» et la version en langue néerlandaise de «gemeenschappelijke beleggingsfondsen».

38.      Néanmoins, des développements ultérieurs sont venus donner corps à ces termes. En 1985, la directive OPCVM est entrée en vigueur afin de coordonner les droits nationaux régissant les entreprises d’investissement collectif. La relation précise entre cette directive et l’article 13, B, sous d), point 6, de la sixième directive n’apparaît pas immédiatement. Ainsi que l’a dit la Cour, les versions en langues espagnole, française, italienne et portugaise des termes de la directive «organismes de placement collectif en valeurs mobilières» («OPCVM») présentaient, dans la loi du contrat utilisé, le même libellé que celui qui apparaît dans l’exonération, mais ce n’est pas le cas pour d’autres langues telles que l’anglais, l’allemand et le danois (35).

39.      Par conséquent, la Cour et ses avocats généraux se sont efforcés de définir la relation entre la directive OPCVM et ledit article 13, B, sous d), point 6 (36). Néanmoins, dans l’arrêt Wheels, la Cour a dit clairement que «les fonds qui constituent des organismes de placement collectif en valeurs mobilières au sens de la directive OPCVM constituent des fonds communs de placement» (37). Ils constituent donc un contenu minimal pour les termes de «fonds communs de placement».

c)      L’objectif de l’exonération

40.      Ainsi que l’avocat général Kokott l’a relevé dans ses conclusions dans l’affaire ayant donné lieu à l’arrêt Abbey National, précité, l’objectif de l’exonération est «de faciliter aux petits investisseurs le placement de capital dans les fonds d’investissement» (38). De tels fonds sont supposés mettre en commun l’argent de plusieurs investisseurs (39), afin de permettre à ceux-ci de répartir le risque sur une gamme de titres. L’exonération de TVA permet auxdits investisseurs de s’engager dans de tels investissements sans être soumis au coût supplémentaire de la TVA (40). La Cour s’est ralliée à cet objectif (41).

41.      Par conséquent, la Cour a considéré que l’exonération couvre les fonds communs de placement «quelle que soit leur forme juridique» (42). Pour la poursuite de l’objectif décrit, il importe peu que de tels fonds revêtent une forme contractuelle, de trust ou statutaire. La Cour a relevé que toute autre interprétation serait contraire au principe de la neutralité fiscale, qui s’oppose à ce que des opérateurs économiques qui effectuent les mêmes opérations soient traités différemment (43).

42.      De même, la Cour a considéré que la forme opérationnelle adoptée par le fonds n’est pas pertinente: qu’un fonds soit «à capital variable» (à savoir tenu de racheter ses parts aux investisseurs désireux de vendre) ou «à capital fixe» (à savoir dont les parts ne peuvent être vendues que sur un marché secondaire) ne joue pas de rôle pour la classification du fonds à l’égard de l’exonération de TVA prévue à l’article 13, B, sous d), point 6, de la sixième directive. Encore une fois, cette affirmation peut aussi être fondée sur le principe de neutralité fiscale (44).

d)      Le principe de neutralité fiscale

43.      Selon la Cour, le principe de neutralité fiscale «s’oppose à ce que des opérateurs économiques qui effectuent les mêmes opérations soient traités différemment en matière de perception de la TVA». Des marchandises ou des prestations de services qui se trouvent en concurrence les unes avec les autres en raison de leur similitude ne peuvent pas être traitées de manière différente du point de vue de la TVA (45).

44.      Le critère de la relation de concurrence est un critère difficile. L’avocat général Sharpston a commenté ses risques dans l’affaire ayant donné lieu à l’arrêt Deutsche Bank, précité, remarquant que toute activité coïncide dans une certaine mesure avec une autre et que, «s’il fallait réserver le même traitement au regard de la TVA à toutes les activités qui se trouvent partiellement en concurrence les unes avec les autres, cela conduirait finalement à l’élimination de toutes les différences de traitement au regard de la TVA» (46).

45.      Le risque perçu par l’avocat général Sharpston peut être éliminé en appliquant une méthodologie correcte de comparaison. Premièrement, il est nécessaire d’établir un point de référence qui relève de la notion de «fonds communs de placement». Le fonds en cause ne sera comparé qu’à ce point de référence. Conformément à ce que j’ai indiqué ci-dessus, les fonds qui sont des entreprises d’investissement collectif au sens de la directive OPCVM relèvent de la notion de «fonds communs de placement» et peuvent donc servir de point de référence (47).

46.      La question de savoir si le fonds analysé doit aussi être inclus dans la notion de «fonds communs de placement» dépend de celle de savoir si ce fonds et le point de référence sont suffisamment comparables pour être en concurrence l’un avec l’autre (48). Les critères des fonds à comparer afin d’établir une similitude suffisante pour qu’ils soient en concurrence ne sont pas choisis au hasard. L’analyse n’est pas non plus entièrement économique. Au contraire, elle doit être fondée sur l’objectif de l’exonération. Les critères pertinents sont donc, par exemple, de savoir si le fonds est une méthode de répartition du risque, si les investisseurs bénéficient des profits de l’investissement, etc.

3.      Observations sur l’approche de la Cour

47.      Selon la jurisprudence de la Cour, la marge d’appréciation des États membres pour définir les termes de «fonds communs de placement» est ainsi limitée par l’objectif de l’exonération, la directive OPCVM et le principe de neutralité. Un examen plus approfondi relève que, dans une certaine mesure, la Cour a appliqué ces limites (qui se recoupent) (49) de telle manière qu’elles constituent deux critères alternatifs.

48.      Parfois, la Cour se réfère aux objectifs de l’exonération, déduisant ce qui revient à une définition des termes de «fonds communs de placement» et utilisant le principe de neutralité pour confirmer le résultat (50). À d’autres occasions, la Cour a considéré l’OPCVM comme étant le noyau minimal des «fonds communs de placement», puis a appliqué le principe de neutralité (51).

49.      Je propose d’utiliser (puis d’affiner) la seconde de ces approches. Par conséquent, un fonds doit être considéré comme un «fonds de pension spécial» si soit il relève de la directive OPCVM, soit il est suffisamment comparable à un OPCVM pour que ledit fonds et l’OPCVM soient en concurrence entre eux. Les caractéristiques pertinentes pour la comparaison sont celles qui le sont au regard des objectifs de l’exonération analysée, qui sont de permettre à plusieurs investisseurs de mettre leurs fonds en commun et ainsi de répartir le risque sur une gamme de titres.

D –    Les fonds de pension professionnels en tant que fonds communs de placement

50.      Après avoir exposé ces considérations, je vais appliquer les principes décrits au cas d’espèce. La question que pose la présente affaire est de savoir dans quelle mesure les fonds de pension professionnels doivent être considérés comme des fonds communs de placement. Le droit de l’Union contient certaines règles sur lesdits fonds, mais ne les harmonise pas (52). Conformément à ce que j’ai indiqué ci-dessus, il me faudra analyser si les fonds en cause sont des OPCVM et, si ce n’est pas le cas, dans quelle mesure le principe de neutralité fiscale exige de les inclure dans l’exonération.

1.      La directive OPCVM

51.      Les fonds de pension professionnels tels que ceux en cause en l’espèce ne relèvent pas de la directive OPCVM (53). Ainsi que l’a relevé le Royaume de Danemark, les parts desdits fonds ne peuvent pas, à la demande des titulaires, être rachetées ou remboursées, comme c’est le cas pour les OPCVM, en vertu de l’article 1er, paragraphe 2, de la directive OPCVM.

2.      Le principe de neutralité fiscale

52.      Il y a lieu d’appliquer le principe de neutralité fiscale dans une deuxième étape. Il implique de se demander si lesdits fonds en cause sont suffisamment comparables à des OPCVM pour être en concurrence avec eux (54). Dans l’arrêt Wheels, la Cour a eu à examiner cette question pour d’autres types de fonds de pension professionnels. Elle a considéré que ces fonds ne relevaient pas de l’article 13, B, sous d), point 6, de la sixième directive. Ces fonds rassemblaient les actifs d’un régime de pension de retraite et n’étaient pas ouverts au public, mais octroyaient seulement des prestations liées à la relation de travail. Il est significatif de relever qu’ils étaient du type à «prestations définies», à savoir que les membres du régime ne supportaient pas le risque découlant de la gestion du fonds, étant donné que le montant de leur pension était fixé et, par conséquent, ne dépendait pas du succès de l’investissement. Selon la Cour, le fonds n’était pas non plus un fonds commun de placement du point de vue de l’employeur, étant donné que, pour celui-ci, les cotisations étaient un moyen par lequel il remplissait ses obligations juridiques. Dans l’affaire PPG Holdings, l’avocat général Sharpston a suivi ce raisonnement, en identifiant trois critères pertinents: la question de savoir si le régime rassemble les actifs d’un régime de pension de retraite, celle de savoir si les membres du régime de pension supportent le risque découlant de la gestion du fonds et celle de savoir si l’employeur paie les cotisations afin de remplir ses obligations juridiques à l’égard de ses salariés (55).

53.      Sans remettre en cause le résultat de ces affaires, je propose d’affiner l’analyse aux fins du cas d’espèce. En droit de l’Union, certains critères sont pertinents et d’autres ne le sont pas pour comparer les fonds aux OPCVM, afin de déterminer s’ils sont suffisamment comparables pour être en concurrence entre eux. Il appartient aux juridictions nationales d’analyser les faits pertinents, d’appliquer ces critères et de décider si le fonds de pension en cause dans une affaire donnée doit être considéré comme un «fonds commun de placement».

a)      Point de vue de la comparaison

54.      Avant d’établir la liste des critères pertinents et non pertinents, il me faut souligner que les régimes de pension peuvent être analysés en tant qu’instruments rassemblant les actifs des employeurs ou des salariés. La question de savoir lequel de ces deux modèles s’applique dépend de savoir si ce sont les salariés ou les employeurs qui bénéficient de l’investissement. Selon la description de la juridiction de renvoi, ce sont en l’espèce les salariés qui bénéficient du fonds.

b)      Les critères non pertinents

55.      Étant donné que l’analyse du caractère comparable des fonds en cause avec les OPCVM doit être effectuée en ayant à l’esprit l’objectif de l’exonération, un certain nombre d’éléments qui ont été discutés dans cette affaire ne sont pas pertinents aux fins de la comparaison.

56.      Cela vaut, contrairement à ce qu’allègue le Royaume de Danemark, à l’égard de l’objectif de l’investissement. Le fait que l’investisseur épargne pour des pensions ou à d’autres fins n’a pas d’impact pertinent sur la relation de concurrence. Par conséquent, le fait que lesdits fonds soient des fonds de pension ne les empêche pas de constituer des «fonds communs de placement». À la différence de l’arrêt Wheels, je rejette par conséquent la pertinence de l’obligation légale de l’employeur à l’égard du paiement de prestations de pension définies comme étant un «objectif» non pertinent de l’investissement.

57.      Le fait que les fonds de pension professionnels fassent l’objet non pas d’un accord individuel, mais d’un accord collectif, n’est pas pertinent. Premièrement, les représentants des salariés négocient les caractéristiques des fonds avec les représentants des employeurs. Même si un accord collectif peut signifier qu’il existe très peu de concurrence économique entre les fonds et les OPCVM en dehors des paiements supplémentaires facultatifs faits par les salariés, cela n’est pas pertinent pour l’objectif de l’exonération. À cet égard, la Cour a déjà décidé que l’exonération couvre les fonds quelle que soit leur forme juridique. Dans cette mesure, la possibilité de faire des paiements supplémentaires ou l’adhésion facultative de certaines personnes aux fonds professionnels ne sont pas non plus pertinentes.

58.      La même considération s’applique à la question de savoir si les cotisations à un fonds sont déductibles ou non de l’impôt sur le revenu. Un traitement favorable des cotisations à certains fonds par rapport à d’autres en matière d’impôt sur le revenu peut avoir un impact considérable sur la relation de concurrence économique, mais il ne signifie rien à l’égard des objectifs de l’exonération et, par conséquent, ne doit pas être pris en considération.

59.      De même, les modalités des versements effectués par le fonds de retraite (rente à vie ou somme forfaitaire) ne sont pas significatives pour la qualification du fonds, dans la mesure où des passages entre les différentes options sont possibles par une simple opération financière.

60.      Lorsque les fonds de pension professionnels sont couplés à un élément d’assurance et que les deux éléments ne peuvent pas être dissociés, comme c’est le cas en l’espèce, les juridictions nationales doivent déterminer quel élément prévaut.

c)      Les critères pertinents

61.      Ainsi que je l’ai indiqué ci-dessus, les critères pertinents aux fins de la comparaison doivent être déduits de l’objectif de l’exonération, à savoir de permettre de mettre en commun des fonds provenant de plusieurs investisseurs et de répartir le risque sur une gamme de titres.

62.      En partant de cette prémisse, seuls quelques éléments sont essentiels pour comparer les fonds de pension professionnels aux OPCVM aux fins de la neutralité fiscale au titre de l’exonération analysée. Premièrement, plusieurs bénéficiaires ont à mettre en commun leurs fonds afin de répartir le risque sur une gamme de titres. Le fonds ne peut être considéré comme une mise en commun des fonds des bénéficiaires que si ces derniers disposent d’un droit inconditionnel à l’égard de leur investissement. Ils peuvent ne pas être en mesure de réaliser le droit à leur gré (à savoir de vendre leur droit) et ne peuvent recevoir la prestation liée à leur investissement que lors de leur retraite. Néanmoins, lorsque l’investissement est perdu en cas de décès et ne revient pas aux héritiers du bénéficiaire, on peut difficilement parler de mise en commun des fonds des bénéficiaires.

63.      Enfin, les bénéficiaires ont à supporter à la fois le coût du fonds et les risques de l’investissement, même si les cotisations peuvent être versées par leur employeur comme faisant partie de leur rémunération. Cela sera généralement le cas à l’égard des régimes à cotisations définies, mais non à l’égard des régimes à prestations définies. Ainsi que je l’ai déjà indiqué, il appartient aux juridictions nationales d’appliquer ces critères.

64.      Par conséquent, je conclus que l’article 13, B, sous d), point 6, de la sixième directive doit être interprété en ce sens que les termes de «fonds communs de placement tels que définis par les États membres» doivent inclure les fonds de pension professionnels lorsque de tels fonds mettent en commun les actifs de plusieurs bénéficiaires et permettent la répartition du risque sur une gamme de titres. Ce n’est le cas que lorsque ce sont les bénéficiaires qui supportent le risque de l’investissement. Le fait que les cotisations soient versées par l’employeur de ceux-ci pour leur compte en vertu d’un accord collectif conclu entre les organisations représentant les salariés et celles représentant les employeurs et le fait que les versements effectués par le fonds le soient seulement lors de la retraite ne sont pas pertinents, aussi longtemps que le bénéficiaire dispose d’une situation juridique sûre à l’égard de ses actifs. Il appartient aux juridictions nationales de décider si un fonds donné remplit ces conditions.

V –    Conclusion

65.      À la lumière de ce qui précède, je suggère que la Cour réponde à la première question soulevée par l’Østre Landsret de la manière suivante:

L’article 13, B, sous d), point 6, de la sixième directive 77/388/CEE du Conseil, du 17 mai 1977, en matière d’harmonisation des législations des États membres relatives aux taxes sur le chiffre d’affaires – Système commun de taxe sur la valeur ajoutée: assiette uniforme, telle que modifiée, doit être interprété en ce sens que les termes de «fonds communs de placement tels que définis par les États membres» doivent inclure les fonds de pension professionnels lorsque de tels fonds mettent en commun les actifs de plusieurs bénéficiaires et permettent la répartition du risque sur une gamme de titres. Ce n’est le cas que lorsque ce sont les bénéficiaires qui supportent le risque de l’investissement. Le fait que les cotisations soient versées par l’employeur de ceux-ci pour leur compte en vertu d’un accord collectif conclu entre les organisations représentant les salariés et celles représentant les employeurs et le fait que les versements effectués par le fonds le soient seulement lors de la retraite ne sont pas pertinents, aussi longtemps que le bénéficiaire dispose d’une situation juridique sûre à l’égard de ses actifs. Il appartient aux juridictions nationales de décider si un fonds donné remplit ces conditions.


1 –      Langue originale: l’anglais.


2 – Directive du Conseil du 17 mai 1977 en matière d’harmonisation des législations des États membres relatives aux taxes sur le chiffre d’affaires – Système commun de taxe sur la valeur ajoutée: assiette uniforme (JO L 145, p. 1), telle que modifiée (ci-après la «sixième directive»).


3 – Arrêts du 4 mai 2006, Abbey National (C-169/04, Rec. p. I-4027); du 28 juin 2007, JP Morgan Fleming Claverhouse Investment Trust et The Association of Investment Trust Companies (C-363/05, Rec. p. I-5517, ci-après l’«arrêt JP Morgan»); du 19 juillet 2012, Deutsche Bank (C-44/11); du 7 mars 2013, GfBk (C-275/11), ainsi que du 7 mars 2013, Wheels Common Investment Fund Trustees e.a. (C-424/11, ci-après l’«arrêt Wheels»). Voir, également, conclusions de l’avocat général Sharpston dans l’affaire PPG Holdings (arrêt du 18 juillet 2013, C-26/12).


4 – Directive du Conseil du 28 novembre 2006 relative au système commun de taxe sur la valeur ajoutée (JO L 347, p. 1), telle que modifiée.


5 –      L’exonération de TVA pour les opérations concernant les dépôts de fonds ou les comptes courants est interprétée dans l’instruction administrative D.A.5.11.6. Les fonds communs de placement sont décrits dans l’instruction administrative D.A.5.11.9.2. Leur gestion fait l’objet de l’instruction administrative D.A.5.11.9.3.


6 –      Pour une vue d’ensemble des régimes de pension courants, voir OCDE, Pensions at a Glance, 2005; mis à jour dans OCDE, Pensions at a Glance, 2011.


7 –      Les personnes qui ne sont pas couvertes en raison de leur situation d’emploi, telles que les commerçants indépendants, les employeurs et les membres des conseils d’administration, peuvent choisir de cotiser à un régime de pension professionnel si celui-ci a fait l’objet d’un accord pour les salariés de l’entreprise en question.


8 –      En pratique, celles-ci constituent une part sensiblement plus faible des fonds, ainsi que l’a indiqué ATP lors de l’audience.


9 –      Les régimes de pension personnels suivent un modèle en grande partie similaire, mais ce sont les bénéficiaires eux-mêmes qui concluent un contrat pour avoir un tel régime et qui paient pour celui-ci.


10 –      Ces comptes sont des comptes de pension plutôt que des comptes bancaires distincts.


11 – Arrêt du 5 juin 1997 (C-2/95, Rec. p. I-3017).


12 –      Concernant les deux premières questions, voir la jurisprudence citée à la note en bas de page 3 des présentes conclusions. Sur la troisième question, voir arrêts SDC, précité; du 26 juin 2003, MKG-Kraftfahrzeuge-Factoring (C-305/01, Rec. p. I-6729); ordonnance du 14 mai 2008, Tiercé Ladbroke (C-231/07 et C-232/07); arrêts du 22 octobre 2009, Swiss Re Germany Holding (C-242/08, Rec. p. I-10099); du 28 octobre 2010, Axa UK (C-175/09, Rec. p. I-10701), et du 28 juillet 2011, Nordea Pankki Suomi (C-350/10, Rec. p. I-7359). Voir, également, conclusions de l’avocat général Kokott dans l’affaire Granton Advertising (C-461/12), pendante devant la Cour. Je discute du second problème dans mes conclusions dans l’affaire ayant donné lieu à l’arrêt GfBk, précité.


13 –      Conclusions de l’avocat général Sharpston.


14 –      La Commission estime que le nombre de produits financiers et d’assurances sur le marché est supérieur à 5 000. Direction générale «Fiscalité et union douanière», document intitulé «Harmonisation des taxes sur le chiffre d’affaires», 5 mars 2008, TAXUD/2414/08, p. 3.


15 –      La différence dans le traitement des services financiers au regard de la TVA apparaît d’emblée dans un rapport préparé par PricewaterhouseCoopers pour la Commission: Study to Increase the Understanding of the Economic Effects of the VAT Exemption for Financial and Insurance Services, 2 novembre 2006. On trouve une présentation de la transposition des exonérations dans les droits nationaux des États membres dans l’annexe à IBFD, VAT Survey Financial Services, 2006. Voir, également, le commentaire de Wessels, J., Highlights & Insights on European Taxation, 2012, no 4, p. 62.


16 –      COM(2007) 747 final du 20 février 2008.


17 –      COM(2007) 746 final du 20 février 2008.


18 –      Voir direction générale «Fiscalité et union douanière», op. cit. (voir note en bas de page 14 des présentes conclusions).


19 –      Voir note de la présidence, Proposals for a Council Directive and Regulation as regards the VAT treatment of insurance and financial services, doc. 13577/10 FISC 92, du 16 septembre 2010, p. 20. ATP a fait référence à ce document au soutien de sa position selon laquelle les fonds de pension sont présumés être couverts par les termes de «fonds communs de placement».


20 –      Il ressort des documents publiés que le désaccord demeure également sur la question du traitement des fonds de pension. Note du secrétariat général, Proposals for a Council Directive and Regulation as regards the VAT treatment of insurance and financial services, doc. 18650/11 FISC 170 du 14 décembre 2011, p. 5. Le besoin de finaliser la réforme est souligné par Dahm, J., et Hamacher, R., Vermögensverwaltung und Umsatzsteuer, UR 2012, 817.


21 –      Lors de l’audience, le Royaume de Danemark a indiqué qu’il traite les fonds tels que celui en cause en tant que compagnies d’assurances.


22 –      Le Skatteministeriet a considéré que cela constituait une différence importante des fonds de pension comparés aux fonds communs de placement.


23 – Directive du Conseil du 20 décembre 1985 portant coordination des dispositions législatives, réglementaires et administratives concernant certains organismes de placement collectif en valeurs mobilières (OPCVM) (JO L 375, p. 3), telle que modifiée par la directive 2009/65/CE du Parlement européen et du Conseil, du 13 juillet 2009 (JO L 302, p. 32).


24 –      La Commission considère les caractéristiques visées à la première question, sous a) à c) et h), comme étant particulièrement pertinentes aux fins de la comparaison avec les fonds communs de placement.


25 –      Arrêts du 12 septembre 2000, Commission/Irlande (C-358/97, Rec. p. I-6301, point 51); du 3 mars 2005, Fonden Marselisborg Lystbådehavn (C-428/02, Rec. p. I-1527, point 2); du 26 mai 2005, Kingscrest Associates et Montecello (C-498/03, Rec. p. I-4427, point 22); Abbey National, précité (point 38); JP Morgan (point 19), ainsi que Wheels (point 16).


26 –      Arrêts du 28 mars 1996, Gemeente Emmen (C-468/93, Rec. p. I-1721, point 25); Abbey National, précité (point 39); JP Morgan (point 20), et Wheels (point 16).


27 –      Arrêts du 27 avril 2006, Solleveld et van den Hout-van Eijnsbergen (C-443/04 et C-444/04, Rec. p. I-3617, point 29), ainsi que JP Morgan (point 21).


28 –      Arrêt JP Morgan (point 22); voir, également, arrêts Gemeente Emmen, précité (point 25), et du 12 janvier 2006, Turn- und Sportunion Waldburg (C-246/04, Rec. p. I-589, point 31).


29 –      Arrêts du 15 juin 1989, Stichting Uitvoering Financiële Acties (348/87, Rec. p. 1737, point 13); du 6 novembre 2003, Dornier (C-45/01, Rec. p. I-12911, point 42); du 1er décembre 2005, Ygeia (C-394/04 et C-395/04, Rec. p. I-10373, point 15), ainsi que Abbey National, précité (point 60).


30 –      Arrêt Abbey National, précité (point 41).


31 – Rossi, P., L’Avvocato generale della Corte UE – Chiarita la portata dell’esenzione Iva per le operazioni di gestione dei fondi comuni di investimento, Il fisco n. 38/2005, 14422.


32 –      Arrêt JP Morgan (point 41).


33 –      Arrêts JP Morgan (points 45 et 46); Wheels (point 18), ainsi que points 15 et 17 des conclusions de l’avocat général Kokott dans l’affaire ayant donné lieu audit arrêt JP Morgan.


34 –      De manière similaire, les versions en langues italienne et portugaise se réfèrent respectivement à «fondi comuni d’investimento» et à «fundos comuns de investimento».


35 –      Arrêts Abbey National, précité (point 55), et JP Morgan (point 33).


36 –      Arrêt Abbey National, précité (points 55, 61, 64 et 65), ainsi que points 38, 41 à 43, 50 et 73 à 83 des conclusions de l’avocat général Kokott dans cette affaire; arrêt JP Morgan (points 31 à 34) ainsi que points 32 et 33 des conclusions de l’avocat général Kokott dans cette affaire; arrêt Deutsche Bank, précité (point 32), et point 74 des conclusions de l’avocat général Sharpston dans cette affaire.


37 –      Arrêt Wheels (point 23).


38 –      Point 68 des conclusions.


39 –      La référence aux «petits» investisseurs qui figurait dans l’arrêt Abbey National, précité, a été abandonnée dans l’arrêt ultérieur JP Morgan (point 45), ainsi que le relève l’avocat général Sharpston au point 21 de ses conclusions dans l’affaire ayant donné lieu à l’arrêt Deutsche Bank, précité.


40 –      Points 27 à 29 desdites conclusions. La Cour se réfère à cette dernière considération de nouveau au titre de la «neutralité fiscale». Arrêts Abbey National, précité (point 62), et Wheels (point 19).


41 –      Arrêts Abbey National, précité (point 62); JP Morgan (point 45), et Deutsche Bank, précité (point 33). Voir arrêt Wheels (point 23).


42 –      Arrêts Abbey National, précité (point 53), et JP Morgan (point 26).


43 –      Arrêt Abbey National, précité (point 56).


44 –      Arrêt JP Morgan (points 28 à 30 et 35).


45 –      Arrêts du 23 octobre 2003, Commission/Allemagne (C-109/02, Rec. p. I-12691, point 20); du 16 septembre 2004, Cimber Air (C-382/02, Rec. p. I-8379, point 24); du 17 février 2005, Linneweber et Akritidis (C-453/02 et C-462/02, Rec. p. I-1131, point 24); du 8 juin 2006, L.u.P. (C-106/05, Rec. p. I-5123, point 32); JP Morgan (point 46), ainsi que Wheels (points 20 et 21).


46 –      Point 60 desdites conclusions.


47 –      Arrêt Wheels (point 24).


48 –      Arrêt JP Morgan (points 50 et 51).


49 –      Jaster, E., et Murchner, I., Die umsatzsteuerliche Behandlung von Vermögensverwaltungsleistungen (Teil 2), UStB 2013, 54, observent que les critères développés dans l’arrêt JP Morgan et ceux de la directive OPCVM sont similaires.


50 –      C’est de cette façon que je lis les arrêts Abbey National, précité, et JP Morgan.


51 –      On peut trouver l’application la plus claire de cette approche dans l’arrêt Wheels. On peut soutenir que l’arrêt Deutsche Bank, précité, a ouvert la voie à ce dernier.


52 –      La directive 2003/41/CE du Parlement européen et du Conseil, du 3 juin 2003, concernant les activités et la surveillance des institutions de retraite professionnelle (JO L 235, p. 10), est entrée en vigueur le 23 septembre 2003.


53 –      Cela valait également dans l’arrêt Wheels (point 25). Il y a lieu de relever que la directive 2003/41, conformément à son article 2, paragraphe 2, sous b), ne s’applique pas aux OPCVM.


54 –      Arrêt Wheels (points 24 et 26).


55 –      Points 16 et 17 de ses conclusions dans l’affaire ayant donné lieu à l’arrêt PPG Holdings, précité.