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CONCLUSIONS DE L’AVOCAT GÉNÉRAL

M. PAOLO Mengozzi

présentées le 29 mars 2007 (1)

Affaire C-298/05

Columbus Container Services BVBA & Co.

contre

Finanzamt Bielefeld-Innenstadt

[demande de décision préjudicielle formée par le Finanzgericht Münster (Allemagne)]

«Interprétation des articles 52 du traité CE (devenu, après modification, article 43 CE) et 73 B du traité CE (devenu 56 CE) – Législation fiscale – Conditions d’imposition sur le revenu et sur la fortune dans un État membre – Convention préventive de la double imposition conclue avec un autre État membre – Méthodes de l’exonération et de l’imputation de l’impôt – Montages purement artificiels – Cohérence du régime fiscal»





I –    Introduction

1.     Depuis quelques années, la Cour est saisie d’un nombre important d’affaires visant à ce qu’elle se prononce sur les relations qu’entretiennent divers pans de la fiscalité directe des États membres et les libertés de circulation prévues par le traité CE.

2.     Comme l’a récemment fait observer l’avocat général Geelhoed à propos de l’application de ces libertés à l’impôt sur les sociétés (2), les contextes juridiques et factuels toujours plus compliqués auxquels est confrontée la Cour tendent à éprouver les limites des libertés de circulation du traité.

3.     La demande de décision préjudicielle formée par le Finanzgericht Münster (Allemagne), dont est aujourd’hui saisie la Cour, appartient à cette catégorie d’affaires.

4.     La Cour est ici invitée, en substance, à se prononcer sur la question de savoir si la liberté d’établissement et la libre circulation des capitaux s’opposent à ce qu’un État membre, en l’occurrence la République fédérale d’Allemagne, aux fins de la prévention de la double imposition des revenus et de la fortune des personnes assujetties de manière illimitée sur son territoire provenant de certains investissements réalisés dans un autre État membre, substitue, de manière unilatérale, la méthode dite «de l’imputation» à celle de la méthode dite «de l’exonération», en dépit des dispositions de la convention préventive de la double imposition conclue antérieurement entre ces deux États.

5.     Les deux méthodes susmentionnées sont généralement utilisées par les États, de manière unilatérale ou bilatérale, pour réduire ou prévenir la double imposition juridique (double imposition du même revenu auprès du même contribuable) ou économique (double imposition du même revenu auprès de contribuables différents), en particulier dans le cadre de situations transfrontalières.

6.     La méthode de l’exonération permet à un résident d’un État, qui reçoit des revenus ou des éléments de la fortune imposés dans l’État de la source de ces revenus ou dans lequel les éléments de la fortune sont situés, de bénéficier d’une exonération d’impôts dans son État de résidence sur ces revenus ou sur ces éléments de la fortune. L’État de résidence peut toutefois appliquer une réserve de progressivité qui consiste à tenir compte de l’exonération pour calculer le montant de l’impôt sur le reste des revenus ou de la fortune du résident.

7.     Dans le cadre de la méthode de l’imputation, l’État de résidence accorde, sur l’impôt qu’il perçoit sur les revenus ou sur la fortune du résident, une déduction ou un crédit d’impôt d’un montant égal à l’impôt sur le revenu ou à celui sur la fortune acquitté dans l’État de la source.

8.     L’une des particularités de la présente affaire réside dans la circonstance que la substitution de la méthode de l’imputation à celle de l’exonération, prévue par la législation fiscale allemande, est notamment subordonnée à la condition que l’État membre dans lequel les investissements sont réalisés applique un taux d’imposition plus faible que le taux de l’impôt visé par les dispositions de la législation fiscale allemande, en vigueur au moment des faits dans l’affaire au principal. Comme nous le verrons plus en détail, ces dispositions, applicables aux «établissements stables» constitués à l’étranger par des résidents allemands, s’inscrivent dans le cadre de la législation allemande relative aux sociétés étrangères contrôlées (ci-après les «SEC»).

9.     Ainsi que l’analyse juridique des présentes conclusions le mettra en exergue ci-après, cette affaire appelle, selon moi, à interpréter et à appliquer deux courants jurisprudentiels de la Cour, l’un relatif à la prévention de la double imposition, l’autre, plus récent, portant sur la compatibilité des législations des États membres visant à neutraliser les éventuels avantages fiscaux obtenus par des ressortissants communautaires dans d’autres États membres qui appliquent un taux d’imposition plus faible que celui en vigueur dans l’État membre de résidence desdits ressortissants. Sans être nécessairement contradictoires, ces deux courants jurisprudentiels doivent cependant être articulés ensemble dans l’optique de rechercher l’équilibre le plus juste entre, d’une part, la compétence fiscale des États membres, et, d’autre part, le respect du fonctionnement du marché intérieur, en particulier celui de l’exercice des libertés de circulation garanties par le traité.

II – Le cadre juridique

A –    Le droit fiscal allemand et la prévention de la double imposition en Allemagne

10.   Conformément à l’article 1er de la loi sur l’impôt sur le revenu (Einkommensteuergesetz) (3), les contribuables établis en Allemagne sont en principe imposés sur la totalité de leurs revenus, indépendamment de leur origine nationale ou étrangère. Cette règle vaut pour tous les types de revenus, y compris les résultats d’exploitation et les revenus de capitaux.

11.   Dans le cadre du régime fiscal allemand, les bénéfices réalisés par des sociétés de personnes, allemandes ou étrangères, sont attribués non pas directement à ces sociétés, mais à leurs associés, personnes physiques, assujettis illimités en Allemagne, au prorata de leur participation et imposés dans leur chef (principe dit «de transparence fiscale des sociétés de personnes»). S’agissant des sociétés de personnes étrangères, comme la requérante au principal, Columbus Container Services BVBA & Co. (ci-après «Columbus»), cette attribution directe des bénéfices aux associés résidant en Allemagne s’applique même si la société est soumise, en tant que telle, à l’impôt sur les sociétés dans l’État membre où elle a son siège.

12.   Dans l’objectif de prévenir la double imposition des revenus et de la fortune de résidents allemands réalisés à l’étranger, la République fédérale d’Allemagne a conclu des conventions bilatérales, inspirées du modèle de convention fiscale de l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) concernant le revenu et la fortune, dont celle, pertinente en l’espèce, avec le Royaume de Belgique.

13.   En vertu de l’article 23 de la convention, signée à Bruxelles le 11 avril 1967, entre le Royaume de Belgique et la République fédérale d’Allemagne en vue d’éviter les doubles impositions en matière d’impôts sur le revenu (4), les revenus provenant de la Belgique de résidents allemands, y compris les revenus de capitaux investis dans les sociétés en nom collectif et dans les sociétés en commandite simple, situées en Belgique, imposables dans cet État en vertu des dispositions de ladite convention, sont exemptés d’impôts en Allemagne. Cette exemption s’applique également aux éléments de la fortune situés en Belgique de résidents allemands. La République fédérale d’Allemagne conserve cependant le droit de tenir compte, lors de la détermination du taux de ses impôts, des revenus et des éléments de fortune ainsi exemptés (méthode de l’exonération, avec, le cas échéant, réserve de progressivité).

14.   L’article 20, paragraphes 2 et 3, de la loi fiscale allemande concernant les relations avec l’étranger [Gesetz über die Besteuerung bei Auslandsbeziehungen (Außensteuergesetz)] (5), dans la version issue de la loi allemande du 21 décembre 1993 relative à l’harmonisation et à la lutte contre la fraude (Missbrauchsbekämpfungs- und Steuerbereinigungsgesetz) (6), (ci-après l’«AStG»), applicable au moment des faits au principal, déroge cependant à cette règle dans certains cas. Cette disposition a été introduite dans l’AStG afin, notamment, d’empêcher que les résidents allemands contournent les autres dispositions de l’AStG concernant l’imposition des revenus provenant des SEC («Zwischengesellschaft»), ayant une personnalité juridique propre, établies dans des États membres à faible imposition. Ces dispositions visent à contrecarrer l’évasion fiscale.

15.   S’agissant de la prévention de la double imposition des revenus provenant d’un établissement stable, l’article 20, paragraphe 2, de l’AStG précise que, «si les revenus ayant la nature de capitaux placés au sens de l’article 10, paragraphe 6, deuxième phrase, sont recueillis par l’établissement étranger d’un assujetti illimité à l’impôt en Allemagne et s’ils avaient été soumis à l’impôt en tant que revenus intermédiaires si cet établissement avait été une société étrangère, la double imposition ne doit pas être évitée par voie d’exemption mais par voie d’imputation des impôts prélevés à l’étranger sur ces revenus».

16.   Quant à la prévention de la double imposition de la fortune, l’article 20, paragraphe 3, de l’AStG indique que, «en ce qui concerne les avoirs qui donnent lieu à des revenus ayant la nature de capitaux placés au sens de l’article 10, paragraphe 6, deuxième phrase, à l’exception des revenus ayant la nature de capitaux placés au sens de l’article 10, paragraphe 6, troisième phrase, dans les cas visés au paragraphe 2, la double imposition ne doit pas être évitée par voie d’exonération mais par voie d’imputation des impôts prélevés à l’étranger sur ces avoirs».

17.   L’article 10, paragraphe 6, deuxième phase, de l’AStG précise que «les revenus intermédiaires ayant la nature de capitaux placés sont des revenus de la société intermédiaire étrangère qui proviennent de la détention, de la gestion, du maintien ou de l’augmentation de la valeur de moyens de paiement, de créances, de titres, de participations ou d’éléments du patrimoine analogues […]».

18.   Il ressort des éléments du dossier que l’AStG exige la réunion de quatre conditions supplémentaires pour que l’application de la méthode de l’imputation, prévue à l’article 20, paragraphes 2 et 3, de l’AStG, trouve à s’appliquer. Ces conditions sont les suivantes:

–       les revenus recueillis dans l’établissement étranger ayant la nature de capitaux placés sont «soumis à un taux d’imposition bas», au sens de l’article 8, paragraphe 3, de l’AStG, c’est-à-dire que les revenus ne sont pas imposés, au titre de l’impôt sur les bénéfices dans l’État de direction des affaires, à 30 % ou plus;

–       les revenus ayant la nature de capitaux placés ne remplissent pas les conditions de l’article 8, paragraphe 1, point 7, et paragraphe 2 ainsi que de l’article 13 de l’AStG;

–       les revenus ayant la nature de capitaux placés ne peuvent pas être considérés comme provenant d’une activité dite «active», visée à l’article 8, paragraphe 1, points 1 à 6, de l’AStG;

–       une participation d’assujettis allemands d’au moins 10 % dans l’établissement est requise.

III – Le litige au principal et la question préjudicielle

19.   Columbus est une société en commandite simple de droit belge. Elle a été constituée en 1989 et a son siège à Anvers (Belgique). Durant l’année 1996, ses parts sociales étaient détenues par huit personnes physiques résidant en Allemagne, dont six au moins appartenaient à la même famille, chacune de ces personnes ayant une participation de 10 %. Était également associée, avec une participation de 20 %, une société de personnes de droit allemand dont les associés étaient aussi établis en Allemagne.

20.   Columbus n’est pas assujettie à l’impôt en Allemagne. Au regard de la législation fiscale allemande, elle n’est pas considérée comme une SEC, mais est assimilée à un «établissement stable» étranger des associés établis en Allemagne. Les revenus et le patrimoine de Columbus sont donc directement attribués à ses associés, aux fins du prélèvement de l’impôt sur le revenu et sur la fortune en Allemagne.

21.   L’objet social de Columbus consiste à coordonner les activités du groupe Oetker, en fournissant des services financiers intragroupe. Il englobe, notamment, la centralisation des transactions financières, le financement de la trésorerie des filiales ou des succursales, la centralisation et la coordination de la comptabilité, des tâches administratives et des activités de publicité et de marketing ainsi que la gestion électronique des données.

22.   L’activité économique de Columbus est principalement consacrée à la gestion de capitaux placés, au sens de l’article 10, paragraphe 6, deuxième phrase, de l’AStG. Cette gestion a permis à Columbus de réaliser, au cours de l’année 1996, des «résultats d’exploitation» de 8 044 619 DEM et des «revenus divers» de 53 477 DEM.

23.   L’administration fiscale belge a considéré Columbus comme un «centre de coordination», au sens de l’arrêté royal nº 187, du 30 décembre 1982, relatif à la création de centres de coordination (7). Le régime fiscal dont bénéficient les centres de coordination déroge au régime fiscal commun belge à plusieurs égards. Principalement, le revenu imposable de ces centres est déterminé forfaitairement selon la méthode dite «cost plus». Ce revenu correspond à un pourcentage du montant des dépenses et des frais de fonctionnement desquels sont exclus les frais de personnel, les charges financières et l’impôt sur les sociétés dû (8). En application de ce régime, Columbus a été imposée, pour l’année 1996, à moins de 30 % des bénéfices effectivement réalisés.

24.   En Allemagne, le Finanzamt Bielefeld-Innenstadt a considéré Columbus comme une société de personnes. En se référant à l’article 20, paragraphe 2, de l’AStG, l’administration fiscale allemande a, par avis du 8 juin 1998 relatif au calcul des bénéfices pour l’année 1996, attribués les «résultats d’exploitation» de 8 044 619 DEM et les «revenus divers» de 53 477 DEM de Columbus à ses associés. Le Finanzamt Bielefeld-Innenstadt a considéré ces derniers revenus comme exemptés d’impôt tout en les incluant dans la réserve de progressivité. En revanche, il a imposé intégralement le bénéfice de 8 044 619 DEM en imputant toutefois l’impôt qui en a été prélevé en Belgique.

25.   Par avis du 16 juin 1998, l’administration fiscale allemande a fixé la valeur de référence des avoirs de Columbus au 1er janvier 1996, aux fins du calcul de l’impôt sur la fortune des associés.

26.   Columbus, agissant au nom des associés, s’est opposée à ces avis devant le Finanzgericht Münster, exception faite de celui visant les «revenus divers», en invoquant notamment l’incompatibilité de l’article 20, paragraphes 2 et 3, de l’AStG avec les dispositions de l’article 52 du traité CE (devenu, après modification, article 43 CE). Selon Columbus, la substitution de la méthode de l’exonération, stipulée à l’article 23 de la convention préventive de la double imposition conclue entre la République fédérale d’Allemagne et le Royaume de Belgique, par l’application de la méthode de l’imputation, prévue à l’article 20, paragraphes 2 et 3, de l’AStG, a eu pour effet d’augmenter la charge fiscale de chacun des associés d’environ 250 000 euros pour l’année litigieuse.

27.   Le Finanzgericht Münster n’exclut pas que les règles de l’article 20, paragraphes 2 et 3, de l’AStG enfreignent la liberté d’établissement. Il nourrit également des doutes quant à la compatibilité desdites règles avec la libre circulation des capitaux, de sorte que l’imposition additionnelle à laquelle elle soumet des revenus étrangers est propre à dissuader un résident d’investir dans un autre État membre.

28.   C’est dans ces conditions que le Finanzgericht Münster a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour la question préjudicielle suivante:

«Les règles de l’article 20, paragraphes 2 et 3, de la loi fiscale allemande concernant les relations avec l’étranger [Gesetz über die Besteuerung bei Auslandsbeziehungen (Außensteuergesetz)] dans la version issue de la loi allemande du 21 décembre 1993 relative à l’harmonisation fiscale et à la lutte contre la fraude (Missbrauchsbekampfungs- und Steuerbereinigungsgesetz) qui exemptent de la double imposition les revenus ayant la nature de capitaux placés dans l’établissement étranger d’un assujetti illimité à l’impôt en Allemagne, qui auraient été soumis à l’impôt en tant que revenus intermédiaires si l’établissement stable avait été une société étrangère, en dépit de la convention préventive de la double imposition conclue le 11 avril 1967 entre la République fédérale d’Allemagne et le Royaume de Belgique, non pas en exemptant les revenus de l’impôt allemand mais en imputant l’impôt prélevé à l’étranger sur les bénéfices, sont-elles contraires aux dispositions de l’article 52 du traité CE […], et des articles 73 B à 73 D du traité CE, devenus articles 56 CE à 58 CE?»

IV – La procédure devant la Cour

29.   Columbus, les gouvernements allemand, belge, néerlandais, portugais et du Royaume-Uni ainsi que la Commission des Communautés européennes ont présenté des observations écrites devant la Cour, conformément à l’article 23 du statut de la Cour de justice. Ces parties ont également été entendues lors de l’audience qui s’est tenue le 28 septembre 2006, à l’exception de la République portugaise qui ne s’y est pas fait représenter.

V –    Analyse

A –    La délimitation de la problématique posée par la question préjudicielle

30.   Avant d’entamer l’examen sous l’angle du droit communautaire de la question préjudicielle, il importe de bien délimiter la problématique posée par la juridiction de renvoi.

31.   Trois questions méritent, à mon sens, d’être écartées de l’appréciation que la Cour sera conduite à effectuer dans la présente affaire.

32.   Tout d’abord, il convient de faire observer que la question préjudicielle porte non pas directement sur le régime applicable aux «participations à des sociétés intermédiaires étrangères» (9), prévu au chapitre 4 de l’AStG (articles 7 à 14 de cette loi), mais sur celui relatif «à l’application des conventions de prévention de la double imposition», prévu à l’article 20, paragraphes 2 et 3, de l’AStG, dans le cas de certains bénéfices réalisés par des établissements stables étrangers, sans personnalité juridique propre en droit fiscal allemand, dont les associés sont assujettis à l’impôt sur l’ensemble de leurs revenus et de leur fortune en Allemagne.

33.   Le chapitre 4 de l’AStG régit le traitement fiscal des entités, établies à l’étranger, qui ont leur propre personnalité juridique en vertu du droit fiscal allemand (10) et pour lesquelles il est prévu que les bénéfices qu’elles réalisent, au sens de l’AStG, au cours d’un exercice financier, dans un État dont le niveau d’imposition est inférieur à celui visé par les dispositions de l’AStG (moins de 30 %), sont réputés avoir été distribués à leurs actionnaires, assujettis illimités à l’impôt allemand, durant le même exercice financier (11).

34.   Certes, il y a lieu de relever que, pour identifier si, comme en l’espèce au principal, un établissement stable étranger, au sens de l’article 20, paragraphes 2 et 3, de l’AStG, relève du champ d’application de l’AStG, référence est faite, par cette disposition, aux conditions également applicables aux sociétés intermédiaires étrangères.

35.   Par ailleurs, ainsi que l’admet le gouvernement allemand, l’article 20, paragraphes 2 et 3, de l’AStG poursuit un objectif analogue aux dispositions régissant les sociétés intermédiaires étrangères, en ce sens qu’il entend éviter que les contribuables allemands, en constituant des établissements stables à l’étranger, comme dans l’affaire au principal, contournent les règles prévues au chapitre 4 de l’AStG qui régissent les sociétés intermédiaires étrangères, en profitant, pour les bénéfices que ces établissements stables réalisent dans des États membres dont le taux d’imposition est inférieur à celui prévu en Allemagne, de l’exonération de l’imposition dans cet État, en application des conventions préventives de la double imposition conclues par la République fédérale d’Allemagne.

36.   Bien que ces circonstances ne puissent être entièrement ignorées, notamment aux fins de comprendre le contexte dans lequel s’insère l’article 20, paragraphes 2 et 3, de l’AStG, il n’en demeure pas moins que la Cour n’est pas interrogée sur l’interprétation du droit communautaire dans le cadre de l’application des dispositions du chapitre 4 de l’AStG par rapport à une société intermédiaire étrangère, dont le régime qui lui est applicable apparaît différent de celui prévu à l’article 20, paragraphes 2 et 3, de l’AStG.

37.   En effet, la juridiction de renvoi a clairement établi que, en droit fiscal allemand, Columbus, en tant que société de personnes, relève de l’application de l’article 20, paragraphes 2 et 3, de l’AStG, indépendamment du lieu où elle est établie et non pas du régime applicable aux SEC en vertu des autres dispositions de l’AStG.

38.   Ensuite, et cette question est liée à la première, il importe de préciser que c’est non pas la différence qui existe entre la République fédérale d’Allemagne et le Royaume de Belgique, à propos de la qualification juridique et fiscale de Columbus, qui est envisagée par la juridiction de renvoi comme emportant une éventuelle restriction aux libertés de circulation du traité, mais uniquement la substitution de la méthode de l’exonération par celle de l’imputation pour ce qui concerne l’imposition des revenus et de la fortune d’associés allemands d’un établissement stable situé à l’étranger.

39.   Comme il a déjà été indiqué, en Belgique, Columbus est constituée sous la forme d’une société en commandite simple. Le droit belge lui reconnaît une personnalité juridique autonome par rapport à ses associés, à savoir les commandités et les commanditaires. Du point de vue fiscal, elle est soumise, en principe, à l’impôt sur les sociétés, mais Columbus bénéficie cependant du régime applicable aux centres de coordination. Il n’en demeure pas moins qu’elle jouit de la personnalité morale. En Allemagne, en revanche, Columbus est traitée comme une société de personnes, qui, du point de vue fiscal, est assimilée à un établissement stable des associés, personnes physiques, qui résident en Allemagne, de sorte que les bénéfices réalisés par Columbus sont directement attribués à ses associés. Columbus est donc fiscalement transparente dans cet État membre.

40.   Les études de droit fiscal international portant sur la problématique de la transparence des sociétés de personnes ont mis en exergue la complexité «proprement inouïe» de cette branche du droit (12), dont les facteurs tiennent, en particulier, aux conflits de qualification de la société de personnes, qualifiée de telle dans un État, mais qualifiée de société de capitaux dans un autre État, et à la nature bilatérale ou triangulaire des relations à examiner (État de la source du revenu, État de la société de personnes, État de résidence de l’associé). Ces difficultés peuvent cependant être atténuées par les dispositions des conventions fiscales conclues entre États.

41.   Au stade actuel du développement du droit communautaire, celui-ci n’exige pas que les États membres reconnaissent sur leur territoire le statut juridique et fiscal accordé par le droit interne des autres États membres aux organismes qui y exercent des activités économiques.

42.   À cet égard, on rappellera que l’article 220, troisième tiret, du traité CE (devenu article 293, troisième tiret, CE) prévoit que les États membres engageront entre eux, en tant que de besoin, des négociations en vue d’assurer, en faveur de leurs ressortissants, la reconnaissance mutuelle des sociétés au sens de l’article 58, deuxième alinéa, du traité CE (devenu article 48, deuxième alinéa, CE).

43.   Sur la base de cette disposition, les six États membres fondateurs de la Communauté économique européenne ont conclu la convention, signée à Bruxelles le 29 février 1968, sur la reconnaissance mutuelle des sociétés et personnes morales (13). Faute d’avoir été ratifiée par l’ensemble de ces États, cette convention n’est jamais entrée en vigueur.

44.   Malgré l’absence de reconnaissance mutuelle des sociétés et des personnes morales, les États membres doivent cependant respecter les libertés de circulation prévues par le traité.

45.   En l’espèce, l’origine de l’éventuelle restriction des libertés de circulation du traité ne réside pas dans la qualification d’établissement stable de Columbus par le droit fiscal allemand, puisque c’est précisément grâce à cette qualification que Columbus a pu, jusqu’à l’exercice fiscal litigieux, bénéficier de la méthode de l’exonération en application des dispositions pertinentes de la convention préventive de la double imposition conclue entre la République fédérale d’Allemagne et le Royaume de Belgique, dont Columbus réclame le maintien dans l’affaire au principal (14).

46.   Enfin, j’estime qu’il n’y a pas lieu que la Cour procède à l’examen des allégations de Columbus selon lesquelles l’article 20, paragraphes 2 et 3, de l’AStG serait contraire aux dispositions de ladite convention préventive de la double imposition. En effet, il importe de souligner que la Cour n’est pas compétente, dans le cadre de l’article 177 du traité CE (devenu article 234 CE) pour se prononcer sur cette question, qui ne relève pas de l’interprétation du droit communautaire (15).

47.   Bien entendu, cette appréciation ne signifie cependant pas que la Cour, afin de donner une interprétation du droit communautaire qui soit utile pour le juge national, ne puisse pas prendre en compte, le cas échéant, les dispositions d’une convention préventive de la double imposition, dès lors que, comme en l’espèce, la juridiction de renvoi la présente, à juste titre, comme faisant partie du cadre juridique applicable à l’affaire au principal (16). Au demeurant, j’estime, à l’instar de l’avocat général Geelhoed dans ses conclusions dans l’affaire Denkavit Internationaal et Denkavit France (17), que l’impact effectif d’une convention préventive de la double imposition sur la situation d’un redevable doit être pris en compte pour déterminer si, dans un cas spécifique, il existe une restriction aux libertés de circulation garanties par le traité. À défaut, seraient notamment ignorés la réalité économique de l’activité du contribuable et les incitants éventuels liés au contexte transfrontalier.

48.   Ces remarques étant faites, il convient de clarifier tout d’abord, au regard du cadre juridique et factuel exposé par la juridiction de renvoi, laquelle des deux libertés de circulation évoquées par le juge national (liberté d’établissement et libre circulation des capitaux) doit trouver principalement application en l’occurrence. Ensuite, mon analyse portera sur l’appréciation de l’effet restrictif de la substitution de la méthode de l’exonération par celle de l’imputation aux fins de la prévention de la double imposition, en Allemagne, des revenus et de la fortune perçus par les associés de Columbus. Enfin, dans l’hypothèse où une telle restriction devrait être retenue, il conviendrait de s’interroger si celle-ci serait susceptible d’être justifiée par des raisons impérieuses d’intérêt général.

B –    La question de l’applicabilité des dispositions relatives à la liberté d’établissement ou à la libre circulation des capitaux

49.   La juridiction de renvoi demande si une règle comme celle prévue à l’article 20, paragraphes 2 et 3, de l’AStG est compatible avec la liberté d’établissement ou la libre circulation des capitaux.

50.   Selon la jurisprudence, lorsqu’un ressortissant d’un État membre détient dans le capital d’une société établie dans un autre État membre une participation de nature à lui permettre d’exercer une influence certaine sur les décisions de cette société et d’en déterminer les activités, ce sont les dispositions du traité ayant trait à la liberté d’établissement qui trouvent à s’appliquer et non celles se rapportant à la libre circulation des capitaux (18).

51.   La délimitation entre ces deux libertés n’est pas toujours aisée, notamment dans le cadre d’un renvoi préjudiciel dans le contexte duquel la juridiction nationale est mieux à même d’apprécier in concreto les droits conférés à un ressortissant communautaire par les participations qu’il détient dans le capital de la société concernée.

52.   Dans notre affaire, ainsi que je l’ai relevé au point 18 des présentes conclusions, il apparaît que l’un des faits générateurs de l’application de l’article 20, paragraphes 2 et 3, de l’AStG est la détention, par un assujetti allemand, d’une participation d’au moins 10 % dans l’établissement stable. A priori, une participation de cet ordre de grandeur semble exclure la possibilité d’exercer une influence certaine sur les décisions de cet établissement et d’en déterminer les activités. Si tel est le cas, l’appréciation de la compatibilité des dispositions litigieuses devrait être conduite, en priorité, au regard des articles 73 B à 73 D du traité CE.

53.   L’applicabilité de la liberté d’établissement pourrait toutefois s’avérer pertinente, eu égard aux circonstances décrites ci-après.

54.   D’une part, l’objectif poursuivi par le législateur allemand, en ce qui concerne la substitution de la méthode de l’exonération par celle de l’imputation, est d’éviter les contournements des dispositions de la législation fiscale allemande, y compris celles de l’AStG relatives aux SEC, constituées, à l’étranger, sous la forme de filiales. En ce sens, dans ses différentes composantes, l’AStG vise donc principalement l’établissement des résidents allemands à l’étranger, en l’occurrence sous la forme d’une société de personnes, considérée comme un établissement stable par la législation fiscale allemande.

55.   D’autre part, dans l’affaire au principal, non seulement Columbus est contrôlée par au moins six personnes physiques appartenant à la même famille, possédant chacune 10 % des parts sociales de l’établissement concerné, mais surtout ces personnes, ainsi qu’il a été indiqué à l’audience par Columbus, agissent de concert et sont représentées par une seule personne à l’assemblée générale des associés de la société. Ces huit associés semblent donc être à même d’exercer, collectivement, une influence certaine sur les décisions de Columbus. Dans ce contexte, l’éventuelle atteinte à la libre circulation des capitaux serait simplement une conséquence de l’obstacle allégué à la liberté d’établissement.

56.   Au vu de l’ensemble de ces considérations, et en l’absence d’éléments suffisamment précis de la part de la juridiction nationale de nature à déterminer avec certitude laquelle des deux libertés citées précédemment est éventuellement affectée en priorité en l’espèce, l’examen d’une législation comme celle au principal serait sans doute nécessaire au regard à la fois des articles 52 et 73 B du traité CE.

57.   Néanmoins, il me semble que, en l’espèce, l’application de chacune de ces dispositions devrait conduire au même résultat. Je vous propose donc d’analyser la présente affaire au regard de l’article 52 du traité CE, tout en gardant à l’esprit qu’un raisonnement comparable serait valable pour ce qui concerne l’article 73 B du traité CE.

C –    Sur l’existence d’une entrave à la liberté d’établissement

58.   La difficulté essentielle de la présente affaire porte sur la possibilité ou non de qualifier une règle, comme celle prévue à l’article 20, paragraphes 2 et 3, de l’AStG, d’entrave à la liberté d’établissement.

59.   Columbus et le gouvernement belge considèrent que l’article 20, paragraphes 2 et 3, de l’AStG dissuade les ressortissants allemands de s’établir dans l’État membre de leur choix, puisque la méthode de l’imputation n’est applicable que si les revenus perçus par les résidents allemands revêtent le caractère de revenus dits «passifs» provenant d’un État membre dont l’imposition est inférieure à celle prévue par les dispositions de l’AStG.

60.   En revanche, les autres parties ayant soumis des observations à la Cour, à savoir les gouvernements allemand, néerlandais, portugais et du Royaume-Uni ainsi que la Commission soutiennent que, la règle prévue à l’article 20, paragraphes 2 et 3, de l’AStG rétablit l’égalité de traitement entre une situation fiscale transfrontalière, comme celle des associés de Columbus, et une situation purement interne. Ainsi, selon ces parties, il n’existerait aucune entrave à la liberté d’établissement.

61.   On rappellera utilement que la liberté d’établissement, reconnue par l’article 52 du traité CE aux ressortissants communautaires, comporte pour eux l’accès aux activités non salariées et leur exercice ainsi que la constitution et la gestion d’entreprises, dans les mêmes conditions que celles définies par la législation de l’État membre d’établissement pour ses propres ressortissants (19) ou les ressortissants d’autres États membres qui résident sur son territoire (20).

62.   Même si, selon leur libellé, les dispositions du traité relatives à la liberté d’établissement visent à assurer le bénéfice du traitement national dans l’État membre d’accueil, la Cour a admis qu’elles s’opposent également à ce que l’État membre d’origine entrave l’établissement dans un autre État membre de l’un de ses ressortissants (21).

63.   Par ailleurs, l’interdiction pour les États membres d’établir des restrictions à la liberté d’établissement s’applique également aux dispositions fiscales. En effet, selon la jurisprudence, si, en l’état actuel du droit communautaire, la matière des impôts directs ne relève pas en tant que telle du domaine de la compétence de la Communauté européenne, il n’en reste pas moins que les États membres doivent exercer leurs compétences retenues dans le respect du droit communautaire (22).

64.   Ainsi, s’agissant de restrictions découlant de la réglementation fiscale de l’État membre d’origine, la Cour a jugé que les dispositions du traité relatives à la liberté d’établissement s’opposaient à ce qu’un État membre institue, à des fins de prévention d’un risque d’évasion fiscale, un mécanisme d’impôt sur le revenu des plus-values mobilières non encore réalisées en cas de transfert du domicile fiscal d’un contribuable hors de cet État membre, alors que les plus-values d’un contribuable demeurant dans cet État étaient simplement imposables lorsqu’elles étaient effectivement réalisées. Selon la Cour, même si la réglementation nationale en cause dans cette affaire n’interdisait pas à un contribuable d’exercer son droit à l’établissement, elle était néanmoins «de nature à restreindre l’exercice de ce droit en ayant, à tout le moins, un effet dissuasif à l’égard des contribuables qui souhaitent s’installer dans un autre État membre» (23). La Cour a donc jugé que la différence de traitement concernant l’imposition des plus-values était «de nature à décourager un contribuable de procéder à un transfert de son domicile hors de l’État membre» en cause et, partant, était susceptible de constituer une entrave à la liberté d’établissement (24).

65.   Plus récemment, dans son arrêt Cadbury Schweppes et Cadbury Schweppes Overseas, précité, la Cour, sur renvoi préjudiciel, a considéré, à propos de la législation du Royaume-Uni sur les SEC, que le traitement fiscal distinct découlant de cette législation et le désavantage qui en résulte pour les sociétés résidentes qui disposent d’une filiale soumise, dans un autre État membre, à un niveau inférieur d’imposition sont de nature à entraver l’exercice de la liberté d’établissement par de telles sociétés, en les dissuadant de créer, d’acquérir ou de maintenir une filiale dans un État membre dans lequel celle-ci se trouve soumise à un tel niveau d’imposition, de sorte qu’ils constituent une restriction à la liberté d’établissement (25).

66.   Ledit arrêt, dont il sera question plus longuement dans les présentes conclusions, revêt un intérêt certain pour la présente affaire. Il a d’ailleurs fait l’objet d’un débat assez important entre les parties lors de l’audience.

67.   À ce stade de mes développements, il suffit d’indiquer que, dans l’affaire Cadbury Schweppes et Cadbury Schweppes Overseas, la Cour a considéré qu’étaient dans une situation comparable, d’une part, la société mère, établie au Royaume-Uni, d’une filiale, établie dans un État membre dont le niveau d’imposition des bénéfices était inférieur à celui perçu au Royaume-Uni et pour lesquelles la législation sur les SEC de cet État trouvait à s’appliquer, et, d’autre part, la société mère établie au Royaume-Uni dont la filiale était également constituée dans cet État ou la société mère établie au Royaume-Uni dont la filiale était établie dans un État membre dont le niveau d’imposition des bénéfices était supérieur à celui applicable au Royaume-Uni et pour lesquelles, dans ces deux situations, la législation du Royaume-Uni sur les SEC n’était pas applicable.

68.   Ainsi que l’arrêt Cadbury Schweppes et Cadbury Schweppes Overseas, précité, l’illustre, la détermination de la comparabilité (objective) des situations revêt une importance fondamentale pour apprécier si l’application d’une mesure nationale rompt l’égalité de traitement qui doit, en principe, être garantie entre ces situations et, partant, si cette mesure est susceptible de constituer une entrave à la liberté d’établissement.

69.   En l’occurrence, il s’agit de savoir si un raisonnement analogue à celui développé par la Cour dans ladite affaire à propos de la comparabilité des situations des filiales de sociétés mères établies au Royaume-Uni auxquelles la législation sur les SEC était ou non applicable, est transposable dans la présente affaire.

70.   Si une telle appréciation doit être menée, comme je vous propose de le faire, elle doit cependant également prendre en considération la jurisprudence de la Cour relative à la prévention de la double imposition, laquelle a fait l’objet de précisions importantes dernièrement, en particulier dans l’arrêt Test Claimants in the FII Group Litigation (26).

71.   Il y a donc lieu, selon moi, d’examiner le traitement fiscal des revenus et de la fortune des associés de Columbus par rapport, d’une part, à celui réservé à ceux des associés d’une société de personnes n’ayant pas exercé leur droit à la libre circulation (situation interne) et, d’autre part, au traitement fiscal des revenus et de la fortune des associés d’une société de personnes qui ont exercé leur liberté d’établissement dans un État membre dont le niveau d’imposition est supérieur à celui prévu par l’AStG (situation transfrontalière).

1.      Comparaison entre la situation des associés de Columbus et une situation interne

72.   Il m’apparaît utile, notamment à des fins de clarté du raisonnement, de distinguer entre la prévention de la double imposition des revenus, prévue à l’article 20, paragraphe 2, de l’AStG, et celle de la double imposition de la fortune, visée au paragraphe 3 de cet article.

a)      Comparaison par rapport à la prévention de la double imposition des revenus (article 20, paragraphe 2, de l’AStG)

73.   Il n’est pas mis en doute que l’application de la méthode de l’imputation – substituée de manière unilatérale par la République fédérale d’Allemagne à la méthode de l’exonération prévue dans la convention préventive de la double imposition entre cet État membre et le Royaume de Belgique – de l’imposition prélevée en Belgique auprès de Columbus sur l’impôt prélevé sur le revenu des associés de cette dernière a conduit à une augmentation sensible de leur imposition pour l’exercice fiscal litigieux (à savoir celui de 1996) par rapport à l’exercice fiscal précédent.

74.   En soi, et contrairement à ce qu’a prétendu à plusieurs reprises Columbus, ce traitement défavorable ne saurait constituer une restriction à la liberté d’établissement.

75.   En effet, le droit communautaire ne garantit pas, dans un domaine où les États membres demeurent compétents, l’application et le maintien dans le temps d’un traitement identique en faveur du même contribuable. Si tel devait être le cas, les États membres ne pourraient plus, par exemple, modifier l’assiette ou le taux de leurs impôts directs. En l’état actuel du développement du droit communautaire, cela est impossible. La circonstance que le traitement fiscal accordé aux associés de Columbus a été modifié par l’introduction unilatérale d’une dérogation à la convention préventive de la double imposition entre la République fédérale d’Allemagne et le Royaume de Belgique relève d’un conflit (éventuel) entre normes de droit interne et normes de droit international, mais s’avère, selon moi, indifférente du point de vue du droit communautaire. Au demeurant, ainsi que je l’ai déjà fait observer au point 46 des présentes conclusions, il n’échoit pas à la Cour de trancher un tel conflit de normes.

76.   Contrairement à ce que semble également suggérer Columbus, une différence de traitement en droit communautaire ne se mesure pas à l’aune d’un changement factuel ou juridique dans le chef d’une même personne. Elle requiert, en revanche, une comparaison entre la situation de personnes qui ont exercé l’une des libertés garanties par le traité et celle de personnes qui ne s’en sont pas prévalues.

77.   À cet égard, on fera observer que ni la juridiction de renvoi, qui incline plutôt à percevoir dans la mesure fiscale allemande en cause une restriction à la liberté d’établissement, ni Columbus n’ont identifié une différence de traitement entre la situation des associés de cette dernière et une situation interne.

78.   En revanche, les gouvernements allemand, belge, néerlandais, portugais et du Royaume-Uni ainsi que la Commission font observer que l’imputation, visée à l’article 20, paragraphe 2, de l’AStG, de l’imposition prélevée en Belgique auprès de Columbus sur l’impôt sur les revenus des associés de celle-ci revient à traiter ces derniers de manière identique aux contribuables allemands, associés de sociétés de personnes fiscalement transparentes sises en Allemagne, qui n’ont pas exercé leur liberté d’établissement dans un autre État membre.

79.   Cette argumentation semble correcte.

80.   On rappellera que, aux termes de l’article 220, deuxième tiret, du traité CE (devenu article 293, deuxième tiret, CE), les États membres engageront entre eux, en tant que de besoin, des négociations en vue d’assurer, en faveur de leurs ressortissants, l’élimination de la double imposition à l’intérieur de la Communauté.

81.   Cette disposition à caractère programmatique (27) n’a toutefois pas été mise en œuvre jusqu’à ce jour. Par ailleurs, abstraction faite de la directive 90/435/CEE du Conseil, du 23 juillet 1990, concernant le régime fiscal commun applicable aux sociétés mères et filiales d’États membres différents (28), de la convention 90/436/CEE, du 23 juillet 1990, relative à l’élimination des doubles impositions en cas de correction des bénéfices d’entreprises associées (29), et de la directive 2003/48/CE du Conseil, du 3 juin 2003, en matière de fiscalité des revenus de l’épargne sous forme de paiement d’intérêts (30), dont aucune n’est pertinente pour notre affaire, aucune mesure d’unification ou d’harmonisation visant à éliminer les doubles impositions n’a été adoptée dans le cadre communautaire et les États membres n’ont conclu, au titre de l’article 220, deuxième tiret, du traité CE, aucune convention multilatérale à cet effet (31).

82.   Il en résulte que, en l’absence de mesures d’unification ou d’harmonisation communautaires, les États membres demeurent compétents pour déterminer les critères d’imposition des revenus en vue d’éliminer, le cas échéant par voie conventionnelle, les doubles impositions (32). Dans ce contexte, la Cour a initialement précisé que les États membres étaient libres, dans le cadre des conventions bilatérales, de fixer les facteurs de rattachement aux fins de la répartition de la compétence fiscale (33). Dans des arrêts ultérieurs, elle a ajouté que cette liberté reconnue aux États membres s’étendait aux mesures adoptées de manière unilatérale (34).

83.   Toutefois, en ce qui concerne l’exercice du pouvoir d’imposition les États membres sont tenus de se conformer aux dispositions du droit communautaire (35).

84.   La jurisprudence actuelle de la Cour établit donc une distinction entre, d’une part, la répartition de la compétence fiscale entre les États membres, dont les disparités de traitement éventuelles qui peuvent en résulter ne tombent pas dans le champ d’application des libertés de circulation du traité, et, d’autre part, l’exercice du pouvoir d’imposition par les États membres, y compris lorsqu’il résulte d’une répartition préalable bilatérale ou unilatérale de leur compétence fiscale, pour lequel les États membres sont tenus de se conformer aux règles communautaires (36).

85.   Il apparaît résulter de cette dichotomie que les États membres conservent non seulement, d’une part, la possibilité de ne pas prévenir la double imposition (37), mais aussi, d’autre part, le choix du mécanisme visant à prévenir la double imposition, ce qui doit, en principe, leur permettre, notamment, d’opter soit pour la méthode de l’exonération soit pour celle de l’imputation des impôts prélevés dans un autre État membre.

86.   On fera observer à cet égard que la Cour a constaté qu’il n’était pas déraisonnable pour les États membres de s’inspirer de la pratique internationale, notamment des modèles de convention fiscale élaborés par l’OCDE.(38) Or, il résulte de l’article 23 du modèle de convention fiscale concernant le revenu et la fortune que la méthode de l’exonération et celle de l’imputation sont considérées comme des mécanismes valables aux fins de la prévention ou de l’atténuation de la double imposition.

87.   La Cour a aussi eu à connaître de plusieurs affaires dans lesquelles les législations fiscales des États membres en cause appliquaient l’une ou l’autre de ces méthodes, sans qu’elle ait formulé de remarques sur la légalité, en soi, de celles-ci ou du choix d’une de celles-ci au regard du droit communautaire (39).

88.   Cependant, il résulte également de la dichotomie esquissée au point 84 des présentes conclusions que, indépendamment du mécanisme adopté pour prévenir la double imposition, les États membres doivent respecter les exigences découlant des dispositions du traité relatives aux libertés de circulation, dans la mesure où ils ne sauraient exercer leur pouvoir d’imposition de sorte à traiter différemment des situations qui sont objectivement comparables.

89.   Ainsi, la Cour a indiqué que le droit communautaire ne s’opposait pas à ce qu’un État membre évite l’imposition en chaîne de dividendes perçus par une société résidente en appliquant des règles qui exonèrent ces dividendes de l’imposition lorsqu’ils sont versés par une société résidente, tout en évitant, au moyen d’un système d’imputation, l’imposition en chaîne desdits dividendes lorsqu’ils sont versés par une société non-résidente pour autant que, dans une telle situation, l’application du système d’imputation soit compatible avec le droit communautaire (40).

90.   Pour que cette application soit compatible avec le droit communautaire, la Cour a précisé que, d’une part, les dividendes d’origine étrangère ne devaient pas être soumis à un taux d’imposition supérieur à celui appliqué aux dividendes d’origine nationale et, d’autre part, l’État membre devait éviter l’imposition en chaîne des dividendes d’origine étrangère en imputant le montant de l’impôt acquitté par la société distributrice non-résidente sur le montant de la taxation applicable à la société bénéficiaire résidente dans la limite de ce dernier montant (41).

91.   Dans ce contexte, la Cour a ajouté que le seul fait que, comparé à un système d’exonération, un système d’imputation impose aux contribuables des charges administratives additionnelles (le montant de l’impôt effectivement acquitté dans l’État de résidence de la société distributrice devant être démontré) ne peut être considéré comme une différence de traitement contraire à la liberté d’établissement, dès lors que les charges administratives particulières imposées aux sociétés résidentes percevant des dividendes d’origine étrangère sont inhérentes au fonctionnement d’un système de crédit d’impôt (42).

92.   Dans notre affaire, il convient de noter que, tant dans la situation des associés de Columbus que dans celle des associés, résidents en Allemagne, de sociétés de personnes sises en Allemagne, les bénéfices réalisés par la société de personnes sont directement attribués aux associés et sont considérés comme des revenus de ces derniers. En outre, ils sont prélevés la même année fiscale et au même taux en Allemagne.

93.   Par l’application de la méthode de l’imputation, l’impôt prélevé en Belgique sur les bénéfices réalisés par Columbus fait l’objet d’un crédit d’impôt en faveur de ses associés en Allemagne correspondant à l’impôt qu’elle a acquitté en Belgique. Alors que, avant l’exercice fiscal litigieux, l’application de la convention préventive de la double imposition conclue entre la République fédérale d’Allemagne et le Royaume de Belgique garantissait aux associés de Columbus une exonération d’impôt en Allemagne sur les bénéfices qu’elle réalisait en Belgique, la substitution de la méthode de l’exonération par celle de l’imputation, à compter de cet exercice, revient à neutraliser l’avantage fiscal dont lesdits associés bénéficiaient précédemment par rapport aux associés de sociétés de personnes étant tous domiciliés en Allemagne et ne s’étant pas prévalus de la liberté d’établissement prévue par le traité.

94.   Ainsi, sur le plan de la comparaison de la situation des associés de Columbus et de celle des associés d’une société de personnes établie en Allemagne, l’imputation de l’imposition prélevée en Belgique auprès de Columbus sur les impôts sur le revenu à acquitter en Allemagne par ses associés permet de garantir une égalité de traitement entre l’imposition tant des revenus d’origine étrangère que de ceux d’origine allemande.

95.   Certes, on relèvera que cette affirmation n’est valable qu’à la condition que soient inclus dans l’examen de la comparaison des situations en cause, uniquement les «revenus ayant la nature de capitaux placés», au sens de l’article 8 de l’AStG. En effet, pour les revenus n’ayant pas cette nature, c’est le principe de l’exonération des bénéfices réalisés à l’étranger par la société de personnes qui prévaut, en vertu des dispositions de la convention préventive de la double imposition conclue entre la République fédérale d’Allemagne et le Royaume de Belgique.

96.   Une telle exonération des revenus n’ayant pas la nature de capitaux placés stimule vraisemblablement l’établissement ou les investissements à l’étranger par rapport à ceux réalisés sur le territoire national. Cependant, en soi, l’utilisation de méthodes préventives de la double imposition différentes selon la nature des revenus en cause ne saurait être sujette à critiques. En l’état actuel du développement du droit communautaire, tout comme les États membres demeurent compétents pour déterminer l’assiette imposable (43), ils doivent être également à même, selon moi, de pouvoir choisir d’appliquer des méthodes différentes visant à prévenir la double imposition en fonction de la nature des revenus, pour autant qu’ils respectent les dispositions du traité relatives aux libertés de circulation. Or, en l’espèce, ainsi que je l’ai indiqué précédemment, l’imputation de l’impôt prélevé sur les bénéfices de Columbus sur l’impôt sur le revenu des associés, résidents allemands, de celle-ci assure l’égalité de traitement avec une situation interne comparable.

97.   Certes, la méthode de l’imputation, contrairement à celle de l’exonération, implique des charges administratives additionnelles dans le chef des associés de Columbus. Toutefois, ces charges, à l’instar de ce que la Cour a indiqué dans l’affaire Test Claimants in the FII Group Litigation, précitée, sont inhérentes à l’application de ce mécanisme de prévention de la double imposition.

98.   Dans ce contexte, l’application de la méthode de l’imputation dans l’affaire au principal n’apparaît pas engendrer une différence de traitement entre les associés de Columbus et la situation de contribuables allemands, associés d’une société de personnes située en Allemagne, percevant le même type de revenus et n’ayant pas exercé la liberté d’établissement garantie par le traité.

b)      Comparaison par rapport à la prévention de la double imposition de la fortune (article 20, paragraphe 3, de l’AStG)

99.   À l’instar de l’impôt sur le revenu, l’impôt sur la fortune est fondé sur la capacité contributive de l’assujetti. Le montant de l’impôt est déterminé sur la base du patrimoine dont l’assujetti est titulaire au moment de l’échéance.

100. L’impôt sur la fortune se distingue cependant de celui assis sur le revenu par le fait que seuls certains États membres l’appliquent (44).

101. C’est ainsi que, lors de l’exercice fiscal litigieux dans l’affaire au principal, le Royaume de Belgique ne prélevait aucun impôt sur la fortune, y compris sur les actifs d’établissements stables, alors que la République fédérale d’Allemagne a appliqué, pour la dernière fois, un impôt sur la fortune sur l’ensemble du patrimoine des contribuables allemands, où qu’il se trouve (45).

102. En vertu de la convention préventive de la double imposition conclue entre la République fédérale d’Allemagne et le Royaume de Belgique, la fortune constituée par les actifs d’un établissement stable est imposable dans l’État où est situé cet établissement, la double imposition de ces éléments étant évitée, pour ce qui concerne le patrimoine de contribuables allemands, par l’exonération de l’impôt sur la fortune prélevé en Allemagne (46).

103. Du fait que le Royaume de Belgique ne prélève aucun impôt sur la fortune, les actifs de Columbus ont donc bénéficié, avant l’exercice fiscal litigieux, d’une exonération totale d’impôt sur la fortune, en application de la même convention fiscale.

104. En référence à l’article 20, paragraphe 2, de l’AStG pour ce qui concerne l’imposition des revenus ayant la nature de capitaux placés des associés de Columbus, le paragraphe 3 de cet article substitue, pour éviter la double imposition des actifs d’un établissement stable qui donnent lieu à des revenus ayant la nature de capitaux placés dans le patrimoine de contribuables allemands, la méthode de l’imputation à celle de l’exonération de l’impôt prélevé à l’étranger. Ce mécanisme intègre donc, dans le calcul de l’impôt sur la fortune des associés de Columbus, les actifs de celle-ci qui donnent lieu à des revenus ayant la nature de capitaux placés, au sens de l’AStG.

105. La substitution, aux fins de la prévention de la double imposition, de la méthode de l’exonération par celle de l’imputation a ainsi engendré l’imposition en Allemagne, dans le chef du patrimoine des associés de Columbus, des actifs de cette dernière ayant donné lieu à des revenus ayant la nature de capitaux placés, au sens de l’AStG.

106. À l’instar de mon analyse relative à l’imposition sur le revenu, j’estime que l’application de la méthode de l’imputation dans la situation en cause dans l’affaire au principal n’a pas engendré une différence de traitement par rapport à une situation comparable s’étant uniquement opérée sur le territoire national. En effet, dans les deux cas, les associés de l’établissement stable sont assujettis au paiement du même impôt, ayant la même assiette et dont le taux est identique.

c)      Conclusion intermédiaire

107. Au regard des considérations qui précèdent, une disposition comme celle de l’article 20, paragraphes 2 et 3, de l’AStG n’apparaît pas constituer une entrave à la liberté d’établissement, pour autant que cette appréciation se limite à la comparaison entre les ressortissants allemands ayant exercé leur liberté d’établissement et ceux ne s’en étant pas prévalus.

108. Cependant, comme je l’ai déjà mis en exergue aux points 67 à 70 des présentes conclusions, il semble nécessaire, à la lumière de l’arrêt Cadbury Schweppes et Cadbury Schweppes Overseas d’examiner également si une entrave à la liberté d’établissement des ressortissants allemands ne découlerait pas d’une différence de traitement, introduite par l’article 20, paragraphes 2 et 3, de l’AStG, entre une situation comme celle des associés de Columbus et une autre situation transfrontalière, à savoir, plus précisément, lorsque l’exercice de la liberté d’établissement a lieu dans un État membre dont le niveau d’imposition est supérieur à celui prévu par l’AStG.

2.      Comparaison entre la situation des associés de Columbus et une autre situation transfrontalière

109. Avant d’examiner les conséquences à tirer dudit arrêt pour notre affaire, il est utile, au préalable, de rappeler d’une façon détaillée l’appréciation retenue par la Cour quant à l’existence d’une entrave à la liberté d’établissement engendrée par l’application de la législation du Royaume-Uni sur les SEC.

a)      L’arrêt Cadbury Schweppes et Cadbury Schweppes Overseas

110. On se souvient que, dans l’affaire ayant donné lieu à cet arrêt, la société Cadbury Schweppes, établie au Royaume-Uni, avait notamment constitué une filiale en Irlande, au sein du Centre international de services financiers (ci-après le «CISF») de Dublin, soumise, à la date des faits au principal, à un taux d’imposition de 10 %. Cette filiale avait été créée dans le seul but de permettre que les bénéfices liés aux activités de financement interne du groupe Cadbury Schweppes puissent jouir du régime fiscal du CISF. Les autorités fiscales du Royaume-Uni ont réclamé à Cadbury Schweppes une somme de plus de 8 millions de GBP au titre de l’impôt sur les sociétés pour les bénéfices réalisés par sa filiale en Irlande, en application de la législation du Royaume-Uni sur les SEC.

111. Cette législation est dérogatoire à la règle générale applicable au Royaume-Uni selon laquelle une société établie au Royaume-Uni n’est pas imposée sur les bénéfices d’une filiale lors de la réalisation de ceux-ci. Plus précisément, selon la règle générale applicable au Royaume-Uni, une société qui est établie dans cet État membre et qui y crée une filiale n’est imposée ni sur les bénéfices réalisés par cette dernière ni sur les dividendes que cette filiale lui a distribués. Toujours selon la règle générale, une société établie au Royaume-Uni qui crée une filiale dans un autre État membre est imposée sur les dividendes distribués par cette filiale, mais bénéficie d’un crédit d’impôt, à concurrence de l’impôt acquitté par ladite filiale lors de la réalisation des bénéfices à l’étranger. Or, en dérogation à la règle générale qui vient d’être exposée, la législation du Royaume-Uni sur les SEC prévoit, en principe, qu’une société résidente est imposée sur les bénéfices réalisés par sa filiale établie dans un autre État membre appliquant un «niveau inférieur d’imposition», à savoir un impôt inférieur aux trois quarts du montant de l’impôt qui aurait été payé au Royaume-Uni sur les bénéfices imposables, tels qu’ils auraient été calculés aux fins d’une imposition dans ce dernier État membre.

112. C’est à la lumière de ces circonstances que la Cour a qualifié d’entrave à la liberté d’établissement la législation du Royaume-Uni sur les SEC.

113. Aux points 43 à 45 dudit arrêt, la Cour a relevé la différence de traitement qui existait entre, d’une part, une société établie au Royaume-Uni qui a constitué une SEC (filiale) dans un autre État membre dans lequel celle-ci était soumise à un niveau inférieur d’imposition au sens de la législation sur les SEC et, d’autre part, une société établie au Royaume-Uni qui soit contrôle une filiale dans ce même État, soit a constitué une société contrôlée dans un autre État membre dans lequel cette filiale n’est pas soumise à un niveau inférieur d’imposition au sens de la législation sur les SEC. En effet, alors que dans le premier cas de figure les bénéfices réalisés par la SEC étaient attribués à la société établie au Royaume-Uni, laquelle était imposée sur ces bénéfices, dans les deux autres situations, la société résidente n’était pas imposée sur les bénéfices de la filiale contrôlée, conformément à la législation du Royaume-Uni sur l’impôt des sociétés. Selon la Cour, cette différence de traitement crée un désavantage fiscal pour la société résidente à laquelle la législation sur les SEC est applicable, dans la mesure où, en application d’une telle législation, cette société résidente est imposée sur les bénéfices d’une autre personne morale, indépendamment de la circonstance que cette société ne paierait pas un impôt supérieur à celui qui aurait frappé les bénéfices en cause si ceux-ci avaient été réalisés par une filiale établie au Royaume-Uni.

114. Ainsi que je l’ai déjà indiqué, on relèvera avec intérêt que la prémisse sur laquelle se fonde la Cour pour qualifier la législation du Royaume-Uni sur les SEC comme étant restrictive de la liberté d’établissement porte non pas uniquement sur la comparaison, somme toute classique, entre une situation transfrontalière et une situation interne. Elle repose également sur la comparaison, plus inédite, entre deux situations transfrontalières, suivant que la société résidente a constitué une société contrôlée dans un État membre autre que le Royaume-Uni, pratiquant un niveau d’imposition inférieur ou supérieur à celui prévu par la législation britannique sur les SEC.

115. La raison de l’introduction de cette seconde branche du critère de comparaison (situations transfrontalières comparées entre elles), dont l’arrêt Cadbury Schweppes et Cadbury Schweppes Overseas ne fait pas état, trouve vraisemblablement son origine dans les conclusions de l’avocat général Léger présentées dans cette affaire.

116. Dans ses conclusions, M. l’avocat général avait dit ne pas percevoir la raison pour laquelle, contrairement à l’argumentation exposée par le Royaume-Uni de Grande-Bretagne et d’Irlande du Nord, la situation de Cadbury Schweppes ne pouvait pas être comparée à celle de sociétés résidentes s’étant également prévalues du droit d’établissement en créant des filiales dans des États membres dont le niveau d’imposition était supérieur à celui visé par la législation du Royaume-Uni sur les SEC. À cet égard, il a notamment écarté l’argument selon lequel la disparité des taux d’imposition des bénéfices des sociétés en vigueur dans les États membres constituerait une différence objective de situation justifiant un traitement différencié prévu par la législation sur les SEC. De l’avis de M. l’avocat général, si cette thèse devait être suivie, elle reviendrait à admettre qu’un État membre serait en droit, sans enfreindre les règles du traité, de sélectionner les autres États membres dans lesquels les sociétés nationales peuvent créer des filiales en bénéficiant du régime fiscal applicable dans l’État membre d’accueil. Or, une telle thèse aboutirait manifestement à un résultat contraire à la notion de «marché unique». L’avocat général Léger suggérait donc que la seule différence de traitement en fonction du taux d’imposition dans l’État membre d’établissement suffisait à qualifier le régime prévu par la législation du Royaume-Uni sur les SEC d’entrave à la liberté d’établissement (47).

117. Le risque de morcellement du marché commun, engendré par des dispositions nationales telles que celles de la législation du Royaume-Uni sur les SEC, apparaît ainsi être à l’origine de l’admission par la Cour de la comparabilité objective entre, d’une part, la situation d’une société résidente ayant établi une filiale dans un État membre dont le niveau d’imposition est inférieur à celui prévu par la législation du Royaume-Uni sur les SEC et, d’autre part, celle des sociétés résidentes ayant constitué une filiale dans un État membre dont le niveau d’imposition est supérieur à celui prévu par cette même législation. En effet, dans les deux cas de figure, il s’agit d’une société qui entend faire valoir son droit d’établissement dans l’État membre de son choix.

118. Cette solution ne m’apparaît pas critiquable en soi. Elle s’avère d’ailleurs cohérente avec l’existence d’un marché intérieur qui, conformément à l’article 3, paragraphe 1, sous c), du traité CE (devenu, après modification, article 3, paragraphe 1, sous c), CE), caractérise l’action de la Communauté. L’approche retenue par la Cour pose cependant deux ordres de difficultés.

119. En premier lieu, il n’est pas totalement clair si les deux branches du critère de comparaison employé par la Cour dans l’affaire Cadbury Schweppes et Cadbury Schweppes Overseas, précitée, sont d’application alternative ou cumulative. En d’autres termes, la question pourrait être posée de savoir si une distinction de traitement, prévue par la législation nationale de l’État membre de résidence du contribuable, applicable uniquement entre deux situations transfrontalières, serait suffisante pour considérer qu’une restriction à la liberté d’établissement existe (48).

120. À la lumière des conclusions susmentionnées de l’avocat général Léger et à la lecture des points 44 et 45 de l’arrêt de la Cour, une réponse positive semble devoir être apportée à cette question.

121. En effet, le fait que, dans ces points de l’arrêt en question, la Cour a fait usage de la conjonction «ou», lorsqu’elle a identifié les deux situations au regard desquelles la position de la société résidente soumise à la législation du Royaume-Uni sur les SEC devait être comparée, apparaît conforter l’analyse de M. l’avocat général dans ses conclusions. Si telle est l’approche souhaitée par la Cour, elle pourrait entraîner, dans le champ d’application de la liberté d’établissement, des situations qui, sur la base de la seule comparaison entre une situation transfrontalière et une situation interne de l’État membre de résidence, ne relèveraient pas de la liberté d’établissement ou ne restreindraient pas une telle liberté.

122. En second lieu, et corrélativement, il s’agit de savoir si, à supposer que la seule différence de traitement entre deux situations transfrontalières, introduite par l’État membre de résidence d’un contribuable, puisse suffire à qualifier une mesure fiscale de restriction à la liberté d’établissement, cette approche peut être étendue à une situation qui, bien que présentant des similarités avec les circonstances à l’origine de l’affaire Cadbury Schweppes et Cadbury Schweppes Overseas, s’en différencie pourtant à plusieurs égards, notamment quant à la nature de la mesure fiscale en cause, à savoir une mesure visant à prévenir la double imposition.

123. Ces deux interrogations sont précisément soulevées dans la présente affaire.

124. J’en viens donc maintenant aux conséquences qui peuvent être tirées, pour notre affaire, de l’appréciation effectuée par la Cour aux points 43 et 45 de l’arrêt Cadbury Schweppes et Cadbury Schweppes Overseas, précité.

b)      Comparaison par rapport à la prévention de la double imposition des revenus (article 20, paragraphe 2, de l’AStG)

125. Ainsi que je l’ai indiqué précédemment, l’application de la méthode de l’imputation, au sens de l’article 20, paragraphe 2, de l’AStG, suppose principalement que l’impôt prélevé à l’étranger soit inférieur au niveau fixé par l’AStG, à savoir un taux de moins de 30 % des bénéfices. En principe donc l’article 20, paragraphe 2, de l’AStG n’a pas vocation à s’appliquer lorsque des revenus ayant la nature de capitaux placés proviennent d’établissements stables de résidents allemands qui sont situés dans des États membres dont le taux d’imposition est égal ou supérieur à 30 %. Dans ce cas, en effet, c’est l’exonération de l’impôt prélevé à l’étranger qui trouve, en principe, à s’appliquer.

126. Le gouvernement allemand soutient que la différence qui existe entre la situation des associés de Columbus et la situation fiscale d’associés d’un établissement stable situé dans un État membre dont le niveau d’imposition est supérieur au taux fixé par la législation fiscale allemande résulte uniquement de la coexistence des réglementations fiscales des États membres. Une telle différence échapperait, en soi, à l’application des dispositions du traité relatives aux libertés de circulation.

127. Cette argumentation n’emporte pas la conviction.

128. En effet, le traitement fiscal défavorable en l’espèce ne résulte pas purement et simplement de l’application des règlementations fiscales différentes des États membres, mais découle du choix, opéré par la réglementation fiscale allemande (49), de déterminer le déclenchement du mécanisme de l’imputation de l’impôt prélevé à l’étranger pour les revenus en cause lorsque cet impôt est inférieur au taux de 30 % fixé par l’AStG.

129. Il en irait différemment, selon moi, si la substitution de la méthode de l’exonération par celle de l’imputation, décidée par la République fédérale d’Allemagne, s’appliquait indépendamment du taux auquel les revenus en cause sont imposés en Allemagne. Dans cette hypothèse, le traitement éventuellement défavorable causé par l’application de cette méthode à des revenus identiques de contribuables allemands provenant d’établissements stables situés à l’étranger dépendrait essentiellement du taux d’impôt prélevé dans chacun des États membres. Il s’agirait alors d’un traitement défavorable provenant de la coexistence des différentes réglementations fiscales des États membres. Or, tel n’est assurément pas le cas dans notre affaire.

130. Il s’agit alors de savoir si ce traitement défavorable constitue pour autant une différence de traitement prohibée par l’article 52 du traité CE.

131. Il semble indéniable que l’un des effets de l’application de l’article 20, paragraphe 2, de l’AStG – d’ailleurs escompté par le législateur allemand – est de neutraliser les avantages fiscaux obtenus par des contribuables allemands s’étant établis ou désirant s’établir dans les États membres dans lesquels l’impôt perçu sur les revenus présentant la nature de capitaux placés qui proviennent d’une société de personnes, qui est un établissement stable à l’étranger, est inférieur au taux de 30 % visé par l’AStG.

132. En ce sens, ainsi que l’ont suggéré les représentants de Columbus et du gouvernement belge lors de l’audience, cette mesure nationale pourrait être considérée comme ayant pour effet, à l’instar de celle en cause dans l’affaire Cadbury Schweppes et Cadbury Schweppes Overseas, précitée, de morceler le marché commun, en incitant les ressortissants allemands à s’établir uniquement dans des États membres dont le niveau d’imposition est égal ou supérieur au taux allemand, prévu par les dispositions de l’AStG. Suivant cette ligne de raisonnement, cette mesure serait ainsi apte à dissuader les ressortissants allemands de créer, d’acquérir ou de maintenir un établissement stable dans un État membre dans lequel celui-ci se trouve soumis à un niveau d’imposition inférieur à 30 %.

133. À cet égard, le fait que l’article 20, paragraphe 2, de l’AStG ne traite pas différemment les associés de Columbus et les associés d’une société de personnes établie en Allemagne serait indifférent. En effet, ainsi que je l’ai déjà indiqué aux points 120 et 121 des présentes conclusions, il me semble que l’arrêt Cadbury Schweppes et Cadbury Schweppes Overseas, précité, à la lumière des conclusions de l’avocat général Léger, peut être interprété dans le sens où l’État membre de résidence ne saurait limiter la liberté d’établissement de ses ressortissants à une partie du marché commun, y compris lorsqu’il n’existe pas de différence dans le traitement, par cet État membre, de situations internes et de situations transfrontalières. Ainsi, l’obligation de l’État de «sortie» (ou, en d’autres termes, de résidence), en l’occurrence la République fédérale d’Allemagne, consiste à assurer, au-delà du respect de l’égalité de traitement entre ses ressortissants suivant qu’ils ont ou non exercé leur liberté de circulation, que ceux-ci ne soient pas dissuadés de s’établir dans l’État membre de leur choix, y compris par l’application de mesures fiscales.

134. Lors de l’audience, notamment, le gouvernement allemand s’est opposé à un raisonnement de ce type. Tout en admettant que la mesure fiscale en cause opère bien une différence de traitement suivant que les ressortissants allemands désirent s’établir ou investir dans un État membre dont le niveau d’imposition est inférieur ou supérieur au taux visé par l’AStG, la République fédérale d’Allemagne soutient qu’une telle différence n’est pas interdite par le traité, puisque les situations en cause ne sont pas objectivement comparables. À cet égard, cet État membre se réfère notamment à l’arrêt D. (50), dans lequel la Cour aurait refusé le bénéfice de l’extension de stipulations de conventions bilatérales préventives de la double imposition à des personnes, physiques ou morales, ne relevant pas du champ d’application desdites conventions.

135. À première vue, cette argumentation pourrait être rejetée par référence à l’arrêt Cadbury Schweppes et Cadbury Schweppes Overseas., précité, lequel, je le rappelle, a admis qu’étaient objectivement comparables la situation d’une société mère, établie au Royaume-Uni, dont la filiale est située dans un État membre dont l’imposition est inférieure à celle prévue par la législation du Royaume-Uni sur les SEC et celle d’une société mère de cet État dont la filiale est établie dans un État membre dont l’imposition est supérieure à celle prévue par ladite législation.

136. Cependant, le raisonnement développé par le gouvernement allemand mérite de s’y attarder un peu plus.

137. En effet, bien que formulé de manière quelque peu différente, cet argument semble suggérer que, si devait être reconnu le caractère objectivement comparable de deux situations transfrontalières, telles que celles discutées dans la présente affaire, cela aboutirait à ce que, dès lors qu’un État membre applique la méthode de l’exonération, en vertu d’une convention préventive de la double imposition, pour l’imposition des revenus de capitaux placés de ses ressortissants qui proviennent d’un établissement stable situé dans un autre État membre, ledit État soit contraint d’étendre l’application de cette méthode préventive de la double imposition dans ses relations avec l’ensemble des autres États membres pour le même type d’opérations.

138. On relèvera que la Cour a souligné à plusieurs reprises que le champ d’application d’une convention fiscale bilatérale est limité aux personnes physiques ou morales mentionnées dans celle-ci (51), en précisant que le fait que les droits et obligations réciproques ne s’appliquent qu’à des personnes résidentes de l’un des deux États membres contractants est une conséquence inhérente aux conventions bilatérales préventives de la double imposition (52).

139. Malgré ce principe, la Cour a aussi admis qu’il existe des situations où les avantages d’une convention bilatérale peuvent être étendus à un résident d’un État n’ayant pas la qualité de partie à ladite convention.

140. La Cour a ainsi jugé que, s’agissant d’une convention préventive de la double imposition conclue entre un État membre et un État tiers, le principe du traitement national impose à l’État membre partie à ladite convention d’accorder aux établissements stables de sociétés non-résidentes les avantages prévus par la convention aux mêmes conditions que celles qui s’appliquent aux sociétés résidentes (53). Dans un tel cas, l’assujetti non-résident disposant d’un établissement stable dans un État membre est considéré comme étant dans une situation équivalente à celle d’un assujetti résident de cet État (54).

141. La jurisprudence sur ce point est donc plus nuancée que ce que le laisse entendre le gouvernement allemand.

142. Dans l’arrêt Saint-Gobain ZN, précité, qui portait sur des avantages fiscaux relatifs à l’imposition de participations et de dividendes, il apparaît que la violation du droit communautaire procède de ce que l’État membre de résidence avait fait une application différente du critère du siège ou de la résidence selon qu’il s’agissait de déterminer l’assujettissement à l’impôt des sociétés résidentes et de celles non-résidentes qui exerçaient leurs activités dans cet État par l’intermédiaire d’un établissement stable ou qu’il s’agissait d’accorder les avantages qui y étaient liés, lesquels étaient uniquement refusés à ces dernières. Ces sociétés pouvaient donc être objectivement comparées à celles qui étaient établies dans l’État membre concerné.

143. Dans les arrêts D. et Test Claimants in Class IV of the ACT Group Litigation, précités, la Cour a refusé que les avantages fiscaux accordés à des personnes physiques et morales non-résidentes par l’État de la source des éléments de la fortune et des revenus concernés, en vertu des dispositions de conventions préventives de la double imposition conclues avec l’État de résidence desdites personnes, puissent être étendus à d’autres non-résidents, assujettis dans un État membre n’ayant pas la qualité de partie auxdites conventions. En effet, la situation de ces non-résidents n’était pas objectivement comparable.

144. Or, si cette lecture de la jurisprudence est correcte, je ne pense pas que la République fédérale d’Allemagne puisse à bon droit soutenir que ses propres résidents, qui sont, en principe, imposés sur la base de leur revenu mondial dans cet État membre, se trouvent dans une situation objectivement différente selon qu’ils perçoivent des revenus réalisés dans un État membre dont l’imposition est inférieure ou supérieure au taux visé par les dispositions de l’AStG.

145. Enfin, lors de l’audience, le gouvernement allemand, soutenu par les gouvernements néerlandais et du Royaume-Uni, a fait valoir que la présente affaire se distingue à divers égards de l’arrêt Cadbury Schweppes et Cadbury Schweppes Overseas, précité, ce qui devrait conduire la Cour à s’en écarter. Les représentants de ces gouvernements ont, à cet égard, évoqué la nature de la mesure fiscale en cause dans la présente affaire et la circonstance que le critère lié à l’attribution des bénéfices réalisés par l’établissement stable à une autre personne morale n’existerait pas en l’espèce.

146. En ce qui concerne le premier point, il est vrai que, contrairement à l’affaire Cadbury Schweppes et Cadbury Schweppes Overseas, précitée, la mesure fiscale en cause dans la présente affaire vise à prévenir la double imposition de revenus de capitaux placés, au sens de l’AStG, qui proviennent d’une activité transfrontalière, en substituant la méthode de l’imputation à celle de l’exonération, prévue par la convention préventive de la double imposition conclue entre la République fédérale d’Allemagne et le Royaume de Belgique.

147. On pourrait alors considérer que, tant dans la situation où l’établissement stable se trouve dans un État membre dont le niveau d’imposition est supérieur au taux allemand que dans celle où, comme dans l’affaire au principal, il se trouve dans un État membre dont le niveau d’imposition est inférieur au taux allemand, la République fédérale d’Allemagne prévient, dans le chef de ses résidents, la double imposition des revenus de capitaux placés, provenant d’établissements stables situés dans d’autres États membres. En ce sens, l’objectif de prévention de la double imposition semble atteint.

148. Il n’en demeure pas moins que, du point de vue de l’assujetti allemand, celui-ci se trouve dissuadé de s’établir ou de maintenir son établissement dans un État membre dont le taux d’imposition est inférieur à celui visé par les dispositions de l’AStG. Il me semble que, compte tenu du morcellement du marché intérieur engendré par la mesure fiscale en cause, effet d’ailleurs recherché par le législateur allemand, une telle mesure ne devrait pouvoir être considérée comme compatible avec la liberté d’établissement garantie par le traité que si elle se justifie par une exigence d’intérêt général.

149. Quant au second point, j’estime également que la différence mise en exergue par le gouvernement allemand est absorbée par le principe plus fondamental qui exige que les États membres s’abstiennent d’adopter des mesures unilatérales visant à scinder le marché intérieur, à moins qu’une telle mesure soit justifiée par un objectif d’intérêt général.

150. Je considère donc qu’une mesure nationale comme l’article 20, paragraphe 2, de l’AStG est susceptible de constituer une entrave à la liberté d’établissement prévue par le traité.

c)      Comparaison par rapport à la prévention de la double imposition de la fortune (article 20, paragraphe 3, de l’AStG)

151. Une appréciation similaire s’impose, à mon avis, s’agissant de l’imposition sur la fortune.

152. On pourrait d’ailleurs soutenir que l’effet dissuasif est, dans cette hypothèse, encore davantage accentué que dans le cadre de l’application de l’article 20, paragraphe 2, de l’AStG.

153. On rappellera que, dans une situation comme celle dans l’affaire au principal où le Royaume de Belgique ne prélève pas d’impôt sur la fortune, l’application de la méthode de l’imputation aboutit uniquement à permettre à la République fédérale d’Allemagne de prélever son propre impôt sur la fortune, puisqu’il n’existera aucun impôt étranger à imputer sur l’impôt allemand.

154. Or, dans une situation où l’établissement stable est situé dans un État membre dont l’imposition est supérieure au taux visé par l’AStG, mais qui ne prélève pas non plus d’impôt sur la fortune, les associés allemands ne seront pas, en principe, assujettis au paiement de l’impôt sur la fortune en Allemagne, en raison de l’application de la méthode de l’exonération.

155. Il s’ensuit, selon moi, que, en traitant différemment des situations comparables, l’article 20, paragraphe 3, de l’AStG restreint également l’exercice de la liberté d’établissement prévue par le traité.

3.      Conclusion sur l’existence d’une entrave à la liberté d’établissement

156. À la lumière des considérations qui précèdent, je suis d’avis qu’une disposition nationale, telle que celle de l’article 20, paragraphes 2 et 3, de l’AStG, constitue une entrave à la liberté d’établissement prévue par le traité, en ce qu’elle est apte à dissuader les ressortissants d’un État membre de s’établir librement dans un autre État membre de leur choix.

157. Dans ces conditions, il est nécessaire d’examiner si une telle entrave est susceptible d’être justifiée.

D –    Sur les justifications de l’entrave à la liberté d’établissement

158. Selon la jurisprudence, une restriction à la liberté d’établissement peut être admise si elle se justifie par les motifs exposés à l’article 56 du traité CE (devenu, après modification, article 46 CE) ou par des raisons impérieuses d’intérêt général. En toute hypothèse, cette restriction doit être propre à garantir la réalisation de l’objectif légitime qu’elle entend poursuivre et ne pas aller au-delà de ce qui est nécessaire pour atteindre cet objectif (55).

159. Devant la juridiction de renvoi, le Finanzamt Bielefeld-Innenstadt a fait valoir que l’article 20, paragraphes 2 et 3, de l’AStG serait justifié par la lutte contre la concurrence fiscale dommageable, par la lutte contre les montages purement artificiels et par la sauvegarde de la cohérence du régime fiscal. Ces trois motifs de justification ont été réitérés par le gouvernement allemand dans ses observations écrites déposées devant la Cour.

160. Le gouvernement néerlandais et la Commission se rallient, en substance, aux observations du gouvernement allemand, considérant que les dispositions de l’article 20, paragraphes 2 et 3, de l’AStG, se justifient cependant uniquement par le souci de lutter contre les montages artificiels dont le but est d’échapper à l’application de la législation fiscale allemande. Pour sa part, le gouvernement portugais estime que ledit article vise à préserver la cohérence du régime fiscal allemand.

161. En revanche, Columbus et le gouvernement belge estiment que les règles nationales en cause ne sauraient être justifiées par aucun des motifs avancés devant la juridiction de renvoi et la Cour.

162. Il convient d’examiner tour à tour les trois causes de justification avancées par les autorités allemandes.

1.      Sur la lutte contre la concurrence fiscale dommageable

163. La République fédérale d’Allemagne rappelle, d’une part, que le régime belge des centres de coordination a été visé, dans une résolution du Conseil et des représentants des gouvernements des États membres réunis au sein du Conseil (56), parmi les mesures de concurrence fiscale dommageable et, d’autre part, que la Commission a ouvert une procédure formelle d’examen à son encontre visant à constater que ce régime contenait des éléments d’aide d’État. Cet État membre considère néanmoins que, indépendamment de ces initiatives, l’article 20, paragraphes 2 et 3, de l’AStG vise à lui permettre, dans le cadre de son droit à l’«autodéfense», de compenser les avantages fiscaux extraordinaires procurés par ledit régime, en rétablissant, grâce à l’application de la méthode de l’imputation, la charge fiscale des associés de Columbus au niveau allemand d’imposition.

164. Formulé de la sorte, l’objectif avancé par la République fédérale d’Allemagne apparaît se confondre avec un prétendu droit à compenser un avantage fiscal acquis dans un autre État membre, par l’application d’un traitement fiscal défavorable.

165. Or, un tel objectif ne saurait être admis pour justifier une restriction à la liberté d’établissement, ainsi que cela ressort de la jurisprudence (57).

166. Comme l’a très justement fait remarquer l’avocat général Léger dans ses conclusions dans l’affaire Cadbury Schweppes et Cadbury Schweppes Overseas, précitée, en l’absence d’harmonisation communautaire, force est d’admettre que les régimes fiscaux des différents États membres peuvent être mis en situation de concurrence (58). Il peut être regretté que cette concurrence semble jouer sans aucune limite. Cette question, ainsi que l’admet également le préambule de la résolution du Conseil citée par la République fédérale d’Allemagne, appelle cependant une réponse de nature politique et n’affecte donc aucunement les droits et obligations des États membres en vertu du traité.

167. Par ailleurs, je suis également d’avis que le fait que le régime fiscal en cause puisse être qualifié d’aide d’État incompatible avec le marché commun (59), dont le contrôle incombe, en vertu du traité, à la Commission, ne saurait autoriser un État membre à adopter des mesures unilatérales, à l’encontre de ce régime, destinées à en combattre les effets, et qui porteraient atteinte à l’une des libertés fondamentales prévues par le traité (60).

168. Partant, la lutte contre la concurrence fiscale dommageable n’est pas propre, selon moi, à justifier la restriction à la liberté d’établissement en cause dans la présente affaire.

2.      Sur la lutte contre les montages purement artificiels

169. La République fédérale d’Allemagne fait également valoir que la lutte contre les montages purement artificiels préside à l’adoption de l’article 20, paragraphes 2 et 3, de l’AStG par le législateur allemand. Elle soutient qu’une telle justification aurait été reconnue par la jurisprudence de la Cour. Elle considère néanmoins que cette jurisprudence est trop restrictive et propose que la Cour élargisse le droit des États membres de lutter contre les montages artificiels en leur permettant d’exiger que des établissements stables créés dans un autre État membre, en vue d’y profiter d’avantages fiscaux, soient intégrés de manière effective et durable dans la vie économique de cet État. Une telle intégration n’existerait pas, selon la République fédérale d’Allemagne, dans le cas des centres de coordination belges, comme dans l’affaire au principal.

170. Comme le soutient la République fédérale d’Allemagne, la Cour a admis à plusieurs reprises qu’une mesure fiscale qui restreint l’exercice d’une liberté fondamentale garantie par le traité puisse être justifiée si cette mesure a pour objet spécifique d’exclure d’un avantage fiscal les montages purement artificiels dont le but serait d’échapper à l’emprise de la législation de l’État membre concerné (61).

171. Dans l’arrêt Cadbury Schweppes et Cadbury Schweppes Overseas, précité, la Cour a apporté plusieurs précisions quant à l’appréciation de l’existence de tels montages aux fins, notamment, de permettre à la juridiction nationale de vérifier le caractère proportionné de la législation du Royaume-Uni sur les SEC.

172. Il ressort ainsi de cet arrêt que la constatation de l’existence d’un montage purement artificiel exige, outre un élément subjectif consistant dans la volonté d’obtenir un avantage fiscal, qu’il ressorte d’éléments objectifs et vérifiables par des tiers, relatifs, notamment, au degré d’existence physique de la SEC en termes de locaux, de personnel et d’équipements, que, malgré le respect formel de conditions prévues par le droit communautaire, l’objectif d’intégration dans la vie économique de l’État membre d’accueil, poursuivi par la liberté d’établissement, n’a pas été atteint (62).

173. La Cour en a conclu que, pour que la législation du Royaume-Uni sur les SEC soit conforme au droit communautaire, l’application de l’imposition prévue par ladite législation devait être exclue lorsque, nonobstant l’existence de motivations de nature fiscale, la constitution d’une SEC correspondait à une réalité économique, à savoir qu’elle correspondait à une implantation réelle ayant pour objet l’accomplissement d’activités économiques effectives dans l’État membre d’accueil (63).

174. Elle a ajouté qu’il appartenait à la juridiction de renvoi de vérifier si l’un des éléments de la législation du Royaume-Uni sur les SEC qui permettait à la société résidente de démontrer, en substance, que la constitution de la SEC n’était pas uniquement ou principalement motivée par l’objectif d’éluder l’impôt normalement dû au Royaume-Uni (test du mobile) se prêtait à une interprétation qui pouvait limiter l’application de l’imposition prévue par cette législation aux montages purement artificiels, conduisant ainsi à considérer la législation sur les SEC comme compatible avec la liberté d’établissement (64).

175. Il résulte de cette dernière précision que la Cour ne semble pas prête à admettre une législation d’un État membre qui exclut d’un avantage fiscal tout montage prétendument artificiel de façon catégorique et généralisée sans permettre aux juridictions nationales de procéder à un examen au cas par cas, en tenant compte des particularités de chaque espèce, sur la base notamment des éléments fournis par le contribuable concerné (65).

176. Dans la présente affaire, aucune raison ne s’oppose, selon moi, à ce que la Cour réitère les appréciations qu’elle a exposées dans l’arrêt Cadbury Schweppes et Cadbury Schweppes Overseas, précité, à propos de l’examen de la proportionnalité de la mesure fiscale britannique, étant entendu qu’il ne fait guère de doute en l’espèce – aucune des parties qui ont déposé des observations devant la Cour n’ayant, au demeurant, soutenu le contraire – que la substitution de la méthode de l’exonération par la méthode de l’imputation, prévue à l’article 20, paragraphes 2 et 3, de l’AStG, est susceptible d’atteindre l’objectif poursuivi par la République fédérale d’Allemagne.

177. S’agissant donc de la proportionnalité de la mesure en cause, qu’il revient principalement à la juridiction de renvoi d’examiner, j’estime utile de formuler les observations suivantes.

178. On relèvera que, quand bien même la nature de la mesure nationale en cause, à savoir la substitution d’une méthode préventive de la double imposition par une autre plus défavorable, est moins attentatoire à la liberté d’établissement que l’assujettissement à une imposition additionnelle, l’AStG ne semble aucunement permettre, dès lors que l’ensemble de ses conditions générales d’application auxquelles renvoie l’article 20, paragraphes 2 et 3, de l’AStG sont réunies, de procéder à un examen au cas par cas afin de vérifier si, dans chaque espèce, cette disposition pourrait être écartée du fait de l’existence d’une implantation réelle de l’établissement stable concerné dans l’État membre d’accueil en cause. À cet égard, l’article 20, paragraphes 2 et 3, de l’AStG apparaît reposer sur une présomption irréfragable, selon laquelle il existerait un montage purement artificiel dès lors que les conditions visées par cette disposition sont réunies. Or, une telle approche m’apparaît disproportionnée par rapport à l’objectif poursuivi, eu égard aux appréciations exposées précédemment aux points 174 et 175 des présentes conclusions.

179. Si toutefois la juridiction de renvoi devait disposer de la latitude suffisante pour apprécier l’existence d’un montage purement artificiel dans l’affaire au principal, sur la base, notamment, d’autres dispositions du droit fiscal allemand, il lui appartiendrait alors de vérifier s’il existe une implantation réelle de Columbus en Belgique ayant pour objet l’accomplissement d’activités économiques effectives dans cet État membre, pouvant reposer sur des éléments objectifs et vérifiables, relatifs, notamment, au degré d’existence physique de Columbus en termes de locaux, de personnel et d’équipements. Ce n’est que dans l’hypothèse où tel ne serait pas le cas que la mesure nationale en cause, telle qu’elle a été appliquée au cas d’espèce, serait justifiée par l’objectif de la lutte contre les montages purement artificiels.

180. Dans l’optique de l’examen (éventuel) de ces éléments objectifs par la juridiction de renvoi, j’estime que celle-ci devra, en particulier, vérifier si Columbus continuait, lors de l’exercice fiscal litigieux, de réunir l’ensemble des conditions applicables aux centres de coordination en vertu de l’arrêté royal nº 187, du 30 décembre 1982, susmentionné, notamment en termes d’exigences de niveau d’emploi en Belgique (66).

181.  Par ailleurs, contrairement à ce qu’insinue le gouvernement allemand, je ne crois pas que le fait qu’un établissement tel que Columbus consacre ses activités à la détention ainsi qu’à la gestion de capitaux et qu’il effectue, le cas échéant, des placements financiers dans d’autres États membres puisse être déterminant quant à la constatation de l’existence d’un montage purement artificiel, dans le sens où cet établissement n’accomplirait pas d’activités économiques effectives dans l’État membre d’accueil.

182. En effet, non seulement les activités financières ne sont pas a priori exclues du bénéfice des libertés de circulation, mais en outre il ne saurait être entièrement exclu que les placements de capitaux d’un établissement comme Columbus au bénéfice de ses associés soient réalisés dans l’État membre d’accueil ou, à tout le moins, par le truchement d’intermédiaires financiers ou bancaires établis en Belgique.

183. Je considère que de telles circonstances, cumulées à la réalité d’une implantation physique dans l’État membre d’accueil, seraient suffisantes pour écarter l’existence d’un montage purement artificiel.

184. En tout état de cause, il appartient à la juridiction de renvoi de procéder à l’ensemble des vérifications nécessaires afin de constater si Columbus jouissait d’une implantation réelle, au sens de la jurisprudence de la Cour, permettant dès lors au juge national de considérer que, dans l’affaire au principal, l’application de l’article 20, paragraphes 2 et 3, de l’AStG ne pourrait se justifier dans le but de lutter contre les montages purement artificiels.

3.      Sur la préservation de la cohérence du régime fiscal

185. La République fédérale d’Allemagne défend aussi l’article 20, paragraphes 2 et 3, de l’AStG au motif de la préservation de la cohérence de son régime fiscal. Selon elle, cette disposition garantit l’imposition du revenu mondial (et de la fortune) des contribuables allemands en ce qui concerne les placements de capitaux ou la neutralité à l’exportation des capitaux, qui correspondent à l’option de principe du législateur allemand conforme à sa souveraineté fiscale.

186. Depuis les arrêts Bachmann (67) et Commission/Belgique (68), la Cour a en principe admis que la préservation de la cohérence du régime fiscal est un objectif que les États membres peuvent invoquer en vue de justifier des restrictions aux libertés de circulation du traité.

187. Alors que, à la suite de ces deux arrêts, la justification tirée de la nécessité de garantir la cohérence du régime fiscal constitue l’une des exigences impérieuses d’intérêt général les plus souvent invoquées par les États membres en matière de fiscalité directe, l’on sait aussi qu’elle a toujours été écartée par la Cour au motif notamment que, contrairement à la situation à l’origine des deux arrêts susmentionnés, les règles fiscales en cause ne permettaient pas de constater un lien direct entre l’octroi d’un avantage fiscal et la compensation de cet avantage par un prélèvement fiscal (69), qui exige, en principe, que la déduction et le prélèvement s’effectuent dans le cadre d’une même imposition dans le chef d’un même contribuable (70).

188. Appliquée dans toute sa rigueur, cette jurisprudence entraînerait à rejeter le bénéfice de la justification de la cohérence du régime fiscal dans la présente affaire, dans la mesure où l’avantage fiscal en cause accordé à Columbus et l’application de la méthode de l’imputation s’effectuent dans le cadre d’impositions distinctes et de régimes fiscaux distincts.

189. Dans l’arrêt Manninen, précité, la Cour semble cependant avoir atténué la rigidité de l’interprétation de la notion de cohérence du régime fiscal reposant sur les critères d’identité de l’imposition et d’identité du contribuable qui prévalait jusque-là dans la jurisprudence, en admettant, à l’instar de ce qu’a proposé l’avocat général Kokott dans ses conclusions dans cette affaire, qu’un État membre puisse invoquer l’exigence de la préservation de la cohérence du régime fiscal, quand bien même les deux critères susmentionnés faisaient, en l’espèce, défaut (71).

190. La notion de cohérence du régime fiscal a été décrite comme étant «quelque peu diffuse» (72), voire «mystérieuse» (73). Les États membres l’ont souvent indistinctement invoquée avec d’autres types de justification, souvent reconnus comme des exigences impératives au sens de la jurisprudence, tels que l’efficacité des contrôles fiscaux, la lutte contre l’évasion ou la fraude fiscale, voire la perte de recettes fiscales, laquelle ne relève cependant pas desdites exigences (74). En l’espèce, la République fédérale d’Allemagne semble également assimiler cette notion au principe de territorialité, consacré par le droit fiscal international, principe qui a aussi été admis par la Cour comme pouvant justifier une restriction à l’une des libertés de circulation (75).

191. Ainsi que l’a précisé l’avocat général Poiares Maduro dans ses conclusions dans l’affaire Marks & Spencer (76), la notion de cohérence du régime fiscal a pour fonction de protéger l’intégrité des systèmes fiscaux nationaux, pourvu qu’elle ne fasse pas obstacle à l’intégration de ces systèmes dans le cadre du marché intérieur. En ce sens, elle vise à garantir un «délicat équilibre» se traduisant par une règle de «double neutralité», à savoir, d’une part, la neutralité fiscale exigée des États membres par l’article 52 du traité CE en ce qui concerne l’établissement des entreprises dans la Communauté et, d’autre part, celle que l’exercice de la liberté d’établissement doit assurer pour les dispositifs fiscaux adoptés par les États membres, de sorte que les ressortissants communautaires n’utilisent pas les dispositions du droit communautaire pour en tirer des avantages qui ne sont pas liés à cet exercice.

192. Sous cet angle, il pourrait donc être suggéré que la notion de cohérence du régime fiscal se confond avec l’abus de droit ou l’exigence de lutter contre des montages purement artificiels. Si tel devait être le cas, il serait suffisant, dans notre affaire, de renvoyer aux développements consacrés à ce motif de justification dans les présentes conclusions.

193. Devant le rejet quasi systématique de l’argument tiré de la sauvegarde de la cohérence du régime fiscal, y compris dans son acception plus souple issue de l’arrêt Manninen, précité, et les difficultés à délimiter précisément cette notion par rapport aux autres motifs de justification avancés par les États membres (77), la question pourrait être posée de sa véritable utilité.

194. Cette interrogation s’explique sans doute en raison des situations dans lesquelles la Cour a eu à apprécier ladite justification. En effet, dans les affaires dans lesquelles l’argument de la nécessité de la cohérence du régime fiscal avait été avancé le plus sérieusement, il s’agissait de réglementations nationales qui, d’une manière ou d’une autre, établissaient une différence de traitement entre une situation interne et une situation transfrontalière, dans laquelle les contribuables en cause avaient fait usage de l’une des libertés de circulation. En définitive, ces réglementations refusaient l’extension à une opération effectuée dans la Communauté du bénéfice du traitement fiscal, sous la forme d’un avantage fiscal, réservé aux opérations de même type qui étaient réalisées sur le territoire national (78). Ainsi, dans l’affaire Manninen précitée, la réglementation finlandaise subordonnait l’octroi d’un avoir fiscal à des actionnaires ayant leur résidence en Finlande et assujettis de manière illimitée à l’impôt dans cet État membre, à la condition que les dividendes soient distribués par des sociétés établies en Finlande, lesquelles étaient assujetties à l’impôt sur les sociétés dans le même État. La Cour, en examinant la proportionnalité de la mesure fiscale en cause, qui visait à éviter la double imposition des bénéfices des sociétés qui étaient distribués aux actionnaires, a jugé que l’extension de l’avoir fiscal aux actionnaires finlandais d’une société établie en Suède, calculé en fonction de l’impôt dû par cette dernière dans cet État membre, ne mettrait pas en cause la cohérence du régime fiscal finlandais, tout en étant moins restrictive pour la libre circulation des capitaux (79).

195. Ainsi que je l’ai analysé précédemment, la mesure fiscale en cause dans la présente affaire n’introduit pas de différence entre le traitement fiscal des associés de Columbus, assujettis illimités à l’impôt en Allemagne, qui se sont prévalus de la liberté d’établissement, et celui des associés d’un établissement stable situés en Allemagne. En revanche, elle traite différemment des situations transfrontalières suivant que l’État membre dans lequel l’établissement stable des associés allemands est situé applique un niveau d’imposition inférieur ou supérieur au taux visé par l’AStG. Cette mesure consiste dans le refus d’accorder le bénéfice de l’exonération de l’impôt sur le revenu et de celui sur la fortune en Allemagne, aux fins de la prévention de la double imposition, aux revenus ayant la nature de capitaux placés dans un établissement stable situé dans un État membre dont l’imposition est inférieure au taux fixé par l’AStG, en leur appliquant, toujours aux fins de la prévention de la double imposition, la méthode de l’imputation de l’impôt prélevé à l’étranger.

196. Même à admettre, de manière générale, qu’il puisse exister, dans une situation de substitution unilatérale d’une méthode tendant à éviter la double imposition par une autre, un objectif de préservation de la cohérence du régime fiscal, je m’interroge cependant en l’espèce, ainsi que les développements précédents ont pu déjà le laisser deviner, sur la question de savoir si cette cause de justification constitue le véritable objectif poursuivi par les autorités allemandes par l’adoption de la mesure fiscale en cause. En effet, comme nous l’avons vu, cette mesure apparaît essentiellement motivée par le souci de combattre l’évasion fiscale, sous la forme de la lutte contre les montages purement artificiels, voire à préserver le principe de territorialité.

197. S’il s’agit de défendre ce principe, comme le revendique la République fédérale d’Allemagne, il me semble, en particulier, qu’il est incohérent et peu compatible avec ledit principe de prélever l’impôt sur la fortune sur le patrimoine provenant d’un établissement stable situé dans un autre État membre, qui ne prélève pas un tel impôt et dont l’impôt sur le revenu est inférieur au taux appliqué en Allemagne, et de renoncer à appliquer ce même impôt sur la fortune dès lors que le patrimoine provient d’un établissement situé dans un État membre dont l’imposition est plus élevée qu’en Allemagne, alors même que cet autre État membre ne prélève pas non plus d’impôt sur la fortune.

198. Dans ces conditions, je ne pense pas que la mesure fiscale en cause puisse se justifier par le souci de préserver la cohérence du régime fiscal allemand, tel que ce motif de justification est avancé et interprété par la République fédérale d’Allemagne.

199. Au terme de mon analyse, je considère que l’article 52 du traité CE doit être interprété en ce sens qu’il s’oppose à une législation fiscale d’un État membre qui prévoit, aux fins de la prévention de la double imposition, la substitution de la méthode de l’imputation à celle de l’exonération pour l’imposition des revenus et de la fortune de résidents de cet État, qui proviennent de capitaux placés dans un établissement stable constitué par ces résidents et situé dans un autre État membre dont le niveau d’imposition est plus faible que celui prévu par la législation fiscale nationale du premier État membre, à moins qu’une telle législation soit justifiée par l’exigence de lutter contre les montages purement artificiels destinés à contourner la législation nationale. Il appartient à la juridiction de renvoi de vérifier si l’application de la législation fiscale nationale en cause dans l’affaire au principal peut être justifiée pour ce motif.

200. J’ajoute qu’une conclusion identique s’imposerait si l’examen de la présente affaire devait être conduite sous l’angle de l’article 73 B du traité CE.

VI – Conclusion

201. Au vu de l’ensemble des considérations qui précèdent, je propose à la Cour de répondre de la manière suivante à la question posée par le Finanzgericht Münster:

«Les articles 52 du traité CE (devenu, après modification, article 43 CE) et 73 B du traité CE (devenu article 56 CE) doivent être interprétés en ce sens qu’ils s’opposent à une législation fiscale d’un État membre qui prévoit, aux fins de la prévention de la double imposition, la substitution de la méthode de l’imputation à la méthode de l’exonération pour l’imposition des revenus et de la fortune de résidents de cet État, qui proviennent de capitaux placés dans un établissement stable constitué par ces résidents et situé dans un autre État membre dont le niveau d’imposition est plus faible que celui prévu par la législation fiscale nationale du premier État membre, à moins qu’une telle législation soit justifiée par l’exigence de lutter contre les montages purement artificiels destinés à contourner la législation nationale. Il appartient à la juridiction de renvoi de vérifier si l’application de la législation fiscale nationale en cause dans l’affaire au principal peut être justifiée pour ce motif.»


1 – Langue originale: le français.


2 – Voir point 3 des conclusions présentées le 23 février 2006 dans l’affaire Test Claimants in Class IV of the ACT Group Litigation, ayant donné lieu à l'arrêt du 12 décembre 2006 (C-374/04, non encore publié au Recueil).


3 – RGBl 1934 I, p. 1005.


4 – Respectivement BGBl 1969 II, p. 18 et Moniteur belge du 30 juillet 1969.


5 – BGBl 1972 I, p. 1713.


6 – BGBl 1993 I, p. 2310.


7 – Moniteur belge du 13 janvier 1983.


8 – Voir, à cet égard, arrêt du 22 juin 2006, Belgique et Forum 187/Commission (C-182/03 et C-217/03, Rec. p. I-5479, point 9).


9 – Il s’agit des SEC.


10 – Voir article 7, paragraphe 1, de l’AStG.


11 – Voir article 10, paragraphes 1 et 2, de l’AStG.


12 – Selon l’expression du rapporteur général J.-P. Le Gall, dans le cadre de l’étude de droit fiscal comparé, regroupant plus de 28 rapports nationaux, établie par l’International Fiscal Association, intitulée International tax problems of partnerships, in Cahiers de droit fiscal international, Kluwer Law International, La Haye, 1995, p. 604.


13 – Bull. Suppl. nº 2, 1969, p. 7.


14 – Si Columbus avait été qualifiée de société de capitaux en droit allemand, il est fort probable que le régime apparemment plus défavorable des sociétés intermédiaires étrangères (SEC) lui eût été applicable (chapitre 4 de l’AStG). Cette hypothèse ne fait cependant pas l’objet de la présente analyse, puisqu’elle n’est pas posée par la juridiction de renvoi.


15 – Voir, en ce sens, arrêt du 14 décembre 2000, AMID (C-141/99, Rec. p. I-11619, point 18). Voir aussi point 25 des conclusions de l’avocat général Ruiz-Jarabo Colomer dans l’affaire Gilly (arrêt du 12 mai 1998, C-336/96, Rec. p. I-2793).


16 – Voir, en ce sens, arrêt du 14 décembre 2006, Denkavit Internationaal et Denkavit France (C-170/05, non encore publié au Recueil, point 44 et jurisprudence citée).


17 – Voir points 33 à 38 des conclusions présentées le 27 avril 2006 dans l’affaire ayant donné lieu à l’arrêt Denkavit Internationaal et Denkavit France, précité.


18 – Voir, notamment, arrêts du 13 avril 2000, Baars (C-251/98, Rec. p. I-2787, point 22); du 21 novembre 2002, X et Y (C-436/00, Rec. p. I-10829, point 37), et du 12 septembre 2006, Cadbury Schweppes et Cadbury Schweppes Overseas (C-196/04, non encore publié au Recueil, point 31).


19 – Voir, notamment, arrêts du 11 mars 2004, De Lasteyrie du Saillant (C-9/02, Rec. p. I-2409, point 40) et, ainsi que Cadbury Schweppes et Cadbury Schweppes Overseas, précité (point 41).


20 – Voir arrêt Baars, précité (point 29).


21 – Voir, notamment, arrêts du 27 septembre 1988, Daily Mail and General Trust (81/87, Rec. p. 5483, point 16); du 16 juillet 1998, ICI (C-264/96, Rec. p. I-4695, point 21); De Lasteyrie du Saillant, précité (point 42), et du 13 décembre 2005, Marks & Spencer (C-446/03, Rec. p. I-1083, point 31), (souligné par mes soins).


22 – Voir, en ce sens, arrêts précités De Lasteyrie du Saillant (point 44), Cadbury Schweppes et Cadbury Schweppes Overseas (point 40) et, ainsi que Denkavit Internationaal et Denkavit France (point 18). Voir également, récemment, à propos de la libre circulation des capitaux, arrêt du 14 novembre 2006, Kerckhaert et Morres (C-513/04, non encore publié au Recueil, point 15 et jurisprudence citée).


23 – Arrêt De Lasteyrie du Saillant, précité (point 45) (souligné par mes soins).


24 – Ibidem (points 46 à 48) (souligné par mes soins). Voir également arrêt du 7 septembre 2006, N (C-470/04, non encore publié au Recueil, points 34 à 39).


25 – Point 46 (souligné par mes soins).


26 – Arrêt du 12 décembre 2006 (C-446/04, non encore publié au Recueil).


27 – En effet, cette disposition est dépourvue d’effet direct (voir arrêt Gilly, précité, point 17).


28 – JO L 225, p. 6.


29 – JO L 225, p. 10.


30 – JO L 157, p. 38.


31 – Voir, notamment en ce qui concerne la liberté de circulation des capitaux, arrêt Kerckhaert et Morres, précité (point 22), et, pour ce qui concerne l’article 52 du traité CE, arrêt du 12 décembre 2006, Test Claimants in Class IV of the ACT Group Litigation (C-374/04, non encore publié au Recueil, point 51).


32 – Arrêts Gilly, précité (points 24 et 30), ainsi que du 12 décembre 2002, De Groot (C-385/00, Rec. I-11819, point 93), en ce qui concerne l’article 48 du traité CE (devenu, après modification, article 39 CE). Arrêts du 21 septembre 1999, Saint-Gobain ZN (C-307/97, Rec. p. I-6161, point 57), en ce qui concerne les articles 52 et 58 du traité CE, et du 23 février 2006, Van Hilten-van der Heijden (C-513/03, Rec. p. I-1957, point 47), pour ce qui concerne la libre circulation des capitaux.


33 – Arrêts Gilly, précité (points 24 à 30; Saint-Gobain ZN, précité (point 57); De Groot, précité (point 93); du 3 octobre 2006, FKP Scorpio Konzertproduktionen (C-290/04, non encore publié au Recueil, point 54); Test Claimants in Class IV of the ACT Group Litigation, précité (point 52) (souligné par mes soins).


34 – S’agissant de la libre circulation des capitaux, arrêts précités Van Hilten-van der Heijden (point 47) et, quant à la liberté d’établissement, N (point 44) ainsi que Test Claimants in Class IV of the ACT Group Litigation (point 52).


35 – Arrêts De Groot (point 94) et FKP Scorpio Konzertproduktionen (point 55).


36 – Arrêt De Groot, précité (points 93 et 94).


37 – Voir, notamment, à cet égard, arrêt Kerckhaert et Morres, précité (point 24), à propos de l’applicabilité de la libre circulation des capitaux, selon lequel la Cour a indiqué que l’article 73 B, paragraphe 1, du traité ne s’oppose pas à une législation d’un État membre qui, dans le cadre de l’impôt sur le revenu, soumet au même taux uniforme d’imposition les dividendes d’actions de sociétés établies sur le territoire dudit État et les dividendes d’actions de sociétés établies dans un autre État membre, sans prévoir de possibilité d’imputation de l’impôt prélevé par voie de retenue à la source dans cet autre État membre.


38 – Voir arrêts précités Gilly (points 30 et 31) et Saint-Gobain ZN (point 57).


39 – Voir, notamment, arrêt du 7 septembre 2004, Manninen (C-319/02, Rec. p. I-7477).


40 – Arrêt Test Claimants in the FII Group Litigation, précité (points 48 et 49).


41 – Ibidem (points 48 à 50).


42 – Ibidem (point 53).


43 – Voir, notamment, arrêt Test Claimants in the FII Group Litigation, précité (point 47).


44 – À l’époque des faits au principal, seuls la République fédérale d'Allemagne, le Royaume d'Espagne, la République française, le Grand-Duché de Luxembourg, le Royaume des Pays-Bas, la République de Finlande et le Royaume de Suède prélevaient un impôt sur la fortune des personnes physiques. Depuis lors, ces États membres, hormis le Royaume d'Espagne, la République française et le Royaume de Suède l’ont abandonné.


45 – À l’époque des faits au principal, cet impôt s’élevait pour les personnes physiques à 0,5 % du patrimoine imposable comportant des actifs d’entreprise.


46 – Voir articles 22 et 23 de ladite convention.


47 – Voir conclusions présentées le 2 mai 2006 dans l’affaire Cadbury Schweppes et Cadbury Schweppes Overseas (points 78 à 83).


48 – Une distinction de traitement qui serait uniquement applicable entre une situation interne et une situation transfrontalière, pour autant que les situations en cause sont comparables, serait, bien entendu, contraire à la liberté d’établissement. Cette branche de l’alternative ne pose pas de problème particulier.


49 – Voir, dans le même sens, conclusions de l’avocat général Geelhoed dans l’affaire Test Claimants in the FII Group Litigation, précitée (point 39).


50 – Arrêt du 5 juillet 2005 (C-376/03, Rec. p. I-5821).


51 – Arrêts précités D. (point 54) et Test Claimants in Class IV of the ACT Group Litigation (point 84).


52 – Arrêts précités D. (point 61) et Test Claimants in Class IV of the ACT Group Litigation (point 91).


53 – Arrêts précités Saint-Gobain ZN (point 59), et D. (point 56).


54 – Arrêt D. (point 57).


55 – Voir, en ce sens, arrêts du 30 septembre 2003, Inspire Art (C-167/01, Rec. p. I-10155, points 107, 132 et 133); De Lasteyrie du Saillant, précité (point 49); Marks & Spencer, précité (point 35), ainsi que Cadbury Schweppes et Cadbury Schweppes Overseas, précité (point 47).


56 – Résolution du 1er décembre 1997, sur un code de conduite dans le domaine de la fiscalité des entreprises (JO 1998, C 2, p. 2).


57 – Voir, notamment, arrêts précités De Groot (point 97) ainsi que Cadbury Schweppes et Cadbury Schweppes Overseas (point 49 et jurisprudence citée).


58 – Point 55 des conclusions.


59 – Rappelons que ce régime comporte effectivement une aide d’État ainsi que l’a jugé la Cour dans l'arrêt Belgique et Forum 187/Commission, précité.


60 – Voir, en ce sens, point 58 des conclusions précitées de l’avocat général Léger dans l’affaire Cadbury Schweppes et Cadbury Schweppes Overseas.


61 – Arrêts ICI, précité (point 26); X et Y, précité (point 61); du 12 décembre 2002, Lankhorst-Hohorst (C-324/00, Rec. p. I-11779, point 37); De Lasteyrie du Saillant, précité (point 50); Marks & Spencer, précité (point 57), ainsi que Cadbury Schweppes et Cadbury Schweppes Overseas, précité (point 51).


62 – Arrêt Cadbury Schweppes et Cadbury Schweppes Overseas, précité (points 64, 53 à 55 et 67).


63 – Ibidem (points 65 et 66).


64 – Ibidem (points 62, 72 et 73).


65 – Voir, en ce sens, arrêt X et Y, précité (point 43).


66 – Les centres de coordination doivent employer en Belgique l’équivalent d’au moins dix personnes à temps plein à compter d’une période de deux ans d’activités.


67 – Arrêt du 28 janvier 1992 (C-204/90, Rec. p. I-249, points 21 à 23).


68 – Arrêt du 28 janvier 1992 (C-300/90, Rec. p. I-305, points 14 à 16).


69 – Arrêts ICI, précité (point 29); Baars, précité (point 40); De Groot, précité (point 109); du 18septembre 2003, Bosal (C-168/01, Rec. p. I-9409, point 31); du 15 juillet 2004, Weidert et Paulus (C-242/03, Rec. p. I-7379, point 22); du 10 mars 2005, Laboratoires Fournier (C-39/04, Rec. p. I-2057, point 21), et du 26 octobre 2006, Commission/Portugal (C-345/05, non encore publié au Recueil, point 29).


70 – Voir, notamment, arrêts Baars, précité (point 40); du 6 juin 2000, Verkooijen, (C-35/98, Rec. p.I-4071, points 57 et 58); Bosal, précité (points 29 et 30); du 15 juillet 2004, Lenz (C-315/02, Rec. p. I-7063, point 36); Manninen, précité (point 42), et du 14 septembre 2006, Centro di Musicologia Walter Stauffer (C-386/04, non encore publié au Recueil, point 54).


71 – Points 45 et 46 de l'arrêt ainsi que, notamment, points 54 à 57 des conclusions.


72 – Point 51 des conclusions de l’avocat général Kokott dans l’affaire Manninen, précitées.


73 – Vanistendael, F., «Cohesion: The Phoenix rises from his ashes», EC Tax Review, 2005, p. 211.


74 – Voir, à cet égard, notamment, arrêts précités Verkooijen (point 59), X et Y (point 50), Lenz (point 40) et Marks & Spencer (point 44).


75 – Voir, arrêts du 15 mai 1997, Futura Participations et Singer (C-250/92, Rec. p. I-2471, point 22); Bosal, précité (point 37); Manninen, précité (point 38), ainsi que Marks & Spencer, précité (point 39).


76 – Points 66 et 67.


77 – Notons encore que, dans l’arrêt Marks & Spencer, précité, la Cour, en examinant l’éventuelle justification de la législation britannique qui limitait le bénéfice du dégrèvement de groupe aux pertes subies par les sociétés résidentes, ne s’est pas référée à la préservation de la cohérence du régime fiscal national, mais à un faisceau de trois motifs cumulatifs tirés, d’abord, de la préservation de la répartition du pouvoir d’imposition entre les États membres, ensuite, du risque du double emploi des pertes, enfin, du risque d’évasion fiscale.


78 – Voir, notamment, les faits à l’origine des arrêts précités Verkooijen, Bosal, Lenz et Manninen, ainsi que l'arrêt du 8 mars 2001, Metallgesellschaft e.a. (C-397/98 et C-410/98, Rec. p. I-1727).


79 – Arrêt Manninen, précité, point 46.