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Édition provisoire

CONCLUSIONS DE L’AVOCAT GÉNÉRAL

M. EVGENI TANCHEV

présentées le 7 mars 2018 (1)

Affaire C-544/16

Marcandi Limited, agissant sous le nom commercial de « Madbid »

contre

Commissioners for Her Majesty’s Revenue and Customs

[Demande de décision préjudicielle formée par le First-tier Tribunal (Tax Chamber) (tribunal de première instance (chambre de la fiscalité), Royaume-Uni)]

« Demande de décision préjudicielle – Taxe sur la valeur ajoutée – Directive 2006/112/CE – Émission de “crédits” pouvant être utilisés pour enchérir dans des “penny auctions” en ligne et dont la valeur peut être imputée sur le prix des biens achetés directement à la société organisant les enchères – Article 2, paragraphe 1, sous a) et c) – Prestations de services ou livraison de biens effectuées à titre onéreux – Opération préalable – Article 65 – Versement d’acomptes – Article 73 – Base d’imposition – Article 79, sous b) – Rabais couvrant l’intégralité du prix »






1.        Dans la présente affaire, la Cour est invitée à déterminer si l’octroi du droit de participer à une « penny auction » doit être considéré comme une prestation de services soumise à la taxe sur la valeur ajoutée (ci-après la « TVA ») au sens de l’article 2, paragraphe 1, sous c), de la directive du Conseil 2006/112/CE (2) ou comme une opération préalable non soumise à la TVA.

2.        Les participants à une « penny auction » doivent payer des frais non remboursables pour pouvoir enchérir (ci-après les « frais d’enchères ») (3). Lorsque la vente aux enchères débute, le compte à rebours est enclenché. Lorsque celui-ci s’achève, la vente prend fin. À chaque enchère, le prix du bien mis aux enchères augmente de 0,01 livres sterling (d’où le nom « penny auction ») et le compte à rebours recommence. La vente aux enchères prend fin lorsque le compte à rebours s’achève. Le vainqueur est la personne qui a été la dernière à enchérir.

3.        Conformément à l’article 2, paragraphe 1, sous a) et c), de la directive 2006/112, les livraisons de biens et les prestations de services effectuées à titre sont des opérations soumises à la TVA.

4.        Il existe deux manières d’appréhender le paiement des frais d’enchères au regard de l’article 2, paragraphe 1, de la directive 2006/112.

5.        D’un côté, les frais d’enchères peuvent être vus comme la contrepartie d’une prestation de services, à savoir l’octroi du droit de participer aux enchères. L’octroi de ce droit, en échange du paiement des frais d’enchères, serait alors une opération soumise à la TVA au sens de l’article 2, paragraphe 1, sous c), de la directive 2006/112. L’achat ultérieur, par le vainqueur, du bien mis aux enchères constituerait une livraison de biens au sens de l’article 2, paragraphe 1, sous a), de ladite directive et, en tant que tel, comme une opération distincte, elle aussi soumise à TVA.

6.        D’un autre côté, l’intention des participants à une vente aux enchères est de remporter celle-ci et d’acheter le bien mis aux enchères. Par conséquent, l’octroi du droit de participer à la vente aux enchères pourrait être vu comme une simple étape préliminaire en vue d’acheter le bien mis aux enchères (4). Il ne s’agirait pas d’une opération soumise à TVA au sens de l’article 2, paragraphe 1, de la directive 2006/112. Seul l’achat ultérieur du bien adjugé serait considéré comme une opération soumise à TVA au sens de cette disposition.

7.        Dans la présente affaire, la Cour est invitée à trancher entre les deux approches décrites ci-dessus. Elle est également interrogée sur ce qui constitue la contrepartie de la prestation de services et/ou de la livraison ultérieure de biens.

I.      Cadre juridique

8.        L’article 2, paragraphe 1, de la directive 2006/112 dispose :

« Sont soumises à la TVA les opérations suivantes :

a)      les livraisons de biens effectuées à titre onéreux sur le territoire d’un État membre par un assujetti agissant en tant que tel ;

[…]

c)      les prestations de services, effectuées à titre onéreux sur le territoire d’un État membre par un assujetti agissant en tant que tel ;

[…] ».

9.        L’article 65 de la directive 2006/112 dispose :

« En cas de versements d’acomptes avant que la livraison de biens ou la prestation de services ne soit effectuée, la taxe devient exigible au moment de l’encaissement, à concurrence du montant encaissé ».

10.      Conformément à l’article 73 de la directive 2006/112 :

« Pour les livraisons de biens et les prestations de services autres que celles visées aux articles 74 à 77, la base d’imposition comprend tout ce qui constitue la contrepartie obtenue ou à obtenir par le fournisseur ou le prestataire pour ces opérations de la part de l’acquéreur, du preneur ou d’un tiers, y compris les subventions directement liées au prix de ces opérations ».

11.      L’article 79 de la directive 2006/112 est libellé comme suit :

« Ne sont pas à comprendre dans la base d’imposition les éléments suivants :

[…]

b)      les rabais et ristournes de prix consentis à l’acquéreur ou au preneur et acquis au moment où s’effectue l’opération ;

[...] ».

II.    Les faits, la procédure au principal et les questions préjudicielles

12.      Marcandi Limited (ci-après « Madbid »), une société établie au Royaume-Uni, exerce une activité de commerce en ligne sous le nom de « Madbid ». Madbid vend principalement des produits de haute technologie tels que des téléphones portables, des tablettes, des ordinateurs et des télévisions. Elle vend sporadiquement des biens d’une plus grande valeur, tels que des voitures. Madbid dispose d’une plateforme Internet, qui permet à ses utilisateurs, une fois enregistrés, de participer à des « penny auctions » en ligne afin d’enchérir et de se voir adjuger des biens. Les utilisateurs peuvent également acheter directement des biens dans la boutique en ligne de Madbid.

13.      Madbid avait initialement lancé un site Internet au Royaume-Uni. À la suite du succès de celui-ci, Madbid a lancé des sites dans neuf autres Etats membres, dont l’Allemagne, ainsi qu’au Canada et en Turquie.

14.      Madbid est enregistrée aux fins de la TVA, entre autres, au Royaume-Uni et en Allemagne.

15.      Les activités de Madbid sont les suivantes. Les personnes qui souhaitent participer à une vente aux enchères en ligne ou acheter un bien sur internet doivent s’enregistrer auprès de Madbid en tant qu’utilisateurs (ci-après les « utilisateurs ») et accepter les conditions contractuelles de Madbid.

16.      Une fois enregistrés, les utilisateurs peuvent acheter des « crédits » (ci-après les « crédits »). Les crédits permettent aux utilisateurs d’enchérir dans les ventes en ligne de Madbid. Toutefois, les crédits ne peuvent pas être utilisés pour acheter directement des biens dans la boutique de Madbid. Ils ne peuvent pas non plus être reconvertis en argent liquide. Les crédits sont achetés en utilisant un des modes de paiement acceptés, tels que des cartes de crédit ou de débit. Chaque crédit est identifié par un code unique, qui permet à Madbid de le localiser à tout moment dans le compte d’un utilisateur. Les crédits sont vendus par paquets, dont le nombre d’unités et le prix varient (par exemple, un paquet de 500 crédits coûte 49,99 GBP et un paquet de 80 crédits coûte 9,99 GBP). Chaque crédit se voit attribuer une valeur monétaire déterminée. Cette valeur est quasiment identique au montant payé par l’utilisateur pour le crédit (5). Les crédits expirent au bout de 180 jours.

17.      Comme mentionné ci-dessus, les crédits sont utilisés pour enchérir dans les ventes en ligne de Madbid. Chaque vente aux enchères débute avec un prix de lancement de 0,00 GBP et avec un chronomètre réglé sur une durée décidée à l’avance, qui est généralement d’une minute. Pour chaque vente, un nombre défini de crédits (compris entre 1 et 8) est nécessaire pour enchérir. Lorsque la vente aux enchères débute, le compte à rebours commence. Lorsque le compte à rebours s’achève, la vente aux enchères est terminée.

18.      Lorsqu’un utilisateur enchérit en cliquant sur le bouton « enchérir », le nombre de crédits nécessaire pour enchérir dans cette vente est déduit du nombre total de crédits qui figurent dans le compte de cet utilisateur. L’enchère est placée pour une valeur supérieure de 0,01 GBP à l’enchère précédente. Le prix du bien mis aux enchères augmente donc de 0,01 GBP. Le chronomètre des enchères est à nouveau réglé sur la même durée et le compte à rebours recommence. Le vainqueur de la vente aux enchères est la personne qui a placé l’enchère la plus élevée lorsque le compte à rebours s’achève.

19.      Celui qui remporte les enchères a le droit d’acheter le bien adjugé pour le montant de l’enchère gagnante, augmenté des frais de transport et de manutention (6). Il n’est toutefois pas obligé d’acheter ce bien. Si le vainqueur décide d’acheter le bien adjugé, il doit payer le montant de l’enchère gagnante, augmenté des frais de transport et de manutention, dans un certain délai. Faute de quoi, il perd le droit d’acheter le bien adjugé pour le montant de l’enchère gagnante. La valeur des crédits utilisés par le vainqueur pour enchérir dans la vente qu’il a remportée n’est pas imputée sur le prix payé pour le bien adjugé. La valeur de ces crédits est épuisée.

20.      Cependant, la plateforme de ventes aux enchères de Madbid comprend aussi une fonction « acheter maintenant » (ci-après la « fonction “acheter maintenant” »). Cette fonction permet à un utilisateur d’acheter, pendant une vente aux enchères, un bien identique à celui pour lequel il était en train d’enchérir. Le prix de ce bien (ci-après le « prix initial “acheter maintenant” ») est réduit de la valeur des crédits dépensés par cet utilisateur pour placer des enchères dans cette vente. Par exemple, si un utilisateur dépense des crédits d’une valeur de 100 GBP pour placer des enchères sur un iPod, cet utilisateur peut, en cliquant sur le bouton « acheter maintenant », acheter directement cet iPod pour un prix inférieur de 100 GBP au prix initial « acheter maintenant ». Le prix initial « acheter maintenant » est presque toujours égal au prix de détail recommandé (7). Par conséquent, la fonction « acheter maintenant » permet aux utilisateurs d’acheter un bien à un prix inférieur au prix de détail recommandé. L’utilisateur qui achète des biens en utilisant la fonction « acheter maintenant » pendant une vente aux enchères ne peut plus placer d’enchères dans cette vente.

21.      Un utilisateur qui a participé à une vente aux enchères sans la remporter et qui n’a pas effectué un achat au moyen de la fonction « acheter maintenant » se voit accorder un rabais égal à la valeur des crédits dépensés pour placer des enchères dans cette vente (c’est-à-dire égal au montant que l’utilisateur a payé pour ces crédits) (ci-après le « rabais acquis »). Le « rabais acquis » est accordé lorsque la vente aux enchères dans laquelle l’utilisateur a dépensé les crédits en cause s’est achevée. Si cet utilisateur décide d’acheter un bien directement dans la boutique de Madbid, le prix de ce bien (ci-après le « prix en boutique ») est diminué du montant du « rabais acquis ». Un tel achat sera désigné ci-dessous comme un achat effectué par l’intermédiaire de la « fonction “rabais acquis” ». Les « rabais acquis » s’accumulent au regard de toutes les ventes aux enchères auxquelles un utilisateur participe en utilisant des crédits. Le « rabais acquis » généré par un crédit donné expire 365 jours après que ce crédit a été dépensé lors d’une vente aux enchères. La valeur des crédits utilisés par le vainqueur pour enchérir dans la vente qu’il a remportée ne génère aucun « rabais acquis ».

22.      Les fonctions « acheter maintenant » et « rabais acquis » permettent de garantir que l’utilisateur qui dépense des crédits pour enchérir ne subit aucune perte de ce fait. En effet, comme indiqué au point 20 des présentes conclusions, lorsque, pendant une vente aux enchères, cet utilisateur clique sur le bouton « acheter maintenant », la valeur des crédits utilisés pour enchérir est déduite du prix initial « acheter maintenant ». De même, si, comme envisagé au point 21 des présentes conclusions, cet utilisateur achète un bien directement dans la boutique Madbid, il bénéficie d’un « rabais acquis » égal à la valeur de ces crédits.

23.      Par décision du 9 décembre 2013, Her Majesty’s Revenue and Customs (ci-après l’« autorité fiscale britannique »), qui est l’autorité compétente pour percevoir et administrer la TVA au Royaume-Uni, a considéré que les montants payés par les utilisateurs à Madbid pour l’émission de crédits étaient la contrepartie d’une prestation de services (ci-après la « décision de l’autorité fiscale britannique »). Ce service était l’octroi du droit de participer aux ventes aux enchères organisées par Madbid. L’autorité fiscale britannique a également considéré que le lieu de cette prestation de services était celui où Madbid est établie, à savoir le Royaume-Uni.

24.      Dans une décision du 9 juillet 2014, the Finanzamt Hanover-Nord (administration fiscale de Hanovre-Nord, Allemagne) (ci-après l’« autorité fiscale allemande ») a notamment estimé que (i) l’émission de crédits par Madbid n’est pas une opération soumise à TVA et que (ii) la livraison, par Madbid, d’un bien à un client situé en Allemagne constitue une livraison de biens soumise à TVA. L’autorité fiscale allemande a également estimé que (iii) la contrepartie de cette livraison de biens comprend aussi bien le prix payé par l’utilisateurs pour ce biens (à savoir le prix auquel ce bien a été adjugé, le prix « acheter maintenant » ou le prix en boutique après déduction du « rabais acquis ») et que la valeur des crédits dépensés par cet utilisateur pour acquérir ce bien (à savoir, les crédits utilisés, soit pour enchérir et remporter les enchères, soit pour générer la réduction du prix « acheter maintenant » ou le « rabais acquis »). L’autorité fiscale allemande en a conclu que (iv) Madbid doit acquitter la TVA en Allemagne sur cette livraison de biens.

25.      Madbid a exercé un recours contre la décision de l’autorité fiscale britannique devant le First-tier Tribunal (Tax Chamber) (tribunal de première instance (chambre de la fiscalité), Royaume-Uni).

26.      Le 10 mai 2016, le First-tier Tribunal (Tax Chamber) (tribunal de première instance (chambre de la fiscalité)) a rendu une décision avant-dire droit, par laquelle il opérait des constatations de fait et décidait d’interroger la Cour à titre préjudiciel. Selon le First-tier Tribunal (Tax Chamber) (tribunal de première instance (chambre de la fiscalité)), l’achat des crédits a une finalité propre, celle de permettre la participation aux ventes aux enchères organisées par Madbid. L’achat ultérieur de biens, s’il a lieu et lorsqu’il a lieu, est une autre opération, distincte de l’achat des crédits. La difficulté du problème, qu’illustrent les divergences d’interprétation de la directive 2006/112 par les autorités fiscales britannique et allemande, a conduit le First-tier Tribunal (Tax Chamber) (tribunal de première instance (chambre de la fiscalité)) à poser à la Cour les questions préjudicielles suivantes :

« (1)      Selon l’interprétation correcte de l’article 2, paragraphe 1, ainsi que des articles 24, 62, 63, 65 et 73 de la [directive 2006/112], dans des circonstances telles que celles du litige au principal :

a) l’émission de crédits par Madbid au profit des utilisateurs, en contrepartie du paiement d’une somme d’argent, doit-elle être considérée :

i) comme une “opération préalable” ne relevant pas du champ d’application de l’article 2, paragraphe 1, telle que celle identifiée par la Cour aux points 23 à 42 de son [arrêt du 16 décembre 2010, MacDonald Resorts (C-270/09, EU:C:2010:780)] ; ou

ii) comme une prestation de services effectuée par Madbid au sens de l’article 2, paragraphe 1, sous c), le service consistant en l’octroi du droit de participer à des enchères en ligne ;

b) si le droit de participer à des enchères en ligne est une prestation de services effectuée par Madbid, s’agit-il d’une prestation “à titre onéreux” au sens de l’article 2, paragraphe 1, sous c), dont la contrepartie est le paiement effectué pour obtenir ce droit (c’est-à-dire la somme d’argent versée par l’utilisateur à Madbid en échange des crédits) ;

c) la réponse à la question b) est-elle différente si les crédits autorisent également l’utilisateur, lorsqu’il ne remporte la vente aux enchères, à acquérir le bien pour la même valeur ;

d) si Madbid n’effectue pas une prestation de services à titre onéreux lorsqu’elle émet des crédits au profit de ses utilisateurs en contrepartie du paiement d’une somme d’argent, effectue-t-elle une telle prestation à un autre moment ;

et quels sont les principes qu’il convient d’appliquer pour répondre à ces questions ?

(2)      Selon l’interprétation correcte de l’article 2, paragraphe 1, ainsi que des articles 14, 62, 63, 65, 73 et 79, sous b), de la [directive 2006/112], quelle est, dans des circonstances telles que celles du litige au principal, la contrepartie reçue par Madbid en échange des livraisons de biens qu’elle effectue au profit des utilisateurs, au sens de l’article 2, paragraphe 1, sous a), et de l’article 73 ? En particulier, compte tenu de la réponse à donner à la question 1 :

a) les sommes versées par un utilisateur à Madbid en échange de crédits sont-elles un “versemen[t] d’acomptes” pour une livraison de biens au sens de l’article 65, de sorte que la TVA est “exigible” dès l’encaissement et que le paiement effectué par l’utilisateur au profit de Madbid constitue la contrepartie d’une livraison de biens ;

b) si l’utilisateur achète des biens au moyen des fonctions “acheter maintenant” ou “rabais acquis”, la valeur des crédits utilisés pour enchérir, qui, lorsque l’utilisateur ne remporte pas la vente, lui permet d’obtenir un “rabais acquis” ou une réduction du prix “acheter maintenant”, constitue-t-elle :

i) un “rabais” au sens de l’article 79, sous b), de sorte que la contrepartie de la livraison de biens effectuée par Madbid est uniquement constituée par la somme effectivement payée à Madbid par l’utilisateur lors de l’achat des biens ; ou

ii) une part de la contrepartie de la livraison de biens, de sorte que la contrepartie de la livraison de biens effectuée par Madbid comprend à la fois la somme payée par l’utilisateur à Madbid lors de l’achat des biens et la somme payée par l’utilisateur pour les crédits utilisés pour placer des enchères dans les ventes qu’il n’a pas remportées ;

c) si l’utilisateur exerce son droit d’acheter le bien qu’il a gagné dans une vente aux enchères en ligne, la contrepartie de la livraison de ce bien est-elle uniquement le prix auquel le bien a été adjugé (augmenté des frais de livraison et de manutention), ou la valeur des crédits que le vainqueur a utilisés pour enchérir dans la vente qu’il a remportée est-elle également comprise dans la contrepartie de la livraison de ce bien par Madbid à l’utilisateur ;

et quels sont les principes qu’il convient d’appliquer pour répondre à ces questions ?

(3)      Si deux États membres traitent différemment une opération aux fins de la TVA, dans quelle mesure les juridictions de l’un de ces États membres doivent-elles prendre en compte, lorsqu’elles interprètent les dispositions pertinentes du droit de l’Union et du droit national, le souci souhaitable d’éviter :

a) la double imposition de l’opération ; ou

b) la non-imposition de l’opération ;

et quelle est l’incidence du principe de neutralité fiscale sur cette question ? ».

27.      Madbid, le gouvernement du Royaume-Uni et la Commission européenne ont déposé des observations écrites. Ces parties ont également été entendues lors de l’audience du 13 décembre 2017.

III. Analyse

A.      Sur la première question préjudicielle

28.      Par la première question, la juridiction de renvoi demande, en substance, si l’émission de crédits par Madbid au profit des utilisateurs en contrepartie d’un paiement en argent constitue une « prestation de services effectuée à titre onéreux » au sens de l’article 2, paragraphe 1, sous c), de la directive 2006/112, ou si elle doit être considérée comme une « opération préalable », qui ne relève pas du champ d’application de l’article 2, paragraphe 1, de cette directive, telle que celle identifiée au point 24 de l’arrêt du 16 décembre 2010, MacDonald Resorts (C-270/09, EU:C:2010:780).

29.      Il convient de résumer brièvement l’arrêt rendu par la Cour dans l’affaire MacDonald Resorts. La Cour était invitée à se prononcer sur l’achat de « droits à des points » à une société commercialisant des droits d’utilisation à temps partagé de logements situés dans des complexes de résidences touristiques. Les droits à des points permettaient aux clients de recevoir chaque année des points qui pouvaient être convertis en droits d’utilisation momentanée d’une résidence ou en droits d’hébergement dans un hôtel. La Cour a jugé que l’achat des droits à des points n’était pas une finalité en soi pour les clients. L’intention finale des clients, lorsqu’ils achetaient des droits à des points, était d’utiliser momentanément une résidence ou d’être hébergés dans un hôtel. Par conséquent, l’achat de droits à des points devait être considéré comme « [une]opératio[n] préalabl[e] réalisé[e] en vue de pouvoir prétendre à un droit d’utilisation momentanée d’une résidence [ou] à un hébergement dans un hôtel » (8). En tant que tel, l’achat de droits à des points n’était pas une opération soumise à TVA au sens de l’article 2, paragraphe 1, de la sixième directive (9). Seul l’octroi du droit d’utilisation momentanée d’une résidence ou d’un hébergement dans un hôtel était soumise à TVA au sens de cette disposition (10).

30.      Dans la présente affaire, les utilisateurs peuvent acheter à Madbid des crédits en contrepartie du paiement d’une somme d’argent. Les crédits ne peuvent pas être utilisés pour acheter directement des biens dans la boutique de Madbid. Ils peuvent être utilisés uniquement afin d’enchérir dans les ventes aux enchères de Madbid. Ils sont nécessaires pour pouvoir faire de telles enchères.

31.      Comme mentionné aux points 5 et 6 des présentes conclusions, l’émission de crédits peut être considérée soit comme une prestation de services (à savoir l’octroi du droit de participer aux ventes aux enchères de Madbid) (11), soit comme une opération préalable non soumise à TVA, telle que celle identifiée dans l’arrêt MacDonald Resorts (puisqu’il peut être soutenu que l’achat des crédits n’est pas une finalité en soi pour les utilisateurs et que, lorsqu’ils achètent des crédits, leur intention finale est d’acquérir des biens).

32.      Dans le premier cas, Madbid serait redevable de la TVA sur l’émission de crédits dans l’Etat membre dans lequel elle est établie (12) , à savoir le Royaume-Uni. Telle était la position de l’autorité fiscale britannique (13). Dans le second cas, Madbid serait redevable de la TVA sur la livraison ultérieure de biens dans l’Etat membre dans lequel le transport des biens vers le client se termine (14) (en Allemagne, si le bien est livré à un client en Allemagne). Telle était la position de l’autorité fiscale allemande (15).

33.      Madbid fait valoir que l’émission de crédits est une opération préalable semblable à celle identifiée dans l’arrêt MacDonald Resorts.

34.      Le Royaume-Uni et la Commission soutiennent que l’émission de crédits est une prestation de services, et non une opération préalable.

35.      J’examinerai tout d’abord si l’émission de crédits doit être considérée comme une prestation de services qui, si elle est effectuée à titre onéreux, constitue une opération soumise à la TVA au sens de l’article 2, paragraphe 1, sous c), de la directive 2006/112, ou s’il s’agit d’une opération préalable qui ne relève pas du champ d’application de l’article 2, paragraphe 1, de cette directive, telle que celle identifiée dans l’arrêt MacDonald Resorts. Dès lors que, à mon avis, l’émission de crédits constitue une prestation de services, j’examinerai ensuite si elle est effectuée à titre onéreux. En analysant ces deux aspects de la première question préjudicielle, je tiendrai compte du fait que les utilisateurs peuvent acquérir des biens auprès de Madbid soit en remportant une vente aux enchères et en achetant le bien adjugé, soit en utilisant les fonctions « acheter maintenant » et « rabais acquis ».

1.      L’émission de crédits doit-elle être considérée comme une opération préalable semblable à celle identifiée dans l’arrêt MacDonald Resorts ou comme une prestation de services ?

a)      L’émission de crédits ne saurait être considérée comme une opération préalable

36.      Il est vrai que participer aux ventes aux enchères de Madbid n’est vraisemblablement pas une finalité en soi pour les utilisateurs (16) et que leur intention finale, lorsqu’ils achètent des crédits, est donc d’acheter des biens.

37.      Néanmoins, l’émission de crédits ne saurait, à mon sens, être considérée comme une opération préalable réalisée en vue de livrer des biens, telle que celle identifiée dans l’arrêt MacDonald Resorts.

38.      En effet, premièrement, bien que chaque crédit se voie attribuer une valeur monétaire déterminée dans le système informatique de Madbid, les crédits ne peuvent pas être utilisés comme une monnaie afin d’acheter directement des biens dans la boutique de Madbid. Lors de l’audience, le représentant de Madbid a précisé que les achats directs sont payés par carte de crédit ou de débit.

39.      Deuxièmement, un service distinct est fourni, à savoir l’octroi du droit à participer aux ventes aux enchères de Madbid. La participation aux ventes aux enchères de Madbid donne aux utilisateurs une chance d’acheter des biens pour un prix inférieur à leur valeur de marché, puisque le prix auquel les biens sont adjugés est généralement inférieur à leur valeur de marché. En revanche, lorsqu’ils achètent directement dans la boutique Madbid, les utilisateurs se voient facturer le prix de marché des biens. Selon la demande de décision préjudicielle, « la décision d’un utilisateur […] d’acheter des Crédits plutôt que de se tourner directement vers la boutique Madbid est donc une décision d’acheter une chance d’acquérir le bien pour un prix inférieur, et souvent très inférieur, au prix auquel il est proposé dans la boutique […]. Les utilisateurs qui participent à une vente aux enchères acquièrent une chance d’obtenir unrabais s’ils remportent les enchères, alors que ceux qui achètent directement le bien n’ont pas cette chance » (17).

40.      Troisièmement, celui qui remporte la vente aux enchères n’est pas obligé d’acheter le bien mis aux enchères. S’il ne paye le prix auquel le bien a été adjugé dans le certain délai fixé, il perd le droit d’acheter le bien au prix auquel il a été adjugé. Par conséquent, l’émission de crédits n’aboutit pas nécessairement à la livraison du bien mis aux enchères.

41.      Quatrièmement, si celui qui remporte la vente aux enchères achète les biens mis aux enchères, la valeur des crédits dépensés pour enchérir n’est pas imputée sur le prix auquel le bien a été adjugé. La valeur de ces crédits est épuisée. En d’autres termes, les crédits dépensés pour enchérir ne peuvent pas être utilisés pour acheter le bien mis aux enchères.

42.      Cinquièmement, lorsque celui qui remporte la vente aux enchères achète le bien mis aux enchères et annule ensuite la commande, seul le montant du prix auquel le bien a été adjugé est remboursé. La valeur des crédits dépensés pour enchérir n’est pas remboursée.

43.      Sixièmement, la situation dans l’affaire MacDonald Resorts diffère de celle de la présente affaire.

44.      En effet, dans l’affaire MacDonald Resorts, le service en cause, qui consistait à fournir un hébergement dans un hôtel ou un droit d’utilisation momentanée d’une résidence, n’était pas « complétement fourni » tant que les points n’avaient pas été convertis en « services concrets » (droit de séjourner dans un hôtel donné ou d’utiliser une résidence donnée pour une certaine période). Il en était ainsi parce que, au moment où les clients achetaient les droits à points, ils ne savaient pas quelle résidence serait disponible au cours d’une année donnée ou quelle serait la valeur en points d’un séjour dans cette résidence. Au moment où les clients achetaient les droits à des points, les services n’étaient pas encore identifiés (18).

45.      En revanche, dans la présente affaire, au moment où les utilisateurs achètent les crédits, ils savent quel service sera fourni, à savoir le droit de participer aux ventes aux enchères de Madbid. Ainsi que l’a soutenu la Commission, ce service est identifié et fourni immédiatement (puisque les utilisateurs peuvent enchérir dans les ventes aux enchères de Madbid immédiatement après avoir acheté des crédits).

46.      Par conséquent, l’achat de crédits ne saurait être considéré comme une opération préalable réalisée en vue de livrer des biens.

b)      Il n’y a pas opération préalable lorsque les crédits dépensés pour enchérir sont utilisés pour acheter des biens par l’intermédiaire des fonctions « acheter maintenant » ou « rabais acquis »

47.      Ainsi qu’exposé aux points 20 à 22 des présentes conclusions, lorsqu’un utilisateur se retire d’une vente aux enchères ou ne la remporte pas, la valeur des crédits utilisés pour enchérir n’est pas épuisée (19).

48.      En effet, un utilisateur peut acheter un bien à Madbid pendant une vente aux enchères en cliquant sur le bouton « acheter maintenant ». Dans ce cas, la valeur des crédits que cet utilisateur a dépensés pour enchérir dans cette vente est imputée sur le prix initial « acheter maintenant ».

49.      Un utilisateur peut également acheter des biens à Madbid en utilisant la fonction « rabais acquis ». Dans ce cas, le « rabais acquis », dont le montant est égal à la valeur des crédits dépensés par cet utilisateur pour enchérir dans les ventes aux enchères de Madbid, est imputé sur le prix des biens en boutique.

50.      Selon Madbid, le fait que les crédits dépensés pour enchérir puissent être utilisés afin d’acheter directement des biens dans sa boutique en ligne démontre que l’émission de crédits est une opération préalable telle que celle identifiée dans l’arrêt MacDonald Resorts.

51.      Cependant, cet argument ne remet, à mon avis, pas en cause la conclusion à laquelle je suis parvenu au point 46 des présentes conclusions.

52.      En effet, premièrement, seule la valeur des crédits dépensés pour enchérir peut être imputée sur le prix des biens achetés par l’intermédiaire des fonctions « acheter maintenant » ou « rabais acquis ». Les crédits qui n’ont pas été utilisés pour placer des enchères ne peuvent pas être imputés sur le prix de ces biens.

53.      Deuxièmement, un service a été fourni à l’utilisateur qui obtient un rabais sur le prix initial « acheter maintenant » ou sur le prix en boutique. Cet utilisateur a participé à une vente aux enchères, ce qui lui a donné une chance d’acheter le bien mis aux enchères à un prix inférieur à sa valeur de marché. Il n’importe pas que cet utilisateur ait décidé de renoncer à cette chance (en cliquant sur le bouton « acheter maintenant ») ou qu’il ait été malchanceux en ne remportant les enchères, de sorte qu’il doit payer pour le bien la totalité du prix de marché (20). Cela n’enlève rien au fait qu’un service distinct lui a bel et bien été fourni. En effet, cet utilisateur aurait pu décider d’acheter directement les biens dans la boutique de Madbid, sans participer d’abord à une vente aux enchères (21). Il aurait payé le même prix, à savoir la totalité du prix de détail recommandé.

54.      A cet égard, il y a lieu de rejeter l’argument de Madbid selon lequel la situation dans la présente affaire est similaire à celle dans l’affaire Société thermale d’Eugénie-les-Bains. Dans l’affaire Société thermale d’Eugénie-les-Bains, la Cour a jugé que les arrhes payées par le client lors de la réservation d’une chambre d’hôtel, qui sont imputées sur le prix total de la chambre si le client occupe celle-ci, ne constituent pas la contrepartie d’une prestation autonome et individualisable (22). Selon Madbid, il en découle que les crédits dépensés pour pouvoir enchérir, dont la valeur est imputée sur le prix des biens achetés par l’intermédiaire des fonctions « acheter maintenant » ou « rabais acquis », ne constitue pas la contrepartie de la prestation d’un quelconque service. Toutefois, à mon avis, un service distinct a été fourni à l’utilisateur puisqu’il a été autorisé à participer à une vente aux enchères. La situation dans la présente affaire diffère de celle dans l’affaire Société thermale d’Eugénie-les-Bains.

55.      Troisièmement, la valeur des crédits dépensés pour enchérir est sporadiquement perdue parce que les utilisateurs négligent de faire des achats directs, ce qui permettrait de déduire de leur prix la valeur de ces crédits (23).

56.      Quatrièmement, lorsqu’un utilisateur achète des biens par l’intermédiaire des fonctions « acheter maintenant » ou « rabais acquis » et annule en suite la commande, seul le prix initial « acheter maintenant » ou le prix en boutique est remboursé. La valeur des crédits dépensés pour enchérir ne l’est pas.

57.      Par conséquent, l’émission de crédits ne saurait être considérée comme une opération préalable réalisée en vue de livrer des biens. Elle doit être considérée comme une prestation de services, à savoir l’octroi du droit de participer aux ventes aux enchères de Madbid.

58.      Par souci d’exhaustivité, je précise que, selon la jurisprudence, plusieurs prestations formellement distinctes doivent être considérées comme une opération unique lorsqu’elles sont si étroitement liées qu’elles forment, objectivement, une seule prestation économique indissociable dont la décomposition revêtirait un caractère artificiel ou lorsque l’une ou plusieurs prestations constituent une prestation principale et que la ou les autres prestations constituent une ou plusieurs prestations accessoires partageant ainsi le sort fiscal de la prestation principale (24). Toutes les parties conviennent que cette jurisprudence n’est pas applicable. J’estime, premièrement, que l’émission de crédits et la livraison de biens ne peuvent pas être considérées comme une seule prestation indissociable puisque les clients peuvent acheter directement des biens dans la boutique de Madbid sans participer à des ventes aux enchères. Deuxièmement, à mon avis, l’émission de crédits ne saurait être considérée comme accessoire à la livraison de biens puisque les fonctions « acheter maintenant » ou « rabais acquis » visent à garantir que les utilisateurs ne puissent pas perdre d’argent en participant aux ventes aux enchères. Par conséquent, ces fonctions ont pour objet d’inciter les utilisateurs à participer aux ventes aux enchères. La livraison de biens ne saurait pas davantage être considérée comme accessoire à l’émission de crédits puisqu’il est rare que les utilisateurs négligent d’utiliser les crédits ou d’acheter des biens par l’intermédiaire des fonctions « acheter maintenant » ou « rabais acquis ». Par conséquent, la jurisprudence évoquée ci-dessus ne s’applique pas.

2.      Les crédits sont-ils émis à titre onéreux au sens de l’article 2, paragraphe 1, sous c), de la directive 2006/112 ?

59.      En vertu de l’article 2, paragraphe 1, sous c), de la directive 2006/112, pour qu’une prestation de services soit couverte par ladite directive, il faut qu’elle soit effectuée à titre onéreux.

60.      Il est de jurisprudence constante qu’une prestation de services n’est effectuée à titre onéreux, au sens de l’article 2, paragraphe 1, sous c), de la directive 2006/112, que s’il existe entre le prestataire et le bénéficiaire un rapport juridique au cours duquel des prestations réciproques sont échangées, la rétribution perçue par le prestataire constituant la contre-valeur effective du service fourni au bénéficiaire. La Cour a jugé que tel est le cas s’il existe un lien direct entre le service rendu et la contre-valeur reçue, les sommes versées constituant une contrepartie effective d’un service individualisable fourni dans le cadre d’un tel rapport juridique (25).

61.      Madbid soutient que, même si l’émission de crédits devait être considérée comme une prestation de services, cette prestation ne serait pas effectuée à titre onéreux.

62.      Le gouvernement du Royaume-Uni et la Commission font valoir que l’émission de crédits est effectuée à titre onéreux, la contrepartie étant le montant payé par les utilisateurs pour l’émission de crédits.

63.      A mon avis, l’émission de crédits est effectuée à titre onéreux au sens de l’article 2, paragraphe 1, sous c), de la directive 2006/112. La contrepartie est le montant payé par les utilisateurs pour l’émission de crédits (26).

64.      Premièrement, il existe un rapport juridique entre Madbid et les utilisateurs. Selon la demande de décision préjudicielle, lorsque des personnes s’enregistrent en ligne en tant qu’utilisateurs, elles doivent accepter les conditions contractuelles de Madbid. Les achats ultérieurs de crédits sont des rapports juridiques entre Madbid et les utilisateurs.

65.      Deuxièmement, il existe un lien direct entre l’octroi du droit de participer aux ventes aux enchères de Madbid et le montant payé par les utilisateurs pour l’émission de crédits. En effet, les crédits sont utilisés pour enchérir dans les ventes aux enchères de Madbid.

66.      En outre, lorsqu’un utilisateur remporte une vente aux enchères, il n’existe pas de lien entre la livraison des biens mis aux enchères et le prix payé pour l’émission de crédits. En effet, la valeur des crédits utilisés pour enchérir dans cette vente est épuisée. Elle n’est pas imputée sur le prix auquel le bien est adjugé. De plus, il peut ne pas y avoir de livraison de biens puisque le vainqueur n’est pas tenu d’acheter le bien adjugé.

67.      En outre, lorsqu’un utilisateur se retire d’une vente aux enchères ou ne la remporte pas, le lien entre, d’une part, la livraison d’un quelconque bien acheté par l’intermédiaire des fonctions « acheter maintenant » ou « rabais acquis » et, d’autre part, le prix payé pour l’émission de crédits est indirect, ainsi que l’a fait valoir le gouvernement du Royaume-Uni. Il est vrai que la valeur des crédits dépensés pour enchérir est imputée sur le prix initial « acheter maintenant » ou sur le prix en boutique. Néanmoins, seule la valeur des crédits dépensés pour enchérir peut être imputée sur le prix des biens. En outre, il peut, sporadiquement, ne pas y avoir de livraison de biens, si l’utilisateur néglige d’effectuer des achats, ce qui permettrait de déduire de leur prix la valeur des crédits dépensés pour enchérir.

68.      J’en conclus que l’émission de crédits est effectuée à titre onéreux au sens de l’article 2, paragraphe 1, sous c), de la directive 2006/112. La contrepartie est le montant payé par les utilisateurs pour l’émission de crédits.

3.      Il n’y a pas d’autre prestation de services effectuée à titre onéreux

69.      Par souci d’exhaustivité, je précise que Madbid n’effectue aucune prestation de services à titre onéreux au sens de l’article 2, paragraphe 1, sous c), de la directive 2006/112, autre que l’émission de crédits. Aucun service n’est fourni lorsque l’utilisateur enchérit dans une vente (étant donné que ce sont les crédits émis qui permettent à l’utilisateur d’enchérir) ou lorsque les crédits ou le « rabais acquis » généré par ces crédits expirent (puisqu’aucun autre service n’est fourni par Madbid à ce moment-là).

70.      Par conséquent, la réponse à la première question préjudicielle doit être que, dans des circonstances telles que celles de l’affaire au principal, dans lesquelles une société exploite un site Internet de « penny auctions » et vend également directement des biens dans une boutique en ligne, l’émission de « crédits », tels que ceux en cause dans l’affaire au principal, qui permettent aux utilisateurs d’enchérir dans les ventes aux enchères de cette société mais ne peuvent pas être directement échangés contre des biens, ne saurait être considérée comme une opération préalable telle que celle identifiée dans l’arrêt MacDonald Resorts, qui, en tant que telle, sortirait du champ d’application de l’article 2, paragraphe 1, de la directive 2006/112. Elle doit être considérée comme une prestation de services effectuée à titre onéreux au sens du point c) de cette disposition, la contrepartie étant le montant payé par les utilisateurs pour l’émission de « crédits ». L’émission de « crédits » en contrepartie du paiement de ce montant doit également être considérée comme une prestation de services effectuée à titre onéreux au sens de l’article 2, paragraphe 1, sous c), de la directive 2006/112 lorsque l’utilisateur se retire de la vente aux enchères ou ne la remporte pas et qu’il achète des biens à la société, auquel cas la valeur des « crédits » utilisés pour enchérir est imputée sur le prix de ces biens.

B.      Sur la deuxième question préjudicielle

71.      Par la deuxième question, la juridiction de renvoi demande, en substance, ce qui doit être considéré comme la contrepartie de la livraison de biens effectuée par Madbid au sens de l’article 2, paragraphe 1, sous a), de la directive 2006/112.

72.      Premièrement, la juridiction de renvoi demande si le montant payé par les utilisateurs pour l’émission de crédits doit être considéré comme un versement d’acomptes au sens de l’article 65 de cette directive, de sorte que ce montant est compris dans la contrepartie de la livraison de biens. Deuxièmement, la juridiction de renvoi demande si, lorsque l’utilisateur ne remporte pas la vente aux enchères et que la valeur des crédits utilisés pour enchérir est imputée sur les prix des biens achetés par l’intermédiaire des fonctions « acheter maintenant » ou « rabais acquis », la valeur des crédits constitue un rabais au sens de l’article 79, sous b), de la directive 2006/112, ou si cette valeur est comprise dans la contrepartie de la livraison de biens. Troisièmement, la juridiction de renvoi demande si, lorsque l’utilisateur remporte la vente aux enchères et achète le bien adjugé, la contrepartie de la livraison de ce bien comprend uniquement le prix auquel le bien a été adjugé, augmenté des frais de transport et de manutention, ou si cette contrepartie comprend également la valeur des crédits utilisés pour enchérir dans cette vente.

73.      J’examinerai, premièrement, si le montant payé pour l’émission de crédits constitue un versement d’acomptes au sens de l’article 65 de la directive 2006/112 ; deuxièmement, quelle est la contrepartie de la livraison du bien adjugé lors d’une vente aux enchères et, troisièmement, quelle est la contrepartie de la livraison de biens achetés par l’intermédiaire des fonctions « acheter maintenant » ou « rabais acquis ».

1.      Le montant payé pour l’émission de crédits n’est pas un versement d’acomptes au sens de l’article 65 de la directive 2006/112

74.      Conformément à l’article 63 de la directive 2006/112, la TVA est exigible au moment où la livraison de biens ou la prestation de services est effectuée.

75.      Toutefois, l’article 65 de cette directive prévoit que, en cas de versements d’acomptes avant que la livraison de biens ou la prestation de services ne soit effectuée, la TVA devient exigible au moment de l’encaissement, à concurrence du montant encaissé.

76.      Selon la jurisprudence, pour que, dans une telle situation, la TVA soit exigible, il faut que tous les éléments pertinents du fait générateur, c’est-à-dire de la livraison de biens ou de la prestation de services à venir, soient connus, et donc, en particulier, que les biens ou les services soient désignés avec précision (27).

77.      Madbid et le gouvernement du Royaume-Uni s’accordent sur le fait que le montant payé par les utilisateurs pour l’émission de crédits n’est pas un versement d’acomptes au sens de l’article 65 de la directive 2006/112. La Commission ne se prononce pas sur ce point.

78.      A mon avis, le montant payé pour l’émission de crédits ne peut pas être considéré comme un versement d’acomptes avant que la livraison des biens ne soit effectuée, au sens de l’article 65 de la directive 2006/112.

79.      En effet, comme exposé aux points 63 à 68 des présentes conclusions, le montant payé pour l’émission de crédits est la contrepartie de la prestation d’un service (à savoir l’octroi du droit de participer aux ventes aux enchères de Madbid) et non de la livraison de biens postérieure à une vente aux enchères (si tant est qu’une telle livraison ait lieu). Il s’agit de deux opérations distinctes. Le montant payé en contrepartie d’une opération ne saurait être considéré comme un acompte sur le paiement de la contrepartie de l’autre opération.

80.      En tout état de cause, comme le soutient Madbid, au moment où ils achètent les crédits, les utilisateurs ignorent quels biens ils achèteront à Madbid (28). Ces biens ne sont pas précisément identifiés ainsi que l’exige la jurisprudence citée au point 76 des présentes conclusions.

81.      Par conséquent, le montant payé pour l’émission de crédits ne saurait être considéré comme le paiement d’un acompte avant que la livraison de biens ne soit effectuée, au sens de l’article 65 de la directive 2006/112.

2.      Quelle est la contrepartie de la livraison d’un bien adjugé lors d’une vente aux enchères ?

82.      Conformément à l’article 73 de la directive 2006/112, la base d’imposition comprend tout ce qui constitue la contrepartie obtenue ou à obtenir par le fournisseur pour les livraisons de biens et les prestations de services.

83.      Selon une jurisprudence constante, cette contrepartie constitue la valeur subjective, à savoir réellement perçue dans chaque cas particulier, et non la valeur estimée selon des critères objectifs (29).

84.      Madbid fait valoir que la contrepartie de la livraison d’un bien adjugé dans une vente aux enchères comprend non seulement le prix auquel le bien a été adjugé, augmenté des frais de transport et de manutention, mais aussi la valeur des crédits dépensés pour enchérir dans cette vente.

85.      Le gouvernement du Royaume-Uni et la Commission soutiennent que seul le prix auquel le bien a été adjugé, augmenté des frais de transport et de manutention, constitue la contrepartie de la livraison d’un bien adjugé lors d’une vente aux enchères.

86.      A mon avis, seul le prix auquel le bien a été adjugé, augmenté des frais de transport et de manutention, constitue la contrepartie de la livraison d’un bien adjugé lors d’une vente aux enchères. Le montant payé pour l’émission des crédits dépensés pour enchérir dans cette vente n’est pas la contrepartie de la livraison du bien adjugé puisque, comme exposé aux points 63 à 68 des présentes conclusions, il est la contrepartie de l’octroi du droit de participer à cette vente aux enchères, lequel constitue est une opération distincte.

3.      Quelle est la contrepartie de la livraison de biens achetés par l’intermédiaire des fonctions « acheter maintenant » ou « rabais acquis » ?

87.      La juridiction de renvoi demande si, lorsque l’utilisateur achète des biens par l’intermédiaire des fonctions « acheter maintenant » ou « rabais acquis », la contrepartie de cette livraison de biens est le prix initial « acheter maintenant » ou le prix en boutique, ou si cette contrepartie est le prix initial « acheter maintenant » ou le prix en boutique, dont est déduite la valeur des crédits dépensés pour enchérir.

88.      Madbid fait valoir que, lorsque des biens sont achetés par l’intermédiaire des fonctions « acheter maintenant » ou « rabais acquis », la contrepartie de cette livraison de biens inclut la valeur des crédits dépensés pour enchérir.

89.      Le gouvernement du Royaume-Uni et la Commission soutiennent que la contrepartie de cette livraison de biens est le prix initial « acheter maintenant » ou le prix en boutique, augmenté des frais de transport et de manutention, dont est déduite la valeur des crédits dépensés pour enchérir.

a)      La valeur des crédits dépensés pour enchérir n’est pas comprise dans la contrepartie de la livraison de biens achetés par l’intermédiaire des fonctions « acheter maintenant » ou « rabais acquis »

90.      Selon moi, lorsque des biens sont achetés en utilisant les fonctions « acheter maintenant » ou « rabais acquis », la contrepartie de la livraison de ces biens est le prix initial « acheter maintenant » ou le prix en boutique, augmenté des frais de transport et de manutention, dont est déduite la valeur des crédits dépensés pour enchérir (30).

91.      Comme exposé aux points 63 à 68 des présentes conclusions, cela tient au fait que le montant payé pour l’émission des crédits dépensés pour enchérir est la contrepartie d’un service, à savoir l’octroi du droit de participer aux ventes aux enchères organisées par Madbid. Par conséquent, ce montant ne saurait être compris dans la contrepartie de la livraison ultérieure de biens achetés par l’intermédiaire des fonctions « acheter maintenant » ou « rabais acquis », laquelle constitue une opération distincte.

92.      Dès lors, la valeur des crédits dépensés pour enchérir, qui est imputée sur le prix initial « acheter maintenant » ou sur le prix en boutique, doit être considérée comme un rabais sur le prix des biens achetés en utilisant les fonctions « acheter maintenant » ou « rabais acquis » au sens de l’article 79, sous b), de la directive 2006/112. En tant que telle, la valeur de ces crédits n’est pas comprise dans la base d’imposition au titre de la livraison des biens.

93.      En outre, si les crédits devaient être considérés comme des coupons qui, une fois dépensés pour enchérir, peuvent être utilisés pour obtenir une réduction sur le prix des biens achetés en utilisant les fonctions « acheter maintenant » ou « rabais acquis » (31), ceci serait conforme à la solution retenue par la Cour dans l’affaire Elida Gibbs, selon laquelle la base d’imposition est le prix de vente des biens, dont est déduite la valeur des coupons (32), c’est-à-dire, dans la présente affaire, le prix initial « acheter maintenant » des biens ou leur prix en boutique (augmenté des frais de transport et de manutention), dont est déduite la valeur des crédits dépensés pour enchérir.

b)      Hypothèse dans laquelle la valeur des crédits dépensés pour enchérir est égale au prix initial « acheter maintenant » ou au prix en boutique

94.      Toutefois, lorsque la valeur des crédits dépensés pour enchérir est égale au prix initial « acheter maintenant » ou au prix en boutique, le rabais couvre 100 % du prix des biens achetés par l’intermédiaire des fonctions « acheter maintenant » ou « rabais acquis ». Dans cette hypothèse, l’on pourrait s’interroger sur le point de savoir si la valeur des crédits dépensés pour enchérir constitue un rabais au sens de l’article 79, sous b), de la directive 2006/112.

95.      À cet égard, il y a lieu de mentionner l’arrêt du 27 avril 1999, Kuwait Petroleum (C-48/97, EU:C:1999:203). Dans cette affaire, une société pétrolière offrait à ses clients des bons chaque fois qu’ils achetaient 12 litres d’essence. Ces bons pouvaient être échangés contre des biens choisis dans un catalogue. Le prix de l’essence était le même que le client accepte ou non les bons. La Cour a considéré que les clients ne se voyaient pas consentir un rabais sur le prix des biens obtenus en échange des bons, puisque le terme « rabais » visé à l’article 11A, paragraphe 3, sous b), de la sixième directive (33), devenu l’article 79, sous b), de la directive 2006/112, ne s’applique pas à des réductions couvrant 100 % du prix (34). Les biens remis en échange des bons étaient donc transmis à titre gratuit. Aux termes de l’article 5, paragraphe 6, de la sixième directive, devenu l’article 16 de la directive 2006/112 (35), la transmission à titre gratuit de biens doit être traitée comme une livraison de biens effectuée à titre onéreux lorsque le bien ou les éléments le composant ont ouvert un droit à une déduction complète ou partielle de la TVA (36).

96.      Dans ses observations écrites, Madbid fait valoir qu’il découle de l’arrêt Kuwait Petroleum que la valeur des crédits dépensés pour enchérir ne saurait être considérée comme un rabais au sens de l’article 79, sous b), de la directive 2006/112.

97.      Interrogé sur ce point à l’audience, le gouvernement du Royaume-Uni a indiqué que, lorsque la valeur des crédits dépensés pour enchérir est égale au prix initial « acheter maintenant » ou au prix en boutique, la contrepartie de la livraison de biens achetés en utilisant les fonctions « acheter maintenant » ou « rabais acquis » n’est pas égale à zéro. En effet, dans cette hypothèse, les frais de transport et de manutention doivent être payés et ils sont compris dans la contrepartie de cette livraison de biens. Le montant des crédits dépensés pour enchérir ne peut pas être déduit de ces frais.

98.      Selon la Commission, il découle de l’arrêt Kuwait Petroleum que, dans l’hypothèse où la valeur des crédits dépensés pour enchérir est égale au prix initial « acheter maintenant » ou au prix en boutique, les biens sont transmis à titre gratuit au sens de l’article 16 de la directive 2006/112. Par conséquent, dans cette hypothèse, la base d’imposition est, conformément à l’article 74 de ladite directive, le prix d’achat payé à Madbid. Toutefois, la Commission souligne que Madbid ne transmet normalement pas les biens à titre gratuit, de sorte que l’arrêt Kuwait Petroleum n’est guère pertinent dans la présente affaire.

99.      À mon avis, contrairement à ce que soutient Madbid, il ne découle pas de l’arrêt Kuwait Petroleum que la valeur des crédits dépensés pour enchérir ne constitue pas un rabais de prix au sens de l’article 79, sous b), de la directive 2006/112. En effet, dans cette affaire, le rabais couvrait l’intégralité du prix des biens, quels qu’ils fussent, obtenus en échange des bons. En revanche, dans la présente affaire, la valeur des crédits dépensés pour enchérir qui est imputée sur le prix initial « acheter maintenant » ou sur le prix en boutique est généralement inférieure à ces prix (37). Par conséquent, dans la présente affaire, une partie du prix des biens est généralement payée par un des modes de paiement acceptés, tels qu’une carte de crédit ou de débit.

100. En outre, j’estime que, lorsque la valeur des crédits dépensés pour enchérir est égale au prix initial « acheter maintenant » ou au prix en boutique, la livraison des biens achetés par l’intermédiaire des fonctions « acheter maintenant » ou « rabais acquis » n’est pas une transmission à titre gratuit au sens de l’article 16 de la directive 2006/112.

101. Il est vrai que, dans l’affaire Kuwait Petroleum, il existait deux opérations distinctes (à savoir, d’une part, la livraison d’essence et, d’autre part, la livraison des biens remis en échange des bons) et que le prix de l’essence était le même que les clients acceptent ou non les bons. De même, dans la présente affaire, il existe deux opérations distinctes. Le montant payé pour les crédits est le même que l’utilisateur les utilise ou non pour enchérir, ou qu’il ne le fasse pas dans les 180 jours (38). Le montant payé pour les crédits est le même que l’utilisateur impute ou non la valeur des crédits dépensés pour enchérir sur le prix initial « acheter maintenant » ou sur le prix en boutique, ou qu’il ne le fasse pas dans les 365 jours (39).

102. Néanmoins, je dois souligner que, dans l’affaire Kuwait Petroleum, la Cour a demandé à la juridiction de renvoi de vérifier si une partie du prix payé pour l’essence, fût-elle ou non identifiable, constituait la contrepartie des biens remis en échange des bons. Si la Cour est néanmoins parvenue à la conclusion que la livraison des biens remis en échange des bons était une transmission à titre gratuit, c’est parce que le fait que le prix de l’essence soit le même que le client accepte ou non les bons laissait clairement penser que la livraison des biens remis en échange des bons était une transmission à titre gratuit (40). En revanche, dans la présente affaire, le prix des biens achetés à Madbid est clairement identifiable. Lorsqu’un utilisateur achète des biens en utilisant la fonction « acheter maintenant », tant le prix initial « acheter maintenant » que le nouveau prix (à savoir le prix initial « acheter maintenant », dont est déduite la valeur des crédits dépensés par cet utilisateur pour enchérir dans la vente concernée) s’affichent sur l’écran (41). De même, le prix des biens en boutique est nécessairement affiché, puisque ces biens peuvent être achetés par des clients qui n’ont pas acheté de crédits et ne se sont donc pas vus consentir un « rabais acquis » à imputer sur ce prix. Par conséquent, dans la présente affaire, les biens achetés en utilisant les fonctions « acheter maintenant » ou « rabais acquis » sont livrés en contrepartie du paiement d’une somme identifiable. En outre, le paiement de cette somme est distinct du paiement pour l’émission de crédits. En effet, ce paiement-là est nécessairement effectué après ce paiement-ci puisque, lorsqu’il achète des crédits, l’utilisateur ne sait pas quels biens il achètera, ni quel en sera le prix. Par conséquent, lorsque la valeur des crédits dépensés pour enchérir est égale au prix initial « acheter maintenant » ou au prix en boutique, les biens achetés en utilisant les fonctions « acheter maintenant » ou « rabais acquis » ne sont pas transmis à titre gratuit au sens de l’article 16 de la directive 2006/112.

103. En tout état de cause, j’observe que, comme l’a fait valoir le représentant du gouvernement du Royaume-Uni , les utilisateurs doivent payer les frais de transport et de manutention même lorsque la valeur des crédits dépensés pour enchérir est égale au prix initial « acheter maintenant » ou au prix en boutique. C’est à la juridiction de renvoi qu’il appartient de vérifier si la vente des biens et leur transport par Madbid doivent être considérés comme des opérations distinctes. J’observe cependant que, à l’audience, le gouvernement du Royaume-Uni a déclaré, sans être contredit par Madbid ou par la Commission, que Madbid effectue une unique livraison de biens à chaque fois qu’elle fournit des biens et les livre aux utilisateurs. Si tel était le cas, les frais de transport et de manutention seraient considérés comme compris dans la contrepartie de la livraison des biens. Cette livraison ne serait pas une transmission à titre gratuit au sens de l’article 16 de la directive 2006/112.

104. Par conséquent, même lorsque la valeur des crédits dépensés pour enchérir est égale au prix initial « acheter maintenant » ou au prix en boutique, la valeur de ces crédits doit, à mon avis, être considérée comme un rabais au sens de l’article 79, sous b), de la directive 2006/112. La base d’imposition de Madbid est, comme indiqué aux points 92 et 93 des présentes conclusions, le prix de vente des biens (le prix initial « acheter maintenant » ou le prix en boutique), augmenté des frais de transport et de manutention, dont est déduite la valeur des crédits dépensés pour enchérir.

105. En conséquence, la réponse à la deuxième question doit être que le montant payé pour l’émission de « crédits » tels que ceux en cause dans l’affaire au principal ne saurait être considéré comme un versement d’acomptes avant que la livraison des biens ne soit effectuée, au sens de l’article 65 de la directive 2006/112. Lorsque l’utilisateur remporte la vente aux enchères, la contrepartie de la livraison du bien adjugé comprend uniquement le prix auquel le bien a été adjugé, augmenté des frais de transport et de manutention. La valeur des « crédits » utilisés pour enchérir dans cette vente n’est pas comprise dans la contrepartie de la livraison du bien adjugé. Lorsque l’utilisateur se retire d’une vente aux enchères ou ne la remporte pas et qu’il achète des biens à la société, auquel cas la valeur des « crédits » utilisés pour enchérir est imputée sur le prix de ces biens, la contrepartie de leur livraison est ce prix, augmenté des frais de transport et de manutention, dont est déduite la valeur des « crédits » utilisés pour enchérir. Dans ce cas, la valeur des « crédits » utilisés pour enchérir doit être considérée comme un rabais au sens de l’article 79, sous b), de la directive 2006/112.

C.      Sur la troisième question préjudicielle

106. Par la troisième question, la juridiction de renvoi demande dans quelle mesure, lorsque deux Etats membres traitent différemment une opération aux fins de la TVA, les juridictions de l’un de ces Etats membres doivent prendre en compte le souci souhaitable d’éviter la double imposition ou, inversement, la non-imposition de cette opération, ainsi que le principe de neutralité fiscal.

107. J’estime que, ainsi que l’a soutenu la Commission, la réponse à la troisième question préjudicielle doit être que, si les juridictions d’un Etat membre dont la décision est susceptible d’un recours juridictionnel de droit interne ont connaissance de ce que l’interprétation des dispositions de la directive 2006/112 par les juridictions ou les autorités fiscales d’un autre Etat membre diffère de leur propre interprétation, elles peuvent saisir la Cour à titre préjudiciel en vertu de l’article 267 TFEU.

IV.    Conclusion

108. Au vu de ce qui précède, je propose à la Cour de répondre comme suit aux questions posées par le First-tier Tribunal (Tax Chamber) (tribunal de première instance (chambre de la fiscalité), Royaume-Uni) :

(1)      Dans des circonstances telles que celles de l’affaire au principal, dans lesquelles une société exploite un site Internet de « penny auctions » et vend également directement des biens dans une boutique en ligne, l’émission de « crédits », tels que ceux en cause dans l’affaire au principal, qui permettent aux utilisateurs d’enchérir dans les ventes aux enchères de cette société mais ne peuvent pas être directement échangés contre des biens, ne saurait être considérée comme une opération préalable telle que celle identifiée dans l’arrêt MacDonald Resorts, qui, en tant que telle, sortirait du champ d’application de l’article 2, paragraphe 1, de la directive 2006/112/CE du Conseil du 28 novembre 2006 relative au système commun de taxe sur la valeur ajoutée. Elle doit être considérée comme une prestation de services effectuée à titre onéreux au sens du point c) de cette disposition, la contrepartie étant le montant payé par les utilisateurs pour l’émission de « crédits ». L’émission de « crédits » en contrepartie de ce montant doit également être considérée comme une prestation de services effectuée à titre onéreux au sens de l’article 2, paragraphe 1, sous c), de la directive 2006/112 lorsque l’utilisateur se retire de la vente aux enchères ou ne la remporte pas et qu’il achète des biens à la société, auquel cas la valeur des « crédits » utilisés pour enchérir est imputée sur le prix de ces biens.

(2)      Le montant payé pour l’émission de « crédits » tels que ceux en cause dans l’affaire au principal ne saurait être considéré comme un versement d’acomptes avant que la livraison des biens ne soit effectuée, au sens de l’article 65 de la directive 2006/112. Lorsque l’utilisateur remporte la vente aux enchères, la contrepartie de la livraison du bien adjugé comprend uniquement le prix auquel le bien a été adjugé, augmenté des frais de transport et de manutention. La valeur des « crédits » utilisés pour enchérir dans cette vente n’est pas comprise dans la contrepartie de la livraison du bien adjugé. Lorsque l’utilisateur se retire d’une vente aux enchères ou ne la remporte pas et qu’il achète des biens à la société, auquel cas la valeur des « crédits » utilisés pour enchérir est imputée sur le prix de ces biens, la contrepartie de leur livraison est ce prix, augmenté des frais de transport et de manutention, dont est déduite la valeur des « crédits » utilisés pour enchérir. Dans ce cas, la valeur des « crédits » utilisés pour enchérir doit être considérée comme un rabais au sens de l’article 79, sous b), de la directive 2006/112.

(3)      Si les juridictions d’un Etat membre dont la décision est susceptible d’un recours juridictionnel de droit interne ont connaissance de ce que l’interprétation des dispositions de la directive 2006/112 par les juridictions ou les autorités fiscales d’un autre Etat membre diffère de leur propre interprétation, elles peuvent saisir la Cour à titre préjudiciel en vertu de l’article 267 TFEU.


1      Langue originale : l’anglais.


2      Directive du 28 novembre 2006 relative au système commun de taxe sur la valeur ajoutée (JO 2006, L 347, p. 1).


3      À l’inverse, aucune participation n’est requise afin de pouvoir participer à une vente aux enchères ordinaire.


4      J’examinerai également ci-dessous la nature de la transaction conclue par les participants qui n’ont pas remporté la vente aux enchères, et ceci au regard des caractéristiques de l’activité de la requérante au principal.


5      Le prix du paquet est divisé par le nombre de crédits. Ce chiffre est ensuite arrondi, de sorte que la valeur attribuée à chaque crédit est identique, ou quasiment identique, au montant initialement payé par l’utilisateur.


6      Par exemple, si une vente aux enchères d’un ordinateur commence à 0,00 GBP sterling, plus 8 GBP de frais de transport et de manutention et qu’elle se termine par une enchère gagnante de 1,45 GBP (c’est-à-dire après 145 enchères), le vainqueur de la vente aux enchères serait en droit d’acheter l’ordinateur pour 1,45 GBP plus 8 GBP de frais de transport et de manutention, soit pour un prix total de 9,45 GBP.


7      Le prix initial « acheter maintenant » peut toutefois être inférieur au prix de détail recommandé lorsque Madbid a acheté en gros les biens concernés.


8      Arrêt du 16 décembre 2010, Macdonald Resorts (C-270/09, EU:C:2010:780, point 24) (c’est moi qui souligne).


9      Sixième directive 77/388/CEE du Conseil, du 17 mai 1977, en matière d’harmonisation des législations des États membres relatives aux taxes sur le chiffre d’affaires – Système commun de taxe sur la valeur ajoutée : assiette uniforme (JO 1977, L 145, p. 1) (ci-après la « sixième directive »). La sixième directive a été abrogée et remplacée par la directive 2006/112. L’article 2, paragraphe 1, de de la sixième directive prévoit que « les livraisons de biens et les prestations de services, effectuées à titre onéreux » sont soumises à la TVA.


10      Arrêt du 16 décembre 2010, Macdonald Resorts (C-270/09, EU:C:2010:780, points 27 et 32).


11      En vertu de l’article 24, paragraphe 1, de la directive 2006/112, toute opération qui ne constitue pas une livraison de biens doit être considérée comme une prestation de services. Dans la présente affaire, il n’est pas contesté que l’émission de crédits ne constitue pas une livraison de biens. Par conséquent, l’émission de crédits ne peut que constituer une prestation de services.


12      Voir article 43 de la directive 2006/112.


13      Voir le point 23 des présentes conclusions.


14      Voir article 33, paragraphe 1, de la directive 2006/112.


15      Voir le point 24 des présentes conclusions.


16      À cet égard, j’observe que, d’après la demande de décision préjudicielle, les éléments de preuve ne permettent pas de déterminer si les utilisateurs peuvent se divertir en participant à une vente aux enchères.


17      C’est moi qui souligne.


18      Arrêt du 16 décembre 2010, Macdonald Resorts (C-270/09, EU:C:2010:780, points 27 à 29). Voir le point 29 des présentes conclusions.


19      En revanche, lorsqu’un utilisateur remporte une vente aux enchères, la valeur des crédits utilisés pour enchérir est épuisée.


20      L’utilisateur qui effectue un achat par l’intermédiaire des fonctions « acheter maintenant » ou « rabais acquis » paie la totalité du prix de marché puisqu’il a payé les crédits utilisés pour enchérir, dont la valeur est imputée sur le prix initial « acheter maintenant » ou sur le prix en boutique.


21      A cet égard, l’ordonnance de renvoi souligne que « la différence de comportement entre ceux qui se tournent directement vers la boutique Madbid et ceux qui achètent des Crédits et prennent part à une vente aux enchères montre clairement que ce dernier groupe doit avoir une raison de faire ce qu’il a choisi de faire, et que cette raison est le souhait de participer à des enchères dans le but de les remporter ».


22      Arrêt du 18 juillet 2007, Société thermale d’Eugénie-Les-Bains (C-277/05, EU:C:2007:440, points 26 et 27).


23      Comme mentionné au point 21 des présentes conclusions, le « rabais acquis » expire 365 jours après qu’un crédit donné a été dépensé dans une vente aux enchères.


24      Arrêt du 8 décembre 2016, Stock’94 (C-208/15, EU:C:2016:936, point 27).


25      Voir arrêts du 3 mars 1994, Tolsma (C-16/93, EU:C:1994:80, points 13 et 14) ; du 21 mars 2002, Kennemer Golf (C-174/00, EU:C:2002:200, point 39) ; du 18 juillet 2007, Société thermale d’Eugénie-Les-Bains (C-277/05, EU:C:2007:440, point 19) ; du 16 décembre 2010, Macdonald Resorts (C-270/09, EU:C:2010:780, points 16 et 26) ; du 21 novembre 2013, Dixons Retail (C-494/12, EU:C:2013:758, points 32 et 33) ; du 2 juin 2016, Lajvér (C-263/15, EU:C:2016:392, point 26) ; du 10 novembre 2016, Baštová (C-432/15, EU:C:2016:855, point 28), et du 18 janvier 2017, SAWP (C-37/16, EU:C:2017:22, points 25 et 26).


26      Comme mentionné au point 16 des présentes conclusions.


27      Arrêts du 21 février 2006, BUPA Hospitals and Goldsborough Developments (C-419/02, EU:C:2006:122, point 48) ; du 16 décembre 2010, Macdonald Resorts (C-270/09, EU:C:2010:780, point 31) ; du 19 décembre 2012, Orfey Balgaria (C-549/11, EU:C:2012:832, point 28), et du 7 mars 2013, Efir (C-19/12, non publié, EU:C:2013:148, point 32).


28      Sauf lorsque les crédits sont achetés pendant une vente aux enchères. En effet, selon l’ordonnance de renvoi, « [l]e site Internet de Madbid comporte également une fonction “recharge rapide”, [qui évite aux utilisateurs de perdre] une enchère par manque de Crédits pendant une vente ». Toutefois, même dans cette situation, le montant payé pour l’émission de crédits ne saurait constituer un versement d’acomptes avant la livraison du bien mis aux enchères, pour le motif indiqué au point 79 des présentes conclusions.


29      Arrêts du 5 février 1981, Coöperatieve Aardappelenbewaarplaats (154/80, EU:C:1981:38, point 13) ; du 23 novembre 1988, Naturally Yours Cosmetics (230/87, EU:C:1988:508, point 16) ; du 24 octobre 1996, Argos Distributors (C-288/94, EU:C:1996:398, point 16) ; du 20 janvier 2005, Hotel Scandic Gåsabäck (C-412/03, EU:C:2005:47, point 21), et du 7 novembre 2013, Tulică and Plavoşin (C-249/12 et C-250/12, EU:C:2013:722, point 33).


30      Etant entendu que les crédits dont la valeur est déduite du prix initial « acheter maintenant » ou du prix en boutique sont les crédits utilisés pour enchérir dans des ventes que l’utilisateur concerné n’a pas remportées (puisque, lorsqu’un utilisateur remporte une vente aux enchères, la valeur des crédits dépensés pour enchérir dans cette vente est épuisée).


31      Je souligne que les crédits ne peuvent pas être considérés comme des coupons purs et simples puisque, d’une part, ils ne peuvent pas être utilisés pour acheter directement des biens à Madbid (voir le point 16 des présentes conclusions) et, d’autre part, ils sont échangés contre un service, à savoir le droit de participer aux ventes aux enchères de Madbid.


32      Arrêt du 24 octobre 1996, Elida Gibbs (C-317/94, EU:C:1996:400, points 29, 34 et 35).


33      Voir la note n° 9 des présentes conclusions. L’article 11A, paragraphe 3, de la sixième directive prévoit que : « ne sont pas à comprendre dans la base d’imposition : […] b) les rabais et ristournes de prix consentis à l’acheteur ou au preneur et acquis au moment où s’effectue l’opération ; […] ».


34      Arrêt du 27 avril 1999, Kuwait Petroleum (C-48/97, EU:C:1999:203, points 16 et 17).


35      L’article 5, paragraphe 6, de la sixième directive prévoit que : « est assimilé à une livraison effectuée à titre onéreux le prélèvement par un assujetti d’un bien de son entreprise pour ses besoins privés ou ceux de son personnel ou qu’il transmet à titre gratuit ou, plus généralement, qu’il affecte à des fins étrangères à son entreprise, lorsque ce bien ou les éléments le composant ont ouvert droit à une déduction complète ou partielle de la taxe sur la valeur ajoutée. Toutefois, ne sont pas visés les prélèvements effectués pour les besoins de l’entreprise pour donner des cadeaux de faible valeur et des échantillons ».


36      Arrêt du 27 avril 1999, Kuwait Petroleum (C-48/97, EU:C:1999:203, points 26 et 32).


37      Comme mentionné au point 98 des présentes conclusions, la Commission a fait valoir à l’audience, sans être contredite, que, normalement, Madbid ne transmet pas les biens à titre gratuit.


38      Auquel cas le « rabais acquis » est éteint.


39      Auquel cas la valeur des crédits dépensés pour enchérir est éteinte.


40      Arrêt du 27 avril 1999, Kuwait Petroleum (C-48/97, EU:C:1999:203, points 27, 31 et 32).


41      Conformément à la clause 15.2 des conditions contractuelles de Madbid, « si l’utilisateur clique sur la fonction “acheter maintenant”, le prix des […] Crédits […] déjà utilisés pour enchérir dans la vente est déduit du prix “acheter maintenant”. […]. Le nouveau prix (c’est-à-dire le prix “acheter maintenant” diminué du coût des Crédits […] dépensés par l’utilisateur) est affiché à l’attention de l’utilisateur […] et il lui est demandé de confirmer qu’il souhaite acheter le produit pour ce prix ».