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Édition provisoire

CONCLUSIONS DE L’AVOCAT GÉNÉRAL

M. MANUEL CAMPOS SÁNCHEZ-BORDONA

présentées le 28 mai 2020(1)

Affaire C-620/18

Hongrie

contre

Parlement européen,

Conseil de l’Union européenne

« Recours en annulation – Directive (UE) 2018/957 – Directive (UE) 96/71 – Détachement de travailleurs dans le cadre d’une prestation de services – Dispositions relatives aux conditions de travail, à la protection de la santé et à la sécurité des travailleurs – Base juridique inadéquate – Détournement de pouvoir – Restrictions discriminatoires, non nécessaires ou disproportionnées – Violation du principe de libre prestation des services – Rémunération des travailleurs détachés – Travailleurs détachés pour une longue durée – Violation du règlement(CE) no 593/2008 sur la loi applicable aux obligations contractuelles – Violation des principes de sécurité juridique et de clarté normative – Actions collectives des travailleurs – Transport par route »






1.        La Hongrie demande à la Cour, à titre principal, d’annuler la directive (UE) 2018/957 (2), modifiant la directive 96/71/CE concernant le détachement de travailleurs effectué dans le cadre d’une prestation de services (3). À titre subsidiaire, elle sollicite l’annulation de plusieurs dispositions de la directive 2018/957.

I.      Le cadre juridique

A.      La directive 96/71

2.        La directive 96/71 a été adoptée sur le fondement de l’article 57, paragraphe 2, TCE, et de l’article 66 TCE (respectivement devenus l’article 53, paragraphe 1, TFUE, et l’article 62 TFUE).

3.        Aux termes de son article 3, paragraphe 1, cette directive a pour but de garantir aux travailleurs détachés sur le territoire des États membres les conditions de travail et d’emploi concernant les matières qu’elle vise qui, dans l’État membre sur le territoire duquel le travail est exécuté, sont fixées par des dispositions législatives, réglementaires ou administratives ou par des conventions collectives ou des sentences arbitrales déclarées d’application générale.

4.        Parmi les matières couvertes par la directive 96/71 figuraient les taux de salaire minimal, y compris ceux majorés pour les heures supplémentaires, visés à l’article 3, paragraphe 1, sous c).

B.      La directive 2018/957

5.        La directive 2018/957 a été adoptée sur le fondement de l’article 53, paragraphe 1, TFUE, et de l’article 62 TFUE.

6.        L’article 1er, paragraphe 1, sous b), de la directive 2018/957 insère les paragraphes suivants dans l’article 1er de la directive 96/71 :

« –1. La présente directive garantit la protection des travailleurs détachés durant leur détachement en ce qui concerne la libre prestation des services, en fixant des dispositions obligatoires concernant les conditions de travail et la protection de la santé et de la sécurité des travailleurs, qui doivent être respectées.

–1 bis. La présente directive ne porte en aucune manière atteinte à l’exercice des droits fondamentaux reconnus dans les États membres et au niveau de l’Union, notamment le droit ou la liberté de faire grève ou d’entreprendre d’autres actions prévues par les systèmes de relations du travail propres aux États membres, conformément à la législation et/ou aux pratiques nationales. Elle ne porte pas non plus atteinte au droit de négocier, de conclure et d’appliquer des conventions collectives ou de mener des actions collectives conformément à la législation et/ou aux pratiques nationales. »

7.        L’article 1er, paragraphe 2, sous a), de la directive 2018/957, modifie l’article 3, paragraphe 1, de la directive 96/71, qu’il remplace par le texte suivant :

« 1.      Les États membres veillent à ce que, quelle que soit la loi applicable à la relation de travail, les entreprises visées à l’article 1er, paragraphe 1, garantissent aux travailleurs qui sont détachés sur leur territoire, sur le fondement de l’égalité de traitement, les conditions de travail et d’emploi couvrant les matières énoncées ci-après qui, dans l’État membre sur le territoire duquel le travail est exécuté, sont fixées :

‐      par des dispositions législatives, réglementaires ou administratives, et/ou

‐      par des conventions collectives ou des sentences arbitrales déclarées d’application générale ou qui s’appliquent à un autre titre conformément au paragraphe 8 :

a)      les périodes maximales de travail et les périodes minimales de repos ;

b)      la durée minimale des congés annuels payés ;

c)      la rémunération, y compris les taux majorés pour les heures supplémentaires ; le présent point ne s’applique pas aux régimes complémentaires de retraite professionnels ;

d)      les conditions de mise à disposition des travailleurs, notamment par des entreprises de travail intérimaire ;

e)      la sécurité, la santé et l’hygiène au travail ;

f)      les mesures protectrices applicables aux conditions de travail et d’emploi des femmes enceintes et des femmes venant d’accoucher, des enfants et des jeunes ;

g)      l’égalité de traitement entre hommes et femmes ainsi que d’autres dispositions en matière de non-discrimination ;

h)      les conditions d’hébergement des travailleurs lorsque l’employeur propose un logement aux travailleurs éloignés de leur lieu de travail habituel ;

i)      les allocations ou le remboursement de dépenses en vue de couvrir les dépenses de voyage, de logement et de nourriture des travailleurs éloignés de leur domicile pour des raisons professionnelles.

Le point i) s’applique exclusivement aux dépenses de voyage, de logement et de nourriture encourues par des travailleurs détachés lorsqu’ils doivent se déplacer vers ou depuis leur lieu de travail habituel dans l’État membre sur le territoire duquel ils sont détachés, ou lorsqu’ils sont temporairement envoyés par leur employeur de ce lieu de travail habituel vers un autre lieu de travail.

Aux fins de la présente directive, la notion de rémunération est déterminée par la législation et/ou les pratiques nationales de l’État membre sur le territoire duquel le travailleur est détaché et s’entend de tous les éléments constitutifs de la rémunération rendus obligatoires par des dispositions législatives, réglementaires ou administratives nationales, ou par des conventions collectives ou des sentences arbitrales qui, dans cet État membre, ont été déclarées d’application générale ou qui s’appliquent à un autre titre conformément au paragraphe 8.

[…] »

8.        L’article 1er, paragraphe 2, point b), de la directive 2018/957, insère un paragraphe 1 bis dans l’article 3 de la directive 96/71, libellé comme suit :

« 1 bis.      Lorsque la durée effective d’un détachement est supérieure à douze mois, les États membres veillent à ce que, quelle que soit la loi applicable à la relation de travail, les entreprises visées à l’article 1er, paragraphe 1, garantissent aux travailleurs qui sont détachés sur leur territoire, sur le fondement de l’égalité de traitement, outre les conditions de travail et d’emploi visées au paragraphe 1 du présent article, toutes les conditions de travail et d’emploi applicables qui sont fixées dans l’État membre sur le territoire duquel le travail est exécuté :

‐      par des dispositions législatives, réglementaires ou administratives, et/ou

‐      par des conventions collectives ou des sentences arbitrales déclarées d’application générale ou qui s’appliquent à un autre titre conformément au paragraphe 8.

Le premier alinéa du présent paragraphe ne s’applique pas aux matières suivantes :

a)      les procédures, formalités et conditions régissant la conclusion et la fin du contrat de travail, y compris les clauses de non-concurrence ;

b)      les régimes complémentaires de retraite professionnels.

Lorsque le prestataire de services soumet une notification motivée, l’État membre dans lequel le service est fourni porte à dix-huit mois la période visée au premier alinéa.

Lorsqu’une entreprise visée à l’article 1er, paragraphe 1, remplace un travailleur détaché par un autre travailleur détaché effectuant la même tâche au même endroit, la durée du détachement aux fins du présent paragraphe correspond à la durée cumulée des périodes de détachement de chacun des travailleurs détachés concernés.

La notion de “la même tâche au même endroit” visée au quatrième alinéa du présent paragraphe est déterminée compte tenu, entre autres, de la nature du service à fournir, du travail à exécuter et de l’adresse ou des adresses du lieu de travail ».

9.        Conformément à l’article 1er, paragraphe 2, sous c), de la directive 2018/957, l’article 3, paragraphe 7, de la directive 96/71 est désormais libellé comme suit :

« 7.       Les paragraphes 1 à 6 ne font pas obstacle à l’application de conditions de travail et d’emploi plus favorables pour les travailleurs.

Les allocations propres au détachement sont considérées comme faisant partie de la rémunération, à moins qu’elles ne soient payées à titre de remboursement des dépenses effectivement encourues du fait du détachement, telles que les dépenses de voyage, de logement et de nourriture. Sans préjudice du paragraphe 1, premier alinéa, point h), l’employeur rembourse ces dépenses au travailleur détaché conformément à la législation et/ou aux pratiques nationales applicables à la relation de travail.

Lorsque les conditions de travail et d’emploi applicables à la relation de travail ne déterminent pas si des éléments de l’allocation propre au détachement sont payés à titre de remboursement de dépenses effectivement encourues du fait du détachement et, dans l’affirmative, quels sont ces éléments ou quels éléments font partie de la rémunération, l’intégralité de l’allocation est alors considérée comme payée à titre de remboursement des dépenses ».

10.      L’article 3, paragraphe 3, de la directive 2018/957, dispose :

« La présente directive s’applique au secteur du transport routier à partir de la date d’application d’un acte législatif modifiant la directive 2006/22/CE quant aux exigences en matière de contrôle et établissant des règles spécifiques en ce qui concerne la directive 96/71/CE et la directive 2014/67/UE [du Parlement Européen et du Conseil, du 15 mai 2014, relative à l’exécution de la directive 96/71/CE concernant le détachement de travailleurs effectué dans le cadre d’une prestation de services et modifiant le règlement (UE) no 1024/2012 concernant la coopération administrative par l’intermédiaire du système d’information du marché intérieur (“règlement IMI”) (JO 2014, L 159, p. 11)] pour le détachement de conducteurs dans le secteur du transport routier ».

II.    La procédure devant la Cour et les conclusions des parties

11.      Le gouvernement hongrois demande à la Cour d’annuler la directive 2018/957 dans son intégralité. À titre subsidiaire, il limite ses demandes à l’annulation :

‐      De la disposition de l’article 1er, point 2, sous a), de la directive 2018/957, qui établit le texte du nouvel article 3, paragraphe 1, sous c), ainsi que son troisième alinéa, de la directive 96/71.

‐      De la disposition de l’article 1er, point 2, sous b), de la directive 2018/957, qui établit le texte de l’article 3, paragraphe 1 bis, de la directive 96/71.

‐      De l’article 1er, point 2, sous c), de la directive 2018/957.

‐      De l’article 3, paragraphe 3, de la directive 2018/957.

12.      Le gouvernement hongrois demande également que le Parlement européen et le Conseil de l’Union européenne soient condamnés aux dépens.

13.      Le Parlement européen et le Conseil demandent à la Cour de rejeter le recours et de condamner la Hongrie aux dépens.

14.      La République fédérale d’Allemagne, la République française, le Royaume des Pays-Bas et la Commission ont été admis à intervenir dans la procédure en soutien des conclusions du Parlement et du Conseil. Tous ont présenté des observations écrites, même si le Royaume des Pays-Bas n’a fait qu’appuyer les arguments du Conseil et du Parlement européen

15.      Le gouvernement hongrois a demandé, conformément à l’article 16, troisième alinéa, du statut de la Cour de justice de l’Union européenne, que l’affaire soit traitée par la grande chambre.

16.      Le Conseil, le Parlement, la Commission et les gouvernements hongrois, allemand, français et néerlandais ont assisté à l’audience du 3 mars 2020.

III. Considérations liminaires

17.      Le détachement de travailleurs (4) dans le cadre de la prestation transnationale de services entre États membres a toujours été une question sensible au sein de l’Union européenne. Malgré sa pertinence économique limitée en termes relatifs (5), sa réglementation juridique a suscité la controverse en ce qu’elle fait converger deux logiques opposées :

‐      D’une part, la logique de la libre prestation des services dans le marché intérieur. Selon celle-ci, il convient d’éliminer les restrictions qui empêchent une entreprise d’un État membre à faible coût de main-d’œuvre de détacher ses travailleurs pour fournir des services dans un autre État membre ayant un coût de main-d’œuvre plus élevé. Les États d’origine de ces entreprises soulignent la nécessité de faciliter la libre prestation de services. Ils préconisent donc que les travailleurs temporairement détachés restent soumis à la législation de l’État d’origine et se voient appliquer un nombre aussi bas que possible de dispositions de l’État de destination.

‐      D’autre part, la logique de la protection des conditions de travail et des conditions sociales des travailleurs temporairement détachés. Les États de destination souhaitent que ces travailleurs soient soumis aux mêmes dispositions du droit du travail que le reste des personnes travaillant sur leur territoire (en recevant le même salaire pour le même travail dans cet État). Ainsi, les entreprises qui détachent ces travailleurs ne pourraient pas imposer une concurrence déloyale aux entreprises basées sur le territoire de ces États de destination, ce qui éviterait la pratique dite du dumping social tout en garantissant une meilleure protection des travailleurs détachés.

18.      Les difficultés à réglementer le détachement transnational de travailleurs proviennent essentiellement du fait que l’Union n’a pas de compétence d’harmonisation des conditions de travail. Cette compétence appartient aux États membres, ce qui se traduit par des différences significatives entre leurs conditions de travail et de salaire respectives (6).

19.      En plus d’être soumis au droit du travail des États concernés et aux dispositions relatives à la libre prestation des services dans l’Union, le détachement transnational de travailleurs doit respecter les règles du droit international privé de l’Union (relatives à la loi applicable aux obligations contractuelles), les normes de sécurité sociale et les normes fiscales de l’Union et des États membres concernés. Cet assujettissement multiple accroît les difficultés de sa réglementation.

A.      Jurisprudence de la Cour relative aux travailleurs détachés dans le cadre d’une prestation de services transnationale

20.      Préalablement à l’harmonisation des législations dans ce domaine, la Cour a été amenée à se prononcer sur le droit applicable aux travailleurs détachés (7). En imposant purement et simplement le respect de son droit du travail, l’État de destination entraverait la prestation de services par les entreprises d’autres États souhaitant disposer de tels travailleurs.

21.      L’approche adoptée par la Cour en ce qui concerne les mesures nationales dans cette matière a été celle habituellement retenue dans le domaine de la libre prestation des services. Elle consiste à déterminer, dans un premier temps, si la règle de droit national entrave la prestation transnationale de services impliquant le détachement de main-d’œuvre et, dans l’affirmative, de soumettre ladite règle à un contrôle de proportionnalité afin de déterminer si elle est justifiée par une exigence impérative, c’est-à-dire par un motif d’intérêt général méritant d’être protégé.

22.      Selon une jurisprudence constante, l’article 56 TFUE exige non seulement l’élimination de toute discrimination à l’encontre du prestataire de services établi dans un autre État membre en raison de sa nationalité, mais également la suppression de toute restriction, même si elle s’applique indistinctement aux prestataires nationaux et à ceux des autres États membres, lorsqu’elle est de nature à prohiber, à gêner ou à rendre moins attrayantes les activités du prestataire établi dans un autre État membre (8).

23.      La Cour a jugé que des mesures nationales imposant aux employeurs de verser, dans l’État d’accueil, la part patronale des cotisations de sécurité sociale du chef des travailleurs détachés (9) ou des cotisations patronales au titre de « timbres-fidélité » et de « timbres-intempéries », alors qu’ils sont déjà redevables de cotisations comparables dans l’État où ils sont établis (10), constituent des mesures restrictives.

24.      La Cour a également jugé qu’une réglementation nationale prévoyant, dans le cadre d’un détachement de travailleurs, l’obligation d’établir et de tenir des documents sociaux et de travail dans l’État membre d’accueil est susceptible d’entraîner des frais et des charges administratives et économiques supplémentaires pour les entreprises établies dans un autre État membre et, partant, constitue une restriction à la libre prestation des services (11)

25.      Des mesures nationales restrictives peuvent cependant être justifiées si elles répondent à une raison impérieuse d’intérêt général, pour autant que : a) cet intérêt ne soit pas déjà sauvegardé par les règles auxquelles le prestataire est soumis dans l’État membre où il est établi, et que b) ces mesures soient propres à garantir la réalisation de l’objectif qu’elles poursuivent et n’aillent pas au-delà de ce qui est nécessaire pour atteindre celui-ci (en d’autres termes, qu’elles soient proportionnées) (12).

26.      Parmi les raisons impérieuses d’intérêt général dont la Cour admet qu’elles justifient d’appliquer aux travailleurs détachés des mesures en matière de travail de l’État de destination figurent : a) la protection des travailleurs (13); b) la « protection sociale des travailleurs » (14); c) la « protection sociale des travailleurs du secteur de la construction » (15) ; d) la prévention de la concurrence déloyale de la part d’entreprises rémunérant leurs travailleurs détachés à un niveau inférieur à celui correspondant au salaire minimal, dès lors que cet objectif couvre un but de protection des travailleurs sous l’angle de la lutte contre le dumping social (16), et e) la lutte contre la fraude.

27.      Dans l’arrêt Seco et Desquenne & Giral (17), la Cour a jugé que, en l’absence d’harmonisation, les États membres peuvent, par exemple, imposer à ceux qui emploient des travailleurs détachés afin de fournir des services de verser à ces derniers le salaire minimal applicable dans l’État membre d’accueil, même si ces travailleurs n’exercent leur activité sur le territoire de l’État membre d’accueil que de manière temporaire, et ce quel que soit le pays d’établissement de l’employeur. Les États membres peuvent également exiger le respect de ces normes de travail (18).

28.      L’adoption de la directive 96/71 a réduit, sans les éliminer, les litiges dans lesquels la Cour était appelée à vérifier la conformité avec l’article 56 TFUE des mesures nationales limitant le détachement des travailleurs.

29.      Comme la directive 96/71 ne contenait pas de dispositions permettant de faire appliquer ses règles de fond, la Cour a continué d’utiliser l’article 56 TFUE pour se prononcer sur les restrictions nationales imposées dans cette matière. Cette situation a changé avec l’entrée en vigueur de la directive 2014/67.

30.      Concrètement, le contrôle des règles administratives nationales accessoires destinées à permettre la vérification du respect des conditions de travail applicables aux travailleurs détachés a continué d’être effectué au regard de l’article 56 TFUE (19) :

‐      En vertu de l’arrêt Čepelnik, l’article 56 TFUE s’oppose à ce que les autorités compétentes de l’État membre d’accueil puissent imposer à un maître d’ouvrage établi dans cet État membre de suspendre les paiements à son cocontractant établi dans un autre État membre (l’État membre d’origine), voire de verser une caution d’un montant équivalent au prix de l’ouvrage restant à payer, afin de garantir le paiement de l’éventuelle amende qui pourrait être infligée à ce cocontractant en cas d’infraction avérée au droit du travail de l’État membre d’accueil (20).

‐      La Cour s’est prononcée dans le même sens dans l’arrêt Maksimovic e.a. (21).

‐      S’agissant du détachement de travailleurs d’un État tiers par une entreprise prestataire de services établie dans un État membre de l’Union, la Cour a jugé que subordonner la fourniture de prestations de services sur le territoire national, par une entreprise établie dans un autre État membre, à la délivrance d’une autorisation administrative constitue une restriction à la libre prestation des services, au sens de l’article 56 TFUE (22). Il en va de même s’il est imposé à une telle entreprise d’obtenir des permis de travail afin de détacher des travailleurs ressortissants d’États tiers qui résidaient et travaillaient légalement dans cet autre État membre (23).

B.      Harmonisation des législations par la voie de directives

1.      La directive 96/71 et ses modifications antérieures à 2018

31.      Compte tenu des doutes relatifs aux dispositions du droit du travail national susceptibles d’être imposées aux entreprises détachant leurs travailleurs, les États membres ont demandé au législateur de l’Union d’harmoniser ces législations.

32.      La directive 96/71 réglemente trois types de détachement : a) la prestation directe de services par une entreprise dans le cadre d’un contrat de services (24); b) le détachement dans un établissement ou une entreprise appartenant au même groupe (détachement « intragroupe »), et c) le détachement par l’intermédiaire de la mise à disposition d’un travailleur par une entreprise de travail intérimaire établie dans un autre État membre.

33.      La directive 96/71 visait à promouvoir la prestation transnationale de services en créant un climat de concurrence loyale par des mesures visant à assurer le respect des droits des travailleurs détachés.

34.      Elle avait donc pour objectif de veiller aux conditions d’emploi et de travail applicables à une relation de travail exécutée dans un contexte transnational. À cette fin, elle visait à coordonner les législations des États membres « de manière à prévoir un noyau de règles impératives de protection minimale que doivent observer, dans le pays d’accueil, les employeurs qui détachent des travailleurs en vue d’effectuer un travail à titre temporaire sur le territoire de l’État membre de la prestation » (25).

35.      Ces intentions sont matérialisées à l’article 3, paragraphe 1, premier alinéa, de la directive 96/71 :

‐      D’une part, il tend à assurer une concurrence loyale entre les entreprises nationales et celles effectuant une prestation de services transnationale : ces dernières sont tenues de reconnaître à leurs travailleurs, en ce qui concerne une liste limitée de matières, les conditions de travail et d’emploi fixées dans l’État membre d’accueil.

‐      D’autre part, il vise à assurer aux travailleurs détachés l’application des règles de protection minimale de l’État membre d’accueil en ce qui concerne les conditions de travail et d’emploi relatives auxdites matières pendant qu’ils effectuent un travail à titre temporaire sur le territoire dudit État membre (26).

36.      La mise en œuvre de la directive 96/71 a d’emblée été difficile en raison du manque de clarté et de l’imprécision de certains de ses termes et modalités d’application (27)

37.      La Cour a tenté de clarifier certaines des notions les plus importantes dans cette matière : 

‐      S’agissant des « taux de salaire minimal », la définition de leurs éléments constitutifs relève du droit de l’État membre concerné, pour autant seulement que cette définition (qui peut résulter de la législation ou des conventions collectives nationales applicables ou de l’interprétation qu’en donnent les juridictions nationales) n’entrave pas la libre prestation des services entre les États membres.

‐      La Cour a dû préciser, au cas par cas, les éléments qui devaient (ou non) être inclus dans ces taux de salaire minimal, en particulier dans les arrêts Comission/Allemagne, Isbir et Sähköalojen ammattiliitto (28).

38.      L’arrêt Laval un Partneri a été particulièrement important, puisque la Cour y a déclaré : a) d’une part, que les États membres sont tenus d’accorder aux travailleurs détachés le niveau de protection minimal prévu par leur législation nationale, et b) d’autre part, que, sous réserve de la faculté pour les entreprises établies dans d’autres États membres d’adhérer volontairement dans l’État membre d’accueil, notamment dans le cadre d’un engagement pris envers leur propre personnel détaché, à une convention collective de travail éventuellement plus favorable, le niveau de protection qui doit être garanti aux travailleurs détachés sur le territoire de l’État membre d’accueil est limité, en principe, à celui prévu à l’article 3, paragraphe 1, premier alinéa, sous a) à g), de la directive 96/71 (29).

39.      En outre, la Cour a également jugé dans cet arrêt que les dispositions combinées de l’article 3 de la directive 96/71 et de l’article 56 TFUE devaient être interprété en ce sens qu’elles s’opposent à ce qu’une organisation syndicale puisse tenter de contraindre, par une action collective prenant la forme d’un blocus de chantiers, un prestataire de services établi dans un autre État membre à entamer avec elle une négociation sur les taux de salaire devant être versés aux travailleurs détachés ainsi qu’à adhérer à une convention collective dont des clauses établissent, pour certaines des matières visées à l’article 3, paragraphe 1, premier alinéa, sous a) à g), de cette directive, des conditions plus favorables que celles découlant des dispositions législatives pertinentes, tandis que d’autres clauses portent sur des matières non visées à l’article 3 de ladite directive (30).

40.      L’arrêt Laval un Partneri a été précédé par l’arrêt International Transport Workers’ Federation et Finnish Seamen’s Union (31) et suivi des arrêts Rüffert et Commission/Luxembourg (32), dans lesquels la Cour a considéré que certaines mesures de protection des travailleurs qui restreignaient la libre prestation de services ou la liberté d’établissement étaient injustifiées.

41.      Les syndicats ont considéré que cette jurisprudence était défavorable aux intérêts des travailleurs détachés (33) et l’ont critiquée au motif qu’elle semblait avoir pour conséquence que la directive 96/71 plafonnait les droits que l’État membre d’accueil pouvait reconnaître aux travailleurs détachés et imposer aux entreprises qui avaient recours à ceux-ci (34). Il n’est dès lors pas surprenant qu’elle ait généré des revendications de réforme de la directive 96/71 (35).

42.      À cela s’ajoute l’impact des élargissements de l’Union en 2004 et 2007, c’est-à-dire l’arrivée de nouveaux États membres ayant un important potentiel d’exportation de travailleurs détachés. La crise économique de 2008 a également eu une incidence sur la mise en œuvre de la directive 96/71, en favorisant les détachements transnationaux de travailleurs et en contribuant au développement de pratiques frauduleuses (entreprises fictives ou letter box companies, faux travailleurs indépendants)(36) visant à contourner la protection « minimale » qu’elle offrait aux travailleurs détachés.

43.      L’adoption de la directive 2014/67, destinée à assurer le respect de la directive 96/71 en prévoyant des instruments nouveaux et renforcés pour combattre et sanctionner tout abus, contournement ou fraude en cas de détachement transnational de travailleurs, a constitué une première avancée dans le processus de réforme (37).

44.      La directive 2014/67 contient également des dispositions visant à améliorer la coopération administrative entre les autorités nationales compétentes en matière de détachement. Elle réglemente les mesures de contrôle que les États membres peuvent appliquer dans le cadre de la supervision du respect des conditions de travail des travailleurs détachés. En outre, afin de surveiller le respect de la directive 96/71, elle exige l’instauration de contrôles et de mécanismes de suivi adéquats et efficaces ainsi que la mise en place d’inspections par les autorités nationales.

2.      La directive 2018/957

45.      Le délai imparti aux États membres pour transposer la directive 2014/67 dans leur législation nationale courait jusqu’au 18 juin 2016 (38). Avant cette échéance, la Commission a présenté, en date du 8 mars 2016, une proposition de modification de la directive 96/71 (39).

46.      L’examen de cette proposition a mis en évidence l’opposition entre les États membres exportateurs et les États membres récepteurs de travailleurs détachés :

‐      L’Allemagne, l’Autriche, la Belgique, la France, le Luxembourg, les Pays-Bas et la Suède ont exprimé dans une lettre commune leur soutien à la modernisation de la directive 96/71, afin de consacrer le principe selon lequel « un même travail effectué au même endroit devrait être rémunéré de manière identique ». Ces États membres suggéraient de modifier les dispositions de cette directive relatives aux conditions de travail et aux conditions sociales applicables aux travailleurs détachés, principalement en matière de rémunération ; de fixer une durée maximale aux détachements, notamment en vue d’harmoniser les dispositions de la directive avec le règlement de l’Union sur la coordination des systèmes de sécurité sociale, et de clarifier les conditions applicables au secteur des transports routiers.

‐      À l’inverse, la Bulgarie, la République tchèque, la Slovaquie, l’Estonie, la Hongrie, la Lettonie, la Lituanie, la Pologne et la Roumanie ont fait valoir, dans une autre lettre commune, qu’une révision de la directive 96/71 était prématurée et devait être reportée jusqu’à ce que le délai de transposition de la directive 2014/67 expire et que les effets de cette dernière soient soigneusement évalués. Ces États membres ont fait part de leurs inquiétudes quant aux obstacles que le principe selon lequel « un même travail effectué au même endroit devrait être rémunéré de manière identique » pouvait générer sur le marché unique, dès lors que, pour les prestataires de services, les différences salariales constituent un élément légitime de l’avantage concurrentiel. En outre, ces États membres considéraient que les travailleurs détachés devraient rester couverts par la législation de l’État membre d’origine, pour des raisons de sécurité sociale, et qu’il n’y avait pas lieu de réviser la relation entre le détachement de travailleurs et la coordination des systèmes de sécurité sociale.

47.      Dans le délai fixé à l’article 6 du protocole no 2 sur l’application des principes de subsidiarité et de proportionnalité, quatorze parlements nationaux ont transmis un avis motivé à la Commission expliquant que la proposition présentée par cette dernière, le 8 mars 2016, n’était pas conforme au principe de subsidiarité. Ce faisant, ils ont déclenché la procédure exposée à l’article 7, paragraphe 2, dudit protocole.

48.      La proposition de la Commission avait pour base juridique les dispositions relatives au marché intérieur, à savoir l’article 53, paragraphe 1, TFUE, et l’article 62 TFUE. Après avoir analysé le contenu de sa proposition, la Commission a conclu que la révision de la directive 96/71 était conforme au principe de subsidiarité consacré à l’article 5, paragraphe 3, TUE, et qu’il n’était pas nécessaire de la retirer ou de la modifier (40).

49.      À l’issue de négociations complexes menées dans le cadre du Conseil et du Parlement européen (41), la révision de la directive 96/71 a été approuvée le 28 juin 2018 par l’adoption de la directive 2018/957, dont l’article 3 prévoit un délai de transposition expirant le 30 juillet 2020 et dont l’application aux services de transport routier dépend de l’adoption d’un acte législatif spécifique.

50.      La directive 2018/957 a été adoptée alors que la Pologne et la Hongrie avaient voté contre et que la Croatie, la Lituanie, la Lettonie et le Royaume-Uni s’étaient abstenus.

51.      Il convient enfin de préciser que la modification de la directive 96/71 par l’adoption de la directive 2018/957 s’est accompagnée d’une proposition de réforme du règlement (CE) no 883/2004 (42) et d’institution de l’Autorité européenne du travail (43), cette dernière ayant pour objectif d’assister les États membres et la Commission en ce qui concerne, d’une part, l’application et le respect effectifs de la législation de l’Union en matière de mobilité de la main d’œuvre (y compris la directive 96/71) et, d’autre part, la coordination des systèmes de sécurité sociale dans l’Union.

IV.    Premier moyen : erreur dans le choix de la base juridique de la directive 2018/957

A.      Position des parties

52.      Selon le gouvernement hongrois, l’article 53, paragraphe 1, TFUE, et l’article 62 TFUE, qui prévoient le rapprochement des législations en matière de libre prestation des services, ne constituent pas une base juridique appropriée pour la directive 2018/957. Par son objet et par son contenu, celle-ci vise exclusivement ou en tout cas principalement un objectif de protection des travailleurs et le législateur de l’Union aurait donc dû, aux fins de son adoption, retenir comme base juridique ou, au moins, comme base juridique principale l’article 153 TFUE, relatif à la politique sociale.

53.      Le gouvernement hongrois est d’avis que la directive 2018/957 n’élimine pas les restrictions à la libre prestation des services mais crée au contraire des obstacles pour les entreprises fournissant des services transnationaux avec de la main-d’œuvre détachée, en ce qu’elle introduit des mesures de protection des travailleurs détachés. Son principal objectif est l’égalité de traitement des travailleurs, en particulier l’extension du principe de l’égalité des rémunérations (salaire égal pour un travail égal sur le même lieu de travail).

54.      Lorsque les travailleurs sont détachés dans le cadre d’une prestation de services transnationale pour une durée supérieure à douze mois (ou, exceptionnellement, dix-huit mois), la directive impose de leur appliquer des conditions de travail et d’emploi identiques à celles des travailleurs de l’État membre d’accueil. Pour les détachements d’une durée inférieure, le gouvernement hongrois estime que la directive renforce le « noyau dur » des règles obligatoires assurant à ces travailleurs une protection minimale pendant leur détachement dans l’État membre d’accueil.

55.      Le gouvernement hongrois considère que la directive 2018/957 ne devrait pas avoir la même base juridique que la directive 96/71 : son contenu se limite à la protection des travailleurs détachés, sans dispositions visant à réaliser la libre prestation des services.

56.      Le gouvernement hongrois invoque également la jurisprudence relative à la primauté de la base juridique plus spécifique. Lors de l’adoption de la directive 96/71, la base juridique générale constituée par les dispositions relatives au rapprochement des législations en matière de libre prestation des services n’a été retenue qu’à défaut de disposition plus spécifique. Cette base juridique plus spécifique (à savoir l’article 153 TFUE) existait au moment de l’adoption de la directive 2018/957 et le législateur de l’Union aurait dû y recourir.

57.      La Commission, le Conseil, le Parlement européen et les gouvernements des États membres intervenus à la procédure sont d’avis que la base juridique de la directive 2018/957 (à savoir l’article 53, paragraphe 1, TFUE, et l’article 62 TFUE) est correcte.

B.      Appréciation

58.      La Cour a résumé sa jurisprudence en matière de choix de la base juridique dans l’arrêt République tchèque/Parlement et Conseil (44), selon les termes que je reproduis ci-dessous.

‐      « [L]e choix de la base juridique d’un acte de l’Union doit se fonder sur des éléments objectifs susceptibles de faire l’objet d’un contrôle juridictionnel, parmi lesquels figurent la finalité et le contenu de cet acte. Si l’examen de l’acte concerné démontre que celui-ci poursuit une double finalité ou qu’il a une double composante et si l’une de celles-ci est identifiable comme principale ou prépondérante, tandis que l’autre n’est qu’accessoire, cet acte doit être fondé sur une seule base juridique, à savoir celle exigée par la finalité ou la composante principale ou prépondérante » (45).

‐      « De plus, […] pour déterminer la base juridique appropriée, le contexte juridique dans lequel s’inscrit une nouvelle réglementation [peut être pris en compte], notamment en ce qu’un tel contexte est susceptible de fournir un éclairage sur le but de ladite réglementation ». (46)

‐      « [S’]agissant d’une réglementation modifiant une réglementation existante, il importe de prendre en compte également, aux fins de l’identification de la base juridique de celle-ci, la réglementation existante qu’elle modifie et, notamment, son objectif et son contenu […] » (47).

‐      Il résulte également d’une jurisprudence constante que, une fois qu’un acte d’harmonisation a été adopté, « […] le législateur de l’Union ne saurait être privé de la possibilité d’adapter cet acte à toute modification des circonstances ou à toute évolution des connaissances eu égard à la tâche qui lui incombe de veiller à la protection des intérêts généraux reconnus par le traité » (48).

59.      Je vais donc vérifier, conformément à cette jurisprudence, si la modification de la directive 96/71 relève du pouvoir d’appréciation des institutions de l’Union, ce qui requiert : i) d’identifier l’objectif principal de la directive 2018/957 ; ii) d’examiner son contenu (49), et iii) d’analyser le contexte dans lequel elle a été adoptée.

1.      Objectif de la directive 2018/957

60.      Afin d’identifier l’objectif principal de directive 2018/957, il est essentiel de garder à l’esprit, de manière globale, son exposé des motifs et ses dispositions (50).

61.      Les considérants de la directive 2018/957 montrent que celle-ci tend à trouver un équilibre, pas toujours évident, entre deux intérêts qui ne sont pas nécessairement convergents (51) :

‐      D’une part, la garantie, pour les entreprises des États membres, de pouvoir fournir des services transnationaux (52) en mobilisant, sans restrictions injustifiées, des travailleurs de leur État d’établissement de manière à pouvoir faire valoir leur avantage concurrentiel dans l’hypothèse où elles bénéficient de coûts salariaux moins élevés.

‐      D’autre part, la protection des droits des travailleurs détachés (53), dont la situation d’emploi dans l’État de destination doit être similaire à celle des travailleurs de cet État.

62.      L’exposé des motifs de la directive 2018/957 fait constamment allusion à cet équilibre (entre les intérêts des entreprises prestataires de services et la protection sociale des travailleurs détachés) (54). À titre d’exemple, le considérant 10 indique qu’il « est nécessaire d’accorder une plus grande protection aux travailleurs afin de préserver la libre prestation de services sur une base équitable, tant à court qu’à long terme, notamment en empêchant toute violation des droits garantis par les traités », puis ajoute, comme pour faire contrepoids, que « les règles garantissant une telle protection des travailleurs ne sauraient porter atteinte au droit des entreprises détachant des travailleurs sur le territoire d’un autre État membre d’invoquer la libre prestation des services ».

63.      Un juste équilibre entre ces deux intérêts doit en outre assurer une concurrence loyale entre les entreprises qui détachent des travailleurs et celles qui sont établies dans l’État de destination.

64.      Il est vrai que de nombreux considérants de la directive 2018/957 concernent en particulier la protection des travailleurs détachés. Cette réitération s’explique par le fait qu’en 2018, l’intention était précisément de modifier la directive 96/71 afin de revoir l’équilibre établi dans cette dernière et d’offrir une protection accrue aux travailleurs détachés. Le législateur de l’Union a estimé que cette modification était indispensable compte tenu de l’évolution des marchés du travail de l’Union à la suite des élargissements successifs et de la crise économique de 2008.

2.      Contenu de la directive 2018/957

65.      Le contenu de cette directive est conforme aux objectifs énoncés dans ses considérants. La nouvelle version de l’article 1er, paragraphe 1, de la directive 96/71, met davantage l’accent sur la protection des droits des travailleurs détachés, alors que la précédente insistait plutôt sur la protection des droits des entreprises qui les emploient.

66.      Les changements que la directive 2018/957 introduit dans la directive 96/71 sont, je le répète, conformes à la volonté d’améliorer les conditions de travail des travailleurs détachés en les rapprochant de celles des travailleurs de l’État d’accueil. C’est ainsi que :

‐      La durée maximale du détachement est fixée à un an (ou, exceptionnellement, à 18 mois). Passé ce délai, le travailleur détaché devient un travailleur de longue durée (55), en principe soumis aux mêmes conditions de travail que les travailleurs de l’État d’accueil.

‐      S’agissant des travailleurs détachés pour une durée inférieure à un an (ou, exceptionnellement, à 18 mois), le nombre de domaines concernés par l’obligation d’égalité de traitement avec les travailleurs nationaux augmente (56) Plus spécifiquement, la notion de « taux de salaire minimal » est remplacée par la notion de « rémunération ».

‐      Les conditions de travail des travailleurs détachés par une entreprise qui met un travailleur à disposition ou par une entreprise de travail intérimaire sont améliorées. Les États membres sont à présent tenus de veiller à ce que ces entreprises garantissent à ces travailleurs les conditions de travail applicables, conformément à l’article 5 de la directive 2008/104/CE (57), aux travailleurs mis à disposition par des entreprises de travail intérimaire établies dans l’État membre d’accueil (ce qui était auparavant facultatif).

67.      Outre ces modifications, la directive 2018/957 comprend d’autres changements liés au suivi, au contrôle et à l’exécution des obligations prévues par la directive 96/71, induits par l’adoption de la directive 2014/67.

68.      Considéré dans son ensemble, le contenu de la directive 2018/957 vise donc à renforcer la protection des droits des travailleurs détachés, mais toujours dans le cadre d’une prestation de services transnationale fournie par une entreprise.

3.      Contexte de l’adoption de la directive 2018/957

69.      Comme je l’ai déjà expliqué, la directive 96/71 a connu une gestation complexe. Elle visait à promouvoir et à faciliter la prestation transfrontalière de services, à protéger les travailleurs détachés et à assurer une concurrence loyale entre les entreprises de l’État d’origine et celles des États membres de destination.

70.      Le status quo qui avait été atteint en 1996 a été altéré par les élargissements de l’Union de 2004 et de 2007 de la manière précédemment exposée (58). Combinés à la crise économique de 2008, ils ont donné lieu à une augmentation des détachements transnationaux de travailleurs.

71.      Dans ce contexte, les institutions politiques de l’Union, également motivées par le manque de clarté de certaines notions utilisées dans la directive 96/71, ont estimé indispensable de procéder à une réforme de cette dernière, qui a été réalisée en deux phases : a) la directive 2014/67, qui n’a pas modifié la directive 96/71, a instauré des mécanismes en vue d’améliorer sa mise en œuvre face aux nombreux cas de fraude apparus lors des détachements transnationaux de travailleurs ; b) l’adoption de la directive 2018/957, qui a introduit les modifications précédemment décrites.

72.      Les difficultés rencontrées par la Commission, le Conseil et le Parlement européen pour faire progresser cette réforme, que j’ai déjà mentionnées, ont mis en évidence une forte opposition d’intérêts entre les États d’origine des entreprises et les États d’accueil. Le recours en annulation qui nous occupe et celui introduit par la Pologne (affaire C-626/18), qui visent tous deux la directive 2018/957, mettent en évidence l’intensité des désaccords entre États membres.

4.      Mon opinion sur la question de la base juridique

73.      Après avoir analysé la finalité, le contenu et le contexte de la directive 2018/957, il convient de déterminer si celle-ci a été adoptée sur une base juridique adéquate (à savoir l’article 53, paragraphe 1, TFUE et l’article 62 TFUE), comme le soutiennent le Parlement européen, le Conseil, la Commission et les gouvernements allemand, français et néerlandais, ou si elle aurait au contraire dû être adoptée sur le fondement juridique de l’article 153 du TFUE, comme le prétend la Hongrie.

74.      Je rejoins la Hongrie en ce que les objectifs et le contenu de la directive 2018/957 sont principalement orientés vers la protection des droits des travailleurs détachés. Cette circonstance ne permet cependant pas de conclure que ses origines doivent inévitablement être recherchées dans l’article 153 TFUE.

75.      Je rappellerai tout d’abord que la directive 2018/957 opère une modification importante, mais limitée, de la directive 96/71. Conformément à la jurisprudence de la Cour, un acte qui modifie un acte existant aura normalement la même base juridique que ce dernier (59), ce qui me paraît logique. Il s’ensuit que l’article 53, paragraphe 1, TFUE, et l’article 62 TFUE peuvent être la base juridique adéquate pour la directive 2018/957, comme ils l’étaient à l’époque pour la directive 96/71 qu’elle modifie.

76.      La directive 2018/957 adapte la solution législative que la directive 96/71 a apportée au phénomène (croissant) du détachement transnational de travailleurs, afin de faciliter la libre prestation de services par les entreprises ayant recours à cette forme de mobilisation de la main d’œuvre.

77.      Cette adaptation, je le répète, a été rendue nécessaire par l’évolution des marchés du travail de l’Union et a été orientée vers une plus grande protection des conditions de travail des travailleurs détachés. Il est possible qu’elle aboutisse, dans certains cas, à une réduction corrélative de la compétitivité des entreprises aux fins de la prestation de services dans d’autres États membres par la voie du détachement de travailleurs, mais telle est l’option (légitime) retenue par le législateur de l’Union.

78.      Comme je l’ai indiqué lors de l’analyse de la jurisprudence de la Cour dans cette matière, le législateur de l’Union qui adopte un acte d’harmonisation ne saurait être privé de la possibilité d’adapter cet acte à toute modification des circonstances ou à toute évolution des connaissances eu égard à la tâche qui lui incombe de veiller à la protection des intérêts généraux reconnus par le traité (60).

79.      C’est précisément ce qui s’est passé avec l’adoption de la directive 2018/957. Le législateur de l’Union a apporté des modifications à la directive 96/17 afin d’adapter l’équilibre des intérêts qu’elle reflète à la nouvelle situation générée par la circulation transnationale des travailleurs. Les intérêts en lice restent les mêmes, mais leur point de rencontre et d’équilibre s’est déplacé vers une plus grande protection des droits de ces travailleurs. Ce rééquilibrage ne justifie pas de changer la base juridique retenue pour la directive 96/71.

80.      La Hongrie invoque la jurisprudence de la Cour relative au choix de la base juridique la plus spécifique lorsqu’il existe plusieurs bases juridiques pour l’adoption d’un acte législatif de l’Union (61). De son point de vue, l’article 153 TFUE est plus spécifique que l’article 53, paragraphe 1, TFUE, et que l’article 62 TFUE aux fins de l’adoption de la directive 2018/957, dès lors que celle-ci est orientée vers la protection des droits des travailleurs et non vers l’élimination des obstacles à la libre circulation des services.

81.      Je ne partage pas ce raisonnement. L’article 153, paragraphe 2, TFUE, contient deux bases juridiques différentes :

‐      Sous a), il prévoit l’adoption de mesures destinées à encourager la coopération entre États membres en matière sociale, à l’exclusion de toute harmonisation.

‐      Sous b), il prévoit la possibilité d’arrêter, dans certaines matières sociales, les « prescriptions minimales applicables progressivement », compte tenu des conditions existant dans chacun des États membres.

82.      Aucune de ces deux bases juridiques ne peut servir de fondement adéquat à la directive 2018/957. En ce qui concerne les travailleurs détachés dans le cadre d’une prestation de services transnationale, l’enjeu consiste à déterminer (et c’est ce que fait la directive) le droit du travail qui leur sera applicable pendant leur détachement dans l’État d’accueil. À cette fin, la coopération entre États membres prévue à l’article 153, paragraphe 2, sous a), TFUE, est insuffisante, d’autant plus que les intérêts des États membres d’origine et de destination peuvent ne pas coïncider, comme le montre le présent litige.

83.      Il n’est pas nécessaire non plus d’élaborer les règles européennes d’harmonisation minimale visées à l’article 153, paragraphe 2, point b), TFUE, pour déterminer le droit qui régira les relations de travail (sous certains aspects) pendant le détachement dans l’État d’accueil. Dès lors qu’une harmonisation exhaustive de toutes les conditions de travail dans l’Union est impossible, il subsistera des différences entre le droit du travail de l’État d’origine et celui de l’État d’accueil.

84.      Partant de ce constat, la directive 2018/957 se contente d’indiquer les normes de l’État d’accueil qui s’appliquent au travailleur détaché pendant la durée de la prestation de services transnationale de son entreprise. Comprise en ce sens, la directive 2018/957 s’apparente à une règle de conflit de lois, permettant à la fois d’identifier la loi applicable afin de faciliter la libre prestation des services et de conserver une protection sociale adéquate de travailleurs détachés. Les bases juridiques établies à l’article 153, paragraphe 2, TFUE, n’ont pas été conçues pour de telles situations, qu’elles n’envisagent pas.

85.      Par conséquent, aux fins qui nous intéressent, l’article 153 TFUE n’est pas une base juridique plus spécifique que l’article 53, paragraphe 1, TFUE, ni que l’article 62 TFUE. Ces deux derniers articles ont constitué la base juridique pour l’adoption de la directive 96/71 et doivent remplir la même fonction pour les modifications que la directive 2018/957 entend y apporter. Dans la mesure où celle-ci reflète un réajustement de l’équilibre des intérêts atteint par le législateur de l’Union en 1996, sa base juridique est la même que celle de la directive 96/71, bien qu’elle tienne compte des changements intervenus depuis lors dans la circulation transnationale des travailleurs.

V.      Deuxième moyen : violation de l’article 153, paragraphe 5, TFUE

A.      Position des parties

86.      Le gouvernement hongrois soutient que la directive 2018/957 est contraire à l’article 153, paragraphe 5, TFUE, dans la mesure où celui-ci exclut la compétence du législateur de l’Union en matière de rémunération du travail salarié.

87.      Il estime que, en prévoyant que la rémunération des travailleurs doit être conforme à la législation en vigueur dans l’État membre d’accueil, le législateur de l’Union a adopté une directive qui, en substance, porte sur la rémunération du travail salarié. Le législateur de l’Union aurait retenu les bases juridiques indiquées dans la directive 2018/957 lorsqu’il a constaté que, en l’absence de compétence de l’Union, il n’y avait pas d’autre possibilité de légiférer sur la rémunération du travail salarié, qui est un des éléments essentiels de cet acte. En agissant de la sorte, le législateur de l’Union aurait commis, d’après le gouvernement hongrois, un détournement de pouvoir.

88.      La Commission, le Conseil, le Parlement européen et les gouvernements des États membres intervenus à la procédure considèrent que ce deuxième moyen n’est pas fondé.

B.      Appréciation

89.      Compte tenu de mon opinion sur le premier moyen de contestation, il est inutile que je me prononce sur le deuxième. Je ne l’aborderai donc qu’à titre subsidiaire.

90.      La Cour a jugé que, dès lors que l’article 153, paragraphe 5, TFUE (ancien article 137, paragraphe 5, TCE), déroge aux paragraphes 1 à 4 du même article, il doit faire l’objet d’une interprétation stricte, de nature à ne pas affecter indûment la portée desdits paragraphes ni à remettre en cause les objectifs poursuivis par l’article 151 TFUE.

91.      L’exception relative aux « rémunérations » (notion utilisée à l’article 153, paragraphe 5, TFUE) trouve sa raison d’être dans le fait que la fixation des salaires relève de l’autonomie contractuelle des partenaires sociaux à l’échelon national ainsi que de la compétence des États membres en la matière. En l’état actuel du droit de l’Union, les rémunérations ont été exclues d’une harmonisation (au titre des articles 151 et suivants TFUE, relatifs à la politique sociale de l’Union) (62).

92.      Cette exception concerne des mesures qui impliqueraient une ingérence directe du législateur de l’Union dans la détermination des salaires. C’est ce qui se produirait si l’intention était d’uniformiser, en tout ou en partie, les éléments constitutifs ou le niveau des salaires dans les États membres.

93.      L’exception ne saurait cependant s’étendre à toute question présentant un lien quelconque avec la rémunération. Cette interprétation viderait de leur sens d’autres domaines visés à l’article 153, paragraphe 1, TFUE (63).

94.      La directive 2018/957 se limite à identifier le droit du travail applicable aux travailleurs détachés (celui de l’État d’accueil ou celui de l’État d’origine) et à coordonner sa mise en œuvre. Elle ne fixe en aucun cas les montants des salaires à verser, qui, je le répète, relèvent de la compétence de l’État d’accueil et de l’État d’origine, chacun sur son propre territoire.

95.      L’exception prévue à l’article 153, paragraphe 5, TFUE, ne saurait être opposée à l’adoption de la directive en cause et ne saurait l’empêcher. Le considérant 17 de la directive 2018/957 (64) corrobore cette conclusion en ce qu’il confirme la compétence exclusive des États membres en matière de salaires.

96.      Dans le même sens, le nouvel article 3, paragraphe 1, troisième alinéa, de la directive 96/71 prévoit expressément que « […] la notion de rémunération est déterminée par la législation et/ou les pratiques nationales de l’État membre sur le territoire duquel le travailleur est détaché […] ».

97.      La directive 2018/957 nuance la formulation précédente de la directive 96/71, qui parlait de « taux de salaire minimal », en la rendant plus précise. À cet égard, la Cour avait déjà jugé que l’article 3, paragraphe 1, deuxième alinéa, de la directive 96/71 :

« ‐      […] renvoie expressément, aux fins de celle-ci, à la législation ou à la pratique nationale de l’État membre sur le territoire duquel le travailleur est détaché pour la détermination du taux de salaire minimal visé au premier alinéa du même paragraphe 1.

‐      Dans ce contexte, il doit être constaté que la directive 96/71 ne fournit elle-même aucun élément de définition matérielle du salaire minimum. Le soin de définir quels sont les éléments constitutifs de celui-ci, pour l’application de cette directive, relève donc du droit de l’État membre concerné, pour autant seulement que cette définition, telle qu’elle résulte de la législation ou des conventions collectives nationales pertinentes ou de l’interprétation qu’en donnent les juridictions nationales, n’a pas pour effet d’entraver la libre prestation des services entre les États membres ». (65)

98.      Ces affirmations peuvent être transposées à la réforme de la directive 96/71. Par conséquent, nous pouvons exclure que la directive 2018/957 harmonise, d’un point de vue matériel, les rémunérations des travailleurs détachés, ce qui implique qu’elle n’enfreint pas l’article 153, paragraphe 5, TFUE.

99.      Eu égard à ce qui précède, je ne partage pas le point de vue du gouvernement hongrois, qui estime que le législateur de l’Union aurait commis un détournement de pouvoir en choisissant les bases juridiques de la directive 2018/957. Du reste, le gouvernement hongrois ne tire de cette circonstance aucun moyen spécifique d’invalidité, dès lors qu’il considère que le législateur de l’Union aurait enfreint l’article 153, paragraphe 5, TFUE, sans préciser si son comportement irait à l’encontre de la procédure législative spéciale prévue à l’article 153, paragraphe 2, troisième alinéa, TFUE (66).

100. Le deuxième moyen d’annulation doit par conséquent être rejeté.

VI.    Troisième moyen : violation de l’article 56 TFUE

101. Le gouvernement hongrois estime que la directive 2018/957 est contraire à l’article 56 TFUE, qui consacre la libre prestation des services. De son point de vue, les obligations et les restrictions que la directive impose aux entreprises établies dans un État membre détachant des travailleurs sur le territoire d’un autre État membre dans le cadre d’une prestation de services sont discriminatoires, inutiles et disproportionnées au regard de l’objectif visé. En outre, les dispositions en matière de transports enfreignent l’article 58, paragraphe 1, TFUE.

102. Les critiques du gouvernement hongrois se concentrent sur trois éléments de la directive 2018/957, à savoir :

‐      L’article 1er, point 2, sous a), qui remplace la notion de « taux de salaire minimal » par celle de « rémunération » dans l’article 3, paragraphe 1, premier alinéa, sous c), de la directive 96/71 ;

‐      L’article 1er, point 2, sous b), qui insère dans l’article 3 de la directive 96/71 un paragraphe 1 bis prévoyant l’application de la quasi-totalité des conditions de travail et d’emploi de l’État d’accueil au travailleur détaché pour une durée supérieure à 12 mois, et

‐      L’article 3, paragraphe 3, qui concerne le secteur du transport routier.

103. La Commission, le Conseil, le Parlement européen et les gouvernements des États membres intervenus à la procédure considèrent que ce troisième moyen n’est pas fondé.

A.      Considération préliminaire : l’article 56 TFUE et les directives d’harmonisation relatives aux travailleurs détachés

104. Avant d’aborder l’analyse de ce moyen, je souhaite formuler une considération préliminaire sur l’application de l’article 56 TFUE à la directive 2018/957.

105. Comme le souligne le Parlement européen, l’application de l’article 56 TFUE à une norme d’harmonisation de l’Union diffère de son utilisation dans le cadre du contrôle de mesures nationales restreignant cette liberté fondamentale.

106. Certes, l’interdiction des restrictions à la libre prestation des services vaut non seulement pour les mesures nationales, mais également pour les mesures émanant des institutions de l’Union (67). Cela étant, il convient de pas oublier que le législateur de l’Union approuve des règles d’harmonisation précisément afin de faciliter la libre prestation de services, tout en assurant la protection des intérêts sociaux fondamentaux que celle-ci peut affecter (68).

107. La jurisprudence de la Cour sur les mesures nationales restrictives de la circulation des travailleurs détachés dans le cadre de prestations de services transnationales ne peut pas être purement et simplement transposée aux actes de l’Union visant à harmoniser ce phénomène, tels que la directive 2018/957.

108. Comme je l’ai déjà exposé, par la directive 96/71, le législateur de l’Union a combiné, dans des termes qui n’ont pas été contestés, trois objectifs difficilement conciliables : promouvoir et faciliter la prestation transfrontalière de services, protéger les travailleurs détachés et assurer une concurrence loyale entre les acteurs étrangers et locaux. Afin d’adapter cette directive aux changements intervenus, le législateur de l’Union a dû réajuster cet équilibre par la directive 2018/957, qui met l’accent sur un de ces objectifs (améliorer la protection des droits des travailleurs détachés).

109. Le contrôle de la validité d’une directive d’harmonisation que la Cour peut exercer dans le cadre d’un recours en annulation implique de déterminer si celle-ci respecte le principe de proportionnalité, mais n’autorise pas la Cour à substituer ses options politiques à celles qui sous-tendent le contenu de la directive en cause. En tant que principe général du droit de l’Union, le principe de proportionnalité « exige que les moyens mis en œuvre par une disposition du droit de l’Union soient propres à réaliser les objectifs légitimes poursuivis par la réglementation concernée et n’aillent pas au-delà de ce qui est nécessaire pour les atteindre » (69).

110. Je rappelle que, s’agissant du contrôle juridictionnel du respect de ces conditions, la Cour a dégagé les critères suivants :

‐      « [L]a Cour a reconnu au législateur de l’Union, dans le cadre de l’exercice des compétences qui lui sont conférées, un large pouvoir d’appréciation dans les domaines où son action implique des choix de nature tant politique qu’économique ou sociale, et où il est appelé à effectuer des appréciations et des évaluations complexes. Ainsi, il ne s’agit pas de savoir si une mesure arrêtée dans un tel domaine était la seule ou la meilleure possible, seul le caractère manifestement inapproprié de celle-ci par rapport à l’objectif que les institutions compétentes entendent poursuivre pouvant affecter la légalité de cette mesure ». (70)

‐      « [L]e large pouvoir d’appréciation du législateur de l’Union, impliquant un contrôle juridictionnel limité de son exercice, s’applique non pas exclusivement à la nature et à la portée des dispositions à prendre, mais aussi, dans une certaine mesure, à la constatation des données de base » (71).

‐      « [L]e législateur de l’Union est tenu de fonder son choix sur des critères objectifs et d’examiner si les buts poursuivis par la mesure retenue sont de nature à justifier des conséquences économiques négatives, même considérables, pour certains opérateurs ». (72)

‐      « Par ailleurs, même un contrôle juridictionnel d’une portée limitée requiert que les institutions de l’Union, auteurs de l’acte en cause, soient en mesure d’établir devant la Cour que l’acte a été adopté moyennant un exercice effectif de leur pouvoir d’appréciation, lequel suppose la prise en considération de tous les éléments et circonstances pertinents de la situation que cet acte a entendu régir. Il en résulte que ces institutions doivent, à tout le moins, pouvoir produire et exposer de façon claire et non équivoque les données de base ayant dû être prises en compte pour fonder les mesures contestées dudit acte et dont dépendait l’exercice de leur pouvoir d’appréciation » (73).

111. À la lumière de ces critères, le législateur de l’Union disposait d’un large pouvoir d’appréciation dans une matière aussi complexe que la réglementation des détachements transnationaux de travailleurs. La question consiste à déterminer s’il en a fait un usage manifestement inapproprié lorsqu’il a modifié l’équilibre des intérêts qu’il avait atteint dans la directive 96/71 en introduisant les changements résultant de la directive 2018/957.

B.      Première branche du troisième moyen : les travailleurs détachés sont suffisamment protégés par les règles de l’État dans lequel est établie l’entreprise qui fournit le service

1.      Position des parties

112. Selon le gouvernement hongrois, la directive 2018/957 enfreint l’article 56 TFUE, dès lors que, en prévoyant que les conditions de travail de l’État d’accueil s’appliquent aux travailleurs détachés, elle ignore le recours au principe de reconnaissance mutuelle. D’après lui, la protection des droits de ces travailleurs est suffisamment garantie par la législation de l’État d’origine. Soumettre ces travailleurs à la législation de l’État d’accueil va à l’encontre du principe de reconnaissance mutuelle et crée un obstacle à la libre prestation de services (74) La 2006/123/CE (75) imposerait en outre une obligation de reconnaissance des conditions d’emploi appliquées en conformité avec le droit de l’Union par un autre État membre.

113. Le gouvernement hongrois estime en particulier que l’égalité salariale entre les travailleurs détachés et les travailleurs locaux dans l’État d’accueil, d’une part, et l’égalité presque totale entre ces derniers et les travailleurs détachés pour une longue durée, d’autre part, mettent en doute la capacité du salaire minimal de l’État d’accueil à assurer une subsistance adéquate aux travailleurs détachés et restreignent l’avantage concurrentiel de certains « nouveaux États membres » où les coûts salariaux sont moins élevés. Par ailleurs, la Commission n’aurait fourni, dans son analyse d’impact, aucune donnée justifiant la nécessité des modifications introduites par la directive 2018/957.

114. Enfin, le gouvernement hongrois souligne la disparité entre l’application des règles en matière de travail de l’État d’accueil, imposée par la directive 2018/957, et le régime de sécurité sociale applicable aux travailleurs détachés régi par le règlement (CE) no 883/2004 (76). Ce dernier prévoit que les travailleurs détachés sont soumis aux règles de sécurité sociale de l’État d’origine, car elles sont les plus appropriées pour assurer la protection de ses droits.

115. La Commission, le Conseil, le Parlement européen et les gouvernements des États membres intervenus à la procédure considèrent que cette branche du troisième moyen n’est pas fondée.

2.      Appréciation

116. Il existe, selon moi, plusieurs raisons de s’opposer aux arguments du gouvernement hongrois.

117. Premièrement, la directive 2006/123 ne saurait être invoquée pour appliquer les règles de l’État d’origine aux travailleurs détachés. Cette directive ne concerne pas le droit du travail (77), ni la législation nationale des États membres en matière de sécurité sociale (78). Son article 3, paragraphe 1, sous a) précise en outre que, en cas de conflit avec une disposition « régissant des aspects spécifiques de l’accès à une activité de services ou à son exercice dans des secteurs spécifiques ou pour des professions spécifiques », la directive 96/71 prévaut sur la directive 2006/123 (79).

118. Deuxièmement, la jurisprudence initiale de la Cour sur la compatibilité des mesures nationales limitant le détachement de travailleurs avec l’article 56 TFUE tenait bel et bien compte des conditions de protection de ces travailleurs dans l’État d’origine de leur entreprise (80). La jurisprudence postérieure à la directive 96/71 a maintenu cette même approche en ce qui concerne les restrictions qui ne relevaient pas de son champ d’application (81). La Cour ne tient cependant pas compte des règles de l’État d’origine lorsqu’il s’agit d’appliquer l’article 3 de la directive 96/71 aux conditions de travail des travailleurs, car cela reviendrait à priver celui-ci d’effet utile (82).

119. Troisièmement, les données et les éléments contenus dans l’analyse d’impact préparée par la Commission (83) suffisaient à étayer la proposition législative qui a conduit à l’adoption de la directive 2018/957. Il est vrai que, comme la Commission le reconnaît elle-même, les données relatives aux mouvements transnationaux de travailleurs n’étaient pas tout à fait précises, puisqu’elles provenaient des informations fournies par les organismes nationaux de sécurité sociale sur la base de la délivrance de formulaires A1. La Commission a également évalué les écarts de rémunération en se basant sur des chiffres approximatifs.

120. La jurisprudence de la Cour reconnaît cependant au législateur de l’Union une large marge d’appréciation dans la vérification des données de base nécessaires à l’adoption d’un acte législatif. Le contrôle juridictionnel de cette appréciation doit être limité (84). Les données fournies par l’analyse d’impact préparée par la Commission suffisaient donc à justifier l’adoption de la directive 2018/957. Celles-ci n’ont pas été remises en question au cours de la procédure législative et ont servi de base à la Commission pour étudier différentes alternatives et choisir, de manière justifiée, celle qui renforcerait la protection des travailleurs.

121. Quatrièmement, il me paraît inapproprié de transposer le régime de sécurité sociale des travailleurs détachés (règlement 883/2004) aux conditions de travail de ces derniers.

122. Comme l’indique le Conseil, les règles de l’Union qui coordonnent les systèmes nationaux de sécurité sociale suivent une logique conçue aux fins de la relation entre la personne titulaire droits et d’obligations et l’État qui fournit l’assistance. C’est pour cette raison que l’article 11, paragraphe 1, du règlement 883/2004, érige en principe directeur la soumission des personnes à la législation d’un seul État membre, qui est normalement celui du lieu de travail effectif, conformément au principe lex loci laboris.

123. Ce principe général connait cependant des exceptions. Parmi celles-ci figure le maintien du lien exclusif du travailleur avec le système de sécurité sociale de l’État d’origine (c’est-à-dire l’État dans lequel l’entreprise qui l’emploie exerce normalement ses activités), lorsqu’il est détaché dans un autre État membre pour une durée limitée, n’excédant pas 24 mois, pour autant que les conditions de l’article 12 du règlement 883/2004 soient remplies (85).

124. Cette exception ne s’étend pas aux conditions de travail des travailleurs détachés, car elle concerne des relations juridiques entre une partie faible (le salarié) et une partie plus forte (l’entreprise qui l’emploie). Afin d’assurer une meilleure protection de la partie faible, il est nécessaire de combiner l’application de dispositions du droit du travail de l’État d’origine avec l’application d’autres dispositions du droit du travail de l’État d’accueil.

125. La directive 96/71 est conforme à cette idée, puisqu’elle garantit aux travailleurs détachés l’application du noyau dur des conditions de travail de l’État d’accueil (élargi par la directive 2018/957), tout en permettant que d’autres éléments de la relation de travail restent régis par la loi de leur État d’origine. Dans cette mesure, elle respecte le règlement Rome I (86) que j’évoquerai plus loin.

126. En résumé, la solution retenue par le règlement 883/2004 pour la sécurité sociale des travailleurs détachés (soumission aux règles de l’État d’origine) ne saurait être transposée à leurs conditions de travail, qui doivent être partiellement soumises à la législation de l’État d’accueil, combinée à celle de leur État d’origine (87).

127. Enfin, il n’appartient pas à la Cour de substituer sa propre appréciation à celle du législateur de l’Union. Comme je l’ai déjà rappelé, il lui incombe uniquement de vérifier si le législateur de l’Union a manifestement dépassé le large pouvoir d’appréciation dont il dispose lors des évaluations et appréciations complexes auxquelles il devait procéder.

128. En l’espèce, il ne me semble pas que le législateur de l’Union ait pris le parti d’adopter des mesures ayant un « caractère manifestement inapproprié » par rapport à l’objectif poursuivi (88). Dans cette même mesure, il n’a pas dépassé le large pouvoir d’appréciation dont il disposait lors de la modification du régime précédent dans une matière aussi complexe que le détachement transnational de travailleurs.

C.      Deuxième branche du troisième moyen : violation du principe de non-discrimination

1.      Position des parties

129. Selon le gouvernement hongrois, la directive 2018/957 viole le principe de non-discrimination, qui interdit l’application de règles différentes à des situations comparables ou l’application de règles identiques à des situations différentes (89).

130. En premier lieu, le remplacement de l’obligation de verser le salaire minimal aux travailleurs détachés, afin de leur assurer la même rémunération que les travailleurs locaux, crée, au détriment des entreprises prestataires de services qui détachent leurs travailleurs, une discrimination par rapport aux entreprises locales. La discrimination tient à ce que les entreprises de l’État d’accueil ne sont tenues de verser à leurs salariés que les taux de salaire minimal fixés par le droit national, alors que les entreprises des autres États membres qui détachent des travailleurs doivent leur verser une rémunération qui sera déterminée par la pratique nationale et qui, selon le gouvernement hongrois, sera nécessairement supérieure au taux de salaire minimal.

131. En second lieu, le gouvernement hongrois fait valoir que l’application des mêmes règles aux travailleurs détachés pour une longue durée et aux travailleurs locaux, en vertu de l’article 3, paragraphe 1 bis, de la directive 96/71, est incompatible avec le principe de non-discrimination, car les deux catégories ne se trouvent pas dans des situations comparables.

132. L’obligation de payer les frais de voyage, de logement ou de nourriture (nouvel article 3, paragraphe 7, de la directive 96/71) imposée aux entreprises détachant des travailleurs serait également contraire au principe de non-discrimination.

133. La Commission, le Conseil, le Parlement européen et les gouvernements des États membres intervenus à la procédure considèrent que cette branche du troisième moyen n’est pas fondée.

2.      Appréciation

134. La directive 96/71, telle que modifiée par la directive 2018/957, ne considère pas que la situation des travailleurs détachés et la situation des travailleurs locaux de l’État d’accueil soient globalement identiques.

135. C’est pour cette raison que son article 3, paragraphe 1, énumère limitativement les matières dans lesquelles les travailleurs détachés sont soumis à la législation de l’État d’accueil, afin de garantir l’égalité de traitement avec les travailleurs locaux (90). Dans les autres matières, la directive n’impose pas l’égalité de traitement entre travailleurs détachés et locaux.

136. Le remplacement de la notion de « taux de salaire minimal » par la notion de « rémunération », que j’évoquerai plus loin, ne crée pas, au détriment des entreprises détachant des travailleurs, la discrimination alléguée par la Hongrie.

137. En effet, selon le nouvel article 3, paragraphe 1, troisième alinéa, de la directive 96/71, « la notion de rémunération est déterminée par la législation et/ou les pratiques nationales de l’État membre sur le territoire duquel le travailleur est détaché et s’entend de tous les éléments constitutifs de la rémunération rendus obligatoires (91) par des dispositions législatives, réglementaires ou administratives nationales, ou par des conventions collectives ou des sentences arbitrales qui, dans cet État membre, ont été déclarées d’application générale ou qui s’appliquent à un autre titre conformément au paragraphe 8 ».

138. Par conséquent, les entreprises qui détachent des travailleurs doivent uniquement leur verser une rémunération qui comprend le salaire minimum de l’État d’accueil, majoré de tout autre élément obligatoire dans ledit État. Les éléments de rémunération ainsi définis s’appliquent également aux travailleurs locaux, compte tenu de leur caractère obligatoire en vertu du droit interne de l’État d’accueil, et doivent être versés par les entreprises établies dans cet État sans qu’il y ait la moindre différence de traitement. Naturellement, la directive 2018/957 ne précise pas quels éléments de la rémunération sont obligatoires, la réponse à cette question relevant du droit de l’État d’accueil.

139. Il ressort de l’analyse d’impact de la Commission que la directive 2018/957 a exclu d’imposer l’équivalence totale des rémunérations entre les travailleurs détachés et locaux (92).

140. Quant à la prétendue discrimination résultant de l’application des mêmes règles aux travailleurs détachés pour une longue durée et aux travailleurs locaux, j’insisterai simplement sur le fait que l’article 3, paragraphe 1 bis, de la directive 96/71, ne prévoit pas le même traitement pour les deux catégories de travailleurs. Cette disposition rapproche le régime des travailleurs détachés de longue durée de celui des travailleurs locaux, mais elle ne les rend pas équivalents, précisément parce que leur situation est différente.

141. Je ne vois pas non plus de discrimination dans le fait d’imposer aux employeurs qui détachent des travailleurs de leur payer les frais de voyage, de logement ou de nourriture. Il s’agit des frais résultant du détachement lui-même, que l’employeur doit payer au travailleur conformément à la législation ou à la pratique nationale applicable à la relation de travail, qui sera celle du pays d’origine. La disposition de la directive qui impose cette obligation désigne le droit national qu’il y a lieu d’appliquer pour le paiement des dépenses générées par le détachement, les États membres étant libres de les réglementer dans leur droit national (93). Je ne vois pas quel type de discrimination pourrait résulter de cette règle.

D.      Troisième branche du troisième moyen : violation du principe de proportionnalité

1.      Position des parties

142. Le gouvernement hongrois estime que la directive 2018/957 complique et entrave la prestation transnationale de services impliquant un détachement de main d’œuvre dans le marché intérieur, en ce qu’elle se limite à accroître la protection des travailleurs détachés. Elle n’est dès lors pas apte à réaliser les objectifs qu’elle poursuit et enfreint le principe de proportionnalité.

143. La Commission, le Conseil, le Parlement européen et les gouvernements des États membres intervenus à la procédure considèrent que cette branche du troisième moyen n’est pas fondée.

2.      Appréciation

144. Le principe de proportionnalité exige que les actes des institutions de l’Union soient aptes à réaliser les objectifs légitimes poursuivis et ne dépassent pas les limites de ce qui est nécessaire à la réalisation de ces objectifs (94).

145. Les institutions de l’Union disposent d’un large pouvoir d’appréciation lorsqu’elles se voient obligées de procéder à des choix de nature technique et d’effectuer des prévisions et des appréciations complexes. La Cour se contente de vérifier si le législateur de l’Union a manifestement dépassé ce large pouvoir d’appréciation en optant pour des mesures clairement inappropriées ou disproportionnées par rapport à l’objectif poursuivi (95).

146. Tout comme le Conseil et le Parlement, j’estime que le législateur de l’Union a respecté les conditions du principe de proportionnalité lors de l’adoption de la directive 2018/957.

147. Afin d’éviter les redites, j’examinerai les arguments du gouvernement hongrois portant sur le caractère disproportionné des dispositions relatives aux travailleurs détachés pour une longue durée dans la quatrième branche de ce troisième moyen.

148. S’agissant de la rétribution des travailleurs détachés, l’analyse d’impact publiée par la Commission justifiait que la directive 2018/957 substitue la notion de « rémunération » à la notion de « taux de salaire minimal » par les difficultés résultant de l’utilisation de cette dernière lors de la mise en œuvre de la directive 96/71.

149. Afin de remédier à cette situation, la Commission a étudié les solutions possibles et leurs conséquences économiques. Elle a choisi la solution qui lui a semblé être la plus appropriée, à savoir une réforme limitée de la directive 96/71, concrétisée par l’adoption de la directive 2018/957, et a exclu la publication d’une communication interprétative ou le maintien en l’état de la directive 96/71 (96).

150. À mon avis, cette solution n’est pas contraire au principe de proportionnalité et n’instaure pas de restriction incompatible avec l’article 56 TFUE. Plusieurs arguments soutiennent cette position.

151. Premièrement, la notion de « taux de salaire minimal » avait soulevé des difficultés pratiques (97), comme le montre la jurisprudence de la Cour et, en particulier, l’arrêt Sähköalojen ammattiliitto (98). Dans ce dernier, la Cour a admis une interprétation large, qui inclut :

‐      La possibilité d’un calcul du salaire minimal à l’heure ou à la tâche, fondé sur le classement des travailleurs en groupes de rémunération tel qu’il est prévu par les conventions collectives de l’État membre d’accueil, à condition que ce calcul et ce classement soient effectués selon des règles contraignantes et transparentes, ce qu’il incombe au juge national de vérifier.

‐      Une indemnité journalière, dans des conditions identiques à celles auxquelles est soumise l’inclusion de cette indemnité dans le salaire versé aux travailleurs à l’occasion d’un détachement à l’intérieur de l’État membre d’accueil.

‐      Une indemnité de trajet, versée aux travailleurs à condition que le trajet quotidien qu’ils effectuent pour se rendre sur leur lieu de travail et en revenir soit d’une durée supérieure à une heure.

‐      Le pécule de vacances, qui doit être accordé pour la durée minimale des congés annuels payés.

152. Le législateur de l’Union a tenu compte de ces difficultés herméneutiques ainsi que de l’interprétation large préconisée par la Cour, en adoptant la directive 2018/957 et en intégrant la notion de « rémunération » à l’article 3, paragraphes 1 et 7, de la directive 91/76.

153. Ce changement permet en outre de limiter la pratique des entreprises qui, lors du détachement de leurs travailleurs, pouvaient avoir tendance à leur payer le salaire minimal, indépendamment de leur catégorie, de leurs fonctions, de leurs qualifications professionnelles et de leur ancienneté, ce qui entraînait un écart de rémunération par rapport aux travailleurs locaux se trouvant dans une situation similaire (99).

154. Lors de l’audience, la Commission a répété ce qui ressortait déjà de son analyse d’impact : l’assimilation des « taux de salaire minimal », visés dans la directive 96/71, au salaire minimal légalement fixé par la législation nationale de l’État d’accueil avait, dans la pratique, créé un écart salarial entre les travailleurs locaux et les travailleurs détachés, en particulier dans des secteurs tels que la construction.

155. Deuxièmement, en vertu de l’article 3, paragraphe 1, deuxième alinéa, de la directive 96/71, la définition des taux de salaire minimal relève de la législation ou de la pratique nationale de l’État membre d’accueil (100). Le mode de calcul de ces taux et les critères retenus en ce qui les concerne sont également du ressort de l’État membre d’accueil (101). Les lois ou pratiques nationales relatives au calcul du salaire minimal sont très hétérogènes (et pas toujours transparentes) dans les États membres de l’Union, ce qui rend difficile le détachement de travailleurs dans des conditions de travail équitables et comparables à celles des travailleurs locaux (102).

156. Dans son analyse d’impact, la Commission a démontré que la notion de rémunération permettait de corriger ces déséquilibres et d’améliorer la protection des travailleurs détachés, en créant des conditions de concurrence plus équitables entre les entreprises locales et celles qui détachent des travailleurs pour fournir des services, particulièrement dans les secteurs à forte intensité de main-d’œuvre (103).

157. On peut déduire de ce qui précède que, en optant pour une mesure (l’introduction de la notion de rémunération) apte à atteindre les objectifs poursuivis, le législateur de l’Union a respecté les exigences du principe de proportionnalité, sans manifestement dépasser son large pouvoir d’appréciation dans une matière aussi technique et complexe. Cette mesure procure, par elle-même, une meilleure protection des travailleurs détachés et garantit des conditions de concurrence équitables entre les entreprises locales et celles qui détachent leurs travailleurs.

E.      Quatrième branche du troisième moyen : le régime des travailleurs détachés pour une longue durée porte atteinte à la libre prestation des services

1.      Position des parties

158. Le gouvernement hongrois soutient que le régime spécifique des travailleurs détachés pour une longue durée (établi par le nouvel article 3, paragraphe 1 bis, de la directive 96/71) est incompatible avec l’article 56 TFUE.

159. Ce régime imposerait des restrictions disproportionnées et injustifiées à l’activité des entreprises qui détachent des travailleurs dans le cadre d’une prestation de services transnationale, en ce qu’il modifie la loi applicable au travailleur détaché pour une longue durée et lui applique toutes les conditions de travail de l’État membre d’accueil. Ce faisant, il brouillerait également les limites entre la libre prestation des services et la libre circulation des travailleurs.

160. Les institutions de l’Union et les gouvernements des États membres intervenus à la procédure considèrent que le nouveau régime des travailleurs détachés pour une longue durée est justifié, respecte le principe de proportionnalité et n’est pas contraire à l’article 56 TFUE.

2.      Appréciation

161. La nouvelle catégorie des travailleurs détachés pour une longue durée se distingue de celle des travailleurs détachés « ordinaires ». Le critère de distinction est la durée effective du détachement : si elle dépasse 12 mois (exceptionnellement, 18 mois), le travailleur détaché ordinaire devient un travailleur détaché pour une longue durée.

162. À l’issue de cette période, le travailleur détaché (à présent pour une longue durée) bénéficie d’un régime juridique différent : outre les conditions de travail visées à l’article 3, paragraphe 1, il se voit appliquer les conditions de travail de l’État membre sur le territoire duquel le travail est exécuté.

163. Il résulte du considérant 9 de la directive 2018/957 (104) que celle-ci n’entraîne cependant pas une assimilation totale des travailleurs détachés pour une longue durée aux travailleurs locaux (qu’il s’agisse de ressortissants de l’État d’accueil ou de ressortissants d’autres États membres ayant exercé leur liberté de circulation).

164. Comme l’indique le considérant 10 de la directive 2018/957, la situation juridique des travailleurs détachés pour une longue durée reste ancrée dans (ou couverte par) la libre prestation de services (105).

165. Contrairement à la thèse défendue par le gouvernement hongrois, le nouvel article 3, paragraphe 1 bis, inséré par la directive 2018/957 ne place pas totalement sur un pied d’égalité les travailleurs détachés pour une longue durée et les travailleurs locaux, dès lors que :

‐      Selon cette disposition, « [l]e premier alinéa du présent paragraphe ne s’applique pas aux matières suivantes : a) les procédures, formalités et conditions régissant la conclusion et la fin du contrat de travail, y compris les clauses de non-concurrence ; b) les régimes complémentaires de retraite professionnels ».

‐      En vertu de l’article 3, paragraphe 1 bis, « toutes les conditions de travail de l’État membre sur le territoire duquel le travail est exécuté » s’appliquent aux travailleurs détachés pour une longue durée, « quelle que soit la loi applicable à la relation de travail ». Cela signifie que, pour cette catégorie de travailleurs détachés, le droit international privé qui sous-tend leur relation juridique reste inchangé, comme le souligne le Parlement européen dans ses observations (106).

‐      L’équivalence entre les travailleurs détachés pour une longue durée et les travailleurs locaux concerne « toutes les conditions de travail de l’État membre sur le territoire duquel le travail est exécuté ». Il y a lieu d’entendre par là « les conditions de travail et la protection de la santé et de la sécurité des travailleurs » qui, en vertu du nouvel article 1er, paragraphe 1, de la directive 96/71, sont réglementées par ladite directive. Les différences existant dans des domaines tels que la sécurité sociale et la fiscalité sont donc maintenues.

166. À mon avis, le régime de cette nouvelle catégorie de travailleurs détachés pour une longue durée est justifié et entraîne des restrictions proportionnées à la libre prestation des services, qui sont compatibles avec l’article 56 TFUE.

167. La fixation d’une période de 12 mois (exceptionnellement, 18 mois) élimine l’incertitude présente dans la version initiale de la directive 96/71, dont l’article 2, paragraphe 1, considérait comme un travailleur détaché le travailleur qui exécute son travail dans un État membre autre que son État d’origine « pendant une période limitée ». La nouvelle règle lève à mon sens cette incertitude en précisant qu’un travailleur qui poursuit son détachement au-delà de 12 (ou 18) mois est réputé être un travailleur détaché pour une longue durée.

168. Le statut de travailleur détaché pour une longue durée me paraît également raisonnable, puisqu’il est adapté à la situation des travailleurs qui résideront dans l’État d’accueil pendant une longue période, ce qui accroit leur participation au marché du travail de cet État. Dans un tel contexte, il est logique (et proportionné) qu’ils soient soumis à un plus grand nombre de dispositions du droit du travail de l’État de destination, tout en conservant leur lien avec l’État d’origine de l’entreprise pour laquelle ils travaillent.

169. Cette modification est accompagnée de la précision suivante, apportée dans le nouvel article 3, paragraphe 1 bis, troisième alinéa : « Lorsqu’une entreprise visée à l’article 1er, paragraphe 1, remplace un travailleur détaché par un autre travailleur détaché effectuant la même tâche au même endroit, la durée du détachement aux fins du présent paragraphe correspond à la durée cumulée des périodes de détachement de chacun des travailleurs détachés concernés ». Sans préjudice des éventuelles difficultés que cette disposition pourrait créer en pratique, je l’estime, d’une manière générale, apte à empêcher les abus et le contournement de la directive par le remplacement de certains travailleurs détachés par d’autres occupant le même poste.

F.      Cinquième branche du troisième moyen : violation de l’article 58, paragraphe 1, TFUE

1.      Position des parties

170. Le gouvernement hongrois estime que l’article 3, paragraphe 3, de la directive 2018/957, viole l’article 58, paragraphe 1, TFUE, dans la mesure où il étend au secteur des transports l’application des règles de cette directive en matière de détachement des travailleurs.

171. La Commission, le Conseil, le Parlement européen et les gouvernements des États membres intervenus à la procédure considèrent que cette branche du troisième moyen est inopérante ou non fondée.

2.      Appréciation

172. La libre circulation des services dans le domaine des transports n’est pas régie par l’article 56 TFUE, qui traite de la libre prestation des services de manière générale, mais par les dispositions spécifiques de l’article 58, paragraphe 1, TFUE. En vertu de celui-ci, « [l]a libre circulation des services, en matière de transports, est régie par les dispositions du titre relatif aux transports » (107), c’est-à-dire par les articles 90 à 100 TFUE.

173. Bien qu’elle prenne pour base juridique exclusive les règles relatives à la libre prestation des services (article 53, paragraphe 1, TFUE, et article 62 TFUE), et non celles relatives à la politique commune des transports (article 91 TFUE), il est possible de plaider en faveur de l’application de la directive 96/71 aux services de transport (108).

174. La directive 96/71 exclut de son champ d’application les « entreprises de la marine marchande en ce qui concerne le personnel navigant » (109), ce qui permet de déduire que le législateur souhaite qu’elle s’applique aux autres services dans le domaine des transports. Cette interprétation serait confirmée par l’allusion aux « travailleurs mobiles du secteur des transports » dans la directive 2014/67 (110), ainsi que par les références à l’application de la directive 96/71 au transport de cabotage apparaissant dans d’autres actes réglementaires de l’Union (111).

175. Conformément à l’article 3, paragraphe 3, de la directive 2018/957, celle-ci s’applique au « secteur du transport routier à partir de la date d’application d’un acte législatif modifiant la directive 2006/22/CE quant aux exigences en matière de contrôle et établissant des règles spécifiques en ce qui concerne la directive 96/71/CE et la directive 2014/67/UE pour le détachement de conducteurs dans le secteur du transport routier ».

176. Par conséquent, comme le confirme le considérant 15 de la directive 2018/957 (112), les modifications que cette dernière apporte à la directive 96/71 ne s’appliqueront au secteur du transport routier que dans le futur, et non de manière inconditionnelle, mais lorsqu’un acte législatif modifiant la directive 2006/22 et comportant des règles spécifiques en ce qui concerne les directives 96/71 et 2014/67 sera adopté.

177. Cela étant, l’article 3, paragraphe 3, de la directive 2018/957 ne contient en réalité aucune réglementation matérielle des détachements de travailleurs dans le secteur des transports et ne modifie en rien le régime d’application de la directive 96/71 à ce secteur (113)

178. Ces règles seront établies dans le nouvel acte législatif, qui a déjà fait l’objet d’une proposition de la Commission (114). Rien n’empêche que cet acte ait également pour base juridique l’article 91 TFUE.

179. En résumé, je ne constate aucune violation de l’article 58, paragraphe 1, TFUE, par l’article 3, paragraphe 3, de la directive 2018/957.

180. Eu égard aux raisonnements qui précèdent, je suggère de rejeter le troisième moyen d’annulation dans son intégralité.

VII. Quatrième moyen : violation de l’article 56 TFUE, en ce que les actions collectives des travailleurs sont exclues du champ d’application de la directive 96/71

A.      Position des parties

181. Selon le gouvernement hongrois, l’article 1er, paragraphe 1 bis, inséré dans la directive 96/71 par la directive 2018/957, viole l’article 56 TFUE en ce qu’il exclut du champ d’application de cette dernière, d’une part, l’exercice du droit de grève et du droit d’entreprendre d’autres actions prévues par les systèmes de relations du travail propres aux États membres et, d’autre part, ce qui concerne l’exercice du droit de négocier, de conclure et d’appliquer des conventions collectives ou de mener des actions collectives.

182. Cette exclusion serait contraire à la jurisprudence Laval un Partneri et permettrait que le droit de grève et de négociation collective soit exercé selon les règles des droits nationaux et sans tenir compte des exigences du droit de l’Union. Dans cette mesure, elle permettrait de restreindre la libre prestation de services par des entreprises d’autres États par la voie du détachement de travailleurs.

183. La Commission, le Conseil, le Parlement européen et les gouvernements des États membres intervenus à la procédure considèrent que ce quatrième moyen n’est pas fondé.

B.      Appréciation

184. Le nouvel article 1er, paragraphe 1 bis, précise le champ d’application de la directive 96/71. Si, de manière générale, cette directive fixe des « dispositions obligatoires concernant les conditions de travail et la protection de la santé et de la sécurité des travailleurs » détachés, le paragraphe 1 bis exclut notamment de son champ d’application « le droit ou la liberté de faire grève ou d’entreprendre d’autres actions prévues par les systèmes de relations du travail propres aux États membres, conformément à la législation et/ou aux pratiques nationales. Elle ne porte pas non plus atteinte au droit de négocier, de conclure et d’appliquer des conventions collectives ou de mener des actions collectives conformément à la législation et/ou aux pratiques nationales »

185. S’agissant des actions collectives, la directive 2018/957 n’introduit aucune nouveauté dans la directive 96/71. Le considérant 22 de cette dernière indique expressément que celle-ci « est sans préjudice du droit des États membres en matière d’action collective pour la défense des intérêts professionnels ».

186. La lecture de cette disposition par le gouvernement hongrois repose, à mon avis, sur une erreur d’interprétation. Le fait que la directive 96/71 ne s’applique pas aux droits d’action collective des travailleurs ne signifie pas que l’exercice de ces droits ne soit pas soumis aux autres règles nationales et du droit de l’Union. Le libellé de l’article 1er, paragraphe 1 bis, débute par les termes suivants : « La présente directive ne porte en aucune manière atteinte à l’exercice des droits fondamentaux reconnus dans les États membres et au niveau de l’Union, notamment […] ».

187. Par conséquent, cette disposition ne s’oppose pas à l’application, en cas de détachement de travailleurs, de l’article 28 de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne ou de la jurisprudence antérieure de la Cour relative à l’exercice des droits collectifs des travailleurs et à leur incidence sur la libre prestation des services.

188. Il ne me semble dès lors pas que l’article 1er, paragraphe 1 bis, de la directive 96/71, restreigne la libre prestation des services et je propose de rejeter ce moyen d’annulation.

VIII. Cinquième moyen : violation du principe de sécurité juridique en conséquence de l’incompatibilité de la directive 2018/957 avec le règlement Rome I

A.      Position des parties

189. Le cinquième moyen comporte en réalité deux branches distinctes, sans grand rapport entre elles.

‐      D’une part, le gouvernement hongrois soutient que la directive 2018/957 est contraire au règlement Rome I ainsi qu’aux principes de sécurité juridique et de clarté normative, en ce qu’elle modifie l’application de ce règlement sans en altérer le libellé, ce qui engendre une incertitude juridique considérable quant à sa bonne application.

‐      D’autre part, il prétend que le manque de précision de la notion de « rémunération » est source d’incertitude, ce qui porte atteinte au principe de clarté normative et, partant, au principe de sécurité juridique.

190. La Commission, le Conseil, le Parlement européen et les gouvernements des États membres intervenus à la procédure estiment que ce cinquième moyen n’est pas fondé.

B.      Appréciation de la première branche du cinquième moyen : relation entre la directive 2018/957 et le règlement Rome I

191. L’article 8, paragraphe 1, du règlement Rome I, établit la règle générale de conflit de lois applicable aux contrats individuels de travail, qui désigne la loi choisie par les parties (conformément aux conditions que ledit règlement précise par ailleurs). À défaut d’un tel choix, « le contrat individuel de travail est régi par la loi du pays dans lequel ou, à défaut, à partir duquel le travailleur, en exécution du contrat, accomplit habituellement son travail. Le pays dans lequel le travail est habituellement accompli n’est pas réputé changer lorsque le travailleur accomplit son travail de façon temporaire dans un autre pays » (article 8, paragraphe 2).

192. L’article 23 du règlement Rome I prévoit une exception à l’applicabilité des règles de conflit de lois établies par ce dernier : si les dispositions du droit de l’Union fixent des règles relatives à la loi applicable aux obligations contractuelles dans certaines matières, ces règles ont priorité (115)

193. Les règles générales du règlement Rome I relatives au choix de la loi applicable cèdent donc le pas aux règles spéciales prévues à cet égard dans des dispositions spécifiques du droit de l’Union (116).

194. Contrairement à ce qu’avance le gouvernement hongrois, je suis d’avis que l’article 3, paragraphe 1, (pour les travailleurs détachés ordinaires) et le nouvel article 3, paragraphe 1 bis (pour les travailleurs détachés pour une longue durée) de la directive 96/71 constituent des règles spéciales de conflit de lois (117), dont l’application doit être combinée avec celle du règlement Rome I (118).

195. Ces deux dispositions de la directive 96/71, qui s’ajoutent à la loi applicable en vertu des règles ordinaires de conflit de lois, imposent les dispositions suivantes du droit de l’État d’accueil :

‐      Les travailleurs détachés ordinaires se voient imposer les dispositions relatives aux conditions (de travail et de protection de la sécurité et de la santé des travailleurs) détaillées dans la liste exhaustive établie à l’article 3, paragraphe 1 ;

‐      Les travailleurs détachés de longue durée se voient imposer, outre les conditions susmentionnées, toutes les autres règles de l’État d’accueil, comme indiqué ci-dessus (article 3, paragraphe 1 bis).

196. Comme l’indique le Conseil dans ses observations, le processus d’élaboration du règlement Rome I prouve que son article 23 couvre l’exception prévue par la directive 96/71, car la proposition de la Commission contenait en annexe une liste de règles spéciales établies dans d’autres dispositions du droit de l’Union, parmi lesquelles figuraient celles de la directive 96/71 (119).

197. Le considérant 11 de la directive 96/71 confirme cette affirmation, en ce qu’il expose que la convention de Rome, du 19 juin 1980, sur la loi applicable aux obligations contractuelles (remplacée par le règlement Rome I) « ne préjuge pas l’application des dispositions qui, dans des matières particulières, règlent les conflits de lois en matière d’obligations contractuelles et qui sont ou seront contenues dans les actes émanant des institutions des Communautés européennes ou dans des législations nationales harmonisées en exécution de ces actes ».

198. Le considérant 40 du règlement Rome I, qui expose que « [t]outefois, le présent règlement n’exclut pas la possibilité d’insérer des règles de conflit de lois en matière d’obligations contractuelles dans les dispositions de droit communautaire concernant des matières particulières », conduit à la même conclusion.

199. Contrairement à la thèse de la Hongrie, le principe de sécurité juridique n’exige donc pas que la modification de la directive 96/71 opérée par la directive 2018/957 soit accompagnée d’une modification du règlement Rome I.

200. L’article 23 de ce règlement permet aux règles spéciales de la directive 96/71 de coexister avec les règles générales de son article 8 en ce qui concerne les contrats des travailleurs détachés. La relation entre les deux types de règles est suffisamment claire, prévisible et précise et, par conséquent, respecte à suffisance le principe de sécurité juridique (120).

201. Cette conclusion n’est pas contredite, comme le prétend la Hongrie, par le fait que le nouvel article 3, paragraphe 1 bis, troisième alinéa, de la directive 96/71, prévoie une règle anti-fraude pour les cas de détachement de remplacement que j’ai précédemment évoqués (121). Dans ce cas, le contrat de chaque travailleur concerné par le remplacement peut être soumis à la loi d’un pays différent et cette disposition ne fait qu’ajouter une condition visant à prévenir une utilisation frauduleuse de la relation entre la directive 96/71 et le règlement Rome I.

C.      Appréciation de la seconde branche du cinquième moyen :  manque de précision de la notion de « rémunération » introduite par la directive  2018/957

202. Selon le gouvernement hongrois, le manque de précision et l’obscurité de la nouvelle notion de « rémunération », qui remplace la notion précédente de « taux de salaire minimal », sont incompatibles avec la clarté normative requise par le principe de sécurité juridique.

203. Cette branche du cinquième moyen d’annulation recoupe le deuxième moyen, dont j’ai déjà proposé le rejet.

204. Il est quelque peu paradoxal que le gouvernement hongrois n’adresse pas ce même grief (insécurité juridique) à la notion précédemment reprise dans la directive 96/71 (122), dont l’interprétation avait donné lieu à certaines difficultés, et qu’il l’oppose en revanche à une règle qui vise à surmonter ces difficultés herméneutiques.

205. Il est également paradoxal de reprocher à un texte de droit dérivé de mettre en péril la sécurité juridique, alors que la notion visée par le grief est reprise telle quelle dans l’article 153, paragraphe 5, TFUE.

206. La notion de rémunération reprise dans le nouvel article 3, paragraphe 1, troisième alinéa, de la directive 96/71, est liée à ce que prévoient la législation ou la pratique nationale de l’État membre sur le territoire duquel le travailleur est détaché. S’agissant de son contenu, elle comprendra tous les éléments constitutifs rendus obligatoires par des dispositions législatives, réglementaires ou administratives nationales, ou par des conventions collectives ou des sentences arbitrales qui, dans cet État membre, ont été déclarées d’application générale ou qui s’appliquent à un autre titre conformément au paragraphe 8 dudit article.

207. Le considérant 17 de la directive 2018/957 rappelle que la fixation des règles relatives à la rémunération relève de la compétence exclusive des États membres. Il appartient, de même, à ces derniers, ou aux partenaires sociaux, de fixer les salaires. L’article 153, paragraphe 5, TFUE le confirme en excluant les rémunérations de la compétence d’harmonisation des institutions de l’Union en matière de politique sociale.

208. Par conséquent, les divergences entre les règles applicables à la rémunération des travailleurs détachés sont inévitables tant que l’Union n’est pas compétente pour les harmoniser. Comme je l’ai déjà expliqué, il en allait de même pour la notion de « taux de salaire minimal » utilisée dans la version initiale de la directive 96/71, qui a nécessité des éclaircissements de la part de la Cour.

209. Il est vrai que la notion de « rémunération » nécessite, comme la plupart des notions utilisées dans ce domaine, un travail d’interprétation qui en précise les contours. Toutefois, cette caractéristique, qui est commune à de nombreuses autres notions similaires, ne suffit pas pour soutenir, comme le suggère le gouvernement hongrois, que la notion introduite par la directive 2018/957 serait imprécise au point d’enfreindre le principe de sécurité juridique.

210. Je rappelle en outre que, afin d’atténuer les problèmes auxquels peuvent être confrontés les travailleurs détachés et leurs entreprises, les nouveaux quatrième et cinquième alinéas de l’article 3, paragraphe 1, de la directive 96/71, imposent aux États membres un devoir de transparence, en vertu duquel ils doivent fournir sur un site Internet des informations pertinentes, exactes et actualisées, notamment sur « les éléments constitutifs de la rémunération visée au troisième alinéa du présent paragraphe et sur toutes les conditions de travail et d’emploi conformément au paragraphe 1 bis [dudit] article ».

IX.    Conclusion

211. Eu égard à ce qui précède, je propose à la Cour de :

1)      Rejeter, dans son intégralité, le recours introduit par la Hongrie.

2)      Condamner la Hongrie à supporter ses propres dépens, ainsi que ceux du Parlement européen et du Conseil de l’Union européenne.

3)      Condamner la Commission européenne et les gouvernements français, allemand et néerlandais à supporter leurs propres dépens.


1      Langue originale : l’espagnol.


2      Directive du Parlement européen et du Conseil, du 28 juin 2018, modifiant la directive 96/71/CE concernant le détachement de travailleurs effectué dans le cadre d’une prestation de services (JO 2018, L 173, p. 16).


3      Directive du Parlement européen et du Conseil, du 16 décembre 1996, concernant le détachement de travailleurs effectué dans le cadre d’une prestation de services (JO 1997, L 18, p. 1).


4      En vertu de l’article 2 de la directive 96/71, « on entend par “travailleur détaché”, tout travailleur qui, pendant une période limitée, exécute son travail sur le territoire d’un État membre autre que l’État sur le territoire duquel il travaille habituellement ».


      Selon la jurisprudence de la Cour, « il y a détachement de travailleurs par leur mise à disposition, au sens de l’article 1er, paragraphe 3, sous c), de la directive 96/71, lorsque trois conditions sont réunies. Premièrement, la mise à disposition de main-d’œuvre est une prestation de services fournie contre rémunération pour laquelle le travailleur reste au service de l’entreprise prestataire, sans qu’aucun contrat de travail soit conclu avec l’entreprise utilisatrice. Deuxièmement, cette mise à disposition se caractérise par la circonstance que le déplacement du travailleur dans l’État membre d’accueil constitue l’objet même de la prestation de services effectuée par l’entreprise prestataire. Troisièmement, dans le cadre d’une telle mise à disposition, le travailleur accomplit ses tâches sous le contrôle et la direction de l’entreprise utilisatrice » (arrêts du 14 novembre 2018, Danieli & C. Officine Meccaniche e.a., C-18/17, EU:C:2018:904 27, point 27, et du 18 juin 2015, Martin Meat, C-586/13, EU:C:2015:405, point 33 et jurisprudence citée).


5      Selon les dernières statistiques disponibles, il y a eu, en 2017, 2,8 millions de détachements transnationaux de travailleurs, d’une durée moyenne inférieure à 4 mois, qui, additionnés, ne représentent que 0,2 % de l’emploi total dans l’Union. Voir De Wispelaere, F. et Pacolet, J., Posting of workers Report on A1 Portable Documents issued in 2017, HIVA-KU Leuven, octobre 2018, p. 9, https://www.etk.fi/wp-content/uploads/Komissio-tilastoraportti-Posting-of-workers-2017.pdf. Les statistiques révèlent cependant que le nombre de travailleurs détachés a augmenté de 83 % entre 2010 et 2017. La répartition de ces travailleurs par secteurs économiques est la suivante : construction (46,5 %), autres services (26,7 %), industrie (25,9 %) et agriculture (0,9 %).


6      La tendance générale voit les États ayant des coûts de main-d’œuvre moins élevés exporter des travailleurs détachés vers les États ayant de meilleures conditions de travail. Voir les données reprises dans Bradley, H., Tugran, T., Markowska, A. y Fries-Tersch, E., 2018 Annual Report on intra-EU Labor Mobility, 2019, https://op.europa.eu/en/publication-detail/-/publication/2c170ce2-4c55-11e9-a8ed-01aa75ed71a1/language-en/format-PDF. Il ressort de ce rapport que la Pologne, la Hongrie ou la Lituanie sont des États exportateurs et que l’Allemagne, la France ou les Pays-Bas sont des États récepteurs.


7      Voir, par exemple, arrêts du 17 décembre 1981, Webb (279/80, EU:C:1981:314), du 3 février 1982, Seco et Desquenne & Giral (affaires jointes 62/81 et 63/81, ci-après l’« arrêt Seco et Desquenne & Giral », EU:C:1982:34), et du 27 mars 1990, Rush Portuguesa (C-113/89, EU:C:1990:142).


8      Arrêts du 28 mars 1996, Guiot (C-272/94, ci-après l’« arrêt Guiot », EU:C:1996:147, point 10), du 23 novembre 1999, Arblade e.a. (affaires jointes C-369/96 et C-376/96, ci-après l’« arrêt Arblade e.a. », EU:C:1999:575, point 33), et du 15 mars 2001, Mazzoleni et ISA (C-165/98, EU:C:2001:162, point 22). Plus récemment, voir arrêts du 13 novembre 2018, Čepelnik (C-33/17, ci-après l’« arrêt Čepelnik », EU:C:2018:896, points 37 et 38), et du 12 septembre 2019, Maksimovic e.a. (affaires jointes C-64/18, C-140/18, C-146/18 et C-148/18, ci-après l’« arrêt Maksimovic e.a. », EU:C:2019:723, points 30 et 31).


9      Arrêt Seco et Desquenne & Giral.


10      Arrêt Guiot.


11      Arrêt Arblade e.a., points 58 et 59, et arrêt Maksimovic e.a., point 31.


12      Arrêts Arblade e.a., points 34 et 35, du 24 janvier 2002, Portugaia Construções (C-164/99, EU:C:2002:40, point 19), et du 21 septembre 2006, Commission/Autriche (C-168/04, EU:C:2006:595, point 37).


13      Arrêt Arblade e.a., point 80. À titre d’exemple, voir arrêts du 15 mars 2001, Mazzoleni et ISA (C-165/98, EU:C:2001:162, point 27), du 25 octobre 2001, Finalarte e.a. (affaires jointes C-49/98, C-50/98, C-52/98 à C-54/98 et C-68/98 à C-71/98, EU:C:2001:564, point 33), du 24 janvier 2002, Portugaia Construções (C-164/99, EU:C:2002:40, point 20), et du 12 octobre 2004, Wolff & Müller (C-60/03, EU:C:2004:610, point 35).


14      Arrêt Seco et Desquenne & Giral, point 10.


15      Arrêts Guiot, point 15, et Arblade e.a., point 51.


16      Arrêt du 12 octobre 2004, Wolff & Müller (C-60/03, EU:C:2004:610, points 35, 36 et 41).


17      Point 14.


18      Arrêt du 3 décembre 2014, De Clercq e.a. (C-315/13, ci-après l’« arrêt De Clercq e.a », EU:C:2014:2408, point 66 et jurisprudence citée).


19      Arrêts Maksimovic e.a., point 26, et De Clercq e.a., point 47.


20      Point 50.


21      Point 50.


22      Arrêt du 14 novembre 2018, Danieli & C. Officine Meccaniche e.a. (C-18/17, EU:C:2018:904, point 44 et jurisprudence citée).


23      Arrêt du 21 octobre 2004, Commission/Luxembourg (C-445/03, EU:C:2004:655, point 24).


24      C’est le cas de figure le plus fréquent : une entreprise établie dans un État membre détache, aux fins d’une prestation de services transnationale, des travailleurs, pour son compte et sous sa direction, sur le territoire d’un autre État membre. Un contrat est conclu entre l’entreprise d’envoi et le destinataire de la prestation de services opérant dans ce dernier État membre, pour autant qu’il existe une relation de travail entre cette entreprise et le travailleur pendant la période de détachement. Voir arrêts du 3 avril 2008, Rüffert (C-346/06, ci-après l’« arrêt Rüffert », EU:C:2008:189, point 19) et du 19 décembre 2019, Dobersberger (C-16/18, ci-après l’« arrêt Dobersberger », EU:C:2019:1110, point 29).


25      Considérant 13. Italique ajouté.


26      Arrêts du 12 février 2015, Sähköalojen ammattiliitto (C-396/13, ci-après l’« arrêt Sähköalojen ammattiliitto », EU:C:2015:86, point 28), et du 18 décembre 2007, Laval un Partneri (C-341/05, ci-après l’« arrêt Laval un Partneri », EU:C:2007:809, points 74 et 76).


27      Je me réfère à cet égard à l’étude de Eckhard Voss, Michele Faioli, Jean-Philippe Lhernould, Feliciano Iudicone, Fondazione Giacomo, Posting of Workers Directive – current situation and challenges, European Parliament, 2016, http://www.europarl.europa.eu/RegData/etudes/STUD/2016/579001/IPOL_STU(2016)579001_EN.pdf, et à Fotonopoulou Basurko, O., « Reflexiones en torno a la noción de habitualidad vs. temporalidad en las normas de derecho internacional privado del trabajo europeas », in Fotonopoulou Basurko, O., (coord.), El desplazamiento de trabajadores en el marco de la Unión europea : presente y futuro, Atelier, Barcelone, 2018, p. 258 à 262.


28      Arrêts du 14 avril 2005, Comission/Allemagne (C-341/02, EU:C:2005:220, points 25 à 43), du 7 novembre 2013, Isbir (C-522/12, ci-après l’« arrêt Isbir », EU:C:2013:711, points 39 à 45), et Sähköalojen ammattiliitto, points38 à 70.


29      Arrêt Laval un Partneri, spécialement les points 80 et 81.


30      Arrêt Laval un Partneri, point 111.


31      Arrêt du 11 décembre 2007 (C-438/05, EU:C:2007:772).


32      Arrêt du 19 juin 2008 (C-319/06, EU:C:2008:350).


33      L’arrêt du 17 novembre 2015, RegioPost (C-115/14, EU:C:2015:760) a entraîné un certain changement d’orientation, en ce que la Cour y a jugé que « l’article 26 de la directive 2004/18, lu conjointement avec la directive 96/71, permet à l’État membre d’accueil de prévoir, dans le cadre de l’attribution d’un marché public, une règle impérative de protection minimale visée à l’article 3, paragraphe 1, premier alinéa, sous c), de cette directive, telle que celle en cause au principal, qui impose le respect par les entreprises établies dans d’autres États membres d’un taux de salaire minimal au bénéfice de leurs travailleurs détachés sur le territoire de l’État membre d’accueil pour l’exécution de ce marché public. En effet, une telle règle fait partie du niveau de protection qui doit être garanti auxdits travailleurs » (point 66).


34      Kilpatrick, C., « Laval’s regulatory conundrum : collective standard-setting and the Court’s new approach to posted workers », European Law Review, n.º 6, 2009, p. 848 ; Rocca, M., Posting of Workers and Collective Labour Law : There and Back Again. Between Internal Markets and Fundamental Rights, Intersentia, Anvers, 2015, p. 181 à 204.


35      Voir l’analyse de Van Nuffel, P. et Afanasjeva, S., « The Posting Workers Directive revised : enhancing the protection of workers in the cross-border provision of services », European Papers, 2018, no 3, p. 1411 à 1413.


36      Perdisini, M. y Pallini, M., Exploring the fraudulent contracting of work in the European Union, 2016, Eurofound, p. 9 à 18.


37      La directive 2014/67 s’est attelée à la problématique des sociétés dites « boîtes aux lettres » et a renforcé la capacité des États membres à superviser les conditions de travail et à assurer le respect des règles applicables. Elle énumère notamment les critères démontrant l’existence d’un lien réel entre l’employeur et l’État membre d’établissement, qui s’appliquent également à la vérification de la qualité de travailleur détaché.


38      Voir Marchal Escalona, N., « El desplazamiento de trabajadores en el marco de una prestación transnacional de servicios : hacia un marco normativo europeo más seguro, justo y especializado », Revista de Derecho Comunitario Europeo, 2019, no 1, p. 91 à 95.


39      Proposition de directive du Parlement européen et du Conseil modifiant la directive 96/71/CE du Parlement européen et du Conseil du 16 décembre 1996 concernant le détachement de travailleurs effectué dans le cadre d’une prestation de services (COM/2016/0128 final).


40      Communication de la Commission au Parlement européen, au Conseil et aux parlements nationaux relative à la proposition de directive modifiant la directive concernant le détachement de travailleurs, en ce qui concerne le principe de subsidiarité, conformément au protocole nº 2 (COM/2016/0505 final).


41      Voir l’analyse de Van Nuffel, P. et Afanasjeva, S., « The Posting Workers Directive revised : enhancing the protection of workers in the cross-border provision of service s », European Papers, 2018, no 3, p. 1414 à 1416.


42      Proposition de règlement du Parlement européen et du Conseil modifiant le règlement (CE) nº 883/2004 portant sur la coordination des systèmes de sécurité sociale et le règlement (CE) nº 987/2009 fixant les modalités d’application du règlement (CE) nº 883/2004 [COM/2016/0815 final - 2016/0397 (COD)].


43      Règlement (UE) 2019/1149 du Parlement européen et du Conseil, du 20 juin 2019, instituant l’Autorité européenne du travail, modifiant les règlements (CE) no 883/2004, (UE) no 492/2011 et (UE) 2016/589, et abrogeant la décision (UE) 2016/344 (JO 2019, L 186, p. 2).


44      Arrêt du 3 décembre 2019, République tchèque/Parlement et Conseil (C-482/17, ci-après l’« arrêt République tchèque/Parlement et Conseil », EU:C:2019:1035).


45      Arrêt République tchèque/Parlement et Conseil, point 31.


46      Arrêt République tchèque/Parlement et Conseil, point 32.


47      Arrêt République tchèque/Parlement et Conseil, point 42.


48      Arrêt République tchèque/Parlement et Conseil, point 38.


49      Arrêt du 21 juin 2018, Pologne/Parlement et Conseil (C-5/16, EU:C:2018:483, point 49).


50      Arrêt du 27 janvier 2000, DIR International Film e.a./Commission (C-164/98 P, EU:C:2000:48, point 26).


51      Le considérant 1 évoque ainsi le fait de : « […] garantir des conditions de concurrence équitables aux entreprises et le respect des droits des travailleurs ». Le considérant 4 fait également allusion à cette dualité : la directive 2018/957 entend apprécier si la directive 96/71 « parvient encore à établir un juste équilibre entre la nécessité de promouvoir la libre prestation des services et d’assurer des conditions de concurrence équitables, d’une part, et la nécessité de protéger les droits des travailleurs détachés, d’autre part ».


52      Le considérant 2 expose ce qui suit : « La libre prestation des services donne notamment le droit aux entreprises de fournir des services sur le territoire d’un autre État membre et de détacher temporairement leurs propres travailleurs sur le territoire dudit État membre à cette fin ».


53      Le considérant 3 réaffirme que la justice et la protection sociales visent à protéger les travailleurs détachés. Les considérants 5 à 9 insistent également sur la protection de ces travailleurs.


54      Le considérant 24 rappelle cet équilibre : « La présente directive met en place un cadre équilibré en ce qui concerne la libre prestation des services et la protection des travailleurs détachés, qui est non discriminatoire, transparent et proportionné, tout en respectant la diversité des relations de travail au niveau national. La présente directive n’empêche pas l’application de conditions de travail et d’emploi plus favorables pour les travailleurs détachés ».


55      Dénomination retenue par Marchal Escalona, N., « El desplazamiento de trabajadores en el marco de una prestación transnacional de servicios : hacia un marco normativo europeo más seguro, justo y especializado », Revista de Derecho Comunitario Europeo, 2019, no 1, p. 96 à 98.


56      Sont inclues, sous h), « les conditions d’hébergement des travailleurs lorsque l’employeur propose un logement aux travailleurs éloignés de leur lieu de travail habituel » et, sous i), « les allocations ou le remboursement de dépenses en vue de couvrir les dépenses de voyage, de logement et de nourriture des travailleurs éloignés de leur domicile pour des raisons professionnelles ».


57      Directive du Parlement européen et du Conseil, du 19 novembre 2008, relative au travail intérimaire (JO 2008, L 327, p. 9).


58      Points 41 à 44 des présentes conclusions.


59      Arrêt République tchèque/Parlement et Conseil, point 42.


60      Arrêt République tchèque/Parlement et Conseil, points 38 et 39.


61      Arrêt du 12 février 2015, Parlement/Conseil (C-48/14, EU:C:2015:91, point 36 et jurisprudence citée).


62      Arrêts du 13 septembre 2007, Del Cerro Alonso (C-307/05, EU:C:2007:509, points 39 et 40) et du 15 avril 2008, Impact (C-268/06, EU:C:2008:223, points 123 et 124).


63      Arrêts du 13 septembre 2007, Del Cerro Alonso (C-307/05, EU:C:2007:509, point 41), du 15 avril 2008, Impact (C-268/06, EU:C:2008:223, point 125), et du 19 juin 2014, Specht e.a. (affaires jointes C-501/12 à C-506/12, C-540/12 et C-541/12, EU:C:2014:2005, point 33).


64      « Il relève de la compétence des États membres de fixer les règles relatives à la rémunération conformément à la législation et/ou aux pratiques nationales. La détermination des salaires relève de la compétence exclusive des États membres et des partenaires sociaux. Il convient de veiller en particulier à ce qu’il ne soit pas porté atteinte aux systèmes nationaux de détermination des salaires ou à la liberté des parties concernées ».


65      Arrêt Isbir, points36 et 37.


66      Un acte est entaché de détournement de pouvoir s’il apparaît, sur la base d’indices objectifs, pertinents et concordants, qu’il a été pris exclusivement, ou à tout le moins de manière déterminante, à des fins autres que celles pour lesquelles le pouvoir en cause a été conféré ou dans le but d’éluder une procédure spécialement prévue par les traités pour parer aux circonstances de l’espèce (arrêt du 16 avril 2013, Espagne et Italie/Conseil, affaires jointes C-274/11 et C-295/11, EU:C:2013:240, point 33 et jurisprudence citée).


67      Arrêts du 18 septembre 2003, Bosal (C-168/01, EU:C:2003:479, points 25 et 26), du 26 octobre 2010, Schmelz (C-97/09, EU:C:2010:632, point 50), et du 2 septembre 2015, Groupe Steria (C-386/14, EU:C:2015:524, point 39). Voir par analogie, en matière de libre circulation des marchandises, arrêts du 25 juin 1997, Kieffer et Thill (C-114/96, EU:C:1997:316, point 27), et du 12 juillet 2012, Association Kokopelli (C-59/11, EU:C:2012:447, point 80).


68      Arrêt du 13 mai 1997, Allemagne/Parlement et Conseil (C-233/94, EU:C:1997:231, point 17) : « […] les États membres peuvent dans certaines circonstances adopter ou maintenir des mesures faisant obstacle à la libre circulation. Ce sont notamment de tels obstacles que l’article 57, paragraphe 2, du traité permet à la Communauté d’éliminer par la coordination des dispositions législatives, réglementaires et administratives des États membres concernant l’accès aux activités non salariées et l’exercice de celles-ci. Étant donné qu’il s’agit de mesures de coordination, la Communauté tient compte de l’intérêt général poursuivi par les différents États membres et arrête un niveau de protection de cet intérêt qui paraît acceptable dans la Communauté ».


69      Arrêt République tchèque/Parlement et Conseil, point 76.


70      Arrêt République tchèque/Parlement et Conseil, point 77 et jurisprudence citée.


71      Arrêt République tchèque/Parlement et Conseil, point 78 et jurisprudence citée.


72      Arrêt République tchèque/Parlement et Conseil, point 79 et jurisprudence citée. En vertu de l’article 5 du protocole (no 2) sur l’application des principes de subsidiarité et de proportionnalité, joint en annexe au traité UE et au traité FUE, les projets d’actes législatifs tiennent compte de la nécessité de faire en sorte que toute charge incombant aux opérateurs économiques soit la moins élevée possible et à la mesure de l’objectif à atteindre.


73      Arrêt République tchèque/Parlement et Conseil, point 81 et jurisprudence citée.


74      La Cour a jugé dans l’arrêt du 9 août 1994, Vander Elst (C-43/93, EU:C:1994:310, point 16) que « […] la libre prestation de services en tant que principe fondamental du traité ne peut être limitée que par des réglementations justifiées par des raisons impérieuses d’intérêt général et s’ appliquant à toute personne ou entreprise exerçant une activité sur le territoire de l’État destinataire, dans la mesure où cet intérêt n’ est pas sauvegardé par les règles auxquelles le prestataire est soumis dans l’État membre où il est établi […] ».


75      Directive du Parlement européen et du Conseil, du 12 décembre 2006, relative aux services dans le marché intérieur (JO 2006, L 376, p. 36).


76      Règlement du Parlement européen et du Conseil, du 29 avril 2004, sur la coordination des systèmes de sécurité sociale (JO 2004, L 166, p. 1), modifié par le règlement (CE) no 987/2009 du Parlement européen et du Conseil, du 16 septembre 2009, fixant les modalités d’application du règlement (CE) no 883/2004 portant sur la coordination des systèmes de sécurité sociale (JO 2009, L 284, p. 1), et par le règlement (UE) no 465/2012 du Parlement européen et du Conseil, du 22 mai 2012, modifiant le règlement (CE) no 883/2004 portant sur la coordination des systèmes de sécurité sociale et le règlement (CE) no 987/2009 fixant les modalités d’application du règlement (CE) no 883/2004 (JO 2012, L 149, p. 4).


77      L’article 1er, paragraphe 6, de cette directive désigne par les termes « droit du travail » « les dispositions légales ou contractuelles concernant les conditions d’emploi, les conditions de travail, y compris la santé et la sécurité au travail, et les relations entre les employeurs et les travailleurs, que les États membres appliquent conformément à leur législation nationale respectant le droit communautaire ».


78      Arrêt Čepelnik, points 29 à 36.


79      Le considérant 86 de la directive 2006/123 confirme également que cet acte général d’harmonisation en matière de commercialisation de services dans le marché intérieur ne s’étend pas aux conditions de travail et d’emploi qui, conformément à la directive 96/71, s’appliquent aux travailleurs détachés dans le cadre d’une prestation de service sur le territoire d’un autre État membre.


80      Arrêt Arblade e.a., point 34.


81      Arrêt De Clercq e.a., points 45 à 47, et du 7 octobre 2010, dos Santos Palhota e.a. (C-515/08, EU:C:2010:589, points 25 à 27 et 45).


82      Arrêt Laval un Partneri, point 80.


83      Document de travail des services de la Commission SWD(2016) 52 final, du 8 mars 2016, intitulé « Analyse d’impact accompagnant la proposition de directive du Parlement européen et du Conseil modifiant la directive 96/71/CE concernant le détachement de travailleurs effectué dans le cadre d’une prestation de services ».


84      Arrêt République tchèque/Parlement et Conseil, point 77.


85      Cette exception est inspirée par le désir de promouvoir, dans la mesure du possible, la libre prestation de services et d’éviter d’inutiles et coûteuses complications administratives ou de toute autre nature, qui ne seraient pas dans l’intérêt des travailleurs, des entreprises ou des administrations de sécurité sociale.


86      Règlement (CE) no 593/2008 du Parlement européen et du Conseil, du 17 juin 2008, sur la loi applicable aux obligations contractuelles (Rome I) (JO 2008, L 177, p. 6).


87      La seule exception à cette règle est énoncée à l’article 3, paragraphe 7, de la directive 96/71, qui prévoit que l’application du droit du travail de l’État d’accueil ne fait pas obstacle à l’application de conditions de travail plus favorables pour les travailleurs. Cela signifie que le travailleur détaché peut continuer à bénéficier du droit du travail et des conditions de travail du pays d’origine lorsque ceux-ci sont plus favorables que ceux de l’État d’accueil. Dans de telles circonstances, l’État d’accueil doit reconnaître la validité de l’application de la législation de l’État d’origine et ne pas imposer d’obstacles supplémentaires au détachement des travailleurs aux fins d’une prestation de services transnationale.


88      Arrêt République tchèque/Parlement et Conseil, point 77.


89      Arrêts du 22 mars 2007, Talotta (C-383/05, EU:C:2007:181, point 18), et Laval un Partneri, point 115.


90      Il s’agit d’un noyau de règles impératives de protection minimale, applicables dans des matières pour lesquelles l’État d’accueil peut exiger le respect de son droit national (arrêts Laval un Partneri, point 59, et du 19 juin 2008, Commission/Luxembourg, C-319/06, EU:C:2008:350, point 26).


91      Italique ajouté.


92      Point 4.5.2 du document de travail de la Commission SWD(2016) 52 final, du 8 mars 2016.


93      Considérant 19 de la directive 2018/957.


94      Arrêts du 8 juin 2010, Vodafone e.a. (C-58/08, EU:C:2010:321, point 51), du 12 juillet 2012, Association Kokopelli (C-59/11, EU:C:2012:447, point 38) et du 16 juin 2015, Gauweiler e.a. (C-62/14, EU:C:2015:400, point 67).


95      Arrêts République tchèque/Parlement et Conseil, point 78, et du 8 juillet 2010, Afton Chemical (C-343/09, EU:C:2010:419, point 46).


96      Document de travail de la Commission SWD(2016) 52 final, du 8 mars 2016, p. 23 et ss.


97      Lors de l’audience, le gouvernement français a insisté sur ces difficultés pratiques en soulignant qu’il existait en France une distinction entre le salaire minimal (SMIC) et les « taux de salaire minimal » au sens de la directive 96/71. Ces derniers incluent, outre le salaire minimal, des primes de risque et de travail de nuit, qui doivent également être versées aux travailleurs détachés.


98      Points 38 à 70.


99      Document de travail de la Commission SWD(2016) 52 final, du 8 mars 2016, p. 10 et 11.


100      « [L]e soin de définir quels sont les éléments constitutifs de la notion de salaire minimal, pour l’application de cette directive, relève du droit de l’État membre du détachement, pour autant que cette définition, telle qu’elle résulte de la législation ou des conventions collectives nationales pertinentes ou de l’interprétation qu’en donnent les juridictions nationales, n’a pas pour effet d’entraver la libre prestation des services entre les États membres ». Arrêts Sähköalojen ammattiliitto, point 34, et Isbir, point 37.


101      Arrêt Sähköalojen ammattiliitto, point 39.


102      Voir Fondazione Giacomo Brodolini (FGB), Study on wage setting systems and minimum rates of pay applicable to posted workers in accordance with Directive 97/71/EC in a selected number of Member States and sectors, Final report, Novembre 2015 ; Schiek, Oliver, Forde, Alberti, EU Social and Labour Rights and EU Internal Market Law, Study for the EMPL Committee, European Parliament, Septembre 2015 (http://www.europarl.europa.eu/RegData/etudes/STUD/2015/563457/IPOL_STU%282015 %29563457_EN.pdf) ;


103      Document de travail de la Commission SWD(2016) 52 final, du 8 mars 2016, p. 11 à 14.


104      « Le détachement est de nature temporaire. Les travailleurs détachés retournent habituellement dans l’État membre à partir duquel ils ont été détachés après avoir accompli le travail pour lequel ils étaient détachés. Cependant, eu égard à la longue durée de certains détachements et compte tenu du lien entre le marché du travail de l’État membre d’accueil et les travailleurs détachés pour ces longues périodes, lorsque le détachement porte sur des périodes d’une durée supérieure à douze mois, les États membres d’accueil devraient veiller à ce que les entreprises qui détachent des travailleurs sur leur territoire garantissent à ces travailleurs un ensemble de conditions de travail et d’emploi supplémentaires qui s’appliquent obligatoirement aux travailleurs dans l’État membre sur le territoire duquel le travail est exécuté. Cette période devrait être prolongée lorsque le prestataire de services soumet une notification motivée ».


105      « Il est nécessaire d’accorder une plus grande protection aux travailleurs afin de préserver la libre prestation de services sur une base équitable, tant à court qu’à long terme, notamment en empêchant toute violation des droits garantis par les traités. Cependant, les règles garantissant une telle protection des travailleurs ne sauraient porter atteinte au droit des entreprises détachant des travailleurs sur le territoire d’un autre État membre d’invoquer la libre prestation des services, y compris dans les cas où la durée du détachement est supérieure à douze mois ou, le cas échéant, à dix-huit mois. Toute disposition applicable aux travailleurs détachés dans le cadre d’un détachement d’une durée supérieure à douze mois ou, le cas échéant, à dix-huit mois, doit donc être compatible avec cette liberté. Selon une jurisprudence constante, les restrictions à la libre prestation des services ne peuvent être admises que si elles se justifient par des raisons impérieuses d’intérêt général et si elles sont proportionnées et nécessaires ».


106      La Commission avait préconisé de modifier le régime juridique du contrat de travail individuel des travailleurs détachés pour une longue durée, en recommandant de leur appliquer le droit du travail du pays d’accueil. Voir article 2 bis de la proposition de directive (COM/2016/0128 final) et analyse d’impact SWD(2016) 52 final, p. 25.


107      Arrêts Dobersberger, point 24 et du 22 décembre 2010, Yellow Cab Verkehrsbetrieb (C-338/09, EU:C:2010:814, point 29).


108      Conclusions de l’avocat général Szpunar dans l’affaire Dobersberger (C-16/18, EU:C:2019:638, point 36).


109      Voir article 1er, paragraphe 2, de la directive 96/71.


110      Article 9, paragraphe 1, sous b), de la directive 2014/67. La déclaration commune annexée au procès-verbal du Conseil « Travail et affaires sociales » du 24 septembre 1996 (document 10048/96 add. 1 du 20 septembre 1996, annexe C.1) précise que les travailleurs mobiles dans les transports ferroviaires, terrestres, aériens ou fluviaux ne sont exclus du champ d’application de la directive 96/71 qu’en l’absence de prestation transnationale de service avec détachement du travailleur.


111      Considérant 11 du règlement (CE) no 1072/2009 du Parlement européen et du Conseil, du 21 octobre 2009, établissant des règles communes pour l’accès au marché du transport international de marchandises par route (JO 2009, L 300, p. 72), et considérant 17 du règlement (CE) no 1073/2009 du Parlement européen et du Conseil, du 21 octobre 2009, établissant des règles communes pour l’accès au marché international des services de transport par autocars et autobus, et modifiant le règlement (CE) no 561/2006 (JO 2009, L 300, p. 88).


112      « En raison de la nature hautement mobile du travail dans le transport routier international, la mise en œuvre de la présente directive dans ce secteur soulève des questions et des difficultés juridiques particulières qui doivent faire l’objet, dans le cadre du paquet “mobilité”, de règles spécifiques pour le transport routier, destinées également à renforcer la lutte contre la fraude et les abus ».


113      L’application de la directive 96/71 aux travailleurs détachés dans le secteur du transport routier est actuellement analysée dans le cadre de l’affaire C-815/18, Federatie Nederlandse Vakbeweging, pendante devant la grande chambre.


114      Proposition de directive du Parlement européen et du Conseil modifiant la directive 2006/22/CE quant aux exigences en matière de contrôle et établissant des règles spécifiques en ce qui concerne la directive 96/71/CE et la directive 2014/67/UE pour le détachement de conducteurs dans le secteur du transport routier, COM(2017) 278 final, du 31 mai 2017.


115      Aux termes de l’article 23 du règlement Rome I « […] le présent règlement n’affecte pas l’application des dispositions de droit communautaire qui, dans des domaines particuliers, règlent les conflits de lois en matière d’obligations contractuelles ».


116      Voir l’analyse de Van Hoek, A., « Re-embedding the transnational employment relationship : a tale about the limitations of (EU) law ? », Common Market Law Review, 2018, no 3, p. 455 à 460.


117      Voir conclusions de l’avocat général Wahl dans l’affaire Sähköalojen ammattiliitto (C-396/13, EU:C:2014:2236, points 47 à 53).


118      En réalité, la directive 96/71 ne supplante pas le règlement Rome I mais impose de combiner les deux actes. Selon l’article 3, paragraphes 1 et 1 bis, « [l]es États membres veillent à ce que, quelle que soit la loi applicable à la relation de travail, […] » une série de conditions de travail de l’État membre d’accueil soient appliquées. Cela suppose que la loi applicable au contrat de travail est déterminée conformément à l’article 8 du règlement Rome I, mais que les effets de cette loi sont limités, dès lors que l’article 3, paragraphes 1 et 1 bis, de la directive 96/71 impose que le contrat de travail soit en tout état de cause soumis à certaines conditions de travail réglementées par le droit de l’État d’accueil.


119      Proposition de règlement du Parlement européen et du Conseil sur la loi applicable aux obligations contractuelles (Rome I) (COM/2005/0650 final), du 15 décembre 2005, p. 24.


120      Selon une jurisprudence constante, le principe de sécurité juridique exige que les règles du droit soient claires, précises et prévisibles dans leurs effets, afin que les intéressés puissent s’orienter dans des situations et des relations juridiques relevant de l’ordre juridique de l’Union (arrêt du 5 mai 2015, Espagne/Conseil, C-147/13, EU:C:2015:299, point 79).


121      « Lorsqu’une entreprise […] remplace un travailleur détaché par un autre travailleur détaché effectuant la même tâche au même endroit, la durée du détachement aux fins du présent paragraphe correspond à la durée cumulée des périodes de détachement de chacun des travailleurs détachés concernés ».


122      Le gouvernement hongrois s’est exprimé en ce sens lors de l’audience.