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CONCLUSIONS DE L’AVOCAT GÉNÉRAL

M. PAOLO MENGOZZI

présentées le 20 octobre 2016 ( 1 )

Affaire C-573/15

État belge

contre

Oxycure Belgium SA

[demande de décision préjudicielle formée par la Cour d’appel de Liège (Belgique)]

«Renvoi préjudiciel — Taxe sur la valeur ajoutée (TVA) — Directive 2006/112/CE — Principe de neutralité fiscale — Traitement médical par oxygène — Taux réduit de TVA — Bonbonnes et récipients d’oxygène — Taux normal de TVA — Concentrateur d’oxygène — Notion de “handicap”»

I – Introduction

1.

Eu égard au principe de neutralité fiscale, un État membre est-il autorisé à appliquer à la vente et/ou à la location de concentrateurs d’oxygène la taxe sur la valeur ajoutée (TVA) au taux normal de 21 %, alors qu’il applique un taux réduit de 6 % à la vente de bouteilles d’oxygène médical ?

2.

Telle est, en substance, la question préjudicielle déférée à la Cour par la Cour d’appel de Liège (Belgique) et qui porte sur l’interprétation de l’article 98, paragraphes 1 et 2, de la directive 2006/112/CE du Conseil, du 28 novembre 2006, relative au système commun de la taxe sur la valeur ajoutée ( 2 ), telle que modifiée par la directive 2006/138/CE du Conseil, du 19 décembre 2006 ( 3 ) (ci-après la « directive TVA »), de l’annexe III, points 3 et 4, de cette directive, ainsi que du principe de neutralité fiscale.

3.

Cette demande a été présentée dans le cadre d’un litige qui oppose l’État belge à Oxycure Belgium SA (ci-après « Oxycure »), au sujet de l’assujettissement à la TVA de l’activité de vente et/ou de location de concentrateurs d’oxygène et d’accessoires pour l’oxygénothérapie.

4.

Les concentrateurs d’oxygène sont des appareils à usage médical, qui fonctionnent à l’électricité, dont le principe est de concentrer l’oxygène de l’air ambiant pour en extraire l’azote, offrant ainsi une concentration en oxygène plus élevée ( 4 ). Ce type d’appareils comprend une partie destinée à concentrer l’oxygène ainsi qu’une canule nasale ou un masque à oxygène et un tuyau d’adduction d’oxygène faisant partie intégrante des appareils. Les concentrateurs d’oxygène permettent l’oxygénothérapie à domicile pour les patients souffrant d’une insuffisance respiratoire ou d’une autre déficience grave nécessitant un traitement par oxygène et dont l’état ne peut plus s’améliorer par l’usage d’aérosols ou de bronchodilatateurs.

5.

Dans l’affaire au principal, il ressort du dossier que, entre le 1er octobre 2007 et le 31 mars 2010, Oxycure a appliqué à la location et à la vente de concentrateurs d’oxygène et de leurs accessoires un taux de TVA réduit de 6 % que le Royaume de Belgique a décidé de prélever pour la livraison et/ou la location de certains équipements, articles ou appareils médicaux, en application de l’article 98, paragraphe 2, et de l’annexe III de la directive TVA. Toutefois, selon les autorités fiscales belges, les opérations d’Oxycure auraient dû être soumises à l’application du taux normal de 21 %, conformément à l’arrêté royal no 20, du 20 juillet 1970, fixant les taux de la taxe sur la valeur ajoutée et déterminant la répartition des biens et des services selon ces taux ( 5 ). Les autorités fiscales belges ont donc adressé une contrainte à Oxycure lui demandant de s’acquitter du paiement de près de 1300000 euros de TVA ainsi que d’une amende correspondant à 10 % de la somme réclamée.

6.

Par jugement du 25 avril 2013, le tribunal de première instance de Namur (Belgique) a accueilli le recours formé par Oxycure contre la décision des autorités fiscales belges et a réformé celle-ci. En substance, selon ce jugement, les concentrateurs d’oxygène répondent à la définition de la rubrique XXIII intitulée « Divers », point 2, du tableau A de l’arrêté royal no 20 applicable à « un autre appareil à tenir à la main, à porter sur une personne ou à implanter dans l’organisme, afin de compenser une déficience ou une infirmité », permettant, de ce fait, aux opérations de vente et/ou de location de ces appareils de bénéficier du taux réduit de 6 %.

7.

L’État belge a interjeté appel de ce jugement devant la juridiction de renvoi.

8.

Cette juridiction constate que les concentrateurs d’oxygène constituent, à l’instar des bouteilles d’oxygène médical et des réservoirs d’oxygène médical liquide, une des trois sources d’oxygène disponibles sur le marché et que ces sources sont toutes interchangeables et/ou complémentaires. En effet, d’une part, la juridiction de renvoi se réfère à un rapport du Centre fédéral d’expertise des soins de santé belge selon lequel chaque source est disponible sous forme fixe de grande dimension et en modèle portable de petite dimension. La juridiction de renvoi note qu’il ressort également de ce rapport que, du point de vue de l’efficacité clinique pour le patient, un traitement par oxygène équivaudrait à un autre, indépendamment du fait que l’oxygène soit fourni par l’une ou l’autre de ces trois sources, qu’elle soit fixe ou portable, les différences entre ces modalités d’administration de l’oxygène étant uniquement liées à des questions de commodité (bruit, utilisation en dehors du domicile, volume disponible, remplissage du modèle portable par le patient) et au coût pour la société. D’autre part, la juridiction de renvoi relève que la réglementation belge relative à l’assurance obligatoire soins de santé et indemnités reconnaîtrait la parfaite interchangeabilité de ces sources d’oxygène, dès lors qu’une bouteille d’oxygène de dépannage est comprise dans le coût remboursable du concentrateur d’oxygène.

9.

Dans ces conditions, la juridiction de renvoi se demande si, à supposer même qu’aucune rubrique du tableau A de l’arrêté royal no 20 ne vise explicitement les concentrateurs d’oxygène, il y a lieu de considérer, en tout état de cause, que ce tableau doit être interprété au regard des principes du droit de l’Union, notamment du principe de neutralité fiscale, de sorte que le tableau en question viserait, à tout le moins implicitement, ces appareils au même titre que les autres sources d’oxygénation.

10.

La réponse à cette interrogation relevant de l’interprétation du droit de l’Union, la juridiction de renvoi a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour la question préjudicielle suivante :

« L’article 98, paragraphes 1 et 2, de la directive TVA, lu en combinaison avec l’annexe III, points 3 et 4, de la directive TVA, eu égard notamment au principe de neutralité, s’oppose-t-il à une disposition nationale qui prévoit un taux réduit de TVA applicable au traitement par oxygène au moyen de bonbonnes d’oxygène alors que le traitement par oxygène au moyen d’un concentrateur d’oxygène est soumis au taux normal de TVA ? »

11.

Cette question a fait l’objet d’observations écrites de la part d’Oxycure, du Royaume de Belgique et de la Commission européenne. Ces parties intéressées ont également été entendues en leurs plaidoiries et en leurs réponses aux questions de la Cour lors de l’audience qui s’est tenue le 19 septembre 2016.

II – Analyse

12.

La réponse à la question préjudicielle déférée par la juridiction de renvoi doit se décliner, selon moi, en deux temps. D’une part, il s’agit de déterminer si des concentrateurs d’oxygène, tels que ceux en cause dans l’affaire au principal, peuvent relever du point 3 ou du point 4 de l’annexe III de la directive TVA, points qui sont tous deux évoqués dans la question adressée à la Cour. En effet, si tel est le cas, la question de savoir si le principe de neutralité fiscale imposerait d’étendre le taux réduit de TVA de 6 %, qui est applicable à la vente d’oxygène médical, sous forme gazeuse ou liquide, en récipients, également à la vente et/ou à la location de concentrateurs d’oxygène ne se poserait plus. D’autre part, si les concentrateurs d’oxygène ne peuvent pas bénéficier de l’application du taux réduit de TVA sur le fondement du point 3 ou du point 4 de l’annexe III de la directive TVA, ce que, semble-t-il, postule implicitement la juridiction de renvoi, il conviendra de vérifier si le principe de neutralité fiscale peut néanmoins obliger le Royaume de Belgique à accorder ledit taux à la livraison et/ou à la location de concentrateurs d’oxygène au motif que, du point de vue du patient, ces derniers seraient interchangeables avec l’oxygène médical, sous forme gazeuse ou liquide, fourni en récipients.

A – Sur l’application de l’annexe III, points 3 et 4, de la directive TVA

13.

Il importe de rappeler que l’article 96 de la directive TVA précise que chaque État membre fixe le même taux de TVA, qualifié de « normal », aux livraisons de biens et aux prestations de services.

14.

Par dérogation à ce principe, l’article 98, paragraphe 1, de la directive TVA accorde aux États membres la faculté d’appliquer un ou deux taux réduits. Conformément à l’article 98, paragraphe 2, premier alinéa, de la directive TVA, ces taux réduits sont uniquement appliqués aux livraisons de biens et aux prestations de services des catégories figurant à l’annexe III de cette directive ( 6 ).

15.

Au point 3 de cette annexe, évoqué dans la question préjudicielle, sont mentionnés « les produits pharmaceutiques normalement utilisés pour les soins de santé, la prévention de maladies et le traitement à des fins médicales et vétérinaires ». Au point 4 de la même annexe, également visé dans la question préjudicielle, sont mentionnés « les équipements médicaux, le matériel auxiliaire et les autres appareils normalement destinés à soulager ou traiter des handicaps, à l’usage personnel et exclusif des handicapés, y compris la réparation de ces biens» ( 7 ).

16.

Tandis que le point 3 de l’annexe III de la directive TVA permet l’application d’un taux réduit de TVA à la fourniture de « produits pharmaceutiques » c’est-à-dire des produits finis, susceptibles d’être directement utilisés par le consommateur final, le point 4 de cette annexe vise certains dispositifs médicaux avec un usage spécifique ( 8 ).

17.

En tant que dérogations au principe selon lequel les États membres appliquent un taux normal de TVA aux opérations soumises à cette taxe, les points 3 et 4 de l’annexe III de la directive TVA doivent être interprétés de manière stricte ( 9 ).

18.

La Cour a déjà jugé, d’une part, que les points 3 et 4 de l’annexe III de la directive TVA ne comportent aucun renvoi exprès au droit des États membres, de telle sorte qu’ils doivent trouver, dans toute l’Union européenne, une interprétation autonome et uniforme et, d’autre part, que les notions employées dans cette annexe, en particulier dans lesdits points, doivent être interprétées au sens habituel des termes en cause ( 10 ).

19.

À cet égard, il ressort du dossier ainsi que des observations du gouvernement belge que l’oxygène médical fourni en récipients, sous forme gazeuse ou liquide, bénéficie, en Belgique, du taux réduit de TVA de 6 %, en application de la rubrique XVII, point 1, sous a), du tableau A de l’arrêté royal no 20, qui transpose le point 3 de l’annexe III de la directive TVA. En d’autres termes, l’oxygène médical est considéré comme un médicament et, plus largement, comme un « produit pharmaceutique », au sens du point 3 de l’annexe III de la directive TVA.

20.

En revanche, contrairement à l’oxygène médical fourni en récipients, j’estime, à l’instar de la position exprimée par l’ensemble des parties à l’audience devant la Cour, que les concentrateurs d’oxygène du type de ceux en cause dans l’affaire au principal ne sauraient relever de la notion de « produits pharmaceutiques », au sens du point 3 de l’annexe III de la directive TVA.

21.

Cette appréciation se fonde pour l’essentiel sur l’arrêt du 17 janvier 2013, Commission/Espagne (C-360/11, EU:C:2013:17, points 63, 64 et 71). Dans cet arrêt, la Cour a précisé que si, au regard de leur sens habituel, les « produits pharmaceutiques » incluaient les médicaments à usage humain, ils ne recouvraient, en revanche, pas tout dispositif, équipement, appareil ou matériel à usage médical ou vétérinaire. En effet, si le point 3 de l’annexe III de la directive TVA visait tout dispositif ou appareil médical, indépendamment de l’usage auquel il est destiné, la conséquence en serait que le point 4 de cette même annexe serait privé de son sens. En d’autres termes, le point 3 de l’annexe III de la directive TVA ne saurait permettre le contournement de l’énumération exhaustive dudit point 4, en autorisant les États membres à appliquer un taux réduit de TVA à des dispositifs ou à des appareils médicaux sans égard à l’usage concret auquel ils sont destinés. De surcroît, tandis que les concentrateurs d’oxygène en cause dans l’affaire au principal peuvent faire l’objet d’une location par le patient et donc faire l’objet d’une multiplicité de prestations de services, les produits pharmaceutiques sont des biens livrés et généralement prescrits pour un usage individuel, exclusif et unique.

22.

Je considère donc que seul le point 4 de l’annexe III de la directive TVA pourrait se révéler pertinent aux fins de la réponse à apporter à la question déférée par la juridiction de renvoi.

23.

S’agissant de ce point de l’annexe III de la directive TVA, comme mentionné précédemment, il concerne uniquement certains dispositifs ou appareils médicaux destinés à certains usages spécifiques. En effet, d’une part, ce point vise les dispositifs médicaux et les autres appareils « normalement destinés à soulager ou à traiter des handicaps » et ne désigne donc pas les produits généralement utilisés à d’autres fins ( 11 ). D’autre part, ainsi que la Cour l’a jugé dans l’arrêt du 17 janvier 2013, Commission/Espagne (C-360/11, EU:C:2013:17, points 85 à 88), le point 4 de l’annexe III de la directive TVA concerne des dispositifs et des appareils médicaux à l’usage « personnel » et « exclusif » des personnes handicapées et non pas des dispositifs et des appareils à usage général par des hôpitaux et des professionnels des services sanitaires. Cette limitation du bénéfice de l’application d’un taux réduit de TVA à un usage personnel et exclusif du consommateur final est cohérente avec l’objectif socioéconomique de l’annexe III de la directive TVA qui est d’alléger le coût de certains biens considérés comme particulièrement nécessaires ( 12 ).

24.

Il est à regretter que, en l’absence de définition des termes « handicap » et « handicapés » dans la directive TVA et sans que celle-ci comporte de renvoi exprès au droit des États membres pour déterminer leur sens, la Cour n’ait pas saisi l’occasion dans ces affaires de préciser le contour de ces termes, en particulier quant à la frontière qui les sépare des concepts de « maladie » et de « malades ».

25.

Dans le contexte de l’interprétation de la directive 2000/78/CE du Conseil, du 27 novembre 2000, portant création d’un cadre général en faveur de l’égalité de traitement en matière d’emploi et de travail ( 13 ), et à la suite de la ratification par l’Union de la convention des Nations unies relative aux droits des personnes handicapées, ( 14 ) la Cour a précisé que la notion de « handicap » doit être entendue comme visant une limitation, résultant notamment d’atteintes physiques, mentales ou psychiques durables, dont l’interaction avec diverses barrières peut faire obstacle à la pleine et effective participation de la personne concernée à la vie professionnelle sur la base de l’égalité avec les autres travailleurs ( 15 ).

26.

C’est également dans ce contexte que la Cour a précisé que, si la notion de « handicap » se distingue de celle de « maladie » ou de l’état d’obésité, une maladie ou un tel état d’obésité, qui entraînent une limitation de longue durée, résultant notamment d’atteintes physiques, mentales ou psychiques durables, interagissant avec différentes barrières, peuvent faire obstacle à la pleine et effective participation à la vie professionnelle sur la base de l’égalité avec les autres et relèvent donc de la notion de « handicap », au sens de la directive 2000/78 ( 16 ).

27.

Une telle définition et une telle portée de la notion de « handicap », qui se fondent sur une interprétation conforme de cette notion contenue dans la directive 2000/78 aux stipulations de la convention des Nations unies relative aux droits des personnes handicapées, sont, à mes yeux, pertinentes aux fins d’interpréter cette même notion dans le cadre du point 4 de l’annexe III de la directive TVA.

28.

En effet, tout comme la Cour l’a relevé à propos de l’interprétation de la directive 2000/78 ( 17 ), la directive TVA figure parmi les actes de l’Union « concernant l’autonomie et l’inclusion sociale, le travail et l’emploi » qui sont énumérés à l’appendice à l’annexe II de la décision portant approbation, au nom de la Communauté européenne, de cette convention de l’Organisation des Nations unies et qui ont trait aux questions régies par cette dernière.

29.

Ainsi que la Commission l’a fait valoir à juste titre dans ses observations écrites, l’élément caractéristique de la notion de « handicap » réside dans le caractère durable de celui-ci, par opposition à une diminution de certaines facultés résultant, en particulier, d’une maladie ayant un caractère sporadique ou passager.

30.

Au vu des informations fournies par la juridiction de renvoi et des observations des parties intéressées, les concentrateurs d’oxygène qui font l’objet de l’affaire au principal me paraissent satisfaire uniquement à deux des trois critères énoncés au point 4 de l’annexe III de la directive TVA, à charge néanmoins pour la juridiction de renvoi de le vérifier.

31.

Quant au premier critère, il est possible d’admettre, comme l’a soutenu Oxycure à l’audience, que ces appareils sont « normalement destinés à soulager ou à traiter des handicaps» ( 18 ), au sens du point 4 de l’annexe III de la directive TVA. En effet, il apparaît que ces dispositifs médicaux sont particulièrement adaptés à pallier et à soulager des insuffisances respiratoires graves, de longue durée et souvent irréversibles pour lesquelles des traitements alternatifs ne s’avèrent plus efficaces, comme dans les situations de broncho-pneumopathie chronique obstructive ou, à un stade avancé, de mucoviscidose ( 19 ).

32.

À cet égard, la rubrique XXIII intitulée « Divers », point 2, du tableau A de l’arrêté royal no 20, paraît cohérente avec ce critère du point 4 de l’annexe III de la directive TVA. En effet, le choix du Royaume de Belgique d’accorder le taux réduit de TVA de 6 % ne s’applique qu’à la vente ou à la location d’appareils visant à « compenser une déficience ou une infirmité », c’est-à-dire, selon les éléments et indications fournis dans le cadre de la procédure de l’affaire au principal, des appareils généralement destinés à traiter ou à soulager un handicap.

33.

Par l’emploi de l’adverbe « normalement » au point 4 de l’annexe III de la directive TVA, le législateur de l’Union a clairement écarté l’hypothèse (qui aurait été plus catégorique) selon laquelle un taux réduit de TVA ne peut être appliqué à la vente et/ou à la location d’équipements médicaux qu’à la condition que ces derniers soient exclusivement ou uniquement destinés à soulager ou à traiter des handicaps. Par conséquent, par l’emploi de l’adverbe « normalement », le législateur de l’Union a entendu viser les équipements médicaux et autres appareils qui, à titre habituel et de manière générale, sont destinés à soulager ou à traiter des handicaps, sans qu’il y ait lieu d’examiner la situation particulière de tel ou tel appareil ( 20 ).

34.

De surcroît, il est constant, dans l’affaire au principal, que l’ensemble des sources d’administration de l’oxygène médical, y compris, partant, les concentrateurs d’oxygène, ne peuvent être mises à la disposition des personnes concernées que sur prescription d’un médecin. Cette circonstance exclut, en principe, que les concentrateurs d’oxygène soient, à titre habituel et de manière générale, destinés à traiter ou à soulager par oxygénothérapie des états pathologiques ne relevant pas de la notion de « handicap ».

35.

Quant au deuxième critère, à savoir celui de l’usage « personnel » par les personnes handicapées, celui-ci paraît également satisfait dans la mesure où les concentrateurs d’oxygène peuvent être utilisés de manière individuelle par la personne concernée, à domicile et hors domicile, sans que le recours à un intermédiaire, notamment, à un professionnel de santé soit nécessaire. Certes, comme l’audience devant la Cour l’a parfaitement mis en exergue, la question de savoir si les concentrateurs d’oxygène en cause dans l’affaire au principal peuvent être qualifiés d’appareils « à tenir à la main [ou] à porter sur [la] personne», au sens de la rubrique XXIII intitulée « Divers », point 2, du tableau A de l’arrêté royal no 20, fait l’objet d’un débat entre Oxycure et le gouvernement belge. Cette controverse relève cependant non pas de l’interprétation du point 4 de l’annexe III de la directive TVA mais de celle du droit national, qu’il n’incombe pas à la Cour de trancher.

36.

Cela étant, et j’en arrive au troisième critère, le point 4 de l’annexe III à la directive TVA exige non pas uniquement que les équipements médicaux et appareils soient « normalement » destinés à traiter ou à soulager des handicaps et fassent l’objet d’un usage « personnel » par les personnes handicapées, mais soient, de surcroît, utilisés à titre « exclusif » par ces personnes.

37.

Ce critère d’exclusivité se rapporte non pas à la destination des appareils (qui demeurent « normalement » destinés à traiter ou à soulager des handicaps) mais à leur usage. Il s’ensuit, selon moi, que ce critère exclut du champ d’application du point 4 de l’annexe III de la directive TVA des appareils qui peuvent être utilisés par des personnes autres que des personnes atteintes d’un handicap.

38.

Cette interprétation correspond à l’objectif socio-économique du taux réduit en favorisant, dans la mesure du possible, l’autonomie des personnes souffrant d’un handicap, y compris d’origine pathologique.

39.

À cet égard, la Cour a déjà jugé qu’il serait contraire à l’objectif consistant à alléger le coût pour le consommateur final de certains biens essentiels poursuivi par l’annexe III de la directive TVA si l’application d’un taux réduit de TVA, dans le cas d’un bien susceptible de faire l’objet d’utilisations différentes, était subordonnée, pour chaque opération de livraison, à l’usage concret auquel ce bien est destiné par son acheteur ( 21 ). Il serait, au demeurant, impossible pour l’administration fiscale de vérifier si l’application du taux réduit de TVA se justifie dans tous les cas, ce qui serait susceptible d’accroître ou d’inciter les abus ou l’évasion fiscale.

40.

Or, il est vraisemblable, comme la Commission l’a soutenu, que les concentrateurs d’oxygène soient utilisés par des personnes ne souffrant pas de handicap, en particulier des individus atteints de maladies respiratoires de nature passagère.

41.

Sous réserve de vérification par la juridiction de renvoi, il me semble donc que les concentrateurs d’oxygène en cause dans l’affaire au principal ne relèvent pas du champ d’application de l’annexe III, point 4, de la directive TVA, car il apparaît que de tels appareils ne sont pas utilisés exclusivement par des personnes handicapées.

B – Sur le principe de neutralité fiscale

42.

Cela étant, le principe de neutralité fiscale pourrait-il néanmoins conduire à appliquer le taux réduit de TVA à ces appareils, comme le demande la juridiction de renvoi ?

43.

Je ne le pense pas.

44.

En effet, comme la Cour l’a déjà jugé, le principe de neutralité fiscale ne permet pas d’étendre le champ d’application d’un taux réduit de TVA en l’absence d’une disposition non équivoque ( 22 ). En d’autres termes, ce principe permet d’étendre le champ d’application d’un taux réduit seulement en présence d’une disposition non équivoque. Or, l’annexe III, point 4, de la directive TVA exclut de manière univoque du taux réduit de TVA les dispositifs et les appareils médicaux qui ne sont pas utilisés exclusivement par des personnes handicapées.

45.

En juger différemment reviendrait à contourner l’interprétation et l’application strictes des dérogations au principe, itérativement rappelé par la Cour, selon lequel les États membres appliquent un taux normal de TVA aux opérations soumises à cette taxe ( 23 ).

46.

C’est pourquoi, contrairement à ce que sous-entend la juridiction de renvoi, le principe de neutralité fiscale ne permet pas de transcender ou, à plus forte raison, de méconnaître la portée des différentes catégories énumérées à l’annexe III de la directive TVA.

47.

En effet, si, à la suite de l’examen du libellé et de l’économie des points 3 et 4 de l’annexe III de la directive TVA, la location et/ou la vente de concentrateurs d’oxygène ne peuvent aucunement relever de l’un ou de l’autre de ces points, le principe de neutralité fiscale n’autorise pas à contrecarrer cet examen.

48.

Comme la Cour l’a déjà jugé à plusieurs occasions à propos des exonérations de TVA, le principe de neutralité fiscale est non pas une règle de droit primaire pouvant déterminer la validité d’une exonération, mais un principe d’interprétation qui doit être appliqué parallèlement au principe selon lequel les exonérations sont d’interprétation stricte ( 24 ).

49.

Je ne vois aucun obstacle à transposer cette interprétation générale de la portée du principe de neutralité fiscale dans ses rapports avec le régime des taux réduits de TVA, lequel requiert également une interprétation stricte.

50.

Comme l’illustre la jurisprudence de la Cour, dans ses rapports avec le régime des taux réduits, tel que prévu à l’annexe III de la directive TVA, le principe de neutralité fiscale garde toute sa pertinence lorsque, dans une situation donnée, la Cour et les juridictions nationales sont appelées à vérifier si le choix légitime effectué par un État membre d’appliquer sélectivement le taux réduit de TVA à « certains aspects concrets et spécifiques » d’une même catégorie donnée d’un même point de l’annexe III, respecte ledit principe ( 25 ). En effet, dans ce cas de figure, il est logique de contrôler si l’application sélective du taux réduit de TVA ne conduit pas à rompre l’égalité de traitement fiscal entre des livraisons de biens ou des prestations de services analogues appartenant à une même catégorie énumérée à l’annexe III de la directive TVA ( 26 ).

51.

En revanche, comme je l’ai indiqué précédemment, le principe de neutralité fiscale ne saurait servir à transcender les catégories visées à l’annexe III de la directive TVA afin de faire entrer dans le champ d’application de celles-ci des livraisons de biens ou des prestations de services qui, à la suite d’un examen du libellé et/ou de l’économie desdites catégories, n’en relèvent pas.

III – Conclusion

52.

Eu égard à l’ensemble des considérations qui précèdent, je propose à la Cour de répondre comme suit à la question préjudicielle posée par la Cour d’appel de Liège (Belgique) :

L’article 98, paragraphes 1 et 2, de la directive 2006/112/CE du Conseil, du 28 novembre 2006, relative au système commun de la taxe sur la valeur ajoutée ( 27 ), telle que modifiée par la directive 2006/138/CE du Conseil, du 19 décembre 2006, et l’annexe III, points 3 et 4, de cette directive, ne s’opposent pas à une disposition nationale par laquelle un taux réduit de taxe sur la valeur ajoutée ne s’applique pas à la livraison et/ou à la location de concentrateurs d’oxygène, tels que ceux en cause dans l’affaire au principal, dès lors que ces appareils ne constituent pas des produits pharmaceutiques au sens de l’annexe III, point 3, de la directive 2006/112, modifiée, ni ne sont à usage exclusif des personnes handicapées au sens du point 4 de cette annexe, ce qu’il appartient à la juridiction de renvoi de vérifier.

Le principe de neutralité fiscale ne saurait être interprété en ce sens qu’il autoriserait à contrecarrer le champ d’application respectif des catégories énumérées à l’annexe III, points 3 et 4, de la directive 2006/112, modifiée, en accordant un taux réduit de taxe sur la valeur ajoutée à la livraison et/ou à la location de dispositifs ne répondant pas aux définitions prévues auxdits points.


( 1 )   Langue originale : le français.

( 2 )   JO 2006, L 347, p. 1.

( 3 )   JO 2006, L 384, p. 92.

( 4 )   Je rappelle que l’air ambiant est composé d’environ 20 % d’oxygène et d’environ 80 % d’azote.

( 5 )   Moniteur Belge du 31 juillet 1970, p. 7920.

( 6 )   Voir, notamment, arrêts du 11 septembre 2014, K (C-219/13, EU:C:2014:2207, points 21 et 22) et du 5 mars 2015, Commission/Luxembourg (C-502/13, EU:C:2015:143, point 33).

( 7 )   Italique ajouté par mes soins.

( 8 )   Voir, en ce sens, arrêt du 17 janvier 2013, Commission/Espagne (C-360/11, EU:C:2013:17, points 47 et 64).

( 9 )   Arrêt du 17 janvier 2013, Commission/Espagne (C-360/11, EU:C:2013:17 points 18, 20 et 63).

( 10 )   Arrêt du 17 janvier 2013, Commission/Espagne (C-360/11, EU:C:2013:17, points 20 et 63). Voir également, concernant la seconde branche, arrêt du 4 juin 2015, Commission/Pologne (C-678/13, non publié, EU:C:2015:358, points 46 et 47).

( 11 )   Arrêt du 4 juin 2015, Commission/Pologne (C-678/13, non publié, EU:C:2015:358, point 48).

( 12 )   Voir, en ce sens, arrêt du 17 janvier 2013, Commission/Espagne (C-360/11, EU:C:2013:17, points 48 et 86).

( 13 )   JO 2000, L 303, p. 16.

( 14 )   Recueil des traités, vol. 2515, p. 3. Cette convention a été approuvée au nom de la Communauté européenne par la décision 2010/48/CE du Conseil, du 26 novembre 2009 (JO 2010, L 23, p. 35).

( 15 )   Voir, notamment, arrêts du 4 juillet 2013, Commission/Italie (C-312/11, non publié, EU:C:2013:446, point 56), du 18 mars 2014, Z. (C-363/12, EU:C:2014:159, point 76), du 18 décembre 2014, FOA (C-354/13, EU:C:2014:2463, point 53), et du 26 mai 2016, Invamed Group e.a. (C-198/15, EU:C:2016:362, point 31).

( 16 )   Voir, en ce sens, arrêts du 11 avril 2013, HK Danmark (C-335/11 et C-337/11, EU:C:2013:222, points 39 à 42 et 47) et du 18 décembre 2014, FOA (C-354/13, EU:C:2014:2463, points 56 à 60). Bien que cela ne ressorte pas toujours clairement des arrêts de la Cour, ce sont, à mon sens, tant les incapacités physiques, mentales, intellectuelles ou psychiques que la limitation qu’elles engendrent pour les personnes qui en sont atteintes qui doivent être de longue durée et qui permettent de distinguer la notion de « handicap » de celle de « maladie ».

( 17 )   Voir arrêts du 11 avril 2013, HK Danmark (C-335/11 et C-337/11, EU:C:2013:222, point 31) et du 18 mars 2014, Z. (C-363/12, EU:C:2014:159, point 74).

( 18 )   Italique ajouté par mes soins.

( 19 )   La mucoviscidose est une maladie génétique et héréditaire qui touche les cellules qui tapissent différents organes tels que les voies respiratoires, en altérant leurs sécrétions.

( 20 )   Voir, par analogie, concernant l’emploi du même adverbe au point 1 de l’annexe III de la directive TVA, arrêts du 3 mars 2011, Commission/Pays-Bas (C-41/09, EU:C:2011:108, point 55) et du 12 mai 2011, Commission/Allemagne (C-453/09, non publié, EU:C:2011:296, point 45).

( 21 )   Voir arrêt du 17 janvier 2013, Commission/Espagne (C-360/11, EU:C:2013:17, points 86 et 87).

( 22 )   Voir arrêts du 5 mars 2015, Commission/France (C-479/13, EU:C:2015:141, point 43) et du 5 mars 2015, Commission/Luxembourg (C-502/13, EU:C:2015:143, point 51). Voir également, s’agissant des exonérations de TVA, arrêt du 13 mars 2014, Klinikum Dortmund (C-366/12, EU:C:2014:143, point 40).

( 23 )   Voir notamment, en ce sens, arrêts du 17 janvier 2013, Commission/Espagne (C-360/11, EU:C:2013:17, point 18) et du 5 mars 2015, Commission/Luxembourg (C-502/13, EU:C:2015:143, point 38).

( 24 )   Voir arrêts du 19 juillet 2012, Deutsche Bank (C-44/11, EU:C:2012:484, point 45), du 13 mars 2014, Klinikum Dortmund (C-366/12, EU:C:2014:143, point 40), du 2 juillet 2015, De Fruytier (C-334/14, EU:C:2015:437, point 37), et du 17 mars 2016, Aspiro (C-40/15, EU:C:2016:172, point 31).

( 25 )   Voir, à cet égard, arrêts du 8 mai 2003, Commission/France (C-384/01, EU:C:2003:264, points 24 à 29), du 3 avril 2008, Zweckverband zur Trinkwasserversorgung und Abwasserbeseitigung Torgau-Westelbien (C-442/05, EU:C:2008:184, points 42 et 43), du 6 mai 2010, Commission/France (C-94/09, EU:C:2010:253, points 28 à 30), du 27 février 2014, Pro Med Logistik et Pongratz (C-454/12 et C-455/12, EU:C:2014:111, points 44 à 46), et du 11 septembre 2014, K (C-219/13, EU:C:2014:2207, point 23).

( 26 )   À cet égard, si, contrairement à l’analyse qui précède, les concentrateurs d’oxygène en cause dans l’affaire au principal devaient être considérés comme relevant du champ d’application du point 4 de l’annexe III de la directive TVA, il appartiendrait à la juridiction de renvoi de vérifier si la distinction opérée par le Royaume de Belgique entre les dispositifs médicaux portables et les dispositifs médicaux fixes (seules la livraison et/ou la location des premiers bénéficiant de l’application du taux réduit de 6 %) vise « des aspects concrets et spécifiques » de la catégorie énumérée au point 4 de cette annexe et respecte le principe de neutralité fiscale, conformément aux indications fournies par la jurisprudence mentionnée à la note précédente des présentes conclusions.

( 27 )   JO 2006 L 347, p. 1.