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CONCLUSIONS DE L’AVOCAT GÉNÉRAL

M. JÁN MazÁk

présentées le 15 septembre 2011 (1)

Affaire C-427/10

Banca Antoniana Popolare Veneta SpA, incorporante la Banca Nazionale dell’Agricoltura SpA,

contre

Ministero dell’Economia e delle Finanze,

Agenzia delle Entrate

[demande de décision préjudicielle formée par la Corte suprema di cassazione (Italie)]

«Taxe sur la valeur ajoutée – Taxe indûment facturée et versée – Droit du prestataire du service de demander à l’administration fiscale le remboursement de la TVA indûment versée – Droit du preneur du service de demander au prestataire du service la restitution de l’indu objectif correspondant à la TVA indûment facturée – Modification de l’interprétation de la disposition du droit national prévoyant l’exonération de la TVA –Principes de sécurité juridique et de protection de la confiance légitime»





 Contexte factuel et juridique du litige au principal et questions préjudicielles

1.        Le litige débattu devant les juridictions italiennes concerne les sommes versées au Trésor public par Banca Nazionale dell’Agricoltura SpA (ci-après «BNA») au titre de la taxe sur la valeur ajoutée (ci-après la «TVA») sur les rémunérations perçues pour l’activité de recouvrement des contributions consortiales, réalisée pour le compte de trois consortiums d’assainissement de 1984 à 1994.

2.        À cette époque, l’activité de recouvrement des contributions consortiales n’était pas considérée comme l’«activité de recouvrement des taxes, y compris de versement d’impôt effectué pour le compte des contribuables», laquelle est exonérée de la TVA en vertu de l’article 10, point 5, du décret du président de la République n° 633, du 26 octobre 1972, instituant et régissant la taxe sur la valeur ajoutée (2) (ci-après le «décret présidentiel n° 633/72»).

3.        Pourtant, l’administration fiscale, par la circulaire n° 52/E du 26 février 1999, a modifié l’interprétation initiale de cette disposition du décret présidentiel n° 633/72 en considérant que les contributions consortiales étaient de nature fiscale et que, par conséquent, les rémunérations dues par les consortiums devaient être considérées comme exonérées de la TVA. Selon les indications données par la Corte suprema di cassazione (Italie) dans sa décision de renvoi, ladite circulaire répondait à la nouvelle orientation jurisprudentielle concernant la nature fiscale des contributions consortiales.

4.        À la suite du changement d’interprétation de l’article 10, point 5, du décret présidentiel n° 633/72, les consortiums concernés ont sollicité de SIFER SpA, successeur de BNA en tant que concessionnaire du recouvrement des contributions consortiales, la restitution des sommes payées au titre de la TVA sur les rémunérations versées pour le recouvrement des contributions au titre d’indu objectif, au sens de l’article 2033 du code civil.

5.        En vertu du droit italien, un tel litige, à savoir le litige entre la personne à la charge de qui la TVA a été portée, d’une part, et le prestataire du service ayant prélevé la TVA, d’autre part, concernant l’indu objectif, est considéré comme n’étant pas de nature fiscale et, donc, comme relevant de la compétence des juridictions civiles de droit commun. L’exercice de l’action en répétition de l’indu est soumis à la prescription décennale de droit commun, prévue à l’article 2946 du code civil.

6.        L’un des consortiums concernés a assigné SIFER SpA devant le tribunal civil, lequel a autorisé la mise en cause de BNA pour les montants qui la concernaient. Le tribunal a condamné BNA au paiement de la somme correspondant à la TVA qui avait été facturée sur les rémunérations versées pour le recouvrement des contributions, majorée des intérêts. BNA a introduit un recours contre cette décision.

7.        À la suite de l’action civile, BNA a demandé à l’administration fiscale le remboursement de la TVA correspondant aux sommes exigées par les consortiums concernés. Eu égard à la décision implicite de rejet de cette demande, BNA a introduit trois recours distincts contre l’administration fiscale.

8.        Un tel litige, à savoir le litige entre BNA en tant que prestataire de services prélevant la TVA, d’une part, et l’administration fiscale, d’autre part, concernant le remboursement de la TVA indûment versée, relève de la compétence des juridictions fiscales. Selon les indications données par la juridiction de renvoi, la source normative du droit au remboursement se trouve à l’article 21 des dispositions sur le contentieux fiscal (décret législatif n° 546/92), lequel prévoit, à son paragraphe 2, que, «en l’absence de dispositions spécifiques, la demande de remboursement ne peut pas être présentée au-delà d’un délai de deux ans à compter du paiement ou de la date de survenance du fait générateur donnant lieu à remboursement, si cette dernière date est postérieure».

9.        Même si la juridiction fiscale de première instance a fait droit aux recours formés par BNA et a condamné l’administration fiscale à rembourser les sommes litigieuses, la juridiction fiscale de deuxième instance, après jonction des appels interjetés par l’administration fiscale, a réformé les jugements de première instance en relevant que BNA était déchue du droit au remboursement au motif que le délai de deux ans visé à l’article 21, paragraphe 2, du décret législatif n° 546/92 avait expiré et en faisant remarquer que la circulaire n° 52/E de l’administration fiscale ne pouvait pas constituer une base adaptée pour justifier le fait que les conditions présidant à la reconnaissance du droit au remboursement puissent être remplies.

10.      En se fondant sur les éléments de fait et de droit tels que nous les avons décrits, la Corte suprema di cassazione, qui statue sur le pourvoi en cassation formé par Banca Antoniana Popolare Veneta SpA (ci-après «BAPV»), qui a absorbé BNA, contre la décision de la juridiction fiscale de deuxième instance, a décidé de soumettre à la Cour les questions préjudicielles suivantes:

«1)      Les principes d’effectivité, de non-discrimination et de neutralité fiscale en matière de [TVA] font-ils obstacle à une réglementation ou à une pratique nationale prévoyant que le droit de l’acquéreur/client au remboursement de la TVA versée à tort s’analyse, à la différence du droit exercé par le débiteur principal (fournisseur ou prestataire de services), en un droit à la répétition de l’indu objectif de droit commun, et que le délai prévu pour l’acquéreur/client est sensiblement plus long que celui retenu pour le débiteur principal, de sorte que la demande de l’acquéreur/client, introduite alors que le délai prévu pour le débiteur principal a expiré, puisse aboutir à la condamnation du débiteur principal au remboursement, sans que ce dernier ne puisse plus demander le remboursement auprès de l’administration fiscale, et ce en l’absence de toute disposition permettant de coordonner les procédures engagées ou devant être engagées devant les différentes juridictions en vue de prévenir des conflits ou des désaccords?

2)      Indépendamment de l’hypothèse précédente, les principes susmentionnés sont-ils compatibles avec une pratique ou une jurisprudence nationale permettant qu’une décision ordonnant le remboursement soit prononcée à l’encontre du fournisseur/prestataire de services et en faveur de l’acquéreur/client, lorsque le fournisseur/prestataire de services n’a pas exercé l’action en remboursement auprès d’une autre juridiction dans les délais qui lui étaient impartis, en s’appuyant sur une interprétation jurisprudentielle, suivie par la pratique administrative, et selon laquelle l’opération est soumise à la TVA?»

 Appréciation

 Sur la première question préjudicielle

11.      Par sa première question, la juridiction de renvoi cherche à savoir si une législation nationale qui, en ce qui concerne la TVA indûment versée au Trésor public, premièrement, confère des droits différents, d’une part, au prestataire de services en tant qu’assujetti à la TVA (à savoir le droit au remboursement de la TVA indûment versée à l’égard de l’administration fiscale, une demande correspondante devant être présentée dans un délai de deux ans à compter du paiement ou de la date de survenance du fait générateur donnant lieu au remboursement) et, d’autre part, au preneur de services en tant que personne à la charge de qui la TVA a été portée (à savoir le droit à la répétition de l’indu à l’encontre du prestataire de services, soumis à un délai de dix ans) et, deuxièmement, attribue compétence à des juridictions différentes pour les litiges éventuels qui y sont relatifs (à savoir la juridiction fiscale dans le cas d’un litige entre le prestataire de services et l’administration fiscale et la juridiction civile dans le cas d’un litige entre le preneur de services et le prestataire de services) est compatible avec les principes de neutralité de la TVA, d’effectivité ainsi que de non-discrimination.

12.      À titre liminaire, il convient de relever que, selon les indications données par la Corte suprema di cassazione dans sa décision de renvoi, cette juridiction ne conteste pas que les taxes en question aient été indûment facturées et versées au Trésor public. Donc, sur ce point, il n’y a pas de désaccord entre cette juridiction et les juridictions civiles italiennes de droit commun qui ont statué sur l’action en répétition de l’indu introduite par les consortiums concernés contre BNA. Le problème qui est soulevé par les questions préjudicielles concerne le droit qui en découle, à savoir le droit à la restitution de la TVA indûment perçue et, plus précisément, le mode et les conditions de son exercice.

13.      Nous estimons qu’il peut être déduit de la jurisprudence que le droit de l’Union impose, d’une manière générale, aux États membres l’obligation de rendre possible la restitution de la TVA indûment perçue ainsi que l’exercice par les particuliers des droits qui y correspondent. La Cour est partie de cette présomption dans l’affaire qui a donné lieu à l’arrêt Schmeink & Cofreth et Strobel lorsqu’elle a statué sur la recevabilité des questions préjudicielles (3).

14.      Toutefois, la sixième directive 77/388/CEE du Conseil, du 17 mai 1977, en matière d’harmonisation des législations des États membres relatives aux taxes sur le chiffre d’affaires – Système commun de taxe sur la valeur ajoutée: assiette uniforme (4), ne comporte aucune disposition relative à la restitution de la TVA indûment facturée et, ensuite, versée au Trésor public.

15.      À cet égard, il y a lieu de rappeler que la Cour a déjà eu l’occasion de relever à plusieurs reprises que, en raison de l’absence de réglementation communautaire en matière de restitution de taxes nationales indûment perçues, ce problème est résolu de différentes manières dans les divers États membres. Dans une telle situation, il appartient à l’ordre juridique interne de chaque État membre de désigner les juridictions compétentes et de régler les modalités procédurales des recours en justice destinés à assurer la sauvegarde des droits que les justiciables tirent du droit communautaire, pour autant, d’une part, que ces modalités ne soient pas moins favorables que celles concernant des recours similaires de nature interne (principe de l’équivalence) et, d’autre part, qu’elles ne rendent pas en pratique impossible ou excessivement difficile l’exercice des droits conférés par l’ordre juridique communautaire (principe d’effectivité) (5).

16.      Sur ce point, il convient encore d’ajouter que, après les changements introduits par le traité de Lisbonne, la même obligation découle, pour les États membres, directement du traité sur l’Union européenne. Aux termes de l’article 19, paragraphe 1, deuxième alinéa, TUE, les États membres établissent les voies de recours nécessaires pour assurer une protection juridictionnelle effective dans les domaines couverts par le droit de l’Union.

17.      S’agissant du système italien de restitution de la TVA indûment perçue, ce n’est pas la première fois que ce système et ses trois aspects font l’objet de questions préjudicielles posées à la Cour par les juridictions italiennes.

18.      Premièrement, dans l’affaire qui a donné lieu à l’arrêt Reemtsma Cigarettenfabriken (6), la Cour a examiné le système italien, à la lumière des principes de neutralité, d’effectivité et de non-discrimination, du point de vue du fait que ledit système prévoit pour le prestataire de services et le preneur de services des voies différentes afin d’obtenir le remboursement de la TVA indûment facturée et versée. La Cour a finalement constaté que lesdits principes ne font pas obstacle à une législation nationale selon laquelle le prestataire de services peut seul demander le remboursement des sommes indûment versées au titre de la TVA aux autorités fiscales et le preneur de services peut exercer une action de droit civil en répétition de l’indu à l’encontre de ce fournisseur (7).

19.      Deuxièmement, dans l’affaire qui a donné lieu à l’arrêt Edis (8), la Cour a abordé l’autre aspect du système italien de restitution de la TVA indûment perçue, à savoir celui concernant les délais différents de forclusion ou de prescription dans le cas, d’une part, de la demande de remboursement de la TVA indûment versée adressée à l’administration fiscale et, d’autre part, de l’action en répétition de l’indu entre particuliers. La Cour a dit pour droit que le droit communautaire ne s’oppose pas à ce que la législation d’un État membre comporte, à côté d’un délai de prescription de droit commun applicable aux actions en répétition de l’indu entre particuliers, des modalités particulières de réclamation et de recours en justice moins favorables pour la contestation des taxes et autres impositions (9).

20.      Troisièmement, en ce qui concerne la durée elle-même du délai de forclusion pour la demande de remboursement de la TVA indûment versée adressée à l’administration fiscale, il découle de la jurisprudence de la Cour qu’il doit s’agir d’un délai raisonnable qui protège, à la fois, le contribuable et l’administration concernée. En effet, un tel délai n’est pas de nature à rendre pratiquement impossible ou excessivement difficile l’exercice des droits conférés par l’ordre juridique communautaire (10). La possibilité d’introduire une demande de remboursement de la TVA indûment versée sans aucune limitation dans le temps irait à l’encontre du principe de sécurité juridique qui exige que la situation fiscale de l’assujetti, eu égard à ses droits et obligations au regard de l’administration fiscale, ne soit pas indéfiniment susceptible d’être remise en cause (11).

21.      L’appréciation du caractère raisonnable du délai est faite par la Cour au cas par cas. En ce qui concerne le délai de forclusion de deux ans, la Cour a considéré un tel délai comme un délai raisonnable par rapport au droit à déduction de la TVA (12). Selon nous, il est possible d’appliquer cette conclusion par analogie au droit au remboursement de la TVA indûment versée.

22.      Il paraît donc, si l’on se fonde sur la jurisprudence susmentionnée, que le système italien de restitution de la TVA indûment perçue qui fait l’objet des présentes questions préjudicielles est, en tant que tel, en général, compatible avec les principes d’effectivité, de non-discrimination et de neutralité fiscale.

23.      Toutefois, en l’espèce, l’équilibre du système italien a été troublé par l’administration fiscale, qui a modifié, par circulaire, l’interprétation de l’article 10, point 5, du décret présidentiel n° 633/72, prévoyant l’exonération de la TVA dans le cas d’une activité de recouvrement des taxes. La circulaire a considéré que les contributions consortiales étaient de nature fiscale et, par conséquent, que les rémunérations perçues pour les activités de recouvrement visant ces dernières doivent être considérées comme exonérées de la TVA.

24.      Étant donné que la modification de l’interprétation susmentionnée a eu lieu après l’échéance du délai de forclusion fixé pour l’assujetti, en l’espèce pour BNA, ledit assujetti ne pouvait plus demander à l’administration fiscale le remboursement de la somme correspondant à la TVA facturée et ensuite versée au Trésor public sur les rémunérations perçues pour l’activité de recouvrement des contributions consortiales, tandis que les consortiums, en tant que preneurs d’un service consistant en une activité de recouvrement des contributions consortiales, pouvaient toujours demander à BNA la restitution des sommes en question au titre d’indu objectif.

25.      En conséquence, ce serait BNA qui supporterait la charge de la TVA même si la TVA, en tant qu’impôt sur la consommation, devrait être supportée, en général, par le consommateur final, en l’occurrence par les consortiums.

26.      Or, en l’espèce, BNA n’est pas la cause de cette situation. Comme l’indique la Corte suprema di cassazione dans sa décision de renvoi, BNA n’a fait que suivre une pratique administrative et juridictionnelle existante à l’époque de la facturation de la TVA qui, considérant que les contributions consortiales n’étaient pas de nature fiscale, laissait entendre que la TVA était due.

27.      En effet, rien n’indique que BNA n’a pas agi comme un contribuable suffisamment prudent et avisé. Par conséquent, il paraît que l’expiration infructueuse du délai de deux ans à compter du paiement de la TVA imparti à BNA pour demander le remboursement des sommes indues est imputable non pas à cette dernière, mais au contraire à l’administration fiscale.

28.      Nous estimons que, dans une telle situation, il convient d’examiner si les conséquences, décrites ci-dessus, de la modification de l’interprétation de l’article 10, point 5, du décret présidentiel n° 633/72 sur la situation juridique de BAPV, qui a absorbé BNA, ne sont pas contraires aux principes de sécurité juridique et de protection de la confiance légitime, qui font, conformément à la jurisprudence constante, partie de l’ordre juridique communautaire et qui, à ce titre, doivent être respectés par les institutions communautaires, mais également par les États membres dans l’exercice des pouvoirs que leur confèrent les directives communautaires (13).

29.      En fait, ce n’est pas la Cour qui pourrait examiner si une réglementation nationale, son interprétation ainsi que son application sont conformes aux principes de sécurité juridique et de protection de la confiance légitime. Ce rôle incombe à la seule juridiction de renvoi. La Cour, statuant sur renvoi préjudiciel au titre de l’article 267 TFUE, est uniquement compétente pour fournir à cette juridiction tous les éléments d’interprétation relevant du droit communautaire qui peuvent lui permettre d’apprécier cette conformité (14).

30.      À cet égard, il convient de rappeler que le principe de sécurité juridique exige, d’une part, que les règles de droit soient claires et précises et, d’autre part, que leur application soit prévisible pour les justiciables. Cet impératif s’impose avec une rigueur particulière lorsqu’il s’agit d’une réglementation susceptible de comporter des charges financières, afin de permettre aux intéressés de connaître avec exactitude l’étendue des obligations qu’elle leur impose (15).

31.      Nous sommes d’avis que, en l’occurrence, les doutes portent non pas sur le caractère clair et précis de l’article 10, point 5, du décret présidentiel n° 633/72 prévoyant l’exonération de la TVA dans le cas d’une activité de recouvrement des taxes, mais sur le caractère prévisible de son application. Nous partons de la prémisse que l’application du droit est indissociablement liée à son interprétation, qui a été en l’espèce modifiée par l’administration fiscale.

32.      Pour apprécier la prévisibilité de l’interprétation et de l’application de l’article 10, point 5, du décret présidentiel n° 633/72, la juridiction de renvoi devrait prendre en considération le fait non seulement que l’administration fiscale a changé sa position quant à l’imposition des rémunérations perçues pour l’activité de recouvrement des contributions consortiales, mais également que la position des juridictions italiennes sur ce point était en cours de changement.

33.      En ce qui concerne le principe de protection de la confiance légitime, l’arrêt Elmeka (16) pourrait être utile pour la juridiction de renvoi, même si ledit arrêt concerne la confiance légitime des contribuables par rapport aux actes des autorités administratives. Nous estimons que les conclusions découlant de cet arrêt peuvent être généralisées à tout comportement des autorités administratives.

34.      La juridiction de renvoi devrait alors, dans un premier temps, déterminer si le comportement de l’administration fiscale a créé, dans l’esprit d’un opérateur économique prudent et avisé, une confiance raisonnable et, ensuite, si la réponse à cette question s’avère positive, établir le caractère légitime de cette confiance (17).

35.      Lors de l’audience, l’agent du gouvernement italien a indiqué, à cet égard, que la question de l’exonération de la TVA de l’activité de recouvrement des contributions consortiales faisait déjà l’objet d’une controverse depuis un certain temps si bien qu’il était impossible d’estimer que les actes de l’autorité administrative avaient généré des attentes fondées auprès d’un opérateur économique prudent et informé.

36.      Nous estimons que ledit argument ne devrait pas, en tant que tel, jouer un rôle déterminant dans l’appréciation faite par la juridiction de renvoi. Il convient également de prendre en considération, premièrement, la durée de la période pendant laquelle la pratique administrative et judiciaire initiale, consistant à imposer l’activité de recouvrement des contributions consortiales, a été en vigueur, et, deuxièmement, le moment, par rapport aux faits à la base du litige au principal, auquel ont commencé les controverses concernant la nature des contributions consortiales.

37.      Enfin, nous souhaitons ajouter que la juridiction de renvoi, dans le cadre de son appréciation, doit tenir compte également du droit de propriété garanti par l’article 1er du protocole additionnel n° 1 à la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, signée à Rome le 4 novembre 1950, et consacré également à l’article 17 de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne, qui, selon une jurisprudence constante, fait partie des principes généraux du droit de l’Union. Selon cette jurisprudence, ce principe n’apparaît pas comme une prérogative absolue, mais doit être pris en considération par rapport à sa fonction dans la société. Par conséquent, des restrictions peuvent être apportées à l’usage du droit de propriété, à condition que ces restrictions répondent effectivement à des objectifs d’intérêt général poursuivis par l’Union européenne et ne constituent pas, au regard du but poursuivi, une intervention démesurée et intolérable qui porterait atteinte à la substance même du droit ainsi garanti (18).

38.      En l’occurrence, la juridiction de renvoi doit évaluer si le système italien en question, surtout les délais différents de forclusion ou de prescription prévus par ledit système pour, d’une part, BAPV et, d’autre part, les consortiums en ce qui concerne l’exercice de leurs droits découlant de la TVA indûment facturée et ensuite versée au Trésor public, ne cause pas, en conséquence de l’intervention de l’administration fiscale consistant dans le changement de l’interprétation, une atteinte au droit de propriété de BAPV.

39.      Si tel était le cas, il appartiendrait à la juridiction de renvoi d’apprécier si les conditions découlant de la jurisprudence et mentionnées au point 37 des présentes conclusions sont remplies.

40.      En vertu de ce qui précède, j’estime que la réponse de la Cour à la première question devrait être en ce sens que les principes de neutralité, d’effectivité et de non-discrimination ne s’opposent pas à une législation nationale, telle que celle en cause dans l’affaire au principal, qui, en ce qui concerne la TVA indûment versée au Trésor public, en premier lieu, confère des droits différents soumis à un délai de forclusion ou éventuellement de prescription différent, d’une part, au prestataire de services en tant qu’assujetti à la TVA et, d’autre part, au preneur de services en tant que personne à la charge de qui la TVA a été portée, et, en second lieu, attribue la compétence à des juridictions différentes pour les litiges éventuels qui y sont relatifs, à condition que ladite législation soit appliquée conformément aux principes de sécurité juridique et de protection de la confiance légitime ainsi que dans le respect du droit de propriété.

 Sur la seconde question préjudicielle

41.      Par sa seconde question , la Corte suprema di cassazione souhaite savoir si les principes d’effectivité, de non-discrimination et de neutralité fiscale en matière de TVA sont compatibles avec une pratique ou une jurisprudence nationale permettant qu’une décision ordonnant le remboursement soit prononcée à l’encontre du prestataire de services et en faveur du preneur de services, lorsque le prestataire de services n’a pas exercé l’action en remboursement auprès d’une autre juridiction dans les délais qui lui étaient impartis, en s’appuyant sur une interprétation jurisprudentielle suivie par la pratique administrative et selon laquelle l’opération est soumise à la TVA.

42.      Lors de l’audience, l’agent du gouvernement italien a demandé à la Cour de déclarer la seconde question irrecevable au motif que la question du remboursement de la TVA indûment facturée par BNA, ou éventuellement par BAPV, qui a absorbé BNA, ne faisait pas l’objet du litige au principal.

43.      Comme il découle d’une jurisprudence constante, il appartient aux seules juridictions nationales, qui sont saisies du litige et doivent assumer la responsabilité de la décision judiciaire à intervenir, d’apprécier, au regard des particularités de chaque affaire, tant la nécessité d’une décision préjudicielle pour être en mesure de rendre leur jugement que la pertinence des questions qu’elles posent à la Cour. Le rejet d’une demande formée par une juridiction nationale n’est possible que s’il apparaît de manière manifeste que l’interprétation sollicitée du droit communautaire n’a aucun rapport avec la réalité ou l’objet du litige au principal (19).

44.      Nous sommes d’avis que, dans la présente affaire, il s’agit précisément d’une telle situation. Il convient de reconnaître que le litige au principal, dans le cadre duquel les questions préjudicielles ont été posées, ne concerne que le remboursement par l’administration fiscale de la TVA indûment versée au Trésor public étant donné que la question du remboursement par BAPV, qui a absorbé BNA, de la TVA indûment facturée a été tranchée par une autre juridiction italienne.

45.      Étant donné que la réponse de la Cour ne pourrait être utile pour trancher le litige au principal, nous estimons que la Cour devrait déclarer la seconde question posée par la Corte suprema di cassazione irrecevable.

46.      Dans le cas où la Cour ne se rallierait pas à notre opinion et déclarerait la seconde question recevable, nous estimons que la réponse à la première question que nous proposons à la Cour répond en même temps à la seconde question, étant donné que celle-ci vise également à apprécier le système italien de la restitution de la TVA indûment perçue.

 Conclusion

47.      Au vu des considérations qui précèdent, nous proposons à la Cour, en premier lieu, de déclarer la seconde question préjudicielle posée par la Corte suprema di cassazione irrecevable et, en second lieu, de répondre de la manière suivante à la première question préjudicielle posée par cette juridiction:

«Les principes de neutralité, d’effectivité et de non-discrimination ne s’opposent pas à une législation nationale, telle que celle en cause dans l’affaire au principal, qui, en ce qui concerne la taxe sur la valeur ajoutée indûment versée au Trésor public, en premier lieu, confère des droits différents soumis à un délai de forclusion ou éventuellement de prescription différent, d’une part, au prestataire de services en tant qu’assujetti à la taxe sur la valeur ajoutée et, d’autre part, au preneur de services en tant que personne à la charge de qui la taxe sur la valeur ajoutée a été portée, et, en second lieu, attribue compétence à des juridictions différentes pour les litiges éventuels qui y sont relatifs, à condition que ladite législation soit appliquée conformément aux principes de sécurité juridique et de protection de la confiance légitime ainsi que dans le respect du droit de propriété.»


1 – Langue originale: le français.


2 – Supplément ordinaire à la GURI n° 292, du 11 novembre 1972.


3 – Arrêt du 19 septembre 2000 (C-454/98, Rec. p. I-6973, points 39 et 49).


4 – JO L 145, p. 1.


5 – Voir, en ce sens, arrêts du 15 septembre 1998, Edis (C-231/96, Rec. p. I-4951, points 33 et 34); du 11 juillet 2002, Mark & Spencer (C-62/00, Rec. p. I-6325, point 34), ainsi que du 21 janvier 2010, Alstom Power Hydro (C-472/08, Rec. p. I-623, point 17).


6 – Arrêt du 15 mars 2007 (C-35/05, Rec. p. I-2425).


7 – Arrêt Reemtsma Cigarettenfabriken (cité note 6, point 42).


8 – Cité note 5.


9 – Arrêt Edis (cité note 5, point 37). La même constatation est également contenue, par exemple, dans l’arrêt du 9 février 1999, Dilexport (C-343/96, Rec. p. I-579, point 28).


10 – Voir, en ce sens, arrêts du 16 décembre 1976, Rewe-Zentralfinanz et Rewe-Zentral (33/76, Rec. p. 1989, point 5); Edis (cité note 5, point 35), ainsi que du 30 juin 2011, Meilicke e.a. (C-262/09, non encore publié au Recueil, point 56).


11 – Voir, par analogie, arrêts du 8 mai 2008, Ecotrade (C-95/07 et C-96/07, Rec. p. I-3457, point 44), ainsi que Alstom Power Hydro (cité note 5, point 16).


12 – Voir arrêts Ecotrade (cité note 11, point 48) et Alstom Power Hydro (cité note 5, point 20).


13 – Voir, en ce sens, arrêts du 14 septembre 2006, Elmeka (C-181/04 à C-183/04, Rec. p. I-8167, point 31), ainsi que du 10 septembre 2009, Plantanol (C-201/08, Rec. p. I-8343, point 43 et jurisprudence citée).


14 – Voir, en ce sens, arrêt Plantanol (cité note 13, point 45 et jurisprudence citée).


15 – Voir, en ce sens, arrêts Plantanol (cité note 13, point 46 et jurisprudence citée), ainsi que du 2 décembre 2009, Aventis Pasteur (C-358/08, Rec. p. I-11305, point 47).


16 – Cité note 13.


17 – Voir, en ce sens, arrêt Elmeka (cité note 13, point 32 et jurisprudence citée).


18 – Voir, en ce sens, arrêt du 3 septembre 2008, Kadi et Al Barakaat International Foundation/Conseil et Commission (C-402/05 P et C-415/05 P, Rec. p. I-6351, point 355 et jurisprudence citée).


19 – Voir, en ce sens, notamment arrêts du 17 mai 1994, Corsica Ferries (C-18/93, Rec. p. I-1783, point 14); du 18 juin 1998, Corsica Ferries France (C-266/96, Rec. p. I-3949, point 27), ainsi que du 10 mars 2009, Heinrich (C-345/06, Rec. p. I-1659, points 36 et 37).