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CONCLUSIONS DE L’AVOCAT GÉNÉRAL

M. NIILO Jääskinen

présentées le 16 décembre 2010 (1)

Affaire C-540/09

Skandinaviska Enskilda Banken AB

contre

Skatteverket

[demande de décision préjudicielle formée par le Regeringsrätten (Suède)]

«Sixième directive TVA – Directive 77/388/CEE – Exonérations – Garanties de crédit – Opérations portant sur des titres – Article 13, B – Services de garantie de souscription d’émissions d’actions contre le paiement d’une commission»





1.        La présente demande préjudicielle porte sur la qualification de services de garantie d’émission aux fins de la taxe sur la valeur ajoutée (ci-après la «TVA»).

2.        Par services de garantie d’émission, on entend, en général, des situations dans lesquelles un souscripteur s’engage, en échange d’une rétribution, à acquérir ou à souscrire (dans le cas d’une nouvelle émission d’actions) les actions qui ne pourraient être vendues ou souscrites sur le marché. Le but de tels services est donc de garantir que l’émission d’actions soit entièrement souscrite, ou que toutes les actions vendues soient achetées, et que l’émetteur reçoive une certaine quantité de capital.

3.        En l’occurrence, certaines sociétés à responsabilité limitée cherchaient à se procurer des services de garantie d’émission à cette fin. Le souscripteur, à savoir Skandinaviska Enskilda Banken (ci-après «SEB»), s’est engagé, contre le paiement d’une commission, à acquérir des actions qui ne seraient pas souscrites à l’expiration de la période de souscription.

4.        Le problème principal consiste à savoir si la qualification de ce service de garantie de souscription relève de l’article 13, B, de la sixième directive du Conseil du 17 mai 1977 en matière d’harmonisation des législations des États membres relatives aux taxes sur le chiffre d’affaires — Système commun de taxe sur la valeur ajoutée : assiette uniforme (2) et, si tel est le cas, de quelle disposition dudit article. Trois des dispositions de l’article 13, B, de ladite directive sont envisagées ici comme pertinentes. Premièrement, l’article 13, B, sous a), relatif aux opérations d’assurance, deuxièmement, l’article 13, B, sous d), premier et deuxième alinéas, concernant l’octroi de crédits et garanties de crédit et, troisièmement, l’article 13, B, sous d), cinquième alinéa : opérations portant sur des actions et autres titres.

5.        La qualification des services de garantie d’émission représente une tâche quelque peu difficile si l’on considère le fait que la réalité économique des services de financement des sociétés proposés sur les marchés financiers, qui sont dynamiques par nature, ne se laisse pas aisément saisir par des dispositions légales statiques et prédéterminées.

I –    Le cadre juridique

La sixième directive TVA

6.        L’article 2, paragraphe 1, de la sixième directive TVA porte sur son champ d’application. Il déclare que sont soumises à la TVA «les livraisons de biens et les prestations de services, effectuées à titre onéreux à l’intérieur du pays par un assujetti agissant en tant que tel».

7.        L’article 13, B, de la sixième directive TVA a trait aux exonérations de TVA. Selon les dispositions pertinentes de cet article aux fins de la présente affaire, sont exonérées de la TVA:

«a) les opérations d’assurance et de réassurance, y compris les prestations de services afférentes à ces opérations effectuées par les courtiers et les intermédiaires d’assurance;

[…]

d) 1. l’octroi et la négociation de crédits ainsi que la gestion de crédits effectuée par celui qui les a octroyés;

2.       la négociation et la prise en charge d’engagements, de cautionnements et d’autres sûretés et garanties ainsi que la gestion de garanties de crédits effectuée par celui qui a octroyé les crédits;

[…]

5.       les opérations, y compris la négociation mais à l’exception de la garde et de la gestion, portant sur les actions, les parts de sociétés ou d’associations, les obligations et les autres titres, à l’exclusion:

–        des titres représentatifs de marchandises,

–        des droits ou titres visés à l’article 5 paragraphe 3 (3)».

La législation nationale

8.        D’après le chapitre 1, article 1er, de la loi relative à la TVA (mervärdesskattelagen), une TVA est due à l’État pour les livraisons de biens ou les prestations de services à l’intérieur du pays qui sont imposables et effectuées dans le cadre d’une activité professionnelle. Cette disposition vise à mettre en œuvre l’article 2, paragraphe 1, de la sixième directive TVA ainsi que l’article 2, paragraphe 1, de la directive 2006/112/CE du Conseil du 28 novembre 2006 relative au système commun de taxe sur la valeur ajoutée (ci-après la « directive TVA »).

9.        D’après le chapitre 3, article 9, de la loi relative à la TVA, sont exonérées les prestations de services bancaires et financiers et les opérations portant sur des titres. Par opérations portant sur des titres, on entend les ventes d’actions, d’autres parts sociales et de créances. L’article 10 dudit chapitre 3 exonère les prestations de services d’assurance et de réassurance. Ces dispositions visent, entre autres, à mettre en œuvre l’article 13, B, sous a) et d), premier, deuxième et cinquième alinéas de la sixième directive TVA ainsi que les articles 135, paragraphe 1, sous a) à c) et f) de la directive TVA.

II – Faits et questions déférées

10.      L’affaire concerne un groupement TVA, SEB AB Momsgrupp («SEB Momsgrupp»), dont le chef de file est une banque, SEB. À l’époque pertinente, SEB et une autre société de SEB Momsgrupp ont fourni des services à des sociétés qui s’apprêtaient à lancer une nouvelle émission d’actions. Le service proposé par SEB consistait à fournir une garantie d’émission.

11.      SEB Momsgrupp a considéré que les services de garantie de souscription étaient exonérés et, par conséquent, il n’a ni facturé ni comptabilisé la TVA en ce qui concerne ces prestations. Le Skatteverket, l’autorité fiscale suédoise, a ensuite procédé à l’inspection du groupement et lui a infligé un redressement de TVA pour la période concernée. SEB Momsgrupp a contesté cette décision et a perdu, tant devant le länsrätten i Stockholms län (tribunal administratif du département de Stockholm) que devant le Kammarrätten i Stockholm (cour d’appel administrative de Stockholm).

12.      Le litige porté devant le Regeringsrätten (Cour administrative suprême) a trait, en substance, à la question de savoir si les garanties d’émission peuvent être exonérées. Selon cette juridiction, de telles garanties peuvent être fournies soit de manière autonome, soit conjointement avec d’autres services en rapport avec l’émission d’actions.

13.      C’est dans ce contexte que le Regeringsrätten a saisi la Cour de la question préjudicielle suivante:

«L’article 13, B, de la sixième directive [TVA] [article 135, paragraphe 1, de la directive TVA] doit-il être interprété en ce sens que les exonérations de la taxe qu’il prévoit s’appliquent également à des services (garantie d’émission) impliquant qu’un établissement de crédit accorde contre rémunération une garantie à une société souhaitant émettre des actions, en vertu de laquelle l’établissement de crédit s’engage à acquérir les actions qui ne seraient pas souscrites à l’expiration de la période de souscription?»

III – Analyse

A –    Nature du service de garantie d’émission

14.      Les services de garantie d’émission sont qualifiés de services financiers par diverses dispositions du droit de l’Union. Ainsi, la directive 2004/39/CE (4), à son annexe I, section A, point 6, qualifie-t-elle la prise ferme de service d’investissement aux fins de cette directive. De plus, la directive 2006/49/CE, à son annexe I, paragraphe 41, exige qu’un établissement de crédit dispose d’une certaine quantité de fonds propres pour faire face aux risques de prise ferme qu’il a pris à sa charge (5). Cependant, le fait qu’une activité soit qualifiée de service financier dans la législation régissant le marché intérieur ne détermine pas en soi le traitement des opérations correspondantes au regard de la TVA.

15.      Il a été débattu à l’audience de la nature du service de garantie d’émission et du point de savoir s’il devait donc être traité comme faisant partie de l’émission d’actions en général, ou comme un service connexe (et donc être traité de la même manière à des fins d’imposition), ou comme s’il s’agissait d’un service indépendant.

16.      Il est apparu que la notion de services d’émission est entendue de manières différentes selon les États membres. Certains, comme l’Irlande, considèrent comme garantie d’émission la fourniture d’un paquet de services, y compris des conseils concernant l’émission d’actions, la commercialisation et la répartition des actions, ainsi que la garantie que l’institution financière souscrive aussi les actions le cas échéant. En Suède, cependant, les services de garantie d’émission peuvent être fournis indépendamment d’autres services liés à l’émission d’action, et le sont effectivement.

17.      SEB, le Royaume de Suède et le Skatteverket s’accordent à déclarer que la garantie d’émission peut être fournie de manière indépendante. C’est aussi ce que dit la juridiction de renvoi dans son ordonnance. En outre, SEB a confirmé à l’audience que, en l’occurrence, elle avait donné la garantie de souscrire les actions alors que l’émission était effectuée par une autre entreprise.

18.      Il est donc clair que le service de garantie d’émission doit être traité ici de manière indépendante, et non comme connexe aux autres services fournis lors d’une émission d’actions.

B –    Interprétation de l’article 13, B, de la sixième directive TVA

19.      Avant d’analyser les trois dispositions pertinentes en cause, quelques remarques d’ordre général s’imposent.

20.      Premièrement, les notions en cause sont des notions autonomes du droit de l’Union qui doivent donc être interprétées de manière uniforme de manière à éviter des divergences dans l’application du système de TVA entre les États  membres (6). Elles doivent aussi être resituées dans le contexte général du système commun de TVA (7).

21.      Deuxièmement, d’après la jurisprudence de la Cour, les exonérations de l’article 13, B, de la sixième directive TVA doivent être interprétées de manière restrictive en tant qu’exceptions à la règle générale qui veut que la TVA soit perçue sur toutes les livraisons de marchandises et prestations de services (8).

22.      Troisièmement, on ne connaît pas exactement la raison de l’exonération des opérations financières puisque les travaux préparatoires sont muets sur ce point. D’après la jurisprudence de la Cour, toutefois, les opérations financières ont été exonérées dans le but d’alléger les difficultés liées à la détermination de l’assiette de la taxe et du montant de la TVA déductible, ainsi que pour éviter une augmentation du coût du crédit à la consommation (9).

1.      Opérations d’assurance

23.      Les opérations d’assurance sont exonérées par l’article 13, B, de la sixième directive TVA. Selon cet article, «les États membres exonèrent […] les opérations d’assurance et de réassurance, y compris les prestations de services afférentes à ces opérations effectuées par les courtiers et les intermédiaires d’assurance».

24.      Les opérations d’assurance ne sont pas définies dans la sixième directive TVA, ni dans les directives en matière d’assurances (10). La Cour a d’abord donné une définition de cette expression dans l’arrêt du 25 février 1999, CPP(11), où elle a jugé que les caractéristiques essentielles d’une opération d’assurance sont que l’assureur se charge, moyennant le paiement préalable d’une prime, de procurer à l’assuré, en cas de réalisation du risque couvert, la prestation convenue lors de la conclusion du contrat (12).

25.      Donc, la définition des opérations d’assurance était suffisamment large pour y inclure l’octroi d’une couverture d’assurance par un assujetti qui n’est pas lui-même assureur, mais qui utilise les prestations d’un assureur qui se chargeait du risque assuré (13).

26.      Il nous est loisible d’en conclure que l’accent est mis sur la nature de l’opération et non sur la personne qui l’effectue, ce qui signifie qu’une personne qui n’est pas une société d’assurance peut fournir des services d’assurance.

27.      SEB soutient que ces critères sont remplis en l’occurrence et que les opérations devraient être considérées comme exonérées en vertu de l’article 13, B, sous a), de la sixième directive TVA.

28.      Le Skatteverket soutient quant à lui qu’une opération d’assurance exige un élément de compensation de pertes. Il considère que, dès lors qu’il n’y a pas de compensation de pertes dans le cas d’espèce, les services en cause ne sauraient être exonérés en vertu de l’article 13, B, sous a), de la sixième directive TVA.

29.      Le risque de «pertes» était inclus dans la définition, donnée par l’avocat général Fennelly, de l’opération d’assurance dans l’affaire ayant donné lieu à l’arrêt CPP, précité, mais la Cour ne l’a pas repris dans son arrêt (14).

30.      À notre avis, la différence essentielle entre une opération d’assurance et le présent cas est la situation qui suit la naissance du risque.

31.      Dans une opération d’assurance, tout ce qu’il y a à faire, lorsque le risque survient, est de payer une somme convenue, ou de fournir une prestation particulière, telle que l’assistance à la personne assurée (15), aux frais de l’assureur. En agissant ainsi, celui-ci n’acquiert rien de nouveau(16). Il a réalisé son gain dans la phase qui a précédé le risque.

32.      Dans le présent cas, toutefois, lorsque le risque se concrétise, la banque acquiert un droit sur les actions en contrepartie du prix convenu. Cela comporte un risque de dépréciation des actions et de déclenchement de coûts financiers liés à cette acquisition. Cependant, on ne saurait présumer a priori que cette situation se soldera par une perte. Cette différence indique, à notre avis, que la présente situation ne s’apparente pas à une opération d’assurance.

33.      Le service de garantie d’émission en cause dans la présente affaire ne saurait donc être considéré comme une opération d’assurance au sens de l’article 13, B, sous a), de la sixième directive TVA.

2.      Octroi de crédits et garanties de crédit

34.      L’article 13, B, sous d), premier et deuxième alinéas, de la sixième directive TVA exonère «l’octroi […] de crédits» ainsi que la «négociation» de cautionnement ou d’autres sûretés ou garanties. 

35.      SEB soutient que les services de souscription qu’elle fournit devraient être exonérés en vertu de ces dispositions, dès lors que ces services ont le même but qu’une garantie, à savoir rassembler un certain montant de fonds propres, et que, du point de vue du prêteur ou du garant, ils comportent les mêmes risques que l’octroi de crédits.

36.      Le Skatteverket soutient que la situation présente ne relève pas de ces dispositions, car elle est d’une autre nature. D’après lui, l’article 13, B, sous d), premier alinéa, de la sixième directive TVA couvre normalement un prêt ou un paiement dont la contrepartie est l’intérêt facturé. L’article 13, B, sous d), deuxième alinéa, de la sixième directive TVA ne couvre que les engagements financiers, ce qui, pour le Skatteverket, signifie une obligation de payer une somme d’argent, par exemple de rembourser un créancier. À son avis, ce qui est en cause ici va au-delà d’une simple obligation de payer une certaine somme et ce n’est donc pas un engagement financier au sens de la sixième directive TVA.

37.      Pour ce qui est de l’article 13, B, sous d), premier alinéa, de la sixième directive TVA, la Cour a déclaré de manière explicite que cette disposition ne se limitait pas aux seuls prêts et crédits octroyés par des organismes bancaires et financiers (17). De plus, elle a déclaré que la définition était suffisamment large pour inclure un crédit accordé par un fournisseur de biens sous la forme d’un sursis à paiement (18).

38.      À notre avis, la présente situation n’équivaut pas à un octroi de crédits parce que l’opération est d’une autre nature.

39.      Lorsqu’un crédit est octroyé, le prêteur s’attend, en sus des intérêts, qui équivalent à un paiement, à récupérer la somme prêtée. En l’occurrence, la banque ne versera pas d’argent à la société si le risque ne se réalise pas. Dans le cas contraire, elle ne réclamera certainement pas le remboursement de la somme versée, ou des intérêts. Elle se contente de faire un paiement en échange des actions qu’elle reçoit et qu’elle revendra ensuite afin de rentrer dans ses fonds (19). Là encore, c’est cet échange d’actions contre de l’argent qui distingue essentiellement l’opération d’un octroi de crédits.

40.      Pour ce qui est de l’article 13, B, sous d), deuxième alinéa, de la sixième directive TVA, il y a quelques différences entre les diverses versions linguistiques de cette disposition. Dans la version anglaise, il est question de «credit guarantees» (garanties de crédit) alors que le texte français, libellé en termes plus extensifs, parle seulement de garanties (20). Il convient donc, pour en éclairer le sens, de se référer au contexte dans lequel l’expression apparaît et en tenant compte de la structure de la sixième directive TVA (21).

41.      Les travaux préparatoires n’apportent pas de lumière quant à la version linguistique qui reflète le mieux la finalité de cette disposition. La proposition de sixième directive TVA déclare seulement que les autres exonérations, énoncées à la section B, portent sur des domaines particuliers, comme l’assurance, l’octroi de crédits et les négociations sur les devises et les opération boursières, lorsqu’elles sont justifiées pour des raisons de politique générale communes à tous les États membres (22). L’article 13, B, sous d), deuxième alinéa, a été inclus dans la sixième directive TVA alors qu’il n’avait été mentionné ni dans la proposition, ni dans aucun amendement.

42.      Malgré cela, nous ne voyons pas de raison de limiter l’article 13, B, sous d), deuxième alinéa, aux seules garanties de crédit. L’article 13, B, sous d), a trait aux services bancaires et financiers et exonère la quasi-totalité des activités des institutions qui fournissent de tels services. Comme ces institutions peuvent fournir tant des garanties de crédit que des garanties dans un sens plus général, l’article 13, B, sous d), deuxième alinéa, de la sixième directive TVA devrait être lu dans ce sens plus général. Les garanties de crédit mentionnées dans la version anglaise ne sont qu’un exemple ou une catégorie des «securities for money» qui sont également citées dans cette disposition (23). Cette conclusion reste inchangée car la disposition en cause est une disposition d’exonération et, à ce titre, elle doit être interprétée de manière stricte, ce qui ne signifie pas nécessairement de manière restrictive (24).

43.      Cette lecture potentiellement large se heurte aux limitations fixées à cette disposition par la jurisprudence de la Cour. Selon cette jurisprudence, pour être qualifiés d’opérations exonérées au sens de l’article 13, B, sous d), de la sixième directive, les services fournis doivent former un ensemble distinct, apprécié de façon globale, qui a pour effet de remplir les fonctions spécifiques et essentielles d’un service décrit à cette disposition (25). Cela veut dire qu’il faut que le service relève, dans son ensemble, du domaine des opérations financières (26).

44.      La question se pose donc de savoir si la prise en charge d’une obligation de souscrire des actions non vendues émises pour la première fois relève, dans son ensemble, du domaine des opérations financières.

45.      La Cour n’a pas encore livré d’indications sur le sens exact de l’expression opération financière. Dans l’affaire Velvet & Steel, la prise en charge de l’obligation de rénover un immeuble n’était pas, de par sa nature, une opération financière. Dans l’affaire Tiercé Ladbroke, la prise de paris pour le compte d’un agent principal qui gère une entreprise de paris n’a pas été considérée comme une opération financière. Enfin, dans l’affaire Swiss Re, le transfert d’un portefeuille de contrats n’a pas été considéré comme une opération financière (27).

46.      La définition de l’opération financière devrait être envisagée en prenant en considération le contexte économique dans lequel s’inscrit l’opération. Alors que, dans l’affaire ayant donné lieu à l’arrêt Velvet & Steel, l’opération ne se déroulait pas dans le domaine des marchés financiers, il est clair que c’est le cas, dans la présente espèce, de la fourniture des services de garantie d’émission. Cette thèse est étayée par la directive 2004/39, qui qualifie la prise ferme de service d’investissement aux fins de cette directive (28). À notre avis, les opérations d’un établissement financier concernant les finances des sociétés devraient être considérées comme se déroulant dans le domaine des opérations financières, à l’exception éventuelle de services connexes qui peuvent aussi être fournis par des acteurs étrangers au monde de la finance, tels que la commercialisation ou le conseil juridique. En tant que tels, les services de garantie d’émission relèvent du domaine des opérations financières.

47.      Il faut se demander ensuite si le service de garantie d’émission remplit les conditions d’une garantie. Cette expression n’est pas définie dans la directive 2004/39 et n’a pas non plus fait l’objet d’un examen de la Cour.

48.      À notre avis, une garantie, c’est essentiellement une assurance que, en cas de défaillance d’autrui, la personne agissant en tant que garant accomplira les actes nécessaires, consistant en général à payer à la place de la partie défaillante. Les garanties peuvent aussi être autonomes, c’est-à-dire indépendantes des actes d’autrui, comme les garanties ayant trait aux résultats économiques d’un projet («garanties contre les pertes»). Cependant, de telles garanties se situent aux confins de la notion.

49.      En l’occurrence, on ne trouve pas d’«autre partie» désignée qui puisse être identifiée comme étant garantie par SEB, même si la garantie couvre à l’évidence des cas dans lesquels une promesse initiale de souscrire des actions n’est pas honorée par un investisseur. La partie défaillante, c’est le marché lui-même. À notre avis, la notion de garantie au sens de l’article 13, B, sous d), deuxième alinéa, de la sixième directive TVA ne saurait être étendue jusqu’à couvrir ces situations.

50.      C’est pour cette raison que, à notre avis, les services de garantie d’émission décrits dans la présente affaire ne s’inscrivent pas dans le champ de l’article 13, B, sous d), premier et deuxième alinéas, de la sixième directive TVA, et ne sauraient être exonérés au titre de ces dispositions.

3.      Opérations portant sur les actions

51.      Enfin, l’article 13, B, sous d), cinquième alinéa, de la sixième directive TVA dispose que les États membres exonèrent les opérations portant sur les actions. Le sens de l’expression «opérations portant sur les actions» a été interprété à ce jour dans trois affaires (29), qui n’indiquent pas le critère exact qui doit servir à déterminer si une opération est une opération portant sur les actions. D’abord, la Cour a déclaré, dans l’arrêt SDC, à propos d’opérations portant sur des titres, qu’il fallait que des actes changent la situation juridique et financière entre les parties (30). Ensuite, dans l’arrêt CSC Financial Services, la Cour a déclaré, en appliquant, selon ses dires, le critère dégagé dans l’affaire SDC par analogie, au sujet des opérations portant sur les titres, qu’il s’agissait d’opérations susceptibles de créer, de modifier ou d’éteindre les droits et obligations des parties sur des titres (31). Enfin, dans l’affaire ayant donné lieu à l’arrêt SKF, précité, la Cour, se référant aux deux affaires précédentes, a déclaré que la vente d’actions modifiait la situation juridique et financière entre les parties à l’opération, et qu’elle était donc susceptible d’être couverte par l’exonération de l’article 13, B, sous d), cinquième alinéa, de la sixième directive TVA (32).

52.      À notre avis, le critère établi dans l’affaire CSC Financial Services est mieux adapté à la réalité commerciale et économique des opérations portant sur les actions parce que les opérations sur le premier marché sont toujours potentielles en ce sens que les actions ne naissent légalement qu’à la fin de l’émission.

53.      Si l’on applique le critère de l’arrêt CSC Financial Services, il n’est pas nécessaire que le changement se produise réellement, mais il faut que l’opération soit susceptible de modifier la relation. Donc, le fait que SEB puisse être appelée à acquérir les actions si elles n’étaient pas souscrites suffit à satisfaire le critère et, partant, à ouvrir droit à une exonération au sens de l’article 13, B, sous d), cinquième alinéa, de la sixième directive TVA.

54.      Si la Cour choisit de ne pas appliquer le critère dégagé dans l’arrêt CSC Financial Services, et qu’elle considère qu’il faut que l’opération change la relation financière et juridique entre les parties, la question principale devient alors de savoir si l’on peut dire qu’un tel changement a eu lieu, même s’il est possible que, en fait, la banque n’acquière jamais les actions.

55.      À notre avis, nous sommes en présence d’un tel changement parce que les modifications apportées à la situation juridique et financière doivent être interprétées de manière large, en y incluant des opérations qui constituent en droit des sources d’obligations (33).

56.      Dans le cas d’espèce, SEB acquiert une obligation juridique au moment où elle fournit le service de garantie d’émission, c’est-à-dire où elle fait la promesse d’acquérir des actions. Cette obligation modifie la situation juridique entre les parties étant donné que, si le cas se présente et que SEB refuse d’acquérir les actions, la société émettrice aura un moyen de recours valable à son endroit. Elle modifie aussi la situation financière entre les parties parce que SEB a besoin de s’assurer qu’elle dispose de fonds suffisants pour acquérir les actions le cas échéant (34). Donc, sa situation est modifiée en raison des services de garantie d’émission qu’elle fournit à la société émettrice.

57.      De plus, du point de vue de la neutralité fiscale, il est conseillé de concevoir les services de garantie d’émission comme des opérations portant sur les actions, comme il semble que ce soit le cas dans la plupart des États membres. Il est possible de parvenir au même résultat, l’exonération de TVA, par un autre moyen. Une société peut lever des capitaux au moyen d’actions de deux manières, à savoir, d’une part, par une émission ciblée d’actions visant la banque, le prix de souscription convenu tenant compte de la commission de celle-ci et, d’autre part, comme en l’espèce, par une émission d’actions sur le marché, une banque s’engageant à acquérir les actions qui ne seraient pas intégralement vendues ou souscrites. La première situation ne donnera pas lieu à un prélèvement de TVA, puisqu’elle n’entrera pas dans le champ d’application de la sixième directive TVA (35). Il serait contraire au principe de la neutralité fiscale, que la sixième directive TVA vise à préserver, de traiter ces deux situations de manières différentes.

58.      SEB a fait valoir que le cas d’espèce s’apparente à la vente d’options de vente sur le marché secondaire. À notre avis, cependant, ce n’est pas le cas, dans la mesure où l’article 3, paragraphe 1, du règlement 1777/2005 (36) dispose que

«[la] vente d’une option relevant du champ d’application de l’article 13, titre B, point d), 5, de la directive 77/388/CEE est une prestation de services au sens de l’article 6, paragraphe 1, de ladite directive. Cette prestation de services est distincte des opérations sous-jacentes auxquelles elle se rapporte.»

Il s’ensuit que l’exonération des garanties d’émission ne saurait reposer sur leur analogie avec des options de vente portant sur des actions, étant donné que la vente de ces options relève du champ d’application de la sixième directive TVA, alors que ce n’est pas le cas des ventes d’actions.

59.      En conséquence, la fourniture d’une garantie d’émission équivaut à une opération portant sur des actions et, partant, elle est exonérée de TVA en application de l’article 13, B, sous d), cinquième alinéa, de la sixième directive TVA.

IV – Conclusion

60.      Pour les raisons qui précèdent, nous suggérons à la Cour de répondre comme suit au Regeringsrätten:

«L’exonération prévue à l’article 13, B, de la sixième directive 77/388/CE du Conseil, du 17 mai 1977, en matière d’harmonisation des législations des États membres relatives aux taxes sur le chiffre d’affaires — Système commun de taxe sur la valeur ajoutée: assiette uniforme, doit être interprétée en ce sens qu’elle inclut des services de garantie d’émission impliquant qu’un établissement de crédit accorde contre rémunération une garantie à une société souhaitant émettre des actions, en vertu de laquelle l’établissement de crédit s’engage à acquérir les actions qui ne seraient pas souscrites à l’expiration de la période de souscription.»


1 – Langue originale: l’anglais.


2 – JO 1977 L 145, p. 1 (ci-après la «sixième directive TVA»). L’article 13, B, sous a) et d), de la sixième directive TVA est désormais l’article 135, paragraphe 1, de la directive 2006/112/CE du 28 novembre 2006 relative au système commun de taxe sur la valeur ajoutée (JO L 347, p. 1) (ci-après la «directive TVA»), qui remplace la sixième directive à compter du 1er janvier 2007 (voir table de concordance de l’annexe XII de la directive TVA). La finalité de la directive TVA est de présenter les dispositions applicables d’une manière claire et rationnelle, compatible avec le principe d’une meilleure législation (point 3 des considérants).  


3 – L’article 5, paragraphe 3, de la sixième directive TVA concerne le pouvoir de disposer d’un bien corporel comme un propriétaire et le paragraphe 3 dudit article donne une énumération de ce qui peut être considéré comme biens corporels, incluant les parts d’intérêts et actions dont la possession assure en droit ou en fait l’attribution en propriété ou en jouissance d’un bien immeuble ou d’une fraction d’un bien immeuble.


4 – Directive du Parlement européen et du Conseil du 21 avril 2004 concernant les marchés d’instruments financiers, modifiant les directives 85/611/CEE et 93/6/CEE du Conseil et la directive 2000/12/CE du Parlement européen et du Conseil et abrogeant la directive 93/22/CEE du Conseil (JO L 145, p. 1) (la «directive 2004/39»). Nous observons que les diverses versions linguistiques de cette directive utilisent des expressions qui ont un sens légèrement différent de celui d’«underwriting» en anglais. Les problèmes linguistiques dans ce domaine du droit ont été relevés dans un rapport de la Commission des Communautés européennes selon lequel «les directives du Conseil faisant foi dans les différentes langues des États membres destinataires, elles doivent nécessairement éviter dans toute la mesure du possible l’utilisation de concepts ou d’expressions juridiques dont le contenu est différent selon les pays. Cette règle ne peut malheureusement pas toujours être respectée; d’ailleurs, son respect trop absolu risquerait de conduire à l’emploi d’un langage peu intelligible, ce qui peut également provoquer des divergences d’interprétation» (voir Premier rapport de la Commission au Conseil sur l’application du système commun de taxe sur la valeur ajoutée, présenté en application de l’article 34 de la sixième directive 77/388/CEE du Conseil du 17 mai 1977 [COM (83) 426 final]).


5 – Directive du Parlement européen et du Conseil du 14 juin 2006 sur l’adéquation des fonds propres des entreprises d’investissement et des établissements de crédit (refonte) (JO L 177, p. 201). Cette directive pose les mêmes problèmes linguistiques que la directive 2004/39.


6 – Arrêts du 5 juin 1997, SDC (C-2/95, Rec. p. I-3017, point 21); du 8 mars 2001, Skandia (C-240/99, Rec. p. I-1951, point 23), et du 3 mars 2005, Arthur Andersen (C-472/03, Rec. p. I-1719, point 25).


7 – Onzième considérant de la sixième directive TVA. Voir aussi arrêt du 22 octobre 2009, Swiss Re Germany Holding (C-242/08, Rec. p. I-10099, point 33 et jurisprudence citée).


8 – Arrêts SDC (précité à la note 6, point 20 et jurisprudence citée) ; Skandia (précité à la note 6, point 32), ainsi que Arthur Andersen (précité à la note 6, point 24).


9 – Arrêt du 19 avril 2007, Velvet & Steel Immobilien (C-455/05, Rec. p. I-3225, point 24), ainsi qu’ordonnance du 14 mai 2008, Tiercé Ladbroke et Derby (C-231/07 et C-232/07, point 24).


10 – Voir, par exemple, directive 84/641/CEE du Conseil, du 10 décembre 1984, modifiant, en ce qui concerne notamment l’assistance touristique, la première directive (73/239/CEE) portant coordination des dispositions législatives, réglementaires et administratives concernant l’accès à l’activité de l’assurance directe autre que l’assurance sur la vie, et son exercice (JO L 339, p. 21).


11 – C-349/96, Rec. p. I-973.


12 – Arrêt CPP (précité à la note 11, point 17). Ainsi, les services d’assurance routière qu’un organisme s’engage à fournir à ses membres, en échange du paiement d’une cotisation annuelle fixe, ont été considérés comme équivalant à une opération d’assurance aux fins de l’article 13, B, sous a), de la sixième directive TVA. Voir arrêt du 7 décembre 2006, Commission/Grèce (C-13/06, Rec. p. I-11563).


13 – Arrêt CPP (précité à la note 11, point 22).


14 – Point 34 des conclusions de l’avocat général Fennelly dans l’affaire ayant donné lieu à l‘arrêt CPP, précité.


15 – À propos de cette prestation particulière, voir arrêt Commission/Grèce, précité.


16 – Nous observons que, dans certaines formes de contrats d’assurance, l’assureur peut avoir un droit de racheter les biens endommagés couverts par le contrat. Par exemple, une société d’assurance pourrait préférer récupérer le véhicule déprécié et verser à l’assuré une indemnité monétaire, si la réparation du véhicule envisagée est trop coûteuse. À notre avis, un tel acte, qui vise à limiter la perte, est fortuit par nature et, en tant que tel, il se distingue juridiquement de l’obligation pour le souscripteur d’acquérir les actions non souscrites à un prix prédéterminé.


17 – Arrêt SDC (précité à la note 6, point 34).


18 – Arrêt SDC (précité à la note 6, point 34).


19 – À l’audience, SEB a déclaré que, légalement, le souscripteur est tenu de vendre les actions acquises dans le cadre du service de garantie d’émission dès que possible, mais sans pertes.


20 – Les versions de langues suédoise, estonienne, slovène et finnoise suivent le texte anglais, les versions de langues danoise, allemande, espagnole et portugaise le texte français.


21 – Voir, par analogie, arrêt SDC (précité à la note 6, point 22) et jurisprudence citée.


22 – Proposition de sixième directive du Conseil en matière d’harmonisation des législations des États membres relatives aux taxes sur le chiffre d’affaires — Système commun de taxe sur la valeur ajoutée: assiette uniforme, présentée au Conseil par la Commission le 29 juin 1973, (Bulletin des Communautés européennes, supplément 11/73, p. 15).


23 – Voir Terra, B., et Kajus, J., «Credit Guarantees or any other security for money», A guide to European VAT Directive (CD-ROM), IBFD, 2004, 9.3.3.2.


24 – Point 19 des conclusions de l’avocat général Jacobs dans l’affaire ayant donné lieu à l’arrêt du 21 mars 2002, C-267/00, Zoological Society (C-267/00, Rec. p. I-3353).


25 – Arrêt Swiss Re Germany Holding (précité à la note 7, point 45 et jurisprudence citée).


26 – Arrêt Velvet & Steel Immobilien (précité à la note 9, point 22), ainsi que Tiercé Ladbroke et Derby (précité à la note 9, point 17 et jurisprudence citée).


27 – Arrêt Swiss Re Germany Holding (précité à la note 7, point 48).


28 – Annexe I, section A, point 6.


29 – Arrêts SDC précité ; du 13 décembre 2001, CSC Financial Services (C-235/00, Rec. p. I-10237), et du 29 octobre 2009, SKF (C-29/08, Rec. p. I-10413).


30 – Dans l’affaire ayant donné lieu à l’arrêt SDC, la Cour a analysé des opérations concernant des transferts au sens de l’article 13, B, sous d), cinquième alinéa), de la sixième directive TVA, et considéré que les opérations portant sur les actions incluaient les opérations réalisées sur le marché des valeurs mobilières et que le commerce des titres comportait des actes qui changeaient la situation juridique et financière entre les parties (voir arrêt SDC, précité, points 72 et 73).


31 – Arrêt CSC Financial Services (précité à la note 7, point 33). L’avocat général Colomer a expliqué dans cette affaire, au point 29 de ses conclusions dans l’affaire ayant donné lieu à cet arrêt, que ce serait le cas des opérations qui modifient de manière directe la relation juridique représentée par le titre et qui sont susceptibles d'avoir une incidence sur son contenu. Il a cité comme exemple l’émission, le transfert, l’endossement, le paiement et le remboursement de la sûreté.


32 – Précité à la note 29, point 50.


33 – À cet égard, nous sommes en accord avec la définition donnée par l’avocat général Colomer au point 23 de ses conclusions dans l’affaire ayant donné lieu à l’arrêt CSC Financial Services, précité.


34 – À l’audience, SEB a déclaré que la banque doit s’assurer de disposer de sommes suffisantes au moment où elle fournit le service de garantie de souscription.


35 – Arrêt du 26 mai 2005, Kretztechnik (C-465/03, Rec. p. I-4357). Ainsi que l’Irlande l’a fait remarquer à juste titre, un certain nombre, sinon la majorité des opérations mentionnées à l’article 13, B de la sixième directive TVA échappent au champ d’application de celle-ci, étant donné qu’elles ne remplissent pas les conditions de son article 2, paragraphe 1. Le fait d’être mentionnées à l’article 13,B de la sixième directive TVA n’a donc pas d’effets sur ces opérations.


36 – Règlement (CE) n° 1777/2005 du Conseil du 17 octobre 2005 portant mesures d’exécution de la directive 77/388/CEE relative au système commun de taxe sur la valeur ajoutée (JO L 288, p. 1). Il est clair que ce règlement n’est pas applicable ratione temporis à la présente affaire.