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CONCLUSIONS DE L'AVOCAT GÉNÉRAL
MME JULIANE KOKOTT
présentées le 14 octobre 2004(1)


Affaire C-428/02



Fonden Marselisborg Lystbådehavn
contre
Skatteministeriet

et


[demande de décision préjudicielle formée par le Vestre Landsret (Danemark)]



Skatteministeriet
contre
Fonden Marselisborg Lystbådehavn



[demande de décision préjudicielle formée par le Vestre Landsret (Danemark)]

«Sixième directive TVA – Article 13, B, sous b) – Opérations exonérées – Location de biens immeubles – Exceptions – Location d'emplacements pour le stationnement des véhicules – Emplacements sur l'eau pour bateaux et places à terre pour l'hivernage des bateaux»






I –    Introduction

1.        Cette ordonnance de renvoi émanant du Vestre Landsret (Danemark) concerne le statut, au regard de la taxe sur la valeur ajoutée (ci-après la «TVA»), de la location d’emplacements sur l’eau pour bateaux dans un port de plaisance et de places à terre pour l’hivernage des bateaux de plaisance. Ces prestations pourraient être exonérées de la TVA, conformément à l’article 13, B, sous b), de la sixième directive 77/388/CEE du Conseil, du 17 mars 1977, en matière d'harmonisation des législations des États membres relatives aux taxes sur le chiffre d'affaires - Système commun de taxe sur la valeur ajoutée: assiette uniforme (ci-après la «sixième directive»)  (2) , à condition qu’il s’agisse de la location d’immeubles. En revanche, l’exonération ne serait pas applicable si les emplacements sur l’eau et les places à terre devaient être qualifiés d’«emplacements pour le stationnement des véhicules».

II –   Cadre juridique

A –    Droit communautaire

2.        En vertu de l'article 2, point 1, de la sixième directive, les prestations de services, effectuées à titre onéreux à l'intérieur du pays, sont en principe soumises à la TVA. Ainsi qu'il ressort de l'article 4, paragraphe 2, deuxième phrase, de cette même directive, «[…] une opération comportant l'exploitation d'un bien corporel […] en vue d'en retirer des recettes ayant un caractère de permanence» est également considérée comme une activité économique assujettie à ladite taxe.

3.        Sont, sous certaines conditions, exonérées de la TVA, conformément à l'article 13, B, sous b), de la sixième directive:

«l'affermage et la location de biens immeubles, à l'exception:

1.des opérations d'hébergement telles qu'elles sont définies dans la législation des États membres qui sont effectuées dans le cadre du secteur hôtelier ou de secteurs ayant une fonction similaire, y compris les locations de camps de vacances ou de terrains aménagés pour camper;

2.des locations d'emplacement pour le stationnement des véhicules;

3.des locations d'outillages et de machines fixés à demeure;

4.des locations de coffres-forts.

Les États membres ont la faculté de prévoir des exclusions supplémentaires au champ d'application de cette exonération».

B –    Droit danois

4.        En vertu de l'article 13, paragraphe 1, point 8, de la loi danoise en matière de TVA, les marchandises et prestations suivantes sont exonérées de TVA:

«L'administration, la location et l'affermage de biens immeubles ainsi que la fourniture de gaz, d'eau, d'électricité et de chauffage liée à la location ou à l'affermage. L'exonération ne couvre cependant pas la location de chambres dans des hôtels ou des établissements assimilés, la location de chambres dans des établissements qui louent pour une durée inférieure à un mois, la location de places de camping, de parking ou d'emplacements publicitaires ainsi que la location de consignes.»

5.        De plus, les lignes directrices en matière de TVA 2001, point D.11.8, concernant la pratique administrative au Danemark, précisent ce qui suit:

«La location, par les clubs de voile, d'emplacements pour bateaux, de places à terre, d'emplacements de port ou de chantier est soumise à la TVA, même si la location n'intervient qu'au profit des membres de l'association.

Il convient donc de payer la TVA sur la location des places, y compris éventuellement les droits d'entrée ou le dépôt exigés en cas de location à des locataires fixes, ainsi que sur les taxes portuaires exigées des visiteurs lorsqu'ils utilisent le port.»

6.        En vertu de l'article 39, paragraphe 5, de la loi danois sur la TVA, la taxe concernant les installations, les réparations et le maintien en état d'installations portuaires, à l'exception des bâtiments, peut être déduite en tant que taxe en amont.

III –   Faits, questions préjudicielles et procédure

7.        La Fonden Marselisborg Lystbådehavn (fondation du port de plaisance de Marselisborg (Danemark), ci-après «FML») est une fondation qui entretient et gère un port de plaisance. Celle-ci loue dans ce port des emplacements sur l’eau pour bateaux et des places à terre pour l’hivernage des bateaux. Ces prestations peuvent être combinées ou non. Les emplacements sur l’eau peuvent être loués à long terme, mais également à court terme, c’est-à-dire sur une base mensuelle ou journalière.

8.        En cas de location combinée de longue durée d’un emplacement sur l’eau et d'une place à terre, le locataire doit acquitter, outre un loyer, également un dépôt. Le montant de ces deux sommes est fonction notamment de la taille de la place nécessaire au bateau.

9.        En contrepartie, le propriétaire du bateau se voit attribuer, pour une année, un emplacement fixe déterminé attaché à une perche ou à un pont flottant, en fonction de la taille de son bateau. Si ce propriétaire ne souhaite pas utiliser son emplacement pendant plus de 24 heures, cette place est mise à la disposition des visiteurs, sans compensation. En outre, le locataire se voit attribuer un emplacement à terre, consistant en un ber numéroté placé dans une aire particulière du terrain appartenant au port où il peut garder son bateau en dehors de la saison, et auquel il a librement accès. Enfin, le locataire a le droit de bénéficier des facilités communes du port, telles que les toilettes et les douches.

10.      Les propriétaires de bateaux qui ne louent qu’un emplacement sur l’eau pour une longue durée ou sur une base mensuelle n’ont pas à verser de dépôt, mais doivent, à la place, acquitter un loyer plus élevé. Ils se voient également attribuer, pour la durée de la location, un emplacement fixe. Les visiteurs, qui ne restent dans le port qu’un ou plusieurs jours, se voient attribuer des emplacements libres.

11.      Les places à terre peuvent également être louées indépendamment de tout emplacement sur l’eau.

12.      L’administration fiscale a fait savoir à FML que l’ensemble de son activité était assujetti à la TVA. Le Landsskatteret (Danemark) (tribunal de première instance) a confirmé, à la suite du recours de FML à l’encontre de ce renseignement, le point de vue de l’administration fiscale s’agissant des emplacements sur l’eau pour bateaux, leur location ne relevant pas de l’exonération applicable à la location d’immeubles. En revanche, il a jugé que la location de places à terre était exonérée. Tant FML que le Skatteministeriet (ministère des Finances danois) ont attaqué cette décision devant le Vestre Landsret, lequel, par ordonnance du 22 novembre 2002, a saisi la Cour des questions préjudicielles suivantes conformément à l’article 234 CE:

«1)L'article 13, B, sous b), de la sixième directive […] doit-il être interprété en ce sens que la notion de ‘location de biens immeubles’ comporte la location d'un emplacement pour bateaux, qui consiste en une partie à terre de l'aire portuaire, ainsi qu'un emplacement délimité et identifiable sur l'eau?

2)L'article 13, B, sous b), point 2, de la sixième directive doit-il être interprété en ce sens que la notion de ‘véhicules’ couvre les bateaux?»

13.      Dans la procédure devant la Cour, FML, les gouvernements danois et grec ainsi que la Commission des Communautés européennes ont présenté des observations. À l’exception de FML, tous les intéressés considèrent que la location d’emplacements pour bateaux l’eau et à terre est assujettie à la TVA. Tandis que les États membres estiment que les emplacements sur l’eau ne sont de toute façon pas des immeubles au sens de ladite directive, la Commission est sur ce point d’un autre avis. Lesdits gouvernements et la Commission sont toutefois d’accord sur le fait qu’il y a lieu d’appliquer l’exclusion de l’exonération fiscale qui concerne les emplacements de stationnement des véhicules. Selon FML, en revanche, la règle visant les places de stationnement des véhicules n’est pas applicables aux places de bateaux.

IV –   Appréciation juridique

14.      Les questions préjudicielles visent l'interprétation de la règle relative à l'exonération fiscale applicable à la location de biens immeubles, prévue à l’article 13, B, sous b), de la sixième directive. La première question vise ainsi à savoir si un emplacement pour bateau dans un port ou une place pour bateau à terre doivent être qualifiés de biens immeubles. Pour répondre à la seconde question, il s’agit de déterminer si l’exclusion de la location des emplacements de stationnement de véhicules de la règle d’exonération s’applique également à de tels emplacements pour bateaux.

A –    Remarques préliminaires

15.      Avant d’examiner plus précisément les questions déférées, il y a lieu de rappeler que les exonérations prévues à l'article 13 de la sixième directive constituent des notions autonomes du droit communautaire et doivent donc être définies par celui-ci  (3) .

16.      Les règles d'interprétation suivantes, s'agissant des dispositions à examiner, résultent de l'économie de la directive: les exonérations fiscales constituant des dérogations au principe général selon lequel la TVA est perçue sur chaque prestation de services effectuée à titre onéreux par un assujetti, la notion de location de bien immeuble est d'interprétation stricte  (4) . L’exclusion de l’exonération fiscale s’agissant des places de stationnement pour véhicules, prévue au point 2 de l’article 13, B, sous b), de la sixième directive, a pour effet de réintégrer les chiffres d’affaires correspondants sous le régime général de la même directive; cette clause ne saurait donc recevoir une interprétation stricte  (5) .

17.      L’interprétation de la directive pourrait néanmoins s’avérer superflue, si le royaume de Danemark avait fait usage de la possibilité de prévoir des exclusions supplémentaires au champ d’application de l’exonération, au-delà des cas prévus à l’article 13, B, sous b), points 1 à 4 de la sixième directive. En effet, celle-ci octroie à cet égard aux États membres une marge de manœuvre importante, comme l’a exposé à juste titre la Commission en se référant à l’arrêt Far  (6) . Le royaume de Danemark pourrait ainsi qualifier expressément la location d’emplacements pour bateaux d’activité également assujettie à la TVA, outre la location de places de stationnement.

18.      Toutefois, si un État membre souhaite faire usage de cette possibilité, il lui faut aménager en conséquence les dispositions législatives applicables à la TVA. Il ne suffit pas à cet égard que les dispositions nationales correspondant pour l’essentiel à la sixième directive soient complétées par la pratique administrative ou par des instructions administratives n’ayant de valeur contraignante qu'au sein de l'administration et prévoyant que d’autres cas de figure sont soumis à l’impôt  (7) .

19.      La pratique administrative consignée dans les lignes directrices en matière de TVA 2001  (8) , selon lesquelles les emplacements pour bateaux sont assujettis à la TVA, ne saurait donc être qualifiée de dérogation nationale, plus étendue que ce que prévoit la sixième directive, aux cas d’exonération en faveur de la location et de l’affermage de biens immeubles.

20.      Selon les dispositions nationales, les assujettis peuvent déduire les dépenses concernant les installations, les réparations et le maintien en état des installations portuaires sauf en ce qui concerne les bâtiments. Cela montre que, pour le législateur danois, ces dépenses relèvent d’une activité économique. Toutefois, cette indication indirecte ne constitue pas non plus clairement une dérogation supplémentaire à l’exonération applicable à la location de biens immeubles.

21.      Faute de règle spécifique dans la législation danoise relative à la TVA concernant le statut fiscal de la location des emplacements pour bateaux, il y a lieu de déterminer si une telle activité doit être qualifiée de location d’un bien immeuble et, le cas échéant, également de location d’un emplacement de stationnement pour véhicule au sens de la sixième directive.

B –    Location d’un bien immeuble (première question préjudicielle)

22.      L’article 13, B, sous b), de la sixième directive ne définit pas la notion de «location de biens immeubles» et ne renvoie pas non plus à sa définition dans les législations des États membres  (9) .

23.      Il ressort toutefois de la jurisprudence constante, d’une part, que la location de biens immeubles au sens de l’article 13, B, sous b), de la sixième directive a pour caractéristique fondamentale que l’intéressé se voit conférer, pour une durée convenue et contre rémunération, le droit d'occuper un immeuble comme s'il en était le propriétaire et d'exclure toute autre personne du bénéfice d'un tel droit  (10) .

24.      D’autre part, pour la question de la qualification d'une opération imposable, il y a lieu de prendre en considération toutes les circonstances dans lesquelles se déroule l'opération en cause  (11) .

25.      FML propose à la fois la location d’emplacements sur l’eau pour bateaux dans le port et de places à terre pour l’hivernage de ces derniers. Bien que ces prestations soient également proposées de manière combinée, la question de savoir s’il s’agit d’une location de bien immeuble doit être traitée séparément pour chaque type d’emplacement.

26.      En effet, la circonstance qu’un prix global est facturé pour la location combinée d’emplacements sur l’eau et à terre n’est pas décisive  (12) .

27.      Ce qui importe, au contraire, c’est la possibilité de louer indépendamment l’un de l’autre un emplacement sur l’eau et une place à terre, de sorte qu’il y a en fait deux prestations principales indépendantes, dissociables, et non pas une prestation économique autonome intégrée  (13) . Aucune des deux formes de locations d’emplacements pour bateaux ne saurait être qualifiée de prestation principale, l’autre étant la prestation accessoire partageant le sort fiscal de la prestation principale  (14) .

28.      En ce qui concerne les places à terre, il ressort des éléments fournis dans la demande de décision préjudicielle que les zones question sont clairement délimitées et identifiées. Le locataire dispose pour une certaine durée du droit exclusif d’utiliser la place. Il a un accès illimité à celle-ci. Pendant la durée de la location, aucun autre propriétaire de bateau ne peut l’occuper sans l’accord dudit locataire. Il s’agit donc de la location d’un bien immeuble au sens de l’article 13, B, sous b), de la sixième directive.

29.      La qualification des emplacements dans le bassin portuaire en revanche est source de plus grandes difficultés. Il est également établi dans ce cas que ces emplacements sont clairement délimités par rapport au reste du bassin portuaire par des perches et des pieux. Les gouvernements danois et grec doutent toutefois qu’il s’agisse de biens immeubles.

30.      Un bien immeuble peut être défini comme une portion déterminée de la surface terrestre, y compris les bâtiments y ayant été érigés de manière permanente, à laquelle peuvent être attachés des droits de propriété et de possession. Contrairement à ce qui est le cas de la haute mer, un particulier peut jouir dans les eaux intérieures d’un droit de propriété ou de possession. Ainsi que cela ressort de l’ordonnance de renvoi, FML est propriétaire du terrain portuaire. Le fait qu’une aire soit en tout ou en partie immergée ne s’oppose pas à sa qualification de bien immeuble pouvant faire l’objet de location ou d’affermage. De même que FML a pu devenir propriétaire du terrain portuaire et du bassin portuaire, il aurait également pu mettre ce terrain en concession. Ce qui vaut toutefois pour le terrain dans son ensemble doit valoir également pour les parties délimitées de celui-ci.

31.      En outre, il y a lieu de distinguer les biens immeubles des biens meubles. Il est vrai que l’eau sur laquelle flottent directement les bateaux est un bien meuble. Partant de cette idée, le gouvernement danois semble également considérer comme biens immeubles les seuls pieux ou passerelles attachés au sol et auxquels sont amarrés les bateaux, dont il considère néanmoins la mise à disposition comme une simple prestation accessoire. La location ne porte toutefois pas sur une quelconque quantité meuble d’eau, mais sur une portion déterminée du bassin portuaire. Cette surface recouverte d’eau est délimitée de manière permanente et ne peut être déplacée.

32.      Par conséquent, même sur la base d’une interprétation stricte de l’article 13, B, sous b), de la sixième directive, un emplacement dans un bassin portuaire répond à la définition de bien immeuble au sens de cette disposition.

33.      L’existence d’un rapport locatif n’est en outre pas exclue au motif que FML peut céder la place à des visiteurs en cas d’absence provisoire du titulaire de la place.

34.      La location d’un bien immeuble est certes en principe caractérisée par le fait que le locataire du bien en prend possession et peut en exclure les tiers à tout moment. Il peut toutefois exister des rapports locatifs dans le cadre desquels plusieurs locataires ont l’usage du bien loué, l’un de ceux-ci ayant un droit de jouissance supérieur.

35.      C’est le cas en l’occurrence. Le locataire de longue durée peut décider librement s’il laisse ou non son bateau à son emplacement. Ni FML ni un autre propriétaire de bateau ne peut exiger du locataire qu’il cède son emplacement pendant la durée de la location. C’est uniquement si ce locataire décide de ne pas utiliser son emplacement pendant plus de 24 heures que l’administration portuaire peut provisoirement le mettre à la disposition d’un autre propriétaire de bateau.

36.      Il y a donc lieu de répondre à la première question préjudicielle que la notion d’«affermage et location de biens immeubles» au sens de l’article 13, B, sous b), de la sixième directive vise aussi bien la location en tant qu'emplacement pour bateau d’une aire précise et délimitée d’un bassin portuaire que la location pour un bateau d’une place à terre délimitée.

C –    Location de places pour le stationnement de véhicules (seconde question préjudicielle)

37.      Par sa seconde question, le juge de renvoi souhaiterait savoir si l’article 13, B, sous b), point 2, de la sixième directive exclut de l’exonération fiscale concernant la location des biens immeubles les places de stationnement pour bateaux. Les doutes de la juridiction de renvoi s’expliquent essentiellement par le fait que, dans la version danoise de cette disposition, est utilisée la notion de «køretøjer», dont la signification ne recouvre que les véhicules sur roues. Il ne serait donc pas compatible avec le libellé du texte dans sa version danoise de qualifier les bateaux de «véhicules» au sens de cette disposition.

38.      Comme le soulignent toutefois à juste titre la juridiction de renvoi, les gouvernements intéressés et la Commission, ce problème ne se pose pas dans les mêmes termes dans les autres versions linguistiques de la directive, car elles utilisent des notions plus neutres qui peuvent également s’appliquer à des bateaux  (15) .

39.      Dans ce cas de figure, lorsque les différentes versions linguistiques divergent, la disposition en cause doit, selon une jurisprudence constante, être interprétée en fonction du contexte et de l’objet de la réglementation dont elle fait partie  (16) .

40.      Toutefois, même dans d’autres versions linguistiques outre la version danoise, la question de savoir si la notion d’emplacements pour le stationnement des véhicules vise également les emplacements l’eau ou à terre pour les bateaux n’est pas tout à fait claire. Si le sens d’une expression ne ressort pas exclusivement d’une interprétation littérale, il convient, pour déterminer plus précisément sa signification, de recourir au contexte dans lequel l'expression s'inscrit, en tenant compte de l'économie de la sixième directive  (17) .

41.      FML tente de démontrer que, dans la sixième directive, la notion de moyen de transport est utilisée comme notion générale pour les véhicules terrestres, maritimes et aériens, tandis que le terme «véhicules» viserait les seuls véhicules terrestres.

42.      Toutefois, si l’on examine la version allemande de la sixième directive, il paraît douteux que la directive adopte une telle terminologie. Ainsi, l’article 15, paragraphe 1, point 2, de… cité par FML utilise certes la notion de «moyen de transport», mais dans d’autres dispositions également citées par FML (les articles 28 bis, paragraphe 2, sous a), quindecies, paragraphe 4, sous b) et c), l’article 28 sexdecies, paragraphe 1, sous g) et paragraphe 7, sous b) et c), de la même directive) utilisent la notion de «Fahrzeug» («véhicule») et non pas la notion plus générale de «Transportmittel» («moyen de transport»).

43.      En outre, la Commission cite à juste titre comme contre-exemple l’article 13, A, paragraphe 1, sous p), de la sixième directive, qui concerne l’exonération relative aux véhicules spécialement aménagés pour le transport de malades. Dans ce cas également, la notion de véhicule s’applique aux bateaux et aux aéronefs.

44.      Puisque l’examen des notions de véhicule et de moyen de transport, utilisées dans différentes dispositions de la directive, ne nous éclaire pas plus, il y a lieu d’examiner, eu égard au sens et à la finalité de l’exonération fiscale en faveur de la location de biens immeubles et des exceptions à cette exonération, si les bateaux relèvent de la notion de «véhicule» au sens de l’article 13, B, sous b), point 2, de la sixième directive.

45.      L’exonération applicable à la location de biens immeubles s’explique avant tout par deux raisons. D’une part, un bien immeuble déjà utilisé n’est pas le résultat d’un processus de production, comme l’a explicité l’avocat général Jacobs dans ses conclusions dans l’affaire Blasi  (18) . Après les phases initiales de viabilisation et de construction d’un bâtiment, le bien immeuble fait en général l’objet d’une jouissance plutôt passive, sans valeur ajoutée  (19) . Par conséquent, seule la livraison initiale d’un terrain à bâtir viabilisé et la livraison d’un bâtiment avant la première acquisition sont assujetties à la TVA  (20) , tandis que la cession ultérieure d’un bâtiment ayant déjà été acquis de même que sa location sont exonérées de TVA.

46.      D’autre part, dans la plupart des États membres, la location de logements était en tout état de cause non assujettie à la TVA, pour des raisons d’ordre social, avant l’harmonisation instaurée par la directive  (21) . La sixième directive ne devait pas y déroger afin d’éviter d'accroître le coût des locations de logements.

47.      Ces deux justifications de l’exonération fiscale ne s’appliquent pas dans les cas visés à l’article 13, B, sous b), points 1 à 4, de la sixième directive de sorte que ces hypothèses spécifiques de location immobilière ont été exclues de l’exonération pour être réintégrées aux opérations assujetties à la TVA.

48.      En effet, ces prestations se caractérisent, en règle générale, par une jouissance plus active du bien immobilier. Ainsi, pour prendre un exemple, la location de chambres d’hôtels ou d’emplacements de camping, au sens du point 1 de ladite disposition, implique de nombreuses autres prestations de services, allant au-delà de la simple mise à disposition des locaux ou de l’emplacement.

49.      Cet argument a certes moins de poids s’agissant de la location d’emplacements pour le stationnement des véhicules au sens du point 2 de la même disposition, bien que, dans ce cas également, il puisse y avoir en outre des prestations supplémentaires, comme la surveillance des emplacements. Dans ce cadre, c’est toutefois le second aspect qui revêt une importance particulière, à savoir l’absence de considération de politique sociale pour justifier l’exonération.

50.      La location d’emplacements sur l’eau pour bateaux implique également une jouissance plus soutenue du bien immeuble, ce qui est en général une caractéristique des cas d’exclusion énumérés à l’article 13, B, sous b), points 1 à 4, de la sixième directive. Ainsi – comme c’est le cas pour une place de camping - hormis le seul emplacement ou la seule place de stationnement, d’autres installations sont mises à disposition, telles les installations sanitaires. En outre, il est nécessaire que les emplacements soient dotés de passerelles et d’aménagements spécifiques permettant l’amarrage des bateaux, devant être régulièrement contrôlés et mis en état, en raison de l’action de l’eau.

51.      Les considérations d’ordre social, qui ont à l’origine joué un rôle pour justifier l’exception en faveur de la location des biens immeubles, ne s’appliquent pas non plus a priori à la location d’emplacements sur l’eau pour des bateaux de plaisance.

52.      Si l’on tient compte des objectifs de l’article 13, B, sous b), de la sixième directive, il semble sensé d’interpréter le point 2 de cette disposition en ce sens qu’elle est également applicable à la location d’emplacements sur l’eau et de places à terre pour les bateaux de plaisance. Cette interprétation est également conforme à l’exclusion de toute interprétation stricte de ladite disposition.

V –   Conclusion

53.      En conclusion, nous proposons d’apporter les réponses suivantes aux questions déférées à la Cour par le Vestre Landsret:

«1.La notion d’‘affermage et location de biens immeubles’ au sens de l’article 13, B, sous b), de la sixième directive 77/388/CEE du Conseil, du 17 mars 1977, en matière d'harmonisation des législations des États membres relatives aux taxes sur le chiffre d'affaires - Système commun de taxe sur la valeur ajoutée: assiette uniforme, vise aussi bien la location en tant qu'emplacement pour bateau d’une aire précise et délimitée d’un bassin portuaire que la location pour un bateau d’une place à terre délimitée.

2.L’article 13, B, sous b), point 2, de la sixième directive, s’applique également à la location d’emplacements pour bateaux l’eau et à terre.»


1 – Langue originale: l'allemand.


2 – JO L 145, p. 1.


3 – Arrêts du 12 septembre 2000, Commission/Irlande (C-358/97, Rec. p. I-6301, point 51); du 16 janvier 2003, Maierhofer (C-315/00, Rec. p. I-563, point 25), et du 12 juin 2003, Sinclair Collis (C-275/01, Rec. p. I-5965, point 22).


4 – Arrêts Commission/Irlande (précité note 3, point 52); du 18 janvier 2001, Stockholm Lindöpark (C-150/99, Rec. p. I-493, point 25), et arrêt Sinclair Collins (précité note 3, point 23).


5 – Arrêt du 12 février 1998, Blasi (C-346/95, Rec. p. I-481, point 19).


6 – Arrêt du 3 février 2000 (C-12/98, Rec. p. I-527). Voir également arrêt du 4 octobre 2001, «Goed Wonen» (C-326/99, Rec. p. I-6831, point 45).


7 – Voir conclusions de l'avocat général Jacobs du 6 juin 2002, dans l'affaire Maierhofer (précitée note 3, points 27 et 28) ainsi que du 17 mai 1989 dans l'affaire Henriksen (173/88, Rec. p. I-2763, p. I-2770, point 22).


8 – Voir point 5 des présentes conclusions.


9 – Arrêts «Goed Wonen» (précité note 6, point 44) et Sinclair Collis (précité, note 3 point 24).


10 – Arrêts «Goed Wonen» (précité note 6, point 55); du 9 octobre 2001, Cantor Fitzgerald International (C-108/99, Rec. p. I-7257, point 21) et Sinclair Collis (précité note 3, point 25).


11 – Arrêts du 2 mai 1996, Faaborg-Gelting Linien (C-231/94, Rec. p. I-2395, point 12); Stockholm Lindöpark (précité note 4, point 26) et Sinclair Collis (précité note 3, point 26).


12 – Voir arrêt du 25 février 1999, CPP (C-349/96, Rec. p. I-973, point 31).


13 – Arrêt CPP (précité note 12, point 29).


14 – Arrêts du 22 octobre 1998, Madgett et Baldwin (C-308/96 et C-94/97, Rec. p. I-6229, point 24), et CPP (précité note 12, point 30), et voir également, notamment, arrêt Henriksen, (précité note 7, points 14 à 16), dans lequel la Cour a considéré la location d’un garage comme une prestation accessoire à la location d’un appartement, relevant également de l’exonération applicable à la location de biens immeubles.


15 – La version anglaise utilise la notion de «vehicles», la version française, «véhicules», la version espagnole «veículos», la version italienne «veicoli», la version néerlandaise «voertuigen» et la version suédoise «fordon».


16 – Arrêts du 27 mars 1990, Cricket St Thomas (C-372/88, Rec. p. I-1345, point 19), et du 14 septembre 2000, D (C-384/98, Rec. p. I-6795, point 16).


17 – Arrêts Henriksen (précité note 7, points 10 et 11), et du 5 juin 1997, SDC (C-2/95, Rec. p. I-3017, point 22).


18 – Conclusions du 25 septembre 1997 (arrêt précité note 5, points 15 et 16).


19 – Il peut en aller autrement si les ateliers d’une entreprises ont été érigés sur le bien immeuble, l’immeuble intervenant donc comme facteur de production.


20 – Voir article 4, paragraphe 3, sous a) et b), de la sixième directive.


21 – Voir la proposition de la Commission pour la sixième directive ( Bulletin des Communautés Européennes , supplément 11/73, p. 17).