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CONCLUSIONS DE L’AVOCAT GÉNÉRAL

M. MELCHIOR WATHELET

présentées le 21 décembre 2016 (1)

Affaire C-633/15

London Borough of Ealing

contre

Commissioners for Her Majesty’s Revenue and Customs

[demande de décision préjudicielle formée par le First-tier Tribunal (Tax Chamber) (tribunal de première instance [chambre de la fiscalité], Royaume-Uni)]

« TVA – Exonérations – Prestations de services ayant un lien étroit avec la pratique du sport – Exclusion de l’exonération en cas de risque de distorsions de concurrence au détriment des entreprises commerciales assujetties à la TVA »





I –    Introduction

1.        La demande de décision préjudicielle porte sur l’interprétation de l’article 133, alinéa 1, sous d), et alinéa 2, de la directive 2006/112/CE du Conseil, du 28 novembre 2006, relative au système commun de taxe sur la valeur ajoutée (JO 2006, L 347, p. 1).

2.        Cette demande a été présentée dans le cadre d’un litige opposant le London Borough of Ealing (municipalité londonienne d’Ealing) aux Commissioners for Her Majesty’s Revenue and Customs (administration fiscale et douanière du Royaume-Uni, ci-après l’« administration fiscale ») au sujet de l’assujettissement à la taxe sur la valeur ajoutée (TVA) des droits d’entrée à des installations sportives perçus par la municipalité londonienne d’Ealing.

II – Le cadre juridique

A –    Le droit de l’Union

3.        L’article 13, lettre A, de la sixième directive 77/388/CEE du Conseil, du 17 mai 1977, en matière d’harmonisation des législations des États membres relatives aux taxes sur le chiffre d’affaires – Système commun de taxe sur la valeur ajoutée : assiette uniforme (JO 1977, L 145, p. 1, ci-après la « sixième directive »), intitulé « Exonérations en faveur de certaines activités d'intérêt général », dispose ce qui suit :

« 1. Sans préjudice d’autres dispositions communautaires, les États membres exonèrent, dans les conditions qu’ils fixent en vue d’assurer l’application correcte et simple des exonérations prévues ci-dessous et de prévenir toute fraude, évasion et abus éventuels :

[…]

m)      certaines prestations de services ayant un lien étroit avec la pratique du sport ou de l’éducation physique, fournies par des organismes sans but lucratif aux personnes qui pratiquent le sport ou l’éducation physique ;

[…]

2.      a) Les États membres peuvent subordonner, cas par cas, l’octroi, à des organismes autres que ceux de droit public, de chacune des exonérations prévues au paragraphe 1 sous b), g), h), i), 1), m) et n) au respect de l’une ou plusieurs des conditions suivantes :

[…]

-      les exonérations ne doivent pas être susceptibles de provoquer des distorsions de concurrence au détriment des entreprises commerciales assujetties à la taxe sur la valeur ajoutée.

[…] »

4.        Conformément à l’article 28, paragraphe 3, sous a), de cette directive, les États membres peuvent, au cours d’une période transitoire, continuer à appliquer la TVA aux opérations qui en sont exonérées en vertu des articles 13 ou 15 de ladite directive et dont la liste est reprise à l’annexe E de celle-ci.

5.        Au point 4 de cette annexe figurait l’exonération prévue à l’article 13, lettre A, paragraphe 1, sous m), de la sixième directive. Ce point 4 a été abrogé, avec effet au 1er janvier 1990, par l’article 1er, paragraphe 1, point 1), de la dix-huitième directive 89/465/CEE du Conseil, du 18 juillet 1989, en matière d’harmonisation des législations des États membres relatives aux taxes sur le chiffre d’affaires – Suppression de certaines dérogations prévues à l’article 28 paragraphe 3 de la sixième directive (JO 1989, L 226, p. 21, ci-après la « dix-huitième directive »). Cet article 1er, paragraphe 1, point 1), est libellé comme suit :

« La [sixième directive] est modifiée comme suit :

1) à l’annexe E, les opérations visées aux points 1, 3 à 6, […] sont supprimées à compter du 1er janvier 1990.

Les États membres qui ont appliqué au 1er janvier 1989 la taxe sur la valeur ajoutée aux opérations visées aux points 4 et 5 de l’annexe E sont autorisés à appliquer les conditions prévues à l’article 13 lettre A paragraphe 2 point a) dernier tiret également aux prestations de services et livraisons de biens, visées à l’article 13 lettre A paragraphe 1 points m) et n), effectuées par des organismes de droit public. »

6.        La directive 2006/112 a, conformément à ses articles 411 et 413, abrogé et remplacé, à compter du 1er janvier 2007, la législation de l’Union en matière de TVA, notamment la sixième directive. Aux termes des considérants 1 et 3 de cette directive, la refonte de la sixième directive était nécessaire afin de présenter toutes les dispositions applicables de façon claire et rationnelle dans une structure et une rédaction remaniées, sans apporter, en principe, de changements de fond. Les dispositions de ladite directive sont ainsi, en substance, identiques aux dispositions correspondantes de la sixième directive.

7.        L’article 13, paragraphe 1, de ladite directive dispose ce qui suit :

« Les États, les régions, les départements, les communes et les autres organismes de droit public ne sont pas considérés comme des assujettis pour les activités ou opérations qu’ils accomplissent en tant qu’autorités publiques, même lorsque, à l’occasion de ces activités ou opérations, ils perçoivent des droits, redevances, cotisations ou rétributions.

Toutefois, lorsqu’ils effectuent de telles activités ou opérations, ils doivent être considérés comme des assujettis pour ces activités ou opérations dans la mesure où leur non-assujettissement conduirait à des distorsions de concurrence d’une certaine importance.

[…] »

8.        L’article 132, paragraphe 1, sous m), de ladite directive figurant dans le chapitre 2 du titre IX de celle-ci, ledit chapitre étant intitulé « Exonérations en faveur de certaines activités d’intérêt général », énonce ce qui suit :

« Les États membres exonèrent les opérations suivantes :

[...]

certaines prestations de services ayant un lien étroit avec la pratique du sport ou de l’éducation physique, fournies par des organismes sans but lucratif aux personnes qui pratiquent le sport ou l’éducation physique. »

9.        Aux termes de l’article 133 de la directive 2006/112 :

« Les États membres peuvent subordonner, au cas par cas, l’octroi, à des organismes autres que ceux de droit public, de chacune des exonérations prévues à l’article 132, paragraphe 1, points [...] m) et [...], au respect de l’une ou plusieurs des conditions suivantes :

[...]

d) les exonérations ne doivent pas être susceptibles de provoquer des distorsions de concurrence au détriment des entreprises commerciales assujetties à la TVA.

Les États membres qui, en vertu de l’annexe E de la [sixième directive], appliquaient, au 1er janvier 1989, la TVA aux opérations visées à l’article 132, paragraphe 1, points m) et n), peuvent également appliquer les conditions prévues au premier alinéa, point d), du présent article, lorsque lesdites livraisons de biens ou prestations de services effectuées par des organismes de droit public sont exonérées. »

B –    Le droit du Royaume-Uni

10.      Au cours de la période transitoire prévue à l’article 28, paragraphe 3, de la sixième directive, le Royaume-Uni de Grande-Bretagne et d’Irlande du Nord a continué à taxer les prestations de services ayant un lien étroit avec la pratique du sport ou de l’éducation physique, fournies par des organismes sans but lucratif. En vertu du Group 10 of Schedule 6 of the Value Added Tax Act 1983 (catégorie 10 de l’annexe 6 de la loi sur la taxe sur la valeur ajoutée de 1983), seules deux de ces prestations de services étaient exonérées de la TVA, à savoir, d’une part, l’octroi par tout organisme avec ou sans but lucratif du droit de participer à une compétition sportive lorsque la contrepartie de ce droit est destinée intégralement au financement du ou des prix remis lors de cette compétition et, d’autre part, l’octroi, par un organisme sans but lucratif créé à des fins sportives ou d’activité physique de loisirs, du droit de participer à une compétition dans un tel domaine.

11.      À partir du 1er janvier 1994, le Royaume-Uni a exonéré, avec quelques exceptions, les prestations de services sportifs fournies aux particuliers par des organismes sans but lucratif. Conformément au Group 10 of Schedule 9 of the Value Added Tax Act 1994 (catégorie 10 de l’annexe 9 de la loi sur la taxe sur la valeur ajoutée de 1994), cette exonération trouve à s’appliquer à :

« 1. L’octroi du droit de participer à une compétition sportive ou à une activité physique de loisir lorsque la contrepartie de ce droit consiste en une somme d’argent destinée intégralement au financement du ou des prix remis lors de cette compétition.

2. L’octroi, par un organisme éligible créé à des fins sportives ou d’activité physique de loisirs, du droit de participer à une compétition dans un tel domaine.

3. La prestation, par un organisme éligible, à un particulier de services ayant un lien étroit et essentiel avec le sport ou l’éducation physique pratiqués par ce dernier, à l’exception, lorsque cet organisme agit dans le cadre d’un système d’affiliation, de ceux fournis à un particulier qui ne lui est pas affilié. »

12.      La Note (2A) to Group 10 (note interprétative 2A dans le cadre du groupe 10) définit un « organisme éligible » comme un organisme sans but lucratif qui remplit certaines conditions. Aux termes de la Note (3) to Group 10 (note interprétative 3 dans le cadre du groupe 10), les organismes sans but lucratif du droit public, [à savoir les autorités locales, les ministères et les organismes et entités publics qui figurent dans la liste publiée en 1993 par l’Office of Public Service and Science (Bureau du service public et des sciences)], ne peuvent pas être considérés comme « organismes éligibles » au sens de l’Item 3 to Group 10 of Schedule 9 of the Value Added Tax Act 1994 (point 3 de la catégorie 10 de l’annexe 9 de la loi sur la taxe sur la valeur ajoutée de 1994).

III – Le litige au principal et les questions préjudicielles

13.      La municipalité londonienne d’Ealing est une autorité locale qui exploite des installations sportives, telles que des gymnases et des piscines. Au cours de la période allant du 1er juin 2009 au 31 août 2012, elle a acquitté la TVA perçue sur les droits d’entrée à ces installations sportives.

14.      Estimant que ces prestations de services devaient être exonérées de TVA, en vertu de l’article 132, paragraphe 1, sous m), de la directive 2006/112, elle a demandé à l’administration fiscale le remboursement de la TVA acquittée sur lesdites prestations. Cette demande a été refusée au motif que la réglementation nationale excluait de cette exonération les prestations des services sportifs fournies par des autorités locales, telles que la municipalité londonienne d’Ealing, et ce conformément à l’article 133, premier alinéa, sous d), de cette directive.

15.      La municipalité londonienne d’Ealing a introduit un recours contre cette décision devant le First-tier Tribunal (Tax Chamber) [tribunal de première instance (chambre de la fiscalité), Royaume-Uni]. Devant cette juridiction, elle a soutenu que le Royaume-Uni ne pouvait se prévaloir de l’article 133, second alinéa, de ladite directive, dès lors que la réglementation nationale n’avait pas soumis à la TVA toutes les prestations de services sportifs au 1er janvier 1989, mais en avait exonéré certaines. En outre, cette disposition ne permettrait pas d’exclure les autorités locales de l’exonération des prestations de services sportifs, tout en exonérant les mêmes services fournis par d’autres organismes sans but lucratif. Enfin, cet article 133 exigeant de déterminer « au cas par cas » si cette exonération est susceptible de provoquer des distorsions de concurrence, il n’autoriserait pas les États membres à exclure toutes les autorités locales du bénéfice de ladite exonération.

16.      La juridiction de renvoi indique que la municipalité londonienne d’Ealing ne prétend pas agir en tant qu’autorité publique au sens de l’article 13, paragraphe 1, de la directive 2006/112, lorsqu’elle fournit ses services. Elle agirait comme un organisme sans but lucratif, au sens de l’exonération prévue à l’article 132, paragraphe 1, sous m), de cette directive, dont les prestations de services présenteraient un lien étroit avec la pratique du sport et seraient destinées à des personnes pratiquant le sport.

17.      Selon cette juridiction, c’est uniquement le sens, la portée et l’application de l’article 133, premier alinéa, sous d), et second alinéa, de ladite directive qui a donné lieu au litige au principal. À cet égard, la juridiction de renvoi précise qu’il n’y a aucune différence objective pour le consommateur entre la nature des prestations de services fournies par la municipalité londonienne d’Ealing et celles fournies par d’autres organismes sans but lucratif.

18.      Dans ces conditions, le First-tier Tribunal (Tax Chamber) [tribunal de première instance (chambre de la fiscalité)] a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour les questions préjudicielles suivantes :

« 1) Le Royaume-Uni est-il autorisé, conformément à l’article 133, second alinéa, de la directive 2006/112, à imposer aux organismes de droit public la condition prévue à cet article, sous d) [, d’une part,] dans des circonstances où les opérations en cause étaient soumises à la taxe au Royaume-Uni au 1er janvier 1989, mais où d’autres services sportifs étaient exonérés à cette même date et [, d’autre part,] dans des circonstances où les opérations en cause n’avaient pas été exonérées en vertu du droit national avant que le Royaume-Uni ne fasse application de la condition prévue à l’article 133, [premier alinéa,] sous d), de cette directive ?

2) En cas de réponse affirmative à la première question, le Royaume-Uni est-il autorisé à imposer aux organismes sans but lucratif de droit public la condition prévue à l’article 133[, premier alinéa,] sous d), de la directive 2006/112, sans appliquer également cette condition aux organismes sans but lucratif autres que de droit public ?

3) En cas de réponse affirmative à la deuxième question, le Royaume-Uni est-il autorisé à exclure du bénéfice de l’exonération prévue à l’article 132, paragraphe 1, sous m), [de la directive 2006/112] tous les organismes publics sans but lucratif sans avoir vérifié au cas par cas si l’octroi de cette exonération est susceptible de provoquer des distorsions de concurrence au détriment des entreprises commerciales assujetties à la TVA ? »

IV – La procédure devant la Cour

19.      La présente demande de décision préjudicielle a été déposée à la Cour le 30 novembre 2015. La municipalité londonienne d’Ealing, le gouvernement du Royaume-Uni ainsi que la Commission européenne ont déposé des observations écrites.

20.      Une audience s’est tenue le 26 octobre 2016 lors de laquelle la municipalité londonienne d’Ealing, le gouvernement du Royaume-Uni ainsi que la Commission ont présenté leurs observations orales.

V –    Analyse

A –    Observations liminaires

21.      La règle générale en matière de TVA, instaurée à l’article 2, paragraphe 1, sous a) et c), de la directive 2006/112, est que les livraisons de biens et les prestations de services, effectuées à titre onéreux sur le territoire d’un État membre, par un assujetti agissant en tant que tel, sont soumises à la TVA.

22.      L’article 13 de la directive 2006/112 exclut de la notion d’assujetti à la TVA les organismes de droit public pour les activités ou opérations imposables qu’ils accomplissent en tant qu’autorités publiques. En revanche, lorsque l’organisme sans but lucratif de droit public agit de la même façon que les organismes autres que ceux de droit public (c’est-à-dire de la même manière que les opérateurs économiques privés), il est assujetti à la TVA pour les activités et les opérations qui sont imposables.

23.      L’article 132, paragraphe 1, de la directive 2006/112 impose aux États membres de nombreux cas d’exonération en faveur de certaines activités d’intérêt général, parmi lesquelles sont énoncés au point m) de cette disposition les services sportifs, lorsqu’ils sont rendus par des organismes sans but lucratif. L’objectif visé par le législateur de l’Union est de favoriser la pratique du sport et de l’éducation physique, compte tenu des bienfaits que ceux-ci apportent à la population s’agissant du développement physique et de la santé.

24.      Par voie de dérogation à la règle instaurée par l’article 132, paragraphe 1, sous m), l’article 133, premier alinéa, de cette directive accorde aux États membres la faculté de subordonner l’octroi de l’exonération aux organismes sans but lucratif autres que ceux de droit public au respect de quatre conditions différentes, parmi lesquelles figure, au point d) de cette disposition, celle relative à la concurrence. Selon cette condition, « les exonérations ne doivent pas être susceptibles de provoquer des distorsions de concurrence au détriment des entreprises commerciales assujetties à la TVA ».

25.      Tous les États membres peuvent appliquer cette dérogation.

26.      Aux seuls États membres qui, en vertu de l’annexe E de la sixième directive, appliquaient, au 1er janvier 1989, la TVA aux services sportifs (2), l’article 133, second alinéa, de la directive 2006/112 offre une possibilité de dérogation supplémentaire, selon laquelle les États peuvent subordonner l’octroi de l’exonération aux organismes sans but lucratif de droit public au respect de la seule condition relative à la concurrence, à savoir celle reprise à l’article 133, premier alinéa, sous d), de cette directive. Il est vrai que les autres conditions énumérées à cette disposition et, en tout cas, les conditions énumérées aux points a) et b) s’adressent plus naturellement aux organismes sans but lucratif de droit privé (3).

27.      Il découle de ce qui précède qu’un traitement fiscal plus favorable est réservé aux organismes sans but lucratif de droit public tant dans les États membres qui, au 1er janvier 1989, appliquaient, en vertu de l’annexe E de la sixième directive, la TVA aux services sportifs que dans les États membres qui n’avaient pas fait usage de cette faculté.

28.      En résumé, les États membres qui, au 1er janvier 1989, appliquaient, en vertu de l’annexe E de la sixième directive, la TVA aux services sportifs peuvent subordonner l’octroi de l’exonération au respect des quatre conditions prévues à l’article 133, premier alinéa, lorsque le prestataire de services sportifs en cause est un organisme sans but lucratif autre que celui de droit public, alors que pour les organismes sans but lucratif de droit public cet octroi ne peut être subordonné qu’à la seule condition relative à la concurrence.

29.      Les États membres qui n’avaient pas fait usage de la faculté offerte par l’annexe E de la sixième directive ne peuvent subordonner à des conditions que l’exonération octroyée aux organismes sans but lucratif autres que ceux de droit public, ceux de droit public étant définitivement exonérés sur le fondement de l’article 132, paragraphe 1, sous m), de ladite directive. S’ils n’en imposent aucune, les services en cause sont définitivement exonérés pour tous les organismes sans but lucratif.

30.      Il ressort de la demande de décision préjudicielle que le Royaume-Uni est un des États membres qui, au 1er janvier 1989, appliquaient, en vertu de l’annexe E de la sixième directive, la TVA aux services sportifs.

31.      Il apparaît que la législation britannique en cause dans l’affaire au principal exclut d’office les organismes sans but lucratif de droit public (dont les autorités locales comme la municipalité londonienne d’Ealing) du bénéfice de l’exonération de la TVA pour les services sportifs (4), et cela sans aucune référence à la condition relative à la concurrence au respect de laquelle le Royaume-Uni peut subordonner l’octroi de l’exonération conformément à l’article 133, second alinéa, de la directive 2006/112.

32.      Cela pourrait conduire la Cour à considérer que les questions préjudicielles sont purement hypothétiques puisqu’elles l’interrogent sur le point de savoir si le Royaume-Uni est autorisé à imposer aux organismes de droit public la condition relative à la concurrence prévue à l’article 133, premier alinéa, sous d), de ladite directive et, si oui, à quelles conditions, et ce alors que cette condition n’est nulle part prévue dans la législation britannique ou les communications de l’administration britannique qui en donnent l’explication. Il conviendrait alors de conclure que la TVA appliquée aux services sportifs prestés par les organismes sans but lucratif de droit public est dépourvue de base légale puisque la règle est l’exonération, éventuellement conditionnée, ce qui n’est pas le cas de la règle britannique qui, comme l’a dit le gouvernement du Royaume-Uni lors de l’audience, exclut purement et simplement de l’exonération ces prestations.

33.      Toutes les parties intervenues lors de l’audience ont par ailleurs confirmé que la législation britannique ne faisait aucune référence expresse à la condition relative à la concurrence reprise à l’article 133, premier alinéa, sous d), de ladite directive.

34.      Cela dit, la juridiction de renvoi, les parties au principal et la Commission partent de la prémisse selon laquelle l’exclusion des autorités locales du bénéfice de l’exonération de TVA sur les prestations des services sportifs est le résultat de l’utilisation par le Royaume-Uni de la faculté qui lui est offerte par le second alinéa de l’article 133 de subordonner l’octroi de l’exonération aux organismes sans but lucratif de droit public au respect de la condition qu’elle ne soit pas « susceptible[] de provoquer des distorsions de concurrence au détriment des entreprises commerciales assujetties à la TVA » (5).

35.      Lors de l’audience, la municipalité londonienne d’Ealing a indiqué que les autorités britanniques se déclaraient autorisées à invoquer la condition relative à la concurrence, cette conception devant être comprise comme la manifestation de leur décision d’exclure les autorités locales de l’exonération parce que leurs activités provoquent nécessairement des distorsions de concurrence.

36.      Le représentant du gouvernement du Royaume-Uni a marqué son accord sur ce qu’avait dit à ce sujet la municipalité londonienne d’Ealing en estimant que cette position était justifiée par le risque de voir les autorités locales subventionner les activités sportives et qu’une distorsion de concurrence était la résultante de leur « comportement probable ».

37.      La Commission s’est inscrite dans la même ligne en reconnaissant que la condition relative à la concurrence n’était nullement présente expressis verbis dans la législation britannique, mais que cela n’était pas nécessaire en raison de la latitude qui était laissée aux États membres par ladite directive (6).

38.      En ce qui concerne l’hypothèse où la Cour accepterait la thèse selon laquelle la législation britannique a imposé implicitement la condition relative à la concurrence, je raisonnerai dans la suite de ces conclusions en supposant que, pour le législateur et l’administration fiscale britanniques, l’octroi de l’exonération de la TVA des services sportifs prestés par les organismes sans but lucratif de droit public est « susceptible [...] de provoquer des distorsions de concurrence au détriment des entreprises commerciales assujetties à la TVA » (7)dans tous les cas. Si la condition est implicitement présente dans la législation britannique, il est toutefois présumé qu’elle n’est jamais remplie.

B –    Sur la première question préjudicielle

39.      Par sa première question, la juridiction de renvoi demande, en substance, si l’article 133, second alinéa, de la directive 2006/112 autorise un État membre à imposer aux organismes de droit public la condition relative à la concurrence prévue à l’article 133, premier alinéa, sous d), de ladite directive dans les cas où, en vertu de l’annexe E de la sixième directive, cet État membre ne soumettait, au 1er janvier 1989, que certaines prestations de services sportifs à la TVA et en exonérait certaines autres.

40.      Je partage la position du gouvernement du Royaume-Uni et de la Commission selon laquelle la réponse à cette question doit être affirmative.

41.      Comme cela ressort de son libellé, l’article 133, second alinéa, de la directive 2006/112 n’exige pas que toutes les prestations de services sportifs aient été soumises à la TVA au 1er janvier 1989 afin que l’État membre puisse imposer, à l’issue de la période transitoire, la condition relative à la concurrence aux organismes sans but lucratif de droit public. Tout au contraire, il se réfère, de façon générale, aux États membres « qui, en vertu de l’annexe E de la [sixième directive], appliquaient, au 1er janvier 1989, la TVA aux opérations visées à l’article 132, paragraphe 1, point[] m) », ce qui était le cas du Royaume-Uni.

42.      Même s’il eût été plus clair de se référer aux États membres « qui, en vertu de l’annexe E de la [sixième directive], appliquaient, au 1er janvier 1989, la TVA [à des] opérations visées à l’article 132, paragraphe 1, point[] m) » (8), une interprétation contraire ne serait pas cohérente avec le but de la sixième directive (9), qui était de permettre aux États membres, pendant une période transitoire, de prolonger le régime de soumission desdites prestations de services sportifs à la TVA. En d’autres termes, il était auparavant loisible aux États membres d’assujettir les prestations de services sportifs à la TVA, sans toutefois y être tenus. Il en ressort que, à la date du 1er janvier 1989, l’assujettissement à la TVA ne devait pas forcément porter sur toutes les prestations de services sportifs.

43.      La municipalité londonienne d’Ealing rétorque qu’une interprétation littérale et stricte de la phrase « lorsque lesdites livraisons de biens ou prestations de services effectuées par des organismes de droit public sont exonérées » contenue à l’article 133, second alinéa, de la directive 2006/112 aurait imposé au Royaume-Uni d’exonérer les opérations en cause lors de la modification de sa législation en 1994, avant de faire application de la condition relative à la concurrence.

44.      Telle n’est pas mon interprétation. En effet, les termes mêmes utilisés par le législateur de l’Union vont à l’encontre de cette interprétation. En effet, la disposition en cause vise les prestations de services qui « sont exonérées » et non celles qui « étaient exonérées » à l’époque. Le choix d’un État membre de procéder, de façon simultanée, à l’exonération des services sportifs et à l’utilisation de la condition relative à la concurrence ne peut être considéré comme étant incompatible avec le droit de l’Union. Bien au contraire, cette démarche est identique à celle adoptée par l’article 1er, paragraphe 1, point 1), de la dix-huitième directive (10), par lequel le législateur de l’Union avait obligé les États membres « qui, en vertu de l’annexe E de la [sixième directive], appliquaient, au 1er janvier 1989, la TVA [sur les prestations de services sportifs] » à les exonérer dès le 1er janvier 1990 en même temps qu’il leur avait permis de subordonner l’octroi de l’exonération aux organismes sans but lucratif de droit public à des conditions.

45.      Le fait que le Royaume-Uni n’était pas tenu d’exonérer de la TVA la prestation de services sportifs avant de faire application de la condition relative à la concurrence repose même sur l’exigence de donner à la directive 2006/112 une interprétation et une application cohérente avec la dix-huitième directive.

46.      En effet, la directive 2006/112 est une simple refonte des directives TVA antérieures, notamment des sixième et dix-huitième directives, ne contenant aucun changement de fond (11). Le libellé de l’article 1er de la dix-huitième directive a mis un terme, à compter du 1er janvier 1990, à la période transitoire durant laquelle les services sportifs fournis par des organismes sans but lucratif pouvaient continuer à être soumis à la TVA. Cet article est également à l’origine de l’article 133, second alinéa, de la directive 2006/112.

47.      L’article 1er de la dix-huitième directive n’utilise d’ailleurs pas les termes « lorsque la [prestation de services sportifs] par des organismes de droit public sont exonérés », ce qui suggère qu’il n’était pas envisagé d’ajouter une condition supplémentaire pour que les États membres puissent appliquer aux services effectués par des organismes sans but lucratif de droit public la condition relative à la concurrence. Cet article exigeait seulement que les opérations en cause fussent soumises à la TVA au 1er janvier 1989 pour que l’État membre concerné puisse imposer la condition relative à la concurrence aux activités menées par des organismes sans but lucratif de droit public.

48.      Pour ces raisons, je propose à la Cour de répondre à la première question que l’article 133, premier alinéa, sous d), et second alinéa, de la directive 2006/112 doit être interprété en ce sens qu’il permet aux États membres d’imposer la condition relative à la concurrence aux organismes sans but lucratif de droit public même si des services sportifs autres que ceux qui étaient soumis à la TVA au 1er janvier 1989 étaient exonérés à cette même date et même si les services sportifs en cause n’étaient pas exonérés en vertu du droit national avant que l’État membre ne fasse application de la condition prévue à l’article 133, premier alinéa, sous d), de la directive 2006/112.

C –    Sur la deuxième question préjudicielle

49.      Par sa deuxième question, la juridiction de renvoi demande, en substance, si l’article 133, second alinéa, de la directive 2006/112 autorise un État membre qui, en vertu de la sixième directive, appliquait, au 1er janvier 1989, la TVA aux services sportifs à imposer la TVA aux services sportifs (12) fournis par les organismes sans but lucratif de droit public (13) alors qu’il exonère les autres organismes sans but lucratif sans leur imposer aucune des conditions prévues à l’article 133, premier alinéa, de cette directive, et notamment celle relative à la concurrence prévue au point d) de cette disposition.

50.      Je propose de répondre négativement à cette question pour les raisons suivantes.

51.      Comme je l’ai évoqué aux points 23 et 24 des présentes conclusions, l’article 132 de la directive 2006/112 impose aux États membres le principe de l’exonération des services sportifs fournis par tous les organismes sans but lucratif, qu’ils soient de droit public ou non. Toutefois, ce principe connaît des exceptions puisque l’article 133 de cette directive prévoit les conditions auxquelles les États membres peuvent subordonner l’octroi de l’exonération.

52.      Tous les États membres peuvent soumettre l’exonération de la TVA des services sportifs prestés par les organismes sans but lucratif autres que ceux de droit public aux quatre conditions prévues à l’article 133, premier alinéa, sous a) à d).

53.      Les seuls États membres qui, au 1er janvier 1989, appliquaient la TVA aux services sportifs prestés par les organismes sans but lucratif de droit public ou non peuvent également (à partir du 1er janvier 1990) soumettre l’exonération des services sportifs prestés par les organismes de droit public à la seule condition relative à la concurrence prévue au point d) de cette disposition (14).

54.      Cela dit, le libellé de l’article 133, second alinéa, soulève plusieurs difficultés. Notamment, il permet aux États membres qui, au 1er janvier 1989, appliquaient la TVA aux services sportifs en vertu de l’annexe E de la sixième directive d’appliquer « les conditions prévues au premier alinéa, point d), du présent article », alors qu’il s’agit d’une seule condition. Il ne spécifie pas non plus à qui ces conditions peuvent être appliquées, même s’il n’évoque l’exonération en cause que pour les organismes sans but lucratif de droit public.

55.      De plus, il emploie les termes « lorsque lesdites […] prestations de services effectuées par des organismes de droit public sont exonérées », ce qui pouvait laisser croire que certains États membres peuvent maintenir la TVA sur les services sportifs prestés par les organismes sans but lucratif de droit public, ce qui serait à mon sens contraire à la règle d’exonération que le législateur de l’Union a instaurée.

56.      Face à ce manque de clarté du libellé de l’article 133, second alinéa, de ladite directive, je constate que le libellé de l’article 1er, paragraphe 1, point 1), de la dix-huitième directive, à laquelle la directive 2006/112 n’est pas censée avoir apporté le moindre changement de fond (15), est plus clair.

57.      Aux termes de cette disposition, « [l]es États membres qui ont appliqué au 1er janvier 1989 la [TVA] aux opérations visées aux [services sportifs] sont autorisés à appliquer [la condition relative à la concurrence] également aux prestations de services […], visées à l’article 13 lettre A paragraphe 1 point[] m) […], effectuées par des organismes de droit public ».

58.      Ce libellé démontre clairement, en premier lieu, que l’exonération des services sportifs fournis par les organismes de droit public doit être la règle, même dans les États membres qui, comme le Royaume-Uni, appliquaient la TVA à ces services au 1er janvier 1989 en vertu de l’annexe E de la sixième directive et, en second lieu, que pour les organismes sans but lucratif de droit public l’octroi de l’exonération peut être subordonné à la condition relative à la concurrence.

59.      Selon la jurisprudence de la Cour, par ailleurs, les conditions auxquelles les États membres peuvent subordonner l’octroi de l’exonération « ne portent en aucune manière sur la définition du contenu des exonérations » (16), les États membres « [ne pouvant pas] soumettre [l’exonération] à d’autres conditions que celles prévues à [la directive » (17).

60.      Il en découle que, si la différence de traitement en faveur des organismes sans but lucratif de droit public (18) est, comme l’observe la Commission, inhérente à la directive 2006/112, les États membres ne peuvent modifier ni le sens ni l’ampleur de cette différence.

61.      Or, dans la présente affaire, la législation britannique en cause renverse cette différence de traitement en ne subordonnant l’octroi de l’exonération aux organismes sans but lucratif autres que ceux de droit public au respect d’aucune des conditions prévues à l’article 133, premier alinéa, de ladite directive, alors qu’elle exclut, de manière générale, les autorités locales du bénéfice de l’exonération en présumant implicitement que la condition relative à la concurrence qui leur serait imposée ne peut jamais être remplie à leur égard.

62.      Cette législation présuppose une lecture de l’article 133 de ladite directive très différente de la mienne, selon laquelle les deux alinéas de cet article sont indépendants l’un de l’autre, à tel point qu’ils laissent aux États membres qui, en vertu de l’annexe E de la sixième directive, appliquaient, au 1er janvier 1989, la TVA aux services sportifs une discrétion totale lors de l’octroi de l’exonération.

63.      J’estime que cette lecture est contraire tant au libellé du second alinéa de l’article 133 qu’au principe de neutralité fiscale.

64.      En effet, comme l’article 1er, paragraphe 1, point 1), de la dix-huitième directive, l’article 133, second alinéa, de la directive 2006/112 prévoit que les États membres qui, en vertu de l’annexe E de la sixième directive, appliquaient, au 1er janvier 1989, la TVA aux services sportifs « peuvent également » (19) subordonner l’octroi de l’exonération aux organismes sans but lucratif de droit public à la condition relative à la concurrence.

65.      À mon avis, l’utilisation du mot « également » implique que ces États membres ne peuvent subordonner l’octroi de l’exonération aux organismes sans but lucratif de droit public à cette condition que lorsqu’ils le font déjà pour les autres organismes sans but lucratif.

66.      J’aboutis au même résultat sur la base du principe de neutralité fiscale qui constitue l’expression, en matière de TVA, du principe général d’égalité de traitement.

67.      En effet, il y a lieu de rappeler que le principe de neutralité fiscale s’oppose à ce que des biens ou des prestations de services semblables, qui se trouvent en concurrence les uns avec les autres, soient traités de manière différente du point de vue de la TVA (20).

68.      En l’occurrence, les services sportifs prestés par la municipalité londonienne d’Ealing (à savoir, notamment, l’accès aux gymnases et piscines) sont certainement semblables aux mêmes services prestés par les organismes autres que ceux de droit public. Il s’agit de prestations de services se trouvant en concurrence les uns avec les autres qui devraient être traités de la même manière. Pourquoi payer la TVA pour aller à la piscine, selon qu’elle est exploitée par un organisme sans but lucratif de droit public ou de droit privé ?

69.      Pour ces raisons, je propose à la Cour de répondre à la deuxième question que l’article 133, second alinéa, de la directive 2006/112 doit être interprété en ce sens qu’un État membre qui, en vertu de la sixième directive, appliquait, au 1er janvier 1989, la TVA aux services sportifs ne peut subordonner l’octroi de l’exonération de la TVA aux organismes sans but lucratif de droit public à la condition relative à la concurrence prévue à l’article 133, premier alinéa, sous d), de cette directive que lorsqu’il applique également cette condition aux prestations fournies par les autres organismes sans but lucratif.

D –    Sur la troisième question préjudicielle

70.      Je n’aborde la troisième question que si la Cour jugeait que le Royaume-Uni pouvait subordonner l’octroi de l’exonération de la TVA sur les services sportifs prestés par les organismes sans but lucratif de droit public à la condition relative à la concurrence prévue à l’article 133, premier alinéa, sous d), de la directive 2006/112, même s’il n’appliquait pas cette condition aux prestations fournies par les autres organismes sans but lucratif.

71.      Par sa troisième question, la juridiction de renvoi demande à la Cour si l’article 133, second alinéa, de la directive 2006/112 permet aux États membres qui, en vertu de la sixième directive, appliquaient, au 1er janvier 1989, la TVA aux services sportifs, d’exclure tous les organismes sans but lucratif de droit public du bénéfice de l’exonération des prestations de ces services sans avoir vérifié, au cas par cas, si l’octroi de cette exonération était susceptible de provoquer des distorsions de concurrence au détriment des entreprises commerciales assujetties à la TVA.

72.      À mon avis, un État membre ne peut exclure, de façon générale, tous les organismes sans but lucratif de droit public de l’exonération, même s’il appliquait, au 1er janvier 1989, la TVA aux services sportifs.

73.      Comme je l’ai indiqué au point 23 des présentes conclusions, la règle instaurée par l’article 132, paragraphe 1, sous m), de la directive 2006/112 oblige les États membres à exonérer de la TVA la prestation de services sportifs par des organismes sans but lucratif.

74.      Même à l’époque où l’article 13, lettre A, paragraphe 1, de la sixième directive prévoyait que « les États membres exonèrent [les services sportifs] dans les conditions qu’ils fixent en vue d’assurer l’application correcte et simple des exonérations prévues ci-dessous et de prévenir toute fraude, évasion et abus éventuels », la Cour avait jugé que « [c]es conditions […] ne port[aient] en aucune manière sur la définition du contenu des exonérations prévues à cette disposition » (21).

75.      La Cour avait également jugé qu’« il ne ressort[ait] pas de cette disposition qu’un État membre, dès qu’il accord[ait] une exonération pour une certaine prestation de services ayant un lien étroit avec la pratique du sport ou de l’éducation physique, fournie par des organismes sans but lucratif, [pouvait] soumettre celle-ci à d’autres conditions que celles prévues à l’article 13, A, paragraphe 2 » (22).

76.      Puisque la directive 2006/112 n’a rien changé aux conditions qui étaient prévues à l’article 13, lettre A, paragraphe 2, de la sixième directive, il ressort de cette jurisprudence que les États membres sont obligés d’accorder l’exonération prévue à l’article 132, paragraphe 1, sous m), de la directive 2006/112 en imposant éventuellement les seules conditions définies par ses articles 132 et 133, sans en ajouter d’autres.

77.      En ce qui concerne les conditions visant l’octroi de l’exonération prévues à l’article 133 de cette directive, et plus précisément la condition relative à la concurrence, la Cour a jugé que « cette faculté […] ne permet[tait] pas de prendre des mesures générales […] limitant le champ d’application de ces exonérations. En effet, selon la jurisprudence de la Cour relative aux dispositions correspondantes de la sixième directive, un État membre ne saurait, en subordonnant l’exonération visée à l’article 132, paragraphe 1, sous m), de cette directive à une ou à plusieurs conditions prévues à l’article 133 de celle-ci, modifier le champ d’application de cette exonération » (23).

78.      Sur cette base, la Cour a déclaré contraires aux articles 132 et 133 de ladite directive plusieurs dispositions du droit des États membres, et notamment une disposition du droit espagnol qui limitait le champ d’application de l’exonération aux organismes ou établissements sportifs privés à caractère social dont les droits d’entrée ou les cotisations périodiques n’excédaient pas un certain montant (24).

79.      C’est dans ce cadre d’analyse qu’il faut aborder la question de la juridiction de renvoi visant à savoir si un État membre peut exclure tous les organismes sans but lucratif de droit public, dont font partie les autorités locales, du bénéfice de l’exonération des prestations de services sportifs sans avoir vérifié, au cas par cas, si l’octroi de cette exonération est susceptible de provoquer des distorsions de concurrence au détriment des entreprises commerciales assujetties à la TVA.

80.      Sur ce point, les parties ont des positions divergentes. D’un côté, la municipalité londonienne d’Ealing estime que l’évaluation du risque de distorsions de concurrence doit être faite, comme dans le cas des organismes sans but lucratif autres que ceux de droit public, « au cas par cas » (25), en tenant compte des circonstances particulières à chaque activité sportive.

81.      D’un autre côté, le gouvernement du Royaume-Uni et la Commission estiment que, conformément à l’arrêt du 16 septembre 2008, Isle of Wight Council e.a. (C-288/07, EU:C:2008:505, points 48 à 53), l’évaluation de ce risque ne peut être réalisée au niveau local de chaque organisme sans but lucratif, mais, au contraire, de manière générale à l’échelle nationale.

82.      Cet arrêt concernait l’interprétation de l’article 4, paragraphe 5, de la sixième directive (à présent l’article 13 de la directive 2006/112) aux termes duquel les « organismes de droit public [n’étaient] pas considérés comme des assujettis pour les activités ou opérations qu’ils accompliss[aient] en tant qu’autorités publiques, même lorsque, à l’occasion de ces activités ou opérations, ils [percevaient] des droits, redevances, cotisations ou rétributions ».

83.      À propos de cette disposition, la Cour a jugé au point 53 de l’arrêt du 16 septembre 2008, Isle of Wight Council e.a. (C-288/07, EU:C:2008:505), que « les distorsions de concurrence d’une certaine importance auxquelles conduirait le non-assujettissement des organismes de droit public agissant en tant qu’autorités publiques doivent être évaluées par rapport à l’activité en cause, en tant que telle, sans que cette évaluation porte sur un marché local en particulier » (26).

84.      Selon la municipalité londonienne d’Ealing, cette jurisprudence n’est que partiellement (27) transposable dans la présente affaire puisque l’article 13 de la directive 2006/112 vise une autre problématique, à savoir celle de déterminer si un organisme de droit public est un assujetti ou non. En revanche, ce qui est en cause dans la présente affaire ne serait pas sa qualité d’assujetti mais l’existence d’une distorsion à la concurrence si l’exonération lui était accordée.

85.      Je partage cette thèse. L’article 13, paragraphe 1, premier alinéa, de ladite directive concerne la qualité d’assujetti des organismes de droit public et prévoit que ceux-ci « ne sont pas considérés comme des assujettis pour les activités ou opérations qu’ils accomplissent en tant qu’autorités publiques ». L’article 13, paragraphe 2, de cette directive fait le lien avec l’exonération des services sportifs prévue à l’article 132, paragraphe 1, sous m), de ladite directive en disposant que « [l]es États membres peuvent considérer comme activités de l’autorité publique les activités des organismes de droit public, lorsqu’elles sont exonérées en vertu des articles 132 […] » de ladite directive.

86.      Or, selon la juridiction de renvoi, en prestant des services sportifs, la municipalité londonienne d’Ealing ne prétend pas agir en tant qu’autorité publique au sens de l’article 13, ce que l’administration fiscale ne conteste pas.

87.      Par ailleurs, une application du principe dégagé au point 53 de l’arrêt du 16 septembre 2008, Isle of Wight Council e.a. (C-288/07, EU:C:2008:505), serait contraire au libellé de l’article 133 de la directive 2006/112 selon lequel la liaison de l’octroi de l’exonération au respect de certaines conditions, dont celle relative à la concurrence, doit être faite « au cas par cas ».

88.      Certes, cette qualification n’apparaît qu’au premier alinéa de cet article qui concerne les organismes sans but lucratif autres que ceux de droit public. Cependant, il n’y a aucune raison convaincante, et le gouvernement du Royaume-Uni ainsi que la Commission n’en donnent aucune, qui justifierait une application différenciée de la même condition pour les organismes sans but lucratif de droit public.

89.      Les termes utilisés dans les autres versions linguistiques de la directive 2006/112 rendent encore plus clair le fait que l’analyse des conditions prévues à l’article 133, premier alinéa, de ladite directive doit être individualisée pour chaque organisme. Je cite à titre d’exemples les versions en langues anglaise (« in each individual case »), grecque (« χωριστά για κάθε περίπτωση ») et allemande (« im Einzelfall »).

90.      La Commission fait état des difficultés auxquelles les autorités locales et les opérateurs privés feraient face, aux termes des points 49 à 51 de l’arrêt du 16 septembre 2008, Isle of Wight Council e.a. (C-288/07, EU:C:2008:505), si elles devaient procéder à un examen « au cas par cas », et notamment la nécessité d’une « réévaluation systématique, sur la base d’analyses économiques souvent complexes, des conditions de concurrence sur une multitude de marchés locaux, dont la détermination peut s’avérer particulièrement difficile dans la mesure où la délimitation de ceux-ci ne coïncide pas nécessairement avec la compétence territoriale des autorités locales » (28).

91.      Pourquoi, cependant, cette évaluation ne serait-elle pas faisable dans le cas d’organismes sans but lucratif de droit public alors qu’elle le serait dans le cas des autres organismes (29) ?

92.      Pour ces raisons, je propose à la Cour de répondre à la troisième question que l’article 133, second alinéa, de la directive 2006/112 doit être interprété en ce sens qu’il ne permet pas à un État membre d’exclure, de façon générale, tous les organismes sans but lucratif de droit public du bénéfice de l’exonération des prestations de services sportifs, sans avoir vérifié au cas par cas si l’octroi de cette exonération est susceptible de provoquer des distorsions de concurrence au détriment des entreprises commerciales assujetties à la TVA.

VI – Conclusion

93.      Par conséquent, je propose à la Cour de répondre aux questions préjudicielles posées par le First-tier Tribunal (Tax Chamber) [tribunal de première instance (chambre de fiscalité)] de la manière suivante :

1)      L’article 133, premier alinéa, sous d), et second alinéa, de la directive 2006/112/CE du Conseil, du 28 novembre 2006, relative au système commun de taxe sur la valeur ajoutée doit être interprété en ce sens qu’il permet aux États membres d’imposer aux organismes de droit public la condition relative à la concurrence, même si des services sportifs autres que ceux qui étaient soumis à la TVA au 1er janvier 1989 étaient exonérés à cette même date et même si les services sportifs en cause n’étaient pas exonérés en vertu du droit national avant que l’État membre ne fasse application de la condition prévue à l’article 133, premier alinéa, sous d), de la directive 2006/112.

2)      L’article 133, premier alinéa, sous d), et alinéa 2, de la directive 2006/112 doit être interprété en ce sens qu’un État membre qui, en vertu de la directive 77/388/CEE, du 17 mai 1977, en matière d’harmonisation des législations des États membres relatives aux taxes sur le chiffre d’affaires – Système commun de taxe sur la valeur ajoutée : assiette uniforme, appliquait, au 1er janvier 1989, la TVA aux services sportifs ne peut subordonner l’octroi de l’exonération de la TVA aux organismes sans but lucratif de droit public à la condition relative à la concurrence prévue à l’article 133, premier alinéa, sous d), de cette directive que lorsqu’il applique également cette condition aux prestations fournies par les autres organismes sans but lucratif.

3)      L’article 133, second alinéa, de la directive 2006/112 doit être interprété en ce sens qu’il ne permet pas aux États membres qui, en vertu de la directive 77/388, appliquaient, au 1er janvier 1989, la TVA aux services sportifs, d’exclure, de façon générale, tous les organismes sans but lucratif de droit public du bénéfice de l’exonération des prestations de services sportifs sans avoir vérifié, au cas par cas, si l’octroi de cette exonération est susceptible de provoquer des distorsions de concurrence au détriment des entreprises commerciales assujetties à la TVA.


1 – Langue originale : le français.


2 – Selon la Commission, les États membres visés par cette disposition sont la République fédérale d’Allemagne et le Royaume-Uni.


3 – Aux termes de l’article 133, premier alinéa, sous a), de la directive 2006/112, « les organismes en question ne doivent pas avoir pour but la recherche systématique du profit, les bénéfices éventuels ne devant jamais être distribués mais devant être affectés au maintien ou à l’amélioration des prestations fournies ». Au point b) de cette disposition, « ces organismes doivent être gérés et administrés à titre essentiellement bénévole par des personnes n’ayant, par elles-mêmes ou par personnes interposées, aucun intérêt direct ou indirect dans les résultats de l’exploitation ». Aux termes de l’article 133, premier alinéa, sous c), de ladite directive, « ces organismes doivent pratiquer des prix homologués par les autorités publiques ou n’excédant pas de tels prix ou, pour les opérations non susceptibles d’homologation des prix, des prix inférieurs à ceux exigés pour des opérations analogues par des entreprises commerciales soumises à la TVA ».


4 – À l’exception des droits de participer à une compétition sportive qui sont exonérés de la TVA pour tous les organismes sans but lucratif.


5 – Article 133, premier alinéa, sous d), de ladite directive, auquel se réfère son article 133, second alinéa.


6 – Même si le représentant de la Commission a cité, à propos de la latitude laissée aux États, un proverbe qui pourrait s’appliquer au cas d’espèce : « Give him an inch, he will take a mile » (Donnez-lui un doigt, il prendra un bras).


7 – Article 133, premier alinéa, sous d), de ladite directive.


8 – C’est moi qui souligne.


9 – Voir article 28, paragraphe 3, sous a), en liaison avec l’annexe E, point 4, de la sixième directive. Le caractère transitoire de ces dispositions, permettant de déroger temporairement à l’exonération des prestations de services sportifs prévue à l’article 13, lettre A, paragraphe 1, sous m), de cette directive, implique qu’elles ne s’opposaient pas à une exonération partielle de ces prestations de services. Voir, par analogie, arrêt du 29 avril 1999, Norbury Developments (C-136/97, EU:C:1999:211, points 19 et 20).


10 – Voir point 5 des présentes conclusions.


11 – Voir considérants 1 et 3 de la directive.


12 – À l’exception des droits de participation à des compétitions sportives.


13 – En leur imposant la condition relative à la concurrence prévue à l’article 133, premier alinéa, sous d), de cette directive et en considérant qu’elle n’est jamais satisfaite en ce qui les concerne.


14 – Voir article 133, second alinéa, de ladite directive. Comme je l’ai observé au point 26 des présentes conclusions, il me semble que les conditions énumérées aux points a) à c) de cette disposition sont plus adaptées pour être appliquées aux organismes sans but lucratif de droit privé qu’à ceux de droit public.


15 – Voir considérants 1 et 3 de cette directive.


16 – Arrêt du 7 mai 1998, Commission/Espagne (C-124/96, EU:C:1998:204, point 11).


17 – Arrêt du 7 mai 1998, Commission/Espagne (C-124/96, EU:C:1998:204, point 18 et jurisprudence citée).


18 – Voir points 24 à 27 des présentes conclusions.


19 – C’est moi qui souligne.


20 – Voir arrêts du 8 mai 2003, Commission/France (C-384/01, EU:C:2003:264, point 25 et jurisprudence citée), et du 10 novembre 2011, The Rank Group (C-259/10 et C-260/10, EU:C:2011:719, point 32 et jurisprudence citée).


21 – Arrêt du 7 mai 1998, Commission/Espagne (C-124/96, EU:C:1998:204, point 11 et jurisprudence citée).


22 – Arrêt du 7 mai 1998, Commission/Espagne (C-124/96, EU:C:1998:204, point 18). En réalité, ces conditions sont restées telles quelles dans l’article 132 de la directive 2006/112.


23 – Arrêt du 19 décembre 2013, Bridport and West Dorset Golf Club (C-495/12, EU:C:2013:861, point 35 et jurisprudence citée). Voir, également en ce sens, arrêt du 25 février 2016, Commission/Pays-Bas (C-22/15, non publié, EU:C:2016:118, point 38).


24 – Arrêt du 7 mai 1998, Commission/Espagne (C-124/96, EU:C:1998:204, point 19).


25 – Article 133, premier alinéa, de la directive 2006/112.


26 – C’est moi qui souligne.


27 – Comme la Commission, la municipalité londonienne d’Ealing accepte que les distorsions de concurrence soient évaluées par rapport à l’activité sportive en cause.


28 – Point 49 de cet arrêt.


29 – Il est d’ailleurs étrange de constater que la réglementation du Royaume-Uni prescrit une telle analyse au cas par cas pour l’exonération de la TVA applicable aux services culturels, ce qui fait l’objet de longues explications au point 3.8 de la note TVA 701/47 sur la culture (VAT Notice 701/47 : culture).