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ARRÊT DE LA COUR (cinquième chambre)

17 septembre 2015 (*)

«Renvoi préjudiciel – Libre circulation des capitaux – Article 56 CE – Imposition provisoire des revenus de capitaux et des revenus tirés de la cession de participations perçus par une fondation nationale – Refus du droit à déduction de la base d’imposition des donations au profit de bénéficiaires non-résidents non imposables dans l’État membre d’imposition de la fondation au titre d’une convention relative à la prévention de la double imposition»

Dans l’affaire C-589/13,

ayant pour objet une demande de décision préjudicielle au titre de l’article 267 TFUE, introduite par la Cour administrative (Verwaltungsgerichtshof, Autriche), par décision du 23 octobre 2013, parvenue à la Cour le 19 novembre 2013, dans la procédure engagée par

F. E. Familienprivatstiftung Eisenstadt,

en présence de

Unabhängiger Finanzsenat, Außenstelle Wien,

LA COUR (cinquième chambre),

composée de M. T. von Danwitz, président de chambre, MM. C. Vajda, A. Rosas (rapporteur), E. Juhász et D. Šváby, juges,

avocat général: M. M. Wathelet,

greffier: M. M. Aleksejev, administrateur,

vu la procédure écrite et à la suite de l’audience du 21 janvier 2015,

considérant les observations présentées:

–        pour le gouvernement autrichien, par Mme C. Pesendorfer ainsi que par MM. J. Bauer et M. Klamert, en qualité d’agents,

–        pour la Commission européenne, par MM. A. Cordewener, W. Roels et M. Wasmeier, en qualité d’agents,

vu la décision prise, l’avocat général entendu, de juger l’affaire sans conclusions,

rend le présent

Arrêt

1        La demande de décision préjudicielle porte sur l’interprétation de l’article 56, paragraphe 1, CE.

2        Cette demande a été présentée dans le cadre d’un recours introduit par F.E. Familienprivatstiftung Eisenstadt (ci-après «la fondation privée») contre la décision de l’Unabhängiger Finanzsenat, Außenstelle Wien (chambre fiscale indépendante, section de Vienne, ci-après l’«UFS») lui refusant le droit de prendre en compte les donations à des bénéficiaires résidant dans d’autres États membres pour le calcul d’un impôt auquel la fondation privée a été soumise au titre des exercices fiscaux 2001 et 2002.

 Le droit autrichien

3        La réglementation autrichienne pertinente pour le litige au principal concerne l’imposition des fondations privées au cours des années 2001 et 2002.

 Le régime d’imposition des fondations privées antérieur à l’année 2001

4        Les fondations privées («Privatstiftungen») ont été instituées par le législateur autrichien en 1993 dans le cadre de la loi sur les fondations (Privatstiftungsgesetz, BGBl. 694/1993).

5        Les fondations privées sont assujetties à l’impôt sur les sociétés. Toutefois, en vertu de la réglementation en vigueur jusqu’à la fin de l’année 2000, les revenus de capitaux et de participations, lorsqu’ils étaient perçus par une fondation privée, étaient généralement exonérés de l’impôt sur les sociétés au niveau de la fondation. L’imposition avait alors lieu au moment où les revenus de la fondation étaient transférés aux différents bénéficiaires par l’effet des donations accordées par la fondation. En vertu de l’article 27, paragraphe 1, point 7, de la loi relative à l’impôt sur le revenu de 1988 (Einkommensteuergesetz, ci-après l’«EStG 1988»), ces donations étaient considérées, chez le bénéficiaire, comme des revenus de capitaux soumis à l’impôt sur les revenus de capitaux au taux de 25 %.

 Le régime d’imposition des fondations privées au cours des années 2001 à 2004

6        Le régime d’imposition des fondations privées a été modifié à partir de l’année 2001 par la loi d’accompagnement du budget 2001 (Budgetbegleitgesetz 2001, BGBl. I, 142/2000), notamment par l’introduction de plusieurs dispositions nouvelles dans la loi relative à l’impôt sur les sociétés de 1988 (Körperschaftsteuergesetz 1988, ci-après le «KStG 1988»).

7        Selon l’exposé des motifs de la loi d’accompagnement du budget 2001, ces dispositions visaient essentiellement à réduire l’exonération globale de l’impôt sur le revenu des sociétés dont bénéficiaient auparavant les fondations privées et à percevoir, directement auprès des fondations privées, un impôt cédulaire, à un taux réduit, visant certains revenus de capitaux et de participations de ces fondations. Cet impôt direct à taux réduit a été qualifié d’«imposition provisoire» («Zwischensteuer», ci-après l’«impôt provisoire»).

8        L’article 13, paragraphe 3, du KStG 1988, tel que modifié par la loi d’accompagnement du budget 2001, prévoit:

«Lorsque les fondations [privées] ne relèvent ni de l’article 5, points 6 ou 7, ni de l’article 7, paragraphe 3, ne doivent pas être compris dans les recettes ou dans le revenu, mais doivent être imposés séparément conformément à l’article 22, paragraphe 3:

1.      les revenus de capitaux nationaux et étrangers provenant de

–      dépôts de fonds et autres créances sur des établissements de crédit (article 93, paragraphe 2, point 3, de l’[EStG 1988]),

–      titres de créance au sens de l’article 93, paragraphe 3, points 1 à 3, de l’[EStG 1988] si, lors de leur émission, ils ont, tant sur le plan légal que sur le plan pratique, été proposés à un ensemble de personnes indéterminées,

–      titres de créance au sens de l’article 93, paragraphe 3, points 4 et 5, de l’[EStG 1988], dans la mesure où ces revenus de capitaux relèvent du revenu du capital au sens de l’article 27 de l’[EStG 1988];

2.      les revenus provenant de la cession de participations au sens de l’article 31 de l’[EStG 1988], sous réserve de l’application du paragraphe 4.

Les revenus de capitaux et les revenus provenant de la cession de participations ne sont pas imposés (article 22, paragraphe 3) si, au cours de l’exercice fiscal, des donations au sens de l’article 27, paragraphe 1, point 7, de l’[EStG 1988] ont été effectuées, si un impôt sur les revenus de capitaux a été retenu sur celles-ci et s’il n’y a pas d’exonération de l’impôt sur les revenus de capitaux en vertu d’une convention préventive de la double imposition.»

9        Conformément à l’article 22, paragraphe 3, du KStG 1988, tel que modifié par la loi d’accompagnement du budget 2001, l’impôt sur les sociétés s’élevait à 12,5 % pour les revenus de capitaux et les autres revenus d’une fondation privée soumis à imposition au titre de l’article 13, paragraphe 3, du KStG 1988.

10      Aux termes de l’article 24, paragraphe 5, du KStG 1988, tel que modifié par la loi d’accompagnement du budget 2001:

«L’impôt sur les sociétés qui frappe les revenus de capitaux et les autres revenus au sens de l’article 13, paragraphes 3 et 4, doit être crédité par voie de rôle conformément aux dispositions suivantes:

1.      L’impôt sur les sociétés est calculé et acquitté lors de la remise de la déclaration fiscale après détermination de son assiette.

2.      La fondation effectue des donations au sens de l’article 27, paragraphe 1, point 7, de l’[EStG 1988] qui ne se sont pas traduites par une non-imposition au sens de l’article 13, paragraphe 3, dernière phrase.

3.      Le crédit d’impôt s’élève à 12,5 % de l’assiette des donations aux fins de la retenue de l’impôt sur les revenus de capitaux.

4.      La fondation tient un compte dans lequel sont inscrits régulièrement l’impôt sur les sociétés acquitté annuellement, les montants crédités et le solde entrant en ligne de compte pour chaque crédit d’impôt.

5.      En cas de dissolution de la fondation, le montant entrant en ligne de compte pour un crédit d’impôt à la date de la dissolution est crédité intégralement.»

 Les précisions relatives au régime de l’imposition provisoire en droit autrichien

11      L’exposé des motifs de la loi d’accompagnement du budget 2001, que cite la juridiction de renvoi, indique, concernant l’impôt provisoire:

«[...] à compter de l’année 2001[, l]es intérêts produits par les titres de dépôt et de créance seront soumis à une sorte d’imposition provisoire et ce à un taux particulièrement réduit. Cette imposition est prélevée dans un premier temps lors de la perception des intérêts. Si la fondation opère (par la suite) des donations, un crédit d’impôt est toutefois attribué conformément aux dispositions législatives. L’importance des donations effectuées ne modifie donc pas la charge fiscale globale.

Ce système est mis en œuvre par des modifications législatives dans deux domaines. Premièrement, les dispositions d’exonération figurant actuellement à l’article 13, paragraphe 2, du KStG 1988 sont adaptées. L’imposition des intérêts, jusqu’à présent exonérés, est de type cédulaire; elle est opérée au taux réduit de 12,5 % (voir article 13, paragraphe 3, du KStG 1988) par voie de rôle. Il n’y a pas d’imposition si des distributions ont été effectuées au cours de l’année où les intérêts ont été perçus. Deuxièmement, un crédit d’impôt correspondant à cet impôt réduit est prévu à l’article 24, paragraphe 5, du KStG 1988; il sera attribué par voie de rôle. Ce crédit d’impôt suppose d’une part que l’impôt réduit a effectivement déjà été acquitté à la date de remise de la déclaration fiscale. D’autre part, il doit y avoir des donations sur lesquelles l’impôt sur les revenus de capitaux a été retenu. Le crédit d’impôt est égal à un montant de 12,5 % de la donation qui correspond au taux réduit. D’un point de vue formel, la tenue d’un compte qui retrace l’évolution et l’état des montants entrant en ligne de compte pour un crédit d’impôt est exigée.

Exemple: une fondation perçoit en 2001 des intérêts d’un montant de 2 000 000 de schilling autrichien (ATS). Pendant cette année, les donations se sont élevées à 500 000 ATS. Un impôt provisoire correspondant à 12,5 % de 1 500 000 ATS, soit 187 500 ATS, est dû. En 2002, les intérêts perçus s’élèvent à 2 500 000 ATS. Aucune donation n’est effectuée pendant cette année. L’impôt provisoire afférent à 2002 s’élève à 312 500 ATS. En 2003, les intérêts échus sont de 2 000 000 ATS et les donations s’élèvent à 2 100 000 ATS. Aucun impôt provisoire n’est dû au titre de cette année. Un crédit d’impôt correspondant à 12,5 % de 100 000 ATS, soit 12 500 ATS, est accordé en contrepartie de l’impôt provisoire dû au titre des années 2001 et 2002.»

 Le litige au principal et la question préjudicielle

12      La fondation privée, créée en vertu du droit autrichien, a perçu, au cours des années 2001 et 2002, des revenus de capitaux et des revenus tirés de la cession de participations qui relevaient du champ d’application de l’article 13, paragraphe 3, première phrase, du KStG 1988, tel que modifié par la loi d’accompagnement du budget 2001. Simultanément, durant ces deux années, la fondation privée a effectué des donations en faveur d’une personne résidant en Belgique et d’une autre résidant en Allemagne.

13      Durant chacune de ces deux années, la fondation privée a prélevé l’impôt sur les revenus de capitaux au taux de 25 % auquel sont soumis, à la source, les bénéficiaires de ces donations et l’a reversé à l’administration fiscale autrichienne.

14      Par la suite toutefois, les deux bénéficiaires étrangers ont demandé à l’administration fiscale autrichienne le remboursement de l’impôt sur les revenus de capitaux prélevé sur les donations en invoquant les conventions préventives de la double imposition en vigueur entre la République d’Autriche et leur État de résidence. Le bénéficiaire résidant en Belgique a introduit ses demandes relatives aux années 2001 et 2002 et a obtenu le remboursement de l’intégralité de l’impôt autrichien sur les revenus de capitaux qui avait été retenu à la source sur les donations qu’il avait reçues. Le bénéficiaire résidant en Allemagne a introduit sa demande uniquement pour l’année 2001 et a également obtenu le remboursement de l’impôt sur les revenus de capitaux correspondant.

15      Dans le cadre de ses déclarations fiscales relatives à l’impôt sur les sociétés pour les années 2001 et 2002, la fondation privée a minoré ses revenus de capitaux et ses revenus provenant de cessions, en principe assujettis à l’«imposition provisoire» en vertu de l’article 13, paragraphe 3, première phrase, du KStG 1988, tel que modifié par la loi d’accompagnement du budget 2001, en déduisant de la base d’imposition les donations effectuées en faveur des deux bénéficiaires précités ces années-là. Ces donations ayant été plus élevées que les revenus de capitaux et de cessions, la fondation privée a déclaré une assiette fiscale de 0 euro, ce qui aurait dû la dispenser du paiement de tout impôt.

16      L’administration fiscale (Finanzamt) compétente a cependant estimé qu’il était exclu de déduire les donations accordées aux bénéficiaires des montants imposables en vertu de l’article 13, paragraphe 3, première phrase, du KStG 1988, tel que modifié par la loi d’accompagnement du budget 2001, dès lors que les bénéficiaires précités avaient obtenu l’exonération de l’impôt sur les revenus de capitaux en vertu d’une convention préventive de la double imposition. Par conséquent, l’administration fiscale a soumis les revenus de capitaux et de participations perçus au cours des années 2001 et 2002 à l’impôt provisoire au taux de 12,5 %, en vertu de l’article 22, paragraphe 3, du KStG 1988, tel que modifié par la loi d’accompagnement du budget 2001.

17      La fondation privée a formé un recours devant l’UFS contre les avis relatifs à l’impôt sur les sociétés qu’elle s’est vu notifier pour les années 2001 et 2002.

18      Subsidiairement, la fondation privée a fait valoir devant l’UFS qu’il devait lui être accordé, durant les années suivantes, un crédit d’impôt correspondant à l’impôt provisoire payé précédemment, en vertu de l’article 24, paragraphe 5, du KStG 1988, tel que modifié par la loi d’accompagnement du budget 2001.

19      Par décision du 10 juin 2010, l’UFS a confirmé le bien-fondé de l’impôt provisoire auquel a été soumise la fondation privée, au taux alors applicable de 12,5 % sur l’assiette non réduite par les donations aux bénéficiaires en Belgique et en Allemagne au cours de l’année 2001 et au bénéficiaire en Belgique durant l’année 2002.

20      L’UFS, confirmant le point de vue de l’administration fiscale, a considéré que, pour ce qui est de ces donations, il y avait eu exonération de l’impôt sur les revenus de capitaux conformément à des conventions relatives à la prévention de la double imposition, ce qui excluait leur déduction de l’assiette de l’impôt provisoire.

21      En revanche, l’UFS a partiellement accepté la demande subsidiaire de la fondation privée visant à obtenir un crédit d’impôt a posteriori, en vertu de l’article 24, paragraphe 5, du KStG 1988, tel que modifié par la loi d’accompagnement du budget 2001, pour l’impôt provisoire dû pour l’année 2001, au titre de l’impôt sur les sociétés relatif à l’exercice fiscal 2002. L’UFS a en effet estimé que les donations effectuées au cours de l’année 2002 au profit du bénéficiaire résidant en Belgique ouvraient droit, dans le chef de la fondation privée, à un tel crédit d’impôt partiel.

22      La fondation privée a introduit un recours contre cette décision de l’UFS devant la Cour administrative.

23      La fondation privée fait valoir, devant la juridiction de renvoi, qu’il est contraire à la libre circulation des capitaux consacrée à l’article 56 CE d’exclure que les donations pour lesquelles les bénéficiaires ont bénéficié d’une exonération de l’impôt sur les revenus des capitaux en raison d’une convention relative à la prévention de la double imposition soient déduites de l’assiette de calcul de l’impôt provisoire, même si l’UFS admet que des donations de même nature effectuées lors des années suivantes sont susceptibles de donner droit à des crédits d’impôts.

24      La juridiction de renvoi, qui a déjà jugé que les donations transfrontalières opérées par des fondations constituent des mouvements de capitaux au sens de l’article 56 CE, estime qu’il est très probable qu’imposer exclusivement une fondation lorsque des donations sont effectuées au profit de bénéficiaires étrangers sans l’imposer en cas de donations à des bénéficiaires nationaux, comme l’administration fiscale et l’UFS ont décidé de le faire dans l’affaire au principal, constitue une restriction à la libre circulation des capitaux, une telle mesure étant de nature à dissuader de créer de telles structures transfrontalières, alors que, selon ce principe de la libre circulation, même une restriction de faible portée ou d’importance mineure est en principe interdite.

25      La juridiction de renvoi relève que l’examen d’une éventuelle justification de la restriction à la libre circulation des capitaux induite par l’article 13, paragraphe 3, du KStG 1988, tel que modifié par la loi d’accompagnement du budget 2001, est compliquée par le fait que le but poursuivi par cette exclusion n’a jamais été indiqué dans les travaux préparatoires.

26      Cette juridiction expose, à cet égard, que le régime de l’imposition provisoire visait à pallier deux problèmes liés au régime fiscal des fondations privées résidentes. Le premier problème était lié à la thésaurisation libre de l’impôt sur les sociétés en raison de l’absence, jusqu’à la fin de l’année 2000, d’imposition des revenus de capitaux et de cession de participations des fondations. Le second était lié à l’absence, en Autriche, d’imposition des donations à des bénéficiaires résidant à l’étranger, le droit d’imposer ces donations appartenant exclusivement à l’État membre de résidence du bénéficiaire en vertu de conventions relatives à la prévention de la double imposition.

27      En l’occurrence, selon la juridiction de renvoi, lorsque l’impôt provisoire doit être acquitté même si une donation est effectuée, le régime de l’imposition provisoire sert à atténuer les incidences du second des problèmes posés par ce régime d’imposition, à savoir l’absence d’imposition en Autriche.

28      À cet égard, la juridiction de renvoi observe que l’article 13, paragraphe 3, dernière phrase, du KStG 1988, tel que modifié par la loi d’accompagnement du budget 2001, a simplement atténué ce problème sans l’éliminer totalement, étant donné que la fondation n’est pas définitivement imposée, mais qu’elle se voit appliquer un prélèvement, l’impôt provisoire, qui, conformément à l’article 24, paragraphe 5, du KStG 1988, tel que modifié, fera l’objet d’un crédit d’impôt et sera totalement remboursé au plus tard lors de la dissolution de la fondation. Jusqu’à l’octroi de ce crédit d’impôt, la fondation concernée ne pourra toutefois réduire son assiette fiscale à concurrence des donations pour lesquelles le bénéficiaire bénéficie d’une exonération fiscale sur la base d’une convention préventive de la double imposition.

29      La juridiction de renvoi n’exclut pas qu’une telle restriction induite par la législation fiscale nationale porte atteinte à la liberté de circulation des capitaux visée à l’article 56 CE, mais considère que les différences existant entre le régime fiscal complexe sur lequel il est appelé à statuer et ceux que la Cour a déjà été amenée à examiner dans le cadre d’affaires similaires sont trop grandes pour qu’une telle interprétation s’impose de manière évidente.

30      Dans ces circonstances, la Cour administrative a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour la question préjudicielle suivante:

«L’article 56 CE doit-il être interprété en ce sens qu’il s’oppose à un régime d’imposition des revenus de capitaux et des revenus tirés de la cession de participations perçus par une fondation autrichienne qui ne prévoit un assujettissement de la fondation à un ‘impôt provisoire’, pour garantir une imposition unique nationale, que dans le cas où, en raison d’une convention préventive de la double imposition, le bénéficiaire de donations de la fondation est exempté de l’impôt sur les revenus de capitaux qui frappe en principe les donations?»

 Sur la question préjudicielle

 Observations liminaires

31      Selon son libellé, la question de la juridiction de renvoi porte sur l’assujettissement des fondations privées résidentes à l’impôt provisoire lorsque le bénéficiaire d’une donation effectuée par une telle fondation est exempté de l’impôt en Autriche en raison d’une convention relative à la prévention de la double imposition et vise à savoir si l’article 56 CE doit être interprété en ce sens qu’il s’oppose à un régime tel que celui mis en place dans le cadre de l’imposition provisoire des fondations à partir de l’année 2001, en cause dans le litige au principal.

32      Ainsi qu’il ressort des points 7, 11, 26 à 28 du présent arrêt, la décision de renvoi comporte divers développements relatifs aux aspects du régime de l’imposition provisoire sur lesquels porte le litige au principal, régime complexe au regard duquel la juridiction de renvoi indique avoir posé sa question et qu’il convient dès lors de prendre en compte afin d’appréhender cette dernière.

33      Au vu desdits développements, il apparaît que les interrogations de la juridiction de renvoi portent, dans le cadre de l’imposition provisoire qui frappe les revenus de capitaux et les revenus tirés de la cession de participations qu’une fondation privée résidente a perçus au cours d’une période d’imposition déterminée, sur le droit, pour une telle fondation, de déduire de son assiette d’imposition le montant des donations effectuées au cours de la même période d’imposition. Cette déduction n’est en effet accordée que si le bénéficiaire de la donation est imposable en Autriche. En revanche, une telle déduction est refusée à la fondation lorsque le bénéficiaire de la donation réside dans un autre État membre que la République d’Autriche et se prévaut d’une convention relative à la prévention de la double imposition pour obtenir une exonération de l’impôt autrichien sur les revenus de capitaux.

34      Par conséquent, par sa question préjudicielle, la juridiction de renvoi demande, en substance, si l’article 56 CE doit être interprété en ce sens qu’il s’oppose à une législation fiscale d’un État membre, telle que celle en cause au principal, en vertu de laquelle, dans le cadre de l’imposition provisoire qui frappe les revenus de capitaux et les revenus tirés de la cession de participations perçus par une fondation privée résidente, cette dernière n’a le droit de déduire de sa base d’imposition relative à un exercice fiscal donné que les donations effectuées au cours du même exercice fiscal et ayant fait l’objet d’une imposition à charge des bénéficiaires de ces donations dans l’État membre d’imposition de la fondation, tandis qu’une telle déduction est exclue par cette législation fiscale nationale si le bénéficiaire réside dans un autre État membre et est, dans l’État membre d’imposition de la fondation, exempté de l’impôt qui frappe en principe les donations au titre d’une convention relative à la prévention de la double imposition.

 Sur l’existence d’une restriction à la libre circulation des capitaux

35      Selon une jurisprudence constante de la Cour, l’article 56, paragraphe 1, CE interdit de façon générale les restrictions aux mouvements de capitaux entre les États membres (arrêts Persche, C-318/07, EU:C:2009:33, point 23, et Mattner, C-510/08, EU:C:2010:216, point 18).

36      En l’absence, dans le traité CE, de définition de la notion de «mouvements de capitaux», au sens de l’article 56, paragraphe 1, CE, la Cour a reconnu une valeur indicative à la nomenclature qui constitue l’annexe I de la directive 88/361/CEE du Conseil, du 24 juin 1988, pour la mise en œuvre de l’article 67 du traité [article abrogé par le traité d’Amsterdam] (JO L 178, p. 5), même si celle-ci a été adoptée sur le fondement des articles 69 et 70, paragraphe 1, du traité CEE (devenus articles 69 et 70, paragraphe 1, du traité CE, articles abrogés par le traité d’Amsterdam), étant entendu que, conformément à l’introduction de cette annexe, la liste qu’elle contient ne présente pas un caractère exhaustif. Les dons et les dotations apparaissent sous la rubrique XI, intitulée «Mouvements de capitaux à caractère personnel», figurant à ladite annexe I (arrêts Persche, C-318/07, EU:C:2009:33, point 24; Mattner, C-510/08, EU:C:2010:216, point 19, et Commission/Espagne, C-127/12, EU:C:2014:2130, point 52).

37      La Cour a déjà jugé que le traitement fiscal des donations, que celles-ci portent sur des sommes d’argent, des biens immeubles ou des biens meubles, relève des dispositions du traité relatives aux mouvements de capitaux, à l’exception des cas où leurs éléments constitutifs se cantonnent à l’intérieur d’un seul État membre (voir, en ce sens, arrêts Persche, C-318/07, EU:C:2009:33, point 27; Mattner, C-510/08, EU:C:2010:216, point 20, et Q, C-133/13, EU:C:2014:2460, point 18).

38      L’affaire au principal ne se rapporte pas directement au traitement fiscal des donations, au sens d’un traitement différencié entre les donations à des bénéficiaires résidents et les donations à des bénéficiaires résidant dans un autre État membre. Elle concerne le traitement fiscal des fondations privées résidentes qui diffère selon que les donations qu’elles effectuent à destination de bénéficiaires résidant en Autriche ou dans un autre État membre sont ou non imposables dans le chef de ces derniers en Autriche.

39      Dans l’affaire au principal, au cours des années 2001 et 2002, la fondation privée a effectué des donations en faveur notamment de deux bénéficiaires résidant dans un État membre autre que la République d’Autriche. Il s’agissait de versements financiers sans la moindre contrepartie de la part des bénéficiaires. Comme l’indique à juste titre la Commission européenne, non seulement l’apport du patrimoine initial dans la fondation par le fondateur lors de sa création, mais aussi les versements ultérieurs effectués à partir de ce patrimoine en faveur des bénéficiaires relèvent de la notion de «mouvements de capitaux», au sens de l’article 56, paragraphe 1, CE.

40      Il en résulte qu’une situation telle que celle en cause au principal, dans laquelle une fondation privée établie en Autriche effectue des donations en faveur de deux bénéficiaires résidant l’un en Belgique, l’autre en Allemagne, relève, tant pour l’année 2001 que pour l’année 2002, des mouvements internationaux de capitaux, protégés de toute restriction au titre de l’article 56, paragraphe 1, CE.

41      Il y a dès lors lieu d’examiner, en premier lieu, si, comme le font valoir tant la fondation privée, dans le cadre de la procédure au principal, que la Commission dans ses observations écrites devant la Cour, une réglementation nationale telle que celle en cause au principal constitue une restriction aux mouvements de capitaux.

42      Le régime mis en place par l’article 13, paragraphe 3, du KSTG 1988, tel que modifié par la loi d’accompagnement du budget 2001, implique une différence de traitement entre les fondations privées résidentes dans leur droit à une réduction immédiate de l’impôt provisoire selon que les bénéficiaires des donations qu’effectuent ces fondations au cours d’un exercice fiscal donné sont ou non soumis à l’impôt autrichien sur les revenus de capitaux.

43      Si, comme le fait valoir le gouvernement autrichien, les donations pour lesquelles un tel droit à réduction immédiate ou à remboursement immédiat est exclu peuvent comprendre également des donations à des bénéficiaires résidant en Autriche, dès lors que ceux-ci sont exonérés de l’impôt sur les revenus de capitaux, elles comprennent notamment les donations à des bénéficiaires non-résidents dans la mesure où, conformément au modèle de convention relative à la prévention de la double imposition établi par l’Organisation de développement et de coopération économiques (OCDE), les donations sont considérées comme un revenu, au sens de l’article 21, paragraphe 1, dudit modèle de convention, et ne sont pas imposées en Autriche, étant soumises au pouvoir d’imposition exclusif de l’État de résidence du bénéficiaire.

44      Ainsi que le soutient la Commission, ces mouvements de capitaux sont restreints par la règle énoncée à l’article 13, paragraphe 3, dernière phrase, du KStG 1988, tel que modifié par la loi d’accompagnement du budget 2001, applicable à l’affaire au principal.

45      Puisque les donations accordées par une fondation privée résidente à des bénéficiaires nationaux ouvrent le droit à une réduction, voire une exonération, de l’impôt provisoire par l’effet de la déductibilité de ce type de donations de la base de calcul de cet impôt, ladite fondation dispose durablement, toutes choses étant égales par ailleurs, de moyens financiers plus importants, qu’elle peut soit employer immédiatement pour effectuer des donations supplémentaires en faveur de bénéficiaires résidents, soit utiliser pour obtenir des revenus supplémentaires, ce qui lui permettra ensuite d’octroyer des donations supérieures à ces mêmes bénéficiaires.

46      De plus, le traitement fiscal défavorable qui résulte de l’application de l’article 13, paragraphe 3, dernière phrase, du KStG 1988, tel que modifié par la loi d’accompagnement du budget 2001, en cas de donation à des bénéficiaires exemptés du paiement de l’impôt sur les revenus de capitaux en Autriche par l’effet d’une convention relative à la prévention de la double imposition conclue entre leur État membre de résidence et la République d’Autriche, est susceptible de conduire à une restriction au niveau de la fondation elle-même.

47      Une fondation ayant des bénéficiaires résidant sur le territoire national et d’autres établis dans un autre État membre sera en effet dissuadée de procéder à des donations en faveur de ces derniers puisque, à défaut de pouvoir bénéficier de réduction ou de remboursement d’impôt en lien avec les donations, l’impôt provisoire prélevé sur ses revenus réduit les moyens financiers dont elle dispose au total, aussi bien pour générer des recettes que pour effectuer des donations aux bénéficiaires résidents. Au niveau de la fondation, il en résulterait une distorsion dans la sélection qu’elle opérera entre les donations internationales, fiscalement défavorisées, et les donations purement nationales, fiscalement plus favorables.

48      Par ailleurs, dans la mesure où les donations en faveur de bénéficiaires résidant dans un autre État membre aboutiront à l’imposition provisoire des revenus de sa fondation au taux de 12,5 %, pour le fondateur, la constitution d’une fondation privée ayant des bénéficiaires résidant dans un autre État membre est d’emblée moins intéressante que la constitution d’une fondation équivalente n’ayant que des bénéficiaires établis en Autriche.

49      Il importe, dans ce contexte, de souligner qu’il n’est pas nécessaire que la charge fiscale soit lourde ou définitive pour qu’une législation fiscale soit considérée comme constitutive d’une restriction prohibée à une liberté fondamentale.

50      Selon une jurisprudence constante de la Cour, même une restriction de faible portée ou d’importance mineure à une liberté fondamentale est prohibée par le traité (voir, en ce sens, s’agissant de la libre circulation des capitaux, arrêt Dijkman et Dijkman-Lavaleije, C-233/09, EU:C:2010:397, point 42, et, s’agissant de la liberté d’établissement, arrêts Commission/France, C-34/98, EU:C:2000:84, point 49, ainsi que de Lasteyrie du Saillant, C-9/02, EU:C:2004:138, point 43).

51      Un désavantage en matière de trésorerie qui se produit dans une situation transfrontalière peut constituer une restriction aux libertés fondamentales lorsque pareil désavantage ne se produit pas dans une situation purement nationale (voir, en ce sens, arrêts Metallgesellschaft e.a., C-397/98 et C-410/98, EU:C:2001:134, points 44, 54 et 76; X et Y, C-436/00, EU:C:2002:704, points 36 et 37; Rewe Zentralfinanz, C-347/04, EU:C:2007:194, points 26 à 30; National Grid Indus, C-371/10, EU:C:2011:785, points 36 et 37; DMC, C-164/12, EU:C:2014:20, points 40 à 43, ainsi que Commission/Allemagne, C-591/13, EU:C:2015:230, points 55 à 61).

52      Une différence de traitement en ce qui concerne le calcul de l’imposition provisoire est susceptible d’entraîner un désavantage en matière de trésorerie pour la fondation privée résidente souhaitant effectuer une donation à des bénéficiaires résidant sur le territoire d’un autre État membre et peut ainsi constituer une restriction aux libertés fondamentales si la fondation concernée ne subit pas pareil désavantage dans une situation purement nationale. Or, la fondation privée en cause au principal a subi un désavantage de trésorerie de ce type en raison de ses donations à des bénéficiaires résidant en Belgique et en Allemagne au cours des années 2001 et 2002, lequel désavantage n’a pas été éliminé par le crédit d’impôt accepté par l’UFS et imputant une partie de l’impôt provisoire dû pour l’année 2001 sur l’impôt provisoire dû pour l’année 2002.

53      L’application de l’article 13, paragraphe 3, dernière phrase, du KStG 1988, tel que modifié par la loi d’accompagnement du budget 2001, induit, partant, une restriction à la libre circulation des capitaux, laquelle est, en principe, interdite par l’article 56 CE.

54      Il convient toutefois d’examiner, en second lieu, si cette restriction à la libre circulation des capitaux est susceptible d’être objectivement justifiée au regard des dispositions du traité.

55      Il importe de rappeler à cet effet que, aux termes de l’article 58, paragraphe 1, sous a), CE, l’article 56 CE «ne porte pas atteinte au droit qu’ont les États membres [...] d’appliquer les dispositions pertinentes de leur législation fiscale qui établissent une distinction entre les contribuables qui ne se trouvent pas dans la même situation en ce qui concerne leur résidence ou le lieu où leurs capitaux sont investis».

56      Cette disposition, en tant qu’elle constitue une dérogation au principe fondamental de la libre circulation des capitaux, doit faire l’objet d’une interprétation stricte. Partant, elle ne saurait être interprétée en ce sens que toute législation fiscale comportant une distinction entre les contribuables en fonction du lieu où ils résident ou de l’État membre dans lequel ils investissent leurs capitaux est automatiquement compatible avec le traité (arrêts Mattner, C-510/08, EU:C:2010:216, point 32, et FIM Santander Top 25 Euro Fi, C-338/11 à C-347/11, EU:C:2012:286, point 21).

57      En effet, la dérogation prévue à l’article 58, paragraphe 1, sous a), CE est elle-même limitée par le paragraphe 3 de cet article, qui prévoit que les dispositions nationales visées au paragraphe 1 dudit article «ne doivent constituer ni un moyen de discrimination arbitraire ni une restriction déguisée à la libre circulation des capitaux et des paiements telle que définie à l’article 56» (arrêts Mattner, C-510/08, EU:C:2010:216, point 33, et FIM Santander Top 25 Euro Fi, C-338/11 à C-347/11, EU:C:2012:286, point 22).

58      Il y a lieu, dès lors, de distinguer les différences de traitement permises au titre de l’article 58, paragraphe 1, sous a), CE des discriminations interdites par le paragraphe 3 de ce même article. Or, il ressort de la jurisprudence de la Cour que, pour qu’une réglementation fiscale nationale telle que celle en cause au principal puisse être considérée comme compatible avec les dispositions du traité relatives à la libre circulation des capitaux, il est nécessaire que la différence de traitement concerne des situations qui ne sont pas objectivement comparables ou soit justifiée par une raison impérieuse d’intérêt général. En outre, pour être justifiée, la différence de traitement entre ces deux catégories de donations ne doit pas aller au-delà de ce qui est nécessaire pour que l’objectif poursuivi par la réglementation en cause soit atteint (voir, en ce sens, arrêts Manninen, C-319/02, EU:C:2004:484, point 29; Mattner, C-510/08, EU:C:2010:216, point 34, et FIM Santander Top 25 Euro Fi, C-338/11 à C-347/11, EU:C:2012:286, point 23).

 Sur la comparabilité des situations

59      Le gouvernement autrichien fait valoir que la réglementation en cause au principal ne constitue pas une restriction de la libre circulation des capitaux car la situation d’une fondation privée effectuant des donations à des bénéficiaires qui sont résidents d’un État membre avec lequel la République d’Autriche a conclu une convention relative à la prévention de la double imposition sur le modèle de la convention de l’OCDE ne serait pas objectivement comparable à celle d’une fondation privée effectuant des donations à des bénéficiaires résidents.

60      Selon ce gouvernement, en cas de donations à des bénéficiaires non-résidents, la situation d’une fondation privée résidente qui relève, à titre principal, du pouvoir d’imposition de l’État autrichien serait tout au plus comparable à la situation d’une telle fondation dans le cas de donations à des bénéficiaires résidents lorsque cet État membre peut exercer à titre principal son pouvoir d’imposition sur ces donations dans le chef des bénéficiaires non-résidents.

61      Or, tel ne serait pas le cas en règle générale, étant donné qu’il résulte des conventions relatives à la prévention de la double imposition établies suivant le modèle de l’OCDE que la République d’Autriche ne dispose pas du pouvoir d’imposition sur les donations à des bénéficiaires non-résidents. Par conséquent à défaut de comparabilité objective des situations, il n’y aurait pas lieu dans de tels cas d’appliquer, au niveau de la fondation, le mécanisme de dégrèvement de l’impôt provisoire qui est accordé dans le cas de donations à des bénéficiaires résidents afin d’éviter la double imposition économique et d’assurer une imposition unique systématique sur le territoire national.

62      À cet égard, il convient de constater que, contrairement à ce que soutient le gouvernement autrichien, cette différence de traitement ne s’explique pas par une différence de situation objective dans le chef de la fondation.

63      En effet, ainsi que le souligne la Commission, eu égard à l’article 58, paragraphe 1, sous a), CE, l’apport de donations par des fondations privées autrichiennes à des bénéficiaires résidents est une situation objectivement comparable à celle où ces mêmes fondations procèdent à des donations en faveur de bénéficiaires résidant dans un autre État membre. Dans les deux cas, il s’agit de donations effectuées à partir du patrimoine de la fondation privée ou des augmentations de patrimoine réalisées grâce à l’utilisation de ce patrimoine.

64      Il importe en outre de relever que, dans le cadre des conventions relatives à la prévention de la double imposition qu’elle a conclues avec le Royaume de Belgique, d’une part, ainsi que la République fédérale d’Allemagne, d’autre part, lesquelles, conformément au modèle de convention de l’OCDE, établissent le droit exclusif, pour chacun des États contractants, d’imposer les bénéficiaires des donations résidant sur son territoire, la République d’Autriche a renoncé à exercer son pouvoir d’imposition sur les donations à des personnes résidant dans ces deux autres États membres. Elle ne saurait par conséquent invoquer une différence de situation objective entre les fondations privées résidentes selon que les bénéficiaires des donations qu’elles effectuent soit résident en Autriche et y sont imposables, soit résident dans un de ces deux autres États membres et ne sont pas soumis à son pouvoir d’imposition, pour soumettre les fondations effectuant une donation à ces derniers à un impôt spécifique, au motif que ces bénéficiaires ne sont pas soumis à son autorité fiscale.

65      Par ailleurs, même s’il fallait prendre en compte également les bénéficiaires des donations effectuées par ces fondations, il convient de souligner qu’il ressort de la décision de renvoi que le régime de l’impôt provisoire visait, afin de contrecarrer la tendance des fondations privées à la thésaurisation, à instituer une imposition de type «cédulaire» au niveau de la fondation privée, tout en n’attribuant qu’un caractère temporaire à l’impôt provisoire à percevoir. Conformément à sa qualification de «provisoire», cet impôt devait être intégralement remboursé au plus tard lors de la dissolution de la fondation privée puisqu’il donnait lieu, en faveur de la fondation, à un crédit d’impôt à concurrence des sommes qu’elle avait versées au titre de l’impôt provisoire. Le lieu de résidence du destinataire de la donation était sans incidence à cet égard.

 Sur l’existence d’une raison impérieuse d’intérêt général

66      Il convient, également, de rechercher si la restriction aux mouvements de capitaux résultant d’une réglementation nationale telle que celle en cause au principal peut être objectivement justifiée par une raison impérieuse d’intérêt général.

67      En premier lieu, il importe de vérifier si la différence de traitement en cause au principal peut être justifiée par la nécessité de préserver la répartition équilibrée du pouvoir d’imposition entre les États membres, ce que soutient le gouvernement autrichien.

68      À cet égard, il y a lieu de rappeler, d’une part, que la préservation de la répartition du pouvoir d’imposition entre les États membres est un objectif légitime reconnu par la Cour. D’autre part, il ressort d’une jurisprudence constante de cette dernière que, en l’absence de mesures d’unification ou d’harmonisation adoptées par l’Union européenne, les États membres demeurent compétents pour définir, par voie conventionnelle ou unilatérale, les critères de répartition de leur pouvoir de taxation, en vue, notamment, d’éliminer les doubles impositions (arrêts DMC, C-164/12, EU:C:2014:20, points 46 et 47; Commission/Allemagne, C-591/13, EU:C:2015:230, point 64, ainsi que Grünewald, C-559/13, EU:C:2015:109, point 40).

69      Toutefois, dans des circonstances telles que celles de l’affaire au principal, cette justification n’apparaît pas établie.

70      Une justification tenant à la nécessité de sauvegarder une répartition équilibrée du pouvoir d’imposition entre les États membres peut être admise dès lors, notamment, que le régime fiscal en cause vise à prévenir des comportements de nature à compromettre le droit d’un État membre d’exercer sa compétence fiscale en relation avec les activités réalisées sur son territoire (voir, en ce sens, arrêts Rewe Zentralfinanz, C-347/04, EU:C:2007:194, point 42; Oy AA, C-231/05, EU:C:2007:439, point 54, et Aberdeen Property Fininvest Alpha, C-303/07, EU:C:2009:377, point 66).

71      Or, en l’occurrence, ainsi qu’il a déjà été indiqué au point 64 du présent arrêt, la question de la répartition du pouvoir d’imposition entre la République d’Autriche et le Royaume de Belgique, d’une part, ainsi que la République fédérale d’Allemagne, d’autre part, a été réglée dans les conventions relatives à la prévention de la double imposition conclues avec ces deux États membres, qui, conformément au modèle de convention de l’OCDE, établissent le droit exclusif, pour chacun des États contractants, d’imposer les bénéficiaires des donations résidant sur son territoire. En d’autres termes, la République d’Autriche ayant renoncé, dans ces conventions, à exercer son pouvoir d’imposition sur les donations à des personnes résidant dans ces deux autres États membres, elle ne saurait invoquer la répartition équilibrée du pouvoir d’imposition afin de soumettre les fondations effectuant une donation à ces personnes à un impôt spécifique, au motif que ces personnes ne sont pas soumises à son autorité fiscale. Cet État membre a donc librement accepté la répartition du pouvoir d’imposition telle qu’elle résulte des stipulations mêmes des conventions relatives à la prévention de la double imposition qu’il a respectivement conclues avec le Royaume de Belgique et la République fédérale d’Allemagne.

72      Dans une situation telle que celle au principal, une charge fiscale est imposée au niveau de la fondation privée sans possibilité de déduction ou de remboursement au titre d’une donation effectuée si, au titre d’une convention préventive de la double imposition, le bénéficiaire de celle-ci n’est pas redevable de l’impôt autrichien sur les revenus de capitaux. Le gouvernement autrichien soutient que les effets restrictifs de l’article 13, paragraphe 3, dernière phrase, du KStG 1988, tel que modifié par la loi d’accompagnement du budget 2001, peuvent être justifiés par le fait qu’il vise à assurer l’imposition unique de certains revenus de capitaux et de participations perçus par une fondation privée en Autriche.

73      À cet égard, il importe de relever que, dans plusieurs affaires relatives à des situations dans lesquelles un État membre s’efforçait de compenser l’impossibilité d’assujettir fiscalement un contribuable en soumettant un autre contribuable à l’impôt, notamment les affaires ayant donné lieu aux arrêts Lankhorst-Hohorst (C-324/00, EU:C:2002:749) et Glaxo Wellcome (C-182/08, EU:C:2009:559), la Cour a examiné les motifs invoqués afin de justifier la restriction opérée par la réglementation nationale en cause, en particulier l’argument selon lequel ladite réglementation servait à garantir l’imposition unique de certains revenus dans l’État membre. Dans aucune de ces affaires toutefois, la Cour n’a reconnu un principe de l’unicité d’imposition en tant que justification à part entière.

74      Par ailleurs, dans l’affaire ayant donné lieu à l’arrêt Argenta Spaarbank (C-350/11, EU:C:2013:447), relative à un traitement fiscal en matière d’imposition des sociétés et de prise en compte des pertes, la Cour a considéré, au point 51 de cet arrêt, que la circonstance, selon laquelle, en vertu d’une convention visant à éviter les doubles impositions, les bénéfices imputables à un établissement stable situé dans un État membre sont uniquement imposables dans ce dernier et que, par conséquent, l’autre État membre partie à la convention ne peut exercer sa compétence d’imposition sur les bénéfices imputables audit établissement stable, ne saurait justifier systématiquement tout refus d’octroi d’un avantage à la société établie sur le territoire de ce dernier État membre à laquelle appartient ledit établissement stable.

75      En effet, un tel refus reviendrait à justifier un traitement différencié au seul motif qu’une société située dans un État membre a développé une activité économique transnationale qui n’a pas de vocation à générer des recettes fiscales au profit de cet État membre (voir, en ce sens, arrêt Argenta Spaarbank, C-350/11, EU:C:2013:447, point 52 et jurisprudence citée).

76      De la même manière, la Cour a jugé que l’existence d’un avantage résultant de la fiscalité peu élevée à laquelle est soumise une filiale établie dans un État membre autre que celui dans lequel a été constituée la société mère n’autorise pas, par elle-même, ce dernier État membre à compenser cet avantage par un traitement fiscal moins favorable de la société mère. La nécessité de prévenir la réduction des recettes fiscales ne figure d’ailleurs ni parmi les objectifs énoncés à l’article 46, paragraphe 1, CE ni parmi les raisons impérieuses d’intérêt général susceptibles de justifier une restriction à une liberté instituée par le traité (voir, en ce sens, arrêt Cadbury Schweppes et Cadbury Schweppes Overseas, C-196/04, EU:C:2006:544, point 49).

77      De telles considérations sont également pertinentes dans le cadre de l’affaire au principal, s’agissant du traitement fiscal différencié des fondations selon que les donations effectuées ont donné lieu ou non à une imposition de leurs bénéficiaires en Autriche.

78      En tout état de cause, il importe de constater, en ce qui concerne les donations à des bénéficiaires étrangers, visées par l’article 13, paragraphe 3, dernière phrase, du KStG 1988, tel que modifié par la loi d’accompagnement du budget 2001, que l’impôt provisoire prélevé auprès de la fondation privée nationale ne garantit pas l’imposition unique des revenus mentionnés dans la première phrase de cette disposition.

79      En effet, ainsi qu’il est indiqué au point 28 du présent arrêt, il ressort de la décision de renvoi que la charge fiscale qui pèse ainsi sur la fondation privée n’est pas définitive. Selon la juridiction de renvoi, le régime de l’imposition provisoire en cause dans le litige au principal s’appliquant au niveau de la fondation ne fait qu’atténuer le problème créé par la convention relative à la prévention de la double imposition au niveau du bénéficiaire, sans l’éliminer totalement, étant donné que la fondation n’est pas définitivement imposée, mais qu’elle se voit appliquer un prélèvement qui, conformément à l’article 24, paragraphe 5, du KStG 1988, tel que modifié par la loi d’accompagnement du budget 2001, fera l’objet d’un crédit d’impôt au plus tard lors de la dissolution de la fondation.

80      En second lieu, la différence de traitement en cause au principal ne saurait davantage être justifiée par la nécessité de garantir la cohérence du régime fiscal national.

81      En effet, pour qu’un argument fondé sur une telle justification puisse être retenu, la Cour exige que soit démontrée l’existence d’un lien direct entre l’avantage fiscal concerné et la compensation de cet avantage par un prélèvement fiscal déterminé, le caractère direct de ce lien devant être apprécié au regard de l’objectif de la réglementation en cause (voir, en ce sens, arrêts Papillon, C-418/07, EU:C:2008:659, points 43 et 44; Commission/Allemagne, C-211/13, EU:C:2014:2148, point 55, ainsi que Grünewald, C-559/13, EU:C:2015:109, point 47).

82      Un tel lien direct fait défaut en l’occurrence, pour plusieurs raisons.

83      D’abord, ce lien direct n’existe pas lorsqu’il s’agit, notamment, d’impositions distinctes ou du traitement fiscal de contribuables différents (voir, en ce sens, arrêts DI. VI. Finanziaria di Diego della Valle & C., C-380/11, EU:C:2012:552, point 47, ainsi que Grünewald, EU:C:2015:109, point 49). Tel est le cas en l’occurrence puisque la déduction du montant correspondant aux donations effectuées par la fondation privée redevable de l’impôt provisoire et l’imposition de celles-ci à charge de leur bénéficiaire concernent nécessairement des contribuables distincts.

84      De plus, ainsi que l’a relevé la Commission, alors que l’avantage fiscal du bénéficiaire résidant dans un autre État membre consiste en une exemption durable de l’impôt autrichien sur les revenus des capitaux, d’une ampleur qui varie en outre en fonction de chaque convention relative à la prévention de la double imposition, la fondation privée ne subit qu’un désavantage fiscal temporaire du fait de l’impôt provisoire.

85      Au vu de l’ensemble des considérations qui précèdent, il convient de répondre à la question posée que l’article 56 CE doit être interprété en ce sens qu’il s’oppose à une législation fiscale d’un État membre, telle que celle en cause au principal, en vertu de laquelle, dans le cadre de l’imposition provisoire qui frappe les revenus de capitaux et les revenus tirés de la cession de participations perçus par une fondation privée résidente, cette dernière n’a le droit de déduire de sa base d’imposition relative à un exercice fiscal donné que les donations effectuées au cours du même exercice fiscal et ayant fait l’objet d’une imposition à charge des bénéficiaires de ces donations dans l’État membre d’imposition de la fondation, tandis qu’une telle déduction est exclue par cette législation fiscale nationale si le bénéficiaire réside dans un autre État membre et est, dans l’État membre d’imposition de la fondation, exempté de l’impôt qui frappe en principe les donations au titre d’une convention relative à la prévention de la double imposition.

 Sur les dépens

86      La procédure revêtant, à l’égard des parties au principal, le caractère d’un incident soulevé devant la juridiction de renvoi, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens. Les frais exposés pour soumettre des observations à la Cour, autres que ceux desdites parties, ne peuvent faire l’objet d’un remboursement.

Par ces motifs, la Cour (cinquième chambre) dit pour droit:

L’article 56 CE doit être interprété en ce sens qu’il s’oppose à une législation fiscale d’un État membre, telle que celle en cause au principal, en vertu de laquelle, dans le cadre de l’imposition provisoire qui frappe les revenus de capitaux et les revenus tirés de la cession de participations perçus par une fondation privée résidente, cette dernière n’a le droit de déduire de sa base d’imposition relative à un exercice fiscal donné que les donations effectuées au cours du même exercice fiscal et ayant fait l’objet d’une imposition à charge des bénéficiaires de ces donations dans l’État membre d’imposition de la fondation, tandis qu’une telle déduction est exclue par cette législation fiscale nationale si le bénéficiaire réside dans un autre État membre et est, dans l’État membre d’imposition de la fondation, exempté de l’impôt qui frappe en principe les donations au titre d’une convention relative à la prévention de la double imposition.

Signatures


* Langue de procédure: l’allemand.