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CONCLUSIONS DE L’AVOCAT GÉNÉRAL

Mme Juliane Kokott

présentées le 20 mai 2015 (1)

Affaire C-595/13

Staatssecretaris van Financiën

contre

Fiscale Eenheid X NV cs

[demande de décision préjudicielle formée par le Hoge Raad der Nederlanden (Pays-Bas)]

«Droit fiscal – TVA – Article 13, B, initio et sous d), point 6, de la sixième directive 77/388/CEE – Exonération pour la gestion de fonds communs de placement – Biens immobiliers en tant qu’objets d’un fonds commun de placement – L’exploitation effective d’un bien immobilier prise en tant que forme de gestion du fonds commun de placement»





I –    Introduction

1.        La législation de l’Union en matière de taxe sur la valeur ajoutée (ci-après la «TVA») connaît depuis près de 40 ans l’exonération de la gestion des fonds d’investissement, qui a fait l’objet d’un certain nombre d’arrêts de la Cour (2). C’est pourtant aujourd’hui seulement et avec la présente demande de décision préjudicielle qui nous vient des Pays-Bas que la Cour est saisie pour la première fois de la question de savoir si et dans quelle mesure cette exonération profite également aux capitaux de placement immobilier et pas seulement aux capitaux de placement en titres.

II – Cadre juridique

 La réglementation de la TVA

2.        Pendant la période pertinente pour la procédure au principal, la TVA était régie dans l’Union européenne par la sixième directive 77/388/CEE du Conseil, du 17 mai 1977, en matière d’harmonisation des législations des États membres relatives aux taxes sur le chiffre d’affaires — Système commun de taxe sur la valeur ajoutée: assiette uniforme (3) (ci-après la «sixième directive»), dans la version en vigueur pour l’année 1996.

3.        Aux termes de l’article 2, paragraphe 1, de la sixième directive, la TVA s’applique, entre autres, aux «prestations de services, effectuées à titre onéreux à l’intérieur du pays par un assujetti agissant en tant que tel».

4.        Cependant, aux termes de l’article 13, B, initio et sous d), point 6, de la sixième directive, les opérations suivantes sont exonérées de la TVA:

«6.      la gestion de fonds communs de placement, tels qu’ils sont définis par les États membres».

5.        Cette disposition équivaut à celle de l’article 135, paragraphe 1, sous g), de la directive 2006/112/CE du Conseil, du 28 novembre 2006, relative au système commun de taxe sur la valeur ajoutée (4), qui est actuellement applicable. La jurisprudence qui s’y rapporte peut donc également être prise en compte dans la présente affaire.

6.        En droit néerlandais, l’article 11, paragraphe 1, sous i), point 3, de la loi relative à la taxe sur le chiffre d’affaires (Wet Omzetbelasting), de 1968, exonère de taxe sur le chiffre d’affaires la gestion, par des capitaux de placement et des sociétés de placement, de capitaux réunis en vue d’un placement collectif.

 Droit de surveillance pour les placements

7.        Le champ d’application de la directive 85/611/CEE du Conseil, du 20 décembre 1985, portant coordination des dispositions législatives, réglementaires et administratives concernant certains organismes de placement collectif en valeurs mobilières (OPCVM) (5), dans la version qui était en vigueur en 1996 (ci-après la «directive OPCVM»), est défini par son sixième considérant de la manière suivante:

«considérant que, dans un premier stade, il convient de limiter la coordination des législations des États membres aux organismes de placement collectif de type autre que ‘fermé’ qui offrent leurs parts en vente au public dans la Communauté et qui ont pour unique objet d’investir en valeurs mobilières […]; que la réglementation des organismes de placement collectif auxquels la directive ne s’applique pas pose divers problèmes qu’il convient de régler par d’autres dispositions et que, par conséquent, ces organismes feront l’objet d’une coordination ultérieure; […]».

8.        Aux termes de son article 1er, la directive 2011/61/UE sur les gestionnaires de fonds d’investissement alternatifs (6) a l’objet suivant:

«La présente directive fixe les règles en ce qui concerne l’agrément, les activités et la transparence des gestionnaires de fonds d’investissement alternatifs (ci-après dénommés ‘gestionnaires’) qui gèrent et/ou commercialisent des fonds d’investissement alternatifs (FIA) dans l’Union.»

9.        Il faut encore citer les extraits suivants de l’annexe I de la directive sur les gestionnaires de FIA:

«1.      Fonctions de gestion des investissements qu’un gestionnaire exerce au minimum lorsqu’il gère un FIA:

a)      gestion du portefeuille;

b)       gestion des risques.

2.      Autres fonctions qu’un gestionnaire peut exercer à titre complémentaire dans le cadre de la gestion collective d’un FIA:

a)      administration:

[…]

b)      commercialisation;

c)      les activités liées aux actifs d’un FIA, à savoir […] la gestion des infrastructures, les activités d’administration des immeubles […].»

III – Le litige au principal

10.      Le litige au principal a pour objet la dette de TVA de la société Fiscale Eenheid X NV cs (ci-après «X») pour l’année 1996.

11.      X est une entité fiscale réunissant plusieurs sociétés, qui sont traitées comme un assujetti unique pour l’application de la TVA. X inclut également la société A Beheer NV (ci-après «A»).

12.      En 1996, A a fourni des prestations de services à trois sociétés, qui avaient été créées par plusieurs fonds de pension pour s’occuper de commerce et d’exploitation de biens immobiliers. Comme ces sociétés n’avaient pas d’employés, A a accepté par contrat d’assumer les tâches suivantes:

a)      l’activité de directeur des sociétés;

b)      toutes les activités de nature exécutive qui s’imposent aux sociétés en vertu de dispositions légales, de contrats de société, de statuts et de décisions administratives;

c)      la gestion du patrimoine des sociétés, en particulier des biens immobiliers;

d)      l’établissement des rapports financiers, le traitement de données et le contrôle comptable interne;

e)      les actes de disposition du patrimoine du mandant, notamment l’acquisition et la vente des biens immobiliers;

f)      le recrutement d’actionnaires ou détenteurs de parts.

13.      X pense que la totalité des activités de A énumérées ci-dessus doit bénéficier de l’exonération pour le travail de gestion assuré par des sociétés de placement prévue à l’article 11, paragraphe 1, sous i), point 3, de la loi relative à la taxe sur le chiffre d’affaires. En revanche, l’administration fiscale ne considère comme exonérés que l’achat et la vente de biens immobiliers ainsi que le recrutement de nouveaux détenteurs de parts [voir ci-dessus, sous e) et f)].

IV – Procédure devant la Cour de justice

14.      L’affaire est arrivée jusqu’au Hoge Raad der Nederlanden (Pays-Bas) qui, estimant que la solution dépendait en partie de l’interprétation du droit de l’Union, a saisi la Cour le 21 novembre 2013 au titre de l’article 267 TFUE des questions préjudicielles suivantes:

«1)       L’article 13, B, initio et sous d), point 6), de la sixième directive doit-il être interprété en ce sens qu’une société créée par plus d’un investisseur dans le seul but d’investir le patrimoine qu’ils ont constitué dans des biens immobiliers peut être considérée comme un fonds commun de placement au sens de cette disposition?

2)      En cas de réponse affirmative à la première question: l’article 13, B, initio et sous d), point 6, de la sixième directive doit-il être interprété en ce sens que la notion de ‘gestion’ vise également l’exploitation effective des biens immobiliers de la société que celle-ci a confiée à un tiers?»

15.      X, les gouvernements néerlandais et suédois ainsi que la Commission européenne ont déposé des observations écrites au mois de mars 2014. La procédure orale du 4 mars 2015 s’est déroulée en présence des mêmes ainsi que du gouvernement du Royaume-Uni.

V –    Appréciation juridique

16.      La juridiction de renvoi pose des questions relatives à l’exonération de TVA pour la gestion de fonds communs de placement au titre de l’article 13, B, initio et sous d), point 6, de la sixième directive. La première question se rapporte à la notion de «fonds communs de placement» (nous l’aborderons sous A); la seconde question concerne la notion de «gestion» (dont nous parlerons sous B).

A –    Sur la première question préjudicielle: la notion de «fonds communs de placement»

17.      Conformément à l’article 13, B, initio et sous d), point 6, de la sixième directive, la gestion de «fonds communs de placement, tels qu’ils sont définis par les États membres», est exonérée de la TVA. Par sa première question, la juridiction de renvoi veut clarifier en substance si un tel fonds commun de placement peut également se composer de biens immobiliers.

1.      La nécessité d’une surveillance spécifique de la part de l’État

18.      En dépit du pouvoir de définition qui leur est reconnu par le libellé de l’article 13, B, initio et sous d), point 6, de la sixième directive, les États membres ne peuvent répondre de manière autonome à cette question. En effet, ainsi que l’avocat général Cruz Villalón l’a constaté récemment (7), notre jurisprudence ne laisse aux États membres qu’une marge d’appréciation limitée pour définir les «fonds communs de placement».

19.      La Cour a relevé à ce propos qu’un État membre n’a pas le droit de sélectionner parmi les fonds communs de placement ceux qui bénéficient de l’exonération et ceux qui n’en bénéficient pas; il n’a que le pouvoir de définir, dans son droit interne, les fonds qui correspondent à la notion de «fonds communs de placement» (8).

20.      Si à première vue elle peut sembler de nature à susciter la confusion, cette affirmation s’explique pourtant facilement. Il faut en effet distinguer deux domaines de réglementation: d’une part, la réglementation de la TVA et, d’autre part, la surveillance étatique des placements ou des «organismes de placement collectif», comme ils sont quelquefois qualifiés en droit de l’Union (9).

21.      Ainsi que la Cour de justice l’a observé à plusieurs reprises dans le cadre de l’interprétation de l’exonération fiscale dont il s’agit ici, la réglementation de la TVA a été harmonisée avant la législation relative à la surveillance (10). Partant, il a fallu que la législation de l’Union en matière de TVA se réfère au droit national pour pouvoir exonérer de TVA la gestion de placements soumis à une surveillance étatique spécifique (11). Initialement, seuls les États membres déterminaient les placements soumis à une réglementation étatique et, par conséquent, à des règles d’autorisation et de surveillance, en particulier pour protéger les investisseurs. Pour de tels fonds communs de placement réglementés au niveau national, le droit de l’Union a alors accordé un droit à exonération au titre de l’article 13, B, initio et sous d), point 6, de la sixième directive.

22.      Le fait que l’exonération est réservée aux investissements faisant l’objet d’une surveillance étatique spécifique n’a certes pas encore été explicitement énoncé par la Cour, mais il forme clairement la base de sa jurisprudence.

23.      En effet, après que la directive OPCVM eut introduit au niveau de l’Union un premier élément de réglementation de la surveillance étatique spécifique pour les capitaux de placement, la Cour a restreint la marge de manœuvre des États membres pour définir les fonds communs de placement au sens de l’article 13, B, initio et sous d), point 6, de la sixième directive: les États membres sont tenus de classer les fonds régis par la directive OPCVM dans les «fonds communs de placement (12)». L’harmonisation de la réglementation en matière de surveillance est ainsi venue se superposer au pouvoir de définition des États membres (13).

24.      Toutefois, là où la surveillance n’est pas réglementée au niveau de l’Union, le pouvoir de définition des États membres perdure. En effet, au sixième considérant de la directive OPCVM, le législateur de l’Union expose que l’harmonisation ne doit «dans un premier stade» toucher que les organismes de placement autres que fermés et qui investissent uniquement en valeurs mobilières. C’est pourquoi la Cour de justice a pu constater qu’une société d’investissement à capital fixe, dont la surveillance étatique n’est pas régie par le droit de l’Union, peut néanmoins ressortir à la notion de fonds communs de placement au sens de l’article13, B, initio et sous d), point 6 de la sixième directive (14).

25.      Pour la présente affaire, cette situation n’a pas changé. En effet, le renforcement par la directive sur les gestionnaires de FIA de l’harmonisation du droit de surveillance pour les placements ne peut être pris en considération dans la procédure au principal, où il faut tenir compte du droit en vigueur en 1996.

26.      La notion de «fonds communs de placement» au sens de l’article 13, B, initio et sous d), point 6, de la sixième directive est donc, au moins dans le droit anciennement en vigueur, déterminée à la fois par le droit de l’Union et par le droit national. Dans la mesure où le droit de l’Union les soumet, par le truchement de la directive OPCVM, à une surveillance étatique spécifique, les placements seront des fonds communs de placement au sens de la règle d’exonération. Si, de surcroît, les États membres prévoient également une surveillance étatique spécifique pour d’autres types de capitaux de placement, ces fonds bénéficieront en principe également de l’exonération.

27.      C’est en ce sens qu’il faut comprendre notre jurisprudence selon laquelle les États membres doivent également considérer comme des fonds communs de placement des fonds qui, sans constituer des organismes de placement collectif au sens de la directive OPCVM, leur sont au moins suffisamment comparables pour se situer dans un rapport de concurrence avec eux (15). Une telle concurrence ne se conçoit en principe qu’entre placements soumis à une surveillance étatique spécifique. Eux seuls peuvent être soumis aux mêmes conditions de concurrence et s’adresser à un même cercle d’investisseurs.

28.      L’arrêt ATP PensionService, où la Cour a constaté que la notion de «fonds commun de placement» peut aussi englober les caisses de retraite professionnelle (16), est également en accord avec la nécessité d’une surveillance étatique spécifique. En effet, les systèmes de retraite professionnelle sont en principe soumis à une telle surveillance, conformément à la directive 2003/41/CE concernant les activités et la surveillance des institutions de retraite professionnelle (17).

29.      Enfin, en limitant le champ d’application de l’exonération aux placements soumis à une surveillance étatique spécifique, l’on respecte également le principe maintes fois énoncé par la Cour selon lequel les dispositions prévoyant une exonération de taxe doivent être interprétées strictement (18). En effet, si l’exonération s’étendait également à des placements non réglementés, son champ d’application serait très large. L’on pourrait alors considérer comme fonds communs de placement mêmes des sociétés servant de holding pour des participations, ce que le gouvernement du Royaume-Uni a relevé à juste titre dans la procédure orale.

30.      En ce qui concerne la présente affaire, il y a lieu de constater qu’un placement composé exclusivement de biens immobiliers n’est pas soumis à la surveillance prévue par le droit de l’Union applicable en 1996. Conformément à son article 1er, paragraphe 1 et paragraphe 2, premier tiret, la directive OPCVM n’est applicable qu’aux placements en valeurs mobilières.

31.      Partant, un placement en biens immobiliers ne peut être un fonds commun de placement au sens de l’article13, B, initio et sous d), point 6, de la sixième directive que si le droit national prévoit une surveillance étatique spécifique pour un tel fonds. Comme les indications fournies par la juridiction de renvoi ne permettent pas de déterminer si tel est le cas dans la procédure au principal, c’est à cette juridiction qu’il reviendra de trancher ce point.

2.      Les biens immobiliers en tant que forme licite de fonds communs de placement

32.      Pour le cas où la juridiction de renvoi constaterait que les trois sociétés auxquelles A a fourni diverses prestations étaient soumises à une surveillance étatique spécifique, il faudra encore se demander si un tel fonds commun de placement en vertu du droit national en matière de surveillance doit également être considéré comme un fonds commun de placement au sens de l’exonération prévue à l’article13, B, initio et sous d), point 6, de la sixième directive.

33.      En effet, selon la jurisprudence, il y a une limite extérieure au droit de définition des États membres. La qualification de «fonds commun de placement» au sens du droit national en matière de surveillance et sur le fondement du régime spécifique applicable à un placement n’est pas suffisante pour retenir l’applicabilité de l’exonération. Il faut encore qu’il s’agisse de fonds relevant de la notion de «fonds communs de placement» au sens de l’article 13, B, initio et sous d), point 6, de la sixième directive et susceptibles d’être exonérés à la lumière de l’objectif de cette directive et du principe de neutralité fiscale (19).

34.      Partant, même dans l’hypothèse où l’activité des trois sociétés auxquelles A a fourni diverses prestations aurait été soumise à une surveillance étatique spécifique, la qualification de fonds commun de placement au sens de l’article 13, B, initio et sous d), point 6, pourrait leur être refusée au motif que des placements en biens immobiliers ne sont pas englobés dans l’objectif poursuivi par cette exonération.

35.      Il est de jurisprudence constante que l’objectif de l’exonération est de faciliter aux investisseurs le placement dans des titres au moyen d’organismes de placement, en excluant les coûts de la TVA et, ainsi, en assurant la neutralité du système commun de TVA quant au choix entre le placement direct en titres et celui qui intervient par l’intermédiaire d’organismes de placement collectif. La Cour souligne cependant expressément que cet objectif limité aux titres n’est pas le seul (20).

36.      Pour déterminer l’objectif de l’exonération, il faut partir du libellé de l’article 13, B, initio et sous d), point 6, de la sixième directive. Cette disposition se réfère sur un plan général aux «fonds communs de placement», mais sans évoquer aucune forme déterminée de placement. Rien n’indique donc que cette exonération ne favoriserait que l’investissement dans des titres et non d’autres formes de placement aussi.

37.      La juridiction de renvoi s’interroge cependant sur le point de savoir si l’objectif de l’exonération formulé par la Cour peut être rempli lorsqu’il s’agit de biens immobiliers. En effet, l’investissement direct dans des biens immobiliers serait en général soumis à la TVA. Derrière cet argument, il y a sans doute l’idée qu’en revanche, l’investissement direct dans des titres est normalement exonéré conformément à l’article13, B, initio et sous d), point 5, de la sixième directive. Si, comme la juridiction de renvoi semble le croire, l’investissement direct dans des biens immobiliers n’est de toute manière pas exonéré, il ne serait pas non plus nécessaire d’exonérer la gestion d’un fonds immobilier pour appliquer un traitement fiscal neutre à l’investissement direct et au placement dans des fonds immobiliers.

38.      Pour sa part, la question de savoir si l’achat/vente des objets d’un placement est exonéré ou non est dépourvue de pertinence pour l’objectif défini par la Cour de l’exonération de la gestion de fonds communs de placement. Telle qu’elle est voulue par l’article 13, B, initio et sous d), point 6, l’égalité de traitement entre placement direct et investissement dans des fonds communs de placement est garantie par le fait qu’aucune TVA supplémentaire n’est perçue pour la gestion du fonds commun de placement, qui est assurée dans le cadre d’un placement direct par l’investisseur lui-même et qui est ainsi d’emblée exonérée de TVA. Lors de l’achat ou de la vente d’objets faisant partie du placement, l’investissement direct et l’investissement dans un fonds commun de placement sont de toute façon traités en principe de façon égale, parce que normalement la TVA s’appliquera ou non dans les deux cas, selon l’objet du placement.

39.      L’objectif de l’exonération est donc également atteint en cas de placement immobilier, puisque l’investissement dans un fonds sera exonéré de frais supplémentaires de TVA qui ne se présenteraient pas en cas d’investissement direct dans des biens immobiliers. Le fait que la Cour n’a jusqu’ici rapporté cet objectif qu’aux titres s’explique par l’objet des procédures jusqu’ici et peut-être par le fait que pendant longtemps, il n’y a eu de législation de l’Union en matière de surveillance qu’en ce qui concerne les fonds de valeurs mobilières.

40.      Comme l’indiquent le sixième considérant, l’article 19, paragraphe 1, sous e), et l’article 24 de la directive OPCVM, la législation en matière de surveillance vise toutefois en règle générale non pas seulement les OPCVM, mais également d’autres organismes de placement collectif. L’investissement dans des valeurs mobilières ne constitue donc qu’une forme particulière d’investissement réglementé. Cela est confirmé par la directive sur les gestionnaires de FIA, actuellement en vigueur, qui représente au niveau de l’Union une nouvelle étape d’harmonisation en ce qui concerne la surveillance étatique spécifique appliquée aux placements. La directive sur les gestionnaires de FIA s’applique notamment également aux fonds immobiliers, ainsi que l’indique expressément son considérant 34.

41.      Dans ce contexte, l’extension aux fonds immobiliers de l’exonération prévue à l’article 13, B, initio et sous d), point 6, de la sixième directive permet également d’éviter une violation du principe de la neutralité fiscale. En effet, dès lors que des placements sont soumis à une surveillance étatique spécifique comparable, et ce qu’ils soient constitués de valeurs mobilières ou de biens immobiliers, il y a également une concurrence directe entre ces formes de placement. Dans les deux cas, la seule chose qui importe à l’investisseur est ce que ces capitaux lui rapportent en termes d’intérêts. Selon une jurisprudence constante, le principe de neutralité fiscale ne permet cependant pas que des marchandises ou des prestations de services semblables, qui se font donc concurrence, soient traitées différemment du point de vue de la TVA (21).

42.      Enfin, nous rejetons également comme dépourvu de fondement l’argument du gouvernement suédois relatif à la prétendue absence de répartition des risques d’un fonds immobilier. Il est vrai que, d’après la jurisprudence, un fonds commun de placement doit permettre la répartition du risque que supportent les investisseurs (22). Même si un fonds immobilier n’investit par définition que dans des biens immobiliers, il en résulte malgré tout une répartition des risques. C’est évident en cas d’investissement dans plusieurs immeubles, mais cela vaut également pour un bien immobilier unique, mais de grande taille, qui permettra, par exemple, de répartir le risque constitué par l’inoccupation sur un grand nombre d’unités résidentielles ou commerciales. Pour des raisons analogues, les fonds communs de placement de valeurs mobilières peuvent également être limités à une certaine branche sans pour autant perdre leur exonération.

43.      Au final, il faut donc également considérer comme fonds commun de placement – au sens de l’exonération prévue à l’article 13, B, initio et sous d), point 6, de la sixième directive – les patrimoines immobiliers que le droit national a placés sous une surveillance étatique spécifique en tant que fonds communs de placement.

3.      Conclusion

44.      Il convient de répondre à la première question préjudicielle qu’une société créée par plus d’un investisseur dans le seul but d’investir le patrimoine qu’ils ont constitué dans des biens immobiliers peut être considérée comme un fonds commun de placement au sens de l’article 13, B, initio et sous d), point 6, de la sixième directive, à condition que l’État membre concerné ait soumis cette société à une surveillance étatique spécifique.

B –    Sur la deuxième question préjudicielle: la notion de «gestion»

45.      La deuxième question préjudicielle se rapporte à l’interprétation de la notion de «gestion» au sens de l’exonération prévue à l’article 13, B, initio et sous d), point 6, de la sixième directive. La juridiction de renvoi pose la question de savoir si cette notion vise également l’exploitation effective des biens immobiliers de la société, que celle-ci a confiée à un tiers. L’exploitation effective du bien immobilier englobe, d’après la décision de renvoi, en particulier sa mise en location, la gestion des locations existantes ainsi que la délégation à des tiers et le contrôle de mesures d’entretien.

46.      Il résulte des motifs de la décision de renvoi que par «tiers» il faut entendre la société A. Comme cette dernière a pris en charge la totalité des tâches de gestion, y compris la gérance, pour les trois sociétés, il n’y a pas lieu de se poser ici la question, déjà maintes fois traitée par la Cour, de savoir à quelles conditions un gestionnaire tiers peut fournir, en exonération, certains services de gestion, en qualité de sous-contractant du gestionnaire principal du fonds commun de placement (23).

47.      Il s’agit donc en l’espèce exclusivement de savoir ce qui entre dans la notion de «gestion» au sens de l’exonération fiscale. Pour reprendre les termes de la discussion entre les parties, cette gestion se rapporte-t-elle uniquement à l’achat et à la vente des biens immobiliers ou également à leur exploitation effective?

48.      Ainsi que la Cour l’a déjà relevé, la notion de «gestion» au sens de l’article 13, B, sous d), point 6, de la sixième directive se définit exclusivement sur la base du droit communautaire; les États membres n’ont aucun pouvoir d’appréciation en la matière (24).

49.       Notre jurisprudence n’a cependant pas encore donné de définition concluante de la notion de «gestion». Le seul fait certain est que les opérations visées par cette exonération sont celles qui sont «spécifiques» à l’activité des organismes de placement collectif (25).

50.      L’appréciation du point de savoir ce qui est «spécifique» pour la gestion d’un fonds commun de placement dépend de l’objet de ce fonds. L’objectif d’un tel fonds commun de placement est de préserver et d’accroître le patrimoine. C’est pourquoi il faut considérer comme spécifique pour la gestion d’un tel fonds tout ce qu’un gestionnaire doit faire pour préserver la valeur des capitaux qui lui ont été confiés et pour en tirer un rendement. Pour cela, il doit correctement gérer les placements qui lui ont été confiés. Ce que cela signifie concrètement ne peut être défini que par référence à l’objet du placement.

51.      Pour les biens immobiliers, ils ne peuvent en principe garder leur valeur et produire un rendement que s’ils sont effectivement exploités. Le simple fait de détenir un droit de propriété sur des biens immobiliers n’a normalement pas pour effet de leur faire produire un rendement.

52.      Si le fonds commun de placement est en revanche constitué de parts dans des sociétés, le détenteur de parts n’est en principe pas obligé d’œuvrer lui-même à obtenir un rendement. En effet, l’activité de la société sera alors assurée par sa direction, qui est autonome.

53.      Partant, pour une exploitation en bonne et due forme de l’objet du placement, il suffit – par exemple, lorsqu’il s’agit de placements en actions – d’exercer les droits d’un détenteur de parts, comme le droit de vote. Le détenteur de parts n’est en revanche même pas en droit de véritablement exercer l’activité qui fait l’objet de la société dans laquelle il détient des parts. L’exploitation effective d’un bien immobilier n’est pour cette raison pas comparable avec l’exploitation effective de l’activité qui fait l’objet d’une société dans laquelle un fonds de placement en valeurs mobilières détient des parts et qui ne relève justement pas de la «gestion» au sens de l’exonération prévue à l’article 13, B, initio et sous d), point 6, de la sixième directive.

54.      Le gestionnaire d’un fonds commun de placement peut donc, lorsqu’il s’agit d’actions, en substance se contenter de détenir les parts dans des sociétés pour obtenir un rendement, tandis que cela ne suffira justement pas dans le cas des biens immobiliers.

55.      Ce point de vue trouve confirmation dans la réglementation actuelle de l’Union en matière de surveillance. C’est ainsi que l’annexe I, point 2, sous c), de la directive sur les gestionnaires de FIA prévoit que les tâches qui peuvent être assumées par le gestionnaire d’un fonds d’investissement alternatif et qui sont donc soumises à la surveillance de l’administration incluent, outre «l’administration», «la gestion des infrastructures» et «les activités d’administration des immeubles», c’est-à-dire l’exploitation effective des immeubles. Pour les fonds communs de placement qui relèvent de la directive OPCVM, la Cour renvoie également à la description de l’activité des fonds d’investissement et des sociétés d’investissement figurant à l’annexe II de cette directive. En effet, d’après la jurisprudence, les activités figurant à l’annexe II de la directive OPCVM, sous la rubrique «Administration», sont en tout cas spécifiques au même titre que la gestion de portefeuille (26). Partant, même si la directive relative aux gestionnaires de FIA est arrivée trop tard pour s’appliquer au litige au principal, ses dispositions montrent pourtant que l’exploitation effective des biens immobiliers fait partie des tâches ou missions «spécifiques» d’un fonds immobilier.

56.      Enfin, l’absence d’exonération de la TVA pour la gestion d’un bien immeuble lorsqu’elle est confiée par un investisseur individuel à un tiers n’est pas non plus un obstacle à l’inclusion de l’exploitation d’un immeuble dans la notion de «gestion». En effet, la Cour a déjà rejeté un argument comparable dans son arrêt GfBk qui se rapportait à des prestations de conseil pour des fonds de placement de titres (27). Au regard de l’objectif de l’exonération de la TVA (28), il faut en effet simplement comparer le placement dans un fonds immobilier au placement direct dans un bien immobilier, où l’exploitation effective est assurée par l’investisseur lui-même et qui ne donne pas non plus lieu à imposition de la TVA. L’exonération de l’exploitation effective du bien immobilier par le gestionnaire d’un fonds immobilier sert donc, conformément à l’objectif de l’exonération, à assurer la neutralité dans le cadre du choix entre l’investissement direct dans un immeuble et l’investissement dans un fonds immobilier.

57.      Il convient donc de répondre à la deuxième question préjudicielle que la notion de «gestion» figurant à l’article 13, B, initio et sous d), point 6, de la sixième directive englobe l’exploitation effective des biens immobiliers du fonds commun de placement.

VI – Conclusion

58.      Par ces motifs, nous proposons de répondre aux questions préjudicielles soulevées par le Hoge Raad der Nederlanden dans le sens suivant:

L’article 13, B, initio et sous d), point 6, de la sixième directive 77/388/CEE du Conseil, du 17 mai 1977, en matière d’harmonisation des législations des États membres relatives aux taxes sur le chiffre d’affaires — Système commun de taxe sur la valeur ajoutée: assiette uniforme doit être interprété en ce sens que:

–        Une société créée par plus d’un investisseur dans le seul but d’investir le patrimoine qu’ils ont constitué dans des biens immobiliers peut être considérée comme un «fonds commun de placement» à condition que l’État membre concerné ait soumis cette société à une surveillance étatique spécifique.

–        La «gestion» d’un tel fonds commun de placement englobe l’exploitation effective des biens immobiliers.


1 – Langue originale: l’allemand.


2 – Arrêts Abbey National (C-169/04, EU:C:2006:289); JP Morgan Fleming Claverhouse Investment Trust et The Association of Investment Trust Companies (C-363/05, EU:C:2007:391); Deutsche Bank (C-44/11, EU:C:2012:484); GfBk (C-275/11, EU:C:2013:141, point 30); Wheels Common Investment Fund Trustees e.a. (C-424/11, EU:C:2013:144, point 19) ainsi qu’ATP PensionService (C-464/12, EU:C:2014:139, point 43); voir également conclusions de l’avocat général Poiares Maduro présentées dans l’affaire BBL (C-8/03, EU:C:2004:309) et celles de l’avocat général Sharpston présentées dans l’affaire PPG Holdings (C-26/12, EU:C:2013:254).


3 – JO L 145, p. 1.


4 – JO L 347, p. 1.


5 – JO L 375, p. 3. Le texte actuellement en vigueur est la directive 2009/65/CE du Parlement européen et du Conseil, du 13 juillet 2009, portant coordination des dispositions législatives, réglementaires et administratives concernant certains organismes de placement collectif en valeurs mobilières (OPCVM) (JO L 302, p. 32); ce texte n’est cependant pas pertinent en l’espèce, pour des raisons de champ d’application temporel.


6 – Directive du Parlement européen et du Conseil du 8 juin 2011 sur les gestionnaires de fonds d’investissement alternatifs et modifiant les directives 2003/41/CE et 2009/65/CE ainsi que les règlements (CE) n° 1060/2009 et (UE) n° 1095/2010 (JO L 174, p. 1, ci-après la «directive sur les gestionnaires de FIA»).


7 –      Voir points 34 à 36 des conclusions de l’avocat général Cruz Villalón présentées dans l’affaire ATP PensionService (C-464/12, EU:C:2013:840).


8 –      Arrêts Wheels Common Investment Fund Trustees e.a. (C-424/11, EU:C:2013:144, point 19) et ATP PensionService (C-464/12, EU:C:2014:139, point 43); voir également arrêt JP Morgan Fleming Claverhouse Investment Trust et The Association of Investment Trust Companies (C-363/05, EU:C:2007:391, points 41 à 43).


9 – L’article 1er, paragraphe 3, de la directive OPCVM englobe dans la définition d’un tel organisme à la fois les «fonds communs de placement», qui ne sont pas autonomes, et les «sociétés d’investissement», qui le sont; la directive sur les gestionnaires de FIA voit en revanche dans les «fonds d’investissement» la notion faîtière [article 1er et article 2, paragraphe 2, sous b)].


10 –      Arrêts Abbey National (C-169/04, EU:C:2006:289, point 55) ainsi que JP Morgan Fleming Claverhouse Investment Trust et The Association of Investment Trust Companies (C-363/05, EU:C:2007:391, point 22).


11 – Nous avons déjà relevé ce point dans nos conclusions présentées dans les affaires Abbey National (C-169/04, EU:C:2005:523, point 41) ainsi que JP Morgan Fleming Claverhouse Investment Trust et The Association of Investment Trust Companies (C-363/05, EU:C:2007:125, point 16).


12 – Arrêts Wheels Common Investment Fund Trustees e.a. (C-424/11, EU:C:2013:144, point 23) et ATP PensionService (C-464/12, EU:C:2014:139, point 46).


13 – Nous avons déjà relevé ce point dans nos conclusions présentées dans les affaires Abbey National (C-169/04, EU:C:2005:523, point 38) ainsi que JP Morgan Fleming Claverhouse Investment Trust et The Association of Investment Trust Companies (C-363/05, EU:C:2007:125, point 32).


14 – Arrêt JP Morgan Fleming Claverhouse Investment Trust et The Association of Investment Trust Companies (C-363/05, EU:C:2007:391, points 34, 35 et 37).


15 – Arrêts Wheels Common Investment Fund Trustees e.a. (C-424/11, EU:C:2013:144, point 24) et ATP PensionService (C-464/12, EU:C:2014:139, point 47).


16 – Arrêt ATP PensionService (C-464/12, EU:C:2014:139, point 59).


17 – Directive du Parlement européen et du Conseil du 3 juin 2003 (JO L 235, p. 10).


18 – Arrêts Velker International Oil Company (C-185/89, EU:C:1990:262, point 19); Stockholm Lindöpark (C-150/99, EU:C:2001:34, point 25) et Granton Advertising (C-461/12, EU:C:2014:1745, point 25).


19 – Voir arrêt JP Morgan Fleming Claverhouse Investment Trust et The Association of Investment Trust Companies (C-363/05, EU:C:2007:391, point 53); voir dans le même sens également arrêt ATP PensionService (C-464/12, EU:C:2014:139, point 42). 


20 – Arrêts Abbey National (C-169/04, EU:C:2006:289, point 62); JP Morgan Fleming Claverhouse Investment Trust et The Association of Investment Trust Companies (C-363/05, EU:C:2007:391, point 45); GfBk (C-275/11, EU:C:2013:141, point 30); Wheels Common Investment Fund Trustees e.a. (C-424/11, EU:C:2013:144, point 19) ainsi qu’ATP PensionService (C-464/12, EU:C:2014:139, point 43).


21 – Arrêts Commission/France (C-481/98, EU:C:2001:237, point 22); Marks & Spencer (C-309/06, EU:C:2008:211, point 47) ainsi que Pro Med Logistik Pongratz (C-454/12 et C-455/12, EU:C:2014:111, point 52).


22 – Arrêt ATP PensionService (C-464/12, EU:C:2014:139, points 51 et 59).


23 – Arrêts Abbey National (C-169/04, EU:C:2006:289, point 62); JP Morgan Fleming Claverhouse Investment Trust et The Association of Investment Trust Companies (C-363/05, EU:C:2007:391, point 45); GfBk (C-275/11, EU:C:2013:141, point 30); Wheels Common Investment Fund Trustees e.a. (C-424/11, EU:C:2013:144, point 19) ainsi qu’ATP PensionService (C-464/12, EU:C:2014:139, point 43).


24 – Arrêt Abbey National (C-169/04, EU:C:2006:289, points 40 à 43).


25 –      Arrêts Abbey National (C-169/04, EU:C:2006:289, point 63); Deutsche Bank (C-44/11, EU:C:2012:484, point 31) et ATP PensionService (C-464/12, EU:C:2014:139, point 65).


26 – Arrêts GfBk (C-275/11, EU:C:2013:141, points 22 et 25) ainsi qu’ATP PensionService (C-464/12, EU:C:2014:139, points 66 et 67). Voir également arrêt Abbey National (C-169/04, EU:C:2006:289, point 64).


27 – Arrêts GfBk (C-275/11, EU:C:2013:141, points 29 et 30).


28 – Voir point 35 des présentes conclusions.